Courtiers en développement et projets fondés sur le lieu dans des quartiers urbains en difficulté. Le cas de Pécs en Hongrie

Development Brokers and Place-Based Projects in Deprived Urban Neighbourhoods: The Case of Pécs, Hungary

Introduction

Introduction

Le rôle de la politique régionale de l’Union européenne – appelée également politique de cohésion économique, sociale et territoriale – est considérable au sein des pays membres d’Europe de l’Est. Entre 2015 et 2017, la part de ce financement dans les investissements publics de ces « nouveaux États membres » (UE13) se situait ainsi entre 40 et 80 % en moyenne (Union européenne, 2017, p. XXII). Dans certains domaines de l’action publique, cette part est encore plus élevée tandis que, dans des cas spécifiques comme le développement urbain intégré, il n’existe pratiquement aucun investissement public réalisé sans ces fonds européens.

The role of EU Cohesion Policy (CP) in the case of Eastern European member states is immense. Between 2015-2017, an average of 40-80% of all public investments in the EU13 were financed through CP (European Union, 2017, p. XXII)[1]. In some policy areas this ratio is even higher, and in some cases, like in the domain of integrated urban developments, there is practically no public investment realized without EU funds.

Ce phénomène est particulièrement intéressant du point de vue de la justice spatiale, définie ici comme « une répartition juste et équitable dans l’espace des ressources socialement valorisées et des possibilités de les utiliser » (Soja, 2009, cité dans Madanipour et al., 2017). La politique régionale est un instrument explicitement conçu pour réduire les disparités territoriales au sein de l’UE. Son introduction était plus précisément liée à la création de l’Union monétaire européenne et à la mise en place des critères de Maastricht au début des années 1990. Étant donné que l’intégration économique et financière accrue de l’UE était considérée comme plus avantageuse pour les pays développés, la politique régionale a été conçue pour atténuer ces effets structurels négatifs en fournissant des fonds ciblés territorialement à des États membres et des régions relativement sous-développés et périphériques (Wallace, Wallace et Pollack, 2005). Ainsi, la politique régionale de l’Union européenne a été implicitement calibrée pour contrer les résultats spatialement injustes d’un développement inégal déclenché par la propagation du libre marché (voir Jelinek, 2017).

This phenomenon is particularly interesting if viewed from the perspective of spatial justice, defined here as “fair and equitable distribution in space of socially valued resources and the opportunities to use them” (Soja, 2009, and cited in Madanipour et al., 2017). The CP is an instrument which was explicitly designed to decrease territorial disparities within the EU. More precisely, its introduction was tied to the launch of the European Monetary Union and the Maastricht criteria in the early 1990s. Since it was expected that the EU’s deepening economic and financial integration would be more advantageous to developed core countries, the CP was created to mitigate these negative structural effects through providing territorially targeted funds for relatively underdeveloped and peripheral member states and regions (Wallace, Wallace and Pollack, 2005). Thus, the EU’s CP is implicitly a tool for counteracting the spatially unjust results of uneven development triggered by the rule of free market processes (see Jelinek, 2017).

Partant de là, on a toujours pensé que la politique régionale permettrait de favoriser le processus de « rattrapage » des régions sous-dotées en ressources ou contribuerait in fine à réduire les inégalités territoriales et à promouvoir la justice spatiale. Ces dernières années, suite en partie au rapport Barca (Barca, 2008), une approche « fondée sur les lieux » a également été intégrée à la politique régionale (Barca, McCann et Rodríguez-Pose, 2012) afin de prendre en compte les spécificités locales lors de la planification et la mise en œuvre de projets ainsi financés. Cette approche repose sur l’idée que les biens et services fournis via la politique régionale « doivent être adaptés aux lieux en faisant ressortir et en agrégeant les préférences et les connaissances locales, tout en tenant compte des liens avec d’autres lieux » (Barca, 2008, p. XI).

From this angle, it has always been expected that the CP would advance the “catching up” process of the regions with fewer resources, or in short, to contribute to reducing spatial inequalities and furthering spatial justice. In recent years, partly as a result of the Barca report (Barca, 2008), the so-called “place-based approach” became mainstreamed into the CP (Barca, McCann and Rodríguez-Pose, 2012) in order to take into account local specificities while planning and implementing CP funded projects. This approach is built on the idea that goods and services provided through CP “need to be tailored to places by eliciting and aggregating local preferences and knowledge and by taking account of linkages with other places” (Barca, 2008, p. XI).

Cet article a pour objet d’examiner les effets de l’expérimentation d’approches fondées sur le lieu (place-based approach)[1] dans un contexte est-européen, en analysant le cas des « bonnes pratiques » mises en œuvre dans le quartier de György-telep[2]. Ce cas témoigne de la façon dont une série de projets de développement urbain intégré – suivant cette approche fondée sur le lieu – ont ciblé un quartier pauvre de la ville de Pécs, dans le sud de la Hongrie. Un aspect important de cette étude de cas est de questionner plus largement l’importance du rôle joué par la politique régionale de l’Union européenne dans les pays d’Europe orientale. Nous privilégions ici une approche centrée sur les acteurs, laquelle met en lumière le travail de traduction des principes abstraits de la politique régionale en projets concrets de développement. En d’autres termes, nous cherchons à savoir comment, par qui et avec quels types de résultats les savoirs fondés sur les lieux sont mobilisées dans de tels projets de développement.

This article will scrutinize the effects of experimenting with place-based approaches in an Eastern European member state through analysing the “best practice” case of György-telep[2]. This case is an example of how a series of integrated urban development projects – built on the place-based approach – targeted a poor neighbourhood in Pécs, Hungary. A key aspect of this case study is the placement of our findings into the broader context of how important a role CP plays in Eastern European member states. We pursue an actor-oriented approach which sheds light on the work of translating the abstract policy ideas of the CP into actual development projects. In other words, we are interested in how, by whom, and with what kinds of results place-based knowledge is mobilized in such development projects.

Certaines montées en généralité prudentes à partir de notre étude de cas pourraient, à nos yeux, contribuer au débat plus large sur le présent et l’avenir de la politique régionale de l’UE du point de vue des régions périphériques, lesquelles sont censées être les principales bénéficiaires de l’ensemble du dispositif[3].

We believe that some cautious generalizations from our specific case can contribute to the wider debate about the present and future of CP from the perspective of peripheral regions, which are meant to be the main beneficiaries of the whole instrument[3].

Notre cadre d’analyse repose sur la littérature consacrée à la sociologie et à l’anthropologie du développement (voir Escobar, 1994 ; Ferguson, 1997 ; Mosse, 2005). Ce qui nous intéresse ici particulièrement, c’est l’évaluation critique des projets de développement, qui consiste à examiner ces derniers comme des processus produisant des effets multiples, parfois de manière involontaire et invisible, ce qui suppose de dépasser la simple analyse technocratique des politiques publiques sur la seule base de leurs propres indicateurs. À titre d’exemple, l’une des principales conclusions de James Ferguson était de savoir comment les idées et les pratiques de développement pouvaient « échouer » en renforçant le pouvoir des agents de développement, alors même que les résultats réels des projets étaient déjà très discutables (Ferguson et Lohmann, 1994). Bien que cette littérature analyse principalement les projets de développement financés par des organisations internationales pilotées et élaborées par des pays développés et menées dans des pays dits du « tiers monde », nous pensons que ce cadre est également utile pour comprendre comment se développe l’ancien « second monde » à travers des instruments créés par les pays appartenant au « centre européen ». En ce sens, nous situons notre analyse « entre les post- » (Chari et Verdery, 2009) : nous analysons un contexte post-socialiste à l’aide d’une méthodologie développée par des chercheurs travaillant dans des contextes post-coloniaux.

Our analytical framework is anchored in the literature focusing on the sociology and anthropology of development (see Escobar, 1994; Ferguson, 1997; Mosse, 2005). More precisely, we are interested in the critical assessment of development projects whereby the results are not only analysed in a technocratic manner compared to the initial project indicators, but examined as processes having various unintended and hidden consequences. For example, one of James Ferguson’s key findings was how development ideas and practices “failed forward” through strengthening the power position of the agents of development, even if the actual results of the projects were highly questionable (Ferguson and Lohmann, 1994). While this literature mainly analyses development projects funded by international organizations governed and established by developed countries and carried out in so-called “third world” countries, we think that this framework is also useful to understanding how the former “second world” is being developed through instruments created by European core countries. In this sense, we situate our analysis “between the posts” (Chari and Verdery, 2009): we analyse a post-socialist context with a methodology developed by scholars working in post-colonial settings.

Un des principaux outils d’analyse que nous avons trouvés utiles au cours de notre étude est la notion de courtier en développement. Nous définissons les courtiers en développement comme « un groupe spécifique d’acteurs sociaux spécialisés dans l’acquisition, le contrôle et la redistribution des “revenus” du développement » (Lewis et Mosse, 2006, p. 12). Les courtiers en développement se situent « aux interfaces de différentes conceptions du monde et de systèmes de connaissances et révèlent leur importance dans la négociation des rôles, des relations et des représentations » (Lewis et Mosse, 2006, p. 10). Sur la base de ce concept, nous analysons la manière dont les courtiers en développement effectuent quotidiennement leur travail de « développement » par le biais du courtage. Dans le même temps, nous avançons l’idée selon laquelle l’espace de manœuvre de ces courtiers est façonné par un développement inégal, ce qui explique la différence entre des espaces et des lieux plus ou moins dotés de ressources comme une relation reproduite systématiquement et qui s’enracine dans la logique et le rythme de l’accumulation du capital (Smith, 1990).

A key analytical tool that we found useful during our study was the notion of development brokers. We define development brokers as “a specific group of social actors who specialize in the acquisition, control and redistribution of development ‘revenue’” (Lewis and Mosse, 2006, p. 12). Development brokers are situated “at the interfaces of different world-views and knowledge systems, and reveal their importance in negotiating roles, relationships, and representations” (Lewis and Mosse, 2006, p. 10). Building on this concept, we analyse how development brokers carry out the everyday work of “developing” through brokerage. At the same time, we imagine these brokers’ space of manoeuvring as shaped by uneven development, which explains the difference between less and more resourceful spaces and places as a systematically reproduced relation rooted in the logic and rhythm of capital accumulation (Smith, 1990).

Il s’agira, en définitive, d’analyser la manière dont les pratiques de développement façonnent et sont à la fois façonnées par ces structures inégales (Escobar, 1994). Un concept clé qui sera au centre de notre examen est la justice (Harvey, 1973 ; Madanipour et al., 2017). Nous traiterons la politique régionale comme un outil politique visant à lutter contre les situations sociales et spatiales inégales et injustes, à la fois en contribuant à une répartition plus équitable des ressources et en créant des processus plus justes pour y accéder. Notre principale question de recherche est de savoir exactement comment et dans quelle mesure les courtiers en développement peuvent devenir des agents du changement en mettant en œuvre des projets de développement élaborés à partir d’une approche fondée sur le lieu dans un quartier très pauvre.

All in all, we will analyse the dialectic of how practices of development are both shaped by and shaping these uneven structures (Escobar, 1994). A key concept which will be at the centre of our scrutiny is justice (Harvey, 1973; Madanipour et al., 2017). We will treat CP as a policy tool which aims to tackle uneven and unjust social and spatial situations both through contributing to a fairer distribution of resources and through creating more just processes for accessing them. Our main question is exactly how and to what extent development brokers can become the agents of change through implementing development projects built on such a place-based approach in a very poor neighbourhood.

Afin de répondre à cette question, nous nous sommes appuyés sur un ensemble de méthodes qualitatives. D’une part, nous avons mené 21 entretiens avec 23 personnes différentes entre juin 2018 et février 2019. La plupart d’entre elles ont participé à la conception ou à la mise en œuvre d’un des projets menés à György-telep au cours de la dernière décennie, ou avaient une expérience professionnelle pertinente dans le cadre de notre recherche. Nous avons par ailleurs rassemblé et analysé des dizaines de documents et d’articles sur György-telep en particulier et sur le développement urbain à Pécs en général. Enfin, nous avons visité György-telep avec des travailleurs sociaux et avons ainsi eu la possibilité de poursuivre l’observation participante dans différentes situations pertinentes (par exemple, nous avons assisté à une réunion de travailleurs sociaux travaillant sur un projet de développement et avons observé plusieurs interactions entre la communauté et ces employés au sein du bureau du projet situé dans le quartier). Nous avons également réalisé quelques entretiens itinérants avec différents travailleurs sociaux, que ce soit à György-telep ou dans les environs.

In order to address this question, we used a set of qualitative methods. On the one hand, we conducted 21 interviews with 23 different people between June 2018 and February 2019. Most of them took part in designing or implementing one of the projects carried out in György-telep in the last decade, or had professional experience relevant to our research. Additionally, we collected and analysed dozens of documents and articles about György-telep in particular and about urban development in Pécs in general. Finally, we visited György-telep with social workers and thus had the chance to pursue participant observation in different relevant situations (e.g. we attended a staff meeting of social workers working on a development project, and we observed several community/social worker interactions in the development office situated in the neighbourhood). We also did walking interviews with different social workers in and around György-telep.

Une discussion méthodologique importante doit être faite à ce stade. Notre entrée sur le terrain a été principalement guidée par une organisation caritative très bien ancrée au niveau local, dénommée Service caritatif hongrois de l’Ordre de Malte (ou « Málta », comme on l’appelle couramment et ci-après dans le texte). Comme il s’est avéré plus tard, Málta occupe un poste de maître des clés incontestable sur le territoire du projet. Nous étions donc considérés au sein même de György-telep comme des personnes liées à Málta, et nous n’avons pas eu la chance d’avoir une discussion sans filtre avec les habitants qui auraient pu avoir un regard critique sur ce qui s’est passé dans leur environnement. En conséquence, nos interlocuteurs étaient principalement des travailleurs sociaux, des militants, des fonctionnaires et des experts (un architecte et des experts du travail social). Chaque fois que nous mentionnons la manière dont « les locaux » appréhendent les projets de développement, cela se base toujours sur l’interprétation des personnes interrogées, des documents officiels et des reportages dans les médias. Nous avons cependant essayé d’équilibrer ce parti pris en choisissant pour interlocuteurs un certain nombre d’experts s : nous avons ainsi approché des leaders d’opinion locaux qui ont été en contact avec les riverains et qui ont une approche critique du rôle de Málta à l’échelon local. En outre, nous avons trouvé au sein même de Málta une variété d’opinions – la plupart réflexives et autocritiques – concernant l’évaluation des différents projets. Même si nous pensons que ce parti pris produit le rééquilibrage nécessaire en matière de discours, il nous appartient néanmoins de mettre en exergue les avantages et les limites de cette entrée. D’une part, le fait de pouvoir compter sur Málta présente l’avantage évident de permettre l’accès à sa connaissance unique et approfondie de la localité et de ses projets de développement. D’autre part, le principal inconvénient était que dans les situations où nous avions des contacts avec les habitants, la situation d’interaction était clairement influencée par notre « lien » supposé avec l’organisation caritative.

An important methodological discussion must be made at this point. Our entry to the field was guided mainly by a charity organisation that is locally very well-embedded, called the Hungarian Charity Service of the Order of Malta (or Málta, as they are called colloquially and hereafter in the text). As it turned out later, Málta has an unquestionable gatekeeper position within the project territory. We were therefore regarded within György-telep itself as people connected to Málta, and we did not have the chance to have an honest discussion with local residents who might have had a critical view of what has happened in their habitat. As a result of this, our interviewees were dominantly social workers, activists, bureaucrats and experts (an architect and social experts). Whenever we write about how “the locals” relate to the development projects, it is always based on the interpretation of our interviewees, official documents and media reports. However, we tried to balance this bias with a selection of expert interviewees: we approached local opinion leaders who have been in touch with local residents and who have a critical approach towards the role of Málta. Furthermore, we found a variety of opinions within Málta itself regarding the evaluation of the different projects, many of them being self-reflective and self-critical. Even though we feel that we could counteract the bias rooted in this situation with this choice, we must in a reflective manner highlight both the advantages and the disadvantages. On the one hand, the clear advantage of relying on Málta was that we had access to their uniquely deep and historical knowledge about the locality and the development projects carried out there. On the other hand, the main disadvantage was that in situations where we interacted with local residents, the setting was clearly influenced by our imagined “attachment” to them.

Nous soulignons ci-après quelques contradictions inhérentes aux institutions du monde du projet. Premièrement, nous montrons que dans certains cas, différents projets (construits sur différentes méthodologies et logiques visant des zones identiques ou proches) peuvent interférer les uns avec les autres. Deuxièmement, nous montrons que les investissements mis en œuvre en faveur des infrastructures et sans planification adéquate peuvent provoquer des tensions locales en raison de disparités concernant les perceptions de la justice par les habitants. Enfin, nous montrons que, au niveau local, le remaniement institutionnel et le jeu politique peuvent contrecarrer les principaux objectifs de ces projets de développement.

In the following, we highlight a few contradictions rooted in the institutions of the project-world. First, we show that in some cases different projects (built on different methodologies and logics targeting the same or close areas) can interfere with each other. Second, we show that infrastructural investments implemented without proper planning can cause local tensions through disparities with the local inhabitants’ perceptions of justice. Third, we show that local institutional reshuffling and local politics can counteract the main aims of these development projects.

 

 

György-telep : la production d’un quartier en difficulté au cours des cycles de développement inégal

György-telep: the production of a deprived neighbourhood through the cycles of uneven development

Pécs, située dans le sud de la Hongrie, est la cinquième ville du pays avec une population d’environ 150 000 habitants. Outre son importance historique, la notoriété de la ville est également liée à l’extraction du charbon. Au début du XXe siècle, la première compagnie de navigation sur les navires à vapeur du Danube (FDSNC) a construit son « empire minier » dans la ville en achetant et en louant des domaines, ainsi qu’en construisant des colonies de travailleurs[4] dans les vallées situées à l’est de Pécs. Le charbon était extrait des mines et transporté par bateau sur le Danube. À partir de cette période, Pécs se dualisa car les nouveaux espaces de la classe ouvrière à l’Est, en forte croissance, furent rattachés au centre-ville historique. Après 1945, la compagnie minière étatisée était toujours en activité et fournissait des logements dans les soi-disant « colonies de travailleurs » de la partie orientale de la ville. Selon le statut social et économique des habitants, ces colonies se composaient de maisons de tailles et de niveaux de confort différents, mais elles consistaient généralement en de petits appartements au confort sommaire.

Pécs, located in Southern Hungary, is the country’s fifth largest city with a population of around 150,000 inhabitants. Besides its historical importance, the city is also famous for coal mining. By the turn of the 20th century, the First Danube Steamship Navigation Company (FDSNC) built its “mining empire” in the city by buying and leasing estates and by building worker colonies[4] in the valleys around Eastern Pécs. They extracted coal from the nearby pits and transported it by boat on the Danube. From this period onwards, Pécs became dualized: the new, rapidly growing working class Eastern Neighbourhood was attached to the historical city centre. After 1945, the nationalized mining company still operated and provided housing in the so-called “workers colonies” in the Eastern part of the city. Depending on the dwellers’ social and economic status, these colonies consisted of houses with different sizes and comfort levels, but were typically small, low comfort flats.

Les plus importantes colonies étaient Szabolcstelep (jusqu’en 1947, le village indépendant de Szabolcsfalu incluait Hősök tere et György-telep, là où se situe notre étude de cas), Pécsbánya et István-akna. Dans les années 1950, un grand lotissement de style moderniste, baptisé Meszes, est sorti de terre dans la partie orientale de la ville, ce qui a permi aux mineurs d’accéder à un logement de meilleure qualité que, jusqu’alors, dans les colonies. Bien que les mines ont été étatisées après la Seconde Guerre mondiale, les anciens logements des colonies de mineurs furent gérés par la société minière jusqu’en 1971. La municipalité prit en charge l’entretien de ces appartements après 1971, marquant ainsi le début d’un nouveau cycle de désinvestissement pour ces quartiers. Après des décennies de prospérité relative et de maintien dans un statut intermédiaire, les colonies de mineurs commencèrent à devenir des lieux de moins en moins attractifs. Ironiquement, cela est en partie la conséquence de la vaste politique de construction de logements de l’État socialiste : les ressources fiscales allouées au logement furent principalement mobilisées vers la construction de logements neufs, ce aux dépens des vieux quartiers ouvriers qui subirent un désinvestissement. Au fur et à mesure que les mineurs déménageaient dans des appartements modernes nouvellement construits et de meilleure qualité, bon nombre des appartements originaux de qualité inférieure situés dans les colonies furent attribués à des familles roms pauvres, qui vivaient auparavant dans des taudis informels situés dans les forêts voisines. Ces bidonvilles roms furent éliminés à la suite d’un programme national de résorption des bidonvilles initié en 1965 (Márfi, 2005 ; Zolnay, 2009 ; Pörös [manuscrit]). En conséquence, la partie orientale subit une dégradation de son statut en même temps qu’une dégradation physique. Le manque d’investissements et de rénovation catalysa la stigmatisation d’anciens quartiers de la classe ouvrière, alors que le centre-ville historique habité par la classe moyenne et les élites était en train de se régénérer. Cela a produit une structure dualiste et polarisée de la ville (Erdősi, 1968 ; Zolnay, 2009), à l’origine des interventions urbaines financées par l’Union européenne après 2010.

The most important colonies were Szabolcstelep (until 1947 the independent village of Szabolcsfalu included Hősök tere and György-telep, the location of our case study), Pécsbánya and István-akna. In the 1950s, a large modernist housing estate called Meszes was developed in the eastern part of the city which provided housing for miners that was of better quality than they previously had in the colonies. While the mines were nationalized following the Second World War, the older flats in the miner colonies were managed by the mining company until 1971. The city municipality took over the maintenance of these apartments after 1971, which marked the beginning of a new disinvestment cycle for these neighbourhoods. After decades of relative prosperity and moderate status, the miner colonies started to become less and less favourable places. Ironically, this was partly the consequence of the extensive housing construction policy of the socialist state: housing-related fiscal sources were spent on new constructions, and old working class neighbourhoods suffered from disinvestment. As miners were slowly relocated into better quality, newly constructed modernist flats, many of the original lower quality flats in the colonies were given to poor Roma families who were relocated from informal Roma slums in the nearby forests. These Roma slums had been eliminated following a national slum-elimination programme begun in 1965 (Márfi, 2005; Zolnay, 2009; Pörös [manuscript]). As a consequence, the neighbourhood’s social status was downgraded in parallel with its physical decline. The lack of investments and renovation catalysed the stigmatization of former working class neighbourhoods, while the historical city centre inhabited by the middle class and elites was undergoing a regeneration process. The result was a polarized, dual structure of the city (Erdősi, 1968; Zolnay, 2009) which created the basis of EU-funded urban interventions after 2010.

Les récits les plus courants que nous avons recueillis au sujet de l’injustice spatiale font référence à cette double structure de la ville et soulignent notamment la différence entre le peuplement de la partie orientale et celui du reste de la ville. L’unité de voisinage de la partie orientale est pourtant loin d’être un espace homogène. Il existe une différence forte entre les appartements modernistes de Meszes, dotés de tout le confort moderne et situés dans des immeubles construits dans les années 1950 et 1960, et les petits appartements peu confortables situés dans les vieilles maisons des anciennes colonies de mineurs. Cette distinction est également formalisée par la délimitation officielle des lieux[5] ségrégés (Jónás, Tistyán, 2016, p. 53-57). Parmi toutes ces zones qui ont été officiellement ségrégées, György-telep et le quartier voisin de Hősök tere en sont sans doute les plus emblématiques. Ils sont tous les deux situés aux abords immédiats de la partie orientale, tandis que les autres sont situés plus loin dans la « forêt ». Alors que György-telep et Hősök tere sont officiellement deux zones de ségrégation distinctes au sein de la partie orientale, elles sont souvent traitées en pratique comme une seule entité spatiale stigmatisée.

The most common narratives of spatial injustice we encountered revolved around this dual structure of the city, and mostly emphasized how the Eastern Neighbourhood differs from the rest of the city. However, the Eastern Neighbourhood is far from being a homogeneous territory. First of all, there is the difference between the modernist flats of Meszes, featuring all modern conveniences and located in housing estates built in the 1950s and 1960s, and small,  low comfort flats located in the old houses of former miner colonies. This distinction was also formalized with the official delineation of segregated places[5] (Jónás, Tistyán, 2016: 53-57). Among all these official segregated areas, György-telep has been one of the most notorious, along with the adjacent neighbourhood of Hősök tere. György-telep and Hősök tere are situated on the edge of the Eastern Neighbourhood while the others are located further in the “forest”. While György-telep and Hősök tere are officially two segregated areas within the Eastern Neighbourhood, in everyday practice these territories are often treated as one stigmatized spatial entity.

Selon l’acception la plus courante, György-telep est le nom donné à quelques dizaines de maisons construites au fond d’une vallée pour les mineurs il y a environ un siècle, et où vivent aujourd’hui environ 200 personnes. György-telep et Hősök tere sont liés par un escalier qui comporte une forte signification symbolique dans les pratiques quotidiennes des habitants de György-telep, lesquels doivent toujours l’emprunter pour aller faire leurs courses, se rendre à l’école, etc. Inversement, les habitants de Hősök tere n’ont jamais à descendre les escaliers car ils n’ont aucune raison de se rendre à György-telep.

According to the most common understanding, György-telep is the name of a few dozen houses built at the bottom of a valley for miners approximately 100 years ago, and where around 200 people live today. György-telep and Hősök tere are connected by a staircase which holds strong symbolic meaning in everyday practices. People from György-telep must always go up the stairs to go shopping, reach the school, etc. But people from Hősök tere never go down the stairs: they have no reason to go down to György-telep.

« Ils sont dans un endroit si isolé que je pense que 80 % des habitants de Pécs ne sont jamais allés à György-telep. Il y a 100 000 personnes dans la ville qui n’ont jamais été à György-telep de toute leur vie. Et parmis les gens de Meszes, situé à proximité, beaucoup ne sont jamais allés non plus à György-telep »[6].

“They are in such a secluded place that I think 80% of the residents of Pécs have never been to György-telep. There are 100,000 people in the city who have never been in their entire lives to György-telep. There might be people from nearby Meszes, who have never been to György-telep”[6]

Avant le début des projets de développement en 2007, György-telep est considéré comme la « colonie pénitentiaire » de la ville, selon l’expression d’une des personnes que nous avons interrogées. Cela renvoie au fait qu’il s’agissait de la zone la plus stigmatisée, utilisée par la municipalité pour y « cacher » les familles les plus problématiques socialement. Ici, seuls les logements sociaux ayant la taille la plus petite possible, sans confort et sans équipements de base (eau courante, gaz ou tout à l’égouts) ont été installés. La municipalité y relogeait souvent les habitants des autres quartiers de la ville qui avaient des arriérés de loyer. « C’était le fond du trou, dans tous les sens du terme », résume l’un des assistants sociaux de Málta.

Before the development projects started in 2007, György-telep was the “penal colony” of the city, as one of our interviewees put it. This means that it has been the most stigmatized area which was used by the municipality to “hide” the most socially problematic families. Only social housing units with the lowest possible size, without comfort, and without basic infrastructure (running water, gas or sewage) were established here. The municipality often relocated dwellers from the other parts of the city who had rent arrears. “It was deep down, in every sense of the word,” summarized one of the social workers of Málta.

Il y avait des différences considérables entre György-telep, en fond de la vallée, et Hősök tere situé sur les hauteurs. Ce n’était pas seulement en raison de leurs positions spatiales différentes, mais aussi à cause de disparités dans les conditions physiques et les perceptions, comme l’explique l’un des dirigeants de Málta : « György-telep était vraiment difficile, c’était le domaine des « gitans aux haches ». En comparaison, Hősök tere se définit lui-même comme plus prestigieux ; nous avons donc dû atténuer cette tension ». Cependant, Hősök tere n’était pas davantage considéré comme un lieu sûr avant la mise en œuvre des programmes de développement. En outre, l’un des principaux effets de l’un des projets de développement a été le « nettoyage » de la place.

There were considerable differences between György-telep, in the bottom of the valley, and Hősök tere, on the top of it. This was not only because of their different spatial positions, but also because of the different physical conditions of the houses and because of different perceptions, as the following quote from one of the Málta leaders shows: “György-telep was really rough, it was the home of the ‘gypsies with the axes’. Compared to that, Hősök tere defined itself as having a higher prestige, so we had to ease this tension.” However, before the development programmes, Hősök tere was not considered a safe place either. Moreover, one of the main results of one of the development projects was the “clearance” of the square.

« Hősök tere en tant que tel… Devant le terrain de basket et le terrain de jeu, c’était une véritable jungle. C’était un endroit parfait pour que les habitués alcoolisés du magasin d’à côté y fassent leurs besoins, parfait pour y donner des rendez-vous louches, parfait également pour y être tabassé et volé. J’ai toujours dit à tout le monde que je n’avais pas peur à Hősök tere, mais que j’appréhendais parfois de descendre à l’arrêt de bus. Dans certaines situations, quand telles ou telles personnes se trouvaient sur place, l’endroit n’était pas sûr. Les choses se sont améliorées entre-temps, et l’endroit est désormais beaucoup plus propre »[7].

“Hősök tere itself…It used to be a real jungle in front of the basketball court and the playground. It was a perfect place for the drunken regulars of the nearby shop to pee, perfect for shady trysts, and perfect for being knocked down and robbed. I always said to everyone that I do not fear Hősök tere, but sometimes I was afraid to get off the bus there. In some situations, when certain people were there, it was not a secure thing. But now it is much cleaner and much better.”[7]

Du point de vue des habitants, György-telep et Hősök tere étaient deux mondes séparés, ce qui constitue, à notre avis, un exemple de distanciation mutuelle (Wacquant, 2007). Pourtant, en prenant un peu de champ, les deux territoires faisaient fonctionnellement partie d’un secteur délabré et stigmatisé, ce qui en faisait des cibles idéales pour une série de projets de développement à partir de 2008 (Wacquant, Slater et Pereira, 2014). Dans ce qui suit, nous analyserons comment différentes séries d’interventions urbaines socialement sensibles ont été conçues pour pallier les inconvénients résultant de cette position spatiale périphérique et de son faible prestige social, créés par les différentes vagues de développement inégal dans la partie orientale de Pécs.

All in all, from the perspective of the locals, György-telep and Hősök tere were two separate worlds, which we see as an instance of mutual distanciation (Wacquant, 2007). However, from a more distant position, both territories were functionally part of a stigmatized, dilapidated neighbourhood, which made them perfect targets for a series of development projects from 2008 onwards (Wacquant, Slater and Pereira, 2014). In the following, we will analyse how different rounds of socially sensitive urban interventions were designed to level the disadvantages which stemmed from this peripheral spatial position and low social prestige created by the different waves of uneven development in this Eastern Neighbourhood of Pécs.

 

Le début d’un cycle de développement

The beginning of a development cycle

Selon plusieurs sources, les dirigeants nationaux de Málta ainsi que des responsables politiques locaux ont visité en 2007 un projet de développement à Pécs dans une ancienne colonie de mineurs. Un membre de la municipalité a proposé de visiter une autre colonie de mineurs sur le chemon du retour : György-telep. Un membre de cette délégation de Málta évoque cet épisode avec force : « Ce que nous avons vu là-bas, je ne le sais pas… je n’ai jamais vécu une vie d’aristocrate, mais c’était une dimension temporelle et spatiale différente, quelque chose de très différent. » Après cette visite, le dirigeant de Málta a immédiatement initié le lancement d’un projet de développement à petite échelle à György-telep, basé sur la présence à long terme de travailleurs sociaux. La méthodologie du « programme Présence » – la marque de fabrique de Málta (Csonkáné, Dusa et Fehér, 2011 ; Fehér, Marozsán et Patterman, 2011 ; Kiss, 2011) – a permis de nouer de profondes relations personnelles entre travailleurs sociaux car elle reposait sur la présence permanente de ces derniers. Cette présence permanente, ces connaissances approfondies et cet enracinement ont non seulement aidé à comprendre la situation locale, mais également à élaborer des stratégies utiles adaptées aux besoins spécifiques de plusieurs individus et familles.

According to several informants, in 2007 the national leaders of Málta, along with local politicians, visited a development project in Pécs at a former miner colony. Someone from the municipality offered to visit another former miner colony on the way back: György-telep. A member of that Málta delegation recalled vividly that “[w]hat we saw there, I do not know… I have never lived a gentry’s life, but that was a different temporal and spatial dimension, something very different.” After that visit, the leader of Málta immediately initiated the launch of a small-scale development project in György–telep based on the long-term presence of social workers. The methodology of this so-called “Presence programme”, which has been Málta’s hallmark method (Csonkáné, Dusa and Fehér, 2011; Fehér, Marozsán and Patterman, 2011; Kiss, 2011), helped to build deep personal relations between the inhabitants and the social workers, and was based on the permanent presence of the latter. This permanent presence, deep knowledge and embeddedness helped not only to understand the local situation, but to elaborate helpful strategies tailored to the specific needs of different individuals and families.

En 2010, les inégalités spatiales et sociales entre la partie orientale (en particulier les anciennes colonies de mineurs comme György-telep) et le centre-ville avaient considérablement augmenté pour plusieurs raisons. Premièrement, la ville avait remporté le titre de « Capitale européenne de la culture », et les projets de développement culturel à grande échelle liés à cette opération[8] étaient spatialement déséquilibrés et ne concernaient pas la partie orientale (Füzér, 2017). Deuxièmement, la crise économique a particulièrement frappé la classe ouvrière de l’Est de Pécs. Par ailleurs, « en 2011, pour une raison quelconque, les politiciens locaux étaient très ouverts à la société civile et aux initiatives pionnières, en particulier dans le domaine de la planification urbaine »[9]. Par voie de conséquence, la volonté politique de la municipalité de « faire quelque chose » avec les quartiers les plus défavorables de la ville a rencontré les capacités et ambitions professionnelles du département des ressources naturelles et humaines (TEER, en hongrois : Természeti és Emberi Erőforrás Referatúra).

By 2010, the spatial and social inequalities between the Eastern Neighbourhood (especially the former miner colonies like György-telep) and the city centre had become considerably high for several reasons. First, the city won the title of “European Capital of Culture” (ECC), and the ECC-related large-scale cultural development projects in the city[8] were spatially unbalanced and did not focus on the Eastern Neighbourhood (Füzér, 2017). Second, the economic crisis hit the working-class Eastern Neighbourhood particularly hard. At the same time, “in 2011, for some reason, local politicians were very much open towards civil society and pioneering initiatives, especially in the sphere of urban planning”[9]. As a result, the political will of the municipality to “do something” with the most disadvantageous neighbourhoods in the city met the capacities and professional ambitions of the Department of Natural and Human Resources (DNHR, in Hungarian: Természeti és Emberi Erőforrás Referatúra) within the municipality.

Au printemps 2012, l’Agence nationale de développement (NFÜ) a ouvert un nouveau dispositif de développement (TÁMOP) qui fournirait des ressources à la politique régionale, afin d’améliorer l’éducation, l’emploi et la santé des personnes vivant dans des communautés ségrégées. Le « programme Présence » de Málta étant déjà en cours à György-telep, certains courtiers en développement local ont convaincu la municipalité qu’elle devait s’appuyer sur ce quartier dans son dossier de candidature. Le « programme de présence » a largement motivé la décision de financement, mais pas uniquement :

In the spring of 2012, a new development call (TÁMOP) was opened by the National Development Agency (NDA) which provided CP resources to improve the education, employment and health status of those living in segregated communities. Since Málta’s Presence programme had already been running in György-telep, some local development brokers convinced the local municipality that it should be the target area of the city’s application to this call. While the Presence programme was a crucial reason for this decision, it was not the only one:

« György-telep était un concept qui circulait au sein de la ville. C’était un quartier relativement petit et relativement proche du centre. La municipalité en avait conscience : il y avait un problème et il était visible. […] Il était dès lors concevable d’imaginer une aide à y apporter […] Il était concevable que le quartier puisse être intégré à la ville ; il avait donc une base solide. »[10]

“György-telep was a concept circulating within the city. It was relatively close to the centre, it was relatively small, the municipality knew it, it was visible, and it was a problem. […]It could be imagined that you can help them. […] That it can be integrated into the city, so it had a solid base.”[10]

Différentes stratégies de développement urbain avaient déjà mentionné auparavant György-telep comme un quartier promis à la démolition. En raison de l’état physique des maisons (construites sans fondations adéquates) et du manque d’infrastructures, ainsi que de l’éloignement physique de la ville, la plupart des architectes et urbanistes avaient accepté l’idée de démolir la colonie. Ces projets ont pourtant lentement commencé à évoluer, en partie en raison de l’activité de Málta dans le quartier et de l’apparition, au niveau national, d’une nouvelle approche de développement qui n’était d’ailleurs pas totalement étrangère au pouvoir de lobbying de Málta à l’échelle du pays.

Previously, different development strategies of the city mentioned György-telep as a neighbourhood listed for demolition. Due to the physical condition of the houses (which were built without proper foundations) and the lack of infrastructure, and owing to the physical distance from the city, most architects and urban planners agreed to demolish the colony. However, these plans slowly started to change, partly because of Málta’s activity in the neighbourhood and partly because a new developmental approach took shape on the national level which was not entirely unrelated to the lobbying power of the national organization of Málta.

« Avant 2008, le maire – toujours en poste – voulait éliminer cette zone au sens propre, en y amenant des bulldozers pour procéder aux démolitions. Bien qu’on n’envisageait rien de précis quant au devenir des gens qui y vivaient, il existait une volonté pour éliminer ce genre de secteurs. Puis le maire a rencontré [le chef national de Málta], ils ont beaucoup discuté de la situation et le maire a finalement été convaincu qu’il existait d’autres solutions. Choisissons en une parmi elles et peut-être que Pécs pourra même en tirer un bénéfice. »[11]

“Before 2008 the mayor – who is the present mayor – wanted to eliminate this area, practically to bring bulldozers and destroy it. It was not envisioned what to do with the people living there, but there was a vision to eliminate such places. And then the mayor met [the national leader of Málta], they talked a lot about the situation and finally he convinced the mayor that there are other solutions. Let’s choose one of those, maybe Pécs itself can profit out of it.”[11]

Selon une autre source, le « bénéfice » en question se situait dans le champ politique : la solution alternative permettait à la ville d’éviter de rencontrer une résistance potentielle de citoyens qui auraient pu s’opposer à la réinstallation d’habitants « problématiques » dans des quartiers « non problématiques ». Tout cela a été rendu possible par le montant sans précédent des fonds européens disponibles pour la régénération urbaine intégrée, lesquels étaient censés accroître la justice spatiale en améliorant les quartiers dégradés.

According to another informant, this “profiting” from a political perspective meant that the city did not have to face potential resistance from citizens who might have opposed the relocation of “problematic” dwellers into “non-problematic” neighbourhoods. All this was enabled by the unprecedented amount of EU funding available for integrated urban regeneration, which was supposed to increase spatial justice through improving dilapidated neighbourhoods.

 

 

Rassembler une coalition pour le développement et négocier différentes logiques de développement

Putting together a development coalition and brokering different development logics

L’un de nos principaux résultats montre le rôle émergent de Málta en tant que courtier (voir Lewis, Mosse, 2006) ou en tant que « plaque tournante », comme le décrit l’un de ses principaux dirigeants. Málta était l’organisation capable de connecter tous ces intérêts et aspirations et de les transformer en une intervention cohérente, traduite dans la langue des projets financés par l’UE et élaborée sur la base d’une connaissance approfondie du quartier ségrégué. Un des travailleurs sociaux de Málta décrit ce processus comme suit :

One of our main findings was the emerging role of Málta as a broker (see Lewis, Mosse, 2006), or as one of the key leaders of Málta put it, Málta as a “turntable”. Málta was the organization which was able to connect all these different interests and aspirations and turn them into a coherent intervention, translated into the language of EU-funded projects based on their deep knowledge of the segregated neighbourhood. One of the social workers of Málta described this process as follows:

« Il y avait un projet qui exigeait telle ou telle chose, de sorte que la municipalité et les habitants devaient y participer. Et il y avait Málta, qui pouvait prendre l’initiative d’ouvrir quelque chose comme un canal de communication, qui connecte tous ces acteurs de manière à ce que, en plus d’une relation nécessaire, ils puissent même se regarder de manière humaine. »

“There was the project which required this, and required that, so both the municipality and the residents had to take part in it. And there was Málta, which could take the lead in opening up something like a communication channel, which connects all these actors in a way that, besides a necessary relation, they can even look at each other in a humane way.”

Au départ, le rôle de Málta comme courtier tenait au fait que l’organisation possédait une connaissance approfondie de György-telep. Ainsi, lorsque le consortium dirigé et initié par la municipalité pour solliciter le premier fonds TÁMOP a été constitué, le rôle de Málta a été imaginé comme celui d’une ONG joignant les réalités locales aux réalités du monde du projet. Les deux autres acteurs importants de ce consortium initial étaient le TEER et Khetanipe, la plus puissante association rom de la ville. Bien que le rôle du TEER a été imaginé en tant que gestionnaire de projet et coordinateur pour satisfaire à tous les critères bureaucratiques et techniques, Khetanipe était chargé de relayer les problèmes spécifiques touchant la population rom locale.

Málta’s role as a broker in the beginning was rooted in the fact that they had deep knowledge of György-telep. Thus, when the consortium which was led and initiated by the municipality for applying for the first TÁMOP fund was put together, the role of Málta was imagined as that of an NGO bridging the local realities with the realities of the project world. The two other important actors in this initial consortium were the DNHR and Khetanipe, the most powerful Roma NGO in the city. While the role of the DNHR was imagined as project manager and coordinator for fulfilling all the bureaucratic and technical criteria, Khetanipe was expected to give voice to the specific issues concerning the local Roma population.

La période au cours de laquelle le consortium a réuni l’appel d’offres pour le fonds TÁMOP, puis sa mise en œuvre ultérieure entre 2012 et 2015, est considérée par tous les acteurs du projet comme un âge d’or.

The period when the consortium assembled the tender for the TÁMOP fund, and when it was later implemented between 2012 and 2015, is remembered by all the partners as a golden age.

« Nous nous sommes portés volontaires pour que la tâche englobe tous les acteurs qui ont une routine, un savoir, une pratique ou des relations liées à ce territoire. Nous ne pouvions pas les laisser de côté, nous devions nous appuyer sur eux, et pas seulement après avoir élaboré la proposition de projet, mais en les incluant dans sa production, car nous la mettions en œuvre ensemble. Si vous voulez le dire ainsi, il s’agissait pratiquement d’une procédure de planification communautaire. »[12]

“We volunteered for the task to include all those actors who have routine, knowledge, practice or connections related to this territory. We could not leave them out, we had to lean on them, and not only after we put together the project proposal, but including them in its production because we would implement it together. If you would like to put it this way, it was practically a community planning procedure.”[12]

Les relations entre ces acteurs ont été décrites rétrospectivement comme plus ou moins égales malgré leurs logiques institutionnelles différentes. Lors de l’élaboration et de la mise en œuvre du dispositif TÁMOP, Málta et Khetanipe ont partagé différentes tâches qui étaient représentées spatialement au sein du quartier : Málta poursuivait le travail social avec les familles, qu’il avait commencé quatre ans plus tôt avec le programme Présence à György-telep, tandis que Khetanipe faisait fonctionner les programmes éducatifs et culturels dans la maison de quartier rénovée située à l’extérieur de György-telep. Les différentes logiques institutionnelles étaient visibles. Pour Málta, la cible principale du projet de développement était définie spatialement : il s’agissait de György-telep. Pour Khetanipe, en tant qu’association de Roms, la cible était la communauté rom de la ville.

The relations between these actors were described retrospectively as more or less equal despite their different institutional logics. During planning and implementing the TÁMOP project, Málta and Khetanipe shared different tasks which were represented spatially within the neighbourhood: Málta continued the family-based social work, which had started with the Presence programme four years earlier in György-telep, while Khetanipe ran the educational and cultural programmes in the renovated community house outside of György-telep. The different institutional logics were visible. For Málta, the main target of the development project was spatially defined: it was György-telep. For Khetanipe, as a Roma association per definition, the target was the Roma community within the city.

Parallèlement à ce projet du dispositif TÁMOP, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD)[13] a lancé un autre projet de développement baptisé « Szabolcs-telep » et qui comprenait György-telep, Hősok tere, ainsi que les rues avoisinantes. Ce projet reposait sur un travail collectif dirigé par des « entraîneurs » communautaires et partageait implicitement une approche fondée sur le lieu. Les entraîneurs ont joué un rôle important dans la mobilisation de la communauté. L’idée principale était de définir collectivement des objectifs de développement qui pourraient être mis en œuvre, même sans ressources externes, en utilisant l’aide des entraîneurs en tant que médiateurs entre les populations locales et les acteurs institutionnels. Les entraîneurs ont notamment encouragé les habitants à faire du bénévolat pour la communauté.

Parallel with that TÁMOP project, the UNDP[13] started another development project in “Szabolcs-telep”, which included György-telep, Hősök tere and the neighbouring streets. This project was based on community work led by community coaches, and implicitly had a place-based approach as well. Coaches played an important role in the mobilization of the community. The main idea was to collectively define development goals which could be implemented even without external resources using the help of the coaches as mediators between local people and institutional stakeholders. Coaches encouraged local people to do volunteer work for the community.

Dans le cadre du projet du PNUD, deux groupes communautaires ont été mis en place à deux endroits différents (György-Telep et Hősok tere). Le PNUD a employé un entraîneur de Málta et un autre de Khetanipe, symbole de l’égalité de ces deux acteurs principaux du processus de développement (et qui reflétait leur relation au sein du dispositif parallèle TÁMOP). L’histoire des deux groupes, y compris leurs succès et leurs échecs, était pourtant très différente : ainsi à György-telep, personne n’avait compris l’intention des entraîneurs, car les habitants étaient habitués à la méthode plus individuelle du programme de présence. Pendant des années, ces derniers ont reçu un accompagnement social dans des situations en face à face avec les travailleurs sociaux et ont, dès lors, été incapables de passer à une autre logique, plus collective, de résolution des problèmes quotidiens. Au contraire, à Hősök tere, où il n’y avait pas d’antériorité de projet de développement, le groupe communautaire a bien fonctionné. Le principe le plus important du groupe de travail était le suivant : « vous obtenez quelque chose si vous faites quelque chose » pour la communauté. Ce principe était tout à fait à l’opposé de la méthodologie individuelle et des cadres du travail social précédemment mis en œuvre à György telep. « Il est extrêmement clair que les réactions[14] ont été différentes selon les individus, selon s’ils avaient expérimenté dès le départ le travail social communautaire ou s’ils avaient eu une expérience antérieure avec le travail social individuel ». Cette situation a en outre soulevé la question de l’injustice distributive à l’égard des habitants en fonction des différentes parties du quartier où ils vivent. Une personne extérieure au groupe de travail de la communauté aurait pu « obtenir quelque chose sans rien faire » en raison d’une logique de projet différente, tandis que les personnes impliquées dans le projet du PNUD « devaient faire quelque chose » pour pouvoir obtenir quelque chose.

Under the UNDP project, two community groups were set up at two different locations (György-telep and Hősök tere). UNDP employed one coach from Málta and one from Khetanipe, which symbolized the equality of these two main actors in the development process (mirroring their relation within the parallel TÁMOP project). The story of the two groups, including their successes and failures, was very different: in György-telep, nobody understood the intention of the coaches because they were accustomed to the more individual method of the Presence programme. For years they had received social assistance in one-on-one situations with the social workers, and they were unable to shift towards another, more collective logic of tackling everyday problems. On the contrary, in Hősök tere, where there was no preceding development project, the community group operated well. The most important principle of the working group was that “you get something if you do something” for the community. This principle was completely contrary to the individual social work methodology and principle used previously in György telep. “It was extremely clear how differently the people who started with communal social work and those who started with individual social work at the beginning reacted.”[14] It also raised the question of distributional injustice between the dwellers from different parts of the neighbourhood. While someone outside of the community working group might have “gotten something without doing something” as a result of the logic of a different project, the people involved in the UNDP project “had to do something” before getting something.

Cette interférence des deux interventions parallèles montre bien le danger inhérent à la logique des projets de développement. Pendant une période limitée, une vague de ressources sans précédent est acheminée vers un territoire structurellement défavorisé par un développement inégal. Pendant la période limitée d’afflux intensif de ressources (même si cette ressource est un travail social « soft » et un développement communautaire dirigé par des experts externes), la logique des agents de développement (dans ce cas, la logique du programme Présence et le mantra selon lequel « vous obtenez quelque chose si vous faites quelque chose ») peut dominer les discours et les pratiques locales. Mais il est très difficile de rendre cette logique imposée de l’extérieur compatible avec la réalité locale, ce qui peut avoir des conséquences négatives inattendues, en particulier si la durée du projet est très courte, et ce malgré la bonne volonté des courtiers en développement. En bref, outre de nombreux effets positifs, l’interférence entre les deux projets en a réduit l’efficacité.

This interference of the two parallel interventions shows well the danger inherent in the logic of development projects. For a limited amount of time, a previously unprecedented wave of resources is channelled into a territory which is structurally on the negative side of uneven development. During the limited time of intensive resource inflow (even if this resource is “soft” social work and community development led by external experts), the logic of the development brokers (in this case, the logic of the Presence programme and the logic of “you get something if you do something”) can dominate local discourses and practices. But it is very hard to make this externally enforced logic compatible with the local reality, and this can have unintended negative consequences, especially if the time-span of the project is very short, despite the goodwill of the development brokers. In short, besides many positive effects, the two projects interfered with each other in a way which decreased the efficiency of both.

tableau1

Comment « beaucoup d’argent est entré » et comment ça a transformé la coalition de développement 

How “a lot of money came in” and transformed the development coalition 

Fin 2013, les précédentes approches « douces » ont bénéficié de l’appui de nouveaux projets dits « durs », lesquels impliquaient un passage du travail social vers le développement d’infrastructures. Deux dispositifs liés aux Fonds européen de développement régional (FEDER), baptisées TIOP et DDOP, ont été ouverts et ont bénéficié d’un développement parallèle. Tous deux ont fourni des financements pour la rénovation de logements sociaux et la réinstallation d’habitants de zones isolées vers un environnement intégré, tout en maintenant sur place le travail social individuel accompli jusque-là. Les deux dispositifs relevaient de deux ministères différents (le TIOP du ministère des Ressources humaines et le DDOP du ministère de l’Économie nationale) et obéissaient ainsi à des logiques d’action différentes en faveur de l’amélioration des quartiers en difficulté. Le dispositif TIOP s’inscrivait en complément des précédents projets TÁMOP et n’était mobilisable que par les municipalités ayant mené à bien un projet TÁMOP. Les investissements d’infrastructure prévus par le dispositif TIOP devaient donc cibler le même quartier, à savoir ici György-telep. Quant à la « déségrégation » (c’est-à-dire la relocalisation d’habitants dans des quartiers dits intégrés), il s’agissait d’un levier possible mais non obligatoire. Le dispositif TIOP a permis la rénovation de 22 unités de logement à György-telep, ainsi que le relogement de cinq familles dans un quartier intégré.

At the end of 2013, the previous “soft” approaches were backed by novel, “hard” projects, which meant a shift from social work towards infrastructural development. Two related tender opportunities with EFRD resources (called TIOP and DDOP) were opened and run parallel to each other. Both provided funds for renovating social housing units and supporting the relocation of dwellers from segregated areas to an integrated environment while continuing the previous one-on-one social work. The two tenders belonged to two different ministries (TIOP – Ministry of Human Resources and DDOP – Ministry for National Economy) and adhered to different logics for improving disadvantaged neighbourhoods. TIOP was the complementing call of the previous TÁMOP projects, and was available only for those municipalities which had successfully completed a TÁMOP project. The infrastructural investments of the TIOP projects had to target the same neighbourhood, which in this case was György-telep. In this project, desegregation (i.e. the relocation of dwellers to integrated neighbourhoods) was a possible but not mandatory element. The TIOP project in György-telep resulted in the renovation of 22 housing units, and an additional five families were relocated to an integrated neighbourhood.

Parmi les autres cadres de financement disponibles figurait le dispositif DDOP, pensé comme une possibilité d’expérimenter le développement de modèles novateur en matière de régénération urbaine intégrée et uniquement accessible dans la région de Transdanubie méridionale. Ce dispositif combinait des éléments « doux » et « durs » : un bâtiment communautaire a été créé, certains habitants ont été accompagnés lors de leur relogement dans des quartiers intégrés, la présence des services sociaux a été renforcée et les logements sociaux ont été rénovés. Les exigences en matière de déségrégation étaient quant à elles plus strictes qu’au sein du dispositif DDOP : pour chaque projet, 30 à 36 familles devaient être relogées dans un environnement intégré. Trois projets relevant du dispositif DDOP ont été mis en œuvre à Pécs, ciblant Hősök tere et deux autres anciennes colonies de mineurs.

The other relevant tender opportunity was DDOP, which was opened only in the South Transdanubian region as an experimental opportunity to develop pioneering integrated urban regeneration models. It combined soft and hard elements: a community building was created, some dwellers were assisted during relocation into integrated neighbourhoods, social service provision was strengthened, and social housing units were renovated. Stronger desegregation requirements were imposed within DDOP: for each project, the relocation of 30 to 36 families to an integrated environment had to be undertaken. Three DDOP projects were implemented in Pécs, targeting Hősök tere and two other former miner colonies.

Le dispositif TIOP visait György-telep au sens étroit. Compte tenu de la taille relativement réduite de cette zone et du fait que tous les bâtiments appartenaient à la municipalité, le projet a pu financer la rénovation de l’ensemble du bâti et l’accompagnement de toutes les familles. Comme nous l’avons décrit plus haut, l’expérience des travailleurs sociaux de Málta a permis un processus de planification participatif très efficace et productif. Contrairement à l’échec de la méthode du PNUD dans ce domaine, la perspective du relogement pouvait motiver les habitants à se mobiliser et à produire quelque chose collectivement. En d’autres termes, la perspective d’une plus grande justice distributive avait un effet de motivation plus important que le projet du PNUD axé sur une conception processuelle de la justice.

The TIOP project targeted György-telep in the narrow sense. Given the relatively small size of this area and the fact that all the houses were owned by the municipality, the project was able to finance the renovation of all the buildings and the assistance of all the families. As we described above, the previous experience of the Málta social workers enabled a very efficient and productive participatory planning process. Contrary to the failure of the UNDP method in this area, relocation could motivate the dwellers to mobilize and do something collective. In other words, the prospect of further distributional justice had a larger motivating effect than the process-justice-oriented UNDP project.

« La manière dont nous avons planifié l’investissement dans les infrastructures en tant que communauté a été une grande joie pour nous tous. Nous avons travaillé en petits groupes, dessinant les maisons de nos rêves sur de grandes feuilles de papier, en en concevant leur intérieur. La municipalité a déclaré que nous n’aurions pas dû le faire, car les habitants demanderaient aux planificateurs tout ce qui était imaginable, quelle qu’en soit la raison. Mais ce n’était pas vrai. Les dames ont demandé des éviers de cuisine à double vasque ou une extrémité de conduite d’eau séparée au cas où elles pourraient acheter une machine à laver à l’avenir. Ainsi les éléments du programme concernant le logement ont été élaborés en prenant en compte ces demandes pratico-pratiques et très modestes. »[15]

“It was very joyful for all of us how we planned the infrastructural investment as a community. We worked in small groups, drawing our dream houses on big paper sheets and designing their interior. The municipality said that we should not have done this, as the inhabitants would ask for everything imaginable from the planners regardless of its rationale. But it was not true. The ladies asked for double basin kitchen sinks or a separate water pipe end in case they would be able to purchase a washing machine in the future. So the housing element of the programme was designed with incorporating these very practical and very modest wishes.”[15]

Contrairement à la réussite du dispositif TIOP, le dispositif DDOP qui visait à rénover les bâtiments autour de Hősök tere a brisé le groupe de travail qui avait remporté aurapavant un certain succès. La rapidité et le caractère radical de l’impact du dispositif DDOP étaient clairement à l’opposé de la méthodologie progressive mise en œuvre dans le cadre du projet PNUD. Comme l’un des assistants sociaux l’a dit, « notre principe [défini collectivement] selon lequel « vous obtenez quelque chose si vous faites quelque chose » a été balayé par l’arrivée de beaucoup d’argent, ce qui a rendu caduque l’obligation de faire quoi que ce soit pour la rénovation de votre maison »[16]. Un autre travailleur social a utilisé une métaphore très illustrative pour souligner la contradiction entre les différentes logiques des deux projets.

Unlike the success of the TIOP project, the DDOP project, which aimed to renovate houses around Hősök tere, broke the formerly successfully operating community working group. The UNDP methodology of step-by-step community building was clearly at odds with the quick pace and radical impact of the DDOP project. As one of the social workers put it, “our [collectively defined] principle of ‘you get something if you do something’ was washed away by a lot of money, and you were not required to do anything for the renovation of your house”[16]. Another social worker used a very catchy metaphor to illustrate the contradiction between the different logics of the two projects.

« Avec le projet TÁMOP, nous voulions construire une gare afin de permettre aux gens de prendre le train au cas où il arriverait un jour. Avec les dispositifs TIOP et DDOP, c’est un TGV qui traversait le quartier alors que la construction de la gare n’était pas terminée. Et puis le train ne prenait pas la peine de s’arrêter ou de ralentir : il fallait que les habitants essayent de sauter dessus pour l’attraper ».

“With the TÁMOP project, we wanted to build a train station in order to make it possible for the people to catch the train, in case it would one day arrive. With the TIOP and DDOP, a TGV sped across the neighbourhood even before we could finish the construction of the train station, plus it neither stopped nor slowed down. So every local dweller had to try jumping on it.”

En outre, selon plusieurs points de vue locaux, le dispositif DDOP était perçu comme plus explicitement sélectif et injuste. D’après le règlement du projet, seules les propriétés appartenant à la municipalité pouvaient être rénovées, alors que dans cette partie du quartier, la structure de propriété était mixte et disparate. Par exemple, certaines familles qui étaient auparavant actives dans le groupe de travail communautaire et qui vivaient dans des maisons privées ont été exclues de la rénovation, même si leur logement était dans un état physique pire que celui de leurs voisins qui vivaient dans des logements appartenant à la municipalité. Dans le même esprit, ceux qui vivaient en dehors de la zone cible, même dans des maisons appartenant à la municipalité, ne pouvaient pas bénéficier du développement des infrastructures, même s’ils jouaient un rôle clé dans la communauté. L’une des personnes que nous avons interrogées a résumé cette contradiction, laquelle sape le paradigme de justice contenu dans les objectifs du schéma de développement.

Moreover, the DDOP project was more explicitly selective and unjust according to several local points of view. According to the project regulations, only municipality-owned properties could be renovated, despite the fact that in this part of the neighbourhood the ownership structure was mixed and patchwork. For example, some families who were formerly active in the community working group but lived in privately-owned houses were excluded from the renovation, even if their homes were in worse physical condition than that of their neighbours who lived in municipality-owned units. In a similar vein, those who lived outside of the target area, even in municipality-owned houses, could not benefit from the infrastructural developments, even if they played a key role in the community. This contradiction which undermined the justice paradigm of the development scheme goals was summarized by one of our interviewees.

« Entre-temps, il y a le dispositif DDOP, dont la logique n’est pas de « recevoir quelque chose si on fait quelque chose », mais simplement de donner beaucoup à quelques familles sélectionnées, selon certains calculs et un ciblage territorial, mais de ne rien donner à ceux qui vivent dans les rues voisines. Tout simplement parce que c’est ainsi que fonctionne le projet. Ceci est vraiment très différent de la logique de « recevoir quelque chose si on fait quelque chose » à laquelle les gens avaient pourtant décidé d’adhérer. »[17]

“In the meantime there is the DDOP project, whose logic is not ‘you get something if you do something’, but simply that in certain territories, because of some given calculations, a few selected families will receive a lot of support, but in the neighbouring streets we cannot give anything to the people. Simply because this is how the project works. And this is something different than the logic of ‘you get something if you do something’, which the people themselves decided to follow.”[17]

En revanche, le dispositif TIOP était plus flexible et, grâce à la réussite du processus de planification communautaire, la taille des appartements a été adaptée aux besoins des familles concernées. En raison de la structure rigide du projet et de la durée limitée du dispositif DDOP, les appartements rénovés au cours de ce projet étaient tous de la même taille et de la même qualité.

The TIOP project was more flexible by contrast, and due to the successful community planning process, the sizes of the apartments were tailored to the needs of the given families. Due to the rigid project structure and narrow timespan of the DDOP project, the apartments renovated during this project were of the same size and quality.

« Il était très difficile d’expliquer pourquoi le voisin pouvait obtenir un appartement de trois pièces fraîchement rénové, quand bien même il n’avait pas encore payé le loyer, alors que la famille nombreuse vivant à deux rues de là devait s’entasser dans une surface de 28 m2. Mais pourquoi ? Et en effet, la question va tellement de soi : pourquoi ? »[18]

“It was very hard to explain why the neighbour can get a freshly renovated flat with three rooms, even though they have not paid the rent previously, while he who lives two streets away with a large family needs to squeeze into 28 m2. But why? And indeed, it is such a logical question: why?”[18]

Au cours de la mise en œuvre de ces projets, les familles ont été déplacées des zones officiellement désignées comme « ségréguées » vers des parties dites « intégrées » à la ville. Cet élément commun aux deux programmes a soulevé plusieurs questions. La municipalité possédait des logements sociaux dans différentes parties de la ville mais, comme de nombreux critiques l’ont fait remarquer, elle voulait reloger les familles de György-telep et de Hősök tere uniquement dans les quartiers environnants de la partie orientale de Pécs. Cela s’explique en partie par des problèmes d’accessibilité : dans d’autres parties de la ville, les logements sociaux sont généralement situés dans de grands ensembles d’habitations où les coûts des services publics sont beaucoup plus élevés. On sait cependant que la municipalité disposait également de logements sociaux dans le centre historique de la ville, dont les coûts liés aux services publics étaient moindres. Selon nos sources, les dirigeants de la municipalité ont demandé que les familles pauvres ne soient pas réinstallées dans ces quartiers prestigieux de la ville, et même les courtiers en développement implantés localement n’avaient pas la capacité d’influencer cette décision politique.

During the projects’ implementation, families were relocated from the officially-designated “segregated” areas to “integrated” parts of the city. This element of both programmes raised several questions. The municipality owned social housing units in different parts of the city, but as many experts critically noted, they only wanted to relocate families from György-telep and Hősök tere to the surrounding Eastern Neighbourhoods. This was partly explained by affordability issues: in other parts of the city the social housing units are usually situated in large housing estates where utility costs are much higher. However, it is known that the municipality had social housing units in the historical centre of the city as well which had lower utility costs. According to our informants, the leaders of the municipality requested that poor families not be relocated to these prestigious parts of the city, and even the locally embedded development brokers could not modify this political decision.

 

 

Externaliser la gouvernance de la marginalité urbaine : quand Málta devient une « municipalité parallèle »

Outsourcing the governance of urban marginality: Málta becomes “shadow municipal”

Les deux grands projets de développement d’infrastructures ont complètement transformé les relations entre les principaux acteurs. De plus, en 2015, le TEER, principal catalyseur de l’ancienne coalition de développement, a été supprimé.

The two large infrastructural development projects completely reshaped relations between the main actors. Moreover, in 2015 the DNHR, which was the main catalyst of the former development coalition, was abolished.

« Pour les politiciens locaux, il était devenu désagréable que la société civile et les personnes désirant discuter de l’avenir de la ville aient autant de liberté. Alors, ils en ont dégagé quelques-uns… »[19]

“For the local politicians it became unpleasant that the civil society and the people wanting to discuss the future of the city have so much freedom. So, they cleared some of them out of the way…”[19]

Ce « dégagement » est intervenu après la deuxième victoire écrasante du parti de droite Fidesz aux élections nationales et a coïncidé avec plusieurs réformes politiques initiées par le pouvoir en place. Les anciennes compétences du TEER ont été confiées à la Société de développement urbain (PVF Zrt.) qui était auparavant responsable de la gestion des grands projets d’infrastructure liés à l’opération Capitale européenne de la culture. Au sein de la municipalité, le rôle du service logement a été renforcé car il collaborait quotidiennement et étroitement avec le personnel de Málta. Málta était responsable de l’assistance aux familles et de l’organisation logistique des relogements, et a donc dû s’agrandir. L’une des conséquences de cette situation est que les employés de l’ancien TEER et de Khetanipe ont été embauchés par Málta. Ainsi, bien que l’infrastructure organisationnelle de la mise en œuvre du projet a considérablement changé, les personnes les plus importantes sont restées à des postes clés, mais principalement au sein du personnel de Málta. Conséquence non voulue, ces deux projets de développement ont renforcé la position de Málta et ont fait de l’organisation un puissant agent de développement local à l’échelle de la ville.

This “clearance” happened after the second landslide victory of the right-wing Fidesz party at national elections, and coincided with several public policy reforms initiated by the politically strengthened governing party. The former tasks of DNHR were assigned to the Urban Development Company (UDC), which was previously responsible for the management of the large-scale infrastructural projects related to the ECC. Within the municipality, the role of the Housing Department (HD) increased, as they were in close daily cooperation with the staff of Málta. Málta was responsible for assisting the families and for logistically organizing the relocations, and thus had to expand. One consequence of this was that employees of the former DNHR and Khetanipe were hired by Málta. Thus, while the organizational infrastructure of the project implementation changed greatly, the most important people remained in key positions but now mainly as Málta staff. As an unintended consequence, these two development projects strengthened the position of Málta and made the organization a powerful local development broker within the city.

En raison des modifications apportées à la structure de gestion du projet susmentionnée, la structure triadique plus ou moins équilibrée du consortium précédent s’est transformée en duopole entre Málta et le service logement de la municipalité, avec pour effet la marginalisation informelle de Khetanipe dans les prises de décision – Khetanipe étant resté formellement membre du consortium. Outre la rivalité organisationnelle, l’acte de mise sur la touche représente également un bouleversement plus profond et plus symbolique dans la mesure où les projets de György-telep – et c’est le cas de projets similaires menés ailleurs dans le pays – ne sont plus explicitement qualifiés de programmes pour les Roms, mais de programmes de lutte contre la pauvreté. Ce changement est analogue au changement sémantique qui a eu lieu au niveau national et qui a abouti à la suppression du qualificatif « social » des programmes de réhabilitation urbaine.

As a result of the shifts within the project management structure mentioned above, the more or less equal triadic pattern of the previous consortium transformed into the duo of Málta and the HD of the municipality, which occurred at the expense of the informal peripherialization of Khetanipe in decision-making situations (Khetanipe formally remained a member of the consortium). Besides organizational rivalry, the act of side-lining represents a larger, more symbolic change as well. The projects in György-telep – and similar projects elsewhere in the country – are now explicitly not labelled as Roma programmes but rather as programmes targeting poverty. This shift resembles the semantic shift on the national level whereby “social” urban rehabilitations had to be renamed by eliminating the word “social”.

La position renforcée de Málta pourrait s’expliquer par le fait qu’il s’agit d’une organisation nationale ayant pour ambition claire d’élargir son emprise. Cette ambition correspond à la stratégie du gouvernement central consistant à externaliser la fourniture de services sociaux – et de manière générale la « gestion » des communautés marginalisées – à des organisations non gouvernementales, apparentées à des organisations cléricales et plus largement confessionnelles. Nous avons observé une tendance similaire dans le cas de Pécs. La logique institutionnelle de la municipalité (plus précisément de son service logement) était très différente de l’approche de Málta. Le système de gestion de la pauvreté et le système d’habitat social du service logement étaient, il y a dix ans, décrits par les initiés comme étant « chaotiques » et incapables d’évoluer. Dans certains cas, le service logement ne savait même pas qui vivait dans les unités de logement social qu’il était censé gérer. Ainsi, s’il existait une volonté politique de contenir en quelque sorte la tension sociale résultant du processus de développement inégal et de marginalisation (et de tous les problèmes sociaux connexes, tels que la prostitution, la petite délinquance, la visibilité de la pauvreté, etc.), le processus relativement inflexible et des structures bureaucratiques inefficaces les ont empêchés d’atteindre cet objectif.

The strengthening position of Málta might be partly explained by the fact that it is a national organization with clear ambitions to expand its authority. This ambition has met with the central government’s strategy to outsource social service provision – and in general the “management” of marginalized communities – to non-governmental, church-related or religious organizations. We observed a similar tendency in the case of Pécs as well. The institutional logic of the municipality (more precisely its Housing Department in this case) was very different from Málta’s approach. The HD’s system of managing poverty and the social housing system ten years ago was described by insiders as “chaotic” and with no capacity for change. In some cases, the Housing Department did not even know who lived in the social housing units it supposedly managed. Thus, while there was a political will to somehow contain the social tension emerging from the process of uneven development and marginalization (and from all related social problems, such as prostitution, petty crime, the visibility of poverty, etc.), the relatively inflexible and ineffective bureaucratic structures hindered them in fulfilling this goal.

Le renforcement de la position de Málta est lié à la fois à sa position de « plaque tournante », mais aussi à sa connaissance approfondie du terrain et à ses relations de confiance avec les habitants, ce qui était considéré comme bénéfique par la municipalité. La ville a pu d’une part se soulager du « fardeau » consistant à rester en contact avec des familles qualifiées de « problématiques », mais cela a peut-être aussi été bénéfique pour les riverains, lesquels ont été guidés et aidés dans le labyrinthe bureaucratique des problèmes administratifs par des travailleurs sociaux fiables. Le cadre juridique de ce rôle de « plaque tournante » ou de « traducteur » stipule que les résidents qui signent un « accord de coopération » avec Málta sont généralement traités préférentiellement par les fonctionnaires municipaux, ce tant qu’ils remplissent tous les critères nécessaires – par exemple, acquittement régulier des loyers et remboursement des arriérés, comportement correct, etc. – que Málta assure de manière très efficace grâce à un système de paternalisme informel. Ainsi, avec ce mouvement, la fonction croissante de justice spatiale inhérente aux projets de développement financés par l’Union européenne devient une conséquence des conditions définies par l’accord conclu entre les acteurs institutionnels.

The backbone of Málta’s shift toward its more powerful position was thus rooted in its “turntable” position and based on its deep local knowledge and trustful relations with the locals, something which was seen as beneficial by the municipality. The demanding “burden” of staying in touch with “problematic” families was thus taken off of the city. This may have been a relief from the residents’ perspective as well since they were guided and helped through the bureaucratic labyrinth of administrative issues by reliable social workers. The legal framework for this “turntable” or “translation” dictates that residents who sign a so-called “co-operation agreement” with Málta are usually treated preferentially by the municipal bureaucrats as long as they fulfil all the necessary criteria (e.g. regular payment of rent and instalments of their arrears, behaving in an orderly manner, etc.), something Málta ensures very efficiently through a system of informal paternalism. Thus, with this move, the function of increasing spatial justice inherent in the EU-funded development projects becomes a consequence of conditions set by the agreement between the institutional actors.

Après ce changement d’organisation, la position occupée par Málta a tout de celle que l’on pourrait qualifier ici de « municipalité parallèle », car le pouvoir croissant de l’organisation au sein du consortium s’est accompagné d’une externalisation informelle de certaines fonctions de la municipalité dans le domaine de la gestion de la pauvreté. Comparé à d’autres situations en Europe occidentale, ce processus ne relève pas de mesures d’austérité budgétaire ni de mesures visant à l’efficacité des politiques publiques : il constitue davantage une délégation partiellement informelle de certaines compétences municipales. En bref, Málta a transformé les relations auparavant « chaotiques » entre le service logement et les habitants de György-telep en une relation plus stable de paternalisme informel, dans laquelle le rôle de Málta en tant qu’intermédiaire de développement et de traducteur entre la municipalité et les habitants pauvres de György-telep est devenu incontournable. Cette « municipalisation » au quotidien de la structure est bien illustré par la citation suivante d’un travailleur social employé par Málta.

We call the position that Málta held after that organizational shift “shadow municipal”, because the growing power of Málta within the consortium was accompanied by the informal outsourcing of some of the municipality’s functions related to managing poverty. However, compared to other Western European cases, this process is not formal austerity or an efficiency-driven solution, but rather a partly informal delegation of certain tasks. In short, Málta transformed the previously “chaotic” relations between the HD and the residents of György-telep into a more stable relationship of informal paternalism wherein Málta’s role as a development broker and translator between the municipality and the poor residents of György-telep became inevitable. The everydayness of becoming “municipal” is nicely illustrated by the following quote from a social worker employed by Málta.

« Nous avions l’habitude de nous rendre de temps en temps au service logement de la municipalité, de trier un peu les documents avec eux, car ils ne trouvaient jamais rien. Je créais des tableurs [...] et ensuite, on entendait dire à quel point ils les admiraient. Alors oui, nous faisions beaucoup de blagues, par exemple en disant qu’un jour, nous irions dans leur bureau pendant une semaine pour tout mettre en ordre. Vous savez, après six ans de travail en commun et après tous ces jours héroïques, vous pouvez faire ce genre de blagues [...] Au début, c’était très différent. Pour faire avancer notre feuille de route concernant les 30 premières familles déplacées, nous avons dû affronter cinq réunions ardues. Ils connaissaient certaines choses à leur sujet et nous, nous en connaissions d’autres, alors pour mettre tous ces points de vue en perspectives… au bout d’un moment, ils n’avaient plus le temps, pas la capacité, pas la main-d’œuvre et pas l’envie pour cela. Donc désormais, c’est beaucoup plus facile. [...] Nous arrivons à mieux avancer. Parce qu’ils regardent les choses de loin. Et après un certain temps, c’est plus facile à accepter. »[20]

“We used to go [into the HD of the municipality] a little bit, organize the documents with them a bit, because they could not find something. I used to create spread sheets […] and then you hear back that they were admired for my spread sheets. So yes, we make a lot of jokes, for example saying that one day we will go in their office for a week and reorganize everything. You know, after six years of working together, and after all those heroic days, you can make such jokes […] It was very different in the beginning. For pushing through our agenda about the first 30 families being relocated, we needed five tough meetings. They had a certain knowledge about them, we had our own knowledge about them, and to put all these different perspectives together… after a while they had no time, no capacity, no manpower and no enthusiasm for this. So nowadays it is much easier. […] We are the ones who get it right. Because they look at it only from a distance. And after a while you can accept this.”[20]

 

 

Conclusion

Conclusion

Du point de vue des indicateurs officiels du programme, György-telep est considéré comme l’un des projets fondés sur le lieu parmi les plus réussis de Hongrie. Il est souvent cité comme un cas exemplaire, car des centaines de personnes ont pu quitter un appartement insalubre pour un logement moderne, et parce que divers services sociaux et une aide sociale ont été fournis, sur une période prolongée, aux habitants pauvres d’un quartier de Pécs jusque-là négligé et stigmatisé. Ces résultats n’ont cependant pas toujours été atteints grâce aux projets financés par la politique régionale et le PNUD, mais malgré eux. Les effets négatifs de l’interférence des méthodologies de projet, des investissements rapides en matière d’infrastructures avec des exigences administratives strictes et des politiques locales d’exclusion ont été atténués par une forme spécifique de courtage.

From the perspective of official project indicators, the case of György-telep is one of the most successful place-based projects in Hungary. It is often cited as a “best case” example, because hundreds of people were able to move from substandard flats into modern homes, and because various social services and social assistance were provided to poor inhabitants of a formerly neglected and stigmatized neighbourhood of Pécs over an extended period of time. However, these results were in some cases not achieved because of the CP and UNDP-funded projects, but in spite of them. The negative effects of interfering project methods, rapid infrastructural investments with strict bureaucratic requirements and exclusionary local politics were mitigated by a specific form of brokerage.

L’un de nos principaux résultats interroge la façon – imprévue – dont cette série de projets de développements contradictoires pourrait renforcer le rôle de Málta en tant que courtier dans la coalition locale de développement. Grâce à sa position de plaque tournante, Málta a été en mesure de fournir une certaine continuité à travers différentes logiques de projets s’interférant les unes les autres. Même si Málta pourrait atténuer les effets négatifs de ces chevauchements, elle ne pourrait pas les éliminer complètement. Cette constatation fait écho aux conclusions de James Ferguson, qui a affirmé que, quels que soient les résultats des projets, les courtiers en développement peuvent sécuriser ou renforcer leur position par le biais des projets eux-mêmes (Ferguson, 1997). Cela concorde également avec l’idée selon laquelle les courtiers en développement peuvent être à la fois puissants et vulnérables (Wolfe, 1956, cité dans Lewis et Mosse, 2006, p. 12). Si, au sens strict, leur autonomie relative peut augmenter (par exemple, en devenant une municipale fictive), leur autonomie est néanmoins limitée par divers facteurs structurels (par exemple, la politique locale, les règles de dépense des fonds européens, etc.).

One of our main findings was how, as an unintended consequence, this series of contradictory development projects could lead to the strengthening role of Málta as a broker in the local developmental coalition. Málta was able to provide continuity across different interfering project logics through its turntable position. While Málta could smooth out the negative effects of these contradictions, it could not completely eliminate them. This finding echoes the conclusions of James Ferguson, who claimed that, regardless of the projects’ results, development brokers can secure or strengthen their position through the projects themselves (Ferguson, 1997). It is also in line with the insight that development brokers can be powerful and vulnerable at the same time (Wolfe, 1956, cited in Lewis and Mosse, 2006, p. 12). While in the narrow sense their relative autonomy can increase (for example, through becoming shadow municipal), nevertheless their autonomy is curtailed by various structural factors (e.g. local politics, the regulations of spending EU funds, etc.).

Outre ces observations, notre étude de cas s’inscrit également dans une problématique plus vaste. Ces projets de développement peuvent-ils modifier les structures et les processus exclusifs et injustes d’un développement inégal ? Un militant d’un groupe radical pour le droit au logement de la ville a expliqué cette question de la manière suivante : « Málta n’est qu’une goutte d’eau. Ce qu’ils font est bien, mais le système de logement est très problématique dans son ensemble et la pratique de Málta ne suffit pas ». Un de ses collègues, militant de la même organisation, a souligné que même si les résidents qui signaient un accord de partenariat et de coopération avec Málta étaient véritablement aidés et pris en charge dans les zones ségrégées de la ville et, au-delà, autour de György-telep, cela n’empêchait pas les expulsions de se poursuivre. Bien que les fonds européens ont permis de contrer l’injustice par des efforts concentrés sur un territoire, la production d’injustices est systématiquement reproduite ailleurs. De plus, à travers le rôle informel de « plaque tournante » de Málta, le système d’allocation et de gestion de logements sociaux n’est ni comptable ni transparent. C’est un autre point qui conforte l’argument selon lequel, bien que Málta ait pris une position de pouvoir et accru, d’une certaine façon, son autonomie relative en régulant les activités quotidiennes du développement dans la zone cible, elle est restée vulnérable aux contraintes politiques et structurelles plus générales.

Besides these observations our case study contributes to a larger issue as well. Can these development projects modify the exclusionary and unjust structures and processes of uneven development? An activist of a radical housing advocacy group in the city explained this question as follows: “Málta is only a drop in the sea. It is good what they are doing, but the whole housing system is very problematic, and thus Málta’s practice is not enough.” A fellow activist from the same organization pointed out that while residents signing a co-operation partnership agreement with Málta are genuinely helped and taken care of, in other segregated areas of the city beyond and around György-telep, evictions are constantly carried out. While injustice is counteracted with a concentrated effort in one territory as a result of EU funds, the production of injustices is reproduced systematically elsewhere. Moreover, through the informal “turntable” role of Málta, the system of social housing provision and management remains unaccountable and non-transparent. This is another point which supports the argument that while Málta gained power and increased its relative autonomy from a certain perspective in brokering the everyday activities of development in the target area, they remained vulnerable to larger political and structural constraints.

Blâmer un seul projet de développement pour ne pas transformer l’ensemble du système de production d’injustices structurelles ne serait pas juste. Cependant, il est possible de spéculer sur des conclusions plus générales concernant la fonction plus large de tels projets de développement à travers notre étude de cas. À Pécs, nous avons constaté que l’une des principales limites des développements fondés sur les lieux est qu’ils se situent dans un paysage institutionnel et politique qui reproduit systématiquement les injustices spatiales malgré leurs objectifs initiaux. Alors qu’un puissant agent de développement local peut obtenir d’importants résultats locaux en faisant la médiation entre différents « mondes » et différentes logiques, les racines mêmes de ces injustices plus vastes restent intactes. Ainsi, sans aborder la question de savoir comment cette reproduction systématique de l’injustice se produit par le biais de politiques nationales et locales, des projets fondés sur le lieu et étroitement ciblés aideront uniquement une partie de la population dans le besoin, malgré les meilleures intentions des bailleurs de fonds et des agents de développement. En outre, sans prendre au sérieux le rôle crucial des courtiers en développement dans la résolution de ces problèmes structurels, il n’est guère possible de concevoir des solutions plus efficaces.

Blaming a single development project for not transforming the whole system of producing structural injustices would not be fair. However, it is possible to speculate about more general conclusions concerning the broader function of such development projects through our case study. In Pécs, we saw that one of the most important limits of place-based developments is that they are situated in an institutional and policy landscape which systematically reproduces spatial injustices despite their original goals. While a strong local development broker can achieve important local results through mediating between different “worlds” and different logics, the very roots of these wider injustices remain intact. Thus, without addressing the question of how this systematic reproduction of injustice happens through national and local policies, narrowly targeted place-based projects will only help a portion of the population in need, despite the best intentions of the funders and the development brokers. Furthermore, without taking seriously the crucial role of development brokers in addressing these structural problems, it is hardly possible to design more effective solutions.

[1]. Cf. introduction pour une explication par les éditeurs de ce numéro spécial (Blondel et Evrard) du choix fait pour la traduction du terme « place-based approach » en français.

[1]. RELOCAL has received funding from European Union’s Horizon 2020 research and innovation programme under Grant Agreement No 727097.

[2]. Les preuves empiriques de cet article ont été rassemblées dans le cadre du projet RELOCAL: Repositionner le local dans la cohésion et le développement territorial. RELOCAL a reçu un financement du programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne au titre de la convention de subvention no 727097. L’étude de cas est disponible à l’adresse www.relocal.eu.

[2]. Empirical evidence for the article was gathered in the frame of the RELOCAL project: Resituating the Local in Cohesion and Territorial Development H2020 Framework project No. of Grant Agreement 727097. The case study can be found at www.relocal.eu.

[3]. La plupart des projets de développement que nous avons étudiés étaient financés par des fonds de l’Union européenne, mais dans un cas, le bailleur de fonds était l’Open Society Foundation (OSF) et a été mis en œuvre par le PNUD. Voir le tableau 1.

[3]. While most of the development projects we study were financed by EU Funds, in one case the donor was the Open Society Foundation (OSF) and was implemented by UNDP. See Table 1.

[4]. En hongrois, le mot kolónia a le sens spécifique de site habité. L’étymologie de ce mot renvoie autant à la pratique des entreprises créant des quartiers ouvriers qu’à la pratique coloniale des domaines impériaux. Pour cette raison, nous utiliserons la traduction littérale de kolónia (colonie) dans ce texte pour nommer ces quartiers ouvriers.

[4]. In Hungarian the word kolónia has the specific meaning of settlement. The etymology of this word connects the practice of companies creating worker settlements to the colonial practice of imperial estates. For this reason, we will use the literal translation of kolónia (colony) in this text to name these specific worker settlements.

[5]. En Hongrie, les villes ne peuvent solliciter les fonds européens pour des projets de développement urbain que si elles disposent d’une « stratégie de développement intégré », qui doit inclure une carte des lieux ségrégués établie par l’Office national de la statistique (KSH) sur la base des données du recensement national. Un décret gouvernemental précise ce qu’est une zone officiellement ségréguée: le taux de ménages ayant un niveau d’instruction élémentaire et n’ayant pas de revenu régulier dans le groupe d’âge actif y est supérieur à 35 % et l’unité territoriale compte au moins 50 habitants. Seules ces zones officiellement ségréguées sont éligibles aux fonds soutenant des aménagements urbains intégrés, socialement sensibles, et fondés sur les lieux.

[5]. In Hungary cities can only apply for EU funds for urban development projects if they have an “Integrated Development Strategy”, which must include a map of segregated places made by the National Statistical Office based on national census data. A governmental decree specifies what an official segregated area is: the rate of households with elementary education and without regular income within the active age group is higher than 35%, and the territorial unit has a minimum of 50 inhabitants. Only these official segregated areas are eligible for funds supporting socially sensitive, place-based, integrated urban developments.

[6]. Entretien avec un employé de la municipalité, chargé de la planification et de la gestion des projets de développement.

[6]. Interview with a municipality employee responsible for planning and managing development projects.

[7]. Entretien avec un travailleur social de Málta.

[7]. Interview with a Málta social worker.

[8]. À partir de 2005, l’objectif principal de la ville en matière de développement était de se préparer à devenir la Capitale européenne de la culture en 2010, ce qui était conçu comme une occasion de stimuler le développement et de redéfinir la structure spatiale de la ville par le biais d’installations culturelles à grande échelle, de projets de régénération par la culture, ansi que par la revitalisation de certains espaces publics (https://www.herito.pl/en/articles/pecs-2010-investment-in-cultural-infrastructure).

[8]. From 2005 the main developmental goal of the city was to prepare to be the European Capital of Culture in 2010 (ECC), which was imagined as an opportunity to boost development and to redefine the spatial structure of the city through large-scale, culture-led regeneration projects, and through rejuvenating some selected public spaces (https://www.herito.pl/en/articles/pecs-2010-investment-in-cultural-infrastructure).

[9]. Entretien avec un employé de Málta.

[9]. Interview with a Málta employee.

[10]. Entretien avec un employé de la municipalité, chargé de la planification et de la mise en œuvre des projets de développement.

[10]. Interview with a municipality employee responsible for planning and implementing development projects.

[11]. Entretien avec un employé de Málta.

[11]. Interview with a Málta employee.

[12]. Entretien avec un employé de Málta.

[12]. Interview with a Málta employee.

[14]. Entretien avec un employé de Málta.

[14]. Interview with a Málta employee.

[15]. Entretien avec un employé de Málta.

[15]. Interview with a Málta employee.

[16]. Entretien avec un travailleur social de Málta.

[16]. Interview with a Málta social worker.

[17]. Entretien avec un travailleur social de Málta.

[17]. Interview with a Málta social worker.

[18]. Entretien avec un travailleur social de Málta.

[18]. Interview with a Málta social worker.

[19]. Entretien avec un employé de Málta.

[19]. Interview with a Málta employee.

[20]. Entretien avec un travailleur social de Málta.

[20]. Interview with a Málta social worker.

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