En quête de reconnaissance. La justice spatiale à l’épreuve de l’hétéronormativité

Seeking recognition. Spatial justice versus heteronormativity

« La reconnaissance n’est pas une politesse qu’on fait aux gens : c’est un besoin vital »

‘Recognition is not about being polite to people: it is a vital necessity’

Charles Taylor (1997, 42)

Charles Taylor (1992)

Prodromes

Preliminaries

Le xixe siècle a été marqué par l’instauration d’un dispositif d’identification par les pratiques sexuelles (Foucault, 1976) qui constitue les gays et les lesbiennes en groupe minoritaire ; minoritaire à la fois numériquement et au sens de « ceux qui dans une société sont dans une situation de moindre pouvoir » (Guillaumin, 1985, 19). Contrevenant à la norme dominante, l’homosexualité est une sexualité stigmatisée qui place la personne dans la situation d’être toujours discréditable (Goffman, 1975), voire exclue (Becker, 1963 ; Éribon, 1999). Rommel Mendès Leite (2000) qualifie ainsi l’homosexualité d’« altérité problématique pour nos sociétés occidentales », tandis qu’Adrienne Rich (1986) parle de « contrainte à l’hétérosexualité », rappelant par là même que l’hétérosexualité est une institution sociale avant d’être un choix d’objet de désir. Dans ce cadre, l’injustice subie ne repose pas tant sur des rapports d’exploitation que sur ce que Nancy Fraser (2005) appelle « une domination culturelle »[1] et qu’Iris Marion Young (1990) qualifie d’« impérialisme culturel » au sens où il tend à invisibiliser un groupe par l’instauration d’une norme posée comme universelle ; voire dans le cas de l’hétérosexualité, comme naturelle. Cet impérialisme tend à établir les homosexuels comme un groupe « autre ». « Le groupe qui subit cette oppression est donc défini de l’extérieur, dans le même temps qu’il est rendu invisible et stéréotypé » (Gervais-Lambony, Dufaux, 2009, 11). L’homosexualité est donc une résistance permanente, fragile et sans cesse contestée du « privilège épistémologique hétérosexuel » (Sedgwick, 2008 ; Perreau, 2009). À cette subordination à un ordre et à des normes qui fondent une des dimensions de l’assujettissement et de l’oppression, s’ajoute la violence dont l’expression première est l’injure.

As was shown by Foucault (1976), the nineteenth century was when a system to identify people based on their sexual practices was established, which led to constituting gays and lesbians as a minority group; minority both numerically and as ‘those with the least social power’ (Guillaumin, 1985, 19). Homosexuality went against the dominant norm and put the person in a position where s/he was always discreditable (Goffman 1975), or excluded (Becker, 1963 ; Éribon, 1999). Rommel Mendès Leite (2000) sees homosexuality as ‘a problematic otherness for our Western society’, while Adrienne Rich (1986) discussed ‘compulsory heterosexuality’, implying that heterosexuality is an institution before being a choice about whom we desire. In this context, the injustice stems less from relations of exploitation than from what Nancy Fraser (1998) terms ‘cultural domination[1] and Iris Marion Young (1990), ‘cultural imperialism’, making one social group invisible by establishing a supposedly universal norm, or even a ‘natural’one in the case of heterosexuality. This imperialism constitutes lesbians and gays as ‘other’. As Gervais-Lambony and Dufaux (2009, 11) explain: ‘the oppressed social group is thus defined from the outside, even as it is rendered invisible and stereotyped.’ Homosexuality is therefore a form of constant resistance, fragile and ever contested by the ‘heterosexual epistemological privilege’ (Sedgwick, 2008 ; Perreau, 2009). Moreover, to be gay also means confronting violence and verbal abuse in addition to having to fit into a social order and to conform to behaviours that continually remind us how marginalised and oppressed we are.

Si l’on définit, à la suite d’Iris Marion Young (1990), comme juste une politique qui viserait à abolir l’oppression sous toutes ses formes, alors la justice sociale suppose la reconnaissance et l’acceptation de l’altérité. Pour elle, cette reconnaissance est avant tout une reconnaissance du groupe qui subit l’oppression. Nancy Fraser reprend cette idée et remarque que « vaincre l’homophobie et l’hétérosexisme implique de transformer les évaluations culturelles (de même que leur expression légale et concrète) qui privilégient l’hétérosexualité, dénient aux homosexuel(le)s un égal respect et refusent de reconnaître l’homosexualité comme une forme légitime de sexualité » (Fraser, 2005, 25). Cependant, en France, cette approche se heurte d’une part à des réticences spécifiques liées au statut de la différence (Hancock, 2009) et d’autre part à la question de la pertinence de cette stratégie centrée sur l’affirmation d’une identité collective (homosexuels vs hétérosexuels). Or, les mouvements sociaux comme les acteurs sont divisés sur les stratégies à adopter pour lutter contre cette domination, entre droit à la différence et droit à l’indifférence, entre visibilité et invisibilité, entre revendication et effacement d’une identité gay et/ou lesbienne. Autant de positions qui ne permettent pas de surmonter le paradoxe identitaire mis en lumière par David Halperin. Pour lui,

If a ‘just’ politics is, as Iris Marion Young (1990) has it, one that ends all forms of oppression, then social justice implies recognising and accepting otherness. For Young, this mainly means recognising specific oppressed groups; and Nancy Fraser builds on this noting, ‘overcoming homophobia and heterosexism requires changing the cultural valuations (as well as their legal and practical expressions) that privilege heterosexuality, deny equal respect to gays and lesbians, and refuse to recognize homosexuality as a legitimate way of being sexual’ (Fraser, 1998, 27). However in France, this approach comes up against the problematic status of ‘difference’ (Hancock, 2009) and the difficulty there is to adopt a strategy based on a notion of collective identity (homosexuals vs heterosexuals). Social movements as well as individuals face dilemmas about strategies to counter domination and priorities: claim a right to difference or to indifference, claim visibility or invisibility, assert or conceal gay or lesbian identity. So many options that prove inadequate when trying to face up to the ‘identity paradox’, outlined here by David Halperin:

« l’identité gay est à la fois politiquement nécessaire et politiquement catastrophique. C’est une identité nécessaire, essentielle, indispensable, parce que toujours menacée d’effacement et d’“invisibilisation”. C’est une identité qu’il faut à tout prix affirmer, sans relâche, et ce d’autant plus qu’elle est toujours et encore désignée comme honteuse, pathologique et déviante. Mais c’est aussi une identité dangereuse et même traîtresse, une identité qu’il est nécessaire de rejeter et à laquelle il faut toujours résister, parce qu’elle joue un rôle normalisateur et même policier dans la société mais aussi dans la culture gay. C’est une identité politiquement catastrophique car elle permet à la société de gérer tranquillement la différence sexuelle et elle fonctionne comme un moyen de stabiliser l’identité hétérosexuelle. L’identité gay, en somme, est à la fois une identité homophobe en tant que totalisante et normalisatrice et une identité dont toute négation et tout refus ne sont pas moins homophobes » (1998, 117-118).

‘gay identity is both politically necessary and disastrous at the same time. Vital, essential, indispensable because it is in constant danger of extinction and erasure. It must be fought for at all costs, tirelessly and all the more so because it is still seen as something deviant, pathological, to be ashamed of. Yet it remains a risky, treacherous identity that has to be rejected and resisted, because it plays a normalizing and even policing role in gay society and culture. It is politically disastrous because it is a handy way for society to keep tabs on sexual difference while at the same time stabilizing heterosexual identity. Gay identity is therefore both a homophobic identity in its broad aim to socialise and normalise and yet, to deny and reject this identity is clearly to comply with a homophobic stance’ (1998, 117-118).

Le propos de cet article ne sera pas de résoudre ce paradoxe, mais de le prendre comme point de départ, comme une invitation à développer une réflexion critique centrée sur l’espace davantage que sur une identité gay réifiée. Cette démarche permet d’une part de mettre en évidence les dimensions proprement spatiales de l’injustice et d’autre part de repenser les rapports sociaux dans leur complexité, leur articulation et leur banalité quotidienne. Le fil directeur de cet article sera d’examiner, à partir de quelques exemples empiriques issus d’une enquête de terrain menée depuis 2003[2]et de la littérature en sciences sociales, si « le remède aux injustices culturelles liées à la reconnaissance » proposée par Nancy Fraser (2005) répond pleinement à l’idéal d’une société juste. Je m’attacherai donc à dresser dans un premier temps un bref panorama des contraintes qui pèsent sur les gays et les lesbiennes à travers la question de la violence et de ses effets dans la gestion de la proxémie. J’analyserai ensuite à travers l’exemple du pacs comment la différenciation spatiale entérine l’inégalité de traitement des couples et institutionnalise la hiérarchie des sexualités. Pour finir, je montrerai comment cette reconnaissance spatiale s’est majoritairement établie sur un modèle néolibéral qui passe par la consommation, par la normalisation et par l’exclusion des sujets gays et lesbiens selon des critères de classe et de race.

This article does not aim to solve this dilemma, but takes it as a starting point and an opportunity to develop a critical approach centred on space, rather than on a reified gay identity. This approach both uncovers the spatial dimensions of injustice and allows to rethink social relations in all their complexity and their articulations in daily life. Drawing on empirical data collected since 2003[2] and a review of the relevant literature in social science, I will try to see whether what Nancy Fraser (2005) terms ‘the remedy to cultural injustices linked to recognition’ is likely to get us closer to an ideal of social justice. So firstly, I shall give an overview of the main issues facing lesbians and gays, in particular violence and how it affects their experience of proximity or physical distance. Secondly, I look at the the PACS (Pacte civil de solidarité or civil partnership) to see how spatial differentiation entrenches unequalities between couples and institutionalizes a hierarchy of sexualities. Lastly, I shall illustrate how rooted in neo-liberalism this spatial recognition is, how reliant it has become on consumption, and on forms of normalization and exclusion of some gay and lesbian subjects on grounds of their class or race.

 

 

1- Expériences, pratiques et rapports au monde sous contrainte

1 – Experience, practice and relations to the world under constraint

J’ai insisté en introduction sur le poids des normes ; celles-ci fonctionnent d’autant mieux que la violence en constitue le rappel à l’ordre.

In the introduction above, I emphasized the importance of norms: these are enforced with the injunction of violence.

 

 

Au commencement, il y a la violence

In the beginning, there was violence

Les gays et les lesbiennes partagent à des degrés divers l’expérience de la menace homophobe, matérialisée par des insultes ou des violences physiques. Didier Éribon définit l’insulte comme fondatrice de l’expérience homosexuelle. « Au commencement, il y a l’injure. Celle que tout gay peut entendre à un moment ou à un autre de sa vie, et qui est le signe de sa vulnérabilité psychologique et sociale […] L’injure en tant qu’elle définit l’horizon du rapport au monde produit un sentiment de destin sur l’enfant et l’adolescent qui se sentent en contravention avec cet ordre, et un sentiment durable et permanent d’insécurité, d’angoisse, et parfois même de terreur, de panique » (Éribon, 1999, 29 et 99). C’est cette crainte permanente qui transparaît dans le témoignage de Tom. États-unien, il est arrivé à Paris dans les années 1990 :

Lesbians and gays experience different degrees of homophobic threat, in the forms of verbal abuse or physical violence. For Didier Éribon, insults form a key part of gay experiences: ‘in the beginning, there is the isult, the one that any gay person is likely to hear at any moment of his life, and which signals his psychological and social vulnerability […] Insults, in the way they frame and mediate the way we relate to the world, leave children and teenagers feeling they have transgressed the social order, it gives an enduring sense of insecurity and anxiety, often even of terror and panic’ (Éribon, 1999, 29 and 99). It is precisely this entrenched fear that leaps out from Tom’s account, an American who has been living in Paris since the 1990s:

« Moi en tant que gay, j’ai toujours le sentiment que je vais recevoir une brique en plein dans la gueule, mais je sais jamais d’où ça va venir. [Se tournant vers son compagnon] Si je te touche en public ou que je t’embrasse, je ne sais pas d’où va venir la brique pour m’éclater la tête et moi je suis pas convaincu que c’est des gens qui habitent en banlieue qui vont tenir la brique, ça peut venir de n’importe où. […]. Quand j’étais dans ma fac aux États-Unis, sur le campus, il y avait un étudiant avec un mégaphone qui hurlait de sa fenêtre des insultes homophobes aux gens qui passaient. J’ai porté plainte […] et parce que j’avais fait ça, après il y avait sur ma porte des insultes, “gros pédé” et tout ça… J’étais jeune mais toute ma vie et tout le temps, c’est comme ça. […] Moi, j’ai un sentiment d’insécurité » (entretien, 2007).

‘As a gay man I’m scared that I’m about to get a brick in my face but I never know where it’s going to come from. [Turning to face his partner] If I touch you in public or kiss you, I don’t know where that brick’s going to come from that will crack my head open and me, I’m not convinced it’s guys from the banlieues who’ll be holding that brick, it can come from anywhere. […] When I was studying in the US, on campus, there was a student with a megaphone screaming homophobic abuse from his window at people walking by. I complained […] and because I did that, afterwards on my door there was a lot of abuse, ‘gay jerk’ and all that… I was young then but my whole life, the whole time, that’s what it’s like. […] I just live with this fear’ (interview, 2007).

Contrairement à un lieu commun qui renvoie l’homophobie aux marges (la province, la campagne) et aux périphéries (la banlieue) des métropoles supposées tolérantes et ouvertes à la différence, la remarque de Tom ne présuppose pas l’origine géographique d’agresseurs potentiels. Résidant dans le 16e arrondissement de Paris, Tom a déjà été exposé à différentes formes d’homophobie, celle qui s’exprime dans les milieux les plus éduqués (sa fac) comme dans les plus populaires (il relate la venue d’un plombier qui ponctuait ses phrases par des injures homophobes). Éric Fassin (2010) distingue ainsi trois types différents d’homophobie : une homophobie « vieux jeu » qu’il qualifie d’« homophobie de papa », « une homophobie menaçante » et instrumentalisée politiquement principalement attribuée aux classes populaires issues de l’immigration et une homophobie « de bonne compagnie », rarement mise en lumière comme telle, qui se prévaut de « l’ordre symbolique » et use d’une rhétorique essentialiste ou psychanalytique. Ce poids de la menace qui traverse l’ensemble de la société et des espaces produit différents effets parmi lesquels la constitution de lieux et de réseaux qui offrent un entre soi protecteur[3] par opposition à des espaces comme l’espace public qui nécessite un contrôle dans la présentation de soi.

Tom’s comment reveals how wrong it would be to locate homophobia in a specific setting and link it either to provincial and rural area or a peripheral one like the notorious banlieues, often contrasted with central areas of large cities, assumed to be open and tolerant of difference. Tom, who lives in Paris’ sixteenth arrondissement, a very bourgeois district, has experienced all kinds of homophobia both among educated people among his peers at university as well as on the part of working-class people (he mentions a plumber who peppered his conversation with homophobic insults). Éric Fassin (2010) classifies homophobia according to three types: ‘old style’ homophobia or ‘Daddy homophobia’; ‘threatening homophobia’ that is politically instrumentalized and depicted as essentially working-class and associated with immigrant communities; and a ‘society homophobia’, more shadowy, which uses essentialist and psychoanalytic rhetoric to defend the ‘symbolic order’. On e of the consequences of this hovering shadow and pervasive threat is the constitution of specific places and networks that provide a protection[3], as opposed to others, especially public spaces, in which it is always necessary to watch one’s self-presentation.

 

 

Régimes d’(in)visibilité et droit à la ville

Right to the city and regimes of in/visibility

L’espace façonne nos expériences de vie, notre rapport au monde. Ce rapport à l’espace public apparaît pour les gays et les lesbiennes marqués du seau de l’invisibilité à quelques rares exceptions spatiales et temporelles comme les marches annuelles des fiertés. Cet effacement touche les représentations publiques qui peuvent être faites de l’homosexualité, ces dernières étant bien souvent censurées (photos 1 et 3) ou l’objet d’une dégradation systématique (photo 2) (Blidon, 2008c) Or les espaces publics sont des lieux où s’expriment, se mettent en scène et se forment les identités sociales. « Les arènes publiques discursives comptent parmi les lieux les plus importants (et les moins reconnus) dans lesquels les identités sociales se construisent, se déconstruisent et se reconstruisent » (Fraser, 2005, 129-130). Ce tracé des limites du montrable et de l’in-montrable n’est pas sans effets sur les personnes.

Space shapes our life experiences and social interactions. Lesbians and gays’ relations with public space are best summed up by invisibility, apart from a few exceptions in specific locations and at particular times of the year such as annual Gay Pride marches. This invisibility clearly affects representations of lesbians and gays in public, indeed images of homosexuality are routinely censored (photos 1 et 3) or regularly defaced (photo 2) (Blidon, 2008c). Yet it is precisely these public spaces that should allow for the expression, performance and assertion of social identities. ‘Public discursive arenas are among the most important and underrecognized sites in which social identities are constructed, deconstructed and reconstructed’ (Fraser, 1992, 140). Clearly, the limitations of what can and cannot be represented has crucial consequences for lesbians and gays.

 

Norms apply first to self-presentation and how one handles intimate gestures in public. Holding hands or kissing in public are simple gestures gay and lesbian people do not allow themselves, in particular near the places where they live (see table 1) or which are carefully assessed by a sort of casuistry (at night, in dark deserted streets or else in the midst of a frenetic crowd, in the Marais or miles away in the countryside) that says a lot of the threat of symbolic violence (Blidon, 2008a, 2008b).

À commencer par la présentation de soi et la gestion de la gestuelle amoureuse des couples dans l’espace public. Se tenir par la main ou s’embrasser publiquement deviennent alors autant d’actes que l’on ne s’autorise pas, notamment dans son espace de vie (tableau 1) ou qui relèvent d’une casuistique minutieuse (la nuit, dans des rues sombres et désertes ou à l’inverse dans une foule compacte, dans le Marais ou à l’inverse dans le rural isolé) révélatrice de la violence symbolique qui pèse sur eux (Blidon, 2008a, 2008b).

 

 

2- Which spaces does recognition take place in?

 Cette censure et ces précautions que les gays et les lesbiennes s’imposent renvoient à la question du libre accès à l’espace public et au-delà, à celle du droit à la ville (Lefebvre, 2000). À propos du statut des gays et des lesbiennes, Pierre Bourdieu parle d’un « déni d’existence publique » (1998b, 45) et Judith Butler d’un « mode ontologiquement suspendu » (2005b, 51). Pour elle, les contraintes normatives ne se contentent pas de rendre invisibles certains groupes, ces derniers restent visibles, ils sont présents dans l’espace public, mais cette présence est bornée par des discours qui ont une fonction d’effacement et qui « condamnent une partie de la population à vivre à une place liminale où ces personnes sont et ne sont pas humaines » (2005, 50). Il convient donc alors d’être attentif à ce qui informe et donne forme dans la ville, comme produit d’un discours hétéronormé, ainsi qu’aux effets de ce discours sur les personnes. Les questions de l’accès à l’espace public, des conditions et des modalités de cet accès doivent ainsi être repensées au regard de ces processus de catégorisation, d’injonction normative et de discipline des corps. Condition nécessaire pour envisager la ville comme un espace de liberté et d’émancipation pour tous.

 

 

Coming out of the closet: from theory to practice

2- Quels espaces de reconnaissance ?

The term closet refers to the concealment of gay identities (to remain in the closet) as opposed to coming out of the closet. This act of emerging, switching from hidden homosexuality to exposed homosexuality, has to do with a rejection of shame, silence and discretion. It is part of an individual quest for recognition (coming out) or a collective action, in Gay Pride marches (Fassin, 2005).

Face à cette situation, une politique juste impliquant la reconnaissance pourrait impliquer une plus grande visibilité et une égalité en droit des gays et des lesbiennes. En effet, l’expérience spatiale des gays et des lesbiennes ne consiste pas tant en une forme de ségrégation et d’exclusion que dans une injonction constante à l’invisibilité ; cantonnant ainsi l’homosexualité à la sphère privée, au placard.

As Eve Kosofsky Sedgwick (1991) made clear, the closet does not define an inside or outside in any fixed way. An individual is never fully out because coming out, as Éribon (2003, 365) says is ‘an act we must continually perform’. Also, as Mangeot (2003, 131) reminds us, ‘to reveal one’s homosexuality assigns one to a place and closes one up in an identity through which everything is to make sense’. On the other hand, social means of controlling information ‘that attempt to conceal, even erase any sign that happens to symbolize the stigma’ (Goffman, 1963) cannot be guaranteed to work. Gays and lesbians who hide their identities never really know how much others know about them. Neither concealment nor disclosure can ever be total, and one is never really completely closeted. As Fassin (2005) suggests, the closet remains makeshift and mobile and heterosexuals remain in control of it by virtue of their epistemic privilege. For heterosexuality remains the norm that lesbigays continue to be defined against. ‘In other words,’ As Fassin says (Ibid, 131), ‘coming out of the closet, rather than putting an end to homophobia actually transfers it to other spheres: it endlessly reasserts categories and legitimizes a hierarchy of sexualities over which only heterosexuals have actual and symbolic mastery’.

 

This same reassertion of norms takes place at the collective level. The Gay Pride marches, the first of which took place in 1970 in New York with come out! as motto, have unfolded in so many cities, from Cape Town to Sydney via Tel Aviv, that they have now become a tourist attraction (Johnston, 2005). Often compared with Carnival because they occur once a year as a public urban celebration with floats, music and dancing, these marches do embody a sort of public pagan rejoicing, an annual ritual that gives voice to a shared frustration with lingering sexual discrimination, that tolerates sexual carousing and exuberance, a certain licentiousness, transgresses norms through a parody of traditional sex and gender norms, vent our anguish and appetite for revenge whether personal or against the social order… Indeed, the latter dimension, which as Butler (1990) says, troubles gender, tends to be overlooked, while the former, which makes the Gay Pride a massive street party which federates for one day diverse people who do not necessarily subscribe to the underlying political claims, has become dominant (Blidon, 2009). In Berlin during the Gay Pride march of June 2010, Judith Butler took a stand and publicly refused the Zivilcourage that she was awarded in protest at what she saw to be a ‘commercial and superficial’ demonstration. Gay Pride marches can be seen as an interrupted project of collective coming out that has been trivialised and hijacked so that far from challenging the established order, it can be seen as reasserting and reproducing it. Thus, during Manchester’s three-day Gay Pride the gay area is practically sealed off, the only way to take part in the celebration is to pay a fee: fifteen pounds for a day ticket or twenty-five pounds for a three-day pass in 2008. So what began as a collective display of strength, a collective take over of public space has turned into a commercial event, a closely monitored festival with security staff; in effect a mass rally stripped of its original political substance.

De la sortie du placard à son actualité

Gay pride marches as well as individual acts of coming out clearly are not a sound basis on which to build a politics of recognition; especially when this takes the form of an injunction, a new imperative of truth (Fassin, 2005), or a performance that ends up ‘being domesticated and circulated again as instrument of cultural domination (in this instance, neo-liberalism)’ (Butler, 1990). One could then expect recognition to come from lawmakers.

La notion de placard fait référence à l’attitude qui consiste à dissimuler son homosexualité (être dans le placard) par opposition au coming out (être sorti du placard). Ce geste de mise au jour, synonyme du passage d’une homosexualité cachée à une homosexualité affichée, s’apparente à un refus de la honte, du silence et de la discrétion. Il a donc pu être entendu comme le premier pas d’une politique de reconnaissance individuelle – via le coming out – ou collective – via les Gay Prides ou marches des fiertés (Fassin, 2005).

Space and institutionalization of sexual hierarchy

Or comme l’a montré Eve Kosofsky Sedgwick (2008), le placard ne définit pas un dedans et un dehors qui serait immuable. Ainsi, à titre individuel, on n’est jamais tout à fait dehors puisque le coming out est « un geste qu’il faut sans cesse recommencer » (Éribon, 2003, 365) et que « la révélation de son homosexualité assigne à résidence et enferme dans une identité par laquelle désormais tout prendra sens » (Mangeot, 2003, 131). Inversement, les techniques de contrôle de l’information qui « consiste à dissimuler, voire à effacer tout signe qui se trouve constituer un symbole de stigmate » (Goffman, 1975, 112) ne préjugent pas de leur efficacité. Les gays et les lesbiennes qui cachent leur homosexualité ne savent jamais vraiment ce que les autres connaissent d’eux. La dissimulation ou la visibilité ne sont jamais ni totales ni parfaites. On n’est donc jamais vraiment dans le placard. Celui-ci demeure une structure imparfaite et mobile dont le privilège épistémologique revient aux hétérosexuels (Fassin, 2005). C’est par la norme sexuelle et par rapport à elle que les gays et les lesbiennes se définissent et sont définis. « En d’autres termes, la sortie du placard, loin d’en finir avec l’homophobie, ne ferait qu’en reporter les manifestations sur d’autres plans : elle déboucherait sur l’indéfinie reconduction de catégories identitaires et sur la légitimation d’une hiérarchie entre les sexualités dont les seuls hétérosexuels possèderaient la maîtrise pratique et symbolique » (Ibid, 131).

‘What next, soon they’ll have us hold our civil partnership ceremony at the police station!’

La même reconduction des normes s’opère au niveau collectif. La Gay Pride dont le premier mot d’ordre à New York en 1970 était come out ! a connu un processus de diffusion et de banalisation au point de générer une activité touristique florissante dans certaines métropoles du monde (Le Cap, Sydney, Tel Aviv) (Johnston, 2005). Fréquemment présenté comme un carnaval de par sa forme (un défilé urbain annuel festif avec des chars, de la musique et des danseurs), il l’est aussi au sens premier du carnaval comme période de réjouissances profanes qui, une fois dans l’année, offre un exutoire aux inégalités et permet la licence sexuelle, la transgression des normes via la parodie - en l’occurrence ici des normes de genre et de sexualité -, l’évacuation des souffrances, la revanche personnelle ou collective contre l’ordre social… Or, cette deuxième dimension, qui jette du trouble dans les normes de genre et de sexualité (Butler, 2005a), tend à être évacuée au profit de la première qui fait de la Gay Pride une manifestation festive de masse qui fédère le temps d’une journée des populations disparates qui ne se reconnaissent pas nécessairement dans les mots d’ordre politiques qui légitiment son existence (Blidon, 2009). Ainsi, distinguée lors de la marche de Berlin en juin 2010, Judith Butler a publiquement refusé le prix Zivilcourage qui lui était décerné, fustigeant une manifestation « commerciale et superficielle ». Et de fait, la marche constitue un coming out inachevé qui tend à être récupéré, banalisé et vidé de sa substance au point que loin de remettre en cause l’ordre social, il peut le reconduire, voire le reproduire. Ainsi à Manchester, le quartier gay est littéralement bouclé durant les trois jours de la Gay Pride, le seul moyen d’accéder aux festivités est de payer l’octroi : 15₤ le pass à la journée, 25₤ le pass pour trois jours en 2008. Ce qui était à l’origine une appropriation collective de l’espace public est devenu un festival commercial dans un espace clos et surveillé par un service d’ordre, une manifestation vidée de sa substance politique.

Pascal, 43 years old

Les sorties du placard individuelle (le coming out) et collective (la Gay Pride) ne sont donc pas en mesure de fonder une politique de reconnaissance d’autant plus quand celles-ci prennent la forme d’une injonction, d’un nouvel impératif de vérité, (Fassin, 2005) ou d’une performance qui finit par « être « domestiquée(s) et circuler de nouveau comme des instruments de la domination culturelle [en l’occurrence ici néolibérale] » (Butler, 2005a, 262). Cette politique de reconnaissance pourrait alors émaner du législateur.

The Universal Declaration of Human Rights guarantees equal treatment – all human beings are ‘equal in dignity and rights’ (article 1) and safety – ‘every individual has the right to life, liberty and security of person’ (article 3). No society could be considered just that did not apply these two principles. Yet, in many parts of the world these rights are denied to lesbians and gays and in several countries, they face harsh reprisals for being gay including the death penalty[4]. Violence, and the denial of recognition, here comes from institutions and the state. This led Boris Dittrich, Human Rights Watch programme director of lesbigay, bisexual and transgendered rights to say that ‘universal means universal with no exceptions’. Homosexuality was removed from the WHO’s list of mental illnesses as late as 1993. French law only moved forward in the early 1980s with the repeal of the Mirguet amendment (1960), a piece of legislation aimed at purging certain ‘social scourges’, and the repeal of the Penal Code’s article 331-2, which set the universal age of consent at the age of fifteen. So the legal landscape has evolved in a way that gradually grants recognitions to lesbians and gays, though it remains profoundly unequal. Indeed, as far as marriage and parental rights are concerned French lags behind both European counterparts and social practices.

 

This legal discrimination really came to the fore in the context of the PACS, a legal framework offering some form of recognition to same-sex couples, who until then has no form of legal recognition. This injustice became obvious during the AIDS crisis when many were evicted from their homes, barred from attending their loved one’s funeral, often with no inheritance rights. However, the PACS does not promise marriage rights, nor does it guarantee parental rights (including adoption, fertility treatment or custody rights to gay parents[5]), yet neither does it grant gays and lesbians specific rights[6]. This attitude according to Wilfried Rault is

Espace et institutionnalisation de la hiérarchie des sexualités

‘typical of the law’s ambivalence to the social status of homosexuality. Indeed, on the one hand, the law takes account of discrimination, but by so doing it organizes the lesser visibility, entrenches a difference in status and treatment with opposite-sex couples. The PACS is not recorded by the registry office, « the individual as seen and legitimized by the state », which means the heterosexual relationship is privileged over the homosexual one’ (2007, 197).

« Et puis quoi encore, ils veulent aussi qu’on se pacse au commissariat ! »

In this context, making the district court the place for registering these partnerships clearly demarcates this ceremony from that of marriage (which takes place at the mairie or town hall) (photos 4 and 5). This distinction between the two sites selected for each ceremony makes the PACS appear as a ‘sub-marriage’ as Alain Piriou, the Inter-LGBT spokesperson sees it (14 November 2007).

Pascal, 43 ans

 

Parmi les droits fondamentaux de la personne humaine, il y a la garantie d’un égal traitement – les hommes sont « égaux en dignité et en droits » (DUDH, art. 1) - et la sûreté - « tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne » (art. 3)-. Sans le respect de ces deux dimensions, il ne saurait être question d’une société juste. Or, dans de nombreux pays du monde, ces droits ne sont pas garantis aux gays et aux lesbiennes ; ces derniers encourent des peines de prison voire la peine de mort pour homosexualité[4]. La violence peut être le fait même des institutions et des pouvoirs publics qui institutionnalisent le déni de reconnaissance. Ce qui fait dire au directeur des droits de l’homme pour le programme des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles et transgenres d’Human Rights Watch, Boris Dittrich, « universel veut dire universel et il n’y a pas d’exceptions ». À ce titre, rappelons que l’homosexualité n’a disparu de la liste des maladies mentales de l’OMS qu’en 1993. De même, la législation française en la matière n’a changé qu’au début des années 1980 avec l’abrogation de l’amendement Mirguet (1960) qui visait à lutter contre « certains fléaux sociaux » et l’abrogation de l’article 331-2 du Code pénal, reconnaissant ainsi la majorité sexuelle à 15 ans pour tous. Le droit est donc un espace qui offre progressivement une reconnaissance aux gays et aux lesbiennes mais qui demeure encore fortement inégalitaire. Ainsi concernant le mariage et l’ouverture de la filiation, le législateur français est en retard sur ces confrères européens et sur les pratiques sociales.

Striving to avoid the parallel with marriage, lawmakers settled on the district court, tribunal d’instance, a court that usually deals with petty claims and neighbourly conflicts. In addition, the PACS is recorded by a court clerk, a civil servant, and not by an elected representative of the people; not exactly a promising venue for enshrining a couple’s rite of passage. With nothing to mark the event as a celebration or even a collective ritual, the way that the PACS is implemented smacks of bureaucracy, a far cry from the hopes and aspirations of couples who want to pledge their commitment to each other surrounded by their kin. The CRSH [Committee for the Social Recognition of Lesbians and Gays] in a statement declared itself to be

Cette inégalité de traitement est lisible notamment dans la genèse du pacs, dispositif juridique visant à offrir une certaine reconnaissance aux couples de lesbiennes et de gays - dont les couples étaient confrontés à un vide juridique ; vide juridique dont l’iniquité a été mise en lumière lors de la pandémie de sida, certains se retrouvant expulsés de leur logement ou écartés des funérailles et de la succession de leur conjoint au bénéfice de la famille héritière – sans pour autant leur ouvrir l’accès au mariage, et donc par extension à la filiation (adoption, insémination par IAD et reconnaissance de homoparentalité[5]) et sans pour autant leur offrir une disposition spécifique[6]. Pour Wilfried Rault, cette disposition est

‘very committed to seeing that the PACS be signed in the town hall as a symbol of people’s participation in city life and citizenship. It is really not suitable for the partnership to be registered by the clerk of the court as planned. The court is the place for settling family disputes, it is an unsuitable venue to celebrate a partnership based on ties of affection. The place will give meaning to the PACS. It is inconceivable for it not to be recorded at the town hall where certificates of cohabitation are delivered.’

« symptomatique du statut social de l’homosexualité et de ses ambigüités. En effet, d’un côté, elle prend en compte sa propension à être sujette à des discriminations, mais ce faisant, n’y contribue-t-elle pas en organisant sa moindre visibilité et en pérennisant ainsi une différence de statut et de traitement avec les couples de sexes différents ? La mise à l’écart du Pacs de l’état civil, “vision de l’individu consacrée et légitimée par l’État”, constitue une expression d’une légitimité différenciée entre le lien hétérosexuel et le lien homosexuel » (2007, 197).

This question is a hotly debated. Practices differ widely from one borough to another. So in the second arrondissement the mayor’s suggestions for PACS ceremonies at the town hall included these comments: ‘As mayor of Paris’ second arrondissement I am thrilled to welcome you and your friends and families to the town hall. […] The reason I wanted to welcome you here in the town hall for this ceremony is to remind you that this building is your building, open to all of you without exception. Gathering here today for this event is, to my mind, part and parcel of my duty as your elected representative. This ceremony enshrined by our republic is an opportunity to share and celebrate this special occasion with your loved ones […] I wanted this to be something more than just a formal official document that you sign before the clerk of the court. […] And to crown the day, let’s heed the words of René Char, illustrious poet and fighter of the Resistance: “Imposez votre chance ! Serrez votre bonheur !/Allez ensemble prendre vos risques !/… A vous regarder, ils s’habitueront !”

À cet égard, le choix du tribunal d’instance comme lieu d’enregistrement met en évidence une logique explicitement différencialiste visant à éviter tout rapprochement avec l’institution matrimoniale (photos 4 et 5). Ce qui renforce d’autant l’impression que ce contrat est un « sous-mariage », comme le qualifie le porte-parole de l’Inter-LGBT, Alain Piriou (14 novembre 2007).

Be fully happy together. One of the Republic’s missions is to give all its citizens freedom of choice. So in the name of the Republic I wish you all the very best for a lifetime of happiness. We shall now sign the documents, with your witnesses, as a sign of the commitment you’re taking here at the town hall» (http://mairie2.paris.fr).


As Wilfried Rault notes, ‘although meant as an official sanction of new partnerships, the way they are registered actually emphasizes their confidentiality and denies their symbolic value’ (2007, 201). In this way the PACS appears as another ‘denial of recognition’ rather than as a ‘social innovation[7] for lesbians and gays. To address the injustice would imply opening up marriage and parental rights to same-sex couples or chipping away at marriage as an institution with specific rights (fiscal, social) conditioned by marital status (Fraser, 1998).

En voulant éviter toute comparaison avec le mariage, le législateur a fait le choix d’un lieu autre que la mairie, le tribunal d’instance. En effet, l’enregistrement du pacs se fait sous l’autorité d’un greffier, un fonctionnaire du ministère de la Justice et non d’un élu du peuple, le tribunal ayant pour vocation de traiter les litiges du quotidien notamment les conflits de voisinage ; pas vraiment un espace dont les attributions et le mode de fonctionnement visent à offrir une reconnaissance du couple. Rien dans le dispositif ne s’apparente à une célébration, encore moins à un rituel collectif. Le traitement de l’acte se veut bureaucratique ce qui ne correspond pas aux attentes des couples désireux d’un investissement solennel partagé avec leurs proches. Le CRSH [Comité pour la Reconnaissance Sociale des Homosexuel/les] avait mentionné qu’il était

So, for example, opening up marriage and parental rights to all couples would be one step towards recognition. Nevertheless, this basic measure seems inadequate, since it does not address cultural domination, and it is likely to worsen economic domination.[8] In addition, this form of recognition would clearly be modelled on straight notions of coupledom and family life that are not shared by all. And lastly, means and resources to access rights and organize resistance are not equally distributed (Browne, 2011)[9].

« très attaché à ce que le Pacs soit enregistré en mairie, lieu symbolique de rattachement de chacun à la Cité. Il n'est donc pas favorable à ce que l'union soit constatée au greffe d'une juridiction, comme cela peut être envisagé. Le tribunal est le lieu des conflits familiaux, il est symboliquement inadapté pour célébrer le début d'une union fondée sur l'affection. Le lieu de l'enregistrement contribuera à donner du sens au Pacs. Il est enfin inconcevable que la mairie ne soit pas le lieu d'enregistrement du Pacs quand elle délivre des certificats de vie commune ».

3- What type of recognition?

Cette question divise les politiques. Les usages diffèrent donc fortement d’une commune à l’autre. Ainsi, la Mairie du 2e arrondissement propose des célébrations de pacs en mairie dont voici quelques extraits : « C'est avec plaisir que je vous accueille en cette mairie du 2e arrondissement de Paris, avec vos familles et vos amis. […] Si j'ai souhaité vous recevoir, ici, pour cette cérémonie, c'est pour rappeler qu'une Mairie est notre maison commune, ouverte à toutes et à tous, sans discrimination. Nous retrouver, ici, aujourd'hui pour cette cérémonie fait partie, à mon sens, des devoirs des représentants des citoyens que sont les élus. Par la présente célébration républicaine, vous avez souhaité partager, avec tous ceux que vous aimez et qui vous aiment, la joie de votre consentement. […] Je tenais à le faire de façon moins impersonnelle que la simple signature d'une convention passée devant le greffier. […] Je vous adresse avec confiance ce vœu du grand poète et résistant René Char : “Imposez votre chance ! Serrez votre bonheur !/Allez ensemble prendre vos risques !/… A vous regarder, ils s'habitueront !”

‘When you come out of hiding, you’re not suddenly going to shout from the rooftops!’

Alors, soyez pleinement heureux ensemble. Un des fondements de la République est de rendre tous les citoyens libres de leurs choix. Et bien, c'est au nom de la République que je vous souhaite toute une vie de bonheur. Nous allons maintenant procéder à la signature, avec vos témoins, du document attestant de votre engagement, en Mairie » (http://mairie2.paris.fr).

Jean Le Bitoux (2003)

Inversement, lors du conseil municipal de Vincennes, le 22 février 2006, Pierre Serne au nom du groupe des élus Verts a interrogé le maire (UDF), sur la possibilité de célébrer en mairie des reconnaissances de PaCS. Ce dernier lui a répondu : « S’agissant d’un contrat de droit privé, la signature du PACS en Mairie ne serait conforme ni à la lettre ni à l’esprit du texte puisque sa validité juridique dépend exclusivement de sa signature et de sa déclaration auprès du Tribunal d’instance » (Réponse de Laurent Lafon, maire).

As David Halperin emphasized, treating lesbians and gays as a homogenous social group suffering only from a denial of recognition would spell political disaster.

 

‘The overall effect is to impose a single, drastically simplified group-identity which denies the complexity of people’s lives, the multiplicity of their identifications and the cross-pulls of their various affiliations. Ironically, then, the identity model serves as a vehicle for misrecognition’ (Fraser, 2000, 112).

Comme le note Wilfried Rault, « alors qu’il est censé reconnaître officiellement de nouveaux modes d’union, ses modalités d’enregistrement organisent une confidentialité systématique et le construisent comme a-symbolique » (2007, 201). En cela le pacs constitue donc davantage une forme de « déni de reconnaissance » qu’une « innovation sociale »[7] pour les gays et les lesbiennes. Redresser l’injustice consisterait donc à ouvrir le mariage et la filiation aux couples de même sexe ou à désinstitutionnaliser le mariage hétérosexuel, en rendant indépendants un certain nombre de droits (fiscaux, sociaux…) du statut marital (Fraser, 2005, 81).

This is one reason why in this power/knowledge dynamic, it is crucial to listen to those dissident voices that clamour against this model of identity politics and to give them a platform.

Une première forme de reconnaissance serait donc d’ouvrir le droit au mariage et à la filiation à tous les couples. Néanmoins, cette disposition, nécessaire dans une société qui prétend à l’égalité en droit, est insuffisante. D’une part, parce que celle-ci ne mettra pas un terme à cette forme de domination culturelle, et parce qu'elle est susceptible d'accentuer les effets de la domination économique[8]. D’autre part, parce que la reconnaissance sera conditionnée à une structuration sur le modèle du couple et de la famille, modèle qui ne fait pas l’unanimité ; rappelant par là même que l’agencement des gays et des lesbiennes en groupe social homogène conduit à oublier que certains ne disposent pas de la même capacité à mobiliser des moyens d’action et de résistance (Browne, 2011)[9].

Consumerism: the road to recognition?

 

‘Urbanization has always been, therefore, a class phenomenon [… ] The postmodernist penchant for encouraging the formation of market niches—in both consumer habits and cultural forms—surrounds the contemporary urban experience with an aura of freedom of choice, provided you have the money.’ (Harvey, 2008, 24-31)

3- Quelle re-connaissance ?

David Harvey’s reminder sounds a cautionary note regarding Richard Florida’s popular notion of a creative class whose ability to decide where they want to live tends to favour areas known for their tolerance and creative potential, spaces identifiable in terms of their ranking by the diversity index or gay index. These indexes reflect the implication of white, upper middle-class gays, the archetypical dinkies (double income no kids), which are by no means representative of the average gay man let alone lesbian. These are the main gentrifiers of downtown neighbourhoods, whether the Marais in Paris or Castro in San Francisco. These neighbourhoods experienced as places to be free, to emancipate and come out are a product of neoliberal capitalism. There is a price-tag on this sort of recognition.

« On vient de la clandestinité, on va pas crier parce qu’on a une grande surface ! »

Ever since the 1990s gay activists have raised their voices in protest at this economic exploitation of gay identities. As Jean Le Bitoux explains:

Jean Le Bitoux (2003)

‘the first hangouts in the Marais like Duplex, Piano Zinc or Les Mots à la Bouche bookshop were set up by pioneers who were convinced that it was necessary to turn our backs on gay snobbery, gay mafia and shame. These places that became landmarks are now paradoxically those that remain most open and diverse. They knew that the most important was not to render visible realities that had been concealed for too long, and that going too far could create social allergies and a loss of meaning. Other were more cynical and went for, more than mere visibility, all-out publicity of this social modernity.[10]

Comme l’avait souligné David Halperin, traiter les gays et les lesbiennes comme un groupe homogène qui ne souffrirait que d’un déni de reconnaissance est politiquement catastrophique.

Present-day Marais has undergone socio-economic shifts which are visible in the shopping environment. So some of the Jewish bookshops, galleries delicatessens such as the well-established Goldenberg’s on rue des Rosiers, or the gay shops on rue du Bourg Tibourg have closed down to make way for shops selling clothes or accessories to tourists or well-off shoppers, reinforcing the ‘loss of the neighbourhood’s identity,[11] which benefits a new cosmopolitan and homogenous social elite.

« L’effet général est d’imposer une identité de groupe unique, considérablement simplifiée, qui nie la complexité des existences des individus, la multiplicité de leurs identifications, et la dynamique croisée de leurs différentes affiliations. Ironiquement, le modèle identitaire fonctionne donc comme un vecteur de déni de reconnaissance » (Fraser, 2005, 78).

This kind of recognition rooted in class-connoted behaviours and patterns of consumption has gradually ended the area’s reputation for tolerance, openness and social inclusiveness. While this may still be the case for sex clubs such as le Dépôt, social mingling has declined, as Hadrien comments:

C’est pourquoi dans ce jeu de savoir/pouvoir, il convient d’être attentif aux voix dissidentes qui s’élèvent contre ce modèle et de leur donner la parole.

‘You can’t help but notice that guys out cruising in gay dives are slightly intolerant about your job or your bank account. All of us have come across those ‘credit card babes’ who only cosy up to you if you can order two bottles at seventy euros a pop without flinching. You know, those really sassy queens who just give you the once over and know how much your kit costs… Prada-Dior-Saint Laurent? You have a PACS offer coming your way. Celio-Bata-Clockhouse? She won’t even look at you. But there is even worse than that. When the one you fancy comes out with this killer question, then you really know you’re doomed: ‘so what line of work are you in?’ What do you say to a banker when you’re a driver/delivery man? What do you say to a law professor on the international circuit when you’re struggling performing artist? It has to be awful to drag your banker to your migrant’s hostel. The eternal love/savings account dilemma has been a real damp squib for any lingering illusions we may still have about love transcending social class. Believe you me, I’m talking to you as a lowly fast-food waiter.[12]

 

These social relations plagued by unequal status both financial and social are indicative of forms of oppression that Philippe Gervais-Lambony and Frédéric Dufaux see as exploitation,

La reconnaissance par la consommation

‘linked to capitalism, this is a form of oppression of the lower income groups, who not only do not receive a fair share of the proceeds of their work, but who also remain excluded from decision-making processes, have less freedom to make choices and whose their collective identity often goes unrecognised’ (Gervais, Dufaux, 2009, 7)

« L’urbanisation a donc toujours été, en un sens, un phénomène de classe […] Le penchant postmoderniste pour la formation de niches, tant dans les choix de style de vie urbain que dans les habitudes de consommation et les formes culturelles, pare l’expérience urbaine contemporaine de l’aura de la liberté de choix – à condition que vous ayez de l’argent » (Harvey, 2009).

Not only is there a price-tag on recognition, but there are other selection criteria.

Ce rappel de David Harvey constitue un écho critique à la thématique chère à Richard Florida de la classe créative dont les choix de localisation résidentielle se porteraient de façon privilégiée vers les espaces valorisant la tolérance et la créativité ; espaces reconnaissables à différents indicateurs parmi lesquels l’indice de la diversité et l’indice gay. Ces indices font référence à l’implication de gays blancs de la classe moyenne supérieure - la figure archétypique du DINK (double income no kids), figure qui est loin d’être généralisable à l’ensemble des gays et encore moins des lesbiennes - dans le processus de gentrification commerciale, doublée ou non d’une installation résidentielle, de quartiers centraux comme le Marais à Paris ou Castro à San Francisco. Ces quartiers qui constituent autant d’espaces de liberté, d’émancipation et de visibilité sont le fruit de l’économie libérale. Il existe donc un droit d’entrée pour accéder à cette forme de reconnaissance.

 

Déjà dans les années 1990, des voix de militants gays se sont élevés contre cette exploitation économique de l’identité gay. Ainsi Jean Le Bitoux explique,

Recognition, exclusion and normalisation

« les premiers lieux du Marais, comme le Duplex, le Piano Zinc ou la librairie Les Mots à la Bouche furent fondés par des pionniers convaincus qu’il fallait tourner la page de la mondanité, de la mafia et de la honte. Responsables de la création d’un identitaire géographique, ces lieux restent contradictoirement ceux du Marais les plus ouverts et les moins connotés. Car ils savaient de longue date qu’il ne s’agit pas de rendre enfin visibles des réalités trop longtemps esquivées, mais qu’il est préférable de ne point en faire un usage surdéterminé qui pourrait produire ou alimenter une allergie sociale ainsi qu’une perte de sens. D’autres, plus cyniques, ont décidé de passer carrément de la simple visibilité à la publicité tous terrains de cette modernité sociale. »[10]

‘All women are white, all Blacks are men but some of us are brave’

Aujourd’hui, le quartier du Marais est affecté par des mutations socio-économiques qui touchent plus largement l’ensemble des commerces identitaires. Ainsi, une partie des commerces culturels ou de bouche hébraïques dont l’historique traiteur Goldenberg, rue des Rosiers, ou des boutiques gaies rue du Bourg Tibourg ont fermé, remplacées par des boutiques de vêtements ou d’accessoires à destination des touristes et d’une clientèle aisée, renforçant ainsi « la dissolution identitaire du quartier »[11] au profit d’une homogénéité sociale cosmopolite.

Black Feminist Collective (1982)

Cette reconnaissance qui passe par des comportements et des consommations de classe a eu progressivement raison de la représentation du quartier comme étant un quartier ouvert à tous et favorisant le brassage social. Si cela reste d’actualité dans des lieux de consommation sexuelle comme le Dépôt, cela reste plus rare en matière de sociabilité. Ainsi Hadrien note :

Apart from a handful of bars and clubs, Black lesbians and gays also find it hard to feel comfortable in the gay milieu. The ‘racaille‘ (racialised thug) fugures prominently in gay pornographic and erotic imagination (Cervulle, Rees-Roberts, 2010). And yet at the same time, there is a marked tendency to reduce gays from immigrant backgrounds to prevailing stereotypes, to see them as homophobic, or as potential trouble-makers. Yacine (24 years-old, from la Courneuve) talks about this ambivalence: ‘I’m a guy people are wary of, flirt with…but they’re scared of me…yeah, I get propositioned because they’re scared of me’[13]. Edith echoes Yacine’s bitterness, ‘they want to sleep with you sure, but they’re not going to take a dark face out to dinner’[14]. One Têtu journalist made a similar point: ‘the space Black gays hold in the realm of fantasy is in inverse proportion to the social space and recognition that they are denied, in their everyday lives’[15]. Thus these types of perceptions and assumptions make it difficult for these men, a fortiori as a group, to be accepted. Rachid (editor aged 34, from Saint-Ouen, from an Egyptian background) explains: ‘yeah, they put up with us in nightclubs, as long as we’re effeminate, dressed up and we fit in. One night, I was in quite a mellow dive in the Marais with a buddy, the waiter comes up to us and says: ‘you know, you’re in a gay bar here.’ We realised we were out of place.’[16] This explains why other spots in the Pigalle area, for instance, have started to take over as meeting places. So for some, the Marais has turned into a rather exclusive neighbourhood ‘lacking in social diversity’ and really aimed at a ‘white moneyed majority who want to flaunt it.’

« Vous l’aurez remarqué il règne dans tous les lieux homos une légère intolérance vis-à-vis du travail et du compte en banque de la personne convoitée ou qui vous convoite. Nous avons tous au moins une fois côtoyé, lors de nos pérégrinations éthyliques, ces “coureuses de master cards” qui ne s’approchent de vous que si vous pouvez aligner sans broncher deux bouteilles à 70 euros chacune. Vous savez, ces pétasses super bien foutues qui sont capables de déterminer en un seul regard la valeur des fringues que vous portez… Un Prada-Dior-Saint-Laurent ? Le PACS vous sera proposé dans la minute. Un Celio-Bata-Clockhouse ? La belle ne vous regardera même pas. Mais il y a pire encore. Lorsque l’objet de votre attention vous pose la question fatale : “Tu fais quoi, dans la vie ?”, vous vivez vos pires moments d’angoisse. Que dire à un banquier lorsque vous êtes chauffeur-livreur ? Que répondre à un prof de droit international quand vous êtes un intermittent du spectacle ? Je suppose que ce doit être la pire des shames d’embarquer votre banquier jusqu’à votre foyer Sonacotra. Bref, le sempiternel dilemme amour/PEL semble avoir laminé les derniers fantasmes d’amour passant les barrières sociales. Croyez-moi qui ne suis qu’un humble serveur au Quick »[12].

These examples help illustrate just how hard it is to think of ‘the other’ as a subject, especially when ‘this other’ has been constructed in our collective imaginary as dangerous, reduced to certain traits without taking into account other differences such as age, class, life journey or lifestyle… Hence the emphasis put on nomadism by the 6th of November Group: lesbian daughters of colonialism, slavery and immigration. They reject normative assignations to traditional roles as mother, wife, symbol of post-colonial culture and ‘enslaved woman’ (Bacchetta, 2009). One of this group’s slogans was ‘We exist’, a claim for visbility, a protest against erasure from the lesbian scene and a challenge to the French WASPS who overlook the wounds of colonialism and racism. As Hanan Kaddour puts it:

Ces relations sociales inégalitaires tant sur le plan économique que sociale relèvent d’une forme d’oppression que Philippe Gervais-Lambony et Frédéric Dufaux qualifient d’exploitation,

‘the barriers between us and them are historical and political, they can’t be dismantled just by virtue of these French WASPS pretending to be women-lovers. Whether they choose to love women, bees or poppies dones’t make them any closer to us lesbians from migrant and working-class backgrounds’ (2001).

« liée au système capitaliste, elle correspond à l’oppression des classes sociales défavorisées, non pas seulement parce qu’elles ne bénéficient pas d’une redistribution équitable des revenus de leur travail, mais aussi parce qu’elles sont exclues des processus de prise de décision, des choix individuels de vie et de la reconnaissance de leur identité collective » (Gervais, Dufaux, 2009, 7).

This 6th of November Group holds its meetings not in the usual lesbian venues they tend to feel excluded from but in a Caribbean restaurant owned by two women in the centre of Paris. This decision illustrates their refusal to be consigned to the margins, the periphery they are relegated to, and the tension between lesbian identity and ties to postcolonial countries. This tension was exposed by their presence, some of them wearing the veil, in the national march organised in 2004 by collective Une Ecole pour tous/tes.

Non seulement il existe un droit d’entrée pour accéder à cette forme de reconnaissance, mais en plus l’entrée est sélective.

‘In this context, with the French state and public opinion claiming they are feminist and pro-gay and that it is a sign of the civilizational superiority of France (as opoosed to the so-called inferiority of colonized and postcolonial countries) lesbians who wear the veil are deeply problematic citizens. They do not conform to the stereotype of « the » Muslim woman, the victim of Muslim men and Islam’s inherent sexism or as left out of French sexual equality. Neither can they be allowed to embody the liberated queer, this position remains a prerogative of franco-French lesbians in the context of the dominant sexual and social paradigm’ (Bacchetta, 2009, 57).

 

As Paola Bacchetta goes on to say, ‘as long as the dominant powers that be continue to display binary and separatist thinking, then the 6th of November Group, its members, associates and protests will remain undecipherable to many’ (2009, 60).

Reconnaissance, exclusion et normalisation

One effect of this politics of recognition initiated in the early 1980s, and of the commercialisation of gay identity in the 1990s, is the erasure of relations of class and domination that were replaced by ‘a political handling of division’ (Prearo, 2010). This makes it all the more urgent to work towards building a social movement that does not fragment or rank struggles for recognition but which admit that gender, sexuality, race, class all produce forms of domination.

« Toutes les femmes sont blanches, tous les Noirs sont des hommes, mais nous sommes quelques-unes à être courageuses »

Epilogue

Collectif black feminist (1982)

Sites of resistance to domination have come into existence in the form of groups, organisations, single-sex or mixed squats, separatist communes, housing cooperatives such as the Women’s Haven in the south of France… a host of spaces that challenge traditional viewpoints and provide forms of support for lesbian or queer ‘constellations’ (Gieseking, 2009). Many of these associations are not primarily motivated by individual or collective visibility, for in the words of Léo Bersani, ‘accepting to be seen is accepting to be controled’ (1995, 34), thus demonstrating that recognition does not imply transparency. What they are looking for, primarily, is a place of their own, a visible one. This implies what Natacha Chetcuti (2009) refers to as ‘seeking a human status for beings in the process of becoming’, taking shape in a number of ways, for example, ‘steering clear from constructions of femininity or new definitions of otherness in order to newly interrogate links between sex and gender’. It also implies challenging social injustices that enable some to be seen as individuals, while others are constantly referred to a group they are seen as being part of. This also calls for what Soja (2009) calls the ‘equitable and fair distribution in space of socially valued resources and of the possibility of exploiting them’, which means some of those spaces operate as autonomous cooperatives with a pooling of resources. Although these alternative spaces are unlikely to generalize, they clearly embody a new politics of recognition and redistribution, a starting point in the constitution of just spaces.

À l’exception de quelques établissements, l’exclusion touche aussi les gays de couleur qui entretiennent une relation complexe avec le milieu gay. La figure de la « racaille » est une figure homo-érotique forte dans l’imaginaire pornographique et sexuel gay (Cervulle, Rees-Roberts, 2010). En même temps, une forte unanimité règne pour stigmatiser les gays issus de l’immigration, comme fauteurs de trouble ou homophobes potentiels. Yacine (24 ans, la Courneuve) souligne cette ambivalence : « je suis un mec dont on se méfie, que l’on drague… mais dont on a peur… que l’on drague aussi parce qu’on a peur »[13]. Amertume partagée par Edith, « on veut coucher avec, mais on ne veut surtout pas s’afficher dans un dîner en ville avec un basané »[14]. Un journaliste de Têtu souligne : « la place qui leur est accordée dans la fantasmatique est inversement proportionnelle à la reconnaissance sociale qui leur est refusée »[15]. Il est donc parfois difficile à ces hommes, a fortiori s’ils sont en groupe, d’être acceptés. Rachid (34 ans, Saint-Ouen, rédacteur, origine égyptienne) : « dans les boîtes, on nous tolère qu’efféminés, lookés, clonés. Un soir, j’étais dans un bar assez soft du Marais avec un copain, le serveur est venu nous voir et nous a dit : “vous savez que c’est un bar gay ici”. Nous avons réalisé que nous devions être en décalage »[16] ; d’où l’investissement d’autres espaces notamment dans le quartier Pigalle sous la forme de soirées ponctuelles. Le Marais apparaît donc pour certains comme un quartier qui « manque de mixité sociale » et qui s’adresse à une « majorité de blancs qui ont de l'argent et qui veulent se montrer ».

 

Ces exemples mettent en évidence la difficulté à considérer l’autre comme sujet, d’autant plus quand cet autre a été construit dans l’imaginaire collectif comme un autre dangereux, réduit à une seule de ces dimensions sans autre prise en compte des différences d’âge, de classes, de trajectoires, de modes de vie… D’où les valeurs de nomadisme promus par le Groupe du 6 Novembre : lesbiennes issues du colonialisme, de l'esclavage et de l'immigration. Ces lesbiennes rejettent les positionnements normatifs qui leur sont assignés : la mère, l’épouse, le symbole de la culture et de la nation postcoloniales, mais aussi « la » femme réduite en esclavage (Bacchetta, 2009). L’un de leurs premiers slogans était l’interpellation « Nous existons », manière de se rendre visibles, de lutter contre leur effacement au sein du milieu lesbien et d’interpeller celles qu’elles nomment les waspiennes de France, lesbiennes « franco-françaises » oublieuses du colonialisme et de racisme. Hanan Kaddour rappelle ainsi :

About the author

« les barrières entre elles et nous sont des barrières historique et politique, elles ne peuvent disparaître par le fait que ces Waspiennes de France prétendent aimer les femmes. Qu'elles aiment les femmes, les abeilles ou les coquelicots ne les rapprochera en aucun cas des lesbiennes des migrations, issues des classes dominées » (2001).

Marianne Blidon

Le Groupe a fait le choix de se réunir, hors des lieux lesbiens institués qui les marginalisent, dans un restaurant caribéen du centre de Paris, tenu par deux femmes. Ce choix met en évidence leur volonté de refuser la position périphérique qui leur est assignée symboliquement et géographiquement et la tension entre identité lesbienne et attachement aux pays postcoloniaux. Cette tension se lit aussi dans la présence d’un certain nombre d’entre elles, portant le voile, lors de la manifestation nationale, organisée en 2004 par le collectif Une École Pour Tous.

 

« Dans ce contexte, dans lequel l’État français et l’opinion publique prétendent que leur engagement vis-à-vis du féminisme et de l’égalité des droits pour les homosexuels est le signe de la supériorité civilisationnelle de la France (par opposition à la supposée infériorité des pays colonisés et postcoloniaux), les lesbiennes portant le voile sont des êtres qui dérangent. Elles ne peuvent pas fonctionner comme l’image de “la” femme musulmane, victime des hommes musulmans et d’un sexisme intrinsèque à l’Islam ou victimes du refus de l’égalité des sexes franco-françaises. Mais elles ne peuvent pas non plus fonctionner comme l’image du queer liberé (image réservée aux “franco-français” dans la grille d’intelligibilité dominante) » (Bacchetta, 2009, 57).

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Ce qui fait dire à Paola Bacchetta que « tant que la grille dominante fonctionnera en mode binaire et en termes de séparations, le Groupe, ses sujets, ses sympathisantes et leurs résistances resteront illisibles » (2009, 60).

Marianne Blidon, “Seeking recognition. Spatial justice versus heteronormativity”, [«En quête de reconnaissance. La justice spatiale à l’épreuve de l’hétéronormativité»], justice spatiale | spatial justice | march 2011 | n° 03 mars | http://www.jssj.org/

Un des effets de la politique de reconnaissance initiée au début des années 1980 et de la commercialisation de l’identité gay dans les années 1990 est l’effacement des rapports de classe et de domination au profit d’une « gestion politique de la division » (Prearo, 2010). Il devient donc impératif de travailler à la construction d’un mouvement social qui ne fractionne ou ne hiérarchise pas les luttes de reconnaissance mais qui considère que le genre, la sexualité, la couleur, les classes sociales produisent des rapports de domination essentialisés.

[NOTES]

 

Épilogue

[1]“The second kind of injustice is cultural or symbolic. It is rooted in social patterns of representation, interpretation and communication. Examples include cultural domination (being subjected to patterns of interpretation and communication that are associated with another culture and are alien and/or hostile to one’s own); non-recognition (being rendered invisible via the authoritative representational, communicative and interpretative practices of one’s culture); and disrespect (being routinely maligned or disparaged in stereotypic public cultural representations and/or in everyday life interactions)”(Fraser, 1998, 22).

Des espaces de résistances à la domination ont été et sont mis en œuvre sous forme de groupes, d’associations, de squats mixtes ou non mixtes, de communautés séparatistes ou non, de maisons comme les Maisons de femmes dans le sud de la France… autant d’espaces qui remettent en cause les normes dominantes et constituent les points d’appui « des constellations » lesbiennes ou queer (Gieseking, 2009). Pour beaucoup de ces groupes, la visibilité individuelle ou collective n’est pas l’enjeu majeur de leur mobilisation, suivant le conseil de Léo Bersani, « accepter d’être vus, c’est accepter aussi d’être contrôlés » (1995, 34) et prouvant par là même que la reconnaissance n’implique pas la transparence. Leur action vise en priorité à se donner une place, une place viable. Cela passe par « la conquête du statut d'humain pour des sujets en devenir » et s’opère suivant différentes modalités comme la « mise à distance du conditionnement femme ou la redéfinition du principe de l'altérité par la dénaturalisation des rapports entre sexe et genre » (Natacha Chetcuti, 2009), mais aussi par la déconstruction de la transparence sociale qui donne le privilège d’être interpellé comme une personne plutôt que comme un individu métonymique constamment ramené aux propriétés supposées du groupe et par la « distribution équitable et juste dans l’espace des ressources socialement valorisées et des possibilités de les exploiter » (Soja, 2009) ce qui signifie que certains de ces espaces sont autonomes, autogérés et fonctionnent selon le principe de la mise en commun de l’ensemble des ressources. Ces espaces autres, s’ils n’ont pas vocation à être généralisés, n’en constituent pas moins des mises en acte de politiques de reconnaissance et de redistribution, les prémices de la constitution d’espaces justes.

 

A propos de l'auteur

[2] In 2003 I began my research with a detailed analysis of the lesbian and gay press, tourist guides and audio-visual archive material at the INA (Institut National de l’Audiovisuel) before conducting seventy semi-structured interviews as well as observation work mainly in Paris, Le Mans and Marseille. In addition, I ran an online survey via têtu.com with 3,587 respondents including follow-up questionnaires that I distributed to a hundred of them. Some of the results appeared in my PhD thesis in 2007.

Marianne Blidon

 

Pour citer cet article

[3] Gilbert Herdt and Andrew Boxer’s work (1996) on Chicago showed how collective visibility, for example in the context of shops, bars, clubs and other businesses, enabled teenagers to come out and accept their sexuality at an increasingly younger age.

Marianne Blidon, «En quête de reconnaissance. La justice spatiale à l'épreuve de l'hétéronormativité», [“Seeking recognition. Spatial justice versus heteronormativity”], justice spatiale | spatial justice | n° 03 mars | march 2011 | http://www.jssj.org/

[4] On this issue, see the work of the International Commission on Human Rights on lesbians and gays (IGLHRC – www.iglhrc.org) and reports from international organisations such as Amnesty International (www.amnesty.org) and Human Rights Watch (www.hrw.org).

[1] « La seconde injustice est de type culturel ou symbolique. À ce titre, l’injustice est le produit des modèles sociaux de représentation, d’interprétation et de communication, et prend les formes de la domination culturelle (être l’objet de modèles d’interprétation et de communication qui sont ceux d’une autre culture, et qui sont étrangers ou hostiles à la sienne propre), de la non-reconnaissance (devenir invisible sous l’effet de pratiques autoritaires de représentation, de communication ou d’interprétation de sa propre culture) ou de mépris (être déprécié par des représentations culturelles stéréotypiques ou dans les interactions quotidiennes) » (Fraser, 2005, 17).

[5] See in particular the volume edited by Anne Cadoret, Martine Gross, Caroline Mécary and Bruno Perreau (2006) Homoparentalités. Approches scientifiques et politiques. Paris: Presses Universitaires de France.

[2] Ma recherche initiée depuis 2003 s’appuie sur une enquête comprenant un dépouillement systématique de la presse spécialisée, des guides touristiques et des archives audiovisuelles de l’INA, la conduite de plus de 70 entretiens compréhensifs ou semi-directifs ainsi qu’une observation de terrain menée principalement à Paris, Le Mans et Marseille, un sondage en ligne sur le site têtu.com analysant les trajectoires et les pratiques de 3 587 répondants, suivi d’une enquête par questionnaires réalisée auprès d’une centaine de répondants. Une partie des résultats a été publié en 2007 dans le cadre de ma thèse de doctorat.

[6] In this regard the PACS is not a ‘positive action’ although it could have led in theory to greater equality. See Bruno Perreau who analyzes it as ‘simultaneously a politics of recognition and a politics of redistribution » (Perreau, 2004, 42).

[3] Les travaux de Gilbert Herdt et Andrew Boxer (1996) sur Chicago ont montré comment la visibilité collective, par le biais notamment des lieux commerciaux, permettait aux jeunes homosexuels de s’accepter et de s’assumer de plus en plus tôt.

[7] ‘An innovative legal measure, the PACS can be seen as a social innovation when we consider that by 31st December 2005 this new social practice had lured more than 400,000 people’ (Jaurand, Leroy, 2009). This view has to be qualified, since a large majority of PACS are opposite-sex unions (94% in 2009 according to the INSEE), and among those that are not the rate of dissolution is high (‘at the beginning of 2004, only 5000 people were still engaged in a PACS with a person of the same sex’, INSEE survey « Revenus fiscaux et sociaux »).

[4] Sur cette question, voir les travaux de la commission internationale pour les droits humains des gays et des lesbiennes (IGLHRC - http://www.iglhrc.org) et les rapports internationaux des associations : Amnesty International (http://www.amnesty.org) et Human Rights Watch (http://www.hrw.org/).

[8] See Browne, 2011, for a discussion of the economic issues associated with gay marriage.

[5] Voir notamment les travaux de chercheurs regroupés dans l’ouvrage de Cadoret, Anne, Gross, Martine, Mécary, Caroline et Perreau, Bruno, 2006, Homoparentalités. Approches scientifiques et politiques. Paris : Presses Universitaires de France.

[9] ‘money, materialities and engagements with ‘the state’ continue to define everyday lives for often the most vulnerable lesbians, gay men, bisexual and trans people’ (Browne, 2011, 102)

[6]En cela, le pacs n’est pas une action positive ce qui en l’espèce aurait été une solution moins inégalitaire. Voir Bruno Perreau qui définit l’action positive comme « à la fois une politique de reconnaissance et une politique de redistribution » (Perreau, 2004, 42).

[10] Jean Le Bitoux, 1996: ‘Strolling through gay Marais’. La Revue h, number 1, 49.

[7] « D’abord innovation juridique, le pacs peut-être considéré comme une innovation sociale dans la mesure où cette nouvelle pratique sociale a séduit plus de 400 000 personnes au 31 décembre 2005 » (Jaurand, Leroy, 2009). Outre la notion d’innovation sociale et sa définition – en terme de succès numérique - très discutables, ce chiffre doit être mis en perspective à la fois avec le nombre de pacs hétérosexuels – 94% des pacs en 2009 selon l’INSEE – et le nombre de dissolutions – toujours selon le site de l’INSEE : « début 2004, seulement 5 000 personnes étaient encore pacsées avec une personne du même sexe selon l’enquête “Revenus fiscaux et sociaux” ».

[11] As Colin Giraud writes: ‘as if opening up to others, getting involved in a local setting went hand in hand with a loss of one’s identity in the spirit of the place. Apart from a few strongholds in the gay business community, this model of loss seems to lie at the heart of the Marais today’ (Giraud, 2009, 43).

[8] Voir Browne (2011), pour une analyse des enjeux économiques du "mariage gay".

[12] ‘Readers’ Letters,’ Têtu, number 79, June 2003, p.12. The broadsheet press, especially letters from readers, is a treasure trove for exploring these kinds of issues. See also Patrick Awondo’s research (EHESS, the Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales) that tackles this topic. Social researchers have tended to focus on gay men rather than lesbians but this is starting to change, see in particular the 2009 ‘Lesbians, migration, exile and racism: when minorities get involved’ conference organised at Paris 8 University by Salima Amari, Jules Falquet, Jane Freedman, Dalila Kadri, Claudie Lesselier, Amazighe Tilila and Anna Pak.

[9] "L'argent, les matérialités et les relations avec les pouvoirs publics font partie des préoccupations quotidiennes de ceux qui sont souvent les plus vulnérables parmi les lesbiennes, les gays, les bi et les trans" (Browne, 2011, 102).

[13] Têtu, number 9, December 1996, p. 26.

[10] Le Bitoux, Jean, 1996, « Marcher dans le gai Marais ». La Revue h, n°1, 49.

[14] Illico Magazine, number 14, January 1992, p. 15.

[11] Colin Giraud remarque : « comme si l’ouverture à d’autres que soi, l’insertion dans un contexte local allait de pair avec une dissolution identitaire dans l’esprit des lieux. À l’exception de quelques bastions du commerce gay identitaire évoqués plus haut, ce modèle de la dissolution semble bien façonner le Marais d’aujourd’hui » (Giraud, 2009, 43).

[15] Têtu, number 9, December 1996, p. 25.

[12] « Courrier des lecteurs », Têtu, n°79, juin 2003, p. 12. La presse - en particulier le courrier des lecteurs - constitue une source privilégiée pour aborder ce type de questions. On peut aussi se référer aux travaux de Patrick Awondo (EHESS) qui convergent sur ces questions. La question des lesbiennes est moins connue, elle commence cependant à être travaillée (voir notamment le colloque organisé en 2009 à Paris 8 par Salima Amari, Jules Falquet, Jane Freedman, Dalila Kadri, Claudie Lesselier, Amazighe Tilila et Anna Pak « Lesbiennes, migrations, exils et racismes. Quand les “minoritaires” s'en mêlent »).

[16] Têtu, number 9, December 1996, p. 25.

[13] Têtu, n°9, décembre 1996, p. 26.

[/NOTES]

[14] Illico magazine, n°14, janv. 1992, p. 15.

[15] Têtu, n°9, décembre 1996, p. 25.

[16] Têtu, n°9, décembre 1996, p. 25.