Mireille DELMAS-MARTY

Aux quatre vents du monde, Petit guide de navigation sur l’océan de la mondialisation

Le Seuil, 2016, 150 p. | commenté par : Bernard Bret

Alors que nous sommes exposés aux quatre vents du monde, Mireille Delmas-Marty nous offre un petit guide de navigation sur l’océan de la mondialisation. Elle va à l’essentiel et, se réclamant du poète Edouard Glissant, elle file la métaphore du vent pour redonner souffle à une société en panne, tel un navigateur dans le pot au noir.

Juriste de longue date attentive aux problèmes liés à la mondialisation, Mireille Delmas-Marty avait précédemment publié des travaux précieux pour penser le monde et agir dans le monde. On retiendra surtout Les forces imaginantes du droit (quatre volumes, Le Seuil, 2004 à 2011) où elle avait montré les tensions entre Le relatif et l’universel et où elle prônait Le pluralisme ordonné comme principe directeur pour organiser une planète mondialisée, c’est-à-dire intégrée et pourtant diverse

           Aux quatre vents du monde est de la même veine. Dans un style très original, incisif et qui va à l’essentiel, l’auteure affirme que le raisonnement juridique, longtemps cohérent avec un droit lui-même hiérarchique et stable parce que correspondant à un territoire d’Etat, doit s’élargir pour approcher la mondialisation d’une façon dynamique en phase avec la nouvelle donne : des interdépendances croissantes, de nouveaux acteurs, de nouveaux principes et de nouvelles catégories juridiques… au total, une complexité croissante tiraillant le monde entre des vents contraires et plaçant le citoyen dans l’incertitude sur la route à suivre. Reprenant donc les trois idées majeures de son précédent ouvrage (résister, responsabiliser, anticiper, Le Seuil, 2013), Mireille Delmas-Marty veut résister à la déshumanisation, responsabiliser les acteurs, anticiper les risques à venir. Pour cela, il faut du souffle : du souffle comme esprit, à l’esprit comme énergie, puis à l’énergie comme action.

Sans doute faut-il d’abord mieux comprendre la situation. C’est peu dire qu’elle est inquiétante. Le début du XXIème siècle accumule des crises qui s’ajoutent les unes aux autres et créent un mélange explosif. C’est la crise financière, c’est aussi la crise du terrorisme international, c’est encore la crise du dérèglement climatique, c’est, liée à elles, la crise des migrations. Les droits nationaux ne sont évidemment pas à l’échelle de ces problèmes mondiaux. Or, s’il est vrai que le droit international progresse, il se heurte encore trop souvent au principe de souveraineté. Mais, parce qu’elle est elle-même convaincue des forces imaginantes du droit, Mireille Delmas-Marty sait être convaincante quand elle nous montre des issues possibles. Posant les forces majeures qui organisent le système mondial et conditionnent l’action des citoyens, elle dessine une rose des vents (p. 79). La liberté en est un point essentiel, à quoi doit aussi répondre la sécurité, de même que la compétition entre les acteurs doit être équilibrée par leur nécessaire coopération. De la combinaison de ces quatre données, ces quatre vents, découlent quatre processus possibles, quatre autres vents : la liberté et la compétition produisent l’innovation, mais la compétition associée à la sécurité peut engendrer l’exclusion alors que la liberté et la coopération permettent l’intégration, et que la sécurité combinée avec la coopération conduit à la conservation. Autant de tendances et de scénarios possibles. Ainsi, la tension entre l’exigence de liberté et le besoin de sécurité a-t-elle conduit à des dérives dans la lutte anti-terroriste et mis à mal ou menacé l’Etat de droit (prison de Guantanamo et autorisation de la torture aux Etats-Unis, débat sur la déchéance de nationalité en France). Mais, ces tensions sont ce que nous en faisons. Elles peuvent être régulées si nous utilisons les vents de la mondialisation pour nous orienter en fonction de principes, et c’est de nouveau un dessin (p.107) qui résume la pensée de l’auteure : la ronde des vents qui montre comment la gouvernance mondiale, quels que soient les acteurs qui l’exercent, pourrait contribuer à équilibrer les tensions nées de la mondialisation, afin de réguler les souffles d’une mondialisation que l’on voudrait légitime et efficace (p. 89). Les droits indérogeables reconnus dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme permettent de concilier la liberté et la sécurité. De la même façon, pratiquer à la fois la compétition et la coopération avec ses partenaires est possible quand on respecte la nécessaire solidarité à l’échelle planétaire. De même aussi, le principe de précaution entendu comme un principe d’anticipation (il ne faut pas tant maintenir toujours l’existant qu’anticiper les avantages et les risques du nouveau pour faire des choix éclairés) évite la double impasse du conservatisme ou de l’innovation dangereuse. Finalement, puisque l’intégration forcée qui nierait les identités comporte autant de périls que l’exclusion, Mireille Delmas-Marty reprend le terme de pluralisme ordonné. Elle voit la solution dans un universalisme pluriel, qui admet des différences, dans la limite de leur compatibilité avec des valeurs communes (p. 101).

Mettre en œuvre les principes avec souplesse n’est donc pas les trahir, c’est être lucide et les faire avancer dans le monde réel. Mireille Delmas-Marty le montre en particulier à propos de l’action contre le réchauffement climatique. Sans doute, l’accord réalisé en 2015 à la COP 21 relève-t-il de la soft law, car s’il comporte des obligations, il ne prévoit pas de pénalité sanctionnant les Etats qui se déroberaient aux engagements pris. Il constitue néanmoins une avancée importante car une soft law peut anticiper ce qui deviendrait une hard law, cette fois contraignante, dans une étape ultérieure. Il montre à tous des acteurs de la mondialisation, pas seulement les Etats, un impératif qui fait consensus. A un moment où l’élection de Donald Trump à la Présidence des Etats-Unis menace gravement cet accord de Paris sur le climat, il est important que la société civile sache ainsi sa capacité d’agir pour une cause commune si chacun a conscience de devenir citoyen du monde.