Mémoires

Remembrances

Regarder vers l’avant, ne pas oublier de regarder aussi vers l’arrière… peut-être est-ce cette double volonté qui nous anime au moment de publier ce numéro 9 de JSSJ ? Vers l’avant bien sûr, vers les numéros à venir mais aussi immédiatement porter le regard sur le dossier que l’on trouvera ici sur la « justice alimentaire » parce qu’il ouvre plus encore notre champ de réflexion, sur un thème dont les deux responsables du numéro nous montrent le caractère novateur et aussi la transversalité en termes d’espaces concernés. Une nouvelle fois nous pensons contribuer ainsi à des croisements enrichissants, d’une part entre les corpus scientifiques francophones, anglophones et au-delà, d’autre part entre les espaces urbains et non-urbains.

We look forward to this new year, but cannot but look back also… this is our ambiguous feeling as we launch JSSJ’s 9th issue. Look ahead to upcoming new issues and to the issue on « food justice » included here, which opens up new avenues of thought on a theme that the issue editors show is as innovative as it is cross-cutting. We see this as a renewed opportunity to contribute to a dialogue between Francophone scholarship, Anglophone scholarship, as well as other research in other languages, about urban and non-urban areas.

Regarder en arrière est aussi aujourd’hui une obligation absolue, au début d’une nouvelle année qui ne nous fera pas oublier 2015, avec toutes ses douleurs et toutes ses colères. On en trouvera dans la rubrique Espace public de ce numéro, en image, en son et en texte, une trace pour nous majeure, celle de notre ami Matthieu Giroud, tué au Bataclan le 13 novembre dernier. Matthieu Giroud, si proche de nos engagements et qui a collaboré à plusieurs reprises avec JSSJ ou dans d’autres contextes avec plusieurs d’entre nous. Il nous manque personnellement autant qu’il manque à la recherche urbaine française.

We feel compelled to look back also, as we begin a new year that cannot make us forget 2015, a year of pain and anger. In this issue’s Public Space section, we have collected images, sound and texts which carry the crucial and heartbreaking memory of our friend Matthieu Giroud, who died on November 13th at the Bataclan. He was a close and engaged colleague, who contributed to JSSJ and worked with several of us in different contexts, and he is sorely missed by us all as well as French urban research in general.

Regarder en arrière aussi, hélas, parce que c’est avec une très grande tristesse que nous avons appris le décès de Ed Soja le premier novembre 2015, à Los Angeles. Depuis cette date, les hommages se sont multipliés sur la toile, sur le site de son université (http://newsroom.ucla.edu/stories/in-memoriam:-edward-soja-distinguished-professor-emeritus-of-urban-planning), sur les blogs d’enseignants-chercheurs, chez les géographes et chez les spécialistes en études urbaines.

We also look back in sadness on the death of Edward Soja in early November, in Los Angeles. There have been many tributes to him on the internet, his university’s website (http://newsroom.ucla.edu/stories/in-memoriam:-edward-soja-distinguished-professor-emeritus-of-urban-planning), on several blogs by scholars from the fields of geography and urban planning.

Pour la revue JSSJ, Ed Soja a été un parrain de choix et de cœur : présent à la conférence inaugurale de 2008 alors même qu’il développait son projet d’ouvrage sur la justice spatiale publié en 2010, présent dans le premier numéro de la revue aussi, il a toujours depuis, chaleureusement et généreusement, soutenu JSSJ et ses initiatives, et ne manquait jamais d’en demander des nouvelles. Il nous avait dit à quel point notre projet l’avait tout à la fois enthousiasmé et touché, lui qui avait bien été le premier à porter le concept de justice spatiale, en tant que tel, à un niveau d’élaboration théorique qui le rend si mobilisable aujourd’hui. Ce concept était au cœur de ses travaux depuis longtemps, dès 2000 il disait dans Postmetropolis « « I do not mean to substitute spatial justice for the more familiar notion of social justice, but rather to bring out more clearly the potentially powerful yet often obscured spatiality of all aspects of social life and to open up in this spatialized sociality (and historicality) more effective ways to change the world through spatially conscious practices and politics. » (page 352). Ceci, à JSSJ, nous ressemble et nous rassemble, pour une énorme part nous le devons à Ed Soja. De même nous inspire l’attitude d’un penseur généreux qui ne fait pas son territoire de ses idées mais au contraire en fait le don et se réjouit toujours que d’autres s’en saisissent à leur tour. Ceci explique aussi assez pourquoi, pour beaucoup d’entre nous ses travaux ont été de vraies inspirations dans nos propres recherches, dans leur affirmation constante, à travers les thèmes variés qu’ils ont abordés, de la dimension spatiale des sociétés. Nous avons tous notre livre préféré de Soja, selon les centres d’intérêt qui nous sont proches : justice spatiale, postmodernité, restructuration urbaine, etc. Mais c’est aussi son style si particulier et sa force de conviction, constants d’un bout à l’autre de son œuvre, qui frappent d’un texte à l’autre et relient tous ces textes.

For our journal JSSJ, Ed Soja was an early, hearty and constant supporter : he attended uour 2008 inaugural conference while he was working on his book on spatial justice (published in 2010). He contributed to our first issue, and was ever, warmly and generously, supportive of JSSJ, which he would always enquire about. He had told us how enthusiastic of our project he was, as the first to have fully theorized spatial justice as such and made the concept available to many of us. He had mentioned the idea as early as 2000 in Postmetropolis : « « I do not mean to substitute spatial justice for the more familiar notion of social justice, but rather to bring out more clearly the potentially powerful yet often obscured spatiality of all aspects of social life and to open up in this spatialized sociality (and historicality) more effective ways to change the world through spatially conscious practices and politics. » (page 352). This summarizes our common beliefs and commitments quite well, and it is a debt we owe Ed Soja. We are also inspired by this generous thinker who was not territorial about his ideas but always happy to share them, donate them, and let others run away with them. For many of us, his work provided inspiration for our own research, with its central focus on the spatial dimensions of societies, which he re-asserted in all his diverse body of work. Each of us has his or her favorite book by Soja, depending on our interests : spatial justice, postmodernity, urban restructuring… but we were all touched by his personal style and force of conviction, which run from his earliest to his latest work, as a constant thread.

Nous nous souviendrons de son enthousiasme pour les choses de l’esprit comme pour les choses de la table, de son appétit de tout, de discuter, d’observer, de manger et de boire ; de longues conversations érudites qui pouvaient tout à fait commencer (ou finir) par sa liste des meilleurs restaurants éthiopiens de Los Angeles ; de sa joie si simple, lors de sa venue sur le campus de l’Université de Nanterre, de s’exprimer dans l’amphithéâtre Henri Lefebvre ; de son émerveillement de gamin quand une nichée de chouettes a pris possession du rebord de la fenêtre de son bureau à UCLA...

We fondly remember his enthusiasm for ideas and for good food, his appetite for both, for discussion, observation, companionable eating and drinking ; long erudite conservations that could unexpectedly begin (or end) with a ranking of the best Ethiopian restaurants in Los Angeles ; his unalloyed joy, when he came to the university of Nanterre, at speaking in the Henri Lefebvre auditorium ; and how he marvelled at the birds which came to nest on the windowsill of his office at UCLA…