Solidarité, espace et « race » : vers des géographies de la justice alimentaire

Solidarity, space, and race: toward geographies of agrifood justice

Nous tenons à remercier les coordinatrices pour la publication de notre article dans ce numéro thématique, ainsi que les deux évaluateurs anonymes pour leurs suggestions utiles. Certaines parties de cet article ont été adaptées de deux publications antérieures (Slocum et Cadieux, 2015; Cadieux et Slocum, 2015) ; nous développons ici une analyse de l'espace social de la justice alimentaire. Une première version de ce travail a été soumise aux membres du Agrifood Reading Group de l'Université du Minnesota ; leurs critiques ont contribué à améliorer le texte final. Nous remercions Aurélie Gilles, qui a traduit la première version, Alex Silverman qui a traduit la version améliorée, et Camille Hochedez et Julie Le Gall qui ont corrigé la version finale.

We wish to thank the editors for including our paper in the special issue and two anonymous reviewers for their helpful suggestions. Portions of this paper have been adapted from two earlier works (Slocum and Cadieux, 2015; Cadieux and Slocum, 2015); here, we develop an analysis of the social space of food justice. A draft of this work was circulated among the members of the Agrifood Reading Group at the University of Minnesota, whose critiques we used to improve the final paper. We thank Aurélie Gilles, who translated the first draft, Alex Silverman, who translated our amendments to it, and Camille Hochedez and Julie Le Gall, who translated the last draft.

 

 

Introduction

Introduction

Les aspects spatiaux de l’approvisionnement alimentaire occupent une place centrale dans le discours et la pratique du food movement américain[1]. Avec les circuits courts, qui s’incarnent dans les projets d’approvisionnement local pour la restauration collective ou les marchés fermiers, le food movement vise à « relocaliser » le système alimentaire. L'échelle locale est censée être écologiquement plus viable, économiquement autonome et responsable[2]. La responsabilisation découle des relations de confiance établies entre les producteurs, les transformateurs, les détaillants et les consommateurs (Galli et Brunori, 2013). Dans ce contexte, sont mis en avant les projets urbains qui visent l'accès à l'alimentation (cours de cuisine, épiceries mobiles, marchés de producteurs, jardinage), car ils semblent répondre aux enjeux relatifs à l’amélioration de l'accès à des aliments sains.

The spatial aspects of food provisioning have been central to U.S. food movement discourse and practice. In shorter supply chains, realized through farm-to-institution programs and farmers’ markets, the food movement seeks to “re-localize” the food system. The local scale is imagined as more ecologically viable, economically self-sustaining, and accountable[1]. Accountability is derived from the trust relationships established among producers, processors, retailers, and consumers (Galli and Brunori, 2013). Urban projects to make food more accessible (cooking classes, mobile groceries, farmers’ markets, gardening) are celebrated because they appear to address access to healthy food.

Ce qui a été appelé le « fétichisme du local » de ce mouvement a été critiqué rigoureusement, car l’idée ne permet pas de comprendre le rôle des relations de pouvoir dans la production de tous les lieux (Dupuis et Goodman, 2005). Il est très clair que le système alimentaire dominant fonctionne selon des hiérarchies sociales fondées sur la dépossession raciale, la féminisation de la pauvreté et l'exploitation de classe - autant de processus socio-spatiaux que certains chercheurs ont mis en exergue Mitchell, 1996). Pourtant, les espaces politiques investis par food movement restent en général insensibles aux questions raciales et sont tournés vers une économie de marché, en privilégiant les consommateurs, les endroits où ils mangent et où ils font leurs courses (Allen, 2003). Malgré une forte volonté de créer et d’investir des espaces alimentaires plus équitables, le food movement omet souvent de lutter contre les inégalités de race, de classe et de genre existantes, et peut même contribuer à les renforcer (Clancy, 1994 ; Freidburg, 2003). Cette critique, venant d'universitaires et de militants, est de plus en plus reconnue comme une forme d’appel à la « justice alimentaire »[3].

What has been called the movement’s ‘local fetish’ has been thoroughly critiqued for its failure to understand how all places are created through relations of power (DuPuis and Goodman, 2005). It is abundantly clear that the dominant food system functions through social hierarchies built on racial dispossession, the feminization of poverty and class exploitation – all socio-spatial processes as scholars have pointed out (Mitchell, 1996). Yet the spatial politics of the mainstream food movement is colorblind and market-oriented, privileging consumers and the places they eat and shop (Allen, 2003). Despite the strong desire to create and inhabit more equitable food spaces, the food movement often does not confront, and instead may reinforce, existing race, class, and gender inequalities (Clancy, 1994; Freidburg, 2003). This critique, coming from scholars and activists, has become increasingly recognized as a call for ‘food justice’[2].

Actuellement, divers publics se réclament des grands principes de la justice alimentaire à travers le monde, même s'ils utilisent des termes différents issus de courants de pensée variés. En tant qu’idéal, la justice alimentaire constitue une critique radicale du capitalisme, du néo-libéralisme, du colonialisme, du racisme systémique et du patriarcat, empruntant ses idées à des champs divers mais pourtant liés : ceux de la souveraineté alimentaire, de la démocratie alimentaire, de la solidarité alimentaire, de la justice alimentaire féministe et du commerce équitable (voir par exemple la fair food campaign). Comme l'expression le suggère, la justice alimentaire vise à transformer en profondeur le système alimentaire dans le sens d'un plus grand contrôle de la production et de la consommation alimentaires par ceux qui sont marginalisés socialement.

Today, diverse publics around the world increasingly embrace the broad principles of food justice, albeit in different terms with varying lineages. As an ideal, food justice is a radical critique of capitalism, neoliberalism, colonialism, exploitation, systemic racism, and patriarchy through the different but related registers of food sovereignty, food democracy, food solidarity, feminist food justice, and fair trade (e.g. fair food campaign). As its name implies, food justice seeks transformative change through greater control over food production and consumption by those marginalized in society.

À nos yeux, cette critique radicale suppose la création d’espaces agroalimentaires différents de ceux que crée le système alimentaire actuel, mais aussi différents de ceux que produit le food movement dominant aux Etats-Unis[4]. Un espace agroalimentaire peut s'apparenter à un marché, une cuisine, un lieu de restauration rapide, une exploitation, un bassin versant, un « désert alimentaire », etc. Mais aucune de ces réalités ne pourrait exister sans les relations et les processus qui les façonnent (par exemple la politique agricole, le racisme systémique, les relations de genre, les postulats concernant les liens santé / alimentation, ou l'organisation du food movement). C'est pourquoi D. Massey fait valoir que l'espace est non seulement un lieu physique, mais se définit plus précisément par « des relations sociales pratiquées en permanence ». Toute politique spatiale consiste alors à agir sur ces relations constitutives de l'espace (Massey, 2000, p. 282). La justice alimentaire, par conséquent, chercherait à créer des espaces agro-alimentaires qui modifient la « géométrie du pouvoir » existante (Massey, 1994) dans laquelle certains ont des conditions de vie faciles uniquement parce que d’autres ont des conditions de vie difficiles (voir aussi Dejean, 2013). Le cœur de notre argumentation soutient que la justice alimentaire pourrait venir modifier cette géométrie du pouvoir en utilisant une praxis différente de celle que nous avons observée jusqu'à présent dans le food movement. Ainsi, pour créer un système alimentaire plus équitable, la justice alimentaire devrait appliquer des analyses qui tiennent explicitement compte du pouvoir et de l'équité, ce qui aurait pour effet de définir autrement à la fois les processus d’implication avec les communautés marginalisées et les orientations des initiatives menées. La justice alimentaire devrait d’abord reposer directement sur des politiques de lutte contre le racisme, plutôt que de les ajouter après coup (Slocum, 2006). Dans le même ordre d’idées, la justice alimentaire devrait consister à construire des alliances fondées sur la solidarité, c'est-à-dire sur un mode d'action qui soit aussi une pratique de transformation socio-spatiale.

We argue that this radical critique suggests the creation of agrifood spaces different from those of the current food system but also from those produced by the dominant (U.S.) food movement[3]. It might appear that agrifood space is a market, the kitchen, fast food retail, farms, a watershed, food ‘deserts’ and so forth. But none of these would exist were it not for the relations and processes that made them (agricultural policy, systemic racism, gender relations, assumptions about health, food movement organizing). This is why Doreen Massey argues that space is not only a physical location but is more accurately understood as “continually practiced social relations.” Spatial politics is about changing the relations that constitute space (2000, p. 282). Food justice, then, would seek to create agrifood spaces that alter the current “power geometry,” (Massey, 1994) in which the easier lives of some are enabled by the more difficult lives of others (see also Dejean, 2013). Critical to our argument, is that food justice would do so using a different praxis than what we have witnessed so far in the food movement. Thus to create a more equitable food system, food justice would apply analyses that explicitly take power and equity into account, resulting in different processes of engagement with marginalized communities as well as a different focus of effort. It would, first, directly build on antiracist politics, not add it as an afterthought (Slocum, 2006). Relatedly, it would work to create alliance on the basis of solidarity, a mode of action that is part of socio-spatially transformative practice.

En s'appuyant sur les critiques adressées au food movement et sur nos propres recherches, nous identifions quatre nœuds interdépendants – le traumatisme/l’équité, l’échange, la terre et le travail – qui constituent autant de points d’entrée pour penser les réseaux de mobilisation en faveur de la justice alimentaire. En d'autres termes, ils correspondent à des champs où d'importants changements sont en cours ou doivent s’opérer selon des modalités proposées ci-dessous. D’après nous, ces nœuds peuvent aussi servir de points de départ aux praticiens intéressés par la justice alimentaire, pour déterminer si les politiques spatiales associées au food movement provoquent des changements significatifs. Au final, ces nœuds constituent autant d’espaces où bâtir la solidarité dans le système alimentaire. Cet article s’intéresse au nœud « traumatisme et équité ». Ce numéro thématique invitant à explorer les liens entre l'agriculture et la justice alimentaire, notre article avance l’hypothèse que le racisme systémique contribue, entre autres processus, à façonner les paysages agricoles ruraux et urbains ; et dès lors, que les projets privilégiés par le food movement ne sont pas en mesure d'œuvrer en faveur de la justice alimentaire s'ils n'utilisent pas cette grille d'analyse[5].

Drawing on critiques of the food movement and our own research, we propose four intersecting nodes – trauma/equity, exchange, land, and labor – that are entry points for food justice organizing. In other words, these are areas where transformative change is happening or needs to occur in the ways we propose below. For practitioners interested in food justice, we suggest that these nodes also serve as focal points around which to investigate whether the spatial politics of the food movement is having a transformative effect. These are areas, finally, around which to build solidarity. This paper concerns the node ‘trauma and equity,’ which we unpack below. This special issue explores the connections between agriculture and food justice. Our paper suggests that one process creating rural and urban agricultural landscapes is systemic racism; without using this analytic lens, the food movement’s favorite projects are unlikely to serve food justice [4].

Nous débattrons d'abord de la méthodologie (partie 2) avant de décrire plus précisément les nœuds constitutifs de la justice alimentaire (partie 3), et de définir ce que nous entendons par « race » (partie 4). Les études de cas sont exposées dans la partie 5. Dans la partie 6, nous étudions des exemples de mobilisations nord-américaines en faveur de la réduction des inégalités, tout en soulignant leurs points faibles. Nous proposons aussi des moyens de surmonter les obstacles rencontrés, avant de conclure par une discussion sur la solidarité.

We first discuss methods (section 2) before we outline the food justice nodes (section 3) and then define race (section 4). Section 5 begins our discussion of the case studies. There, and in section 6, we offer examples of U.S. efforts to address inequity, indicate where they fell short, and propose ways to surmount the obstacles encountered. We conclude with a discussion of solidarity.

 

 

1. Méthodologie

1. Methodology and methods

Notre analyse repose sur la mise au jour de tendances identifiées tour à tour dans les différents sites de nos études de cas, puis formalisées dans l'argumentation que nous développons ici. Nos affirmations reposent sur des données empiriques accumulées au cours de dix ans de recherche et d’enquêtes ethnographiques au sein d'espaces urbains et ruraux du Centre-Ouest et du Nord-Est des Etats-Unis (Cadieux et Slocum, 2015 ; Slocum et Cadieux, 2015 ; Slocum, 2007, 2008, 2006 ; Cadieux, 2013a, 2013b), en France (Gowan et Slocum, 2014 ; Slocum et Gowan, 2016), au Canada (Cadieux, 2005, 2011), en Aotearoa (Nouvelle-Zélande) (Cadieux, 2004 ; Cadieux, 2008), en Europe de l’est et dans le New-Jersey (Blumberg, 2015, 2014a, 2014b). Cette recherche s'inscrit plus généralement dans les champs suivants : le développement rural et urbain, l’action politique contre le racisme, la pratique de la décolonisation, l’enseignement des food studies, les économies alternatives et la recherche-action participative concernant les politiques alimentaires. Les questions de recherche soulevées par ces différents projets concernaient les cadres d'analyse du food movement et la particularité des espaces qu'il investit, tels que les marchés de producteurs, les réseaux de distribution, les coopératives et les initiatives d'approvisionnement local en restauration collective. Les recherches s’appuient sur des projets financés, qui nous ont permis d’analyser le mouvement alimentaire en tant que chercheuses et militantes. Au sein des espaces / projets étudiés, nous avons chacune mené des entretiens, des discussions de groupes, des enquêtes et des observations participantes, qui ont donné lieu à la publication individuelle d’articles (voir figure 1).

Our analysis in this paper derives from patterns that we independently recognized across our very different study sites and then collectively shaped into the argument we develop here. Empirical support for our claims comes from ten years of ethnographic and survey research conducted by the authors in the urban and rural upper Midwest and Northeast U.S. (Cadieux and Slocum, 2015; Slocum and Cadieux, 2015; Slocum, 2007, 2008, 2006; Cadieux, 2013a, 2013b); France (Gowan and Slocum, 2014; Slocum and Gowan, 2015); Canada (Cadieux, 2005, 2011); Aotearoa New Zealand (Cadieux, 2004; Cadieux, 2008); Eastern Europe and New Jersey (Blumberg, 2015, 2014a, 2014b). This research falls into the general areas of rural and urban development, antiracism advocacy, decolonizing practice, food studies education, alternative economies, and community-based, participatory action research on food policy. The research questions involved in these distinct projects concerned food movement analytic and strategic frameworks, and investigations of particular food movement spaces, such as farmers’ markets, distribution networks, coops, and farm-to-institution initiatives. All three authors have carried out grant-funded analyses of food movement projects and research action as academics and activists. In each of these locations/projects, we individually conducted interviews, focus groups, surveys and participant observation, publishing these as separate accounts (see figure 1).

 

 

Figure 1 - Thèmes clé de nos recherches alimentant nos analyses des géographies de la justice agroalimentaire

Figure 1 – Key themes from our research that inform our analysis of geographies of agrifood justice

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Les études de cas, décrites dans la figure 1, ont été l'occasion d'enquêter sur la diversité des pratiques sociales inhérentes aux espaces relationnels du food movement. C'est au cours de ces recherches que la notion de « justice alimentaire » a émergé et est devenue un cadre de pensée important pour les chercheurs (par exemple Alkon et Agyeman, 2011) et les militants. Si un consensus semble s’être dessiné autour du sens à donner à la justice alimentaire, nous avons remarqué que les spécificités de sa pratique sont souvent restées dans l'ombre (Cadieux et Slocum, 2015). Au-delà de nos recherches centrées sur les partisans du food movement et les consommateurs (dans une moindre mesure), nous avons passé beaucoup de temps à nous entretenir avec des agriculteurs. Pour ces derniers, les questions de justice recoupent généralement leurs difficultés à gagner leur vie en raison de la concurrence, des réglementations étatiques, du faible cours des denrées agricoles, de l’indisponibilité des prêts, des choix des politiques locales de distribution et de la hausse de la valeur du foncier. Bien que certains agriculteurs du Minnesota soient engagés dans des processus de labellisation du travail, comme le « Projet Justice Agricole », les petits agriculteurs utilisent parfois leurs souffrances pour justifier le recours à des pratiques relevant de l’exploitation par le travail (voir également Harrison et Lloyd, 2013).

The studies outlined in figure 1 provided us with a number of opportunities to investigate diverse social practices that constitute the relational spaces of the food movement. During the time frame of our research, the idea of ‘food justice’ emerged and became an important framing device for scholars (e.g. Alkon and Agyeman, 2011) and activists. We noticed that while some agreement seemed to be taking shape around what food justice means, the specifics of its practice often remained unexamined (Slocum and Cadieux, 2015). In addition to research focusing on food movement advocates and, to lesser extent consumers, we have spent considerable time in conversation with farmers. For them, the justice issues typically concern the difficulty of making a living in the face of competition, state regulation, low prices, unavailable credit, the politics of local distribution options and rising land values. Although some farmers in Minnesota are engaged in labor certification processes like the Agricultural Justice Project, small-scale farmers sometimes use their hardship to justify exploitative labor arrangements (see also Harrison and Lloyd, 2013).

Nos méthodologies dérivent de notre formation à la critique post-structurelle de la science (Foucault, 1980) et aux théories féministes de l'identité / de la différence (Haraway, 1988). Notre approche est plus précisément façonnée par notre engagement (d'inspiration féministe et anti-coloniale) à ne pas simplement documenter le travail des personnes marginalisées, mais à collaborer avec elles, car leurs perceptions et leurs pratiques sont parfois laissées de côté par les études académiques (Young, 1990 ; Pratt, 2004). En employant volontairement des méthodes qui permettent d'étudier et d'élaborer une théorie utile aux acteurs engagés dans la création de systèmes alimentaires plus justes, notre objectif était de partager ces outils et la connaissance de notre discipline avec les membres du food movement et, inversement, d'apprendre de leurs points de vue (Cadieux, 2013b)[6].

Our methodologies are derived from our training in post-structural critiques of Science (Foucault, 1980) and feminist theorizations of identity/difference (Haraway, 1988). Specifically, our approach is shaped by a feminist and anti-colonial commitment to work along with, and not merely report on, the work of marginalized people whose understandings and practices are sometimes left out of scholarship (Young, 1990; Pratt, 2004). Committed to methods for studying and building theory that are useful to people involved in the work of creating more just food systems, we have sought to share the tools and knowledge systems of our discipline with members of the food movement as well as to learn from their perspectives (Cadieux, 2013b)[5].

 

 

2. Les nœuds de la justice alimentaire

 2. Food justice nodes

À partir de notre travail de terrain et de recherches menées par d’autres chercheurs et praticiens, nous pouvons identifier quatre nœuds principaux sur lesquels la mise en place de la justice alimentaire cherche à agir en faveur d'un système alimentaire plus équitable (figure 2). Ces nœuds sont le résultat d'un effort de mise en commun de nos travaux, mais ils doivent aussi beaucoup au contact avec les praticiens, dont nous analysons le travail tout en y portant un regard critique. Ils ont plus précisément émergé en écoutant des voix souvent marginales et critiques par rapport au food movement dominant, et suite à notre engagement auprès de ses acteurs. Ce processus de recherche militante nous a obligées à naviguer entre nos diverses positions (de chercheuses bénéficiant d’un statut tantôt privilégié, tantôt marginal) au sein des multiples initiatives liées au food movement. Nous avons dû lutter entre, d'un côté, le désir de définir la justice alimentaire, et, de l'autre, celui d’éviter de parler au nom des autres ou de réduire sa définition à celle que d’autres groupes pourraient donner (Cadieux et Slocum, 2015). En interrogeant dans cet article la façon dont la justice alimentaire s’organise, nous cherchons à faire avancer les idéaux qu’incarnent ces nœuds, des idéaux qui apparaissent tantôt mobilisés, tantôt réfrénés dans les recherches / les communautés dans lesquelles nous sommes actuellement impliquées. C’est dans cet esprit que nous invitons les chercheurs et les praticiens à nous suivre dans notre analyse, même si nous reconnaissons que notre vision de la justice alimentaire est largement nord-américano-centrée.

On the basis of our fieldwork, as well as the research of other scholars and practitioners, we can identify four primary nodes at which food justice organizing seeks to intervene toward a more equitable food system (figure 2). These four are the result of a collaborative effort among ourselves, but they also developed very much in conversation with the practitioners whose work we both support and critique. Specifically, they come from listening to voices often peripheral to and critical of the dominant food movement, as well as engaging with mainstream food movement practitioners. This process of scholar-activism has involved navigating our multiple positions of privilege and marginality within diverse food movement efforts. We have wrestled with the twin desires to define food justice on the one hand, and not speak for others or limit what other groups might consider food justice on the other (Cadieux and Slocum 2015). In discussing food justice organizing in this paper, we seek to advance the ideals embodied in the nodes, ideals that we see mobilized and impeded in our ongoing research/community involvement. It is in this spirit that we invite scholars and practitioners to engage with our analysis, acknowledging that our understanding of food justice is largely U.S.-centric.

Nous utilisons le terme de « nœuds » parce que nous les concevons comme des points de mobilisation au sein de l’enchevêtrement de réseaux engagés dans une pratique spatiale œuvrant pour la construction d’un système alimentaire équitable. « Des nœuds dans les réseaux », telle est la façon dont D. Massey a conceptualisé un sentiment d'appartenance global ou progressiste. Selon elle, ce sont les réseaux de relations dans l'espace et dans le temps qui créent les lieux (Massey, 1994). Selon nous, définir un nœud (ici : le traumatisme et l’équité) comme point d'action n'est pas une simple métaphore. L’expression désigne l’espace politique dans lequel des acteurs opèrent pour transformer le système alimentaire, un espace structuré par des relations sociales et modifié par les différentes pratiques observées dans la mise en place de la justice alimentaire. Selon les principes que la justice alimentaire met en avant et les concepts qui s’apparentent à la notion, on pourrait s’attendre à des actions au niveau de ces points qui visent à créer des espaces agro-alimentaires qui finiront par être radicalement différents du food movement actuel –ils n’y ressembleront pas, il ne s’y passera pas la même chose, on n’y agira pas de la même manière. Pour se référer à ces nœuds, nous utilisons les raccourcis suivants : « l’équité / le traumatisme », « l’échange », « la terre », « le travail » ; leur signification est présentée dans la figure 2.

We call these “nodes” because we imagine them as mobilizing points in constellations of overlapping networks engaged in the spatial practice of building an equitable food system. “Nodes in networks” is the way that Doreen Massey conceptualized a global or progressive sense of place. Places, she argued, are created through networks of time-space relations (Massey, 1994). For our purposes a node (trauma and equity) as point of intervention is not just a metaphor. It indicates the space of politics where people work to change the food system structured by social relations and altered by the different praxis evident in food justice organizing. Given the principles carried forward by food justice and its kindred concepts, we would expect interventions at these points to create agrifood spaces that eventually look, feel, and act radically different from the existing food movement. In referring to them, we save space and words by using the short hand terms: ‘equity/trauma’, ‘exchange’, ‘land’, and ‘labor’, and suggest what we mean by each in figure 2.

 

 

Figure 2 - Les nœuds organisateurs de la justice alimentaire - points d'entrée des solidarités à partir desquelles développer des espaces agroalimentaires potentiellement différents

Figure 2 – Food justice organizing nodes – entry points for solidarities from which develop potentially different agrifood space(s)

Figure2

L'analyse des inégalités est au cœur de la justice alimentaire. Nous partons des analyses des acteurs pour y ajouter celle du « traumatisme », qui désigne le fardeau générationnel que représentent les inégalités sociales (Coates, 2015). Certains groupes peuvent considérer qu’il est prioritaire de gérer les traumatismes liés à la perte de jeunes vies ou de leur langue, de leurs ressources foncières ou de leurs moyens de subsistance, afin de développer un sentiment identitaire et la capacité à construire leur propre souveraineté. Dans cette équation, avoir la capacité à reconnaître et soigner correctement le traumatisme constitue une première étape ; et d’après notre expérience, ce sont surtout les groupes à majorité blanche qui pourraient entreprendre cela, comme une partie du processus d’engagement au sein d’un projet centré sur la protection du foncier ou les conditions de travail. Mais ce ne sont pas seulement les Blancs qui ont besoin de comprendre les inégalités et le traumatisme, même si leur statut privilégié risque de leur demander une plus grande réflexion à ce sujet. Par exemple, si un groupe composé d’Afro-Américains essayait d’être solidaire avec des ouvriers agricoles latinos, toutes les personnes impliquées gagneraient à comprendre la manière dont les relations de race, de classe et celles liées aux origines nationales organisent différemment la division spatiale du travail et du contrôle de la richesse. Comme nous avons commencé à parler de race et d'inégalités raciales, nous proposons de revenir sur la définition de la race.

An analysis of inequality is central to food justice. Drawing on practitioner analyses, we add ‘trauma’ to convey the embodied, generational burden of social inequality (see Coates, 2015). For some groups, it may be most important to deal with the traumas of loss of young lives and language, land and livelihood, in order to develop the sense of identity and the capacity to build sovereignty for themselves. Building capacity to adequately acknowledge and heal trauma is an initial reckoning that, in our experience, mainly white majority groups might also undertake as part of the process of embarking on a land care or labor-focused project. It is not only white people who need to understand inequality and trauma, though their privilege may require more hard thought. For example, if a group comprised of African Americans were to attempt solidarity with Latino farm workers, all involved would benefit from understanding how relations of race, class, and nation differently organize the spatial division of labor and control of wealth. Having begun to mention race and racial inequality, we pause here to define race.

 

 

3. Race et espace alimentaire

3. Race and food space

L'utilisation et la définition du mot « race » diffèrent dans les sciences humaines et sociales américaines et européennes ; il semble être plus courant, par exemple dans les recherches francophones, de se référer à l'appartenance ethnique (Fassin et Fassin, 2006). En Europe, le terme de « race » est tellement discrédité que certains ont cherché à le supprimer du domaine public et juridique (Hermanin, Möschel et Grigolo, 2013). Cependant, pour nous, le concept de race est nécessaire pour parler du racisme et le critiquer. La race est « l’assemblage complexe de phénotypes et d’environnements réorganisés par le colonialisme et le capitalisme… [et] la division physique et mentale des corps en groupes selon des critères mouvants » (Saldanha, 2011, p. 453). Tous les corps sont racialisés ; la race se réfère à n’importe quel phénotype. La race a été et continue d'être un principe organisateur de nombreuses sociétés (Morris, 2001 ; Sansone, 2003 ; Saldanha, 2007 ; Athreya, 2011 ; Fassin et Fassin, 2006). Autrement dit, en de nombreux endroits du monde, on confère systématiquement de la valeur au phénotype, ce qui entraîne la catégorisation, la ségrégation et des inégalités (Saldanha, 2009). Les critères de catégorisation peuvent changer, mais la discrimination, jusqu’ici, demeure une constante.

The use and definition of ‘race’ is different in American and European social science and humanities scholarship; it may be more typical, for example, in Francophone scholarship to refer to ethnicity. In Europe, so discredited is the term ‘race’ that some have sought to remove the word from legal and public discourse (Hermanin, Möschel, and Grigolo, 2013). For us, however, the concept of race is necessary to expose and critique racism. Race is “the complex assemblage of phenotypes and environments rearranged by colonialism and capitalism … [and] the material and mental division of bodies into groups according to shifting criteria” (Saldanha, 2011, p. 453). All bodies are racialized; race refers to any phenotype. Race has been and continues to be an organizing principle of many societies (Morris, 2001; Sansone, 2003; Moore, 2008; Saldanha, 2007; Athreya, 2011; Fassin and Fassin, 2006). That is, in many places around the world, people systematically attach value to phenotype, resulting in categorization, segregation, and inequality (Saldanha, 2009). The criteria for categorization may shift, but discrimination, so far, remains a constant.

La dimension spatiale du racisme dans le système alimentaire américain se traduit par la ségrégation urbaine et la gentrification (Block et al., 2008 ; Massey et Denton, 1993), par la dépossession foncière que subissent les personnes de couleur[7] et les communautés tribales (Ayazi et Elsheikh, 2015), et par une division du travail où un nombre disproportionné de femmes et d'hommes de couleur exercent une profession faiblement rémunérée au sein des filières agroalimentaires et font l’expérience d’une couverture médicale inadéquate, de problèmes de santé, d’un stress disproportionné, d’un cadre bâti dégradé, et d’une exposition au risque d’obésité (Rankine, 2015; Guthman, 2011; Lo et Jacobson, 2011).

The spatiality of racism in the U.S. food system manifests in urban segregation and gentrification (Block et al., 2008; Massey and Denton, 1993), landloss for people of color[6] and tribal communities (Ayazi and Elsheikh, 2015), and a division of labor in which disproportionate numbers of women and men of color work in low wage food chain jobs and experience inadequate health care, poor health, disproportionate stress, impoverished built environments, and exposure to obesogens (Rankine, 2015; Guthman, 2011; Lo and Jacobson, 2011).

Le capital et le racisme ont façonné le logement et le développement urbain américains ; comprendre l’histoire de ce processus est éminemment instructif pour comprendre les questions de race, de santé et de droit à la ville (Pulido, 2000). La gentrification ne se fait pas toute seule ; elle est provoquée par un certain nombre de facteurs. Ce processus peut donner l'occasion, aux partisans du food movement, de théoriser les connexions existantes avec le racisme institutionnalisé et d’agir pour créer un espace alimentaire différent. Quand un groupe de résidents originaires de Jamaica Plain, Massachusetts, constitué d’une écrasante majorité de Blancs, a invité Whole Foods (une chaîne d’épiceries bio onéreuses) à s'installer dans leur quartier en cours de gentrification, certains étaient conscients que cette installation provoquerait le déplacement d'un supermarché qui proposait des aliments à destination d'une population latino très diverse et moins aisée (Rey, 2011 ; Anguelovski, 2015). De même, dans le sud de Minneapolis, Seward Coop[8] s'est heurté à des résistances lors d'un projet d’agrandissement dans un endroit situé à la jonction de quartiers afro-américain et latino. Le conflit s’est cristallisé autour du désaccord suivant : d’un côté, le quartier avait besoin de logements à prix abordables et d’autres nécessités de base et, de l'autre, Seward avait le désir d'attirer des consommateurs pouvant se permettre de payer pour des produits gourmets à prix relativement élevés et des salaires plus justes. La décision de Seward d’embaucher des personnes représentatives de la composition démographique du quartier, a quelque peu apaisé les tensions (Ramage, 2015 ; Mullen, 2015 ; Moore, 2006).

The history of how capital and racism shaped U.S. housing and urban development is eminently instructive in understanding race, health and the right to the city (Pulido, 2000). Gentrification doesn’t just happen; it has to be enabled. In that process there may be an opportunity for food movement advocates to theorize its connections to institutionalized racism and act to create a different food space. When an overwhelmingly white group of residents of Jamaica Plain, Massachusetts, invited Whole Foods (an organic, expensive grocery chain) to their gentrifying neighborhood, some were aware that they would displace a supermarket that stocked foods for a diverse and less wealthy Latino population (Rey, 2011; Anguelovski, 2015). Similarly, in South Minneapolis, Seward Coop encountered resistance to an expansion into a location between African American and Latino neighborhoods. Conflict arose over the dissonance between the neighborhoods’ need for affordable housing and other basic necessities and Seward’s desire to attract more customers able to afford relatively expensive foodie fare and to pay for fairer wages. Tensions were partially alleviated by Seward’s decision to hire people representative of the neighborhood’s composition (Ramage, 2015; Mullen, 2015; Moore, 2006).

Notre recherche rejoint celle d'autres auteurs (Guthman, 2008) sur des cas similaires où certains militants progressistes du food movement ne semblent pas comprendre ou vouloir tenir compte de ces causalités, même s’ils détesteraient eux-mêmes créer sciemment des espaces de l’exclusion. C'est ainsi que fonctionnent les privilèges des Blancs ; ces derniers se contentent de désapprouver les actes racistes explicites, mais ferment les yeux sur le fonctionnement du racisme systémique, et rejettent les méthodes qui permettraient de retirer leurs privilèges illégitimes (Pulido, 2000). La mise en avant du bio ou du commerce équitable doit coexister avec l'analyse des politiques spatiales qui invitent à penser conjointement le confort de la classe moyenne blanche et les régimes alimentaires des groupes latinos urbains et ceux des Blancs ruraux pauvres. Néanmoins, la modification du phénotype des personnes exigeant des chaînes d’épiceries bio n’altère pas, en elle-même, la situation raciale, ni la suprématie blanche ni la manière dont le racisme se répète dans les espaces de la société. Et nous ne pouvons pas non plus affirmer que tout ce que font les personnes de couleur dans le domaine alimentaire va nécessairement dans le sens de davantage de justice, ou ne provient absolument pas de la souffrance des autres en s’appuyant sur des bases injustes, néolibérales ou de biopolitique. Il est fondamental d'analyser la race et le racisme de manière nuancée, afin de pouvoir pratiquer une justice alimentaire qui puisse transformer les relations socio-spatiales.

Our research and that of others (Guthman, 2008) has seen similar instances where progressive food movement activists do not seem to understand or want to learn of these connections even though they would be loathe to knowingly create exclusive spaces. This is how white privilege works; white people disavow only explicitly racist acts, remain ignorant of how systemic racism works, and thwart methods to remove their unmerited privilege (Pulido 2000). Insistence on organic or fair trade has to exist alongside an understanding of the spatial politics linking middle class white comfort to white rural poor and urban Latino diets. However, changing the phenotype of the people demanding the organic grocery chain does not, by itself, alter the racial state, white supremacy, or the manner in which racism runs through the spaces of society. And we cannot argue that whatever food work people of color do is necessarily for justice and not biopolitical, neoliberal, or unfairly derived from someone else’s suffering. A nuanced analysis of race and racism is fundamental to a practice of food justice that changes socio-spatial relations.

Certains travaux sur le food movement dans le domaine de l'insécurité alimentaire et de l'agriculture durable (Paddeu, 2012) ont donné de l’importance aux aspirations à des formes d'équité, par opposition au consumérisme des « foodies ». Comme nous l'avons souligné plus haut, la nécessité de placer la justice au cœur de ce qui organise l’alimentation est de plus en plus reconnue. Cependant, au cours de nos recherches, nous avons observé une plus ou moins grande capacité des acteurs à prendre la mesure des changements structurels qu'une situation d'équité exige, ainsi qu'une plus ou moins grande volonté de prendre en compte les débats sur le traumatisme et l’équité. Dans la façon dont s’organise l’alimentation, nous avons constaté qu’un décalage se creuse entre idéal et action, entre stratégie et capacité d’action, et que, dans le même temps, les personnes ont du mal à passer de la réflexion à l’action. Nous avançons ci-après quelques caractéristiques de nos études de cas, pour discuter ensuite des données collectées.

Aspirations to forms of fairness, as opposed to foodie consumerism, have been important to some food movement work on food insecurity and sustainable farming (cf. Paddeu, 2012). As we noted earlier, there is now increasing recognition of the need for justice to be at the heart of food organizing. However, our research finds great variety in people’s capacity to understand the extent of structural change such fairness requires, and in their willingness to keep discussions of trauma and equity in active consideration. In these organizations, we find that gaps develop between ideal and action, between strategy and capacity, as people struggle to translate between reflection and action. Below we provide a few defining features of the case study site and then discuss the data.

 

 

4. Observations à partir des études de cas : créer des espaces pour la justice alimentaire

 4. Observations from the case studies: creating space for food justice 

Identifier les obstacles empêchant d'affronter le traumatisme et l'équité dans le Minnesota

Identifying barriers to confronting trauma and equity in Minnesota

Nos études de cas respectives sont situées à Minneapolis et Saint Paul (les villes jumelles) dans le Minnesota, et dans la partie plus rurale du sud-est de l’Etat. Ces études constituent une partie des recherches menées par chacune d’entre nous à l'échelle locale sur un certain nombre de mobilisations pour changer le système alimentaire. La première étude de cas repose sur des entretiens et une observation participante que R. Slocum a menés en tant que membre de la Minnesota Food and Justice Alliance (Alliance pour la justice alimentaire du Minnesota). Fondée en 2008 et regroupant la plupart des organisations importantes à but non lucratif de l’Etat dans le domaine de l’alimentation locale, l'alliance a été créée pour lutter contre l'injustice raciale dans le système agro-alimentaire ainsi que pour s’occuper de la concurrence entre les organisations à but non lucratif en ce qui concernait les projets et la recherche de fonds. Notre recherche s’est intéressée à la façon dont la question de l'inégalité raciale était abordée dans la politique et dans la planification des projets. Dans la Foodshed Planning Initiative au sud-est du Minnesota (initiative de planification de la production alimentaire), V. Cadieux s’est engagée dans une enquête et une recherche ethnographiques auprès des militants en faveur de la sécurité alimentaire, de l'agriculture durable et d'une économie alimentaire locale. L'une des questions de recherche était de savoir comment cette initiative abordait la question des inégalités raciales et de classe. Nous fondons nos analyses sur ces études de cas ainsi que sur des enquêtes précédentes (voir la partie 2 et voir Slocum et Cadieux, 2015 ; Cadieux et Slocum, 2015).

Our respective studies were located in urban Minneapolis and St. Paul (the Twin Cities), Minnesota and the more rural southeast part of the state. These studies formed one part of locally-focused research into a number of food system endeavors that we each undertook. In the former, Rachel Slocum conducted interviews and participant observation as a member of the MN Food and Justice Alliance. Begun in 2008, and encompassing most of the major local food-oriented nonprofits in the area, the alliance was created to confront racial injustice in the food system as well as address competition among nonprofits for projects and funding. The research was interested in how the issue of racial inequality would be addressed in policy and programming. In the SE MN Foodshed Planning Initiative, Valentine Cadieux engaged in survey and ethnographic research involving advocates for food security, sustainable farming and a local food economy. How the initiative dealt with the issue of racial and class inequality was one research question. Our observations are derived from these specific cases as well as previous investigations we have conducted (see section 2)

L'Etat du Minnesota est à la fois le théâtre d’une activité importante dans le domaine des systèmes alimentaires durables[9], d’un paysage économique dominé par l’agriculture productiviste et les industries d’extraction, et de profondes inégalités raciales. La politique de l’Etat est plutôt progressiste. Ainsi le parrainage de réfugiés d’Afrique de l’Est et d'Asie du Sud-Est par des organisations religieuses et laïques est à l'origine de la seconde plus grande concentration de population Hmong et de la plus grande concentration de Somaliens des Etats-Unis, alors que, dans cet Etat, 86% de la population est blanche. Par rapport au reste des Etats-Unis, l’Etat a adopté précocement un plan d'aménagement régional pour mieux répartir les ressources entre la ville et la banlieue. Mais cette politique ainsi que les préjugés ont donné naissance à des espaces aisés plus ségrégués racialement (en faveur des Blancs) que les espaces défavorisés (Goetz, Damiano et Hicks, 2015). Les différences entre Afro-Américains et Blancs concernant les taux de réussite aux diplômes et les résultats aux examens normalisés, les indicateurs de santé, d’accès à la propriété immobilière et de chômage sont parmi les pires du pays. Les associations pour l’agriculture durable, la sécurité alimentaire et la lutte contre la faim qui dominent et qui sont aussi les mieux financées illustrent la critique adressée au food movement : celui-ci regroupe une population plus « blanche », aisée et éduquée que la moyenne du Minnesota, ce qui crée ainsi des espaces « blancs » où les habitants font leurs courses et s’agrègent. Au contraire, il est plus probable que les travailleurs des filières agricoles et alimentaires (les gens qui récoltent, transforment, emballent, distribuent, servent la nourriture et nettoient les déchets associés à ces opérations) soient des gens de couleur, sans-papiers et/ou de nouveaux immigrants. Ces groupes sont marginalisés au sein de communautés rurales encore fortement marquées par les identités scandinaves / nord-européennes, qui ont eu des difficultés considérables à gérer publiquement les changements démographiques liés à l’immigration, ainsi que les problèmes persistants d’équité, reliquats de la colonisation (LaDuke, 2004). Un tel investissement, sans prise en compte conjointe du racisme, est un redoutable frein, comme nous allons maintenant le voir.

Minnesota is the site of considerable work on sustainable food systems[7], a landscape dominated by commodity agriculture and extractive industries, and stark racial inequalities. The state’s politics tend to be progressive. Notably, faith-based and secular sponsorship of refugees from East Africa and SE Asia has resulted in the second highest concentration of Hmong and highest of Somali people in the U.S. arriving into this 86% white state. In U.S. terms, the state was an early adopter of regional planning to confront the urban-suburban resource divide. But policy and prejudice have resulted in wealthy spaces that are more racially segregated (white) than poor ones (Goetz, Damiano, and Hicks, 2015). The differences between African American and white graduation rates and standardized test scores, health indicators, home-ownership and unemployment are among the worst in the nation. The dominant and best funded sustainable agriculture, food security, and anti-hunger organizations are illustrations of the critique that the food movement tends to be more white, affluent, and educated than average Minnesotans, creating white spaces where people shop and organize. Meanwhile farm and food chain workers (people who pick, process, package, distribute, serve, and clean up associated waste) are more likely to be people of color, undocumented, and/or newer immigrants. These groups are marginalized in rural communities still heavily invested in Scandinavian/Northern European identities that have had considerable difficulty publicly addressing demographic shifts brought by immigration and persistent equity issues remaining from colonization (LaDuke, 2004). This investment without a concomitant reckoning with racism is a formidable barrier as we discuss next.

Les freins à la pratique de la justice alimentaire, mis en évidence par notre travail, révèlent la manière dont le racisme au fondement de la Nation empêche les changements de fond. Le frein le plus fort vient de l’hésitation à reconnaître, analyser et affronter la violence structurelle, un trait caractéristique identifié au cours de nos recherches sur les terrains américains. Par exemple, la majorité des leaders du food movement interrogés dans le nord-est des Etats-Unis reconnaissent le rôle du racisme structurel dans le système alimentaire, mais conçoivent plutôt leur action comme une lutte contre un adversaire plus important et plus puissant, à savoir l'industrie agroalimentaire (Slocum, 2006). Ce statut d’adversaire conféré à l’agriculture productiviste n’est que rarement compris en termes de justice ; il est plus souvent considéré en termes d’impacts environnementaux ou d’effets sur la santé. Et même les détracteurs de la violence structurelle ne savent pas toujours quoi faire – ou ce qui serait le plus efficace – pour la combattre. Les militants du food movement des villes jumelles qui ont rejoint la Minnesota Food and Justice Alliance (MFJA) étaient prêts à inclure le racisme dans l'énoncé de leur mission, mais non à s’engager dans une analyse du fonctionnement du racisme et des endroits où il serait possible d’agir pour le combattre. Les résultats des enquêtes montrent que les membres de la Southeast Minnesota Foodshed Planning Initiative étaient conscients des défis structurels posés par le travail des migrants, mais ont constaté qu'il était difficile d’intéresser les groupes de travail quand il leur a été proposé de relever ces défis. Les commentaires des participants ont plutôt montré que les membres de cette organisation étaient plus intéressés par la lutte contre les problèmes rencontrés par la société blanche que par ceux que rencontraient les groupes non-dominants. Les freins spécifiques et directement liés aux institutions qui ont émergé englobent :

Barriers to practicing food justice evident from our work reveal the way that the nation’s foundational racism thwarts transformative change. The most obstructive barrier is a hesitancy to acknowledge, analyze, and address structural violence, a feature we have noted across our U.S. research sites. For instance, the majority of food movement leadership interviewed in the Northeast U.S. recognize the role of systemic racism in the food system, but saw their work as confronting a more powerful and important adversary, the corporate agrifood regime (Slocum 2006). Commodity agriculture’s adversarial status is only sometimes understood in justice terms, and is more often framed in terms of environmental impact or health effects. And even those willing to address structural violence do not always know what to do – or what might be most effective – to change it. Twin Cities food movement advocates who joined the Minnesota Food and Justice Alliance (MFJA) were willing to put antiracism in their mission statement, but not to commit to analyzing how racism works and where it might be most possible to intervene. Survey results showed that members of the Southeast Minnesota Foodshed Planning Initiative were aware of the structural challenges facing migrant labor, but it was difficult to sustain interest when working groups were proposed to address these challenges. Instead, participants’ comments revealed that these coalition members were most interested in addressing the problems of white society before those of non-dominant groups. The specific, proximate institutional barriers we found include the:

    1. L’incapacité à s’engager dans une praxis antiraciste fondée sur la prise en compte de la violence structurelle ;
    2. Failure to engage in an antiracist praxis based on an understanding of structural violence;
    3. La facilité à mener des projets alimentaires spécifiques au regard de ce qui semble être une tâche écrasante : la recherche de la justice alimentaire ;
    4. Ease of doing typical food projects compared to the seemingly overwhelming task of seeking food justice;
    5. La tendance à passer sous silence l’analyse de la justice alimentaire à travers des actions de charité ;
    6. Silencing of food justice analysis through charity;
    7. Le désir d’agir en faveur des groupes dominants, et non en faveur de ceux qui sont marginalisés (c'est-à-dire les latinos et les autres travailleurs agricoles non-blancs, parfois sans-papier) ;
    8. Desire to act on behalf of dominant groups, not those marginalized (e.g. Latino and other nonwhite, sometimes undocumented farm laborers);
    9. La difficulté à établir des réseaux par-delà les différences sociales et raciales.
    10. Difficulty establishing alliances across racial and class difference.
    11. Les militants du food movement peuvent discréditer l’action en faveur de la justice alimentaire en utilisant le concept de façon superficielle. En ce qui concerne la MFJA, l’appétence pour la lombriculture et les serres à arceaux a détourné l’attention des politiques et projets qui, eux, auraient fait face aux problèmes de racisme. Ces deux types de projets constituent les initiatives importantes d’une organisation dirigée par des Afro-Américains (Growing Power), et que le groupe de la MFJA a voulu copier, mais sans avoir ni l’analyse de Growing Power ni ses connexions avec la communauté non-blanche locale. Dans le sud-est du Minnesota, la promotion de l’approvisionnement local et de la lutte contre la faim a focalisé de manière significative l’attention des personnes qui faisaient tout leur possible pour connecter leurs initiatives alimentaires aux enjeux de justice sociale. Mais compte-tenu de l'engagement de la MFJA auprès d'une banque alimentaire locale (action de charité), le groupe a décidé qu'il en avait fait assez pour la justice alimentaire.

      Food movement advocates may undermine action on food justice by using the idea only superficially. For the MFJA, the attraction of vermiculture and hoop houses shifted attention from policy and programming that would confront racism. These two types of projects are important initiatives of an African American led organization (Growing Power) that the group wanted to replicate but without Growing Power’s analysis or connection to the local nonwhite community. In SE MN, local food provisioning and anti-hunger advocacy were both significant focal points for people striving to connect their food efforts to social justice. But engagement with a local food bank (charity) caused the group to decide they had done enough food justice.

      Même lorsque la justice alimentaire est considérée comme un enjeu important, et que les associations locales œuvrant pour la justice alimentaire (par exemple pour les droits des travailleurs migrants) sont identifiées, les réseaux noués avec ces organisations ne sont pas souvent vus comme un sujet de conversation prioritaire et sont supplantés par d’autres thématiques. Dans les cas de la MFJA et de la Foodshed Planning Initiative, les dirigeants reconnaissent leur échec à attirer des membres issus de la base de la société, mais ne cherchent pas non plus à établir des coopérations avec les organisations adéquates. Au contraire, et comme cela se fait souvent au sein du food movement, les organisateurs s’appuient sur des liens interpersonnels pour inviter des participants à les rejoindre « à leur table », sans faire le lien avec des actions existantes. Cela ne fait que renforcer l’incapacité à se renseigner sur ce qui se faisait déjà et que la MFJA et la Foodshed Planning Initiative auraient pu soutenir plutôt que de produire un nouvel espace « blanc » lié au food movement. La difficulté à former une alliance vient en partie de la distance raciale physique et psychologique (ségrégation) à laquelle nous avons précédemment fait référence, que l’on ne peut sous-estimer mais à laquelle on peut faire face. L'autre difficulté vient de la structuration institutionnelle du food movement. Ces initiatives attisent en effet une concurrence accrue pour l’obtention de subventions, requièrent un strict respect des règles posées par les donateurs, ainsi que la mise en place de dispositifs d’évaluation quantitative à court terme. Ce mode d'organisation empêche de mettre en place le processus que nous suggérons, qui prend du temps et qui se repère davantage par des mesures plus nuancées (par exemple, en comparant par rapport à cinq ans auparavant les réponses à la question 'qui fait partie de votre réseau désormais et quel rôle chacun y joue-t-il ?').

      Even when food justice was identified as important, and local organizations doing food justice (e.g. migrant labor rights) were identified, connecting with these organizations was often de-prioritized and displaced in conversation. In the case of both the MFJA and the Foodshed Planning Initiative, organizers acknowledged failures to attract grassroots membership, but did not seek alliance with relevant organizations. Instead, as is common in the food movement, they relied on nominal invitations ‘to the table’ without connecting to others’ already existing work. This replicates the failure to inquire what ‘they’ were already doing that the MFJA and the Foodshed Planning Initiative could have supported instead of developing another white food movement space. Part of the difficulty in forming alliance is the physical and psychological racial distance (segregation) referred to earlier, which cannot be underestimated but can be addressed. The institutional structure of food movement work is another factor. These efforts tend to require intense competition for grants, strict conformation to rules made by grantors, and short-term quantitative evaluative mechanisms. This structure prevents the process we suggest, which is time consuming, and best discernible through more nuanced measures (e.g. compared to five years ago, who is in your network now and what roles does everyone play).

       

       

      Les alliances et la production d’un espace alimentaire juste

      Alliance and the making of just food space

      Les paysages agroalimentaires (organisations à but non-lucratif, usines de transformation des aliments, restaurants), affectés par des processus qui génèrent des géométries de pouvoir alternatives, vont exiger la construction de réseaux généralement inédits, pour les raisons précisément discutées jusqu’ici. Les nœuds présentés plus haut sont des points de départ pour créer et construire la solidarité nécessaire à la justice alimentaire. La solidarité est plus qu’une alliance, même si cette dernière est centrale. Malgré la difficulté à mettre en œuvre l’égalité et à reconnaître le traumatisme, il existe des pistes concrètes que les organisations pourraient suivre pour y parvenir. En particulier, les éléments suivants peuvent, d’après nos recherches, accroître la capacité à construire la solidarité et les alliances :

      Agrifood landscapes (nonprofits, food processing plants, dinner tables) altered by the generative process of creating alternative power geometries will require building networks that typically do not exist for the reasons discussed thus far. The nodes proposed earlier are entry points for creating and building the solidarity necessary to food justice. Solidarity is more than alliance, but central to it. Notwithstanding the difficult nature of working for equity and acknowledging trauma, there are practical avenues that organizations might pursue. The elements we find that increase capacity to build solidarity and alliance include:

        1. Un processus qui reconnaisse les différences de pouvoir parmi les acteurs ;
        2. A process that acknowledges power differences among actors;
        3. Reconnaître la nécessité d'agir en faveur d'un changement systémique qui prenne en compte les inégalités ;
        4. Recognition of the need to work for systemic change based on an understanding of inequality;
        5. Des actions solidaires ;
        6. Actions taken in solidarity;
        7. Pratiquer la construction d’alliances avec des groupes qui œuvrent pour la justice ;
        8. A practice of alliance-building with justice-oriented groups; and
        9. Et des actions collectives qui ancrent les collaborations en cours.
        10. Collective actions to anchor ongoing collaboration.
        11. Les « géographies du pouvoir qui fabriquent les solidarités [façonnent toujours] le caractère des alternatives politiques qu’elles génèrent » (Featherstone, 2012, p. 30). Aussi, poser la question « à qui bénéficie la justice alimentaire ? » constitue un bon point de départ pour analyser le processus à l'œuvre dans les pratiques de la justice alimentaire. Cette question permet en effet de discuter des questions de pouvoir, nécessaires à l’institutionnalisation de l’équité, que le contexte soit interne à une organisation, lié à des « bénéficiaires », ou associé à la construction de coalitions. Il paraît nécessaire que ces organisations en faveur d'un changement alimentaire aient délibérément l’intention de créer des espaces à même de réaliser les aspirations des populations avec lesquelles elles travaillent. Savoir si cela vaut la peine d’investir autant de temps dans les processus en faveur de la justice alimentaire constitue un sujet de préoccupations ; il est plus facile d’y répondre en sachant que le point sensible est avant tout de voir que les projets alimentaires ne peuvent réussir que s'ils placent la justice continuellement au cœur de leurs préoccupations.

          The “geographies of power through which solidarities are fashioned [always shape] the character of the political alternatives they generate” (Featherstone, 2012, p. 30). Therefore, we suggest, first, that there is a process involved in the practice of food justice for which ‘who benefits?’ is a good beginning question. This question is the start of a conversation about power, which is necessary to institutionalize equity, whether the context is internal to an organization, in relationships with ‘beneficiaries,’ or in the building of coalitions. Those organizing for food change need to be intentional about creating space for the aspirations of the people with whom they work. Concerns about whether the process toward food justice is worth all the time it takes are most effectively met with the trenchant point that without addressing justice, food projects will not be successful.

          Deuxièmement, connaître la géographie des inégalités raciales peut aider un groupe (à dominante blanche) à devenir plus visible auprès d'alliés potentiels et plus à même d’agir de manière solidaire (ainsi que d’éviter à chercher des solutions au problème de fond). La recherche est nécessaire à la compréhension des manifestations concrètes du racisme institutionnalisé. C'est à partir des recherches et des analyses qu'un groupe peut se poser les bonnes questions, déterminer les points d’action utiles et identifier les problèmes nécessitant l’expression d’une solidarité. Une telle recherche peut apporter des analyses, des questions et des manières spécifiques de collaborer avec une communauté (voir les exemples dans la partie 6).

          Second, knowing the geography of racial inequality may help a (predominantly white) group become more visible to potential allies and better able to act in solidarity (as well as avoid solutions in search of a problem). Research is necessary to an understanding the materiality of institutionalized racism. It is on the basis of research and analysis that a group can pose good questions, determine useful points of intervention, and find issues on which to express solidarity. Such study may lead to particular analyses, questions and ways of engaging with a community (see examples in section 6).

          Troisièmement, les efforts d’explications que proposent certains groupes de défense des immigrants, des travailleurs ou d’autres ONG œuvrant pour la justice contribuent à intégrer les militants du food movement aux actions plus générales en faveur de la justice. Évidemment, ces derniers auraient sans doute de bonnes raisons de ne pas vouloir aider. Il est donc crucial de créer les ressources pour réaliser cette intégration, comme nous l’avons noté précédemment. Etant donné le risque que les personnes se sentent sur la défensive dans de telles alliances, il apparaît impératif de fournir des recommandations en cas de conversations gênantes. Le Movement Center for Deep Democracy, situé à Minneapolis, a mis en place des exercices où les participants doivent accepter de « surveiller mutuellement leurs arrières » au cours de telles discussions. En substance, cela signifie que dans le cas de discussions au sujet du traumatisme racial, les gens se sentent en mesure de participer, car ils savent que même s’ils n’abordent pas le problème de la bonne manière, ils seront toujours encouragés à articuler leurs propres expériences traumatisantes et leurs questionnements à ce sujet. Enfin, construire un projet local qui fournit des missions concrètes ainsi qu’une plateforme d'échange pour expliquer à l’alliance générale comment ces projets répondent à l’idéal de justice sociale, peut servir à maintenir l’idéal d’équité qui est en jeu.

          Third, active translation by advocacy groups for immigrants, laborers, or other justice-oriented NGOs helps to induct food movement activists into justice work. Obviously the former might not want to help, perhaps with good reason. Having the resources for such induction is crucial as we noted earlier. Given the good possibility of defensiveness in such alliances, establishing guidelines for uncomfortable conversations is critical. The Minneapolis-based Movement Center for Deep Democracy uses exercises asking participants to commit to ‘having each other’s backs’ throughout such discussions. In essence, this means that in conversations around race trauma, people feel able to enter the conversation knowing that even if they do not get the conversation ‘right,’ they will be supported in articulating their experiences of trauma and their questions about it. Finally, having a local project that provides concrete tasks as well as a platform to explain to the broader alliance how those projects meet the ideal of social justice can serve to keep the ideal of equity in play.

          Nos résultats montrent qu’un grand nombre de personnes sont déjà réellement intéressées pour « adhérer » au food movement, en particulier chez les adeptes blancs, même si peu se sont déjà impliqués dans des actions de solidarité. Il s'agit là à la fois d'un grand potentiel et d’un défi de taille pour réaliser la justice alimentaire par la solidarité.

          We find that there are great numbers of very interested people ‘joining’ the food movement yet, particularly in the case of white enthusiasts, many tend to have had little exposure to solidarity practice. Therein lies both great potential and enormous challenge for a food justice based on solidarity.

           

           

          5. Discussion : produire la politique spatiale de la justice alimentaire

           5. Discussion: producing the spatial politics of food justice

           

           

          Distinguer la politique spatiale de la justice alimentaire du food movement

          Differentiating the spatial politics of food justice from the food movement

          Le food movement dominant a privilégié l’échelle locale et le corps du « consommateur » sain, suggérant que tout, de la consommation à la distribution en passant par la réglementation, devrait se faire à l'échelle locale, comme c’était le cas dans le passé idéalisé de l'avant-seconde guerre mondiale (Deverre and Lamine, 2010). En faisant cela, il a associé implicitement une alimentation « plus locale » à une alimentation « plus juste », suivant l'hypothèse que des filières logistiques plus courtes garantiraient de meilleures relations sociales (DuPuis, Harrison et Goodman, 2011). Le ralliement du consommateur à cette idée masque le fait que, dans le capitalisme néolibéral, les gens n'existent pas s'ils ne consomment pas - et ils sont nombreux à ne pas pouvoir le faire. On a fait grand cas des relations qui pourraient alors se développer entre les agriculteurs et les mangeurs, et des améliorations supposées de la qualité des aliments qu’une telle proximité permettrait. Cette vision spatiale fondée sur les marchés fermiers, les projets tels que les AMAP ou les CSA (Community Supported Agriculture) et les programmes d'approvisionnement local en restauration collective, traduisent une certaine myopie, puisque ces projets se limitent au périmètre restreint de la « nourriture saine ». Les stratégies qui reposent sur les mécanismes du marché et sur les consommateurs montrent que le corps est un autre point d'articulation central de l'évolution du food movement. Ce sont les corps sains en temps, en argent et en savoir, capables de consommer des aliments frais et locaux, qui se trouvent au cœur des politiques spatiales du food movement. Dans le même temps, les corps souvent marqués par l'obésité, caractéristiques des populations pauvres et non-blanches (de manière disproportionnée), les corps ne pouvant justement pas s'alimenter sainement, sont les cibles de campagnes qui les pathologisent et les stigmatisent au lieu de remettre en cause cette géométrie inégalitaire du pouvoir.

          The dominant food movement has privileged the local scale and the healthy ‘consumer’ body, suggesting that consumption, distribution, and regulation should be localized as it was in the pre-WWII romanticized past (see Deverre and Lamine, 2010). In so doing, it implicitly conflated ‘more local’ with ‘more just’ on the assumption that shorter supply chains ensure better social relations (DuPuis, Goodman, and Harrison, 2006). Its embrace of the consumer fails to see that, for neoliberal capitalism, people are irrelevant if they cannot consume – and many cannot. Much was made of the relationships that could then develop between farmer and eater and the assumed improvements in food quality that such proximity bought. This spatial vision, and the farmers’ markets, CSAs/AMAPs (Community Supported Agriculture/Association pour le maintien de l’agriculture paysanne), and farm-to-institution programs associated with local food exhibit a certain myopia, limited as they are to a bounded ‘healthy food’ radius. Strategies that rely on market mechanisms and consumers indicate another key locus of change for the food movement: the body. Bodies wealthy in time, money, and knowledge who are able to consume fresh, local food are central to the food movement’s spatial politics. At the same time, those often heavy, typically poor, and disproportionately nonwhite bodies that do not eat this food are the targets of campaigns that pathologize and stigmatize rather than attack this power geometry.

          Ainsi, en se concentrant sur les mécanismes de marché orientés vers les consommateurs et sur l'espace racialisé du corps sain, la politique spatiale du food movement est devenue non-relationnelle. Et au niveau de l'organisation, les militants anti-racistes au sein du food movement ont fait valoir que le pouvoir et les ressources étaient concentrés dans les mains d’organisations à but non lucratif dirigées par des Blancs, qui subviennent aux besoins de bénéficiaires non-blancs (sécurité alimentaire), mais qui ne cherchent pas à partager le pouvoir ou la propriété ni à leur transférer (Mascarenhas, 2002). En effet, l’utilisation de l'expression « justice alimentaire » aujourd’hui est due en grande partie à la mobilisation des militants (activistes et universitaires) de l’antiracisme au sein du food movement.

          Thus with its focus on consumer-driven market mechanisms and the racialized space of the healthier body, the dominant food movement’s spatial politics has been non-relational. And, at the level of the organization, antiracism advocates within the food movement argued that power and resources were concentrated in white-led nonprofits who provided for nonwhite beneficiaries (food security), but did not seek to share or transfer power and ownership to them (Mascarenhas, 2002). Indeed, that we are using the term ‘food justice’ today is due in large part to the efforts of activist and academic antiracism advocates.

          La justice alimentaire suppose une approche différente. Plutôt que d’« offrir une bonne alimentation aux autres », action teintée de rédemption, la justice alimentaire devrait avoir comme objectif l’équité, aux échelles locales et mondiale, en partant de l'analyse des inégalités structurelles dans le but d’agir sur elles. La politique spatiale de la justice alimentaire reconnaît la relation entre les lieux et les « géométries du pouvoir » des paysages alimentaires. Cette prise en compte relationnelle amène à considérer le lieu comme un processus continuel qui provient des interconnexions avec d’autres lieux et des « successions de rencontres, de l’accumulation de réseaux et d’affrontements » qui constituent sa singularité (Massey, 2005, p. 139). Une telle approche s'oppose à une définition essentialiste du lieu, qui consiste à assigner des caractéristiques fixes et statiques aux espaces (Massey, 1994). Le concept de « géométrie du pouvoir » souligne que certaines populations et certains endroits exercent un plus grand contrôle sur les flux de personnes, d’argent, de biens et d’idées constitutifs des lieux. Ce plus grand contrôle des flux façonne progressivement les formes des relations foncières, des relations de travail et d’échanges qui sont au cœur des paysages alimentaires passés, présents et futurs.

          Food justice would suggest a different approach; rather than ‘bringing good food to others’ as a mode of redemptive action, food justice would pursue equity locally and globally by analyzing and acting upon structural inequalities. The spatial politics of food justice recognizes the relationality of place and the ‘power-geometries’ of foodscapes. A relational understanding sees place as an on-going process resulting from interconnections with other places and “the successions of meetings, the accumulation of weavings and encounters” that create its uniqueness (Massey, 2005, p. 139). It disavows essentialist understandings of place, which ascribe a fixed and static characteristic to places (Massey, 1994). The concept of power-geometries argues that some people and locations have greater control over the flows of people, money, things and ideas constituting places. Greater control over flows cumulatively creates the forms of land, labor, and exchange relations of past, present, and future food spaces.

          En nous appuyant sur le cadre analytique de Massey, nous avançons que la politique spatiale de la justice alimentaire ne considère pas que le problème dans un « désert alimentaire »[10] relève d’« un manque d’accès ». Elle considère plutôt les processus socio-spatiaux à l'œuvre dans le système alimentaire pour ce qu’ils sont – un apartheid nutritionnel (Garrett, 2008 ; Kurtz, 2013), des corps abandonnés dans des zones sacrifiées (Harrison, 2008), ou encore une guerre raciale (Wadiwel et Tedmanson, 2013). La solution, ou l’espace du changement, alors, ne résiderait pas dans l’implantation d’un supermarché, d’un marché fermier ou d’un programme d’alimentation saine orienté vers certains groupes situés dans un périmètre limité. Si l’accessibilité dépend de la richesse et des disparités de revenus qu’expérimentent surtout les femmes et les personnes de couleur (et si elle ne dépend pas de la plus ou moins grande proximité avec un magasin qui vend des fruits et accepte les bons alimentaires), alors la solution consisterait à trouver un moyen d’éliminer plus directement la pauvreté systémique, racialisée et genrée, en instaurant par exemple un revenu minimum garanti (Weeks, 2012), ou dans le cas de l’Europe, en protégeant et en étendant les dispositifs d’aides sociales existants ainsi que ceux qui concernent les travailleurs.

          Using Massey’s analytic framework, we suggest that the spatial politics of food justice would not characterize the problem as ‘lack of access’ in a ‘food desert’[8]. Instead, it would see the socio-spatial processes involved in the food system for what they are – nutritional apartheid (Garrett, 2008; Kurtz, 2013), abandoned bodies in sacrifice zones (Harrison, 2008), or race war (Wadiwel and Tedmanson, 2013). The solution, or the space of change, then, would not be a supermarket, farmers’ market, or healthy eating program aimed at certain bodies in a circumscribed location. If access is a function of wealth and income disparities disproportionately experienced by women and people of color (not proximity to a store with fruit that accepts food stamps), then the solution becomes finding a way to eliminate systemic racialized and gendered poverty more directly, such as a guaranteed basic income (see Weeks, 2012), or in the case of Europe, protecting and expanding existing social welfare and worker-centric programs.

          Cette analyse plus générale qui associe revenu, race, genre et survie est désormais de plus en plus reconnue. La politique spatiale de la justice alimentaire est mise en œuvre dans des mouvements qui créent des connexions au sein des filières alimentaires, comme Fight for Fifteen, la Food Chain Workers Alliance et le Restaurant Opportunities Centers United. Notre article se concentrant justement sur les ONG, cette politique spatiale ressort par exemple dans l'analyse des questions posées par le Comité pour la justice alimentaire de la Greene Hill Food Coop basé à Brooklyn (New York) : « Est-ce que la devanture ressemble à un espace blanc ? » ou encore « Discussion sur la gentrification – est-ce le problème sur lequel nous devrions nous concentrer ? » (Greene Hill Food Coop, 2013). Dans le nord d’Oakland en Californie, l’ONG Phat Beets écrit : « en tant qu’association œuvrant en faveur de la justice alimentaire, Phat Beets Produce a pour objectif non seulement de soutenir les petits agriculteurs, et les agriculteurs de couleur… mais aussi de questionner les politiques institutionnellement racistes qui ont conduit à un manque d’accès à une alimentation saine parmi les communautés de couleur et historiquement défavorisées, plus précisément dans le nord d’Oakland ». De même, les membres de Planting Justice, également basée à Oakland, ont publié une série d’articles mettant en lumière les connexions entre la race, la guerre, le colonialisme, les corps et la prison. Lors des émeutes d’avril 2015 à Baltimore, survenues après la mort d’un homme noir au cours d'une garde à vue, Free Farm, une association majoritairement blanche liée à Food Not Bombs, a soutenu les manifestants à travers une « solidarité culinaire » - c'est-à-dire en leur fournissant de la nourriture. Comme ces collectifs, la Freedom Food Alliance, dans le nord de l’Etat de New York, a cherché à analyser la violence étatique (Penniman, 2015). Ces associations ont étudié et cherché à expliciter les liens qui mènent aux processus oppressifs en utilisant la production et la consommation alimentaires comme moyens destinés à améliorer la situation. Pour ces associations, l'alimentation peut alors être un vecteur pour créer l’espace de répit nécessaire à la construction d’un autre monde.

          This broader analysis linking income, race, gender, and survival is now gaining greater recognition. We see the spatial politics of food justice practiced in movements connecting across the food chain such as the Fight for Fifteen (and a union), the Food Chain Workers Alliance and the Restaurant Opportunities Centers United. In the NGO context on which this paper focuses, we see it in analyses, for instance, of the Food Justice Committee of the Brooklyn-based Greene Hill Food Coop’s questions: “Does the storefront look like a white space?” and “Discussion of gentrification—is this the issue we should be focusing on?” (Greene Hill Food Coop, 2013). From North Oakland, California the NGO Phat Beets writes: “[a]s a food justice organization, Phat Beets Produce does not only work to support small farmers and farmers of color … we also work to critique the institutionally racist policies that have led to the lack of access to healthy food in historically low-income communities of color in the first place, specifically North Oakland.” Similarly, Planting Justice, also in Oakland, has produced a series of papers exploring the connections among race, war, colonialism, bodies, and prison. During the April 2015 protests in Baltimore over the death of yet another black man in police custody, Free Farm, a mostly white group associated with Food Not Bombs, supported protesters through ‘culinary solidarity’ – by bringing them food. Like these other collectives, the Freedom Food Alliance in upstate NY operates on an analysis of state violence (Penniman, 2015). These organizations have studied and sought to make explicit links to oppressive processes using food production and consumption as a means toward their amelioration. Through food, they may also create the breathing room necessary to build another world.

          Les relations néocoloniales (exportation de cultures de rente, standardisation, expropriation de terres, marchandisation des infrastructures alimentaires et de l’agriculture sous contrat) qui façonnent l'approvisionnement alimentaire d'un Nord riche, obligent les agriculteurs à se séparer de leur propriété foncière, et à s'installer aux Etats-Unis ou en Europe où ils deviennent des ouvriers agricoles (Wise, nd). Dans les nouveaux Etats membres d'Europe de l'Est de l'Union Européenne (UE), les agriculteurs reçoivent des taux de subvention plus faibles que les agriculteurs des anciens Etats membres de l'UE, mais ils sont pourtant en concurrence dans le même marché. Alors que la politique agricole de l'UE a favorisé le démantèlement des politiques de gestion de l'approvisionnement, entraînant ainsi un développement inégal, en instaurant des systèmes de subvention inégalitaires, les agriculteurs ont résisté. Par exemple, lors de la récente série de réformes de la Politique agricole commune (PAC), les agriculteurs des Républiques baltes ont fait campagne pour réclamer plus d'équité et de justice au sein de la politique agricole de l'UE (Blumberg, 2014a). Cependant, les agriculteurs de l'UE peinent à adopter une politique spatiale de justice alimentaire et de solidarité, car, plutôt que de s’organiser, ils préfèrent souvent défendre leurs groupes d’intérêts formés sur une base nationale, ou sectorielle, ou selon le type de produits destinés à l'exportation. Cette défense des petits intérêts accentue la concurrence, et fait plus de perdants que de gagnants. À l’inverse, il est nécessaire de dépasser les tendances expansionnistes du capital en démantelant les privilèges et en étendant l’accès à l’équité en ce qui concerne les conditions de vie dans les espaces agricoles. C'est dans cet esprit que des mouvements comme La Via Campesina cherchent à créer une solidarité agraire entre les petits agriculteurs agroécologiques à travers le monde, afin d'intervenir auprès de l'UE et de l'OMC contre le système agroalimentaire néolibéral. Plus récemment, dans l’idée d’élargir l’adoption de cette vision des choses, La Via Campesina a cherché à intégrer à ce système les droits des travailleurs migrants (voir aussi la Convention agricole et rurale 2020).

          Neocolonial relationships (export cash cropping, standardization, land grabs, marketization of food infrastructure, and contract farming) that feed the wealthier north drive farmers from the land and toward the U.S. and Europe where they become agricultural labor (Wise, nd). In the new EU member states of Eastern Europe, farmers receive lower subsidy rates than others farmers in the old EU member states, but they still compete in the same market. While EU agricultural policy has promoted the dismantling of supply management policies and furthered uneven development by instituting unequal funding schemes, farmers have resisted. For example, during the recent round of reforms to the Common Agriculture Policy, Baltic farmers launched a campaign to demand equity and justice in EU agricultural policy (Blumberg, 2014a). However, farmers in the EU have struggled to enact a spatial politics of food justice and solidarity, often preferring instead to organize by defending their national, sectoral, or agri-export-oriented commodity group interests. This defense of narrow interests heightens competition, creating more losers than winners. Instead, the expansionary tendencies of capital need to be exceeded by dismantling privilege and expanding equity in agricultural livelihoods. It is with this idea in mind that movements like La Via Campesina seek to create agrarian solidarity with agroecological, smaller scale farmers around the world in order to intervene in the EU and WTO against the neoliberal agrifood regime. Most recently in this progression of expanding the embrace of this vision, La Via Campesina seeks to connect this regime to migrant worker rights (see also the Agricultural and Rural Convention 2020).

          Même si les projets de commerce équitable reconnaissent certaines de ces inégalités et tentent d'y remédier, la justice alimentaire implique la recherche d’un idéal plus exhaustif suscité par un sentiment d'appartenance global. Ce dernier permet aux gens de se sentir responsables du maintien d'espaces alimentaires écologiquement et socialement habitables tout au long des filières d’approvisionnement alimentaire et de gestion des déchets, et non uniquement au niveau de leurs extrémités privilégiées. La réussite de ces projets tient largement à l’institutionnalisation transparente et responsable de relations fiables tout au long de la filière alimentaire, ce que les organisations pour la souveraineté alimentaire ont particulièrement bien fait. Là où le commerce équitable a échoué, c'est en arrêtant de mettre l’accent sur le fait que la relation établie était plus qu’un échange marchand, au profit d’un discours sur des modèles économiques de rémunération acceptables aux yeux des grandes industries agro-alimentaires (Howard et Jaffee, 2013). Ce faisant, les efforts pour étendre l'équité se voient compromis, car ils se résument alors uniquement à une petite prime qui justifie l'appellation de production plus éthique. Le commerce équitable ne peut suffire à affronter les hiérarchies globales induites par les privilèges, matérialisées par des inégalités spatiales entre les lieux ; ce processus requiert aussi des réparations pour les injustices passées qui pourraient remettre tout le monde sur un pied d’égalité, afin de pouvoir produire une alimentation saine et équitable.

          Fair trade projects acknowledge and attempt to remedy some of these inequalities, but food justice involves practicing a more comprehensive ideal enabled by a global sense of place that enrolls people in responsibility for co-maintaining ecologically and socially livable food spaces all along food supply and waste chains, not only at the privileged endpoints of food trajectories. Success in such projects is largely due to transparent and accountable institutionalization of responsibility relationships along the food chain, something food sovereignty alliances have done particularly well. Where fair trade has failed is in abandoning emphasis on this more-than-market-exchange relationship in favor of economistic models of payment palatable to large food processors (Howard and Jaffee, 2013), and hence undermining commitments to expand fairness by instead relying only on a small premium for nominally more ethical production. Confronting the global hierarchies of privilege that have materialized through spatial inequality between places necessitates more than just fair trade; it also requires reparations for past injustices that can better level the playing field to create healthy and sustainable food production processes.

          Bien qu’il ne s’agisse pas d’une réparation, on peut citer l’exemple d’un recours collectif réussi contre le Ministère américain de l'Agriculture au sujet de pratiques qui ont dépossédé des agriculteurs noirs de leur terre ; ce cas traite le problème de la dépossession en fournissant des contreparties financières à des dizaines de milliers de personnes (Carpenter, 2012). Au-delà de cet exemple de discrimination pure et simple ayant eu lieu dans un passé récent, l'augmentation des valeurs immobilières et les règles fiscales actuelles rendent les acquisitions foncières extrêmement difficiles pour les agriculteurs sans héritage familial ni capital suffisant. Le Minnesota est l'un des derniers États américains disposant de règles efficaces permettant d'empêcher l'acquisition de terres agricoles par les entreprises. Pour ce faire, la règlementation stipule que les exploitations doivent être détenues par des agriculteurs familiaux, ce qui exclue les entreprises (qu’il s’agisse de fonds de pension tels que TIAA-CREF ou toute autre entité non-familiale). L'Union des Agriculteurs du Minnesota et la Minnesota Food Association, entre autres ONG, ont convaincu le commissaire à l'Agriculture du Minnesota d'instaurer des dérogations à cette règle afin de soutenir tous les agriculteurs marginalisés : les femmes, les gens de couleur, les immigrés et les jeunes agriculteurs[11]. Grâce à ces dérogations, certaines opérations collectives (par exemple, la ferme de la Hmong American Farming Association à Vermillion, Minnesota) ont pu voir le jour. Mais le plaidoyer en faveur des dérogations a été fait de manière à ne pas remettre en cause la règle générale, considérée comme un outil en faveur de l’équité. Aux États-Unis, les réseaux regroupant des petits producteurs agro-écologiques n’ont absolument pas la puissance collective qu'ils peuvent avoir dans certaines régions d'Europe, ce qui explique la valeur symbolique de ces quelques succès. Ces deux exemples illustrent l'action sur chacun des quatre nœuds : permettre l'accès à la terre à des groupes plus marginaux en faisant évoluer les règles ou en leur octroyant des réparations ; reconnaître différentes méthodes de travail et différentes modalités d’échange (exemple du Minnesota), et reconnaître la nécessité d'instaurer l'équité dans la production sociale des espaces agricoles et alimentaires, et agir en ce sens.

          Though not reparations, the example of a successful class action case against the U.S. Department of Agriculture for practices that dispossessed Black farmers of their land addresses dispossession by providing payments to tens of thousands of people (see Carpenter, 2012). Apart from this example of outright discrimination in the recent past, rising property values and current tax rules make land ownership extremely difficult for farmers without inherited land or significant capital. Minnesota is one of the last states in the U.S. with effective rules in place to prevent corporate ownership of farmland. It does so by stipulating that farms must be owned by family farmers, not corporations (e.g. pension funds such as TIAA-CREF or any non-family entity). The Minnesota Farmers Union and the Minnesota Food Association, among other NGOs, worked with the Minnesota Commissioner of Agriculture to create exemptions to these rules in order to support immigrant, of color, women and new farmers[9]. These exemptions have allowed collective operations (e.g. the Hmong American Farming Association farm in Vermillion, MN, USA), however, the advocacy in support of the exemptions was done in ways that did not overturn the existing rule, which is itself considered a mechanism for equity. Smaller-scale agroecological farming networks in the U.S. have nowhere near the collective power they do in some parts of Europe, which is why these successes are so important. Both are examples of action on each of the four nodes: enabling access to land by more marginal groups through rule changes or redress, recognizing different modes of labor and exchange arrangements (MN example), and acknowledging and acting on the need for equity in the social production of food and farming spaces.

           

           

          Solidarité et politiques spatiales de la justice alimentaire

          Solidarity and the spatial politics of food justice

                     « Construire la communauté » est une phrase qui revient souvent dans le discours du food movement. Mais qui fait et qu'est-ce qui fait communauté, qu’est-ce qui la délimite, et quelle est sa politique ? Que va apporter la construction de la communauté ? La capacité de transformation des projets dépend des réponses à ces questions. Dans les travaux menés, il apparaît évident qu’en se réclamant de la justice alimentaire, ceux qui le font ont l’intention de s’asseoir ensemble « autour de la même table ». Mais à l’égard de qui, de quel « ensemble », dirigent-ils ce geste ? Dans la construction de la communauté ou dans le partage de la même table, il semble acquis que les relations sont les clés de la justice sociale. Cette stratégie laisse entendre que la rencontre peut convaincre les uns et les autres de leur humanité respective, ce qui rend possible un changement social progressif. Cet accent mis sur les relations correspond à la stratégie du food movement pour transformer le système alimentaire pas à pas : un repas à la fois, une personne à la fois, un quartier ou une « communauté » à la fois.

          ‘Building community’ is a phrase we often hear in dominant food movement discourse on food system change. But who is the community, where does it end, and what is its politics? What will building community do? Depending on the answer to these questions, the project may be more or less transformative. Evident in work that calls itself food justice is an intent to be ‘together at the table.’ But what is togetherness a gesture toward? In community building, or togetherness at the table, it seems accepted that relationships are key to social justice. The strategy suggests that through encounter, one person can be convinced of another’s humanity, making progressive social change possible. This emphasis on relationships is in keeping with the food movement’s strategy to change the food system one meal, person, neighborhood or ‘community’ at a time.

          Nous voyons bien quel bénéfice cette stratégie peut avoir individuellement, et ne renions pas l’importance cruciale des rencontres individuelles, susceptibles de susciter l’empathie. Pourtant, selon cette logique, seule la rencontre d'une personne pauvre pourrait nous permettre de comprendre la pauvreté, et, plus important encore, d'élaborer une politique susceptible de changer la vie des gens. Faire reposer le changement sur cette stratégie (personne par personne, communauté par communauté) sape la capacité à parvenir à la justice alimentaire, car cela implique de sans cesse réinventer et de rétablir les arguments en faveur de la justice. Or selon nous, la solidarité ne se résume pas au simple éveil de l’empathie à travers la mise en relation.

          We can well imagine the individual benefit, and do not deny the profound importance of face-to-face encounters to inspire empathy. Yet by this logic, we would need to meet a poor person to understand poverty and, more importantly, to develop policy to transform people’s lives. To build change, person-by-person, community-by-community, undermines the capacity to pursue food justice because it requires constantly reinventing and re-establishing the reasoning for justice. Solidarity, to us, must mean something much more than the arousal of empathy through contact.

          Cette stratégie individuelle du « un par un » semble particulièrement peu judicieuse si l'on considère que de nombreux militants blancs du food movement ne s’investissent pas de façon conséquente dans le bien-être des groupes non-blancs, comme le prouve l’échec à critiquer ou à travailler sur les processus socio-spatiaux propices aux privilèges blancs. Les études récentes montrent que les politiques résidentielles, de l'échelle fédérale à l'échelle locale, ont créé des concentrations encore plus denses de populations blanches privilégiées (Goetz et al., 2015). Cette division spatiale des groupes selon des critères raciaux et de classe affaiblit le sentiment de responsabilité des groupes blancs les plus riches envers le reste de la société (Gloor, Lauzeral et Leveugle, 2014). De la gentrification aux accords commerciaux, ces espaces ont été organisés selon ces privilèges qui, de façon injuste, font que la vie des uns soit facilitée par les difficultés de la vie des autres (Massey, 1994).

          This one-by-one strategy seems particularly misguided when we consider that many white food movement activists are significantly not invested in nonwhite groups’ well being, as evidenced by the failure to critique or work on the socio-spatial processes enabling white privilege. Recent analyses show that residential policy from the federal to local level has created ever more dense clusters of white wealthier people (Goetz et al. 2015). This spatial division of people along race and class lines diminishes white and wealthier people’s sense of responsibility for the rest of society (Gloor, Lauzeral, and Leveugle, nd). From gentrification to trade agreements, privilege arranged these spaces, unfairly making some lives easier as a direct and indirect consequence of others’ lives becoming more difficult (Massey 1994).

          En lieu et place de cette stratégie, nous aimerions proposer une politique spatiale fondée sur une solidarité élargie, car cette dimension semble actuellement manquer au food movement américain, alors qu’elle constitue un point crucial à la réussite du food justice movement. Dans les cas où il semble y avoir une pratique de la justice alimentaire, la solidarité est fondée sur la prise en compte, la reconnaissance et la révision de l'importance des inégalités et de la manière dont fonctionnent les relations de pouvoir. En pratique, cela signifie affronter la redoutable tâche de comprendre et d'éradiquer le racisme. Cela suppose de reconnaître les liens entre les différents problèmes, d’instituer des méthodes qui permettent de soulever des questions, et de créer des alliances avec les militants de la justice sociale, le tout de façon active.

          We would propose, instead, a spatial politics based on a broader solidarity, something that seems to be currently missing from the U.S. food movement, yet an aspect that appears crucial to more successful food justice organizing. In examples where food justice seems to be practiced, solidarity is based on understanding, acknowledging, and reworking the materiality of inequality and the way relational power functions. In practice, it means facing the difficult task of understanding and dismantling racism. This requires actively recognizing relationships among issues, institutionalizing methods that allow questions to be asked, and creating alliances with social justice advocates.

          L’idéal de justice est un principe universel qui, s'il a fait le tour du monde, est compris différemment selon le contexte. Si nous suivons l’approche ethnographique d’A. Tsing, qui consiste à « voir comment les vérités universelles sont utilisées » (Tsing, 2004, p. 9), il est important de montrer comment la justice alimentaire est façonnée par le tissu des connaissances contextualisées des acteurs qui utilisent le concept. Même si les mouvements agroalimentaires européens et nord-américains partageaient la même conception de la justice alimentaire, nous pourrions supposer d’avance que la façon dont s’organisent le traumatisme et l’équité en Europe diffère, compte-tenu des traumatismes fondateurs hérités de son passé (qui incluent le colonialisme, les génocides, l’Holocauste, le Stalinisme), autant que des politiques raciales différentes (par exemple l’islamophobie et la xénophobie) et des manières différentes dont la racialisation rend visibles les Blancs, les Roms, les Noirs, les Juifs, etc, à travers le continent.

          The ideal of justice is a universal principle that, as it travels globally, is taken up differently depending on the context. Following Anna Tsing’s ethnographic approach of “see[ing] how universals are used” (Tsing, 2004, p. 9), it is important to show how food justice becomes engaged through the situated knowledge of those involved in its use. Even if European and North American agrifood movements shared a similar concept of food justice, we would anticipate that European organizing around trauma and equity would be different given Europe’s foundational and contingent traumas (including colonialism, genocides, the Holocaust, Stalinism) as well as different racial politics (including Islamophobia and xenophobia) and many different ways that racialization makes white, Roma, black, Jewish etc. visible across the region.

          Les solidarités peuvent être définies comme des « actions translocales dans les relations matérielles entre les lieux » dans l’intérêt de parvenir à l’équité (Featherstone, 2012, p. 18). En se concentrant sur un lieu (échelle locale), le food movement agit là où les gens vivent mais aussi là où « le global » naît. En effet, ces lieux sont le point de départ de nombreuses expériences créatives et de grande envergure (St. Martin, 1999). Comme d’autres auteurs l’ont avancé, nous pensons que les espaces privilégiés du food movement et des mouvements d'économie sociale et solidaire (AMAP, troc, SEL, Edible schoolyard project, fiducie foncière, coopératives d’achat, etc.) créent des liens sociaux en même temps qu'un espace d'expérimentation, qui sont autant de « zones de soins transformateurs » (Tsing, 2012, p. 45) et de nouvelles formes potentielles de relations sociales et d’alliances (Laacher, 2002 ; Slocum et Gowan, 2016 ; Cadieux, 2013a). Les « collectifs anarchiques rigoureusement organisés » que sont les Groupements Italiens d’Achat Solidaire (GAS) cherchent à « transformer les secteurs du [capitalisme] en des économies fondées sur la confiance, où le respect mutuel, la solidarité et la co-production créent de nouvelles pratiques économiques qui ne sont plus exclusivement guidées par le seul objectif de maximisation du profit » (Grasseni, 2013, p. 109, p. 29 respectivement). Certains de ces groupements ont cherché à s'approvisionner dans les vergers d’orangers de Sicile, par solidarité avec les travailleurs migrants. Malgré les bouleversements que les Grecs sont en train de vivre et la montée de l’extrême droite, on peut citer l’exemple de ces Grecs qui rejoignent les migrants cueilleurs de fraises pour dénoncer, avec succès, les conditions de vie et de travail qui relèvent de l’exploitation (Gialis et Herod, 2014). Ces efforts pour construire des espaces progressistes s’inscrivent dans les nœuds que nous avons mentionnés (l’équité/le traumatisme, l’échange, la terre et le travail), dans le but de reconnaître les relations qui traversent les espaces alimentaires et d'introduire de la solidarité dans les géométries du pouvoir transnationales de l’alimentation, qui ont pris forme du fait de hiérarchies globales de race, de classe et de genre.

          Solidarities are translocal “interventions in the material relations among places” in the interests of equity (Featherstone 2012, p. 18). With its focus on a (local) place, the food movement operates where people live as well as where ‘the global’ is formed. These are places from which many creative and far reaching experiments are being attempted (St. Martin, 2009). As others have argued, the spaces encouraged by the food and social or alternative economy movements (CSA, barter, LETS, edible schoolyards, land trusts, buying clubs, etc.) create social ties and a space for experimentation, “zones of transformative care” (Tsing, 2012, p. 45) and potentially new forms of social relations and alliances (Laacher, 2002; Slocum and Gowan, 2015; Cadieux, 2013a). The “rigorously organized anarchic collectives” that are Italian Solidarity Purchase Groups (GAS) seek to “transform sectors of [capitalism] into economies of trust, in which reciprocal respect, solidarity and co-production shift economic practice away from the sole consideration of profit maximization” (Grasseni, 2013, p. 109, p. 29 respectively). Some of these groups have sought to purchase in solidarity with migrant orange grove laborers in Sicily. Despite the upheaval Greeks are experiencing and the strengthening of the far right, we note the example of Greeks joining migrant strawberry pickers to successfully challenge exploitative living and working conditions (Gialis and Herod, 2014). These efforts to produce progressive space work at the nodes we have outlined (equity/trauma, exchange, land, and labor) to acknowledge relationships across food spaces and to perform solidarity in the transnational power geometries of food that have materialized through global hierarchies of race, class, and gender.

          Même si ces expériences sont porteuses d'un grand potentiel, il est aussi évident que cette solidarité souffre de grandes lacunes. Proposer la solidarité uniquement à l'échelle locale reste aussi insuffisant que la construction de réseaux sur la base des privilèges. Les membres du GAS sont en général blancs et issus de la classe moyenne (Grasseni, 2013). Dans la vallée de l’Aude, il est difficile pour certains d'intégrer des réseaux renommés censés générer la confiance à l’échelle de la commune à travers la coopération économique, le troc, et le travail non-aliénant (Cazella, 2001 ; Slocum et Gowan, 2016). À mesure que la précarité se développe en France, des dirigeants politiques demandent la fin des aides sociales publiques, pendant que les banlieues restent les lieux d’un exil difficile pour les populations immigrées (issues des anciennes colonies) (Gloor, Lauzeral et Leveugle, 2014). Même si nous pouvons nous inspirer des mouvements européens pour défendre les agriculteurs et les travailleurs, l’exemple de la « forteresse Europe », si impressionnante, érigée au pied des vagues où reposent désormais de nombreux migrants, suggère un besoin urgent d'étendre la solidarité au-delà des Européens de l'ouest, blancs, chrétiens, lettrés, que cette forteresse cherche aujourd’hui à protéger. De la même manière, il est intenable de pratiquer une solidarité « localisée », qui exclue l’Ukraine, la Turquie, la Grèce et les autres pays – appelés PIIGS, terme racisant s'il en est (Stavrakakis, 2013)– quand ces pays sont forcés d'accepter les mesures punitives du FMI, de la Banque Centrale, et des centres décisionnels de l'Union européenne. Après la faillite de l’Etat grec, les réseaux mis en place pour recréer des structures et maintenir la vie malgré la dette, ressemblent en apparence aux exemples positifs que nous avons mentionnés (Badiou et Kouvelakis, 2015). Et ces mesures construisent sans doute des espaces socialement et politiquement progressistes. Mais comme d'autres expériences impressionnantes en Europe de l’Est et dans les Suds, ces réseaux peuvent aussi être le signe d’une urgence face à la violence ou à l'absence de l’Etat, voire les deux, et face au désespoir des populations. Les Déclarations universelles des droits de l’homme sont prêtes, mais elles ont besoin de l'appui des réseaux de solidarité translocale pour revendiquer leur droit à être appliquées, à protéger la vie, et à refuser l’austérité.

          Though we see great potential in these possibilities, it is also apparent that there are solidarity gaps. Just as local-only solidarity is insufficient, so too are networks that build on privilege. GAS participants tend to be white and middle class (Grasseni 2013) and in the Aude’s valleys, renowned networks that enable communal reliance through economic cooperation, barter, and non-alienated work are difficult for some to integrate (Cazella, 2001; Slocum and Gowan, 2015). As precarity increases in France, we hear of political leaders calling for an end to public assistance, while the suburbs remain places of harsh exile for people from the postcolonies (Gloor, Lauzeral, and Leveugle nd). Though European movements to protect farmers and workers inspire us, the example of Fortress Europe, formidable above the waves beneath which so many migrants now lie, suggests a dire need to expand solidarity beyond the white, Christian, documented, Western Europeans it currently seeks to protect. Equally untenable is a localized solidarity that excludes Ukraine, Turkey, Greece and the other countries – called PIIGS, a racializing term (Stavrakakis, 2013) – and instead forces them to accept the punitive measures of the IMF, Central Bank, and E.U. power centers. After the evisceration of the Greek state, the network building that has been necessary to recreate structures to sustain life after debt may look like the positive examples we have mentioned above (see Badiou and Kouvelakis, 2015). And surely these measures build politically and socially progressive spaces. But like similarly impressive creations in Eastern Europe and the global south, they may arise out of urgent necessity because the state is brutal, absent, or both, and desperation reigns. Universal rights declarations stand ready, but they need the force of translocal solidarity networks to demand the right to come ashore, create a life, and refuse austerity.

           

           

          Conclusion

          Conclusion

          Pratiquer la justice alimentaire signifie transformer l’espace agroalimentaire. Les relations socio-spatiales passées et présentes, profondément inégales, structurent les systèmes alimentaires à travers le monde. Les inégalités raciales, qui tirent leur origine de l’impérialisme et du colonialisme, se retrouvent aujourd'hui dans les systèmes de développement agroalimentaires largement fondés sur des pratiques d'exploitation néocoloniales (extraction) et sur l’austérité, des éléments qui sont parmi les plus difficiles à transformer. La justice alimentaire, en tant qu’idéal radical, cherche justement à transformer ces relations, en mobilisant les acteurs autour de quatre nœuds – l’équité/le traumatisme, la terre, le travail et l’échange. Les politiques spatiales de la justice alimentaire impliquent donc à la fois un processus d’engagement avec les personnes aux échelles locale et mondiale, et la création de différentes modalités d’échange, d’estimation de la valeur de la terre, et de relations de travail. Ces nœuds sont les points de départ qui créent des solidarités translocales, condition sine qua non d'une situation de justice. Sans minimiser les initiatives à plus grande échelle comme celles dont nous avons fait l’éloge précédemment, il paraît nécessaire de recentrer la lutte pour la justice alimentaire sur des changement majeurs associés à ces quatre nœuds. Les études de cas au Minnesota (Etats-Unis) ainsi que les recherches conduites à d'autres multiples endroits montrent la difficulté à prendre en compte et agir sur le racisme systémique, ce qui devrait pourtant être la base des actions de justice alimentaire. À l'aune des combats menés par les collectifs pour lier les aspirations de justice aux actions solidaires, nous proposons des méthodes que les groupes peuvent utiliser pour analyser et discuter des relations de pouvoir, s’organiser autour d’un sentiment progressif d'appartenance, et créer des alliances significatives, sans lesquelles il ne peut pas y avoir de justice (alimentaire). L’accent mis sur la nécessaire évolution des pratiques ne doit pas être interprété comme un simple argumentaire visant à améliorer à peine les projets classiques du food movement grâce à un antiracisme de façade. Bien que nos recherches mettent en évidence des solidarités, comme c'est aussi le cas en Grèce ou à Oakland, à Soulfire Farm ou dans les réseaux de La Via Campesina, il est nécessaire de les étendre en utilisant l'alimentation, pour prétendre à davantage de justice.

          To practice food justice means to change agrifood space. Past and present socio-spatial relations structure food systems everywhere in deeply unequal ways. Racial inequalities, created under imperialism and colonialism, are today found in neocolonial extractive, austerity-based, agrifood development regimes that are among the most important to alter. Food justice, as a radical ideal, seeks to transform these relations, often mobilizing around four nodes–equity/trauma, land, labor and exchange. The spatial politics of food justice involves both a process of engagement with people locally and globally and the creation of different modes of exchange, valuations of land and labor relations. The nodes are entry points for translocal solidarities that must be (and are being) created to secure justice. Though we do not want to write off smaller scale efforts such as those we cautiously lauded above, there is a need to refocus struggle around major changes at these four nodes. Our analysis of case studies from Minnesota, USA, and research we have conducted in several other places shows the difficulty of understanding and altering systemic racism, an action key to creating food justice. In light of groups’ struggles to link justice aspirations to solidaristic action, we offer methods that groups can use to analyze and discuss power, organize around a progressive sense of place, and create meaningful alliances. Without these, there can be no (food) justice. Our emphasis on changing practice should not be misconstrued as an argument for merely improving the food movement’s typical projects with a symbolic coating of antiracism. Though evidence of solidarity can be seen our studies, as well as in Greece and Oakland, on Soulfire Farm and in La Via Campesina’s networks, the need remains to expand solidarities using food to claim justice.

           

           

          A propos des auteurs : Dr. Rachel Slocum, Professeur associée, Sustainable Development Program, School for International Training Graduate Institute, Brattleboro, Vermont, USA Dr. Kirsten Valentine Cadieux, Professeur adjointe, Environmental Studies, Hamline University, St. Paul, Minnesota, USA Dr. Renata Blumberg, Professeur adjointe, Health and Nutrition Sciences, Montclair State University, Montclair, New Jersey, USA

          About the authors: Dr Rachel Slocum, Associate Professor, Sustainable Development Program, School for International Training, Graduate Institute, Brattleboro, Vermont, USA Dr Kirsten Valentine Cadieux, Assistant Professor, Environmental Studies, Hamline University, St. Paul, Minnesota, USA Dr Renata Blumberg, Assistant Professor, Health and Nutrition Sciences Department of Montclair State University, Montclair, New Jersey, USA

           

           

          Pour citer cet article : « Solidarité, espace et « race » : vers des géographies de la justice alimentaire » justice spatiale | spatial justice, n°9, Janvier 2016, http://www.jssj.org/

          To quote this article: “Solidarity, space, and race: toward geographies of agrifood justice”, justice spatiale | spatial justice, n°9, January 2016, http://www.jssj.org/

           

           

          [1] Note des coordinatrices (Camille Hochedez – Julie Le Gall) : nous avons préféré garder dans ce texte l’expression food movement en anglais, faisant référence au mouvement d’opposition au système agro-alimentaire dominant et qui prend différentes formes, plus ou moins radicales (voir Holt-Giménez, E. and Y. Wang, « Reform or transformation? the pivotal role of food justice in the U.S. food movement ». Race/Ethnicity: Multidisciplinary Global Contexts, 5(1):83-102, 2011. et Paddeu Flaminia, De la crise urbaine à la réappropriation du territoire. Mobilisations civiques pour la justice environnementale et alimentaire dans les quartiers défavorisés de Detroit et du Bronx à New York, thèse de géographie sous la direction de Cynthia Ghorra-Gobin, Université Paris IV, 484 p., 2015). Dans ce texte, les auteurs opposent le food movement le mouvement alimentaire le plus courant, général, qualifié aussi parfois de « communautaire » ou « alternatif », au food justice movement, le mouvement pour la justice alimentaire, plus radical.

          [1] Local often refers to an underspecified and imagined spatial relationship assumed to be better because of its smallness and proximity. Sometimes local food refers to food sourced from farmers who live within a specific radius of a farmers’ market, a town, or within a political boundary. Although this locality can be important for food justice and food sovereignty efforts, we argue that this is because of the specific relationships involved, and that justice is not automatically on the side of “small” or “local.”

          [2]Le « local » fait souvent référence à une représentation simplifiée et imaginée de l’espace, cette échelle étant censée être meilleure du fait de sa petite dimension et de la proximité. Parfois l’alimentation locale fait référence à des aliments provenant d’un rayon bien spécifié autour d'un marché fermier ou d'une ville, ou d’une entité administrative bien délimitée. Même si ce caractère local peut être un aspect important des mobilisations en faveur de la justice alimentaire et de la souveraineté alimentaire, nous avançons que c’est lié à la spécificité des relations engagées et que la justice alimentaire n'est pas automatiquement corrélée aux « petites dimensions » des relations ni au « local ».

          [2] Every time we use the word ‘food’ as an adjective, we use it in a systemic way that encompasses production (agriculture and processing), distribution, consumption, and waste—rather than saying, for example, ‘agrifood justice.’ For our purposes, agriculture is implied. That said, our examples focus more on NGO politics and practices in urban and rural projects, not the specifics of how to create agricultural justice with farmers or farm workers. Given the topic of this special issue, it seems relevant to point out that agricultural justice, as a project, has been well articulated and critiqued within the framework of food sovereignty and the human right to food and land. Agricultural (migrant) labor has been productively analyzed using the environmental justice framework. Central to creating agricultural justice is decommodification of land and food, with feminist, antiracist and agroecological cooperative, collective, and solidarity economies being proposed as alternative frameworks.

          [3] Le terme «alimentaire» est ici utilisé de manière systémique. Il englobe la production (agriculture et transformation), la distribution, la consommation et les déchets. L'agriculture est donc englobée dans l'adjectif "alimentaire", plutôt que de parler de « justice agroalimentaire". Cela dit, nos exemples concernent davantage la politique et les pratiques des ONG dans les projets urbains et ruraux, et non la manière dont les agriculteurs ou ouvriers agricoles peuvent créer une situation de justice agricole. Étant donné la thématique de ce numéro, il semble pertinent de souligner que la justice agricole, en tant que projet, a été bien articulée et analysée dans le cadre de la souveraineté alimentaire et du droit des hommes à l'alimentation et à la terre. Le cadre de la justice environnementale a permis d'analyser de manière efficace la question du travail agricole (des migrants) . La démarchandisation de la terre et de l'alimentation est centrale pour fonder une situation de justice agricole ; elle repose sur la proposition de cadres économiques alternatifs, tels que féministes, antiracistes, coopératifs et agroécologiques collectifs et solidaires.

          [3] The dominant or mainstream food movement in the U.S. refers to a constellation of individuals, NGOs, alliances, initiatives, companies, and government entities arranged in affiliations of different intensities and scales to support food security and sustainable farming.

          [4] Le food movement « dominant » désigne une myriade d’individus, d'ONG, d'alliances, d'entreprises ou d'institutions gouvernementales, organisés en réseau avec plus ou moins de liens et à différentes échelles pour parvenir aux objectifs de sécurité alimentaire et d’agriculture durable. Voir aussi la note 1.

          [4] As the editors point out, this special issue affords us an opportunity to highlight the links between agricultural resources and food justice as well as make connections between food justice and environmental justice. To do both, we argue, requires addressing systemic racism and using it as one useful analytic lens to understand, for instance, migrant agricultural labor, land dispossession, and the struggles of smaller scale farmers globally. The importance of that lens has only recently become more widely apparent in the U.S. Here, the mainstream food movement traditionally identified the problem of the food system as smaller scale farmers losing their farms to banks after having lost against agribusiness’ economies of scale and subsidized accumulation. This, indeed, is how the problem has been characterized in Europe as well. Though the struggles of agroecologically-leaning, smaller scale farmers must surely be recognized as a justice issue, their interests are not typically aligned with the situation of (undocumented, racialized, and impoverished) food chain workers. In light of the problem as defined, the U.S. food movement began with a focus on supporting higher prices for smaller-scale, sustainable farmers in hopes of enabling them to thrive in farming (as land prices rise), with a concomitant effort to get that food to urban, nonwhite people, identified as having a problem of access. This required relying on wealthier, white consumers whose ability to buy said food is partly the result of centuries of white privilege. The point is, agriculture and all the other parts of the food system cannot be just unless they are organized in ways that disconnect the relationship between privilege and land, housing, eating, work and wealth.

          [5] Comme les éditrices le soulignent, ce numéro invite à mettre en évidence les liens entre ressources agricoles et justice alimentaire et à créer des connexions entre justice alimentaire et justice environnementale. Pour ce faire, nous soutenons qu’il est nécessaire de lutter contre le racisme systémique et de l'utiliser comme l’une des grilles d'analyse utile pour comprendre, par exemple, la question du travail agricole des migrants, de la dépossession foncière, et des luttes des petits paysans dans le monde. Ce n'est que récemment que cette grille a émergé aux États-Unis. Pour le food movement, le problème traditionnellement identifié dans le système alimentaire est celui des petits agriculteurs qui perdent leurs fermes face aux banques, après avoir perdu contre la logique des économies d'échelle de l'agrobusiness et de l’accumulation de subventions. C'est aussi la manière dont le problème a été caractérisé en Europe. Or, même si les luttes des petits exploitants agricoles ou agro-écologiques doivent vraiment être reconnues comme des questions de justice, leurs intérêts ne correspondent pas, en général, à ceux des travailleurs des filières agro-alimentaires (qui sont sans-papiers, victimes du racisme et paupérisés). Selon la façon dont le problème a été défini, le food movement aux Etats-Unis a d'abord mis l'accent sur le soutien aux prix pour les petits producteurs pratiquant une agriculture durable. Il s’agissait par là de leur permettre de prospérer dans cette activité (alors que les prix du foncier augmentaient), et de faire en sorte que cette nourriture puisse être consommé aussi par les urbains de couleur (puisque l’un des problèmes identifiés était qu’ils n’y avaient pas accès). Cette approche s’appuie forcément sur les consommateurs les plus riches, blancs, dont la capacité à acheter lesdits aliments résulte, entre autres, de siècles de privilèges attribués aux Blancs. Le point essentiel ici est que l'agriculture et toutes les autres dimensions du système alimentaire ne peuvent être justes que si elles sont organisées de façon à déconstruire les liens entre les privilèges et la terre, le logement, la nourriture, le travail et la richesse.

          [5] We are grateful to an anonymous reviewer for reminding us that our paper’s argument may be perceived by readers from some scholarly traditions as more of a manifesto than as empirically grounded research. Our sentiments are near the surface of the writing not for any lack of rigor, but because our methodology recognizes that all research is partially subjective and that we have responsibilities in the way we carry out such research. As members of communities of practice, it matters how we name problems (e.g. systemic racism). Explicitly naming the ideological commitments and entanglements of participatory action research helps begin to make arguments such as ours more accessible to the wide range of people who negotiate food justice.

          [6] A ce sujet, nous remercions l’un des relecteurs anonymes de nous avoir rappelé que l'idée principale de notre article peut être perçue par certains lecteurs, selon leurs traditions académiques, comme un manifeste politique plutôt que comme le résultat de recherches empiriques. L’écriture peut certes refléter nos opinions, mais en aucun cas un manque de rigueur. Il s’agit plutôt d’un parti-pris méthodologique qui reconnaît que toute recherche est en partie subjective et qu'elle nous investit d'une responsabilité sociale. En tant que membres de communautés de pratique, le vocabulaire employé pour nommer les problèmes (par exemple, le racisme systémique) n'est pas anodin. Nommer explicitement les engagements idéologiques et la complexité de la recherche-action participative est donc un préalable pour construire nos arguments, et notamment ceux qui sont le plus accessible au large panel de personnes qui œuvrent en faveur de la justice alimentaire.

          [6] This term is used in the U.S. to indicate an experience of racism. We use it interchangeably with non-white. None of these terms is perfect. The label “people of color” can suggest a similarity of experience or cohesion in activism that has not always obtained. However, there are, of course, similarities of experience in, for instance, the often traumatic exclusion from the benefits of white privilege.

          [7] Ce terme est utilisé aux Etats-Unis pour indiquer une expérience raciste. Nous l’utilisons comme synonyme du terme « non-blanc ». Aucun de ces termes n’est satisfaisant. L'expression « personnes de couleur » peut suggérer des similarités dans l'expérience ou la solidarité militantes qui n'ont pas toujours existé. Cependant, il existe évidemment des similarités dans l’expérience de l'exclusion souvent traumatisante des privilèges blancs, par exemple.

          [7] This focus is exemplified by the Minnesota Institute for Sustainable Agriculture and the Lamberton Station (the University of Minnesota Southwest Research and Outreach Center), which has been studying organic cropping systems for over 50 years.

          [8] Note des éditrices : une chaîne de supermarchés.

          [8] ‘Food desert’ is a term given to places devoid of supermarkets and farmers’ markets that provide people with fresh food. But like other words that fix the meaning of space (e.g. inner city, trailer park), it obscures the racialized, gendered, and classed processes that created places without affordable and/or nutrient dense food, not to mention ways to make a living. The concept is also problematic because it assumed that corner stores do not carry anything worth eating.

          [9] Ce point est illustré par le Minnesota Institute for Sustainable Agriculture et le Lamberton Station (Centre de recherche et de diffusion de l'Université de Minnesota), qui étudient les systèmes de production biologique depuis plus de 50 ans.

          [9] https://www.revisor.mn.gov/statutes/?id=500.24

          [10] L'expression « désert alimentaire » désigne un espace dépourvu de supermarchés et de marchés de producteurs qui fournissent une alimentation fraîche. Mais à l’image d'autres expressions qui fixent des catégories spatiales (par exemple, "centre ville" ou "parc à roulottes"), elle occulte les processus racialisés, de genre et de classe, sans parler des problèmes d'emploi, qui ont abouti à la formation d'espaces dépourvus de nourriture abordable et / ou riche d'un point de vue nutritionnel. Le concept est également problématique, car il suppose que les épiceries ne vendent que de la nourriture de mauvaise qualité.

          [11] https://www.revisor.mn.gov/statutes/?id=500.24

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