Possibilités et contraintes des projets de développement fondés sur le lieu : comment atténuer les dépendances hiérarchiques dans un quartier en difficulté ?

Possibilities and Constraints of Place-Based Development Projects to Temper Hierarchical Dependencies in a Deprived Neighbourhood

Introduction

Introduction

Ces dernières années, le rôle des dispositifs institutionnels dans les débats sur le succès des interventions de développement externes suscite un intérêt croissant. De nombreuses études critiquent les programmes de soutien externe car ils dépolitiseraient le processus de développement et laisseraient derrière eux des incitations mal alignées et des capacités domestiques insuffisantes, contribuant ainsi à la reproduction de « pièges du développement » et à l'expansion du pouvoir bureaucratique de l'État dans la vie des gens (Stiglitz, 1999 ; Ferguson, 1994). Au cœur de ces critiques figure l'argument selon lequel les solutions rapides dites « clés en main » concernant les arrangements institutionnels, ignorant les effets de lieu, aboutissent à des politiques déséquilibrées incapables de parvenir ni à un développement durable, ni à un changement social (Barca et al., 2012 ; Pike et al., 2006). Même le régime de développement régional de l'Union européenne – à l’échelle du monde, le plus vaste effort concerté de cohésion territoriale -, qui est mis en œuvre dans un système multi-niveaux grâce à une série de méthodes novatrices en matière de prise de décisions, est critiqué pour la lourdeur de ses procédures politiques et pour la faiblesse et la rigidité du système institutionnel qui sous-tend la politique de cohésion.

In recent years, the role of institutional arrangements in discussions about the success of external developmental interventions has attracted growing interest. Many studies have criticized external support programmes for depoliticizing the development process and leaving behind misaligned incentives and insufficient domestic capacities, thus contributing to the reproduction of developmental traps and the expansion of bureaucratic state power in people’s lives (Stiglitz, 1999; Ferguson, 1994). At the core of these critiques was the argument that “one-size-fits-all” and place-blind quick-fixes of institutional arrangements result in unbalanced policies incapable of delivering sustainable development and social change (Barca et al., 2012; Pike et al., 2006). Even the European Union’s regional development regime, the largest concerted effort in the world aimed at territorial cohesion which is implemented in a multi-level system through a series of innovative decision-making methods, has been criticized for its cumbersome policy procedures and for the weakness and inflexibility of the institutional system behind Cohesion policy.

L’objet est de discuter ici de la réforme de la politique de cohésion, laquelle utilise une approche fondée sur le lieu[1]. Cet agenda s’inscrit dans une stratégie à long terme visant à « lutter contre la sous-utilisation persistante du potentiel et à réduire l'exclusion sociale persistante dans des lieux spécifiques par le biais d'interventions externes et d'une gouvernance multi-niveaux » (Barca, 2009, p. VII). Cette approche est conçue pour fournir des biens et des services intégrés adaptés aux contextes locaux en s'appuyant sur un savoir local, produit par les acteurs étatiques et non étatiques locaux dans le cadre d'un partenariat fondé sur le dialogue. Le « succès » du processus de développement dépend donc de l’emboîtement de ces interventions dans le contexte local. Le rôle de l'État est de définir les conditions générales que les acteurs locaux peuvent suivre pour concevoir des politiques adaptées aux spécificités locales.

These accounts discuss the reform of Cohesion policy using a place-based approach. The place-based agenda has been a long-term strategy aimed at “tackling persistent underutilisation of potential and reducing persistent social exclusion in specific places through external interventions and multilevel governance” (Barca, 2009, p. VII). It is designed to supply integrated goods and services tailored to local contexts by relying on local knowledge produced by local state and non-state actors in a partnership based on dialogue. The “success” of the developmental process thus depends on the embeddedness of interventions in the local context. The role of the state is to set the general conditions that local actors can follow in designing policies that fit local specificities.

Plus de dix ans avant l’émergence de cet agenda dans le cadre du renouvellement de la politique de cohésion, des études sur le développement et des recherches en sociologie économique ont montré que les organisations de développement externes, telles que les régimes de politiques publiques de l’Union européenne et des États membres, peuvent soutenir le développement local en créant des conditions cadres permettant aux acteurs locaux dotés des capacités « par le haut » de mobiliser les ressources « par le bas ». De ce point de vue, les interventions de développement externes peuvent réussir si elles renforcent les capacités des acteurs locaux publics et privés à induire un changement institutionnel en faveur du développement. Un État national « habilitant », ainsi que l'UE, peuvent fournir des ressources et des capacités positives pour le développement local grâce à une « relation vertueuse » entre différents niveaux de gouvernement et une coordination des politiques qui favorisent l'évolution des arrangements institutionnels en matière de coopération, de dialogue et de distribution des leviers de décision.

More than a decade before the emergence of a place-based agenda for renewed Cohesion policy, studies in development and economic sociology pointed out that external developmental organisations, such as the EU and domestic policy regimes, can support local development by setting framework conditions that enable local actors with capacities “from above” to mobilise resources “from below”. In this view, external developmental interventions can be successful if they nurture the capacities of local public and private actors to induce institutional change for development. An “enabling” domestic state, along with the EU, can provide positive resources and capacities for local development through a “virtuous relationship” between various scales of government and policy coordination that favour the evolution of institutional arrangements for cooperation, dialogue and the distribution of authority.

Cette étude analyse la mise en œuvre du programme « Une chance pour les enfants ! » (Gyerekesély program !) dans un quartier marginalisé de la petite ville d’Encs, située dans une région périphérique du nord-est de la Hongrie. L’objet de ce travail est d'étudier le champ des possibilités et des contraintes de cette intervention fondée sur le lieu, ainsi que les effets spécifiques du contexte politique national.

This study analyses the implementation of the Give Kids a Chance programme in the small town of Encs, located in the northeast periphery Hungary, and the marginalised neighbourhood therein. The aim of the paper is to study the possibilities and constraints of this place-based intervention as affected by the domestic policy regime.

Le programme « Une chance pour les enfants ! » a été conçu à l’origine comme une initiative progressive fondée sur une le lieu dans une micro-région en difficulté, où l’on observe des taux élevés de pauvreté infantile[2]. Entre 2009 et 2012, au cours de sa généralisation à vingt-trois des micro-régions les plus en difficulté du pays, le programme s'est peu à peu transformé en un outil politique descendant, dans la mesure où la définition et la gestion de son contenu ont connu un processus de centralisation administrative. Le programme portait sur des enfants confrontés à des difficultés socio-économiques et à des situations de négligence, et n'ayant pas accès aux services publics destinés à leur assurer de vivre dans de bonnes conditions. Partant de là, le programme « Une chance pour les enfants ! » visait à transformer les institutions locales afin d'améliorer la qualité et l'accessibilité des services locaux de protection de l'enfance pour les enfants défavorisés.

The Give Kids a Chance programme started as a progressive place-based initiative in a disadvantaged micro-region with high rates of child poverty[1]. Between 2009 and 2012, the programme was extended to 23 of the most disadvantaged micro-regions. During this upscaling, the programme gradually transformed into a top-down policy tool, it’s the components of which increasingly came to be defined and managed centrally through administrative measures. The programme focused on disadvantaged children suffering from deprivation and lack of access to public services that would ensure a healthy childhood. Thus, Give Kids a Chance aimed at transforming local institutions to enhance the quality and accessibility of local child welfare services for deprived children.

Dans les lignes qui vont suivre, nous proposons dans un premier temps une synthèse des débats sur les interventions fondées sur le lieu, ainsi que sur les dilemmes de l’implication externe dans le développement national. Nous proposons ensuite une discussion au sujet du rôle que les institutions locales peuvent jouer dans l’amélioration de la situation des populations en difficulté, puis nous introduisons le cas du programme « Une chance pour les enfants ! » en analysant son évolution institutionnelle dans son contexte territorial, à travers l’exemple d’un quartier stigmatisé situé à Encs, au centre du district éponyme. Nous nous attardons enfin, en conclusion, sur les facteurs qui ont entraîné le détournement des objectifs initiaux du programme, fondés sur les lieux, à l’échelle du district d’Encs.

In the following sections we overview the debate on place-based interventions and dilemmas of external involvement in domestic development. We then proceed with a discussion about the role that local institutions can play in improving the conditions of disadvantaged populations. Introducing the case of the Give Kids a Chance programme in the district of Encs, we analyse its institutional evolution within the territorial context through the example of a stigmatised neighbourhood located in the district centre, the town of Encs. . In the final part of our analysis, we draw conclusions about factors that resulted in the diversion of Give Kids a Chance from its original place-based objectives in the district of Encs.

Les données empiriques de cet article ont été rassemblées dans le cadre du projet RELOCAL[3] et complétées par la bourse postdoctorale NRDIO (112659)[4]. Notre équipe de recherche a mené, entre 2017 et 2018, 27 entretiens en hongrois avec différentes organisations situées dans trois localités, mais aussi avec des acteurs politiques à l’échelle du district et de la Hongrie. Nous avons également effectué des observations participantes.

Empirical evidence for the article was gathered in the framework of the RELOCAL project[2], and supplemented by NRDIO post-doctoral fellowship (112659)[3]. Between 2017 and2018, our research team carried out 27 Hungarian-language stakeholder interviews with different organisations in three settlements, as well as at the district-, regional- and national policy levels. We also conducted participant observations.

 

 

Contexte conceptuel

Conceptual background

La mise en récit de la justice spatiale et du développement fondé sur le lieu

The narrative of place-based development and spatial justice

L'approche fondée sur le lieu, principalement connue sous la forme du programme « Une nouvelle politique de cohésion pour l’Europe », a été conçue pour améliorer les faiblesses de la politique de cohésion en matière de réduction des disparités territoriales au sein de l'UE, notamment sur le plan de la convergence économique et de la cohésion sociale. Elle repose sur l'idée selon laquelle le lieu est une dimension essentielle des arrangements institutionnels dans lesquels le développement s'inscrit. Il en va non seulement des caractéristiques sociales et économiques locales, mais également du savoir local, lequel est nécessaire au renforcement des capacités de mise en place d'institutions locales sur mesure. Cette forme de savoir n'est pas facilement disponible partout : les pièges de sous-développement qui entravent le développement local et perpétuent l'exclusion sociale peuvent être le résultat, à l’échelon local, de l'incapacité des élites à agir ou bien le fruit d’un statisme dans les relations sociales. Dans ces cas, l'approche fondée sur le lieu suggère de produire un nouveau savoir et de nouvelles idées grâce à l'interaction des groupes locaux et à l'élargissement de l'intégration de divers acteurs dans la prise de décisions concernant les objectifs de développement. Le régime de développement et de politique publique qui génère des alliances nationales et locales en soutien à de nouvelles institutions permet de remédier au manque de capacité ou de volonté des élites locales à répartir les biens publics au sein de la communauté sur la base de la justice spatiale et de l'autorité. (Jacoby, 2008). Les conditions du cadre externe doivent également favoriser l'émergence d'acteurs habilités à participer à la planification, au suivi, au respect et à la mise à niveau des règles (Bruszt-Vedres, 2013).

The place-based approach, mostly known as the reform agenda of the EU’s Cohesion policy, was created to improve the Cohesion policy’s weak capacities for alleviating territorial disparities within the EU in terms of economic convergence and social cohesion. It builds on the idea that place matters in terms of the institutional arrangements in which development takes place. It matters not only from the perspective of local social and economic characteristics, but also in terms of the local knowledge that is necessary for building the capacity to design tailor-made local institutions. This knowledge is not readily available everywhere: underdevelopment traps that inhibit local development and perpetuate local social exclusion can be the result of local elites’ inability to act, or of a status quo in local social relations. In these cases, the place-based approach suggests producing new knowledge and ideas through the interaction of local groups and the widening of the integration of diverse local actors in making decisions about developmental goals. Local elites’ lack of either the capacity or the willingness to distribute public goods within the community based on spatial justice and authority in developmental decision-making can be remedied by a development and public policy regime that generates domestic and local alliances that support new institutions (Jacoby, 2008). External framework conditions also need to promote the emergence of actors that are empowered to participate in planning, monitoring, enforcing, and upgrading rules (Bruszt-Vedres, 2013).

Néanmoins, si l'on suit la rhétorique d'une approche fondée sur le lieu, aucun des agents externes n’a la capacité de concevoir de bonnes politiques de développement local spatialement équitables « à partir du centre ». Les États ne sont pas toujours les mieux placés en termes de connaissance et il faut donc trouver un équilibre entre les forces exogènes et endogènes grâce auxquelles les acteurs locaux se fixent des objectifs et conçoivent des projets, alors que le rôle qui échoit à « l’agence de développement » externe est d’en définir les conditions générales que ces derniers doivent respecter et adapter aux lieux (Barca et al., 2012). Ainsi, les interventions et la mobilisation des ressources et des savoirs locaux devraient être fondées sur « des partenariats entre différents niveaux de gouvernance, à la fois comme un moyen de renforcer les institutions, mais aussi d'identifier et de s'appuyer sur les savoirs locaux » (Pike et al., 2007, cité par Barca et al., 2012, p. 147). Pour ce faire, le processus politique devrait être fondé sur l'interaction réciproque des acteurs locaux avec des agents externes (l'État central) afin de fournir des manières de faire remonter les informations en retour, du bas vers le haut. De tels dispositifs de gouvernance globale peuvent garantir des procédures institutionnelles appropriées au niveau local afin de mieux répartir les ressources et les opportunités, ainsi que « de meilleurs mécanismes pour assurer la participation et la responsabilité (accountability)[5] démocratiques » (Madanipour et al., 2017, p. 75). La justice distributive et procédurale est donc synergique : des arrangements institutionnels inclusifs et délibérants peuvent avoir la capacité de garantir une répartition équitable des biens publics.

According to place-based narratives, however, none of the external agents have the capacity to design good, spatially fair local development policies “from the centre”. States do not know better, and a balance must therefore be called for between exogenous and endogenous forces by which local actors set targets and design projects while the external “development agency” sets the general conditions that the former must follow and tailor to specific places (Barca et al., 2012). Thus, interventions and the mobilisation of local knowledge and resources should be based on “partnerships between different levels of governance, both as a means of institution-building and also of identifying and building on local knowledge” (Pike et al., 2007, cited by Barca et al., 2012, p. 147). To achieve this, the policy process should be based on the reciprocal interaction of local actors with external agents (the central state) to provide channels for feedback from the bottom to the top. Such overall governance arrangements can ensure appropriate institutional procedures at the local level to better distribute resources and opportunities, as well as “better mechanisms to ensure democratic participation and accountability” (Madanipour et al., 2017, p. 75). Distributive and procedural justice is thus synergistic: inclusive and deliberative institutional arrangements can have the capacity to guarantee the fair distribution of public goods.

La mise en récit du développement local et sa relation aux institutions locales

Narratives of local development and their relations to local institutions

L'approche fondée sur le lieu est ancrée dans les interprétations institutionnalistes du développement régional et de la croissance économique (Amin et Thrift, 1994 ; Cooke et Morgan, 1998), qui prétendent que le développement consiste en la transformation des institutions. Partant de là, une coordination intégrée des politiques qui répartit l'autorité entre divers intervenants et responsabilise les groupes sociaux marginaux, contribuerait fondamentalement au processus de développement (North, 1991 ; Sen, 1999 ; Evans-Syrett, 2007).

The place-based approach is anchored in institutionalist readings of regional development and economic growth (Amin and Thrift, 1994; Cooke and Morgan, 1998), which claim that development is about the transformation of institutions. Integrated policy coordination that distributes authority among diverse stakeholders and empowers marginal social groups, it is argued, fundamentally contributes to the development process (North, 1991; Sen, 1999; Evans-Syrett, 2007).

Ce point de vue a suscité de nouvelles appréhensions du développement sous-national, lesquelles soulignent l’importance de la mise en place d’institutions par le biais de coopérations et d’alliances organisées de manière endogène par les acteurs locaux. Dans ces travaux, la gouvernance du développement concerne principalement le pouvoir de décider qui a son mot à dire et ce qui compte dans la planification du développement (Bruszt, 2007). Par conséquent, les discussions sur la gouvernance du développement doivent prendre en compte les dimensions de la répartition du pouvoir (Bruszt, 2007). Il y a relation réciproque entre développement et changement institutionnel ; les méthodes non hiérarchiques de mise en place coordonnée d'institutions fondées sur des mécanismes décisionnels inclusifs et délibérants devraient fournir des ressources positives pour le développement (Hirschman, 1958 ; Sen, 1999 ; North, 1991). Les capacités locales de développement – partenariats, alliances fondées sur la confiance, profondeur et stabilité institutionnelles, relations sociales – ne sont pas fixées une fois pour toutes, mais peuvent évoluer de manières qualitativement différentes, façonnées par une agence locale sous l’influence des conditions de cadrage (Trigilia, 2001 ; Pike et al., 2007).

This view has spurred new understandings of sub-national development which emphasize the significance of institution-building through cooperation and alliances organised endogenously by local actors. In these accounts, the governance of development is primarily about the power to decide who has a say and what counts in planning development (Bruszt, 2007). Therefore, discussions of developmental governance must take into account dimensions of the distribution of power (Bruszt, 2007). There is interplay between development and institutional change; non-hierarchical methods of coordinated institution building based on inclusive and deliberative decision-making mechanisms are expected to provide positive resources for development (Hirschman, 1958; Sen, 1999; North, 1991). Local capacities for development – partnerships, trust-based alliances, institutional thickness and stability, social relations – are not fixed once and for all, but can evolve in qualitatively different ways shaped by local agency under the influence of framework conditions (Trigilia, 2001; Pike et al., 2007).

Les conditions externes définies par les régimes politiques de l'État et des acteurs transnationaux peuvent aider les acteurs locaux d'en haut à mobiliser des ressources d'en bas en faveur d’un type de renforcement institutionnel qui répartit plus équitablement les biens publics grâce à la participation de divers acteurs locaux. Cela peut se faire dans un cadre réglementaire qui applique les principes de responsabilité politique comme critères et règles, et qui permet aux acteurs les plus faibles de définir une base légale pour leurs actions vis-à-vis des gouvernements nationaux. Cette base juridique doit reposer sur une « relation vertueuse » (Trigilia, 2001) entre différents niveaux de coordination des politiques, laquelle restreint les tentatives d’entente et de recherche de rente, et empêche tout acteur individuel de monopoliser la définition des objectifs et des moyens de développement régionaux et locaux.

External conditions set by policy regimes of the state and of transnational actors can help local actors from above to mobilise resources from below for the kind of institution building that more fairly distributes public goods through the inclusion of diverse local actors. This can take place in a regulative framework which applies principles of political accountability as its benchmarks and rules, and which enables weaker actors to define a legal basis for their actions vis á vis domestic governments. This legal basis must rely on a “virtuous relationship” (Trigilia, 2001) between various levels of policy coordination that restrains attitudes toward collusion and rent-seeking and hinders any single actor from monopolizing the definition of regional and local developmental goals and means.

Une « relation vertueuse » fait référence à la relation triadique entre les organisations qui structurent la vie d'une population locale, les systèmes de gouvernance dans lesquels les organisations s'inscrivent et les institutions qui régulent le fonctionnement des deux (Scott et Small, 2013). Dans la littérature sur la pauvreté urbaine, les organisations formelles, les réglementations et normes institutionnelles, ainsi que la structure des systèmes jouent un rôle majeur dans « le degré de vulnérabilité des personnes en difficulté » (Scott et Small, 2013). Les organisations des quartiers urbains fournissent des ressources telles que des informations et des services qui « protègent les individus contre les effets de la pauvreté » (Small, 2006). En ce sens, les organisations de quartiers urbains agissent en tant que courtiers en ressources qui « lient des organisations séparées les unes aux autres pour accomplir des tâches de voisinage locales et renforcer les capacités de la communauté » (Small, 2006). Ces courtiers en ressources sont généralement composés d’effectifs divers poursuivant des objectifs communs par la mise en convergence d’intérêts hétérogènes, ce qui en fait des espaces d’interaction sociale et de renforcement du capital social (Small, 2006). Les organisations locales n'agissent pas en réponse à un facteur unique ; par leur composition hétérogène, elles sont influencées par les normes et les conventions et, en raison de leur emboîtement dans les systèmes de gouvernance, elles sont soumises à une pression institutionnelle « coercitive » exercée par des autorités plus importantes, telles que l'État (Small, 2006).

A “virtuous relationship” refers to the triadic relationship between organisations, which structure the life of a local population, systems of governance, in which organisations are embedded, and institutions, which regulate the operation of both (Scott and Small, 2013). In the literature on urban poverty, formal organisations, institutional regulations and norms and the structure of the systems are seen to play a major role in “how well disadvantaged people do” (Scott and Small, 2013). Urban neighbourhood organisations provide resources such as information and services that “buffer individuals against the effects of poverty” (Small, 2006). In this sense, urban neighbourhood organisations act as resource brokers that “tie separate organisations to one another to accomplish local neighbourhood tasks and build community capacity” (Small, 2006). Resource brokers are typically composed of a diverse membership pursuing collective goals through the concertation of heterogeneous interests, which makes them sites for social interaction and social capital building (Small, 2006). Local organisations do not act in response to a single factor; through their heterogeneous membership, they are influenced by norms and conventions, and through their embeddedness in governance systems they are subject to “coercive” institutional pressure from larger authorities such as the state (Small, 2006).

Les arrangements institutionnels locaux jouent un rôle fondamental dans la transformation de l'organisation locale en courtiers en ressources, ou encore en vecteurs de fragmentation sociale. Dans le premier cas, les institutions – règles formelles et normes informelles – encouragent les organisations locales à nouer des liens et à « négocier » des informations, des ressources et des services pour un public hétérogène. Cela est particulièrement important pour les communautés marginalisées dont la situation ne résulte pas simplement de la vie dans des quartiers pauvres et stigmatisés, mais aussi de la non-participation aux réseaux sociaux locaux ou du non-accès aux organisations / institutions locales (Small, 2006). Par ailleurs, les arrangements institutionnels locaux peuvent servir à stabiliser et à légitimer les frontières sociales et à recréer de la stigmatisation territoriale en encourageant les organisations à fournir des ressources, des informations et des services à des groupes sociaux particuliers et dans des quartiers spécifiques, plutôt que de donner accès à ces biens publics à des populations en difficulté vivant dans des quartiers dégradés et stigmatisés.

Local institutional arrangements play a fundamental role in shaping local organisation into resource brokers or into sites of social fragmentation. In the first case, institutions – formal rules and informal norms – encourage local organisations to establish ties to one another and to “broker” information, resources and services for a heterogeneous audience. This is especially important for marginalised communities whose disadvantages do not merely result from living in poor, stigmatised neighbourhoods, but from non-participation in local social networks or non-access to local organisations/institutions (Small, 2006). On the other hand, local institutional arrangements can serve to stabilise and legitimise social boundaries and to recreate territorial stigmatisation by encouraging organisation to provide resources, information, and services for particular social groups and in specific neighbourhoods rather than granting access to these public goods to disadvantaged populations in degrading, stigmatised neighbourhoods.

 

 

De l'importance du lieu : fragmentation sociale et spatiale dans une ville en difficulté

Place matters: social and spatial fragmentation in a deprived town

Nos recherches ont eu lieu à Encs, une petite ville déshéritée de 6 434 habitants située à l'extrémité nord de la Hongrie. La région dans son ensemble – et c’est aussi le cas de la ville elle-même – est caractérisée par un déclin économique et une concentration de la pauvreté et se distingue par un taux de chômage très élevé, un faible niveau d'instruction et un fort peuplement rom. En raison de sa situation géographique favorable, l’ancienne localité aux allures de village est devenue le centre de l'administration publique (járás központ) pour les villages voisins après la Seconde Guerre mondiale. En conséquence, les principales administrations ainsi que des services publics comme le tribunal de district, la police, les casernes de pompiers, le centre de santé et les services d’ambulance, les écoles secondaires et les services commerciaux et sociaux ont tous trouvé place dans cette localité dans les années 1960. En tant que chef-lieu du district, disposant conséquemment de son propre marché du travail, d’une meilleure accessibilité en transports en commun et de la disponibilité de services sociaux, Encs est devenue la destination des habitants instruits, plus jeunes et plus aisés des villages voisins. Cela a fatalement causé des inégalités intrarégionales au sein de la microrégion, lesquelles ont généré une dépendance hiérarchique des villages alentours ainsi que des dysfonctionnements en matière de disponibilité, d’accessibilité et d’abordabilité en termes d'approvisionnement des services.

Our research took place in Encs, a small deprived town of 6,434 inhabitants at the northern edge of Hungary. The whole region, as well as the town itself, is characterised by economic decline and a concentration of poverty¸ and features very high unemployment, a low level of educational attainment and a concentration of Roma population. Due to its favourable geographical location, the previously village-style settlement became the centre of public administration (járás központ) for the neighbouring villages after World War II. As a result, the main institutions of public administration and service provision like the district court, police and fire stations, the health care centre and ambulance service, secondary schools, and commercial and social services were all settled in this locality in the 1960s. As the district centre, Encs, with its own labour market, better public transport possibilities and available social services, became the migration destination for the educated, younger and more affluent people from the neighbouring villages. This ultimately caused intra-regional inequalities within the micro region, manifested as hierarchical dependencies of the villages on the district centre and anomalies of availability, accessibility and affordability of service provision.

Les développements institutionnels de la période socialiste ont divisé la ville en deux parties. Le vieux centre-bourg, un secteur aux allures de village, avec de petites maisons paysannes qui étaient traditionnellement des lieux d'habitation pour les pauvres roms et non-roms, est situé d'un côté de la voie ferrée et voisine l’actuel quartier rom. De l'autre côté du chemin de fer se situe la partie moderne de la localité, où sont implantées les administrations publiques et où l’on trouve les zones résidentielles qui ont été construites dans les années 1970 et 1980, lorsque Encs avait atteint le seuil du statut de ville de 5000 habitants (1984), à la faveur de sa fusion avec les villages voisins. Cette partie de la localité est habitée par de jeunes familles éduquées qui ont quitté les villages voisins. La ville d'origine et les anciens villages annexés sont toujours abordés de façon distincte dans les récits locaux.

The institutional developments of the socialist period divided the town into two parts. The old town centre, a village-style neighbourhood with small peasant houses that have traditionally been the dwelling places for Roma and non-Roma poor, is located on one side of the railway, while a Roma neighbourhood is situated at the edge of this part of the town. The other side of the railway is the modern part of the town with new institutions and residential areas that were built during the 1970s and 1980s when Encs reached the threshold of town status with 5 000 (1984) after the merging of neighbouring villages. This area is inhabited by young, educated families that moved from the neighbouring villages. The original town and its previously neighbouring villages are always distinguished in local narratives.

Le principal discours sur l'injustice spatiale dans la ville, comme ailleurs dans les villages voisins et dans l'ensemble du pays, est étroitement lié à la présence de la minorité ethnique rom. De manière générale, les représentations de l'ethnicité rom sont basées sur des processus de catégorisation externes imposés par la société majoritaire. Les Roms ont peu ou pas la possibilité de choisir volontairement leur appartenance à un groupe ou d'accéder à une position de reconnaissance et d'empowerment (Neményi-Vajda, 2014). Cette assignation catégorielle externe est marquée par la présence de relations sociales et de pouvoir inégales, souvent associées à la pauvreté, aux problèmes sociaux et à la criminalité. Ainsi, le concept de Rom est une construction de la société majoritaire qui reflète ses perceptions plutôt que l'appartenance réelle à une communauté ou un groupe ethnique (McGarry, 2014). Les récits locaux, souvent déterminés par la phobie des Roms et la crainte d'une domination démographique croissante des Roms (en hongrois : elcigányosodás), reposent sur des différences de taux de fécondité, d'aspirations à la mobilité et de stigmatisation territoriale.

The main narrative on spatial injustice in the town, as elsewhere in the neighbouring villages and in the country at large, is strongly connected to the presence of Roma ethnicity. Generally, representations of Roma ethnicity are based on external categorization processes imposed by the majority society. There is little to no opportunity for Roma to voluntarily choose their group belonging or to rise to a position of recognition and empowerment (Neményi-Vajda, 2014). This external categorization is distinguished by the presence of unequal social and power relations and often associated with poverty, social problems and crime. Thus, the concept of Roma is a construct of the majority society which reflects its perceptions rather than actual ethnic community/group belonging (McGarry, 2014). The local narratives often determined by Roma-phobia and the fear of growing demographic dominance of Roma (in Hungarian elcigányosodás) are based on differences in fertility rate, mobility aspirations and territorial stigma.

Malgré l’assignation catégorielle externe en matière d'ethnicité, la population rom est très fragmentée sur le plan des statuts socio-économiques, de l'origine ethnique, du style de vie et de la localisation géographique (Virág-Váradi, 2018), comme l'illustre la carte de ségrégation[6] de la ville. Abaújdevecser, l'un des petits villages qui a fusionné avec Encs, est le lieu où habitent les Roms « aisés » et n'est donc pas désigné comme une zone séparée sur la carte « officielle » de la ségrégation. Ces distinctions sont reflétées dans les récits :

Despite external categorization of ethnicity, the Roma population is highly fragmented in terms of socio-economic status, ethnic background, lifestyle and spatial location (Virág-Váradi, 2018) as reflected in the segregation map[4] of the town. Abaújdevecser, one of the small villages that was merged into Encs, is a dwelling place for the ‘well-to-do’ Roma, and thus is not designated as a segregated area in the ‘official’ map of segregation. These distinctions are reflected in the narratives:

« Officiellement, nous appartenons tous à Encs, mais les gens d’ici savent qui est originaire d'Abaújdevecser, de Fügöd ou d’Encs. Cette triade existe. Et plus en détail, on sait qu’untel ou unetelle habite rue Béke, à Szug ou à Fügöd, etc. Les Roms de la rue Béke disent que les millionnaires Roms vivent à Szug, car ils sont impliqués dans le secteur de la construction. Fügöd, c’est une autre histoire. Ils sont perçus comme l’ennemi […] Abaújdevecser se trouve dans une situation encore différente. Il n'y a jamais eu de quartier ni même de rue où les Roms vivaient à part : ils y ont toujours vécu éparpillés et la coexistence avec les voisins non roms faisait partie du quotidien. Les Roms travaillaient tous les jours pour des non-Roms, et les deux groupes ont ensuite travaillé ensemble à la coopérative. »[7]

“Officially we are all from Encs, but the indigenous local dwellers know who is from Abaújdevecser, Fügöd or Encs. This triad exists. And in more detail, he/she lives on Béke street, in the Szug or Fügöd, etc. The Roma from Béke street say that the millionaire Roma live in Szug, because they are involved in the construction business. Fügöd is another question. They appear as an enemy […] Abaújdevecser is in another situation again. There has never been a separate Roma neighbourhood or even a street, Roma have always lived scattered and the coexistence with the non-Roma neighbours was a daily routine. They worked for non-Roma as daily workers, and later on, together in the cooperative.”[5]

Les zones ségréguées d'Encs sont situées de l'autre côté de la voie ferrée, loin du centre, dans la partie ancienne de la ville traditionnellement rom et pauvre. En termes de composition ethnique et de développement en infrastructures, ces quartiers d’allure villageoise se différencient davantage par leur statut socio-économique. Dans le quartier de la rue Béke, la plupart des familles vivent dans une pauvreté modérée avec des potagers et des animaux domestiques. Dans les quartiers de « Szug » et dela « vieille ville », seules quelques familles pauvres vivent dans des bidonvilles délabrés. En raison de son extérieur ordonné et malgré sa distance physique, cette partie de la ville ne semble pas ségréguée dans les récits locaux. Grâce aux efforts et à la volonté de la municipalité locale, le développement des infrastructures a considérablement progressé ces dernières années dans ce secteur.

The segregated units of Encs are located on the other side of the railway, far from the centre in the old part of the town which is traditionally Roma and poor. In terms of ethnic composition and infrastructural developments, these village-style neighbourhoods are further differentiated by socio-economic status. In the ‘Béke street’ neighbourhood, most families live in moderate poverty with cultivated gardens and domestic animals. In the ‘Szug’ and ‘Old town’ areas, only a few impoverished families live in dilapidated shanty houses. Due to its orderly exterior and in spite of its physical distance, this part of the town does not appear segregated in local narratives. As a result of the efforts and willingness of the local municipality, the status of this area has been greatly advanced by infrastructural developments in recent years.

La zone située au-delà de ce quartier, à l’extrémité de la ville, est Fügöd, un espace stigmatisé et criminalisé. Fügöd, qui était auparavant un petit village voisin, a été annexée par la ville dans les années 1970. Aujourd’hui, il n’y a que quelques personnes âgées non-Roms qui résident dans la rue principale, où les maisons sont relativement ordonnées. Sur les trois autres rues du quartier, plus de 350 Roms vivent dans des bidonvilles délabrés. Il n'y a pas de clôtures ou de cours ; la plupart des ménages utilisent l'électricité en se raccordant illégalement au réseau, n'ont pas de salle de bains, de connexion au réseau de distribution et d’évacuation d’eau, ni de chauffage moderne. Les familles vont généralement chercher l'eau des puits publics qui sont fermés de temps en temps. Ce quartier est non seulement éloigné du centre-bourg, mais il se distingue également du reste de la localité par des frontières mentales nettes. Du point de vue des acteurs locaux qui travaillent pour la municipalité et ses institutions, cette zone est un « quartier d'exil » (Wacquant, 2007), une « zone interdite » qui accueille les exclus de la ville (Wacquant, 2007). Afin de tenir les problèmes sociaux et ethniques éloignés des familles ordinaires du centre-bourg, les parties prenantes ont essayé de garder invisibles les familles roms vivant dans ce quartier ségrégué. La visite occasionnelle de familles roms de Fügöd dans le centre-bourg ravive toujours chez les habitants d’Encs la peur liée à leur proximité du lieu stigmatisé. « Dans le magasin, tout le monde voit qui vient de Fügöd et qui vient d'une autre partie de la ville. C’est senti comme un danger. »[8]

The area beyond this neighbourhood, located at the end of the town, is Fügöd, a stigmatised and criminalised space. Previously a small neighbouring village, Fügöd was annexed by the town in the 1970s. Today, there are only a few elderly non-Roma people residing on the Main Street in the middle of the neighbourhood, where houses are relatively orderly. On the rest of the neighbourhood’s three streets, more than 350 Roma live in dilapidated shanty houses. There are no fences or yards; most households use illegally connected electricity and have no bathrooms, plumbing or modern heating. Families usually get water from public wells which are closed from time to time. This neighbourhood is not only distant from the city centre but is also set apart from the town by sharp mental boundaries. From the perspective of local stakeholders that work for the municipality and its institutions, this area is a ”neighbourhood of exile” (Wacquant, 2007), a “no-go-area” that hosts the town’s outcasts (Wacquant, 2007). In order to keep social and ethnic problems at a distance from mainstream families in the town’s centre, stakeholders have tried to keep Roma families living in this segregated neighbourhood invisible. The occasional appearance of Roma families from Fügöd in the town centre always reminds the inhabitants of Encs of the fear related to their proximity to the stigmatised place. “In the shop, everybody recognizes who is from Fügöd and who is from another part of the town. They feel it as danger.”[6]

Carte 1. Les zones ségréguées à Encs

Map 1. Segregated units in Encs

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Source : Encs ITS 2015, p. 129-130.

Source: Encs ITS 2015, p. 129-130.

 

 

Les politiques nationales et leur impact sur les arrangements institutionnels locaux

Domestic policies and their impact on local institutional arrangements

Les deux dernières décennies ont été le théâtre de profonds changements structurels et institutionnels dans le régime des politiques publiques et de l'administration en Hongrie. Les changements institutionnels ont impliqué une prise de distance avec la logique de la « bonne gouvernance », de la coordination horizontale et de « l'État habilitant », au profit d'une compréhension néo-wébérienne du « bon État » fondée sur des hiérarchies et des solutions bureaucratiques (Pálné, 2014).

The last two decades have witnessed pervasive structural and institutional transformations in Hungary’s public policy regime and state administration. Institutional changes entailed a move away from the logic of “good governance”, horizontal coordination and the “enabling state”, towards a Neo-Weberian understanding of the “good state” based on hierarchies and bureaucratic solutions (Pálné, 2014).

Dans le régime de développement sous-national du pays, le mouvement de centralisation a commencé au début des années 2000 avec des restrictions imposées aux acteurs locaux. Au moment de l'adhésion de la Hongrie à l'Union européenne en 2004, la structure organisationnelle et le cadre institutionnel des associations microrégionales – l'ancien cadre organisationnel du développement local et de l'approvisionnement des services – étaient définis par l'État central, qui ordonnait l'établissement de partenariats micro-régionaux polyvalents (PMP). La formation des PMP reposait sur des unités statistiques administratives microrégionales. Les tâches qui leur étaient déléguées consistaient à coordonner la mise à disposition des services d'éducation, de soins de santé et de services sociaux, ainsi qu'à concevoir et à mettre en œuvre des projets de développement régional (Keller, 2011). Le maire du chef-lieu de la micro-région devenait généralement le responsable officiel du PMP – ici, le maire d’Encs – et l’équipe principale (le personnel opérationnel) était recrutée parmi le personnel des associations sectorielles. On observe un tournant majeur en 2010 avec l'arrivée au pouvoir d'un nouveau gouvernement de droite, conservateur, qui commence alors une centralisation intensive de la fabrique des politiques publiques, en retirant les fonctions administratives et exécutives aux municipalités, dans des domaines tels que l'éducation publique, les services de protection de l'enfance et le développement local. Les changements intervenus dans l'administration publique et le système de politique publique du pays ont accru le contrôle bureaucratique de l’État central sur les collectivités locales et réduit leur marge d’autonomie en matière d'approvisionnement des services publics et de développement local (Pálné, 2014).

In the country’s sub-national development regime, centralisation began in the early 2000s with restrictions on local actors. By the time Hungary joined the European Union in 2004, the organisational structure and institutional background of micro-regional associations –the former organisational frame for local development and service provision – were defined by the central state, which ordered the establishment of mandatory multi-purpose micro-regional partnerships (MPMP). The formation of MPMPs was based on statistical administrative micro-regional units and their delegated task was to coordinate the provision of education, health care and social services, and to design and implement regional development projects (Keller, 2011). The mayor of the micro-regional centre usually became the formal leader of the MPMP – in our case the mayor of Encs – and the core team (operative staff) was recruited from the staff of previous sectoral associations. The transformation process switched gears in 2010 with the coming to power of a new conservative/right-wing government that began intensive centralisation in public policy making by pulling administrative and executive functions away from local governments in policy areas such as public education, child welfare services and public administration. Changes in the country’s public administration and public policy system increased bureaucratic control over local governments by the central state and decreased their room for manoeuvre in making autonomous decisions about public service provision and local development (Pálné, 2014).

L’injustice distributive à Encs et dans les localités du district peut être caractérisée par des dysfonctionnements en matière de disponibilité, d’accessibilité et d’abordabilité des services fournis, dont le centre-bourg est bien pourvu, mais qui touchent la périphérie et encore davantage les quartiers marginalisés. En outre, les savoir-faire étant concentrées dans la ville d’Encs, l’accès de la ville aux fonds de développement est beaucoup plus important que dans les villages environnants. Les services offerts dans la localité sont inabordables ou difficiles à atteindre pour ceux qui vivent dans des villages et/ou des quartiers en difficulté, tandis que la qualité des services disponibles est encore plus dégradée dans les villages et/ou les quartiers stigmatisés que dans le centre d'Encs. Les écoles primaires et maternelles y sont moins équipées, les ressources humaines et les compétences du personnel sont souvent insuffisantes, tandis que les bâtiments sont souvent dans un mauvais état, comme le montre l'exemple suivant de la ville et de son quartier marginalisé.

Distributive injustice in Encs and its district settlements can be identified in anomalies of availability, accessibility and affordability of services that are mostly supplied in the town centre but not at its peripheries, nor in marginalised neighbourhoods. In addition, as human capacities are concentrated in the town of Encs, its access to development funds is much higher than in the surrounding villages. Services offered in the town are unaffordable or difficult to reach by those who live in deprived villages/neighbourhoods, and the quality of available services is much worse in stigmatised villages/neighbourhoods than in the centre of Encs. Schools and kindergartens are less equipped, human resources and staff competencies are often inadequate, and buildings are often in bad conditions as highlighted by the following example of the town and its marginalised neighbourhood.

Si les habitants du quartier stigmatisé de Fügöd disposent d’une école primaire et d’une école maternelle, le maintien de ce type de services dans cette partie ségréguée de la ville ne vise pas à en renforcer localement l’accès, mais sert plutôt à contrôler l'accès aux institutions et à empêcher les enfants roms de fréquenter des établissements situés dans le centre-bourg. L’école maternelle située dans le centre d’Encs a été récemment rénovée grâce aux fonds structurels européens. Elle possède une grande cour bien équipée, avec des jeux en plein air pour les enfants. L’établissement annexe qu’elle a à Fügöd[9] est située dans une petite maison qui accueille un nombre croissant d'enfants. La bâtisse a une petite cour avec un sol en terre battue et quelques jeux à l’extérieur. Elle a également fait l’objet d’une rénovation récente, mais grâce à l’aide des maigres ressources de la collectivité locale. En raison de la pénurie de main-d'œuvre enseignante qui touche les écoles maternelles du pays, il est très difficile de trouver du personnel qualifier dans les territoires périphériques, tel que le district d'Encs. À la périphérie de la périphérie, c'est pratiquement chose impossible.

Both an elementary school and a kindergarten are locally available for inhabitants of the stigmatised neighborhood of Fügöd. However, the provision of these services in this segregated part of the town does not aim to strengthen services locally, but rather to control access to institutions and prevent Roma children from Fügöd from attending facilities in the centre of the town. The kindergarten in the centre of Encs is newly renovated using EU Structural Funds, and features a big, well-equipped courtyard with outdoor toys for children. Its member institution in Fügöd[7] operates in a small house with an ever increasing number of children. The house has a small, dirt floor courtyard and a few outdoor toys. This building was also recently renovated, but from meagre local governmental resources. Due to a general labour shortage of kindergarten teachers, it is very difficult to find such professionals at peripheries like the district of Encs. At the peripheries of the periphery, however, it is impossible.

L’école primaire du centre-bourg a toujours été considérée comme une école d’élite dans la région. C'est un bâtiment scolaire moderne récemment construit et partiellement rénové. En raison de sa bonne réputation, l'école est fréquentée par des enfants issus des familles plus aisées habitant les quartiers voisins et n'a jamais eu à souffrir d'un manque d'effectifs. C’est elle qui gère depuis 1980 l’établissement de Fügöd comme une école de rattachement, laquelle accueille des classes primaires de 1 à 4, fréquentées exclusivement par des enfants roms du quartier. Au cours de la dernière décennie, l’école du centre-bourg n’a pas été en mesure de gérer correctement la poursuite de la scolarité des enfants issus des classes primaires ségréguées de Fügöd, en raison de problèmes de comportement et de leurs lacunes scolaires. Par conséquent, la direction de l'école et les responsables municipaux ont décidé « d'aider les enfants » en leur permettant de rester à Fügöd pour effectuer les quatre dernières années de l’école primaire. Une décision qui a fondamentalement signifié le parachèvement de la ségrégation de l'enseignement primaire à l’échelle de la ville d'Encs. En dépit du raisonnement discursif qui sous-tend la « nationalisation » de la gestion des écoles publiques en 2017 – afin d'égaliser les services d'éducation dans tout le pays -, le fossé social et infrastructurel entre la principale institution scolaire du centre et son annexe de Fügöd est frappant. L'école de Fügöd est délabrée et son apparence ne diffère pas beaucoup des masures du quartier. Les salles de classe sont petites, non décorées et équipées de vieux meubles. L’école est surpeuplée et certains enfants sont placés dans des classes à double niveau, ce qui est révélateur de la pénurie en enseignants et personnel compétent (assistants pédagogiques, par exemple). En ville, la demande sociale était forte pour permettre aux écoles « ghetto » de maternelle et primaire de Fügöd de continuer à fonctionner, cela de façon à maintenir à distance les « enfants à problème » des « enfants ordinaires ». « Si ces enfants de Fügöd fréquentaient l'école du bourg, la situation serait explosive. »[10] L’interaction complexe de la marginalisation spatiale, sociale et ethnique se lit en creux dans l'approvisionnement en services publics et le « mérite » pour accéder aux ressources de développement.

The elementary school in the town centre has always been considered an elite school in the region. It is a newly built, partly renovated modern school building. Due to its good reputation, the school has been well-supplied with children from better-off families from the neighbouring settlements and has never suffered from a lack of students. Its member institution with primary classes (grades 1-4) has operated in Fügöd since the 1980s, taking exclusively Roma children from the neighbourhood. In the last decade, the town school was unable to handle the behavioural problems and low knowledge base of the children arriving from the segregated primary classes of Fügöd to the upper four grades. Therefore, the school leadership and decision makers at the municipality decided to “help the children” by starting the upper four grades at the Fügöd school as well. In essence, this meant the completion of the segregation of elementary education in the town of Encs. Despite the discursive reasoning behind the “nationalisation” of public school maintenance in 2017 – to equalize education services in the whole country – the social and infrastructural gap between the main school institution in the centre and its division in Fügöd are striking. The school building in Fügöd is run-down, not significantly different from the shanty houses of the neighbourhood. The classrooms are small, undecorated and equipped with old furniture. The school is overcrowded and some children study in parallel classes (i.e. two classes in one room taught by the same teacher), which is indicative of the shortage of teachers and competent staff (e.g. pedagogical assistants). There has been a strong social expectation in the town to keep the “ghetto” school and kindergarten in Fügöd operational, thus keeping “problematic children” away from “regular” children in the rest of the town. “It would be an explosion if those children from Fügöd appeared in the town school.”[8] The complex interplay of spatial, social and ethnic marginalisation is thus reflected in the provision of public services and “worthiness” for development resources.

 

 

Possibilités et contraintes d'un développement fondé sur le lieu dans un quartier stigmatisé

Possibilities and constraints of place-based development in a stigmatised neighbourhood

Après la réintroduction du district comme unité d’administration publique, les collectivités locales du district d'Encs ont décidé de conserver leur PMP actuel en ce qui concerne la présence de l'aide sociale. Le personnel opérationnel du PMP a été intégré dans différents services de la collectivité locale d’Encs et gère des programmes de développement micro-régionaux tels qu’« Une chance pour les enfants ! ». L'objectif principal de ce programme était d'améliorer les conditions de vie des enfants confrontés à des difficultés socio-économiques en agissant sur la qualité et l'accessibilité des services existants, et en transformant les institutions locales de manière à fournir un accès équitable aux services de protection de l'enfance. En raison du grave désinvestissement de l’État hongrois des politiques d'éducation publique et de protection de l’enfance[11], des manquements ont été constatés dans la mise à disposition et la prestation de services dans tout le pays, mais particulièrement dans les localités en difficulté, sous dotées en matière de capacités humaines et financières. En raison des bas salaires dans les secteurs de l'éducation et de la protection sociale, ainsi que des problèmes sociaux de plus en plus présents dans la localité, le district d'Encs lutte depuis plus de dix ans contre l'émigration de son élite (enseignants, professionnels de l'enfance et du secteur social). « Une chance pour les enfants ! » visait à combler de telles lacunes dans les services existants et, bien que ciblant officiellement les enfants confrontés à des difficultés socio-économiques le programme a été « traduit » comme « un énième programme pour les Roms » par certaines parties prenantes dans un contexte discursif local façonné par le racisme anti-Roms.

In the district of Encs, local governments decided to keep their existing MPMP for providing social care services in member settlements after the reintroduction of public administration districts. The operative staff of the MPMP was integrated into different departments of the town’s local government, and runs micro-regional development programmes such as Give Kids a Chance. The central goal of Give Kids a Chance was to improve living conditions for disadvantaged children by enhancing the quality and accessibility of existing services and transforming local institutions to provide equitable access to child welfare services. Due to serious disinvestment of public education and child welfare policies[9] by the Hungarian state, inefficiencies in service provision and delivery have been prevalent in the whole country, but especially in deprived localities with low human and financial capacities. As a result of low salaries in the education and social care sectors and mounting social problems in the locality, the district of Encs has struggled with the outmigration of its elite (teachers, child welfare and social care professionals) for over a decade. Give Kids a Chance intended to fill such gaps in existing services, and although it officially targeted disadvantaged children, the programme was “translated” as “just another Roma programme” by some stakeholders in the context of local narratives determined by Roma-phobia.

Lutter pour tempérer les relations de pouvoir à une autre échelle

Struggling to temper power relations on a different scale

Le bureau « Une chance pour les enfants ! » (ci-après dénommé « le bureau ») a été mis en place au sein du PMP pour la gestion du programme. Son personnel était composé de professionnels de l’éducation et du secteur social qui faisaient partie du personnel opérationnel du PMP depuis une vingtaine d’années, et qui avaient développé à l’échelle locale les compétences, les savoirs et l’ancrage nécessaires grâce à leur participation à de nombreux projets de développement. Leurs réseaux personnels et professionnels étendus garantissaient la représentation de tous les secteurs publics pertinents pour le bien-être des enfants – éducation, protection sociale et santé – et leur permettaient de recourir à des formes de délibération plus lâches et ascendantes dans la conception et la mise en œuvre du programme.

The Give Kids a Chance Office (referred to here as “the Office”) was set up within the MPMP for the management of the programme. The staff of the Office consisted of education and social care professionals who were part of the operative staff of the MPMP for two decades and had developed project competencies, local knowledge and embeddedness through involvement in numerous development projects. Their extended personal and professional networks ensured the representation of all policy sectors relevant for children’s well-being – education, social care and healthcare – and enabled them to rely on less formal and bottom-up deliberation in the planning and implementation of Give Kids a Chance.

La coordination du programme au niveau micro-régional a également été facilitée par l'État central grâce à un schéma de programme prioritaire. Celui-ci a été coordonné par un consortium composé du ministère des Ressources humaines, de l'Académie hongroise des sciences (AHS) et du Service hongrois des œuvres de bienfaisance de l'Ordre de Malte (familièrement dénommé « Málta », comme ci-après dans le texte). Dans le district d’Encs, Málta était chargé d’apporter un soutien méthodologique et de piloter l’élaboration et la mise en œuvre de programmes locaux, tandis que l’équipe de recherche de l’Académie fournissait travaux universitaires, enquêtes et analyses statistiques en appui de ce travail. Au cours de la phase de conception, les accompagnateurs ont notamment eu pour tâche de faciliter la planification locale par le biais d’événements participatifs visant à évaluer et à adapter les besoins locaux et microrégionaux aux principaux dispositifs du programme. Au cours de la mise en œuvre, les accompagnateurs devaient soutenir professionnellement et méthodologiquement les responsables locaux de la mise en œuvre du programme, assurer le contrôle de la qualité et, si nécessaire, seconder le personnel opérationnel des micro-régions dans les tâches administratives.

The coordination of the programme at the micro-regional level was also facilitated by the central state through a priority programme scheme. It was coordinated by a consortium between the Ministry of Human Resources, the Hungarian Academy of Sciences (HAS) and the Hungarian Charity Service of the Order of Malta (or Málta, as they are called colloquially, and as we will call them hereafter in the text). In the district of Encs, Málta was responsible for methodological support and mentoring during local programme development and implementation, while the research team of HAS supported this mentoring with academic research such as surveys and statistical analysis. In the planning phase, mentors’ duties included the facilitation of local planning through participatory events to assess and adapt local and micro-regional needs to overall programme components. During implementation, mentors were expected to provide professional and methodological support for local implementers, to ensure quality control, and if necessary, to help the operative staff in micro-regions in administrative affairs.

Le schéma prioritaire devait suivre une approche fondée sur le lieu dans laquelle le cadre institutionnel formel aurait été reformulé selon les savoirs locaux en adaptant le programme aux besoins locaux. Le cadre institutionnel a cependant généré des voies de communication formelles et descendantes entre les niveaux politiques supérieurs et les opérateurs locaux. L'État central communiquait de plus en plus avec le niveau local par le biais de réglementations strictes, dans lesquelles il définissait à la fois les éléments de programme que le niveau local devait mettre en œuvre, ainsi que les exigences relatives à la manière de les mettre en œuvre. Les plates-formes de remontée d’information étaient également basées sur des solutions unilatérales et hiérarchisées. Les opérateurs locaux étaient ainsi tenus de fournir des données très détaillées sur les participants au programme, en remplissant des feuilles de renseignement en ligne, ce sans mécanisme de suivi transparent de l’acheminement de ces données ni sans possibilité d’interagir avec l'État central. En l'absence de plate-forme de coordination verticale et non hiérarchique, la mobilisation réussie des riverains participant au programme et les batailles menées au niveau local en lien avec le programme n’étaient pas visibles par l'État central, ce qui a entraîné des réponses mal calibrées de sa part. Sous la pression de procédures de plus en plus bureaucratiques et du manque de voies de remontée d'informations, l'informalité a paradoxalement envahi l'ensemble du programme. Les personnes chargées du pilotage ont joué parfois le rôle d'intermédiaires entre l’État central et les opérateurs locaux, tandis que d’autres fois, ce sont les opérateurs locaux qui mobilisaient leurs réseaux informels au sein du PMP pour trouver des solutions aux problèmes de coordination et d’approvisionnement.

The priority scheme was expected to be guided by a place-based logic in which the formal institutional framework would be translated through local knowledge, tailoring the programme to local needs. Institutional conditions, however, instigated formal and top-down communication channels between upper policy levels and local stakeholders. The central state increasingly communicated with the local level through strict regulations in which it defined both the programme elements that the local level was to implement and requirements on the way it should implement them. Platforms for feedback from the bottom up were also based on unilateral and hierarchical solutions. Local stakeholders were required to provide meticulously detailed data about programme participants by filling out online feedback sheets without transparent mechanisms for following the path of these data or the opportunity to enter into dialogue with the central state. In the absence of non-hierarchical vertical coordination platforms, the successful mobilisation of local residents participating in the programme, and the struggles at the local level with programme requirements, were invisible for the central state, resulting in misaligned responses from the top. Under the pressure of increasingly bureaucratic procedures and the lack of feedback platforms, informality pervaded the entire programme. Mentors of the priority programme sometimes acted as “the middle-man” between the central state and local stakeholders, while at other times local stakeholders found solutions to coordination and supply problems through their informal contacts in the lively network of the MPMP.

La coordination de la conception du développement micro-régional a suivi deux voies parallèles à Encs : celle des ateliers thématiques organisés par le bureau local pour les opérateurs locaux et les professionnels des services impliqués, et des forums organisés par les accompagnateurs de Málta. Aucun de ces dispositifs n’a réussi à intégrer et à autonomiser les groupes marginalisés dans la mise au point du plan de développement. Les ateliers thématiques étaient en partie des manifestations formelles destinées à répondre aux exigences du programme, mais consistaient également en des manifestations régulières organisées par les opérateurs locaux au niveau micro-régional avec pour objet la planification de projets de développement. Les méthodes et les anciennes pratiques consistant à associer divers acteurs locaux ont été facilement mobilisées à de nouvelles fins dans le programme « Une chance pour les enfants ! », dont le principal impact a été défini par les opérateurs locaux « le renforcement de la coopération professionnelle et des réseaux »[12]. Pourtant, les ateliers thématiques des opérateurs locaux étaient des événements réservés à l'élite intellectuelle locale et qui n'incluaient pas de représentants de la communauté rom.

The coordination of the micro-regional developmental planning in Encs took place on two parallel platforms: thematic workshops organised by the local Office for local stakeholders and service professionals, and forums organised by mentors of Málta. Both platforms failed to integrate and empower marginalised groups in developmental planning. Thematic workshops were partly formal events for fulfilling programme requirements, but on the other hand, they were regular events that local stakeholders regularly organised at the micro-regional level for the planning of development projects. Methods and old practices of associating diverse local actors were easily mobilised for new purposes in the Give Kids a Chance programme, the greatest impact of which was defined by local stakeholders as “the re-strengthening of professional cooperation and networks[10]. However, local stakeholders’ thematic workshops were closed events for the local intellectual elite that did not incorporate representatives of the Roma community.

Outre les ateliers thématiques, le schéma prioritaire du programme « Une chance pour les enfants ! » a également proposé des plates-formes horizontales pour la planification par l'intermédiaire des accompagnateurs de Málta, lesquels ont organisé des discussions en groupe et des réunions publiques informelles. Ils se sont notamment appuyés sur une « méthodologie basée sur la présence » consistant à « jouer ensemble » (Csonkáné, Dusa, Fehér, 2011)[13]. Les retours d’expérience ainsi que les données statistiques de base ont été compilés dans un document stratégique[14], le « Portrait de la micro-région », qui comprenait également des recommandations sur la répartition des dispositions du programme en fonction des besoins identifiés.

In addition to thematic workshops, the priority scheme of Give Kids a Chance also offered horizontal platforms for planning through Málta’s mentors who organised focus group discussions and informal public forums. The latter relied on the “Presence methodology” of “playing together” events (Csonkáné, Dusa, Fehér, 2011)[11]. Experiences from these events along with basic statistical data were compiled in a strategic document[12], Micro-Regional Mirror, which also included recommendations about the distribution of programme components based on identified needs.

Au terme du processus, le personnel du bureau local a harmonisé les résultats des ateliers des opérateurs locaux avec les conclusions du document stratégique et les a compilés dans les documents définitifs. L'équipe du bureau local disposait de peu de marge de manœuvre car ses actions visaient à trouver un équilibre entre les besoins locaux exprimés par les opérateurs locaux, les dispositions obligatoires du programme telles que définis par l'État central, ainsi que les recommandations de Málta compilées dans le document stratégique. Dotés de pouvoirs discrétionnaires informels de la part de l'État central, les accompagnateurs de Málta avaient le mandat d'approuver ou de refuser les décisions locales ayant trait à la conception des programmes microrégionaux, ce malgré le principe original du schéma prioritaire qui consistait simplement à faciliter la prise de décision via des plates-formes collaboratives. En l'absence de droits similaires, le personnel du bureau local a été contraint de coordonner le programme de manière autonome. Le processus a souvent été traversé par des tensions entre les accompagnateurs de Málta, le personnel du bureau local et les responsables de la mise en œuvre du programme, car les opérateurs locaux estimaient souvent que Málta allait au-delà de son rôle de facilitateur, et influençait directement les décisions prises au nom d'intérêts particuliers. Les tensions ont persisté pendant la phase de mise en œuvre entre les représentants de Málta et les opérateurs locaux, ces derniers estimant que leur connaissance approfondie des communautés locales et leur valeur ajoutée étaient marginalisées par les solutions méthodologiques uniformes retenues dans le programme Présence de Málta, alors que leurs accompagnateurs de l’organisation caritative n’assuraient même pas de présence permanente dans la localité.

Eventually, the local Office staff harmonized the results of the stakeholder workshops with findings of the Micro-Regional Mirror and compiled them in the final documents. The local Office team had limited room for manoeuver in this as their actions were guided by striking a balance between local needs expressed by stakeholders and mandatory programme components defined by the central state and the recommendations of Málta compiled in the Micro-Regional Mirror. Endowed with informal discretionary rights by the central state, Málta’s mentors had a mandate to approve or disapprove local decisions on micro-regional programme design, despite the original principle of the priority scheme which was merely to facilitate decision-making based on collaborative platforms. In the absence of similar entitlements, the local Office staff was constrained in coordinating the programme autonomously. The process was often laden with tension between mentors of Málta, the local Office staff and programme implementers, as local stakeholders often felt that Málta went beyond its role as facilitator and directly influenced decisions on behalf of particular interests. In the implementation phase, tensions persisted between representatives of Málta and local stakeholders as the latter felt that their embedded knowledge of local communities and local specificities were sidelined by uniform methodological solutions proposed by Málta’s Presence programme, without their mentors’ actual permanent presence in the locality.

Cette manière de négliger les solutions locales trouve une autre expression dans la façon dont Málta a omis d'inclure les résultats des forums publics dans son document stratégique. Même si l’organisation s’est conformée aux exigences administratives formelles du cadre du programme, l’incapacité de Málta à inclure les conclusions de son forum public avec les Roms locaux peut s’expliquer par des incongruités institutionnelles contenues dans le programme « Une chance pour les enfants ! » : l'évolution du cadre institutionnel a favorisé la volonté de satisfaire les exigences formelles et administratives du projet, plutôt que de favoriser les solutions locales innovantes en faveur de la participation et de l'empowerment. Ainsi, « aucun Rom n'a jamais été interrogé sur ce qu'il / elle voulait, sur ce dont il / elle avait besoin. […] Dans la plupart des micro-régions, les acteurs locaux des services de soins et d'éducation se sont assis autour d’une table et ont planifié seuls le programme. »[15] Les relations horizontales et les remontées d’expériences fonctionnaient bien parmi les acteurs locaux qui ont façonné le programme local en fonction des évaluations institutionnelles, tandis qu’il n’existait pas de plates-formes verticales entre les « concepteurs de projets » et le groupe cible.

Neglecting local solutions can also be seen in the way Málta failed to include the findings of public forums in the Micro-Regional Mirror. Although it complied with formal administrative requirements of the programme framework, Málta’s failure to include its public forum findings with local Roma can be explained by institutional incongruities within Give Kids a Chance: changing institutional conditions favoured the fulfilment of formal and administrative project requirements rather than innovative local solutions for participation and empowerment. As a result, “[n]ot a single Roma has ever been asked anywhere about what she/he wants, what she/he is in need of. […] In most micro-regions, local stakeholders of the care and education services sat down and planned the programme.”[13] Horizontal relations and feedback loops functioned well among local stakeholders who shaped the local programme according to institutional assessments. Vertical platforms between “project shapers” and the target group, however, did not exist.

La manière dont les opérateurs locaux et les accompagnateurs de Málta ont échoué à donner aux familles roms en situation de pauvreté la possibilité de participer à la planification du développement est le reflet d'un « abandon attentif » que l’on peut généraliser aux Roms marginalisés. Dans cette relation, les Roms et les quartiers dans lesquels ils habitent sont des leviers permettant aux élites locales d'accéder aux fonds européens et de générer des ressources dans un cadre institutionnel qui supprime les compétences et les moyens financiers au niveau local. Lorsque des groupes sociaux en difficulté et des Roms sont visés par un programme tel qu’« Une chance pour les enfants ! », ils restent des « bénéficiaires » muets, sans participation ni voix au chapitre. La nature des relations sociales au sein des communautés roms limite souvent la mobilisation des liens de proximité (Putman, 2000) pour assurer leur représentation dans les réseaux politiques nationaux. De manière générale, l’absence de prise de parole des Roms lors de l'élaboration des politiques nationales et locales est renforcée par l’accaparement des organes autonomes de représentation des minorités roms (OAMR) par les partis politiques, par des relations de pouvoir inégales entre ces organes et les collectivités locales (Szalai, 2015), le tout pris dans une trame de coopération informelle et clientéliste. Dans le même ordre d'idées, le OAMR local d'Encs, considéré comme le représentant officiel et élu de la communauté rom locale, n'a pas été en mesure ni de définir, ni de représenter les intérêts de cette communauté auprès des institutions locales et lors des prises de décision politiques. Bien que les relations et la coopération entre la collectivité locale et le OAMR soient équilibrées au niveau officiel, l’organisation est restée invisible auprès de la communauté rom ségréguée de Fügöd, ce qui reflète la fragmentation de la communauté rom par classe sociale et par statut. La représentation des Roms n’était donc pas seulement limitée par les perceptions de la société majoritaire, mais également par la distance entre les dirigeants roms et ces groupes vulnérables. Partant de là, les communautés marginalisées vivant dans des quartiers stigmatisés tels que Fügöd n’avaient pas de voix au chapitre dans la conception et la mise en œuvre du programme « Une chance pour les enfants ! »

The way both local stakeholders and mentors of Malta failed to empower impoverished Roma families to participate in developmental planning is a reflection of a general “caring abandonment” of marginalised Roma. In this relationship, the Roma and their deprived neighbourhoods are instruments for the local elite to access EU funds and generate resources in an institutional framework that withdraws functions and resources from the local level. When disadvantaged groups and Roma are targeted by a programme, such as Give Kids a Chance, they stand as voiceless “beneficiaries” without participation and deliberation. Social relations within Roma communities often constrain the mobilisation of bridging ties (Putman, 2000) for representation in domestic policy networks. The general lack of Roma voice in domestic and local policy-making is enhanced by the seizing of Roma Minority Self-Governments (RMSG) by party politics, unequal power relations between RMSGs and local governments (Szalai, 2015), and informal, clientelistic cooperation patterns between them. In the same vein, the local RMSG in Encs, as the official and elected representatives of the local Roma community, has been unable to frame and represent the interests of that community at local institutions and in policy decisions. Although relations and cooperation between the local government and the RMSG is balanced in terms of official cooperation, the organisation remained invisible to the Roma community in segregated Fügöd, which is a reflection of the fragmentation of the Roma community by social class and status. The representation of the Roma was thus not only limited by mainstream society’s perceptions, but also by the dissociation of Roma leadership from vulnerable groups. As a result, marginalised communities living in stigmatised neighbourhoods such as Fügöd had no voice in the planning and implementation of Give Kids a Chance.

Équité ou égalité ?

Equity or equality?

Bien que le programme n'ait pas réussi à donner aux Roms locaux les moyens de revendiquer une répartition équitable des services de protection de l'enfance, l'allocation des ressources et la répartition des dispositions du programme étaient plus ou moins équilibrées entre le centre du district et ses périphéries. Le bureau local s’est efforcé de distribuer des services et des ressources aux communautés les plus marginalisées. Par exemple, à Encs – en plus de nombreux autres services attribués au centre-bourg – deux antennes sociales (Sure Start Houses) ont été créées pour fournir des services d’éducation de la petite enfance. L'un a été implanté dans le quartier ségrégué autour de la rue Béke, tandis qu'un autre, reflétant la fragmentation de la communauté rom locale, a été installé à Fügöd, afin de rendre accessibles les services disponibles sur place. Cela peut s'expliquer par l'inscription du personnel du bureau dans des réseaux professionnels et personnels denses à l’échelle du district.

Despite the programme’s failures to empower local Roma to make claims for a fair distribution of child-welfare services, resource allocation and the distribution of programme elements were more or less balanced between the district centre and its peripheries. The local Office put efforts into distributing services and resources to the most marginalised communities. For example, in Encs – in addition to many other services allocated to the centre – two Sure Start houses were established to provide early childhood educational services. One was in the segregated neighbourhood of “Béke street”, while another, as a reflection of the fragmented local Roma community, was established in marginalised Fügöd in order to make services available locally. This can be explained by the Office staff’s embeddedness in thick professional and personal networks within the entire district.

« Le projet comportait de nombreuses dispositions obligatoires […] que nous devions mettre en œuvre, que cela nous plaise ou non. Mais nous avons quand même réussi à intégrer les demandes locales dans l’offre finale tout en répondant aux exigences. […] Nous avons joué le jeu de l’égalité ; nous ne faisions pas de différences entre les écoles maternelles et nous avons essayé d’implanter les mêmes services partout. »

“The project had lots of mandatory elements […] that we had to implement whether we liked it or not. But we still managed to put local requests in the final tender in a way that fulfilled the requirements. […] We played equal; for us all kindergartens were the same, we tried to bring in the same services everywhere.”

En raison de la rareté relative des ressources financières dans le programme « Une chance pour les enfants ! » et d'autres contraintes structurelles telles que le manque de professionnels et de ressources supplémentaires en infrastructures dans les villages les plus démunis, ces mécanismes égalitaires ont prévalu sur la manière dont ont été réparties les dispositions du programme fondée sur l'équité. Des carences structurelles ont souvent paralysé le programme et ne lui ont permis que temporairement de palier aux services sur lesquels l'État central s’était désengagé. Le programme représentait ainsi une bouffée d’air frais pour les communautés marginalisées et réanimait temporairement des services de protection de l'enfance hélas très faibles que les collectivités locales ont eu du mal à maintenir une fois le programme terminé.

Due to the relative scarcity of financial resources in Give Kids a Chance, and other structural constraints like the lack of professionals and additional infrastructural resources in the most deprived villages, such equalizing mechanisms prevailed over equity-based allocation of programme components. Structural deficiencies often paralyzed the programme and enabled Give Kids a Chance to only temporarily supplement missing services that the central state had withdrawn. The programme thus represented an oxygen tube for marginalised communities, and temporarily resuscitated tragically weak child welfare services that local governments struggled to maintain once the programme ended.

L'évolution et la disparition de l’antenne sociale de Fügöd illustrent la manière dont les contraintes structurelles du système institutionnel ont favorisé la reproduction d’inégalités socio-spatiales complexes à partir d’une intervention fondée sur le lieu. La communauté rom de Fügöd avait non seulement subi des préjugés au niveau local pendant des décennies, mais elle avait également été abandonnée par Málta au cours de la mise en œuvre du programme, en raison de capacités d’accompagnement insuffisantes allouées dans le programme. Bien que l’antenne sociale ait réussi à mobiliser les familles roms dans un premier temps, la municipalité d’Encs a eu du mal à trouver du personnel compétent une fois le personnel en poste parti. Deux travailleurs sociaux ont finalement été embauchés et ont commencé à représenter les intérêts de Fügöd vis-à-vis des opérateurs locaux. Le personnel a également créé des réseaux au sein de la communauté rom et a réussi à mobiliser à nouveau les familles. Cependant, leur tentative n'a pas réussi à créer des liens avec décideurs et les réseaux professionnels des institutions locales (écoles maternelles et primaires, services de protection de l'enfance, infirmières à domicile et professionnels de l'éducation spécialisée). En l'absence d'incitations institutionnelles pour une distribution équitable des services et en raison de contraintes structurelles en matière d’allocation des ressources, les opérateurs locaux n'ont pas, et ne pouvaient de toutes façons pas, fournir au personnel les ressources nécessaires pour offrir des services équitables à Fügöd. Les perceptions locales liées aux « Roms non méritants » à Fügöd ont été réactivées en 2017 lorsqu'un conflit local a éclaté, en raison d’un don de denrées alimentaires par un organisme externe installé dans les locaux de l’antenne sociale. La municipalité a pu facilement s’appuyer là-dessus pour justifier la fermeture de l’antenne sociale au sein du quartier ségrégué, tout en maintenant l’autre établissement situé « en ville ».

The evolution and demise of the Sure Start House in Fügöd is illustrative of the way structural constraints of the institutional system enhanced the reproduction of complex socio-spatial inequalities through a place-based intervention. The Roma community in Fügöd had not only faced local prejudices for decades, but was also abandoned by Málta during programme implementation as a result of insufficient capacities for mentoring allocated in the programme. Although the House was initially successful in the mobilisation of Roma families, the local government of Encs struggled to find competent staff once the head staff left. Two social workers eventually took the position and began to represent Fügöd’s interest vis-à-vis local stakeholders. The staff also built networks within the Roma community and managed to mobilise families again. However, their attempt failed to connect to decision makers and professional networks in local institutions (kindergartens, schools, child welfare services, home visiting nurses and special education professionals). In the absence of institutional incentives for equitable service distribution, and under structural constraints of resources, local stakeholders did not and could not provide the staff with the resources they needed to offer equitable services in stigmatised Fügöd. Local perceptions attached to the “non-deserving Roma” in Fügöd were reanimated in 2017 when a local conflict broke out which was generated by a food donation from an external organisation on the premises of the House. At this point, it was easy for the local government to explain the shutting down of the Sure Start House in the stigmatised neighbourhood but to hold on to the other Sure Start service “in the town”.

 

 

Conclusion

Conclusion

Les résultats de cette étude suggèrent qu'en l'absence d'incitations institutionnelles émanant du champ politique national, le programme « Une chance pour les enfants ! » a progressivement perdu son caractère fondé sur le lieu, et n’est pas parvenu à renforcer les capacités locales de fabrication institutionnelle qui aurait pu garantir une distribution équitable des services de protection de l'enfance ainsi qu’une participation aux prises de décision. Au lieu de déclencher un changement institutionnel permettant de remettre en cause le statu quo local fondé sur les préjugés et la stigmatisation, et en raison de l'absence d'impulsions institutionnelles en matière de justice spatiale vis-à-vis de l’échelon local, le programme a au contraire renforcé les hiérarchies existantes, la fragmentation des réseaux sociaux et l’inégal accès aux services publics.

Findings in this study suggest that in the absence of institutional incentives from the domestic policy field, the Give Kids a Chance programme gradually lost its place-based character and failed to enhance local capacities for institution-building to guarantee equitable distribution of child-welfare services and participative local decision-making. Instead of triggering institutional change to challenge the local status quo based on prejudices and stigmatisation, in the absence of institutional expectations vis-à-vis the local level for spatial justice, the programme enhanced existing local hierarchies, fragmented social networks, and unequal access to public services.

Le programme n’aurait pu soulager que temporairement les communautés marginalisées en leur donnant accès aux services de protection de l'enfance et en atténuant les dysfonctionnements générés par la structure institutionnelle bureaucratique des politiques de protection de l'enfance. L'échec de cette intervention fondée sur le lieu en matière de correction des aspects distributifs et procéduraux de l'injustice spatiale au niveau local, est dû à l'absence de politiques nationales bien définies, ainsi qu’au manque d'arrangements institutionnels adaptés aux logiques de modes de gouvernance moins hiérarchiques appliquant les principes de distribution de l’autorité, d’intégration et de partenariat.

The programme could only provide temporary relief for marginalised communities in accessing child-welfare services, and alleviate scarcities fed by the dysfunctional bureaucratic institutional structure of child-welfare policies. The failure of this place-based intervention to change distributive and procedural aspects of spatial injustice at the local level was due to the lack of well-defined domestic policies and institutional arrangements suited to the logics of less hierarchical modes of governance applying principles of distributed authority, integration and partnership.

Les changements intervenus dans l'administration publique et le système politique du pays ont eu un impact considérable sur la gouvernance du programme « Une chance pour les enfants ! ». Le fait de supprimer les compétences et les moyens des collectivités locales a eu un effet dévastateur pour les localités et les régions caractérisées par un départ important de leurs élites professionnelles qualifiées. La transformation du cadre national de définition des politiques publiques a influencé le contenu et la légitimité du programme, et a limité la capacité de l’échelon local à prendre des décisions autonomes concernant ses propres objectifs de développement. Les changements ont laissé moins de marge de manœuvre aux opérateurs locaux, tout en introduisant un contrôle bureaucratique croissant sur la mise en œuvre du programme. En l'absence d'un cadre institutionnel basé sur une coordination politique non hiérarchisée et une vision à long terme de la justice spatiale en matière de protection de l'enfance, le programme « Une chance pour les enfants ! » n'a pas provoqué les profonds changements institutionnels attendus en matière de justice spatiale au niveau local.

Changes in the country’s public administration and public policy system had a pervasive impact on the governance of the Give Kids a Chance programme. Stripping local governments of functions and resources was devastating for settlements and regions characterised by heavy outward migration of their competent professional elite. Transformation of domestic framework conditions influenced the content and legitimacy of the programme and curtailed the capacity of the local level to make autonomous decisions about its own developmental goals. Changes left less room for manoeuver for local incumbents while introducing increasing bureaucratic control over programme implementation. In the absence of an institutional framework based on non-hierarchical policy coordination and a long-term vision about spatial justice in child welfare, Give Kids a Chance came short of triggering more pervasive institutional changes dedicated to spatial justice at the local level.

En définitive, l’initiative « Une chance pour les enfants ! » a montré que les programmes de développement menés par projet ne pouvaient pas combler les lacunes des services publics en raison du désinvestissement des États nationaux en matière de protection sociale. Dans le district d’Encs, l’interaction complexe entre les capacités locales, les relations sociales locales (y compris les préjugés cristallisés et les frontières sociales à l’intérieur des institutions locales), ainsi que l’absence d’incitations institutionnelles de la part de l’État ont contribué à l’échec de la mise en œuvre du principe de justice spatiale dans le programme « Une chance pour les enfants ! ». Les principaux mécanismes à l'origine de l'injustice spatiale à l’échelle d’Encs étaient fondés sur les dépendances hiérarchiques d'une variété d'acteurs locaux. La situation de dépendance dans laquelle se trouvent les sites et les quartiers de petite taille vis-à-vis du centre du district et des ressources externes a entravé l'émergence de relations fondées sur le dialogue et le partenariat. Le rôle prépondérant des collectivités locales dans les processus de développement, ainsi que l'absence de visions divergentes en matière de développement résultaient de la faiblesse d’une société civile locale qui aurait pu remettre en cause les hiérarchies et les relations sociales existantes. Dans ces circonstances, ce sont les perceptions d'injustice sociale et spatiale et de relations de pouvoir inégales qui déterminent les effets du développement. Les dépendances hiérarchiques impliquent également des contraintes en matière de représentation des groupes marginalisés dans la conception et la mise en œuvre d'interventions fondées sur le lieu. L’injustice procédurale des groupes marginalisés qui n’ont pas la possibilité de faire valoir les objectifs et les méthodes du programme « Une chance pour les enfants ! », que cela se fasse à travers des acteurs externes ou locaux, est révélatrice du manque général de répartition équitable des ressources pour le développement dans des localités peuplées en majorité par des Roms.

Ultimately, Give Kids a Chance showed that project-based development programmes cannot fill gaps in service provision caused by the disinvestment of domestic states in welfare policies. In the district of Encs, the complex interplay between the capacities of the local level, local social relations (including solidified prejudices and social boundaries in local institutions), and the lack of institutional incentives of the policy regime, contributed to the failed implementation of spatial justice in Give Kids a Chance. The main mechanisms that drove spatial injustice in Encs were the hierarchical dependencies of a variety of local actors. The dependent position on the district centre and on external resources by the small settlements and neighbourhoods disabled relationships based on dialogue and partnership. The dominant role of local governments in development processes, and the absence of competing developmental visions, were the result of a general lack of local civil society which could challenge existing hierarchies and social relations. Under these circumstances, the perceptions of social and spatial injustice and unequal power relations determine developmental outcomes. Hierarchical dependencies also mean constraints for the representation of marginalised groups in the design and implementation of place-based interventions. The procedural injustice of marginalised groups not being given a chance to make claims about the goals and methods of the local Give Kids a Chance, either by external or by local actors, is indicative of the general lack of equitable distribution of developmental resources to localities inhabited overwhelmingly by Roma.

Cette étude montre que, bien que les États nationaux « ne sachent pas mieux », ces derniers restent d'importants intermédiaires au sein des modes de gouvernance fondés sur les lieux, grâce notamment à leur capacité de fixer les règles. La littérature qui lui est consacrée semble ainsi avoir oublié l'État – qui reste l'entité qui définit les paramètres du cadre institutionnel national et filtre les exigences des programmes de l'Union européenne. Cela a eu pour effet de fausser l'approche fondée sur lieu vis-à-vis des conditions endogènes, et de négliger les conditionnalités externes qui permettent, ou non, la mise en œuvre de telles politiques. En ce qui concerne la politique de cohésion, les relations contractuelles entre la Commission et les États membres laissent une marge de manœuvre à ces derniers pour tenir compte de leurs particularités politiques nationales. Notre étude montre que cela ne repose pas sur une « relation vertueuse » entre les échelles de coordination des politiques et un État bienveillant, mais plutôt sur des systèmes hiérarchiques de gouvernance interne, qui fait que ce type d'intervention a alors de faibles capacités pour mettre en œuvre la justice spatiale à l’échelle locale.

This study shows that although domestic states “do not know best”, they are still important intermediaries of place-based governance modes through the framework conditions that they set in domestic policy regimes. The place-based literature, however, seemed to have forgotten about the state – the entity that defines parameters of the domestic institutional framework and filters EU programme requirements. This resulted in a skewed focus of the place-based approach on endogenous conditions and neglect of external conditionalities that enable or disable place-based policy implementation. In Cohesion policy, the contractual relationship between the Commission and Member States gives leeway to the latter for accommodating the particularities of domestic policy regimes. Our study documents that if this is not based on a “virtuous relationship” between scales of policy coordination and a benevolent state, but rather on hierarchical systems of domestic governance, then place-based interventions have weak capacities for implementing spatial justice at the local level.

[1]. Voir Introduction pour une explication par les éditeurs de ce numéro spécial (Blondel et Evrard) du choix fait pour la traduction du terme « place-based approach » en français.

[1]. Child poverty has been indexed in Hungary by the “disadvantaged child” indicator, which refers to parents’ employment status, qualifications and housing conditions. Disadvantaged children in Hungary are eligible for both monetary and in-kind benefits (Bauer et al., 2015).

[2]. En Hongrie, la pauvreté infantile est mesurée par l'indicateur « enfant défavorisé », qui fait référence à la situation professionnelle, aux qualifications et aux conditions de logement des parents. Les enfants défavorisés en Hongrie ont droit à des avantages monétaires et en nature (Bauer et al., 2015).

[2]. RELOCAL project: Resituating the Local in Cohesion and Territorial Development H2020 Framework project No. of Grant Agreement 727097. The case study can be found at www.relocal.eu.

[3]. RELOCAL a reçu un financement du programme de recherche et d'innovation Horizon 2020 de l'Union européenne au titre de la convention de subvention n° 727097.

[3]. The three-year post-doctoral research project was funded by the Hungarian National Research, Development and Innovation Office.

[4]. Le projet de recherche postdoctoral d'une durée de trois ans a été financé par l'Office national hongrois de la recherche, du développement et de l'innovation.

[4]. A map of segregation is a mandatory element of the Integrated Development Strategy and made by the National Statistical Office based on the national census. Definition of the segregated unit: where the rate of the households with elementary education and without regular income within the active age group is higher than 35% and the territorial unit has a minimum 50 inhabitants.

[5]. Note de la traductrice : La notion d'accountability, c'est-à-dire l'action de « rendre des comptes », est difficile à rendre de manière satisfaisante en français. Pour reprendre la définition proposée par Stéphane Tonnelat et Frédéric Dufaux, il s'agit d'« un principe de gouvernance qui implique une forme de responsabilité comptable et qui s'appuie sur une éthique de la transparence ». Cf. Tonnelat Stéphane, « Un entretien avec Don Mitchell », JSSJ, n°2, 2010 (NdT).

[5]. Interview with a civil activist.

[6]. Une carte de la ségrégation est une pièce obligatoire de la stratégie de développement intégré et est établie par le Bureau national de la statistique sur la base du recensement national. Définition de l'unité ségréguée : où le taux de ménages ayant une éducation élémentaire et sans revenu régulier dans le groupe d'âge actif est supérieur à 35 % et que l'unité territoriale a un minimum de 50 habitants.

[6]. Interview with a programme participant.

[7]. Entrevue avec un militant associatif.

[7]. Education and social provisions can have “member institutions” that function as divisions of the organisation in another geographical location. Member institutions are financially and administratively not autonomous.

[8]. Entrevue avec un participant du programme.

[8]. Interview with a municipality officer.

[9]. Les dispositifs éducatifs et sociaux peuvent avoir des « établissements annexes » qui fonctionnent comme des divisions de l’organisme dans un autre lieu géographique. Les établissements annexes ne sont pas autonomes sur le plan financier et administratif.

[9]. According to the OECD, Hungary spent 0. 78% of its GDP on primary education and 0. 86% on early childhood education in 2018.

[10]. Entretien avec un employé municipal.

[10]. Interview with programme participant.

[11]. Selon l'OCDE, la Hongrie a consacré 0,88% de son PIB à l'enseignement primaire et 0,86% à l'éducation de la petite enfance en 2018.

[11] The methodology of the Presence programme was originally developed by Málta as a social care programme in the segregated neighbourhood of a small town in Hungary. It is based on the permanent presence of social workers and their daily encounters and conversations with local residents which help to build deep personal relations between the residents and social workers.

[12]. Entretien avec un participant du programme.

[12] The preparation of this document was mandatory for all micro-regions that participated in Give Kids a Chance.

[13]. La méthodologie du programme « Présence » a été développée à l'origine par Málta en tant que programme d'aide sociale dans un quartier ségrégué d'une petite ville de Hongrie. Il repose sur la présence permanente de travailleurs sociaux ainsi que sur leurs rencontres quotidiennes et leurs conversations avec les riverains, ce qui permet d’établir des relations personnelles profondes entre les résidents et les travailleurs sociaux.

[13] Interview with programme participant.

[14]. La préparation de ce document était obligatoire pour toutes les microrégions ayant participé au programme « Une chance pour les enfants ! »

[15]. Entretien avec un participant du programme.

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