Arènes et ressources du droit au village : les ressorts de l’émancipation dans les campagnes occidentales au 21ème siècle

Arenas and resources of the right to the village: the underpinnings of emancipation in Western countryside in the 21st century

Introduction

Introduction

 

 

Au sein des études rurales, les références explicites à la notion de « droit à la ville » sont rares, tout comme la transposition des questionnements qui lui sont associés (Barraclough 2013 ; Banos & Candau 2006). Est-ce l’expression, et son attache sémantique indissociable de la ville, qui a dissuadé de telles expériences ? Le concept a pu en effet paraître inadéquat au contexte rural. Les tenants des études rurales et urbaines s’étant longtemps construits en opposition au sein de la géographie, ils ont fini par élaborer des objets et des approches théoriques relativement autonomes. Toutefois l’urbanisation croissante des populations et la recomposition des relations entre villes et campagnes ont eu raison de ces clivages, les objets ou références théoriques des chercheurs tendant à se rapprocher (Mathieu 1990 & 1998). Ainsi les espaces ruraux français, à l’instar d’autres pays occidentaux, ont connu des changements profonds, à commencer par l’emprise toujours plus forte des mécanismes du capitalisme tels qu’observés dans les villes. Parallèlement, ils sont eux aussi le théâtre de luttes, de protestation et de mobilisation variés, significatifs des transformations qui les affectent.

Within rural studies, explicit references to the notion of “right to the city” are scarce, as is the transposition of related questions (Barraclough, 2013; Banos & Candau 2006). Has the expression, with its inherent semantic attachment to the city, deterred researchers from experimenting with it in this way? Some have argued that the concept is unsuited to the rural context. For a long time, the tenets of rural and urban studies within geography were built in opposition to each other, and thus ended up developing relatively autonomous theoretical tools and approaches. However, the growing urbanization of populations and the reshaping of relations between cities and the countryside have reduced these cleavages, as researchers’ theoretical objects or references gradually converge (Mathieu 1990 & 1998). As with other Western countries, French rural areas have undergone profound changes, starting with the strengthening grip of capitalist mechanisms as observed in the cities. In parallel, various struggle, protest and mobilization phenomena are also manifesting in these areas, reflecting the transformations affecting them.

Nous souhaitons questionner ici les attributs morphologiques et sociaux des espaces ruraux pouvant œuvrer en faveur de l’émancipation et de l’autonomisation de leurs habitants. Pour Boltanski (2009 : 229), l’émancipation suppose une meilleure distribution des possibilités d’action et « la possibilité pour les personnes d’avoir prise sur les collectifs dont elles sont partie prenante », à commencer par les institutions. Elle peut être obtenue en donnant à la critique et à ses instances une prise sur la réalité. En prolongement de cette acception, nous entendons l’émancipation comme le processus conduisant, pour un individu ou un groupe, à s’extraire des rapports de domination afin d’être en capacité de co-construire les espaces du quotidien, dans toutes leurs dimensions. Elle regroupe ainsi la triple perspective de libération, de développement des capacités et de potentiel d’action. L’autonomisation désigne une trajectoire particulière d’émancipation, au contenu politique et critique plus affirmé. Elle est un processus par lequel les groupes sociaux construisent pour eux-mêmes une « organisation politique, économique et sociale non capitaliste, égalitaire et solidaire grâce à des actions combinant résistance et création » (Pickerill et Chatterton 2006 : 730). Garantir la reproduction des ressources favorisant l’émancipation et l’autonomisation ainsi que leur accès constituerait l’objet d’un « droit de cité »[1] appliqué « au village », selon une conception proche de celle du « droit à la ville » de Lefebvre, c'est-à-dire d’un droit de l’individu à contribuer à la construction de son espace de vie, à le façonner et à y puiser du sens. La première partie de cet article questionne ainsi le contenu du droit à la ville lefebvrien pour en dégager des éclairages théoriques et méthodologiques sur les moteurs de l’émancipation. A travers le prisme du mouvement du développement local, la deuxième partie s’emploie à observer les initiatives et les démarches de mobilisation des populations rurales, dans leurs actions de résistance mais aussi de créativité. Dans une tentative de synthèse de ces enseignements théoriques et empiriques, une dernière partie s’attache à expliciter les processus d’émancipation qui ont œuvré dans certaines campagnes de France et d’Europe occidentale depuis un demi-siècle, et à mettre en lumière les arènes et les ressources qui les favorisent, ainsi que les tendances qui les fragilisent. Elle montre que les espaces ruraux peuvent, à l’instar des villes, être propices à l’émancipation lorsque les acteurs locaux se mobilisent en ce sens.

We here investigate the morphological and social characteristics of rural areas that can promote the emancipation and empowerment of their inhabitants. Boltanski (2011: 155) argues that emancipation implies a better distribution of possibilities of action and “open[ing] up to people the possibility of having some purchase on the collectives of which they are component parts”, starting with institutions. It can be obtained by giving critique and its institutions some purchase on reality. In keeping with this definition, we understand emancipation as the process whereby an individual or a group extracts themselves/itself from relations of domination to be able to co-construct the spaces of everyday life, in all their dimensions. It thus articulates the threefold perspective of liberation, capacity building and potential to act. Empowerment refers to a particular trajectory of emancipation, with a more firmly asserted political and critical content. It is a process whereby social groups constitute “non-capitalist, egalitarian and solidaristic forms of political, social, and economic organization through a combination of resistance and creation” (Pickerill and Chatterton 2006: 730). Ensuring the reproduction of resources promoting emancipation and empowerment and access to them constitutes a “right of citizenship”[1] applied “to the village”, in an understanding similar to Lefebvre’s notion of “right to the city”, the individual’s right to contribute to the construction of their living space, to shape it and derive meaning from it. The first part of this article investigates the content of the Lefebvrian right to the city to gain theoretical and methodological insight into the drivers of emancipation. Looking at the “local development” movement (as community-based development project), the second part studies the initiatives and mobilizations of rural populations, through resistance but also creativity. In an attempt to summarize these theoretical and empirical findings, the last part outlines the emancipation processes at play in some of the countryside of France and Western Europe over the last fifty years, and sheds light on the arenas and resources that drive them, as well as the trends that undermine them. It shows that rural areas, like cities, can be conducive to emancipation when local actors mobilize to that end.

 

 

1. Lire le « droit à la ville » comme revendication de l’émancipation 

1. The “right to the city” as a claim to emancipation

 

 

L’objet de cette première partie n’est pas de chercher quelle aurait pu être la posture de Lefebvre sur la possibilité d’un « droit au village » à travers une relecture de son œuvre. Nous proposons plutôt de montrer comment certains des concepts et idées qu’il a pu développer peuvent être structurants dans le cadre d’une réflexion qui se positionne plutôt en complémentarité (et non en continuité) de l’approche lefebvrienne des espaces de l’émancipation.

The first part of this article does not seek to determine what Lefebvre’s position on the possibility of a “right to the village” would have been through a reinterpretation of his work. Rather, we wish to show how certain concepts and ideas he developed can be used to structure reflection complementing (rather than furthering) the Lefebvrian approach to spaces of emancipation.

 

 

Les motifs de la lutte 

The motives of struggle

 

 

Lefebvre (1968) relie le droit à la ville aux transformations subies par les villes en raison de leur place prépondérante dans l’expansion de l’économie capitaliste. Elles auraient eu dans l’Antiquité gréco-latine des caractéristiques qui les prédisposaient à l’exercice d’une participation des citoyens à la production de leurs espaces, favorisant ainsi l’émancipation du peuple (avec les limites que l’on sait quant à la conception des droits politiques dans l’Antiquité). Dans l’Europe médiévale et de la Renaissance, des aspects de cette citoyenneté urbaine ont pu se perpétuer ou se reconfigurer mais l’avènement du capitalisme industriel et la soumission des formes urbaines et des populations à ses impératifs ont entravé cette émancipation. Devenues des lieux de privation de droits élémentaires du fait de leur préemption par des intérêts économiques, les villes incarnent alors également le lieu idéal pour la lutte politique et la révolution sociale (Harvey 2011).

Lefebvre (1968) links the right to the city to the transformations undergone by cities due to their prominent role in the expansion of the capitalist economy. In Greco-Roman Antiquity, they are said to have had characteristics that rendered them conducive to citizens participating in the production of their spaces, thereby facilitating the emancipation of the people (with its known limits linked to the conception of political rights in Antiquity). However, while aspects of this urban citizenship were perpetuated or reconfigured in Medieval and Renaissance Europe, the rise of industrial capitalism and the submission of urban forms and populations to its imperatives have hampered this emancipation. Having become loci of deprivation of basic rights, pre-empted by economic interests, cities have also become ideal places for political struggle and social revolution (Harvey 2011).

Ces luttes ont pour principal objet non pas l’accès aux villes dans leur matérialité actuelle mais plutôt le droit à une « vie urbaine avec tous ses services et avantages » (Lefebvre 1991 : 36). Ainsi, Lefebvre n’associe pas en soi le « fait urbain » à une morphologie physique et matérielle particulière, lui préférant une approche sociale (Barraclough 2013) qu’il relie à des pratiques et des façons de penser (Lefebvre 1968 : 74). Il accorde ainsi une grande importance au vécu et au quotidien dans la réalisation de soi, tout autant que dans l’expression de la citoyenneté. L’urbain idéal renvoie pour lui, au-delà de la question des services, à une configuration mentale et sociale, celle de la simultanéité, du rassemblement, propres à émanciper les individus en société. Dans sa tentative de penser un idéal urbain débarrassé de ses travers contemporains, Lefebvre insiste ainsi sur l’idée que l’espace produit pour et par la vie urbaine doit avant tout être l’« œuvre » issue de la recherche d’émancipation. Cette œuvre peut s’incarner dans de multiples vecteurs d’accomplissement, comme l’art, le patrimoine, mais peut aussi tout simplement s’exprimer dans le cadre quotidien des pratiques et des aspirations des groupes humains, en particulier de la « classe laborieuse ».

The main aim of these struggles is not access to the cities in their current materiality, but rather the right to an “urban life with all its services and advantages” (Lefebvre 1991: 36). Lefebvre therefore does not associate the “urban fact” itself with a particular physical and material morphology. Instead, he prefers a social approach (Barraclough 2013) which he links to practices and ways of thinking (Lefebvre 1968: 74). He thus gives great importance to lived experience and everyday life not only in self-actualization but also in the expression of citizenship. For him, beyond the question of services, the urban ideal reflects a mental and social configuration: that of simultaneity, of gathering, able to emancipate individuals in society. In his attempt to conceive of an urban ideal free of its contemporary flaws, Lefebvre thus stressed the idea that the space produced for and by urban life must first and foremost be the “work” stemming from the search for emancipation. This work can materialize through multiple vectors of accomplishment, like art or heritage, but can also simply be expressed in the everyday framework of the practices and aspirations of human groups, particularly of the “working class”.

La ville apparaît évolutive et sa plasticité est garante de la possibilité d’un droit à la ville, invitant à s’interroger sur les « réalités pratico-sensibles qui permettraient de le réaliser dans l’espace, avec une base morphologique et matérielle adéquate » (Lefebvre 1968 : 94). Cette base concrète admet une infinité de configurations possibles, dans la mesure où c’est en concevant eux-mêmes les formes pratico-sensibles de leur quotidien que les habitants-usagers s’émancipent. Dans l’absolu, le droit à la ville pourrait tout à fait s’étendre à toute société marquée par l’urbanité, quels que soient le lieu et les configurations socio-spatiales. Pour Lefebvre comme pour Harvey, les plus grandes menaces qui pèsent sur l’existence d’une vie urbaine sont la marchandisation et l’industrialisation du monde. « Le monde de la marchandise a sa logique immanente, celle de l’argent et de la valeur d’échange généralisée sans limites. Une telle forme, celle de l’échange et de l’équivalence, n’a qu’indifférence vis-à-vis de la forme urbaine » (Lefebvre 1968 : 79). Faisant le constat que « la valeur d’échange, la généralisation de la marchandise par l’industrialisation tendent à détruire, en se la subordonnant, la ville et la réalité urbaine », Lefebvre (1968 : 4) indique que celles-ci deviennent aujourd’hui « les refuges de la valeur d’usage, germes d’une virtuelle prédominance et d’une revalorisation de l’usage ».

The city appears to be evolving and its plasticity ensures the possibility of a right to the city, calling for consideration of the “practical-sensitive realities that would allow for it to be materialized in space, with an adequate morphological and material basis” (Lefebvre 1968: 94). This concrete base allows for an infinity of possible configurations, insofar as inhabitant-users become emancipated by designing the practical-sensible forms of their everyday lives themselves. In absolute terms, the right to the city could perfectly extend to any society marked by urbanity, irrespective of place and socio-spatial configurations. Both Lefebvre and Harvey maintain that the greatest threats weighing on the existence of urban life are the commodification and industrialization of the world. “The world of commodity has its own immanent logic, that of money and unlimited generalized exchange value. Such a form, that of exchange and equivalence, is totally indifferent to the urban form” (Lefebvre 1968: 79). Observing that “exchange value and the generalization of commodity, through industrialization, tend to destroy the city and urban reality by subordinating them”, Lefebvre (1968: 4) points out that these are currently becoming “the havens of use value, seeds of a virtual predominance and of a revalorization of use”.

Un des objectifs des luttes urbaines doit être d’acquérir et de garantir le droit de créer et de façonner la ville. « Le droit à la ville ne se réduit donc pas à un droit d’accès individuel aux ressources incarnées par la ville : c’est un droit à nous changer nous-mêmes en changeant la ville de façon à la rendre plus conforme à notre désir le plus cher. C’est en outre un droit collectif plus qu’individuel puisque, pour changer la ville, il faut nécessairement exercer un pouvoir collectif sur les processus d’urbanisation » (Harvey 2011 : 8). La lecture du Droit à la ville nous amène in fine à cibler plus particulièrement quatre dimensions de la vie sociale nécessaires pour alimenter ces luttes et porter l’émancipation : l’habiter« impliquant participation à la vie sociale » (Semmoud 2013), la rencontre (la socialisation de Lefebvre, c'est-à-dire le faire-société ensemble), l’œuvre comme finalité de participation et de réalisation à la vie publique, et enfin l'appropriationqui exprime la possibilité donnée à tous de participer à cette vie publique, indépendamment de la propriété et des pouvoirs associés.

One of the objectives of urban struggles must be to acquire and ensure the right to create and shape the city. “The right to the city therefore does not amount to a right of individual access to the resources embodied by the city: it is a right to change ourselves by changing the city so as to make it better match our deepest desire. Additionally, it is more of a collective right than an individual one since, to change the city, collective power must necessarily be exerted on urbanization processes” (Harvey 2011: 8). Reading Le Droit à la ville ultimately leads us to target more specifically four dimensions of social life necessary to fuel these struggles and support emancipation: inhabitation involving participation in social life” (Semmoud 2013), encounter (Lefebvre’s socialization, in other words the fact of living together in society), work as the end-goal of participation in and actualization of public life, and finally appropriation which expresses the possibility given to all to participate in this public life, independently of property and associated powers.

 

 

Pourquoi le droit à la ville a-t-il « ignoré » les campagnes ?

Why has the right to the city “ignored” the countryside?

 

 

Bien que Lefebvre ait cherché à départir son analyse des catégories spatiales matérielles pour la relier à des vécus et des construits sociaux, sa réflexion reste mobilisée à propos d’environnements spécifiquement urbains. Pourtant la praxis associée au droit à la ville peut très bien s’exprimer dans les espaces que nous continuons à appeler ruraux, d’autant qu’ils sont à leur tour gagnés par l’urbanité. Barraclough (2013 : 2) considère ainsi que « […] the right to the city might be created anywhere and everywhere, including the places we imagine to be “rural” ». Alors même que, sur le principe, la notion de droit à la ville a des prétentions universalistes, la construction des catégories « ville » et « urbanité » s’est effectuée à partir d’un retour historique aux attributs urbains et par opposition aux campagnes. Le rural est par conséquent exclu du droit à la ville pour des raisons étroitement liées à l’opposition ville-campagne. Ainsi le rural « traditionnel », contrairement à la ville ancienne, semblait à Lefebvre[2] incompatible avec la possibilité d’une émancipation dans la mesure où les sociétés paysannes étaient placées sous le joug du contrôle social par interconnaissance, repliées sur elles-mêmes, clientélistes et conservatrices. Ces campagnes sont aussi marquées par un espace-temps agraire, cyclique, juxtaposant des particularités locales propres (Lefebvre 1970). L’hypothèse majeure développée dans La révolution urbaine (1970) porte cependant sur la disparition de ce rural « traditionnel » face à l’expansion de l’urbain à toutes les échelles, et à sa généralisation au Nord comme au Sud. Loin d’être regrettée par Lefebvre, cette disparition ouvre la perspective d’un changement social qui pourrait étendre le droit à la ville à tous les espaces de la planète : « Que le tissu urbain enserre la campagne et ce qui survit de vie paysanne, peu importe, pourvu que « l’urbain », lieu de rencontre, priorité de la valeur d’usage, inscription dans l’espace d’un temps promu au rang de bien suprême parmi les biens, trouve sa base morphologique, sa réalisation pratico-sensible » (Lefebvre, 1970 : 108).

Although Lefebvre sought to free his analyses of material spatial categories to link it to lived experiences and social constructs, his reflection still revolves around specifically urban environments. Yet the praxis associated with the right to the city can very well be expressed in spaces which we continue to call rural, especially as they are in turn overtaken by urbanity. Barraclough (2013: 2) thus considers that “[…] the right to the city might be created anywhere and everywhere, including the places we imagine to be ‘rural’”. Whilst in principle, the notion of right to the city has universalist aspirations, the categories “city” and “urbanity” were built through a historical retrospective on urban attributes and in opposition to the countryside. Rural space is consequently excluded from the right to the city for reasons closely linked to the city-countryside opposition. Thus Lefebvre[2] saw the “traditional” rural, unlike the ancient city, as incompatible with the possibility of emancipation, insofar as peasant societies were under the yoke of social control through acquaintanceship, closed in on themselves, clientelist and conservative. Such countryside was also marked by an agrarian, cyclical space-time, juxtaposing specific local particularities (Lefebvre 1970). Yet the major hypothesis developed in La revolution urbaine (1970) concerns the disappearance of this “traditional” rural, with the expansion of the urban on all scales, and its generalization in the North as well as the South. Far from regretting it, Lefebvre argued that this disappearance opened the prospect of social change that could extend the right to the city to all spaces worldwide: “Whether the urban fabric closes in on the countryside and what survives of peasant life is irrelevant, so long as ‘the urban’, the place of encounter, the prioritization of use value, embedded in the space of a time promoted to the rank of supreme good among all goods, finds its morphological base, its practical-sensitive materialization” (Lefebvre 1970: 108).

Lefebvre reste cependant pessimiste sur les possibilités de changement dans les campagnes, notamment parce qu’il constate fort justement que le rural est déjà touché par la modernisation, qui ne semble pas offrir plus d’opportunités car elle fait du rural un espace pourvoyeur de ressources pour les classes dominantes : ressources de production agricole avec la disparition des sociétés paysannes sous les coups de la modernisation de l’agriculture, mais aussi ressources de consommation pour les loisirs urbains et l’installation des périurbains (Harvey 2011: 41). L’arrivée de nouvelles populations liée à l’urbanisation des campagnes n’est pas pour lui le signe d’une possibilité de revendication du droit à la vie urbaine, face à cette intégration des campagnes au processus de globalisation (Lefebvre 1968 : 107). Les stratégies résidentielles des périurbains ou des néoruraux sont interprétées comme des processus contre-productifs qui ne font que reproduire des rapports de domination via la diffusion du capitalisme. Certes, elles témoignent en partie d’un rejet des formes pratico-sensibles de la ville capitaliste et de ses nuisances, mais elles sont aussi le signe, pour Lefebvre, d’un abandon par ces populations de la contestation en faveur de la transformation de l’environnement urbain[3].

Lefebvre however remained pessimistic as to the possibilities of change in the countryside, particularly since he rightly noted that rural space was already affected by modernization, which did not seem to offer more opportunities as it turned that space into one purveying resources for the dominant classes: farm production resources with the disappearance of peasant societies under the impact of agricultural modernization, as well as consumption resources for urban leisure and the establishment of suburbs (Harvey 2011: 41). Lefebvre did not perceive the arrival of new populations linked with the urbanization of the countryside as sign of the possibility to claim the right to urban life, given this integration of the countryside into the globalization process (Lefebvre 1968: 107). He saw the residential strategies of suburbanites or neo-rurals as counterproductive processes that merely reproduce relations of domination, through the spread of capitalism. Although they did partially attest to a rejection of the practical-sensitive forms of the capitalist city and its nuisances, Lefebvre considered that they also signalled these populations giving up on protest and embracing the transformation of the urban environment[3].

Le changement, encore balbutiant lorsqu’il écrit le Droit à la ville, véhiculé par le renouveau social associé aux pratiques de loisirs et à la rurbanisation, ne fait qu’introduire une autre forme de domination, de la ville sur les campagnes, qui dénature les espaces ruraux parce qu’apportant la marchandisation de l’espace et des relations sociales. Les pratiques urbaines en campagne n’apporteraient donc pas cette urbanité évoquée par Lefebvre. Sur un plan politique, les nouveaux usages dans les espaces ruraux sont associés aux classes dominantes, qui se situent pour Lefebvre du côté des oppresseurs. Sur un plan social et économique, la longue période d’exode qui a touché la plus grande partie de ces espaces suggère qu’ils n’abritent plus ni bourgeoisie industrielle ni monde ouvrier. Lefebvre ne les considère donc pas comme un terrain de luttes entre prolétaires-ouvriers et classes dominantes.

The change – still in its infancy as he wrote Le Droit à la ville – conveyed by the social renewal associated with leisure and re-urbanization practices, only introduced another form of domination, by the city on the countryside. This completely altered rural spaces by bringing in the commodification of space and of social relations. Urban practices in the countryside would thus not accommodate this urbanity discussed by Lefebvre. On a political level, he associated new customs in rural spaces with the dominant classes, which he situated alongside the oppressors. On a social and economic level, the long period of exodus which hit most of these spaces suggested that they no longer harboured the industrial bourgeoisie nor the working class world. Lefebvre therefore did not consider them as a site of struggle between proletarian-workers and the dominant classes.

 

 

2. Le « développement local », arène de l’émancipation dans les espaces ruraux

2. “Local development”, the arena of emancipation in rural spaces

 

 

Les campagnes françaises ont largement évolué depuis 1970 et ne correspondent plus à l’image qu’en avait Lefebvre. L’érosion de l’emploi agricole s’est poursuivie au profit des secteurs secondaire et surtout tertiaire (Mischi 2013). Précarité de l’emploi et chômage y sont désormais aussi présents qu’en ville, sinon plus. Déstructurées par la disparition du paysannat, les communautés rurales se sont recomposées avec l’accueil de nouveaux habitants en partie issus des classes moyennes et populaires (Gilbert 2010). Leur mode de vie est tantôt marqué par les mobilités quotidiennes et non maîtrisées, tantôt par leur pendant précaire, la captivité (IGAS 2009 ; Rougé 2007 ; Gambino 2010), de sorte qu’ils intègrent la catégorie des dominés. Par ailleurs, les attentes liées aux aménités, à l’environnement et aux usages diversifiés du rural n’opposent pas de façon antagonique des populations urbaines à des communautés rurales via des processus de domination, mais relèvent de changements de valeurs et d’usages profonds, socialement et spatialement diffus (Mormont 2009). En s’extrayant des relations sociales traditionnelles et du contrôle qu’elles supposaient sur les individus, en intégrant aussi plus frontalement la dynamique du capitalisme, les espaces ruraux de la seconde moitié du 20ème siècle s’éloignent de la vision que s’en faisait Lefebvre. Les changements profonds dans leurs structures sociales, dans leurs usages et dans leur économie, avec la redéfinition des relations de pouvoir que cela suppose, autorisent à y transposer les réflexions forgées dans Le droit à la ville.

The French countryside has evolved considerably since 1970, and no longer matches the image Lefebvre had of it. The erosion of farm employment has continued, to the benefit of the manufacturing and especially the service sectors (Mischi 2013). Precarious employment and unemployment are now as present as in the cities, if not more so. Rural communities, destructured by the disappearance of smallholder farming, have rebuilt themselves by welcoming new inhabitants, partly from the middle and working classes (Gilbert 2010). Their lifestyle is characterized by daily commutes and longer trips for some of them, and by their precarious counterpart, captivity, for others (IGAS 2009; Rougé 2007; Gambino 2010), such that they fall into the category of the dominated. Moreover, the expectations surrounding the amenities, the environment and the diversified uses of rural space do not antagonistically oppose urban populations and rural communities through processes of domination, but are informed by profound, socially and spatially diffuse changes in values and customs (Mormont 2009). By ridding themselves of traditional social relations and the control these implied on individuals, and also by integrating the dynamics of capitalism more directly, the rural spaces of the second half of the 20th century moved away from the vision Lefebvre had of them. The profound changes in their social structures, their customs and their economy, with the redefinition of power relations this implies, allow for the ideas formulated in Le Droit à la Ville to be transposed to these rural areas.

Ces processus de recomposition sociale et fonctionnelle du rural ont parfois fait émerger des mouvements d’émancipation portant la revendication par les habitants d’un droit à choisir leurs modes de vie et leurs activités en les extrayant des mécanismes de domination (institutionnelle, économique ou sociale) dans lesquels ils sont encastrés. Ces mouvements peuvent être réunis sous le terme générique de « développement local », un terme se rapportant ici à leur portée politique revendicative, leur fonctionnement par projet citoyen et leur construction ascendante[4]. On peut en effet considérer que les premières démarches de développement local émergeant dans la France de la fin des années 1960 ont exprimé la même volonté d’émancipation que les luttes sociales qui ont nourri la théorisation du droit à la ville. Loin de se cantonner aux espaces ruraux français, des démarches similaires apparaissent dans d’autres campagnes occidentales en difficulté marquées par des trajectoires analogues, par exemple au Québec (Joyal 2012) ou dans les pays anglo-saxons (Mc Carthy 2006, Hess 2009) autour du « community-based economic development ». Des expériences identiques ont essaimé à travers l’Europe (Alpes italiennes, Tyrol, Pyrénées catalanes…) en réponse à des situations de marginalisation, les initiatives pionnières étant peu à peu relayées par des politiques territoriales.

These processes of rural social and functional re-composition have sometimes led to the emergence of emancipatory movements conveying inhabitants’ claim to the right to choose their lifestyles and activities by extracting themselves from the mechanisms of (institutional, economic or social) domination in which they are embedded. These movements can be grouped under the generic term “local development”, a term which here refers to their political protest dimension, their functioning through citizen projects and their bottom-up construction (community-based development project)[4]. In this way, the first “local development” initiatives that emerged in France in the late 1960s can be considered to have expressed the same desire for emancipation as the social struggles that informed the theorization of the right to the city. Far from being confined to French rural spaces, similar approaches appeared in other Western countries, in struggling countryside areas marked by the same kind of journeys, for example in Quebec (Joyal 2012) or in English-speaking countries (Mc Carthy 2006, Hess 2009) with “community-based economic development”. Identical experiments have spread throughout Europe (Italian Alps, Tyrol, Catalan Pyrenees, etc.) in response to situations of marginalization, with the pioneer initiatives gradually being relayed by regional policies.

Les ressorts du développement local, que Jollivet (1985) qualifiait de mouvement social pour souligner l’ampleur des transformations induites dans les campagnes, résident alors dans la volonté de réagir à la dévitalisation des territoires ruraux écartés des schémas de l’économie des Trente Glorieuses et de la « modernisation rurale »[5]. L’exode des populations, notamment des jeunes, le retrait du tissu industriel dans les bourgs ruraux ou encore la précarisation croissante des individus les plus fragiles, affectent à des degrés divers les campagnes à l’écart de ce modèle. La crise du modèle de développement fordiste vient ensuite, dans les années 1970 et 1980, renforcer une conception de l'espace rural contraire à celle mise en avant par le "libéral-productivisme" (Mathieu 1990). L’initiative du Mené, en Bretagne, qui dès 1965 se constitue en « pays » (Gontcharoff 2009) et inaugure en France le mouvement, affiche une première revendication : celle de continuer d’exister en tant que territoire vécu, et ainsi ne pas se voir anéanti par des processus de domination qui le dévitalisent progressivement (exode, fermetures et délocalisations, enclavement). Les projets de développement local forment ainsi autant d’arènes, entendues comme des lieux « de confrontations concrètes d’acteurs sociaux en interaction autour d’enjeux communs », au sein desquelles les acteurs confrontent leurs positions et renégocient les rapports de pouvoir (Olivier de Sardan 1995 : 179). Ils sont par conséquent des processus émancipatoires qui s’adjoignent, parfois, une revendication à l’autonomie. Trois caractéristiques de l’esprit général du développement local expriment autant de facettes de l’aspiration à l’émancipation des populations.

The drivers of “local development”, which Jollivet (1985) qualified as a social movement to highlight the extent of the transformations induced in the countryside, thus lie in the desire to react to the devitalization of rural territories excluded from the economic momentum of the post-war years and from “rural modernization”[5]. The population exodus, particularly of the youth, the withdrawal of the industrial fabric from rural towns and the growing precariousness of the most fragile individuals impacted on the countryside areas sidelined from this model to various degrees. Subsequently, in the 1970s and 1980s the crisis of the Fordist model of development reinforced an understanding of rural space that conflicted with that of “liberal productivism” (Mathieu 1990). The initiative of the Mené in Brittany, which formed a “country” in 1965 (Gontcharoff 2009) and inaugurated the movement in France, primarily claimed the right to continue to exist as a lived territory, and thus not to be exterminated by domination processes gradually devitalizing it (exodus, closures and relocations, isolation). From this perspective, “local development” projects thus provide arenas, in the sense of sites “of real confrontation between social actors interacting around common stakes”, within which the actors confront their positions and renegotiate power relations (Olivier de Sardan 1995: 179). They therefore constitute emancipating processes, coupled with a claim to autonomy. Three characteristics of the general spirit of “local development” reflect all these facets of the populations’ aspiration to emancipation.

 

 

Le développement local comme prise de responsabilité face aux enjeux locaux

“Local development” as taking charge of local issues

 

 

Comme démarche d’action collective et endogène, le développement local affiche une double posture, à la fois réactive (résistance – le refus de la relégation) et proactive (création – la construction du projet de territoire), tournée vers la production de stratégies d’adaptation aux changements. L’appel à une large mobilisation sociale, populaire (Houée 1996), et à la construction d’une capacité d’initiative collective et ascendante (Gontcharoff 2009), s’appuie directement sur les registres de « l’habiter » et de « la rencontre » constitutifs du droit à la ville. L’ambition de créer une transversalité entre corps de métiers et catégories d’habitants, et l’objectif de structurer dans la durée une forme de coordination locale, vont dans le même sens. En découle la volonté du collectif d’être force de proposition, porteur d’innovation, tout en défendant le patrimoine et le capital social, économique, culturel mais aussi naturel du territoire qu’il incarne : ainsi s’opère la « réappropriation » des lieux et des leviers d’action sur l’avenir. Enfin, le développement local, à la fois collectif d’action et arène de débat, donne corps à la construction de « l’œuvre » par la perspective du « projet de territoire » au cœur de sa méthode.

As a collective and endogenous initiative, the “local development” approach is both reactive (resistance – refusing relegation) and proactive (creation – building the project of the territory), geared towards the production of strategies of adaptation to change. The call for wide-ranging social and popular mobilization (Houée 1996) and building a collective and bottom-up capacity for initiative (Gontcharoff 2009) directly draws on the discourses of “inhabiting” and “encounter” underpinning the right to the city. The ambition to intersect occupations and categories of inhabitants, and the objective of structuring a long-term form of local coordination, both point in the same direction. From them stem the desire for the collective to drive initiative and innovation, whilst defending the heritage and not only the social, economic and cultural but also the natural capital of the territory that it embodies. The “re-appropriation” of places and of levers of action on the future ensues. Finally, “local development”, both as an action collective and an arena for debate, gives shape to the construction of “the work” through the prospect of the “territorial project” central to its method.

Dans cet esprit, le principe originel était de laisser cours à la construction collective locale, à la libre expression et à une prise de décision concertée. Les projets dépassent l’enjeu strictement économique puisque les priorités, dans les objectifs comme dans les actions, sont négociées en fonction des aspirations des acteurs locaux. La dimension idéelle (symbolique, culturelle, voire politique) est également présente dans des projets de développement qui revêtent souvent une portée identitaire et culturelle, associant différentes façons d’être et de vivre, différentes dimensions qui sont partie intégrante de la vie quotidienne. Si elle s’appuie pour partie sur des ressources d’autochtonie (Retière 2003), la revendication d’un droit au développement, et dans son sillage celle de concevoir de nouveaux modèles élaborés à l’échelle locale et privilégiant la participation citoyenne comme le fonctionnement par projet, a par ailleurs été étroitement associée au renouvellement des populations rurales. Cette dynamique a notamment pu bénéficier de la venue de populations dont beaucoup prétendaient se mettre en marge de la société pour construire des alternatives concrètes, définies  de façon autonome et originale. A la suite des travaux de Hervieu-Léger et Hervieu (1979) sur les néoruraux, des auteurs ont montré que dans les secteurs ayant accueilli des contingents importants de ces installations protestataires (comme l’Ardèche, les Cévennes, les Baronnies et le Diois dans les Préalpes ou encore les Corbières dans l’Aude et le Couserans en Ariège), ces nouvelles populations ont pris le relais des sociétés paysannes et aidé les populations autochtones à se mobiliser. Le cas échéant, elles ont même agi comme des pièces maîtresses de la déstabilisation des structures traditionnelles du pouvoir rural patriarcal et du système notabiliaire. De même, elles ont été en première ligne dans l’élaboration de projets de développement, participant directement à leur négociation avec les échelons administratifs supérieurs et contribuant à la visibilité des espaces ruraux et des attentes de leurs habitants (Cognard 2011).

In this spirit, the original principle was to give free reign to local collective construction, free expression and concerted decision making. The projects exceed a strictly economic goal since priorities, both in the objectives and the actions, are negotiated according to the aspirations of local actors. The ideal (symbolic, cultural or political) dimension is also present in development projects often concerned with identity and culture, associating different ways of being and living, different dimensions that form an inherent part of everyday life. While it partially draws on autochthonous resources (Retière 2003), the claim to a right to development, and in turn to conceive of new models developed on a local scale through projects underpinned by civic participation, has also been closely associated with the renewal of rural populations. This dynamic has benefitted in particular from the arrival of populations which to a large extent claim to marginalize themselves from society in order to build concrete alternatives, defined in an autonomous and original way. Following the work of Hervieu-Léger and Hervieu (1979) on neo-rurals, some authors have shown that in the areas that have welcomed significant contingents of these protester settlements (like Ardèche, the Cévennes, the Baronnies and the Diois in the Pre-Alps or the Corbières in the Aude and the Couserans in Ariège), these new populations have been relays for peasant societies and have helped the autochthonous populations to mobilize. In these cases, they have even served as cornerstones to destabilize the traditional structures of rural patriarchal power and social hierarchy. Likewise, they have been at the forefront of the elaboration of development projects, directly taking part in negotiations with high-ranking administrative officials and contributing to the visibility of rural spaces and of their inhabitants’ expectations (Cognard 2011).

Le développement local comme mouvement social s’appuie ainsi pour partie (mais pas uniquement) sur des forces contestataires qui contribuent à alimenter et renouveler ses capacités. Plus généralement, les nouveaux arrivants ont non seulement pu contribuer « à une réarticulation progressive des rapports entre pouvoir local et pouvoir central » (Jollivet 1985 : 13), mais aussi à une redistribution des pouvoirs à l’échelle locale, dont la nature change. Ces luttes de pouvoir sont pour Jollivet la marque de « l’entrée des nouveaux habitants dans la société locale » et celle de leur engagement. Elles ont conduit à forger de nouvelles arènes politiques grâce à l’explicitation, à la mise en scène et à la négociation du projet local, auparavant fréquemment implicite et encastré dans des relations clientélistes.

“Local development” as a social movement thus partly relies on forces of protest that contribute to fuelling and renewing its capacities. More generally, newcomers have contributed not only “to gradually rearticulating the relations between local and central power” (Jollivet 1985: 13) but also to redistributing power at local level, the nature of which is changing. For Jollivet, these power struggles signal “the new inhabitants’ entry into the local society” and their involvement. They have led to the creation of new political arenas by making explicit, enacting and negotiating the local project, previously implicit and embedded in clientelist relations. Responsibility and involvement in different local arenas thus offer an opportunity to create or reinforce inhabitants’ capacities to act on the construction of their everyday spaces.

 

 

Le développement local comme libération face aux rapports de domination

“Local development” as liberation from relations of domination

 

 

On retrouve par ailleurs à travers les démarches de développement local rural l’expression de luttes contre la reproduction des rapports de domination dont le déploiement en milieu urbain avait constitué un des marqueurs de la revendication du « droit à la ville ». Ces luttes s’attaquent tour à tour aux rapports de classe, à la mainmise des impératifs capitalistes sur les affectations fonctionnelles des campagnes et sur les modèles productifs ruraux. Les revendications et les réactions face aux conséquences de la modernisation rurale ont ainsi rapidement donné lieu à de nombreux travaux parmi lesquels ceux de Eizner et Hervieu (1979) sur le monde ouvrier des industries rurales. Plus récemment, Mischi (2013) témoigne du renouvellement des leviers de la lutte de classes, à partir de ses travaux sur l’échelle locale comme arène de l’engagement politique des ouvriers ruraux face aux « effets démobilisateurs de leur domination culturelle et économique par le patronat ».

Rural “local development” initiatives moreover reflect struggles against the reproduction of relations of domination, which in urban settings had constituted one of the markers of the claim to the “right to the city”. These struggles target class relations, capitalist imperatives’ stranglehold on countryside areas’ functional purposes and on rural productive models. The claims made and the reactions to the consequences of rural modernization rapidly became the focus of many studies, including that by Eizner and Hervieu (1979) on the working class world of the rural industries. More recently, Mischi (2013) attested to the revival of the levers of class struggle, based on his work on the local scale as an arena of rural working class political engagement faced with the “demobilizing effects of their cultural and economic domination by employers”.

Comme l’a récemment rappelé Roullaud (2013), c’est par ailleurs à travers les luttes paysannes et les revendications syndicales que se sont exprimées les démarches de revendication les plus emblématiques, en s’appuyant parfois sur les registres de mobilisation « classiques » comme la grève au sein des milieux ouvriers agricoles (Décosse 2013). Bien connue est celle de la mobilisation du plateau du Larzac avec la lutte contre le projet d’extension du camp militaire et les actions directes d’occupation des terres (Roullaud 2013), qui trouvent aujourd’hui un écho particulier dans l’action des ZADistes opposés au projet de construction d’un aéroport international en périphérie nantaise (cf. article de Pailloux dans ce numéro). La contestation se dirige aussi plus directement contre certains projets d’infrastructures-corridors (ligne TGV au Pays basque, grands tunnels ferroviaires de montagne), rejetant une appropriation exogène de l’espace au bénéfice de projets considérés comme vecteurs de nuisances majeures pour les territoires traversés mais peu desservis (Genovese 2012). Enfin, s’intéressant à l’ensemble des luttes qui témoignent des mouvements sociaux contemporains, Ripoll (2005) rappelle que, loin d’avoir faibli depuis le milieu du 20ème siècle, « les luttes des paysans [le mouvement Via Campesina entre autres] sont […] un pilier de la lutte contre la mondialisation capitaliste ou ‘néolibérale’ ». Soulignons également les formes de la lutte, dont Woods (2011) souligne qu’elles ont puisé des modalités d’expression et une radicalité auprès des mouvements urbains, conduisant à une opposition beaucoup plus nette qu’auparavant entre parties prenantes. Gagnant en visibilité, elles sont aussi plus durement réprimées, alors qu’elles avaient pu bénéficier jusque dans les années 1990 d’une certaine tolérance des pouvoirs publics. Le renouvellement des formes de la lutte est ainsi allé de pair avec une émancipation des organisations traditionnellement représentatives des intérêts corporatistes dans les espaces ruraux. Ces changements s’accompagnent souvent d’une montée en radicalité des mouvements protestataires et de positions anticapitalistes fortes.

As Roullaud recently pointed out (2013), it is also through peasant struggles and trade union demands that the most emblematic initiatives have been expressed, sometimes articulating “classical” mobilization such as strikes in agricultural working class environments (Décosse 2013). Mobilization on the Larzac plateau, with the struggle against the military base extension project and direct land occupation (Roulaud 2013), currently echoed in the ZADists’ action against the construction of an international airport near Nantes, is well known (see Pailloux’s article in this issue). There are also protests more directly targeting certain corridor infrastructures (TGV train line in the Basque Country, large mountain rail tunnels). They reject an exogenous appropriation of space for projects considered as vectors of major nuisance in the territories that are crossed through but derive few benefits from the infrastructure (Genovese 2012). Finally, looking at all the struggles attesting to contemporary social movements, Ripoll highlights that after waning in the mid-20th century, “peasant struggles [including the Via Campesina movement] are […] a pillar of the struggle against capitalist or ‘neoliberal’ globalization”. Note also that the forms of struggle, as Woods (2011) has stressed, draw on the modalities of expression and radicalism of urban movements, leading to a much clearer opposition between stakeholders than previously. As they gain visibility, they are also being more forcefully repressed, whereas until the 1990s they enjoyed a certain degree of tolerance by the public authorities. The renewal of the forms of struggle has thus gone hand in hand with an emancipation of the organizations traditionally representing corporatist interests in rural areas. These changes are often coupled with a rise in the radicalness of the protest movements and strong anti-capitalist stances.

Nombre d’espaces ruraux deviennent également le cadre d’appropriations collectives des outils de production, certains domaines connaissant un développement important de l’entrepreneuriat collectif dans des registres d’activité touchant à l’agriculture, aux services mais aussi au secteur secondaire. Ces initiatives peuvent agir comme moteurs de la reconstitution de systèmes locaux de petite industrie rurale, à l’exemple de la filature Ardelaine en Ardèche (Barras 2006) ou d’entreprises de transformation du bois local comme sur le plateau de Millevaches ou en Ariège. Dans un autre registre, cette dynamique est aujourd’hui portée par de petites collectivités rurales qui tentent de se réapproprier leurs infrastructures d’exploitation des ressources locales afin de piloter la transition vers une meilleure autonomie énergétique (Dodigny 2012) tout en construisant des systèmes de production localisés (Tritz 2012). Ces luttes, qui traduisent d’autres formes d’action collective, se positionnent au-delà des seules revendications de type Nimby et des problématiques de conflits d’usages (Woods 2003). Elles tiennent un rôle de catalyseur et se mêlent aussi à des tentatives de réorganisation des circuits économiques. La définition des termes du conflit et de son cadre, la légitimation des postures, agissent comme des processus qui redéfinissent les positions, les valeurs et les identités. Ces processus transforment ainsi société et territoire, autour de revendications et d’expressions sur les espaces, leurs usages et, in fine, sur les positions relatives des différents acteurs. Les conflits sont transformateurs, transitent entre plusieurs échelles d’action et de revendication et, finalement, peuvent reconfigurer le local tout autant qu’ils font du local un espace de transformation sociale (Mormont 2006).

Many rural areas are also becoming loci of collective appropriation of production tools, with some domains witnessing a significant rise in collective entrepreneurship in areas of activity related not only to farming and services but also to the manufacturing sector. These initiatives can serve as drivers in the reconstruction of local systems of small rural industry, as in the case of spinning in Archèche (Barras 2006) and of local wood processing businesses on the Millevaches plateau and in Ariège. This dynamics is currently also supported by small rural collectives seeking to re-appropriate their local resource exploitation infrastructure with a view to steering the transition towards greater energy autonomy (Dodigny 2012) while building localized production systems (Tritz 2012). These struggles, which are reflected in other forms of collective action, go way beyond Nimby-type claims and issues of conflicts of use (Woods 2003). They are catalysts and are intertwined with attempts to reorganize economic networks. The definition of the terms of the conflict and of its framework and the legitimization of positions act as processes which redefine positions, values and identities. These processes thus transform society and territory, around claims to and expressions on spaces, their uses and, ultimately, the different actors’ relative positions. Conflicts have a transformative power, they transit between several scales of action and claims and, ultimately, they can reconfigure the local as much as they make the local a space of social transformation (Mormont 2006).

 

 

Le développement local comme processus d’autonomisation

“Local development” as an empowerment process

 

 

Un autre levier de mobilisation du développement local concerne la « galaxie » des initiatives d’autonomisation des systèmes productifs et d’émancipation par les modes de vie alternatifs. Elles sont d’ailleurs souvent étroitement liées aux luttes d’opposition, à l’exemple de la stratégie collective autour des groupements fonciers agricoles puis des sociétés civiles des « Terres du Larzac ». Cette dernière initiative souligne la volonté locale de gestion et de développement endogène en permettant de réunir l’ensemble des moyens de production (dont ceux rétrocédés par l’Etat en 1981) en vue d’assurer l’installation de nouveaux exploitants et d’éviter la concentration des exploitations. Cette démarche, qui repose sur l’esprit des financements solidaires, garantit depuis plus de trente ans la poursuite d’un projet de territoire fondé sur la diversification des activités et la solidarité locale (Terral 2011).

Another lever of mobilization of “local development” relating to citizens’ appropriation of space concerns the “galaxy” of initiatives of empowerment of productive and emancipating systems through alternative lifestyles. These are often closely linked to struggles of opposition, as in the case of the collective strategy surrounding the farmland and then civil society groupings of the “Terres du Larzac”. This initiative highlights the local desire for endogenous management and development by gathering all the means of production (including those handed over by the State in 1981) with a view to establishing new farmers and avoiding farm concentration. For over thirty years this approach, underpinned by the spirit of solidarity funding, has ensured the pursuit of a regional project based on the diversification of activities and local solidarity (Terral 2011).

Parallèle aux initiatives de réappropriation et revitalisation des systèmes productifs locaux, l’implication des individus dans la production de leur espace du quotidien est soulignée par les travaux portant sur les modes de vie, l’habitat alternatif et ce que Halfacree (2007) qualifie de radical rural. A l’échelle des ménages, les recherches de Pruvost (2013) sur l’alternative écologique nous éclairent notamment sur les liens entre localisation résidentielle en milieu rural et élaboration individuelle et collective de stratégies d’autonomisation par le surinvestissement dans les activités d’autoproduction domestique : production d’aliments pour la consommation quotidienne du foyer, construction/amélioration de son logement, production énergétique. Les travaux de Mésini (2004, 2011) sur l’habitat mobile et éphémère trouvent à ce titre un écho particulier dans ce numéro spécial « Droit au village » puisqu’ils posent explicitement la question du droit à ces catégories de logement.

In parallel with initiatives to re-appropriate and revitalize local production systems, individuals’ involvement in the production of their everyday space is highlighted by work on lifestyles, alternative habitat and what Halfacree (2007) calls the radical rural. On the scale of households, Pruvost’s research (2013) on the environmental alternative particularly sheds light on the links between residential localization in rural areas and the individual and collective elaboration of empowerment strategies through over-investment in domestic self-production activities (food production for the home’s everyday consumption, home construction/improvement, energy production). In this respect, the work of Mésini (2004, 2011) on mobile and temporary dwellings is particularly echoed in this special issue “Right to the Village”, since it explicitly raises the question of the right to these types of housing.

La prégnance de ces mouvements et des arènes qu’ils ont contribué à mettre en place mène à penser que Lefebvre pouvait avoir une appréciation incomplète des transformations en cours dans les campagnes, sous-estimant peut-être l’existence de luttes contre les rapports de domination existants ou de revendications en faveur d’un quotidien meilleur, pourtant présentes de longue date (Roullaud 2013). Dans la pensée de Lefebvre comme dans celle de Harvey, les luttes pour le droit à la ville sont fondamentalement des luttes anticapitalistes. Les luttes existantes dans les espaces ruraux s’apparentant à une forme d’émancipation et de prise de parole des citoyens traduisent-elles le même sentiment ? Si leur dimension anticapitaliste est plus ou moins affirmée selon les contextes, on peut remarquer en tout cas que la plupart de ces luttes et revendications entrent en tension avec les principes d’organisation du capitalisme néolibéral, que ce soit sur les plans économique, politique ou social. C’est par exemple le cas des revendications concernant le maintien des services dans l’espace rural, qui réfutent les logiques de marché et d’économies d’échelle adoptées par de nombreux services publics, au nom des inégalités territoriales qu’elles produisent. Des formes de centralité de la contestation altermondialiste voire anticapitaliste ont ainsi émergé (festivals, rassemblements sauvages, contre-sommets). Les cas du Larzac ou de Notre-Dame des Landes incarnent cette trajectoire.

The resonance of these movements and of the arenas they have contributed to developing suggests that Lefebvre may have had an incomplete understanding of the transformations underway in the countryside. He perhaps under-estimated the existence of struggles against relations of domination, and claims to a better everyday life, which have actually been present for a long time (Roullaud 2013). Both Lefebvre and Harvey saw struggles for the right to the city as fundamentally anti-capitalist struggles. Do existing struggles in rural areas resembling a form of citizen emancipation and vocalization reflect the same sentiment? While their anti-capitalist dimension is asserted to a greater or lesser degree, depending on the context, most of these struggles and claims conflict with the organizing principles of neoliberal capitalism, be it on an economic, political or social level. This is for example the case of claims concerning the maintenance of services in rural areas, which refute the market and economies of scale imperatives adopted by many public services, denouncing the territorial inequalities they produce. High places of counter-globalization or even anti-capitalist protest have thus emerged (festivals, unofficial gatherings, counter-summits). The cases of the Larzac and of Notre-Dame des Landes exemplify this trajectory.

  

 

3. A la recherche des ressorts de l’émancipation dans les espaces ruraux

3. In search of the underpinnings of emancipation in rural areas

 

 

De la même façon que Lefebvre avait pu affirmer que la centralité urbaine agissait comme un puissant catalyseur de mobilisation, les différents éléments soulevés ci-dessus nous amènent à l’hypothèse suivante : il existe aujourd’hui des attributs spécifiques aux espaces ruraux occidentaux qui se construisent en ressources d’émancipation, permettant de décliner le droit à la ville dans une matérialité rurale. Ces ressources, au sens où l’entend Raffestin (1980), instables et évolutives, sont des enjeux économiques et politiques autour desquels s’articulent des rapports de pouvoir, en vue de leur appropriation et de la participation même à leur construction. La richesse et la position des acteurs, leur dotation en capital social (Bourdieu 1980) signent la capacité de chacun à intervenir dans la construction et la distribution de ces ressources, ainsi que dans leur mode de valorisation (Ripoll et Tissot 2010). Ces ressources de l’émancipation mettent en dialogue des attributs sociaux (populations et leurs caractéristiques) et morphologiques (paysages, peuplement) de l’espace. Leur présence n’est cependant qu’un préalable, un support au déploiement des processus d’émancipation, qui pour devenir effectifs, doivent encore être revendiqués et mis en œuvre. Nous avons essayé de les formaliser dans le tableau suivant à partir de la littérature et d’exemples rencontrés. En nous inspirant de Lefebvre, nous les avons envisagés pour chacun des usages ou des pratiques constitutifs du droit à la ville, à savoir : l’habiter, l’appropriation, l’œuvre et la rencontre (Tableau 1). Si ces ressources constituent un terreau favorable à l’émancipation, leur existence ne témoigne pourtant pas d’une émancipation généralisée des populations rurales : elles demeurent inégalement distribuées dans l’espace, de même qu’elles peuvent ne pas être mobilisées en ce sens par les acteurs locaux.

Just as Lefebvre asserted that urban centrality acted as a powerful catalyst of mobilization, the different elements raised above lead us to the following hypothesis: attributes specific to Western rural spaces exist today that are being shaped into emancipation resources, allowing for the right to the city to be adapted to a rural materiality. These resources, unstable and evolving as understood by Raffestin (1980), are economic and political stakes around which power relations are articulated, to appropriate them and participate in their very construction. The wealth and position of the actors, and their social capital (Bourdieu 1980), determine each one’s capacity to intervene in the construction and distribution of these resources, and in the way they are valued (Ripoll and Tissot 2010). These emancipation resources articulate social attributes (populations and their characteristics) and morphological attributes (landscapes, population) of the space. Their presence is however but a prerequisite, a medium for the deployment of emancipating processes which, to become effective, must still be claimed and implemented. We have attempted to formalize them in the table below, based on the literature and examples encountered. Drawing on Lefebvre’s work, we have envisaged them for each of the customs or practices that constitute the right to the city, that is: inhabiting, appropriation, the work and encounter (Table 1). While these resources provide fertile ground for emancipation, their existence does not however attest to a generalized emancipation of rural populations: they remain unevenly distributed in space, just as they cannot be mobilized to this end by local actors.

 

 

Tableau 1 - Arènes et ressources de l’émancipation dans l’espace rural

Table 1 – Emancipation arenas and resources in rural space

tableau1

L’une des caractéristiques majeures des processus d’émancipation est le fait de reconquérir le droit d’habiter un espace : il nécessite la création de droits permettant à chacun de s’exprimer et de participer aux décisions communes. Etroitement corrélé à la question de l’accès au logement et au foncier, souvent convoqué par des groupes sociaux marginalisés, cet aspect est l’un des principaux défis de l’exercice du droit à la ville dans les tissus urbains denses, dans lesquels se déploient des processus économiques et politiques d’exclusion des populations qui n’ont plus les moyens de s’y loger. Les attributs de l’espace rural, par opposition, renvoient à une plus grande proportion d’espaces ouverts, plus abordables et souvent plus accessibles, du moins en apparence (Le Caro 2002), et par une plus faible densité de population. Cela peut se traduire par des possibilités de créer et d’accéder aux ressources de l’habiter, comme en témoignent les dynamiques informelles de logement et d’usage des espaces ouverts, mais aussi par une moindre pression sur certains services lorsqu’ils sont présents (Banos et Candau 2006). Ainsi le caractère non bâti de l’espace permet l’émergence d’arrangements spatiaux inédits pour les groupes sociaux dont l’engagement alternatif sur un territoire va s’appuyer sur des structures de logement réversibles et/ou éphémères (reproduction d’habitats de peuples nomades, caravanes, auto-constructions légères, etc.), et souvent aussi sur leur mobilité. L’appropriation physique, même temporaire, des lieux par l’habitat devient alors une forme de contestation des droits d’exclusivité de la propriété privée. Par ailleurs, la proximité de ressources permettant l’autoproduction, l’autoconsommation ou la « bricole » (Weber 1989, cité par Pruvost 2013 : 40) est particulièrement recherchée par les collectifs d’alternatifs fondés sur « l’idée que la nature est une ressource à ‘travailler’ et non à dominer » (Pruvost 2013 : 40). Les pratiques de loisirs sont aussi un aspect constitutif de l’habiter favorisé par l’ouverture et la faible densité des espaces, qui se traduit souvent par la gratuité des usages et le non-contrôle des accès. Ce sont par exemple les activités sportives de plein air (marche, baignade, chasse...) ou les différentes possibilités d’utilisation de l’espace urbanisé « commun » comme les places de village, exemples de la polyvalence consentie des usages.

One of the major characteristics of emancipation processes is the fact of re-conquering the right to inhabit a space, which requires the creation of rights allowing each individual to express themselves and take part in shared decisions. This aspect, closely correlated to the question of access to housing and land, often raised by marginalized social groups, is one of the main challenges in the exercise of the right to the city in dense urban fabrics. Processes of economic and political exclusion of the populations that can no longer afford accommodation there unfold in these contexts. In contrast, the attributes of rural space are characterized by a larger proportion of open spaces, more approachable and often more accessible, at least outwardly (Le Caro 2002), and by a lower population density. This can translate into possibilities to create and access the resources of inhabitation, as attested to by informal dynamics in housing and the use of open spaces, but may also alleviate pressure on certain services, when these are present (Banos and Candau 2006). Thus, the non-built nature of the space affords the emergence of new spatial arrangements for social groups whose alternative involvement in a territory relies on reversible and/or ephemeral housing structures (reproduction of nomadic accommodation, caravans, light self-constructions, etc.), and often also on their mobility. The physical appropriation, even temporarily, of the place through inhabiting then becomes a form of protest against the rights of exclusivity of private property. Moreover, the proximity of resources for self-production, self-consumption or “DIY” (Weber 1989 cited in Pruvost 2013: 40) is keenly sought after by the alternative collectives founded on “the idea that nature is a resource to ‘work’ and not to dominate” (Pruvost 2013: 40). Leisure practices are also a constituent aspect of inhabitation fostered by the openness and low density of spaces, which often translates into free use and uncontrolled access. This is the case for instance with outdoor sporting activities (walking, swimming, hunting, etc.) or the different possibilities of use of “common” urbanized space such village squares, examples of agreed versatility of use.

Une autre modalité fondamentale de l’émancipation est l’accès de tous à la vie politique, de façon la plus directe possible (appropriation). On sait qu’un droit garantissant cette participation politique a pu se développer au sein de groupes de citoyens partageant un périmètre géographique de petite taille, donc peu peuplé, qui donnait à chaque citoyen un fort poids politique personnel (le « droit de cité » antique). Ce grand défi du fonctionnement de la cité se pose avec moins d’acuité dans l’espace rural, du fait de deux de ses attributs constitutifs : les faibles densités et la taille souvent très modeste des agglomérations. En France, la décentralisation a ainsi permis de transformer cet attribut des campagnes en ressource d’émancipation pour certains groupes sociaux, puisque le rapprochement des centres de décision de l’action publique peut effectivement se traduire par une plus grande capacité des citoyens à peser individuellement dans la vie politique : les conseils municipaux deviennent à ce titre des lieux d’observation privilégiés de la recomposition des rapports de classes dans les campagnes françaises (Gilbert 2010). Analysant la participation des ouvriers ruraux à la vie politique locale, J. Mischi (2013 : 17) souligne plus précisément que « la possibilité de mobiliser des réseaux familiaux et amicaux[6] apporte des ressources aux classes populaires, permettant de contrer les effets démobilisateurs de leur domination culturelle et économique ». L’auteur précise également que cette situation se trouve renforcée par l’éloignement des décideurs et managers des grandes firmes implantées dans les campagnes. L’interdépendance des réseaux sociaux souvent associée au faible peuplement de l’espace rural, considérée comme un frein à l’émancipation des individus au sein des sociétés paysannes « traditionnelles », devient dans les campagnes des pays industrialisés et décentralisés une ressource précieuse de mobilisation sociale.

Another fundamental modality of emancipation is access for all to political life, in the most direct way possible (appropriation). We know that a right ensuring this political participation was developed within citizen groups sharing a small and therefore sparsely populated geographical perimeter, which gave each citizen a strong personal political weight (the ancient “right of citizenship”). This major challenge to the functioning of the city is less acute in rural areas, owing to two of its constituent features: the low densities and the often very modest size of towns. In France, decentralization has thus allowed for this attribute of the countryside to be turned into an emancipation resource for certain social groups, since the greater proximity to public policy decision-making centres can effectively translate into citizens being able individually to weigh more heavily in political life. In this respect, town councils are becoming the best places to observe the re-composition of class relations in the French countryside (Gilbert 2010). Analysing rural workers’ participation in local political life, J. Mischi (2013: 17) has more specifically highlighted the fact that “the possibility to mobilize family and friend networks[6] provides resources to the working classes, allowing them to counter the demobilizing effects of their cultural and economic domination”. He also points out that this situation is reinforced by the distancing of the decision makers and managers of the large companies established in the countryside. The interdependence of social networks often associated with the low population density of rural areas, considered as a hindrance to the emancipation of individuals within “traditional” peasant societies, is becoming a valuable resource for social mobilization in the countryside of industrialized and decentralized countries.

Par ailleurs, la recherche d’un droit à la ville a permis de mettre en avant la prédominance de la valeur d’usage sur la valeur d’échange, et ainsi le droit à faire de l’espace une œuvre collective à partir des aspirations et des possibilités d’agir de ses habitants. La planification urbaine, pilotée et légitimée par l’Etat au bénéfice d’une meilleure efficacité du système urbain, est perçue comme l’un des médiums de la domination des classes dominantes. L’action de l’Etat a cependant un coût de plus en plus évalué par rapport au nombre d’habitants concernés. Pour des raisons économiques et pratiques, l’encadrement étroit des procédures de planification, ainsi que la vérification du respect des normes, sont d’abord positionnés sur les zones urbaines. Dans les espaces ruraux, l’éloignement ou l’enclavement, conjugués à une action institutionnelle souvent plus pragmatique, ont longtemps incité à un contrôle moins ferme sur ces aspects. Loin des lieux du pouvoir, le respect des règles passe plus par des interactions sociales localisées que par la mobilisation du pouvoir de coercition des représentants de l’autorité publique (Mouhanna 2011). Ces attributs deviennent des ressources dans la mesure où les habitants ont la possibilité de construire leurs projets en disposant d’une marge d’action plus grande face aux règles et aux procédures (ce qui ne signifie pas cependant qu’elles soient absentes). La question du logement et des modes de vie qui peuvent lui être associés témoignent de cet assouplissement de facto dont bénéficient les espaces ruraux. Les projets de communautés et les collectifs autodéterminés ont ainsi pu trouver dans les campagnes des conditions d’installation plus propices que dans les villes (isolement, espace, tranquillité), contribuant à créer des localités rurales « alternatives » ou « radicales » (Halfacree 2007). Pour Pruvost (2013 : 39), « le fait de disposer de la jouissance d’un lieu permettant un minimum d’activité autoproductive et de choix de matériau donne un coup d’accélérateur à ces trajectoires recherchant l’autonomie ». De même, Halfacree (2007 : 132) décrit les localités « radicales » qu’il a pu observer dans l’Angleterre rurale comme la forme concrète donnée par les membres de ces communautés aux principes de vie alternative du « low impact development (LID) ». Au niveau individuel, d’autres modalités d’appropriation de l’espace voient le jour, à l’image des pratiques d’habitat alternatif comme la construction de yourtes, de cabanes, de masets, ou celles d’habitat itinérant impliquant notamment les gens du voyage.

The search for a right to the city has moreover highlighted the predominance of use value over exchange value, and thus the right to make space a collective work informed by its inhabitants’ aspirations and possibilities of action. Urban planning, steered and legitimized by the State for a more efficient urban system, is perceived as one of the mediums of domination by the dominant classes. The cost of State action is however increasingly being assessed in relation to the number of inhabitants concerned. For economic and practical reasons, the tight regulation of planning procedures and the verification of norm compliance primarily concern urban areas. In rural areas, distance or isolation coupled with often more pragmatic institutional action, have often resulted in less firm control over these aspects. Far from the loci of power, respect for rules involves localized social interactions more than the mobilization of public authority representatives’ coercive power (Mouhanna 2011). These attributes become resources insofar as inhabitants have the possibility to build their projects with more leeway around rules and procedures (which does not however mean that they are absent). The question of housing and of the lifestyles that can be associated with it bear witness to the de facto flexibility that rural areas enjoy. Community projects and self-determined collectives have thus found more favourable settlement conditions in the countryside than in the city (isolation, space, tranquillity), and are contributing to creating “alternative” or “radical” rural localities (Halfacree 2007). Pruvost (2013: 39) has argued out that “the fact of being able to enjoy a place affording a minimum self-production activity and choice of materials provides impetus to these trajectories in search of autonomy”. Likewise, Halfacree (2007: 132) has described “radical” localities he observed in rural England as the concrete form given by the members of these communities to the alternative life principles of “low impact development (LID)”. At individual level, other forms of appropriation of space are emerging, as in the case of alternative habitat practices such as the construction of yurts, huts, mazets or moving habitats particularly involving travellers.

Enfin, la facilitation des rencontres, entre individus mais aussi entre groupes sociaux, a longtemps été au cœur de la distinction entre une urbanité synonyme de mixité et la ruralité perçue comme encore marquée par les vestiges des structures sociales d’une paysannerie disparue. Pourtant, les dynamiques de ségrégation socio-spatiale dans les espaces urbains (Brun et Rhein 1994 ; Harvey 1973), la disparition progressive des lieux de convivialité publique sous l’effet de leur privatisation ou de la densification urbaine, avec tantôt la fermeture des espaces ouverts, tantôt la normalisation de leurs usages, tendent à fortement recomposer les possibilités de rencontre dans les villes. Dans certaines campagnes en revanche, le repeuplement, les proximités organisationnelles et la persistance d’espaces publics ou ouverts aux usages hors marché, ont pu favoriser des formes de mixité sociale et les faire fonctionner au quotidien (Gilbert 2010 ; Mischi 2013). Les initiatives d’alternatives écologiques basées sur l’autoproduction s’appuient par exemple sur de petits effectifs de relations de voisinage favorisant l’interconnaissance et la sollicitation des individus dans les différents domaines de la vie locale. Ces réseaux permettent de mobiliser les compétences présentes sur place pour résoudre les différentes questions, à la fois politiques et pratiques, auxquelles les groupes se trouvent confrontés. Cette participation encourage les échanges de savoir, donne à voir les aptitudes individuelles au collectif et, parfois, encourage les apprentissages : c’est l’idée du « collectif de travail qui crée du collectif » (Pruvost 2013 : 48). Dans le même temps, les moments de sociabilité rurale persistent et connaissent un renouveau sous l’impulsion des néoruraux : hérauts de la culture et du patrimoine rural, ils aiment à en entretenir voire à en recréer les marqueurs traditionnels, telles les fêtes villageoises, les démonstrations de savoir-faire, et ouvrent de nouvelles perspectives avec des manifestations culturelles de tous types.

Finally, the facilitation of encounters, not only between individuals but also between social groups has long been central to the distinction between urbanity, synonymous with diversity, and rurality, perceived as still characterized by the remnants of the social structures of a bygone peasantry. Yet the dynamics of socio-spatial segregation in urban spaces (Brun and Rhein 1994; Harvey 1973) and the gradual disappearance of places of public conviviality as a result of their privatization or of urban densification, with open spaces being closed in some cases, and the normalization of their uses in others, tend to strongly reshape the possibilities of encounters in the cities. In certain countryside areas, however, repopulation, organizational proximities and the persistence of public spaces open to non-market uses have fostered forms of social diversity and allowed them to function on an everyday basis (Gilbert 2010; Mischi 2013). Environmental alternative initiatives based on self-production rely, for example, on small-scale neighbourhood relations encouraging acquaintanceship and the appeal to individuals in the different areas of local life. These networks allow for the competences present locally to be mobilized to solve the various political and practical issues facing the groups. This participation encourages knowledge exchange, reveals individual abilities to the collective and, sometimes, encourages learning. This is the idea of the “work collective which creates common sense of belonging” (Pruvost 2013: 48). At the same time, the moments of rural sociability are persisting and experiencing a revival under the impetus of new country dwellers: heralding culture and heritage, they like to maintain or recreate its traditional markers such as village celebrations and demonstrations of know-how, while opening new perspectives with all kinds of cultural events.

Les aires géographiques des initiatives pour l’autonomie et l’émancipation sont de dimension variable, leur délimitation dépendant du périmètre pertinent pour permettre l’organisation et l’expression des individus dans des cadres collectifs. Mais dans la mesure où les individus revendiquent une participation citoyenne active, voire une forme d’autonomie de gestion, la taille des collectifs est nécessairement contrainte par le contexte et les moyens disponibles pour atteindre cet objectif. Pour les espaces ruraux, l’échelle d’organisation répondant à la cité était, à l’époque où écrit Lefebvre, celle de la vallée ou du village. Aujourd’hui, les recompositions sociales, l’éclatement des lieux de vie et leurs conséquences sur les périmètres de l’interconnaissance et des usages conduisent à envisager une grande diversité d’aires géographiques possibles : elles pourraient être celle du village ou du bourg, en incluant la campagne qui lui est fonctionnellement et socialement associée, ou bien se construire à l’échelle des multiples appartenances territoriales, pour autant qu’elles soient représentatives d’un collectif et qu’elles disposent d’une marge d’autonomie pour leur gestion.

The geographical areas of the initiatives taken towards autonomy and emancipation vary in size. Their limits depend on the relevant perimeter to allow for individuals’ organization and expression in collective frameworks. But insofar as individuals claim active civic participation, or even a form of management autonomy, the size of the collectives is necessarily constrained by the context and available means to reach this objective. For rural spaces, at the time when Lefebvre was writing, the organizational scale corresponding to the city was that of the valley or the village. Today, social recomposition, the fragmentation of living environments, and their consequences on the perimeters of acquaintanceship and customs are leading to a wide variety of possible geographical areas: they could correspond to a village or town, including the countryside functionally and socially associated with it, or match the scale of the multiple forms of territorial belonging, provided they are representative of a collective and have room for autonomy to manage themselves.

 

 

Conclusion

Conclusion

 

 

Dotés d’attributs spécifiques favorables à l’émancipation, les espaces ruraux se révèlent être le support de nombreuses initiatives proches de ce que le droit à la ville entend défendre. Si nous avons mis l’accent dans les deux dernières sections sur la construction des ressources favorables à cette émancipation dans les campagnes, il convient de rappeler qu’elles ne sont pas présentes ou mobilisées partout. On ne doit pas penser que l’ensemble des populations rurales seraient « émancipées ». Par ailleurs, nous ne pouvons conclure notre propos sans évoquer l’émergence de nouveaux processus destructifs (Tableau 1). Nous en évoquerons ici deux en particulier. Premièrement, l’émergence d’un marché spéculatif des maisons rurales : une construction de la rareté du foncier constructible (par zonage et protection normative) se fait au nom du développement durable et de la protection de certaines zones à haute valeur écologique ou paysagère. Deuxièmement, la déqualification des modes de vie ruraux (et périurbains) en regard du « modèle de durabilité » promue par la « ville dense », du fait, entre autres, de la forte consommation d’espace artificialisé et de l’extrême dépendance à l’automobile ; cette déqualification pourrait mettre en débat la légitimité du droit d’habiter certaines zones de très faible densité au nom d’une rationalité des coûts et de la réaffectation des ressources des services publics (Hilal et alii 2013). Ces processus destructeurs, parmi d’autres, posent la question de l’existence d’un droit les encadrant et de la possibilité de construire et protéger « au village » les ressources de l’émancipation.

With specific characteristics conducive to emancipation, rural areas are turning into a medium for many initiatives similar to what the right to the city seeks to defend. While in the last two sections we emphasized the construction of resources promoting this emancipation in the countryside, it is important to point out that they are neither present nor mobilized in all places. It would therefore be wrong to think that all rural populations are “emancipated”. Moreover, we cannot conclude without mentioning the emergence of new destructive processes (Table 1). Here we will mention two in particular. First, the emergence of a speculative rural housing market: the creation of a shortage of building land (through zoning and normative protection) in the name of sustainable development and of the protection of certain areas with a high environmental or landscape value. Second, the de-qualification of rural (and suburban) lifestyles in comparison with the “sustainability model” promoted by the “dense city”, in part due to the high levels of consumption of artificialized spaces and to the extreme dependence on cars. This de-qualification could challenge the legitimacy of the right to inhabit certain areas with a very low density, in the name of cost streamlining and the reallocation of public service resources (Hilal et alii 2013). These destructive processes, among others, raise the question of the existence of law regulating them and of the possibility to build and protect emancipation resources “in the village”.

Pour dépasser le blocage sémantique lié à l’usage du terme « droit à la ville » dans des configurations villageoises, il faut une nouvelle fois rappeler que Lefebvre donne à celui-ci un sens avant tout social - et non spatial - qui désigne en réalité un droit à l’urbanité et à l’urbain bien plus qu’à l’accès à la forme matérielle qu’est la ville. Il renvoie à la possibilité de se comporter et d’être traité en citoyen, c’est-à-dire d’avoir une expression politique, la capacité à intervenir sur les choix concernant la vie quotidienne et la configuration des espaces dans lesquels elle se déroule, ainsi que la possibilité de définir les principes et les normes sur lesquelles les décisions s’appuient. Droit des individus, il doit aussi être un droit collectif s’il prétend permettre d’exercer un pouvoir sur les processus d’urbanisation (cf. première partie).

To overcome the semantic block linked to the use of the term “right to the city” in village configurations, it should again be pointed out that Lefebvre gave the latter a primarily social – and not spatial – meaning, actually designating a right to urbanity and the urban far more than the right to access to the material form that is the city. The term refers to the possibility to behave and be treated as a citizen, in other words to have a political expression, the capacity to intervene in choices concerning daily life and the configuration of the spaces in which it unfolds, as well as the possibility to define the principles and norms informing decisions. The individual right must also be a collective right if it is to allow for exerting power over urbanization processes (see the first part of this article).

En accord avec l’acception lefebvrienne du droit à la ville, il pourrait être utile, pour penser le droit au village, de faire un détour par le « droit de cité », qui renvoie à l’intégration des individus aux arènes, lieux et institutions de la vie politique dans l’Antiquité gréco-latine. Le droit de cité contemporain correspond à la capacité de décider et agir dont jouissent les citoyens habitant une même entité géographique, quels que soient leur classe, leur appartenance sociale ou leur lieu de naissance. Ces habitants disposent d’un droit à maîtriser leur espace de vie et leur environnement, à construire et à produire la cité (c'est-à-dire le vivre-ensemble) via la participation aux prises de décisions et l’appropriation de leur cadre de vie. Par ailleurs, le droit de cité est subordonné à la dimension de l’entité spatiale dans laquelle il s’exerce, garante de la parole et de la place donnée à chacun. Le droit de cité ainsi formulé ne serait plus sémantiquement ou fonctionnellement associé à la ville mais pourrait, en théorie, s’exprimer dans d’autres périmètres spatiaux, pourvu qu’ils soient de taille modérée.

In keeping with the Lefebvrian understanding of the right to the city, to conceive of the right to the village it could be useful to make a detour via the “right of citizenship”, which relates to individuals’ integration to the arenas, places and institutions of political life in Greco-Roman Antiquity. As such, the right of citizenship relates to the capacity for decision making and action of the citizens living in a same geographical entity, irrespective of class, social belonging or place of birth. These inhabitants have a right to control their living space and environment, to build and produce society (i.e. life together) through participation in decision making and the appropriation of their living environment. Moreover, the right of citizenship is subordinated to the dimension of the spatial entity in which it is exercised, which determines the voice and role given to each individual. While the right of citizenship thus formulated would no longer be semantically or functionally associated with the city, it could, in theory, be expressed in other spatial perimeters, provided they were of a small size.

Dans cet esprit, la métaphore de l’émergence d’une « citoyenneté rurale » est avancée par M. Woods (2009) comme un des phénomènes majeurs de la recomposition des espaces ruraux d’Europe occidentale depuis quarante ans. Dans une lecture proche de la nôtre, l’édification de cette citoyenneté émane selon lui d’abord des démarches de protestation et de revendication (protest) conduites au nom de la défense d’un habiter spécifique, et d’une réaffirmation de l’appropriation de l’espace à travers elle. L’émergence de cette « citoyenneté rurale » s’appuie également, dans des contextes marqués par l’arrivée de nouveaux ruraux, sur la volonté de prise de responsabilité dans la gestion des enjeux locaux (grassroots initiatives) illustrée par la montée en compétences des populations résidant dans ces espaces (empowerment) et la multiplication des arènes de la démocratie participative.

From this perspective, M. Woods (2009) actually proposes the metaphor of the emergence of a “rural citizenship” as one of the major phenomena of the recomposition of Western European rural areas over the last 40 years. His interpretation, similar to ours, posits that the edification of this citizenship stems from protest movements defending the right to a specific way of inhabiting, and reasserting the appropriation of space through it. In contexts characterized by the arrival of neo-rurals, the emergence of this “rural citizenship” is also supported by the desire to take charge of managing local issues (grassroot initiatives), illustrated by the growing competences of the populations residing in these spaces (empowerment) and the multiplication of arenas of participative democracy.

Ainsi, de même que le droit à la ville défend l’accès aux ressources des centralités urbaines, « le droit au village » se donnerait pour objet la défense des ressources rurales de l’émancipation dont nous proposons une première grille d’analyse dans cet article. Il semble cependant inconcevable de penser aujourd’hui une forme de droit de cité qui ne s’appuierait que sur ses ressources « rurales ». Etant donné la généralisation de modes de vie fondés sur la multi-appartenance territoriale des individus, les ressources « rurales » sont aujourd’hui combinées aux ressources « urbaines » de la construction du droit à la ville. Le repli en campagne de certains groupes protestataires qui vont plus facilement y trouver des « lieux à soi » (Ripoll 2005 : 9) nécessaires à leurs activités quotidiennes, en est une parfaite illustration. C’est bien là tout le sens que nous attribuons à l’expression « droit au village », qui invite dans sa formulation à un décloisonnement de l’analyse du droit à la ville et de ses lieux de revendication et d’exercice.

Thus, just as the right to the city defends access to the resources of urban centralities, the aim of “the right to the village” would be to defend rural resources for the emancipation which we have started to analyze in this article. However a form of right of citizenship based only on its “rural” resources would seem inconceivable today. Given the generalization of lifestyles rooted in individuals’ multiple territorial belonging, “rural” resources are now combined with the “urban” resources of the construction of the right to the city. Certain protest groups’ withdrawal to the countryside to more easily find “places of one’s own” (Ripoll 2005: 9) necessary to their daily activities offers a perfect illustration. There lies the meaning we give to the expression “right to the village”, which in its formulation calls for a de-compartmentalization of the analysis of the right to the city and of the places for which it is demanded, as well as those in which it is exercised.

Remerciements : Les auteurs remercient les participants du séminaire "Espaces et pouvoirs" tenu à l’Université Paris 8 en 2012 et 2013, notamment Bouziane Semmoud et Marion Tillous, pour leurs remarques lors de la rédaction. Merci également aux évaluateurs, dont la lecture attentive a permis d’améliorer sensiblement la version initiale de ce texte.

Acknowledgments: The authors would like to thank the participants of the seminar « Espaces et pouvoirs » held at the University of Paris 8 in 2012 and 2013, particularly Bouziane Semmoud and Marion Tillous, for their comments at the time of writing. They would also like to thank the reviewers, whose attentive reading allowed for the initial version of this text to be significantly improved.

A propos des auteurs : Eve-Anne BUHLER, Ségolène DARLY& Johan MILIAN sont Maitres de Conférences en géographie à l’Université Paris 8, membres de l’UMR LADYSS.

About the authors: Eve-Anne BUHLER, Ségolène DARLY& Johan MILIAN are Geography Lecturers, University of Paris 8, UMR LADYSS 7533

Pour citer cet article : Eve-Anne BUHLER, Ségolène DARLY& Johan MILIAN, "Arènes et ressources du droit au village : les ressorts de l’émancipation dans les campagnes occidentales au 21ème siècle" justice spatiale | spatial justice, n° 7 janvier 2015, http://www.jssj.org/

To quote this article: Eve-Anne BUHLER, Ségolène DARLY& Johan MILIAN, « Arenas and resources of the right to the village: the underpinnings of emancipation in Western countryside in the 21st century » justice spatiale | spatial justice, n° 7 janvier 2015, http://www.jssj.org/

[1] Droit de citoyenneté compris comme la participation à la vie politique, associé à la reconnaissance d’une appartenance territoriale. Selon le Trésor de la langue française informatisé, le droit de cité est 1- la « jouissance de tous les droits de citoyen, de membre d'une cité, avec les privilèges qui en découlent ». 2- « Dans les républiques de l'Antiquité, la petitesse du territoire faisait que chaque citoyen avait politiquement une grande importance personnelle. (...) ».

[1] Understood as participation in political life, associated with the recognition of territorial belonging. According to the Trésor de la langue française informatisé, the droit de cité means 1- “enjoying all the rights of a citizen, of a member of a city, with the ensuing privileges”, and 2- “In the republics of Antiquity, the small size of the territory meant that each citizen had significant personal political importance. (…)”.

[2] H. Lefebvre a même commencé sa carrière de sociologue par des travaux de sociologie rurale, pour partie évoqués ou rassemblés dans son ouvrage Du rural à l’urbain (1970) où il aborde l’expansion de la modernité et le dépassement de l’ancien conflit villes/campagnes.

[2] H. Lefebvre even started with rural sociology work, partly discussed or gathered in his book Du rural à l’urbain (1970), in which he addressed the expansion of modernity and overcoming the old city/countryside conflict.

[3] « Par des détours surprenants – la nostalgie, le tourisme, le retour vers le cœur de la ville traditionnelle, l’appel des centralités existantes ou nouvellement élaborées - ce droit (à la ville) chemine lentement. La revendication de la nature, le désir d’en jouir détourne du droit à la ville. Cette dernière revendication s’énonce indirectement, comme tendance à fuir la ville détériorée et non renouvelée, la vie urbaine aliénée, avant d’exister réellement. Le besoin et le droit à la nature contrarient le droit à la ville sans parvenir à l’éluder » (Lefebvre 1968 : 107).

[3]Through surprising detours – nostalgia, tourism, the return to the heart of the traditional city, the call of existing or newly developed centralities – this right (to the city) is slowly evolving. The claim to nature, the desire to enjoy it diverts from the right to the city. This last claim is expressed indirectly, as a tendency to flee the deteriorated and non-renewed city, alienated urban life, before truly existing. The need for and the right to nature conflict with the right to the city, without actually being able to evade it” (Lefebvre 1968: 107).

[4] Il est fréquemment reproché à cette expression un contenu et des contours flous. Elle est souvent employée dans une connotation plutôt institutionnelle, en référence aux stratégies locales de développement et aux dispositifs de soutien, notamment économiques et politiques, imaginés à partir des années 1970 dans plusieurs pays pour les accompagner. La référence en économie renvoie quant à elle à la diversification et l’enrichissement des activités économiques et sociales sur un territoire à partir de la mobilisation et de la coordination de ses ressources et de ses énergies (Greffe, 2002). La proximité de sens et d’usage de ces différentes définitions est réelle mais c’est bien de l’esprit du développement local, porté par l’émergence de citoyens-acteurs du développement (Teisserenc 1994), dont il est question ici.

[4] This expression is often criticized for having blurry content and outlines. It is often used with a rather institutional connotation, referring to local development strategies and to the support systems, particularly economic and political, devised in the 1970s in several countries to accompany them. The economic reference relates to the diversification of enrichment of economic and social activities across a territory through the mobilization and coordination of its resources and energies (Greffe, 2002). While there is a real proximity of meaning and use between these different definitions, we here refer to the spirit of community-based development project, conveyed by the emergence of citizen-actors of development (Teisserenc 1994).

[5] Le mouvement du développement local a également concerné de nombreux espaces urbains « en crise » à travers les démarches de développement social urbain qui en partageaient la philosophie.

[5] The local development movement also concerned many urban spaces “in crisis” through the urban social development initiatives that shared its philosophy.

[6]Il s’agit ici des réseaux hérités de l’appartenance locale et donc du fait d’être natif du village.

[6] These are networks inherited from local belonging and therefore from the fact of being native to the village.

 

 

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