Privation de liberté, espace et justice. Un entretien avec Jean-Marie Delarue

Deprivation of liberty, space and justice. An interview with Jean-Marie Delarue

Réalisation : Frédéric Dufaux

Director: Frédéric Dufaux

 

 

2 avr 2015

 

 

Justice Spatiale - Spatial Justice (JSSJ)  Merci, Jean-Marie Delarue, de recevoir la revue Justice Spatiale - Spatial Justice, pour nous parler des enseignements que vous tirez de votre fonction de Contrôleur général des lieux de privation de liberté que vous avez exercée pendant plusieurs années.

Justice Spatiale – Spatial Justice (JSSJ): Thank you, Jean-Marie Delarue, for having Justice Spatiale – Spatial Justice and talking to us about what you have learned in your position as Contrôleur général des lieux de privation de liberté [tr.: inspector-general of deprivation of liberty premises] which you held for a number of years.

Ma première question serait la suivante : est-ce que cette fonction existe dans beaucoup d’autres pays, ou est-ce une originalité en France, et est-ce que le caractère original ou, au contraire, assez général de ce genre de fonction vous inspire quelques commentaires ?

My first question would be: Does this position exist in many other countries or is it something that is unique to France, and does the unique nature, or to the contrary, the rather widespread nature of this position inspire you to make any observations?

Jean-Marie Delarue (JMD) : C’est une fonction qui procède d’un traité international. Ce qu’on ne sait pas beaucoup en effet, c’est un traité des Nations Unies, adopté en 2002 par l’Assemblée Générale. Ce traité lui-même est un développement d’un traité un peu plus ancien, qui date de 1984 et qui s’appelle la Convention des Nations Unies contre la torture. Au bout de plusieurs années, l’Organisation des Nations Unies, les Etats membres - un certain nombre d’entre eux en tout cas– se sont avisés que cette convention contre la torture n’était pas assez effective (je reviendrai sûrement sur ce terme) et, par conséquent, on a cherché un moyen de contraindre les Etats qui adhéreraient à ce traité d’aller un peu plus avant dans le combat contre la torture. C’est ce pour quoi est fait ce traité annexe de la convention contre la torture – qu’on appelle le protocole annexe de la convention contre la torture, et dans son acronyme anglais : OPCAT. Cet OPCAT comporte un certain nombre de dispositions, de stipulations, dont l’une d’elles impose aux Etats parties de créer en leur sein - au sein de chaque Etat - une institution dévolue à la lutte contre la torture.

Jean-Marie Delarue (JMD): This position originates from an international convention. The little-known fact is that it is a United Nations convention adopted by the General Assembly in 2002. This convention itself is an improvement to a slightly older one, which dates back to 1984 and is entitled the United Nations Convention Against Torture. After a number of years, the United Nations Organization and the Member States – a certain number of them, at any rate – came to the realization that this convention against torture was somewhat ineffective (I will come back to this term) and, as a result, the means were sought to oblige the states that had ratified the convention to go further in the fight against torture. That is the reason behind this convention appended to the convention against torture, the Optional Protocol to the Convention Against Torture, called by its English acronym ‘OPCAT’. This OPCAT consists of a certain number of provisions or stipulations, one of which requires each ratifying State to create its own institution designated to fight against torture.

L’Etat – la République française – a signé ce traité en 2005, elle était donc tenue de créer cet organisme. Elle l’a fait par une loi du 30 octobre 2007, mais elle ne s’est pas contentée de fixer la lutte contre la torture à cet organisme nouveau dénommé « Contrôleur général des lieux de privation de liberté », elle l’a chargé de la protection de l’ensemble des droits fondamentaux des personnes privées de liberté.

The State – the French Republic – signed this convention in 2005 and was therefore required to create this body, which it did through a law on October 30, 2007. However, France was not satisfied with assigning the struggle against torture to the new body named “Contrôleur général des lieux de privation de liberté”: the State made this body responsible for protecting the fundamental rights of persons deprived of liberty.

 

 

Si je rappelle tout cela, c’est pour répondre à votre question de deux manières. L’institution elle-même n’est pas originale. Je pense qu’il y doit y avoir aujourd’hui – il faudrait faire le compte exact – à peu près une soixantaine d’Etats qui ont signé et ratifié le protocole annexe à la convention contre la torture, et je crois une bonne quarantaine, peut-être même plus, 45, qui ont créé des institutions comparables à celle-ci. La plupart du temps, néanmoins, ce sont des institutions qui sont exclusivement dévolues à la lutte contre la torture, et d’ailleurs, dans beaucoup d’Etats, cela a été conçu comme une sorte d’appendice de l’Ombudsman déjà existant. Je précise à ceux qui nous regardent que l’Ombudsman, c’est, dans beaucoup de pays, l’équivalentdu « Défenseur des droits » existant en France Par conséquent, à la fois de façon organique et de façon fonctionnelle, cela n’a pas tout à fait le même visage qu’en France. Mais la réponse à votre question est quand même largement positive, avec ce petit zeste d’originalité pour la France.

The reason I recall all that is to answer your question in two ways. The institution itself is not unique. I think there must be today some sixty States that have signed and ratified the Optional Protocol to the Convention Against Torture, and a good 40 or 45, that have created comparable institutions to this one. Most of the time, nonetheless, these institutions are solely for the purpose of fighting against torture, and moreover, in many States, the institution has been conceived as a sort of appendage to the previously existing ombudsman. I further explain to our readers that in many countries, the ombudsman is the equivalent of the “Défenseur des droits ” [tr.: protector of rights] existing in France. Accordingly, both organically and functionally, this does not look exactly the same as in France. But the answer to your question is still for the most part affirmative, with the addition of this little unique something extra for France.

Ce petit zeste n’est pas si mince que cela : les droits fondamentaux couvrent l’ensemble de ce que j’appelle « le droit de la vie quotidienne », c’est-à-dire les droits imprescriptibles d’une personne dans sa vie quotidienne. C’est donc, par exemple, le droit à la libre expression, le droit de se marier librement, le droit de ne pas être soumis à la torture, le droit à la sauvegarde de sa vie, le droit d’avoir une identité, le droit de sauvegarder sa vie familiale… Bref, tout un ensemble de choses qui sont par nature mises en question lorsqu’on est privé de liberté et donc je crois, le regard que nous pouvons porter dans son ensemble est évidemment un élément essentiel de dimensionnement de l’organisme dont nous parlons. Par conséquent, je crois que la France – le législateur français – a très bien fait de lui donner cette dimension.

This something extra is actually not that little. Basic rights cover the whole of what I call “the right to daily life”, meaning a person’s inalienable rights in his daily life. So, for example, it’s the right to free speech, the right to marry freely, the right not to be subject to torture, the right to the protection of one’s life, the right to an identity, the right to protect one’s family life. In short, an entire set of things that are by their nature challenged when one is deprived of liberty and therefore, I believe, the attention we can bring overall is obviously a crucial design component of the body we’re discussing. Accordingly, I believe that France –French legislators – did very well to give it this aspect.

Il faut rappeler que bien des évolutions du droit français en matière de droits de l’Homme se sont faites depuis 40 ans sous l’aiguillon du droit international, que peu d’initiatives en la matière appartiennent vraiment à la France en tant que telle, qui se proclame, on le sait bien, le pays des Droits de l’Homme – Robert Badinter explique toujours que c’est la France qui a proclamé les Droits de l’Homme. Mais je crois que cet aiguillon a fonctionné de façon intelligente en France en ce sens que l’organisme, qui est resté indépendant d’autres organismes et dont la mission a été élargie, reste assez largement une singularité française. Alors reste aussi à voir comment cet organisme s’est implanté dans la vie publique française par rapport à d’autres Etats. Un mot là-dessus : en Europe de l’Est, les organismes ont une indépendance relativement plus difficile à conquérir par rapport aux pouvoirs politiques que cela n’a été en France (sur ce plan, je n’ai eu aucune préoccupation particulière), et puis, il y a des Etats qui sont loin d’avoir signé ou ratifié ce traité protocole annexe contre la torture. J’avais été il y a quelques années aux Etats-Unis : l’idée même aux Etats-Unis qu’une personne indépendante puisse accéder librement dans des lieux de privation de liberté, notamment dans les prisons américaines, est dans ce pays encore totalement inconcevable. Par conséquent, nous nous situons plutôt de façon positive à l’échelle internationale sur le plan que vous venez d’évoquer.

It must be remembered that French law has evolved a great deal in the area of human rights in the last 40 years under the motivating force of international law; few initiatives in the area are actually France’s per se, which proclaims itself as is well known, the country of human rights. Robert Badinter always explains that it was France that proclaimed human rights. But I believe that this motivating force has worked intelligently in France in the sense that the body, which has remained independent from other bodies and whose mission has been expanded, remains for the most part something unique to France. So, it also remains to be seen how this body has established itself in French public life compared to other states. A word about that: in Eastern Europe, it is relatively more difficult for the bodies to gain independence with regard to the political authorities compared to France (in this regard, I had no particular concern), and then, there are some states that are far from having signed or ratified this optional protocol against torture. I was in the United States a few years ago. The very idea that an independent person could have free access to places for the deprivation of liberty, particularly the American prisons, is still completely inconceivable in the United States. Accordingly, we are somewhat further ahead on the international scale with regard to what you have just mentioned.

 

 

2 avr 2015

 

 

JSSJ : Merci. Je reviens sur que vous venez de dire : deux points importants (parmi les autres) : l’indépendance de l’institution et d’autre part – on y reviendra peut-être dans la suite de l’entretien - le fait que vous avez voulu élargir le champ de compétences qui était initialement le vôtre à d’autres espaces de privation de liberté. Vous abordiez les droits, et notamment les droits de la vie quotidienne, On aimerait vous demander ce que vous pensez des conditions matérielles de la détention. Dans les rapports que vous avez rédigés, j’ai été personnellement frappé par l’insistance que vous mettez sur des aspects de la vie quotidienne qui de l’extérieur peuvent apparaître mineurs, mais qui pour le détenu sont certainement très importants.

JSSJ: Thank you. I’m coming back to what you just said: two important points (among the others): the institution’s independence and on the other hand – we’ll perhaps come back to it in the course of the interview – the fact that you wanted to expand your initial field of jurisdiction to other types of deprivation of liberty spaces. You address rights and particularly the rights to daily life. We would like to ask you what you think of the physical conditions of detention. In the reports you have written, I was personally struck by the emphasis you place on some aspects of daily life which may appear minor from the outside, but which for the detainee, are certainly very important.

JMD : Là, on rejoint vraiment la géographie. Il y a deux aspects à considérer : l’implantation des lieux de privation de liberté d’une part, leur organisation matérielle d’autre part, l’organisation de l’espace des cellules. Je crois qu’on ne mesure pas assez combien le fait qu’une personne soit privée de sa liberté a des implications sur l’organisation de son existence quotidienne.D’abord, en ce que par définition son espace est beaucoup plus restreint, et par conséquent, ce qui appartient à l’organisation de l’espace prend une importance considérable. Deuxièmement, parce qu’on est forcément, dans cette vie de privation de liberté, dépendant d’un tiers, en ce sens que vous êtes enfermé et que, par conséquent, s’il vous prend l’envie de faire quelque chose autorisée dans ce lieu – il y en a beaucoup moins qu’ailleurs – eh bien, vous dépendez de la bonne volonté de celui qui vous garde pour que vous puissiez accéder à un médecin, que vous puissiez rencontrer votre famille, que vous puissiez déposer une lettre dans une boîte, etc. Et puis, troisièmement, dans ces lieux vous n’êtes pas tout seul, et je dirais, par définition, ces lieux sont pour une très large part la disparition de la vie privée, la disparition de la vie intime, puisqu’à la fois, il faut gérer des ensembles humains dans ces lieux (il n’y pas de prison individuelle, cela n’existe pas) et d’autre part, il faut aussi penser que vous êtes là pour qu’aucun secret de votre vie n’échappe à celui qui est responsable de vous, parce qu’il faut prévenir les évasions, parce qu’il faut prévenir le mauvais comportement…Par conséquent, l’homme privé de liberté ou la femme – il s’agit surtout d’hommes, il y a là matière à réflexion – n’a pas de secret pour celui qui en a la garde.

JMD: This is really along the same lines as geography. There are two aspects to be considered: the establishment of deprivation of liberty facilities on the one hand, and their physical organization on the other, the organization of the cell space. I believe that we do not sufficiently measure how much the deprivation of liberty affects the organization of a person’s daily existence.First, in that by definition the person’s space is much more limited, and accordingly, how the space is organized takes on considerable importance. Secondly, because one is necessarily dependent on a third party in this life of deprivation of liberty in the sense that you are locked in and as a result, if you want to do one of the few things that are allowed in this place, well, you depend on your keeper’s willingness to have access to a doctor, meet with your family, mail a letter, etc. And then, thirdly, you’re not all by yourself in these places, and I would say, by definition, these places are to a very large extent the disappearance of privacy, the disappearance of personal life, because groups of human beings have to be simultaneously managed in these places (there are no individual prisons, that doesn’t exist) and on the other hand, you have to assume that you’re there so that no secret of your life is kept from the person who is responsible for you, because escapes have to be prevented, because bad behaviour has to be prevented, etc. Consequently, the man or woman deprived of his or her freedom – it’s especially men, something to think about – has no secrets from his or her keeper.

Je reviens à mes deux items : l’emplacement d’une part et l’organisation des lieux, d’autre part. L’emplacement : au fond je crois qu’il y a eu des évolutions considérables depuis une trentaine d’années. Au XIXe siècle, dans ce pays (je parle de la France), il y a à peu près 350 établissements pénitentiaires, il y a quelques milliers de brigades de gendarmeries et de commissariats, et puis c’est à peu près tout. Ces éléments (brigades, commissariats ou prisons) sont indissociables de la vie urbaine. Ils sont au centre des villes, les prisons sont en général accolées aux Palais de Justice, et il y a un Palais de Justice dans chaque ville, il y en a plus que dans chaque préfecture, on peut dire dans chaque sous-préfecture. Donc l’idée même de privation de liberté est une idée indissociable de la vie collective et notamment dans sa dimension urbaine. Aujourd’hui, il en va tout à fait autrement. Pour des raisons qui tiennent à la fois aux espaces qu’on estime nécessaires pour concevoir des établissements pénitentiaires, qui doivent avoir désormais des superficies beaucoup plus étendues – par exemple parce qu’on y met un stade de football –, et parce que la charge foncière dans les centres-ville est désormais insupportable pour les budgets publics, on met les prisons à la campagne. Et au fond, cela rappelle furieusement notre Histoire où, à partir du XVIIIe siècle – comme l’a fait observer Pierre Chaunu – les cimetières qui étaient agrégés autour des églises, on les a mis à la campagne. Eh bien, tout se passe comme si désormais, la privation de liberté devait être cachée ou difficilement perceptible en tout cas, et on l’a placée à la campagne. Cela a des incidences immédiates. L'incidence la plus importante, c’est que la prison, quoi qu’on veuille et quoi quelquefois que l’on fasse, est un milieu – certes beaucoup moins que d’autres – un peu ouvert sur l’extérieur (ne serait-ce que pour y accueillir les familles, les prestataires de services, les personnels – qui n’y habitent pas, naturellement). Plus la prison s’éloigne, plus c’est difficile pour ces gens d’être présents : c’est très important notamment pour les familles. Le lien familial pour une personne privée de liberté est absolument indispensable, à la fois pour la famille qui a besoin de voir celui dont la vie est un peu chahutée, et puis pour le détenu lui-même dont c’est pratiquement l’unique secours. Je vais prendre un exemple très simple : je pense à un centre de détention en Normandie, dans l’Ouest français, qui a été installé dans les années 1990 dans le cadre d’un premier plan de construction de prisons en France, qui date de 1987. Il est à peu près à 10 km du centre-ville, et notamment de la gare. Il n’y a pas de transports en commun, puisque c’est trop loin du centre de l’agglomération, c’est une petite sous-préfecture. Par conséquent, il faut prendre le taxi. Le taxi, c’est 10 € aller, 10 € retour. Pour des familles qui viennent voir des détenus et qui sont souvent dans la peine financière, parce que le détenu est celui qui apportait l’argent, c’est impossible. Ces éloignements introduisent donc des ruptures dans les liens avec les proches, qui sont considérables. Et d’ailleurs, ça ne s’arrête pas là ! Dans ces lieux, un jour – pardon de m’échapper un peu de votre question – il y a eu une mutinerie assez grave : dans un couloir, les détenus ont pu sortir de leurs cellules et ont mis à sac à peu près tout ce qui leur tombait sous la main. Cette mutinerie est survenue le lendemain d’une fouille généralisée qui avait eu lieu dans ce couloir – comme les directeurs d’établissements ont le droit d’en faire –, on ouvre toutes les cellules, en dehors de la présence des détenus, et on ramasse tout ce qui s’y trouve, avec des fouilles approfondies. Dans ces cellules, on avait notamment trouvé un certain nombre de téléphones portables. Que signifiait cette mutinerie très précisément ? Que les téléphones portables dans cette prison éloignée du centre-ville, c’était le seul moyen qu’avaient les détenus de communiquer avec leurs familles. Enlever cet unique moyen de communiquer, c’était pour eux absolument insupportable. Donc vous voyez que l’éloignement des centres-villes a des incidences absolument quotidiennes sur la manière dont s’organise la vie, y compris – on y reviendra – la résistance des détenus. Donc voilà pour l’implantation.

I’m returning to my two items: the location on the one hand, and organization of the premises, on the other. The location: basically, I believe there have been considerable changes in the last 30 years. In the 19th century, in this country (I’m speaking of France), there were roughly 350 penitentiaries, a few thousand squads of gendarmes and precinct stations, and that’s about it. These components (squads, precincts and prisons) were inseparable from urban life. They were in the centre of town with the prisons generally attached to the courthouses, and every city had a courthouse; this was more than in every administrative district, it could be said there was one in every administrative sub-district. So, the very idea of deprivation of freedom was inseparable from community life and particularly from its urban aspect. Today, things are quite different. For reasons pertaining to both the spaces deemed necessary for designing penitentiaries, which must now have much more extensive areas – so they can have a soccer stadium, for example – and because the costs related to the purchase and servicing of land in downtown areas are now impossible for public budgets, prisons are located in the country. And basically, this harkens back tremendously to our history when starting in the 18th century the cemeteries that had been formed around the churches were put in the country – as Pierre Chaunu pointed out. Well, it now so happens that the deprivation of liberty had to be hidden or at any rate, hardly noticeable, and it has been moved to the countryside. This has immediate effects. The most significant impact is that regardless of what one wants or does, the prison is an environment that is certainly much less open than others to the outside (just for receiving the families, service providers and staff, who of course, don’t live there). The more remote the prison is, the more difficult it is for these people to be there. This is very important for the families in particular. The family connection for an individual deprived of liberty is absolutely indispensable, both for the family which needs to see the person whose life is in something of a mess, and for the inmate himself for whom his family is virtually his only help. I will give you a very simple example. I have in mind a detention centre in Normandy, in the west of France, that was established in the 1990s as part of an early prison construction plan in France that dates back to 1987. It is about 10 km from the centre of town and from the train station, more specifically. There is no mass transit because it’s too far from the centre of the agglomeration; it’s a small administrative sub-district. As a result, you have to take a taxi. The taxi is €10 out and €10 back. For families coming to see inmates and who are often in difficult financial straits, because the inmate was the breadwinner, it’s impossible. This remoteness therefore introduces significant breaks in ties with loved ones. And furthermore, it doesn’t stop there! At these premises one day – excuse me for straying a bit from your question – there was a fairly serious revolt. The inmates on one corridor were able to get out of their cells and ransacked pretty much everything they came across. This revolt occurred the day after a general search, which had taken place on this corridor – as the wardens of the institutions are entitled to do. All the cells are opened when the inmates are not there, and they collect everything they find using in-depth searches. In these cells, a certain number of cellular phones had been found in particular. What exactly did this revolt mean? That the cellphones in this prison far from the centre of town were the only means the inmates had for communicating with their families. Removing this sole means of communication was absolutely unbearable for them. So, you see that remoteness from city centres has impacts on an absolutely daily basis on how life is organized, including – we’ll come back to this – resistance on the part of the inmates. So, there you go for location.

J’en viens à l’organisation intérieure de ces lieux. Là aussi il y a eu des métamorphoses considérables entre les vieilles maisons d’arrêt traditionnelles en France, qui étaient l’héritage sinon direct (ça arrivait quelquefois), mais du moins indirect de la conception monastique,c'est-à-dire très ancienne :un partage en cellules et une architecture en nef,c'est-à-dire un bâtiment à plusieurs étages évidé en son centre, avec des galeries tournant autour des parois. Cette construction en nef avait pour principal avantage pour les surveillants une très grande sécurité, puisque chacun d’entre eux, quel que soit l’étage où il se trouve, pouvait être vu de ses collègues. Aujourd’hui, tout cela a été abandonné. Depuis une trentaine d’année, précisément depuis 1987, date à laquelle on a lancé une loi de programme de construction d’établissements pénitentiaires – on a récidivé en 1997 puis en 2002 –, on a imaginé un nouveau plan de prison qui comporte plusieurs particularités. La première particularité, la plus importante, c’est qu’alors que les prisons d’autrefois faisaient 100, 200, 80, 50 personnes (je parle des détenus naturellement), les prisons actuelles ont pour norme 690 places. Avec la surpopulation carcérale que l’on connaît, sur laquelle on pourra revenir si vous le souhaitez, on a aujourd’hui des prisons qui font couramment 700-800 personnes, avec de terribles conséquences. Cela, c’est le premier choix qui a été fait.

This brings me to the interior organization of these premises. There, too, there have been considerable metamorphoses from the old traditional jails in France which were inherited if not directly (that did happen sometimes), at least indirectly from the design of monasteries, in other words, very old: division into cells and nave architecture, i.e. a multi-floor building open in the centre with corridors going around the walls. The nave construction style had the main advantage of very great safety for the guards because regardless of the floor they were on, each one of them could be seen by his colleagues. Today that has all been abandoned. For the last thirty or so years – since 1987, to be exact – when a penal institution construction program law was launched – the same occurred again in 1997 and then in 2002 – a new prison plan was devised which included a number of special features. The first, and most important, of these special features is that while the prisons in the old days would hold 100, 200, 80, 50 people (I’m talking about inmates, of course), present-day prisons generally have 690 spaces. With the over-population of prisons being experienced, which we can come back to if you wish, today we have prisons housing 700-800 individuals with terrible consequences. That is the first choice that was made.

Le deuxième choix a été de mélanger sur un même site des établissements pénitentiaires de statuts différents. Classiquement, on distingue les maisons d’arrêt, où sont logés les prévenus – en attente d’être jugés – d’une part, et les condamnés à de très courtes peines (moins de deux ans, et en principe même, moins d’un an) d’autre part, et les établissements pour peine où on met les condamnés à des peines plus longues. Dans ces sites nouveaux, issus de la loi de 1987, on a fait plusieurs bâtiments, chacun d’entre eux représentatif d’un établissement pour peine ou d’une maison d’arrêt. Autrement dit, on a groupé en un même lieu des gens de statuts extrêmement différents. Et, en général, c’est le statut le plus sévère qui a tiré l’autre. Autrement dit, dans ces nouveaux sites, les gens qui sont en établissement pour peine se plaignent de ce qu’ils sont régis comme en maison d’arrêt, et chacun sait que, dans ce pays, la maison d’arrêt est le régime le plus sévère qui soit.

The second choice was to mix penal institutions of different statuses on the same site. Traditionally, a distinction is made between remand prisons, where the accused are housed while awaiting trial, on the one hand, and those serving very short sentences (less than two years, and in principle, even less than a year) on the other, and correctional institutions where those serving longer sentences are placed. In these new sites, resulting from the 1987 law, a number of structures were built, each being an institution for serving sentences and a remand prison. In other words, people with extremely different statuses were grouped in the same facility. And, in general, the more serious offenders were leading the way. In other words, in these new sites, the people there serving sentences complain that they are governed as if they are in remand prison, and everyone in this country knows that the remand prison is the harshest system there is.

Le troisième choix a été l’abandon des architectures traditionnelles : il n’y a plus d’architectures en nef. Il y a des étages séparés les uns des autres, et ça a des incidences formidables sur les rapports entre les détenus et les surveillants, puisque que les surveillants ont légitimement de la crainte de se retrouver seuls dans une coursive, dans un couloir, face à des détenus mécontents. Ils ne seraient pas vus de leurs collègues. Par conséquent, ils n’y montent plus qu’avec beaucoup de réticence. Cela se traduit concrètement dans les lieux dont nous parlons par d’énormes temps d’attente, des délais parce que tout simplement les surveillants ne sont pas là, et qu’ils ne viennent qu’avec beaucoup de réticence. Par conséquent, il y a une montée des impatiences, des agressivités et inévitablement des violences.

The third choice was to abandon traditional architecture. There is no more nave architecture. There are floors separated from one another and this has tremendous impact on the relations between the inmates and the guards because the guards are legitimately afraid to find themselves alone in a passageway, a corridor, facing unhappy inmates. The colleagues would not see them. Accordingly, they only go there very reluctantly. In the facilities we’re talking about, this translates into huge waiting times, delays, because quite simply, the guards are not there and they will only come very reluctantly. As a result, impatience and aggressiveness mount, and inevitably, violence.

Le quatrième choix a été de rénover l’intérieur des cellules et de normer le confort des cellules à peu près comme l’étaient les HLM des années 60, c'est-à-dire qu’on a aligné à partir des années 90 et puis du début du XXIè siècle les normes de confort carcéral sur celles qui étaient celles de l’habitat ouvrier des années 60, c'est-à-dire la douche en cellule, etc. (Il ne faut pas s’imaginer que la douche cellulaire est la même que celle qu’on a chez soi, c’est un modèle beaucoup plus rustique mais enfin, c’est un effort.) Mais cet effort sur l’amélioration des conditions de vie quotidienne se traduit par un anonymat complet des relations entre surveillants et détenus, par une absence des surveillants de façon à peu près permanente et par conséquent par des rapports beaucoup plus tendus. Et ce qui est très important, c’est qu’aujourd’hui, quand on installe les détenus dans ces prisons-là, et les surveillants, et les personnels, le cri du cœurqu’on entend (on a fait le test à plusieurs reprises) c’est « Ramenez-nous dans nos vieilles prisons ! ».

The fourth choice was to renovate the interior of the cells and to bring the standards of the conveniences up to those of the social housing in the 1960s, meaning that starting in the 1990s and then the early 21st century, prison conveniences were brought up to the standards of working-class dwellings from the 60s, i.e. a shower stall, etc. (Don’t think that a shower stall is the same as what you have at home. It’s much cruder, but it’s at least an effort). But this effort to improve the conditions of daily life translates into complete anonymity in the relations between the guards and inmates, through a nearly permanent absence of the guards, and as a result, relations that are much more strained. And what is very important is that today, when inmates, as well as the guards and staff, are put in these prisons, their heart-felt cry is “Take us back to our old prisons!” – this has been tried a number of times.

C’est ce qui m’a permis de conclure que dans ces programmes de construction qui se sont succédé depuis 1987, on avait au fond laissé le choix, aux détenus et aux personnels, entre la crasse et la solitude. Autrement dit : voilà le modernisme pénitentiaire !

This is what has enabled me to conclude that in the construction programs that have followed since 1987, inmates and staff basically have been left to choose between filth and solitude. In other words, there’s penitentiary modernism for you!

Cela, c’est pour les prisons. Il faudrait parler des autres lieux de privation de liberté. Mais en réalité, ils ont beaucoup moins évolué. Ce dont on peut se plaindre globalement, c'est de conditions très pénibles en général. Je pense aux commissariats de police en particulier, mais on y reste (ce n’est pas un alibi d’ailleurs) pour des durées relativement plus brèves ! Mais c’est vrai que les conditions matérielles, par exemple le couloir qui n’est plus ouvert sur le reste de la prison, qui fait donc peur au surveillant, qui n’y est plus, avec des incidences sur l’humeur du détenu qui n’arrête pas d’attendre, quand il a quelque chose à demander à un surveillant : ces conditions matérielles ont un effet très fort sur le style de climat qui prévaut dans un établissement pénitentiaire, et au-delà dans tous les établissements privatifs de liberté.

This refers to the prisons. We should talk about the other deprivation of liberty facilities. But in reality, they have evolved much less. Overall, the generally very distressing conditions are something to complain about. I’m thinking about the police stations in particular. However, even though one stays there a relatively short time, this is no excuse! But it’s true that the physical conditions, for example, the corridor which is no longer open to the rest of the prison, which therefore makes the guards fearful, who is no longer there, with impacts on the mood of the inmate who waits endlessly when he has to ask a guard something – these physical conditions have a very strong effect on the climate that prevails in a penal institution, and moreover, in all institutions for the deprivation of liberty.

 

 

2 avr 2015

 

 

JSSJ : En fait, sur ces questions matérielles, on a l’impression d’être coincé dans une impasse, comme vous le résumez bien avec l’idée de la crasse ou de la solitude, avec cette idée que tout se tient. C’est-à-dire que si on fait des prisons plus grandes, c’est aussi pour économiser du personnel ou avoir des surveillants moins présents, donc il faut renforcer la sécurité passive, c’est-à-dire des grilles électroniques, tout ce qui va renforcer l’anonymat, c’est-à-dire une moindre connaissance des détenus. En même temps, on se dit, si on se met à la place d’un architecte ou de l’Administration pénitentiaire : est-ce qu’on préfère des prisons indignes ou des prisons indignes ! Et vous, à force d’avoir visité, vous avez systématiquement dans vos rapports cette insistance sur des choses précises, sur la luminosité, sur les odeurs… En fait, on se demande : est-ce que c’est une question de degré, c’est-à-dire l’organisation de la vie collective poussée à un degré où vous, contrôleur,vous vous dites que ce n’est pas acceptable ? Et enfin – c’est une question sur votre travail de contrôleur –, comment est-ce que vous placez ce curseur entre le droit à l’intimité, et en même temps, toutes les contraintes de la vie collective, comment très concrètement est-ce que vous rédigezun rapport une fois que vous avez observé telle ou telle circonstance dans ces prisons anciennes ou ces prisons ultra-modernes ?

JSSJ: Indeed, with regard to these physical issues, the impression is one of being stuck in an impasse, as you sum up so well with the idea of filth or solitude, with this idea that everything is linked. That is, if bigger prisons are built, it’s in part to save on staff or to have guards less present, therefore, passive security must be increased, meaning electronic bars, everything that will reinforce anonymity, in other words, decreased familiarity with the inmates. At the same time, we say to ourselves, if we put ourselves in the place of an architect or prison administration, the choice for prisons seems to be between bad and worse! And you, by having done inspections, in your reports you systematically emphasize specific things, like the lighting, odours, etc. In fact, I wonder if it’s a question of degree, I mean is the organization of collective life pushed to a degree where you, as inspector, say to yourself that it’s not acceptable? And finally – this is a question about your work as inspector – how do you navigate between the right to privacy and at the same time, all the constraints of collective life? How, in concrete terms, do you write a report once you have observed this or that situation in these old prisons or these ultra-modern prisons?

JMD : Ce que vous me demandez appelle beaucoup de réponses ! J’ai peur d’être trop long, donc surtout vous m’abrègerez dans mes commentaires. Ce que vous posez au fond c’est la question de l’écart entre dignité et indignité. Quand j’étais en classe de philo, il y a quelques années, mon prof de philo posait en termes de galéjade cette question comme question n’appelant aucune réponse rationnelle : « A quelle heure le pain devient-ilrassis ? ». Je crois que, au contraire de cette question, la question de la séparation entre l’indignité et la dignité est parfaitement claire ! Je vais prendre un exemple précis : dans les prisons et aussi dans les commissariats de police, on se livre à ce qu’on appelle des fouilles à corps. Il s’agit de dénuder quelqu’un entièrement et de regarder s’il ne cache pas quelque chose sur son corps… Quand je dis sur son corps, c’est une façon de parler. Je conçois que cette opération puisse être nécessaire dans certains cas. Par exemple, dans un commissariat, on fait cela en général pour ceux qui sont accusés de trafic de stupéfiants. J’en discute le nombre, mais dans certains cas c’est très utile. Il y a des cas où la fouille – qui gêne tout le monde, autant le personnel qui l’ordonne que celui qui en est l’objet – se déroule à peu près dignement, c’est-à-dire que le personnel, l’agent, le policier, le surveillant reste muet, il se contente de regarder ce qu’il a à regarder, pas de commentaires… C’est une obligation à laquelle il a dû se résoudre, pas de problème ! Le dérapage entre cela et le fait que quelqu’un va ordonner à quelqu’un de se dévêtir en termes plus ou moins aimables, va traiter ses vêtements en gestes plus ou moins brutaux, va assortir ce qu’il va découvrir de commentaires sur le physique etc., va lui donner des ordres supplémentaires pour exposer ce qui ne doit pas être exposé au regard normal d’autrui, tout ça va transformer cette opération un peu désagréable mais nécessaire, en une opération de discrédit total de la personne. Donc pour moi, la frontière là est extrêmement claire.

JMD: What you’re asking me calls for a lot of answers! I’m afraid my answer will be too long so you can certainly shorten my comments. What you are basically asking is the gap between dignity and disgrace. When I was studying philosophy a few years ago, my philosophy prof asked this question like a joke, as a question calling for no rational answer: “What time will the bread go stale?” Unlike this question, I believe that the question of the separation between disgrace and dignity is perfectly clear! I’m going to give you a specific example: In the prisons as well as in the police stations, there is what is called a body search. This means completely stripping someone and looking to see that he has not hidden something on his body. When I say ‘on his body’, this is a figure of speech. I understand that this procedure may be necessary in certain cases. For example, in a police station, this is generally done for those who are charged with drug trafficking. I dispute the number of these searches but in some cases, it’s very useful. There are times when the search – which is embarrassing for everyone, as much for the staff ordering it as for the person subjected to it – goes in a dignified manner, meaning that the staff member, officer, police officer, the guard, stays quiet, and is satisfied with looking at what has to be looked at without comment. It’s an obligation he had to deal with, no problem! Where things go wrong is between that, and someone not entirely amiably ordering another person to disrobe, handles his clothing somewhat roughly, adds his comments on the person’s physique to what he finds, etc., gives additional orders to expose things that are not normally supposed to be seen by others; all this is going to turn this somewhat unpleasant but necessary procedure into one that totally discredits the individual. So, for me, the boundary is extremely clear.

Nous étions sur les conditions matérielles. Je pense à une chose en vous écoutant, sur laquelle nous avions appelé l’attention dans un avis public, publié je crois le 9 ou le 6 janvier 2009, au Journal Officiel, qui concernait ces grillages qu’on a multipliés aux vitres des prisons. Ce sont des grillages apposés en sus des barreaux qui garnissent toutes les vitres, toutes les fenêtres (parce qu’il y a des fenêtres sans vitre) des prisons. On y a ajouté des grilles à mailles extrêmement resserrées. Pourquoi ? Parce qu’on voulait éviter soi-disant la projection d’aliments au pied des bâtiments cellulaires. Il faut savoir que quand les détenus trouvent que la cuisine qu’on leur donne est relativement médiocre, ce qui est assez fréquent, souvent en effet il y a des jets derrière la fenêtre, et le bas des bâtiments, pas toujours nettoyés, a un aspect de désolation en général assez marqué, sans compter les bestioles que cela peut attirer. En réalité, il y avait une autre intention aussi derrière la pose de ces grillages, c’était d’empêcher le yoyotage entre cellules, ces petits paquets qu’on se passe au bout d’une corde ou d’un fil quelconque, pour transmettre un paquet de cigarettes ou un peu de tabac… d’un endroit à un autre. Alors cela a amené à la pose de grillages extrêmement resserrés et nous, nous les avons vus posés dans cette prison dont nous avons fait le commentaire dans cet avis public. On passait d’une lumière déjà en général pas très importante en cellule, parce que la fenêtre est assez petite, à une quasi-obscurité qui oblige nécessairement au maintien de la lumière artificielle pendant toute la journée. Voilà quelque chose dont l’effet sur la vision des personnes nous a paru disproportionné par rapport à ce qu’on essayait de prévenir, c’est-à-dire le jet d’aliments par les fenêtres et le yoyotage. Tout cela nous a paru disproportionné et je crois qu’il fallait dire que la pose de ces grillages était une marque de plus de l’indignité avec laquelle on traitait les personnes. Je crois que l’idée que je viens d’introduire est une idée-clef dans cette affaire : c’est l’idée de proportionnalité. La proportionnalité – c’est un cadre classique des droits de l’Homme –, c’est que toute mesure de contrainte – la prison en est une – est nécessairement proportionnelle aux risques que fait encourir la personne. Et, encore une fois, le jet d’aliments par la fenêtre, c’est peut-être désagréable, mais il aurait peut-être été mieux de chercher à améliorer la qualité de la nourriture plutôt que de poser des barrières de cette nature. Cette recherche n’a pas été faite. On a préféré la mesure de force pour résoudre le problème. Je dirais que c’est un peu trop souvent le réflexe des forces de sécurité, légitimement préoccupées du bon ordre des choses, – on ne va pas leur reprocher, c’est leur mission même –, elles ont recours plus facilement à la contrainte de la contrainte, et puis à la contrainte qui va s’ajouter à la contrainte etc… pour régler les questions.

We were talking about the physical conditions. I thought about something while listening to you, to which we had drawn attention in a public notice, published I believe on January 9 or 6, 2009, in the Journal Officiel, which concerned the increased amount of wire mesh in the prison windows. This mesh is placed in addition to the bars that cover all the windows, with and without glass (because there are windows without glass) in the prisons. Extremely tight mesh was added. Why? Because supposedly they wanted to prevent food being thrown to the lower part of the cellblocks. You have to know that when the inmates find that the cooking they’re given is relatively mediocre, which is pretty frequent, things get thrown from the window and the lower part of the buildings, which are not always clean, generally look pretty bleak, not to mention the critters this can attract. Actually, there was another reason behind the installation of this mesh and that was to prevent ‘fishing’between cells. This is using string or thread as a way to pass a pack of cigarettes or a bit of tobacco from one place to another. So, that led to the installation of extremely tight mesh and we, we saw it installed in this prison that we commented on in this public notice. The light in the cell went from being already not very great because the window is fairly small, to near darkness that makes it necessary to keep artificial lighting on all day. There you have something, including the effect on people’s eyesight, which seemed disproportionate to us compared to what they were trying to prevent, namely, throwing food out the windows and ‘fishing’. All that seemed out of proportion to us and I believe that installing this mesh was one more sign of the lack of dignity with which people were treated. I believe that the idea that I just introduced is key in this matter – the idea of proportionality. Proportionality – a traditional key of human rights – is that all constraint measures – and prison is one of them – must be proportionate to the risks the person presents. And again, throwing food from the window may be unpleasant but perhaps it would have been better to try to improve the quality of the food rather than putting up barriers of this type. This was not tried. The use of force was the preferred means for resolving the problem. I would say that this is the reaction of security forces a bit too often. They are legitimately concerned with keeping things in good order, I’m not going to reproach them, it’s indeed their mission. But they more readily resort to placing constraint upon constraint, and then constraint that is added to the constraint, etc., for settling issues.

Et c’est – je vais terminer là-dessus – très caractéristique de ces programmes de construction que j’évoquais et sur lesquels vous êtes revenu, qui se sont succédé à trois reprises et même quatre reprises depuis 1987 – c’est qu’au fond, on n’a pas réfléchi à ce qu’étaient les besoins modernes d’une incarcération dans notre société. On s’est contenté de « moderniser », c’est-à-dire en effet de rendre plus rare le contact entre surveillants et détenus, de rendre le sport plus facile etc…, de moderniser la condition carcérale traditionnelle. Mais le plan cellulaire, la prison en étages, le fait que les personnes restent pour l’essentiel dans leur cellule – si possible individuelle et si pas possible à plusieurs – cela n’a jamais été remis en question. Et des architectes l’ont déjà dit mieux que je ne saurais le faire : il y a eu dans la conception des prisons qui s’est faite ailleurs beaucoup de choses qui ont été beaucoup plus modifiées que cela n’a été en France. En France, on a joué la sécurité, sans aucune imagination. Et je dirais que la manière choisie en 1987 maintenant nous emprisonne – pardon de ce mauvais jeu de mots – à notre tour parce que les prisons construites à partir de 1987 sont des établissements considérables, je l’ai dit, par leurs dimensions. Ce sont quelques géants du BTP qui se sont emparés de ce marché. Il y a aujourd’hui trois entreprises françaises ou conglomérats internationaux qui savent construire des prisons. C’est toujours à eux qu’on demande d’en construire. Et, au fond, pour faire des économies, ils ont toujours le même plan-type, qui n’a pratiquement pas varié depuis 1990, à quelques nuances près, et qu’on répète ad infinitum, jusqu’à ce que il n’y ait plus besoin de prisons – mais certaines personne pensent qu’il y en aura toujours besoin – Quoi qu’il en soit, on a répété donc à l’infini ce schéma sans vouloir introduire d’autres façons de penser. Autrement dit : l’incarcération n’a pas été repensée à la fin du XXe siècle.

And it’s – I’m about finished with this – very characteristic of these construction programs that I referred to and which you came back to, which came one after the other three or even four times since 1987. Basically, no thought was given to what modern incarceration needs were in our society. We were content to “modernize”, in other words, to effectively make contact more rare between guards and inmates, to make sports easier, etc., to modernize the traditional conditions of incarceration. But the cell plan, a multi-storey prison, the fact that people remain primarily in their cells – individual if possible and otherwise, shared – this has never been called into question. And architects have already said it better than I could: much has been modified in the design of prisons elsewhere than has been done in France. In France, we have bet on security without any imagination. And I would say that the way that was chosen in 1987 is now imprisoning us – pardon the bad pun – because the prisons built starting in 1987 are considerable institutions, due to their size. These are some giant public works buildings that have taken hold of this market. Today there are three French firms or international conglomerates that know how to build prisons. They are always the ones asked to build them. And basically, in order to economize, they always have the same basic plan which for all practical purposes, has not changed since 1990, with the exception of a few nuances, and which is repeated ad infinitum, to the point where no more prisons are needed – but some people think there will always be a need for them. Whatever the case, this plan has been endlessly repeated without the will to introduce other options. In other words, we did not rethink incarceration in the late 20th century.

 

 

2 avr 2015

 

 

JSSJ : Entre ces lieux de privation de liberté dont vous montrez comment l’architecture a des conséquences très importantes sur la vie des détenus et sur l’efficacité globale du système, entre cela donc et le monde de la liberté, est-ce qu’il n’y a pas des espaces intermédiaires … Pour revenir sur la question de la prison comme espace fermé, et sur celle de l’insertion avec l'extérieur, insertion géographique et en même temps sociale, on voit bien la question de l’isolement, mais qu’est-ce qu’on peut envisager ? Est-ce qu’il existe des espaces transitionnels au sein de l’espace de détention ? Des parloirs, ou des lieux dans lesquels entreraientdes personnes de l’extérieur, bénévoles ou autres. Mais aussi des lieux à l’extérieur de l’enceinte de la prison, des espaces de sas qui gommeraient ourendraient peut-être plus humaine ou plus douce cette frontière entre le monde fermé et le monde extérieur ?

JSSJ: Between these places of deprivation of liberty whose architecture you have shown us has very significant consequences on the life of the inmates and on the overall effectiveness of the system, between that and the world of freedom, then, are there not some spaces in-between? To come back to the question of the prison as a closed space, and integration with the outside – geographic and social integration alike – the matter of isolation is well understood, but what could be contemplated? Are there transitional spaces within the detention space? Visitors’ rooms, or premises that people from the outside, like volunteers or others, might enter? But also places outside the prison walls, a type of “air lock” or secure space that would erase or perhaps render this boundary between the closed world and the outside world more humane or softer?

JMD : Il est clair qu’il n’y a pas d’espace de cette nature pour la personne privée de liberté. Que ce soit la prison, les centres de rétention pour étrangers, les commissariats de police : on y est, on y reste, et ce n’est – je pense à la prison et pas du tout au commissariat de police – que par la décision d’un juge que l’on peut en sortir. Alors il arrive que l’on sorte de manière exceptionnelle. Il y a en prison des permissions de sortie pour les détenus, pour ceux qui se sont bien comportés naturellement. Il y a aussi, comme on le sait peut-être, des aménagements de peine qui permettent au détenu de ne pas faire l’entier du quantum de la peine à laquelle il a été condamné, mais de sortir un peu avant, selon des modalités très précises, et ces modalités très précises impliquent en effet pour une part des espaces comme ceux que vous dites. C’est le cas en particulier pour cet aménagement de peine qu’on appelle la « semi-liberté ». Quand vous êtes semi-libre, comme on dit, cela implique que vous reveniez tous les soirs coucher à la prison, mais dans la journée vous êtes libre – c’est du moins l’ordonnance du juge qui le précisera – de rechercher un emploi ou même d’aller occuper un emploi si vous avez les qualifications nécessaires. Et donc vous avez des contraintes qui sont moins draconiennes que la prison où vous restez 24 h sur 24 : on dit que la semi-liberté, en effet, c’est – pour reprendre votre terme – comme une sorte de sas, son nom l'indique assez, entre la prison et la liberté totale. On a aussi un sasun petit peu développé depuis une dizaine d’années maintenant, une douzaine d’années, qu’on appelle le bracelet électronique, qui est quelque chose qu’on accroche à sa cheville et qui pendant quelques mois – parce que ça devient insupportable au bout de quelques mois – mais pendant une période de 5-6 mois maximum, vous permet d’être suivi par un agent de l’Administration alors même que vous avez en apparence liberté de vousdéplacer.

JMD: It’s clear that there is no space of this type for the individual deprived of liberty. Whether prison, detention centres for foreigners, or police stations, you’re there and that’s where you’ll stay, and a judge’s decision is the only way you’ll get out – I’m thinking about prison and not the police station. There are special cases when one can go out. There are passes for inmates – those who have behaved well, naturally. There are also, as you may know, early release programs that allow the inmate not to serve the entire amount of time to which he has been sentenced but to get out a bit early, in accordance with very specific conditions, and these very specific conditions involve in part spaces like those you mentioned. This is the case for early release program called “day parole”. Being on day parole involves returning every evening to prison to sleep but during the day, you’re free to look for a job or even to fill a job if you have the necessary qualifications – anyway, the judge’s order will spell it out. And so you have restrictions that are less draconian than being in prison 24/7. Day parole is said to be, to come back to your expression, an “air lock” of sorts; its name fairly indicates it as being between prison and total freedom. There is also an “air lock” developed in the last ten years called the ‘ankle monitor’. It’s attached to the ankle and for a few months – because it becomes intolerable after a few months – for a time, 5-6 months max, it allows you to be monitored by an administration officer while you appear to have the freedom to move about.

Il y a ainsi des sas pour les détenus, mais jamais de sasqui ne soit ordonné par un juge. Tout cela est donc extrêmement limité, et pour reprendre l’aménagement de peine dont on sait que c’est une mesure extrêmement utile aujourd’hui pour aider à réussir les sorties de prison, à peu près les trois-quarts des détenus n’en bénéficient aujourd’hui pas encore. Autrement dit, 75 % des détenus sortent comme on dit trivialement en « sortie sèche », sans aucun aménagement de peine. Donc, du côté de la personne privée de liberté, j'allais dire, peu de sas.

Thus, there are “air locks” for inmates but never any that aren’t ordered by a judge. All that is therefore extremely limited, and to come back to early release, which today is known to be extremely beneficial for helping former prisoners succeed, nearly three-quarters of inmates today still do not have this advantage. In other words, 75% of inmates come out “cold turkey”, without any early release program. So, from the perspective of the individual deprived of liberty, not much of an “air lock”, I was going to say.

Du côté des personnes qui ne le sont pas et qui peuvent désormais accéder à ces endroits de privation de liberté, oui il y a des sas– et je crois qu’une des grandes modernisations de la prison française, comme d’ailleurs aussi sans doute des centres de rétention par exemple, a été depuis 25 ans sans doute de multiplier les personnes qui à titre bénévole ou professionnel entrent désormais dans ces lieux.

As for individuals who are not prisoners and who can now access these deprivation of liberty places, yes, there are “air locks” – and I believe that one of the major modernizations of the French prison, and in the retention centres as well no doubt, has certainly been the increase in the last 25 years in the number of individuals who enter these places as either volunteers or professionals.

Deux exemples très simples. En 1987, la loi dont j’ai déjà parlé à plusieurs reprises a institué la possibilité pour l’Etat de déléguer une partie des fonctions de gestion des établissements pénitentiaires à l’entreprise privée. Cette loi de 1987 a été accentuée d’ailleurs dans des lois ultérieures qui font qu’aujourd’hui, un bon nombre de fonctions carcérales – à peu près toutes, sauf strictement la gestion des détenus et la garde bien entendu – peuvent être confiées à des entreprises privées. Par exemple l’organisation du travail des ateliers dans une prison peut être gérée par une entreprise privée. Ce qui fait qu’aujourd’hui, en détention, vous avez des salariés d’entreprises privées qui viennent tous les jours travailler – certes avec cette clientèle très particulière que sont les détenus – mais ils vont là comme ils iraient dans n’importe quelle entreprise de France. Le deuxième exemple, c’est une loi du 18 janvier 1994, qui a confié à l’hôpital public la gestion du soin des personnes détenues. Alors qu’auparavant c’étaient des médecins recrutés par l’Administration pénitentiaire, désormais ce sont des médecins hospitaliers publics qui s’occupent de l’unité sanitaire, comme on l’appelle, des établissements pénitentiaires, pour y remplir les fonctions d’un médecin de ville – on va dire les choses comme ça ! Et donc, ce sont des personnes là aussi extérieures, certes personnes publiques, mais qui n’ont rien à voir avec l’Administration pénitentiaire et qui travaillent également journellement en prison.

Two very simple examples. In 1987, the law that I previously mentioned established the State’s ability to privatize a portion of the management functions of correctional institutions. This 1987 law moreover was intensified in subsequent laws such that today, a great many prison functions – nearly all, with the exception of the strict management and guarding of the inmates, of course – can be entrusted to private companies. For example, the organization of the work in the prison workshops can be managed by a private business. So, today, in detention, you have salaried employees of private companies who come to work everyday – with this very particular clientele, the inmates – just as they would to any other business place in France. The second example is a law of January 18, 1994, which entrusted management of prisoner health care to the public hospital. So, while previously doctors were recruited by the prison administration, now doctors from the public hospitals look after the health unit, as it is called in the correctional facilities, to perform the duties of a doctor from town – so to speak! And so, these are also people from the outside, government people, of course, but who have nothing to do with the prison administration and who are working in prison on a daily basis.

Alors, pour ces personnes, il y a en effet – vous l’avez très bien dit – des lieux particuliers. Il y a les ateliers pour ceux qui gèrent le travail. Il y a les unités sanitaires avec des salles de consultation, des salles de soins, des salles infirmières pour ceux qui sont les soignants. Il y a des salles d’enseignement pour les professeurs qui viennent faire cours et il y a aussi des salles d’activités diverses pour ceux qui veulent venir faire un atelier musical, un atelier de poterie etc… On peut tout faire en détention. Pas n’importe où, naturellement. Mais on peut, on fait beaucoup de choses en détention. Je mets toujours une forte interrogation derrière cela : oui, mais combien de personnes ? Vous avez un atelier de tai-chi, par exemple, cela existe, mais vous vous apercevez assez vite que sur 700 détenus, il y en a 5 ou 6 qui viennent. Donc il faut relativiser cette importance. Mais, vous avez raison de dire qu'il y a des espaces qui apparaissent aux détenus un peu plus neutres en ce sens qu’ils ne sont pas exclusivement régis par les surveillants.Je dis : pas exclusivement, car les surveillants y sont toujours, quoi qu’il advienne. Il y a toujours un ou deux surveillantsdans chaque unité sanitaire, il y a toujours une équipe de surveillants dans les ateliers. Par conséquent, ces professionnels dont nous parlons ou ces bénévoles n’ont pas le monopole dans une partie de la prison. Cela reste toujours régi très étroitement et surveillé en tout cas par l’Administration pénitentiaire. Donc, ces salles neutres ne le sont pas puisqu’elles sont partagées.

So, for these individuals, there are in fact – you described it quite correctly – special places. There are workshops for those managing the work. There are the health units with examining rooms, rooms for treatment, nurses’ rooms for those who are providing care. There are also classrooms for the teachers who come to give classes and there are also various activity rooms for those who want to come give a music workshop, a pottery workshop, etc. You can do everything in detention. Not just anywhere, of course. But you can, you can do many things in detention. I always ask a major question after that: Yes, but how many people? You have a tai-chi workshop, for example – that exists; but you realize pretty quickly that out of 700 inmates, there will be 5 or 6 who come. So, this significance has to be put into perspective. But you are right to say that there are spaces that appear a bit more neutral to the inmates in the sense that they are not managed exclusively by the guards. I said “not exclusively”, as the guards are always there, come what may. There are always one or two guards in every health unit; there is always a team of guards in the workshops. Consequently, these professionals we’re talking about, or these volunteers, do not have a monopoly in a portion of the prison. In any case, it always remains very strictly managed and guarded by the penitentiary administration. So, these neutral rooms are not really neutral because they are shared.

Enfin un mot quand même sur l'espace transitionnel essentiel qui est le parloir de la prison. Dans chaque prison, il y a des parloirs, c'est-à-dire des endroits où les familles se rencontrent, qui sont plus ou moins bien aménagés. Autrefois, c’était des salles communes avec des chaises et des tables installées comme dans une salle declasse, au fond, ou une salle de réunion – on va dire les choses comme cela – avec énormément de bruit. On y voyait des choses épouvantables sans aucune intimité possible, puisque chacun peut se voir, naturellement. Cela existe encore dans beaucoup de vieilles maisons d’arrêt, mais aujourd’hui, dans les établissements nouveaux dont nous avons parlé à plusieurs reprises, il y a en principe des parloirs qui fonctionnent par cabines un peu séparées, où il y a un peu plus d’intimité. Et puis il y a aussi, depuis une vingtaine d’années maintenant, ce qu’on appelle les unités de vie familiale, qui sont des reconstitutions de petits deux-pièces,voire de trois-pièces,qui permettentà des personnes détenues d’accueillir pour des durées qui varient entre 6 et 48 heures tout ou partie de leurs familles, jusqu’à un nombre limité de personnes naturellement. Mais éventuellement femme et enfants, deux enfants, guère plus. Et en principe, là c’est vraiment un des aspects les plus neutres de ce qui peut se trouver en prison, parce que les surveillants ont ce tact de ne pas venir dans ces lieux – l’« unité de vie familiale » – qui sont une reconstitution de la vie familiale – sans motif très sérieux, c'est-à-dire sans qu’on les appelle. Et pour les couples qui sont là, on peut avoir à peu près la certitude – même si c’est une certitude grillagée vers le haut – qu'ils ne sont pas dérangés pendant leurs séjours dans l’unité de vie familiale. Ce sont là des choses extrêmement précieuses. Simplement, il faut savoir qu’aujourd’hui les « UF » comme on appelle les Unités de vie familiale, il y en a dans une quarantaine d’établissements sur les 200 prisons existant en France. Cela reste minoritaire. Des parloirs, il y en a – Dieu merci – partout mais avec des conditions de rencontre qui sont beaucoup plus difficiles. Donc cela, c’est l’espace le plus neutre. Il y a aussi quelque chose d'intéressant, c’est que désormais il y a beaucoup de prisons comportant à l’extérieur de l’enceinte un lieu d’accueil pour les familles, le plus souvent tenu par une association. Dans ces lieux d’accueil, on réconforte les familles parce que les parloirs c’est une joie, mais c’est aussi une épreuve formidable – enfin, « formidable »... ! – c’est une dure épreuve. Il faut donc essayer d’entourer un peu ces familles. On les renseigne sur des questions administratives, etc. Il y a des lieux d’accueil qui se multiplient et qui forment ainsi ce que vous avez appelé un espace transitionnel entre la prison et l’extérieur.

Finally, a word just the same on the prison’s visitors’ room, the main transitional space. In every prison, there are visitors’ rooms, meaning places where the families meet and which are fairly well set up. In the past, these were common rooms with chairs and tables set up like in a classroom, basically, or a meeting room – so to speak – with a tremendous amount of noise. You would see awful things there without the possibility of any privacy, of course, because everyone could see each other, naturally. This still exists in many of the old remand prisons, but today, in the new institutions we have spoken of a number of times, there are in principle visitors’ rooms that have booths that are a bit separated, where there is a bit more privacy. And in the last twenty or so years, there is also what are called family life units which are small two-room or even three-room units which enable inmates to receive part or all of their family for periods ranging from 6 to 48 hours, up to a certain number of people, of course. But this may be a wife and children, two children, no more. And in principle, this is really one of the most neutral aspects that can be found in prison as the guards have the tact not to go into these “family life” units – which are a reconstruction of family life – without a very serious reason, meaning unless they are called. And for the couples that are there, you can be pretty certain – even if it’s a certainly with mesh barriers up high – that they are not disturbed during their stays in the family life unit. These are extremely precious things. You should just know that today there are “UFs” [unité de vie familiale], as the family life units are called, in some forty institutions out of the 200 prisons in France. Still a minority. There are, thank God, visitors’ rooms but with meeting conditions that are much more difficult. So, that is the most neutral space. There is also something else interesting and that is that there are now many prisons with a reception place outside the prison wall for families, generally belonging to an association. In these reception premises, families are comforted because the visitors’ rooms are a joy, but they are also quite an ordeal! A difficult ordeal. So it’s necessary to try to support these families a bit. They receive information on administrative matters, etc. There is a growing number of reception premises which thus form what you have called a transitional space between prison and the outside.

En dehors de cela, il faut avouer que le contact est toujours rude et toutes les personnes privées de liberté – de tous les endroits : centres de rétention, commissariats ou prisons – vous disent la rudesse de la transition entre l’état libre et l’état de captif. Il n’y a aucune transition : on vous passe les menottes aux mains derrière le dos ou devant. Dans la police, c'est derrière le dos, et dans la gendarmerie, c'est devant – allez savoir pourquoi ! – et puis on vous mène dans une cellule où vous allez rester enfermé à peu près pendant 13-14 heures de garde à vue – c’est la moyenne de durée – d’où on va vous sortir pour 20-40-50 minutes d’audition, et puis le reste du temps, vous moisissez là-dedans, dans une cellule qui n’est pas très confortable, et qui est même en général assez sale. Et la prison, c’est pareil. C’est si vrai que, chacun le sait, on a parlé d’une espèce de syndrome de l’arrivée en prison. Comme on le sait aussi, notamment, une grande part des suicides en prison se produisent dans les premières heures ou jours qui suivent l’incarcération, tellement ce qu'on appelle « choc carcéral » est très difficile. Il faut reconnaître aussi à l’Administration pénitentiaire française qu’elle a cherché à adoucir ce choc depuis plusieurs années à l’instigation, là aussi d’ailleurs, du droit international, des recommandations internationales. On a beaucoup travaillé dans les prisons françaises sur ce qu’on appelle le quartier arrivant, c'est-à-dire un quartier à part où on accueille, où il y a des formalités d’accueil des arrivants qui sont beaucoup plus développées que dansle passé.Donc il y a des lieux de transition et il y a aussi des procédures de transition. Mais cela ne change pas, il faut bien le dire, la réalité : l’absence dramatique des transitions entre un état et l'autre.

Outside of that, it must be admitted that contact is always tough and all individuals deprived of liberty – in all places: detention centres, police stations or prison – tell you how tough the transition is between being free and being in captivity. There is no transition. You are handcuffed with your hands behind your back or in front of you. In the police station, it’s behind your back, in the gendarmerie, it’s in front. Go figure that one out! And then you’re led to a cell where you’ll stay closed in for 13-14 hours in custody – that’s the average – and from there you’ll be taken out for 20-40-50 minutes for a hearing, and then the rest of the time, you’re left to rot there, in a cell that is not very comfortable and which is even generally pretty dirty. And prison is the same. It’s so true that, everyone knows it, they talk about a sort of arrival-in-prison syndrome. As is also known in particular is that a large proportion of the suicides in prison occur in the first hours or days following incarceration; that’s how very difficult “cell shock”, as it is called, is. It must also be acknowledged that France’s corrections administration has tried in recent years to soften this shock at the urging – in this area, too, incidentally – of international law, and international recommendations. A great deal of work has been done in French prisons on what is called the arrivals area, meaning an area apart where the intake occurs, where there are intake formalities for those arriving, that are much more evolved than in the past. So, there are transitional places and there are transitional procedures. But it has to be said, that doesn’t change reality: the drastic absence of transitions between one state and the other.

 

 

2 avr 2015

 

 

JSSJ : La question que j’allais vous poser maintenant rejoint un des points que vous avez abordés, mais enfin peut-être peut-on le préciser :comment rester citoyen derrière les barreaux ? Bien sûr, plusieurs des éléments que vous avez fournis répondent déjà en partie à cette question. Est-ce qu’il y a d’autres aspects par exemple sur l’exercice du droit de vote et les autres exercices de la citoyenneté ?

JSSJ: The question I was going to ask you now is along the same lines as one of the points you addressed but perhaps it could be explained: How does one remain a citizen behind bars? Of course, some of the information you have provided already partially answers this question. Are there other aspects, for example, on exercising the right to vote and other citizenship practices?

JMD : C’est quelque chose en effet que j’aurais dû déjà évoquer à propos de savoir qui d’extérieur peut arriver en prison. Je crois qu’un des enjeux de la prison – en dehors de la garde des détenus eux-mêmes qui incombe naturellement aux surveillants de l’Administration pénitentiaire, qui font un travail très difficile – c’est au fond de savoir ce qu'il en est des autres fonctions : est-ce que cela se passe comme dehors ou de façon très particulière à la prison ? Je reprends mon exemple de la médecine. Pendant longtemps, les médecins de prison ont été des médecins recrutés par l’Administration pénitentiaire, dont ils étaient dépendants. Par conséquent, leur manière de faire, peut-être même leur jugement, pouvait se trouver biaisé de ce fait. On a écarté la médecine pénitentiaire, on a créé, on a donné à la médecine banale (la médecine de l’hôpital) le soin – c’est le cas de le dire – de s’occuper de la santé des détenus. Pourquoi est-ce que ce ne serait pas pareil pour le reste ? En fait, c’est pareil pour le reste en partie. Les enseignants qui vont donner des cours aux détenus sont des enseignants de l’Education Nationale, professeurs des écoles pour la plupart, qui forment des détenus peu alphabétisés ou des étrangers qui ne parlent pas français, etc., avec quelques miraculés qui passent leur bac, qui passent leur licence, mais ces miraculés sont l'arbre qui cache la forêt, et je tiens beaucoup à rappeler qu’il y a beaucoup plusde gens qui sont empêchésde poursuivre des études en prison que ceux qui peuvent en faire. Donc ces gens-là sont des gens de l’Education Nationale. Mais on pourrait aller plus loin et estimer qu'il doit y avoir dans les prisons des gens des services extérieurs, et le meilleur exemple que l’on puisse trouver, c’est le travail social. Les détenus sont originaires souvent de milieux extrêmement modestes. C’est la grande majorité des personnes détenues, souvent peu qualifiées, jeunes, etc., et par conséquent leur sortie de prison pose des problèmes de réinsertion économique et sociale qui sont toujours délicats. Ce sont des travailleurs sociaux spécifiques à l’Administration pénitentiaire qui préparent leur sortie. On peut se demander au fond pourquoi ce ne sont pas les travailleurs sociaux du département ou de la commune qui pourraient prendre cela en charge. Et on pourrait multiplier les exemples à l'infini.

JMD: This is in fact something I should have already mentioned with regard to knowing who may arrive in prison from the outside. I think that one of the issues of prison – apart from guarding the inmates which naturally falls to the correctional administration guards who perform a very difficult job – is basically knowing what its other duties are: Do things function like on the outside or in a way that is quite specific to prison? I come back to my example of medicine. For a long time, prison doctors were doctors recruited by the corrections administration; they were employees of the administration. As a result, their way of doing things, perhaps even their judgement, could be biased by this fact. Prison medicine has been set aside and care – it’s appropriate to use the word – for inmates’ health has been given to regular (hospital) medicine. Why would it not be the same for the rest? In fact, it is the same for the rest in part. The teachers who go to give classes to the inmates are teachers from National Education, teachers from schools for the most part, who train inmates with low literacy skills and foreigners who do not speak French, etc.; there are a few miraculous cases of individuals completing secondary education or a university degree, but these miracles focus on a few cases rather than the big picture, and I really want to remind you that there are many more people who are prevented from pursuing studies in prison than are able to do so. So these are the National Education people. But we could go further and estimate that there must be people from outside services in the prisons and the best example I can find is social work. The inmates often come from extremely modest backgrounds. This is vast majority of inmates who often have little in the way of qualifications, are young, etc. and as a result, they have particular social and economic reintegration problems when they leave prison. One may basically wonder why the departmental or community social workers aren’t the ones to deal with this. And one could multiply the examples ad infinitum.

La question que vous posez a donc déjà cet élément de réponse. C’est qu’il est difficile de regarder les détenus comme des citoyens comme les autres en l’état actuel des choses. Voyons les choses de façon un peu plus théorique. On prête à un Président de la République qui était entré un jour en prison – c’était en 1974 – cette phrase qu’il n’a pas prononcée, mais peu importe, elle vaut ce qu’elle vaut, selon laquelle la prison, c’est la privation de liberté, et rien d’autre. Cela veut dire que n’importe qui, qui va en prison – sauf lorsque le juge l’a privé de ses droits civiques, naturellement, mais c’est de moins en moins fréquent aujourd’hui – reste citoyen. Par conséquent, il bénéficie de tous ses droits de citoyen : familiaux, en effet, et, vous l'avez dit, droit de vote. Moi, j’ai toujours pensé que cette manière de voir était une joyeuse plaisanterie. Prenons un cas très simple : le droit d’avoir la charge de ses enfants. Comment, quand on est en prison, lire un bulletin de notes, aller voir un enseignant, travailler à l’éducation de sa fille ou de son fils ? C’est absolument impossible. On sait bien qu’on cherche des substituts à tout cela, mais ce sont des substituts parce queprécisément la réalité ne peut pas jouer. Je prends un autre exemple. Supposons que vous êtes en prison et que vous ayez le désir d’exercer une activité économique. Il y a dans ce pays un principe de droit qui s’appelle la liberté du commerce et de l’industrie qui vous permettrait normalement, si vous obéissiez à ce principe, d’exercer une activité. Qui plus est, d’ailleurs, le code de procédure pénale prévoit en effet qu’on peut exercer une activité économique avec l’autorisation, certes, du directeur de l’établissement. Mais c’est absolument impossible. Comment voulez-vous vendre et acheter quand vous êtes en cellule ? Même chose pour le droit de vote que vous évoquiez. Le droit de vote, cela suppose de se déplacer et de mettre un bulletin dans une urne, ou bien, si vous ne pouvez pas vous déplacer, de mandater quelqu’un et de voter, comme le dit le code électoral,par procuration. Or, cela ne se fait pratiquement pas. Pourquoi ? Pour plusieurs raisons (on peut s’attarder un peu sur cettedifficulté-là) :

So, the question you’re asking already has this element of a reply. It’s that it’s difficult to look at the inmates as ordinary citizens in the current state of things. Let’s look at things a bit more theoretically. A President of the Republic who entered a prison one day – it was in 1974 – is said to have spoken this sentence that he did not utter but it doesn’t matter, it is still valid, which is “Prison is the deprivation of liberty and nothing more.” This means that regardless of who, whoever goes to prison – except when the judge has deprived him of his civic rights, of course, but this occurs less and less often these days – is still a citizen. Accordingly, he still has the benefit of all his rights of citizenship: family rights, and as you said, the right to vote. Personally, I have always thought this viewpoint something of a joke. Let’s take a very simple case: the right to have custody of one’s children. When you’re in prison, how are you supposed to read a report card, go see a teacher, or help with the upbringing of your daughter or son? It’s absolutely impossible. We know substitutes are sought for all that but they are substitutes precisely because the situation doesn’t apply. I’ll take another example. Let’s suppose that you’re in prison and you want to run a business. In this country, there is a right called freedom of trade and industry that normally allows you, if you abide by this principle, to engage in some business activity. Moreover, the code of penal procedure has provision for economic activity, with the authorization of course, of the warden. But it’s absolutely impossible. How can you buy and sell when you’re in a cell? The same thing for the right to vote that you mentioned. The right to vote assumes going to place a ballot in an urn, or if you cannot travel, to vote in accordance with the electoral code, by proxy or by power of attorney. For all practical purposes, this is not done. Why? For a number of reasons (we can spend a bit of time over this difficulty):

- D’abord parce que ceux qui sont en prison sont souvent en rupture de ban – c’est le cas de le dire – avant même d’être entrés en prison. C’est-à-dire qu’ils sont loin des préoccupations politiques du citoyen ordinaire.

– Firstly, because those who are in prison are often – it’s appropriate to say – at odds even before going to prison. Meaning that they are far from sharing the ordinary citizen’s political concerns.

- Deuxièmement, la proportion d’étrangers en prison est trois fois plus importante que celle de la population française ordinaire.

– Secondly, there are proportionately three times more foreigners than members of the regular French population in prison.

- Autre raison encore : ce sont des gens qui souvent ont rompu leurs liens familiaux, soit avant la détention, soit à cause de la détention, et pour lesquels donner une procuration à quelqu’un pour voter à sa place ne va pas de soi, et notamment dans la commune d’origine où ils sont encore inscrits le cas échéant sur une liste électorale, parce que soit ils ont fait des malhonnêtetés dans cette ville et ils ne tiennent pas à y revoir quelqu’un, soit ils ont perdu tout contact avec ceux dont ils étaient familiers.

– Still another reason: These are often people who have broken their ties with friends and family either before detention or due to detention, and for whom giving someone power of attorney to vote for him is not a given, particularly in the original administrative district where they’re still on the voters’ list if applicable, because either they have committed crimes in this city and don’t want to see anyone there again, or they’ve lost touch with those who were their friends or family.

- Et puis il y en a une autre, c’est que l’organisation du scrutin en prison est une chose très difficile. L’Administration pénitentiaire procède par voie d’affichage pour prévenir les uns et les autres que cette année – par exemple je prends l’actualité – il y aura les élections départementales et régionales, et que ceux qui le veulent, peuvent faire les démarches pour s’inscrire sur les listes et puis organiser leur procuration. Mais, dans les faits, les choses sont si lentes, les affiches sont apposées si tard et les démarches sont si laborieuses à faire par les travailleurs sociaux que j’ai évoqués tout à l’heure qu'on arrive toujours après le scrutin et que les quelques personnes qui avaient vraiment envie de voter, en général, n’ont pas été mises effectivement en situation de le faire.

– And then there is another: Organizing balloting is very difficult in prisons. The correctional administration starts by putting up a poster to inform everyone that this year – I’m using the current situation as an example – there will be departmental and regional elections, and those who want to vote can take the steps for registering on the voter lists and then arrange for a proxy. But in actual fact, things are so slow, the posters go up so late, and the processes are so laborious for the social workers I just mentioned, that after the elections there are generally always a few people who really would have liked to vote but who were effectively put in a situation to not be able to do so.

Donc dire qu'on reste citoyen en prison est une illusion qu’il faut absolument dissiper au plus vite. Je n’y ai jamais cru et l’état de ce que j’ai vu en détention n’a pas infirmé ce point de vue, bien au contraire. Car j’ajoute quelque chose qui est essentiel : au fond quand vous êtes en prison – vous pouvez être prévenu, mais les trois-quarts des détenus sont des gens condamnés – c'est que vous avez enfreint la loi. Et sur vous pèse cet espèce de discrédit très important qui est celui de nous autres, citoyens ordinaires, mais qui est aussi celui du personnel de la prison, que, comme vous avez enfreint la loi, vous n’êtes pas tout à fait un citoyen ordinaire. Et que, comme vous avez enfreint la loi, il n’est pas sûr que vous méritiez de vous voir appliquer la loi. Et que hors la loi vous êtes, par conséquent, hors la loi vous restez. Cette conviction-là, elle est très massivement développée chez le personnel, soit de police, soit pénitentiaire, et par conséquent, ce n'est pas cette conviction-là qui va aider les détenus à se sentir considérés, regardés comme des citoyens dans le regard d’autrui. Je prends un exemple très simple : quand on est en prison, tout ce qui vous arrive de mal s’attire invariablement comme réponse : « Mais vous êtes là de votre fait, et par conséquent, prenez-vous en à vous-même ! ». Je me souviens d’un détenu qui m’avait raconté avoir été transporté d’un tribunal très lointain, pour une affaire ancienne sans doute, à la prison qu’il occupait, dans un fourgon cellulaire, par conséquent appartenant à l’Administration pénitentiaire, dont le conducteur conduisait vite, sans doute à coups de sirène, etc. Vous savez que les véhicules de l’Administration pénitentiaire comportent des cellules extrêmement étroites où on n'est ni assis ni debout, parce qu’il n’y a pas la place de s’asseoir vraiment. Pendant 200 km, il avait été ballotté au gré des virages,et il avait fini par être complètement malade. Et donc, quand il est descendu de là avec ses chaînes aux pieds et ses menottes aux mains, il n’a pas pu s’empêcher de dire au conducteur « Eh bien, vous pourriez peut-être conduire un peu plus doucement ». Et la réponse, c’était celle que je viens de vous faire, avec un gros rire : « Eh bien, mon petit vieux, t’avais qu’à pas être là ». Voila ! Donc cette réponse, qui est incontestable, ne vous rend pas une qualité de citoyen, mais au contraire contribue à vous l’ôter. Et tant que vous avez ce jugement-là, qui est, je pense, le jugement de la plupart de nos contemporains sur les personnes détenues, je ne crois pas que ceux-ci puissent prétendre à la qualité de citoyen. Je crois au fond, revenant à la cité athénienne,qu’on n'est jamais citoyen que dans le regard des autres citoyens. Sur ce point-là, il y a encore énormément de progrès à faire.

Therefore, saying that one is still a citizen in prison is an illusion that must absolutely be dispelled as quickly as possible. I never believed it and the state of what I saw in detention did not shake this opinion, quite the opposite. And I’ll add something here that is crucial: basically, when you’re in prison – you can be charged, but three-quarters of the inmates are convicted – it is because you have broken the law. And the very significant aspersions cast by the rest of us, regular citizens, but also the prison staff, weigh on you that, because you have broken the law, you are not quite an ordinary citizen. And that because you have broken the law, it’s not a given that you deserve to have the law apply to you. And since you are an outlaw, an outlaw you remain. This belief is widely held among the staff – police or penitentiary alike, and accordingly, this belief is not going to help the inmates to feel that they’re considered or looked at as citizens in the eyes of others. Here is a very simple example: When you’re in prison, everything bad that happens to you always draws the response: “Well, you’ve made your own bed and now you’ll have to sleep in it!” I recall an inmate who told me about having been taken from a very far away court for an old case undoubtedly, to the prison he was in, in a police van, thus, belonging to the corrections administration, the driver of which drove fast, undoubtedly with blasts of siren, etc. You know that the corrections administration vehicles have extremely narrow cells where one is neither seated nor standing because there is not really enough room to sit. For 200 km he was tossed around with every turn and ended up being completely sick. And when he got out of there with his chains on his feet and cuffs on his hands, he couldn’t help himself from saying to the driver “Well, you could’ve driven a little slower.” And the reply was what I just told you, with a big laugh: “Well, buddy, you shouldn’t have been there.” There you go! This reply, which cannot be challenged, does not make you feel you have status as a citizen; quite the opposite. It helps remove your status as a citizen. And as long as you have this opinion, which is, I think, that of most of our contemporaries about inmates, I do not believe that inmates can claim the status of citizen. I basically believe, coming back to Athens, that one is only a citizen in the eyes of other citizens. There is still a tremendous amount of progress to be made on this point.

 

 

2 avr 2015

 

 

JSSJ : Existe-t-il des résistances ou des stratégies d’adaptation mises en place par les détenus pour résister à la privation de liberté et garantir également le respect de ce que vous avez nommé au début les « droits de la vie quotidienne », à travers le droit à la dignité, etc. ? Et dans quelle mesure ces stratégies et ces résistances s’inscrivent-elles dans un registre illégal ?

JSSJ: Are there forms of resistance or coping strategies inmates use to withstand the deprivation of liberty and also guarantee the respect of what you called the “rights of daily life” earlier, through the right to dignity, etc.? And to what extent are these strategies and resistance considered illegal?

JMD : Il y a plusieurs façons de résister quand on est en détention, mais elles ne sont pas si nombreuses que cela. Il y en a une, qui est le fait d’un petit nombre de personnes détenues, qui consiste à se réfugier dans la violence et dans la résistance ouverte. C'est-à-dire qu’on va contester chaque décision des personnels qui vous concerne, et on va résister par des moyens qui impliquent la force physique, le mauvais vouloir, etc. Il y a quelques cas très connus de toute l’Administration pénitentiaire, puisque pour échapper à cela, cette dernière n’a pas d’autres moyens que de transférer les détenus d’un établissement à l’autre. Je me souviens que l’un d’entre nous assistait un soir à l’arrivée d’un autre établissement, d'un type dont c’était à peu près la quatre-vingtième fois, le quatre-vingtième transfèrement d’une prison à l’autre pour des motifs disciplinaires ! Le premier surveillant – je vais obliger d’être grossier pour citer ses propos, vous me le pardonnerez – l’a toisé sans lui dire bonjour et lui a dit, je cite : « Qu’est-ce qu’on va faire de cette merde là ! ». Donc, ce sont là des occasions d’affrontements très forts entre le personnel et les détenus qui choisissent la voie ouverte de la résistance. C’est évidemment toujours à leur détriment, c'est-à-dire qu’ils sont toujours punis de sanctions disciplinaires et, si l’occasion s’en présente, ou plutôt si le délit s’en présente, de sanctions pénales.

JMD: There are a number of ways to put up resistance when in detention but not that many. One that a small number of inmates resort to is violence and open resistance. This means that they protest each decision of the staff involved with them and will resist by means that involve physical force, ill will, etc. There are a few cases that are very well-known to the entire corrections administration, as in order to get away from it, the administration has no means except transferring inmates from one institution to another. I recall that one of us witnessed the arrival one evening from another institution of a guy who had been transferred about eighty times, eighty transfers, from one prison to another for discipline reasons! The first guard – I’m going to have to be crude to quote his remarks, you’ll have to excuse me – looked him up and down without so much as saying hello, and said to him, and I quote: “What are we going to do with this piece of shit!” So, these are instances of very strong clashes between the staff and the inmates who choose the path of open resistance. It’s obviously always to their detriment, meaning that they are always punished, and if the occasion arises, or rather if an offense results, penal sanctions.

Voici le cas de quelqu’un que j’ai vu à deux reprises dans mes visites. C’est quelqu’un qui est entré, je crois, en prison en 1997 avec une condamnation de trois ans pour un vol aggravé, et qui ne sortira pas avant 2040 parce qu’il a accumulé les sanctions pénales pour des méfaits violents réels commis à l’encontre des surveillants ou d’autres personnes. Un de ses derniers faits d’armes s’est déroulé dans une maison centrale spécialisée pour accueillir les détenus les plus rebelles des autres maisons centrales, donc des condamnés à de longues peines, qu’on met là parce qu’ils sont rebelles ailleurs. C’est la maison centrale de Condé-sur-Sarthe, ouverte il y a deux ans. On leur a dit, d’ailleurs à mon avis avec une maladresse insigne : « Tant que vous ne vous améliorerez pas, vous resterez dans cette centrale ». Eh bien, quelques semaines après son arrivée, je crois, cette personne, toujours la même, a pris en otage avec un de ses codétenus un surveillant. Bon, cela s’est à peu près bien terminé, Dieu merci, pour le surveillant, mais le soir même, le détenu a été transféré dans une autre prison. Il a dit au gardien : « Je savais bien que je sortirai de cette prison ».

Here is the case of someone I saw twice in my visits. This is someone who was sent to prison in 1997, I believe, with a three-year sentence for robbery with violence, and who will not get out before 2040 because he has accumulated penal sanctions for violence toward guards or other individuals. One of his most recent battles took place in a maximum security prison specialized in housing the most rebellious inmates from the other maximum security prisons, thus, those serving long sentences that are placed there because they were rebellious elsewhere. This is the Condé-sur-Sarthe prison, opened two years ago. They were told, with extreme tactlessness in my opinion, incidentally, “As long as you don’t improve, you’ll stay in this prison.” Well then, a few weeks after his arrival, I believe, this same individual, and one of his fellow inmates, took a guard hostage. Well, that ended well enough for the guard, thank God, but that very evening the inmate was transferred to another prison. He said to the guard, “I knew I’d get out of this prison.”

Donc cela, c’est une forme de résistance. C’est une résistance minoritaire. Il y a la résistance opposée, si je puis dire, la résistance du bon vouloir. Il s’agit du détenu modèle qui veut, lui, chercher à avoir le maximum d’avantages de sa détention. Donc il s’inscrit aux cours, il remplit tout ce qu’il faut pour être dans les bonnes cases. Et ça ne marche pas. Ça ne marche pas, parce qu’il y a toujours des moments où la volonté de l’Administration ne coïncide pas avec la sienne. Et je me souviens, je crois que j’en ai même donné lecture publique un jour, je me souviens d’une lettre d'une personne détenue puisque nous correspondions beaucoup avec eux, qui racontait à peu près cela et qui disait « Ecoutez, moi pendant un an et demi, depuis que je suis entré en prison, j’ai essayé de m’en sortir, c'est-à-dire d’acquérir des qualifications, de veiller à ma santé etc., tout ça, je n’ai essuyé que des déconvenues et désormais – disait-il – je me rétracte sur moi-même et je vis à minima ».

So that is a form of resistance used by a minority. The opposite type of resistance, if I may call it that, is resistance by good will. This is a model inmate who is trying to get the maximum benefits from his detention. So, he registers in courses, and does everything necessary to cross all the t’s and dot all the i’s. And it doesn’t work. It doesn’t work because there are always times when the will of the administration does not coincide with his. And I recall, I believe I even read it in public one day, I recall a letter from an inmate because we were corresponding a great deal with them, who said roughly that and which said “Listen, for a year and a half, ever since I entered prison, I have tried to get out, meaning to acquire qualifications, look after my health, etc., everything, and all I’ve got for it is disappointments and now, he said, I’m drawing back and living minimally.”

C’est une lettre terrible, mais je crois que beaucoup d’entre eux ont ce sentiment. Une troisième forme de résistance, c’est le laisser-aller. C’est-à-dire des gens qui font le choix de ne pas vivre, mais de survivre – pardon de parler comme cela, c’est très cruel – dans une sorte d’état végétatif, et cela donne des gens qui ne se lavent plus, qui mangent à peine, qui se laissent aller complètement dans leur cellule, des cellules où plus personne n’ose rentrer parce que c’est épouvantable… Et avec des contacts extrêmement difficiles. Je raconte souvent ce que j’ai vu à cet égard. On m’avait dit : « Celui-là, ce n’est pas la peine de le voir ». Quand on visite un établissement, il faut surtout aller voir les gens qui ne veulent pas nous voir. Alors j’y étais allé, ce n’était pas très drôle à voir, il était couché sur son lit, il s’est retourné un peu et j’ai dit un peu bêtement – il faut le reconnaitre – : « Alors ? Ça va ? Avec les surveillants, ça va ? ». Il m’a dit très vite : « Oui, oui, ici tout va bien » et il s’est retourné contre le mur, et puis voilà. Ces gens-là, ça existe, ce sont des gens sans doute plus fragiles que d’autres, qui se laissent aller jusqu’à éventuellement mourir.

This is a terrible letter, but I believe that many of them have the same feeling. A third form of resistance is complacency. This means the people who choose not to live but to survive in a sort of vegetative state. Excuse me for speaking like that, it’s very cruel. And this results in people who don’t wash, who barely eat, who completely vegetate in their cell, a cell that no one dares to enter because it’s appalling. And contacts are very difficult. I often speak about what I have seen in this regard. I would be told: “There’s no point seeing that guy there.” When we visit an institution, we especially have to go see the people who don’t want to see us. So, I went. It wasn’t a very nice scene. He was lying on his bed, he turned a bit and I said a bit stupidly, I have to admit, “So? How are things? Is everything going fine with the guards?” He quickly said to me, “Yes, yes, everything’s going fine here.” and turned back to the wall and that’s that. There are people like this, who are undoubtedly more fragile than others, who let themselves go until possibly even death.

Car une autre forme de résistance, c’est bien entendu l’atteinte à son propre corps. La France est un des pays d’Europe, on le sait bien, où le taux de suicides en détention est un des plus élevés. Il y a à peu près une bonne centaine de suicides par an sur 65 000 détenus. Il y a, comme je l’ai dit, beaucoup de suicides pendant les semaines qui suivent l’arrivée. Il y a aussi beaucoup de suicides dans les quartiers disciplinaires, et il y a encore beaucoup plus de tentatives de suicide. Sans avoir de statistiques très précises sur ce point, je crois qu’il n’est pas exagéré de dire qu’il y a à peu près 10 tentatives de suicide pour un suicide réussi. Ce qui signifie à peu près 1000 tentatives de suicide par an sur 65 000 détenus. Ce qui est déjà évidemment considérable, même si cela peut être l’objet d’une seule personne pour plusieurs tentatives, mais cela fait quand même beaucoup. Ces suicides tiennent simplement à l’incapacité où l’on est de s’affirmer homme dans cette vie-là, face aux codétenus par exemple, parce qu'on a contracté des dettes qu’on ne peut plus rembourser, et dans ce cas-là il y a des ennuis pas possibles qui arrivent. Si on est cocaïnomane, par exemple, et qu’on a absolument besoin de cocaïne, on va vous en donner, mais il faudra absolument la payer un jour, et si vous n’avez pas de travail, comment vous faites ? Il y a ce type de choses, et il y a aussi les gens qui se suicident parce qu’avec un surveillant ça se passe mal. L’un et l’autre se prennent en grippe et ça suffit à rendre une vie absolument impossible. J’ai déjà rencontré des vies comme ça. Donc, le suicide, c’est une quatrième forme de résistance. Mais, je dirais, la résistance la plus banale, c’est ce que j’évoquais déjà à propos du bon élève, c’est celui qui fait le gros dos et qui attend que ça se passe. Cela s’appelle « faire le canard », c’est-à-dire laisser la pluie s’écouler sur ses plumes. A cet égard, je crois que c’est la solution que prennent la plupart des détenus, ce qui m’amène à dire que finalement à la sortie de la détention – parce que tout le monde finit par sortir, ce que beaucoup de nos concitoyens semblent ignorer – il y a au fond deux types de personnes : ceux qui sont broyés pour longtemps, et puis la minorité de ceux qui sont révoltés et qui font payer à la société le mal dont ils pensent qu’elle les a gratifiés. Il y a au fond ces deux résultats. Il y a quelques miraculés, je reviens sur ce terme, qui réussissent à construire une vie nouvelle en détention, à passer un diplôme, un CAP, même quelquefois plus, qui se font de vrais amis. Mais c’est quand même la très petite minorité. En prison, on souffre et par conséquent il faut s’adapter comme on peut, et s’adapter comme on peut, c’est vivre une vie un peu infrahumaine. Pardon de ces mots forts, mais je ne crois pas les exagérer.

Because another form of resistance, is of course, the attack on one’s own body. It is well known that France has one of the highest suicide rates among inmates of all the European countries. There are roughly a good 100 suicides in detention per year among 65,000 inmates. As I mentioned, there are many suicides during the weeks immediately following arrival. There are also many suicides in the disciplinary quarters, and there are also many more attempted suicides. Without having very exact statistics on this point, I believe it would not be an exaggeration to say that there are roughly 10 attempted suicides for every successful suicide. This means that there are approximately 1,000 attempted suicides per year for 65,000 inmates. This is already considerable, even if a single individual makes numerous attempts, this is still a lot. These suicides simply arise from the inability to affirm oneself as a human being in that place, in that particular life, dealing with fellow inmates, for example, because one has incurred debts that can’t be repaid, and in this case, there are impossible troubles that occur. If you’re addicted to cocaine, for example, and absolutely need cocaine, someone will give it to you but you will absolutely have to pay for it some day, and if you don’t have a job, what are you going to do? There are these types of things, and there are also people who kill themselves because things are going badly with a guard. They begin to despise each other and that’s enough to make a life absolutely impossible. I have encountered situations like that. So, suicide is the fourth form of resistance. But, I would say that the most commonplace form of existence is what I mentioned earlier with regard to the good student, the one who works hard and waits for it to be over. It’s called “playing duck”, meaning to let it roll like water off a duck’s back. In this regard, I think it’s the solution most inmates choose which leads me to say that finally, leaving detention – because everyone ends up getting out, which many of our fellow citizens don’t know – there are basically two types of people: those who are crushed for a long time, and then a minority of those who are outraged and make society pay for the difficulty society has handed them. Basically, these are the two outcomes. There are a few miraculous cases, I’m using this expression again, who manage to build a new life in detention, earn a diploma, a vocational certificate, or at times who even make genuine friends. But these are a very small minority. In prison, you suffer and accordingly, you have to cope however you can, and coping however you can means living a life that is a bit infrahuman. Pardon these strong words but I don’t think I’m exaggerating.

 

 

2 avr 2015

 

 

JSSJ : Ce que vous dites est terrible, car on voit une prison qui cherche beaucoup plus à punir qu’à réinsérer.

JSSJ: What you’re saying is terrible, because it portrays a prison that is more intent on punishing than on reintegration.

JMD : Oui, depuis 1945, un objectif officiel de la prison, c’est la réinsertion. C’était dans le cadre des grandes réformes de la prison qui ont été faites à ce moment-là. Vous savez qu’on sortait de l’Occupation et beaucoup de Résistants avaient été incarcérés, ils ont connu la prison et par conséquent ont voulu la réformer. Mais en réalité cette dimension de réinsertion des détenus a toujours été secondaire et je voudrais vous en donner une illustration frappante. Au fond, il ne faut pas tellement poser la question de façon abstraite. Il faut demander quelle est la vision qu’ont les personnels pénitentiaires du devenir des personnes dont ils ont la garde. Je crois que cette vision est extrêmement simple et qu’elle tient en deux termes : 1- les empêcher de mourir ; 2- les empêcher de s’évader. Je raconte souvent avoir discuté un jour avec un officier, chef de bâtiment, dans une prison pas très loin d’ici, une grande maison d’arrêt. Il me disait ceci :

JMD: Yes, since 1945, an official objective of prison has been reintegration. It was in the framework documents of the major prison reforms that were made at that time. You know that we were coming out of the Occupation and many Resistance fighters had been incarcerated. They came to know prison and as a result, wanted to reform it. But in reality, the aspect of reintegration of inmates has always been secondary and I would like to give you a striking example of this. Basically, the question should not be asked in the abstract. What should be asked is what vision does the penitentiary staff have of the future of the individuals in their keeping. I believe that this vision is extremely simple and that it can be summed up in two terms: 1 – keep them from dying; 2 – keep them from escaping. I often tell about having a discussion one day with an officer, head of a building, in a prison not very far from here, a large remand prison. He told me this:

« Moi, quand j’arrive le matin au travail et quand je vois une voiture de pompier devant la porte, alors pour moi c’est une journée très mauvaise et je la commence mal car je sais qu’il s’est passé quelque chose de grave pendant la nuit. Je n’aime pas ça. Quand je ne vois pas de voiture de pompier devant la porte, je suis tout content et ma journée commence bien. »

Personally, when I arrive at work in the morning and see a fire truck outside the door, it’s a very bad day for me and it starts off bad because I know something serious has happened during the night. I don’t like this. When I don’t see a fire truck outside the door, I’m happy as can be and my day starts off well.”

Il voulait dire : « Ma mission à moi, c’est d’empêcher que les gens se passent la corde au cou et puis si ça se passe bien, tant mieux ». Mais il y a une autre mission, c’est d’empêcher les gens de s’évader, et pour cela, il faut employer des moyens en général surdimensionnés par rapport au risque réel. Mais on comprend très bien le surveillant qui a la charge du détenu, il sait que s’il y a une évasion qui se passe et dont il est responsable, il portera cela tout le restant de sa vie professionnelle. Et donc il va avoir une sanction absolument gravissime par rapport à la gravité intrinsèque de l’acte. Ils prennent donc de multiples précautions pour faire en sorte qu’ils ne s’évadent pas. En dehors de cela, quand ils ont accompli ces deux objectifs, eh bien je crois que les objectifs professionnels sont remplis.

He meant: “My personal mission is to keep people from hanging themselves and then, if things go well, so much the better.” But there is another mission and that’s to keep people from escaping, and for this, it is usually necessary to use means that are disproportionate to the actual risk. But we also understand very well the guard who is responsible for the inmate. The guard knows that if there is an escape and he is responsible for it, he’ll carry that with him for the rest of his professional life. And thus he will receive a punishment that will be very severe compared to the intrinsic seriousness of the act. So they take multiple precautions so that there are no escapes. Outside of that, when they have achieved these two objectives, well, I think the professional objectives have been met.

La réinsertion, ce sont des personnels spécifiques qui s’en occupent, des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP), qui sont des personnels un peu équivalents des travailleurs sociaux en prison, destinés d’une part à aider les juges à prononcer les aménagements de peine dont nous avons déjà parlé et, d’autre part, à préparer la sortie des détenus. Il se trouve que, de plus en plus, ils sont attirés vers l’aménagement de peines, vers des tâches en quelque sorte d’auxiliaire de justice du juge d’application des peines, qui sont plus valorisantes, et de moins en moins vers des tâches de préparation à la sortie qui sont très astreignantes, parce qu'elles impliquent beaucoup de contacts avec l’extérieur et beaucoup de compétences que ces travailleurs sociaux n’ont plus guère, parce la législation sociale change sans arrêt, parce qu’ils sont confinés dans la prison, parce qu’ils ne sont pas des vrais travailleurs sociaux, comme je vous l’indiquais tout à l’heure. Cette partie de la tâche n’est pas très enrichissante pour eux et puis s’y ajoute ce trait essentiel que nos concitoyens ne savent pas assez, c’est que la plupart des peines de prison sont extrêmement courtes. Faut-il rappeler à ceux qui nous regardent que la durée moyenne d’un emprisonnement aujourd’hui, toutes catégories confondues (prévenus longue peine, courte peine, moyenne peine), c’est 11 mois et rien de plus. La question, c’est alors : « Que voulez-vous faire pour quelqu’un sans qualification, sans logement… en 6 mois de peine ? ». Autrement dit, matériellement, c’est une tâche absolument impossible. Par conséquent, la mission de réinsertion qui est assignée à la prison depuis bien longtemps donne des résultats assez faibles, même si, encore une fois, il y a des gens qui arrivent à s’en sortir. Mais, comment est-ce qu’on se sort de la délinquance ? La réponse reste essentiellement la famille et non pas la prison. Autrement dit, plus la famille a des revenus, plus elle est proche de celui qui sort de prison, plus celui-ci aura de chances de s’en sortir. Et du seul fait de l’aide qu’il aura reçue en prison, ses chances sont très minimes.

With regard to reintegration, there is specific staff that looks after this, the ‘integration and probation prison councillors’ (CPIP). They are rather like social workers in prison. On the one hand, they assist judges in ordering the early releases we have already spoken about, and on the other, prepare the inmates to leave. Increasingly, we find that they are drawn toward early releases, towards tasks that are somewhat the work of the officer of the court of the sentencing judge, which are more fulfilling, and less and less towards tasks in preparation to leave, which are very exacting because they involve a great deal of contact with the outside and many skills that these social workers scarcely have because social legislation changes endlessly, they are confined to the prison, and they aren’t real social workers, as I just mentioned. This part of the job is not very fulfilling for them, and add to that this fundamental aspect of which fellow citizens are pretty much unaware, and that is that most prison sentences are extremely short. Our readers should be reminded that the average length of imprisonment today, all categories combined (those awaiting trial, and long-, short- and medium-length sentences), is 11 months, that’s it. The question is, then: “What do you want to do for someone without qualifications, or without housing during a 6 month sentence?” In other words, materially, it’s an absolutely impossible task. Accordingly, the reintegration mission that was assigned to the prison a very long time ago gives pretty weak results, even if, once again, there are people who manage to make it. But, how does one get out of delinquency? The answer remains mainly the family, not prison. In other words, the better off the family is, the closer the family is to the person coming out of prison, the greater his chances of making it. On the sole basis of the help he’ll get in prison, his chances are quite minimal.

JSSJ : D’autant plus qu’il y a pas mal de familles qui laissent tomber les détenus…

JSSJ: Especially since there are a fair number of families who abandon inmates …

JMD : Oui, d’abord parce que les trajectoires familiales des délinquants sont un peu plus chahutées que les nôtres. Il y a eu une étude développée là-dessus il y a 16 ans, en 1999, qui malheureusement n’a pas été recommencée depuis, mais ce sont des trajectoires familiales très chahutées. Beaucoup plus de séparations que dans les autres familles et puis, en effet, ce sont des gens jeunes, dont les liens conjugaux sont en général récents, dont les charges de familles sont peu développées et il y a beaucoup de ruptures conjugales qui tiennent simplement à la vie carcérale. Avec ce détail tragique d’ailleurs, enfin que personnellement je trouve tragique, c’est qu’il y a une inégale répartition des genres, des sexes, plutôt, en la matière, puisque les femmes viennent beaucoup plus souvent voir les hommes en détention que les hommes ne viennent voir les femmes, qui sont détenues à 3,5%. Et il y a beaucoup plus d’hommes qui rompent avec leur femme détenue que de femmes qui rompent avec leur homme détenu. C’est comme ça, la vie est faite de ces différences. Mais c’est vrai que la rupture des liens est quelque chose de très fréquent. Cela dépend beaucoup des solidarités familiales : par exemple, je pense qu’il y a certaines cultures qui admettent plus facilement la faute. Mais il y a beaucoup de gens qui rompent en effet du simple fait de l’emprisonnement. Donc des liens familiaux distendus avant, et dont la détention accroit encore l’écart.

JMD: Yes, firstly because the family lives of delinquents are a bit messier than yours and mine. A study was developed on that 16 years ago, in 1999, which unfortunately was not started again since, but the family lives are very chaotic. There are many more separations than in other families and in fact, these are young people whose conjugal ties are generally recent, with little sense of family responsibility, and many marriages break up quite simply as the result of prison life. This detail which I personally find tragic, is unequally distributed among genders, sexes rather, because the women come much more often to see the men in detention than the men come to see the women, who account for 3.5% of inmates. And a great many more men break up with their wife who is in prison than there are women who break up with their man who is in prison. That’s the way it is, life is made of these differences. But it’s true that the breaking of ties is very frequent. This depends a great deal on family solidarity. For example, I think that certain cultures allow error more easily. But there are many people who cut ties due to the simple fact of imprisonment. So, prison increases the strain on family ties that were already under strain before.

JSSJ : Vous avez dit à plusieurs reprises que la population carcérale était dans une immense proportion masculine, c’est quelque chose que l’on sait, mais qui reste quand même énigmatique à expliquer.

JSSJ: You have said several times that the prison population is overwhelmingly male, which we know, but is still puzzling to explain.

JMD : Oui, bien sûr. C’est un phénomène quasi universel. Nous avons 3,5% de détenues, donc à peu près 2500 femmes détenues en moyenne dans ce pays. Il y a des pays où la part est un peu plus élevée, ça peut aller jusqu’à 10%, un peu plus, mais ce n’est jamais la majorité, de très loin, des détenus. Et que ce soit au Paraguay ou en Birmanie, c’est la même chose. Je suis incapable de dire pourquoi, sauf à dire des généralités de café du commerce du type : les femmes ont d’autres manières de régler leurs conflits que les hommes. Donc je rêve d’une société de femmes mais malheureusement, c’est un peu difficile à réaliser.

JMD: Yes, of course. This phenomenon is almost universal. In this country, 3.5% of inmates are female, so about 2,500. There are countries where the female percentage is a bit higher, up to 10%, or a bit more, but it’s never the majority of inmates, far from it. And whether it’s Paraguay or Burma, it’s the same thing. I can’t say why except for the usual generalities like women have different ways from men for settling their disputes. So, I dream about a society of women but unfortunately, that would be a bit difficult to turn into reality.

 

 

2 avr 2015

 

 

JSSJ : C’est vrai que cela reste quelque chose qui pose question. Dans la prolongation de ce que vous dites, on avait une question sur les inégalités entre détenus. D’un côté, si l’on pense abstraitement, on a l’impression d’un citoyen universel, d’une justice impartiale, etc. Et, en même temps, quand on regarde qui est en prison : on a massivement des hommes, surtout jeunes, très peu qualifiés, venant – selon une enquête INSEE – de familles plutôt nombreuses… Donc, c’est vraiment un segment de la société qui est très représenté. Premier point. Et le deuxième point, vous l’avez résumé, une bonne journée en détention, c’est une journée où il ne se passe rien. Sauf que, selon qui on est, il peut se passer des choses… Juste quelques exemples : si l’on est mère d’un enfant, incarcérée, c’est différent que si l’on est mère sans enfant, si l’on est riche ou pauvre, si l’on est travesti ou pas, si l’on est musulman ou pas, si l’on parle français ou pas, si l’on est de nationalité française ou pas… Donc, une question sur les inégalités à l’intérieur de la prison et sur ce qu’elles disent du fonctionnement de la justice de manière très concrète.

JSSJ: It’s true that remains something curious. In an extension of what you are saying, we had a question on the inequalities between inmates. On the one hand, if we think in the abstract, the impression is one of a universal citizen, and impartial justice, etc. And at the same time, when we look at who is in prison, the vast majority is men, especially young men, with very few qualifications, and according to an INSEE survey, from fairly large families. So really, one segment of society is highly represented. First point. And the second point, you summed it up: a good day in detention is a day when nothing has happened. Except, depending on who you are, things can happen. Just a few examples: If you’re the mother of a child, and incarcerated, it’s different from being a woman without children, if you’re rich or poor, if you’re a cross-dresser or not, if you’re a Moslem or not, if you speak French or not, if you’re a French citizen or not… So, it’s a question on the inequalities inside the prison and what these inequalities very concretely say about how justice functions.

JMD : Sur ce point, il y a en effet l’apparence, que vous avez évoquée, et puis il y a la réalité. L’apparence c’est l’uniformité : je vous rappelle qu’il n’y a pas si longtemps, on avait encore un uniforme en prison, qu’on appelait le droguet, de façon péjorative, auquel on a renoncé dans les années 70, mais 1970 ce n’est pas si vieux après tout. Donc il y avait là très clairement une volonté d’uniformiser, d’une même façon qu’il y avait aussi, faut-il le rappeler, les uniformes dans les écoles, etc. Aujourd’hui, le droguet n’existe plus, même si la plupart des détenus sont habillés pareils avec un pantalon de survêtement, des tennis comme on dit pour ne pas citer de marque et puis des T-shirts. C’est à peu près « l’uniforme consenti » des détenus. En réalité, derrière cette uniformité, vous l’avez dit, il y a des très grandes différences. Et l’on pourrait soutenir, je crois, en tout cas c’est mon point de vue, qu’il n’y a pas de monde plus inégalitaire que celui de la prison. A cela, plusieurs raisons. En gros, les raisons antérieures à la prison, les raisons qui tiennent au fonctionnement de la justice et les raisons qui tiennent à l’organisation de la prison elle-même. La vie antérieure à la prison c’est, comme on le sait, que la délinquance, et surtout le type de délinquance qui conduit à la prison, n’est pas uniformément répartie dans les classes sociales. Par conséquent, la délinquance qui tient aux mauvaises conditions sociales - on va dire les choses comme cela - conduit plus facilement en prison que, évidemment, ceux qui sont largement pourvus par l’existence. Il faut quand même nuancer le propos, depuis une quarantaine d’années, il y a des infractions qui sont punies de prison qu’on ne poursuivait pas dans les années 60 ou 70 du dernier siècle, qu’on poursuit désormais. Les deux exemples classiques sont d’une part les violences ou les agressions sexuelles intrafamiliales, dont on sait qu’elles sont partagées dans tous les milieux sociaux, et par conséquent qui amènent en prison des gens d’une part nettement plus âgés que la moyenne et d’autre part des gens de condition sociale pas nécessairement modeste. Et puis il y a, d’autre part, ce que l’on appelle la délinquance routière, qui conduit en prison immanquablement des gens jugés responsables par le juge d’accidents mortels de la route. Ce qui me permet de dire à tous les auditoires que je rencontre, et je me permets de répéter cette antienne, que n’importe qui peut aller en prison. Ce n’est pas réservé à des gens qui auraient le mal en eux, comme on le croit spontanément. Et si moi, en sortant d’ici, je provoque un accident grave, je serais puni de 18 mois de prison. Cela introduit des variations un peu plus fortes dans les origines sociales que dans le passé. Et inversement, par exemple, il y a beaucoup moins de détentions aujourd’hui pour des vols simples qu’il n’y en avait il y a 50 ans. En d’autres termes, pour résumer mon propos – je dirais qu’il y a 50 ans on punissait beaucoup plus les atteintes aux biens et désormais on punit beaucoup plus les atteintes aux personnes. Cela contribue donc à élargir un tout petit peu le panel social. Mais le panel reste quand même massivement dominé par les gens des classes populaires pour les raisons qui tiennent à leurs origines sociales.

JMD: On this point, there is in fact the appearance, which you have touched on, and then there is reality. The appearance is uniformity. I would remind you that not so long ago, there were still uniforms in prison, pejoratively called the “drugget” and which was done away with in the 1970s. But 1970 isn’t all that long ago, after all. So, there was very clearly a wish to standardize, just as there were also school uniforms, if you recall, etc. Today, the “drugget” no longer exists, even if most inmates dress the same in track pants, running shoes, not to cite any brand, and T-shirts. This is more or less the prisoners’ “agreed to uniform”. In reality, behind this uniformity, as you said, there are some very great differences. And one could maintain, I believe, and at any rate, this is my opinion, that there is no more inegalitarian world than prison. There are a number of reasons for this. Roughly, the reasons behind prison, the reasons arising from the functioning of justice and the reasons arising from the organization of the prison itself. Life prior to prison is, as we know, delinquency, and delinquency, especially of the type that leads to prison, is not uniformly distributed among the social classes. Accordingly, individuals growing up in poor social conditions – shall we say – are more likely to commit acts of delinquency leading to prison than, obviously, individuals who have grown up with their basic needs being met. The remark must however, be nuanced. For about the last forty years, there are violations that are punished by prison that were not prosecuted in the 1960s or 70s and that are prosecuted now. The two classic examples are on the one hand, domestic violence or domestic sexual violence, which we know exist in every social setting, and accordingly result in people being sent to prison who are on the one hand clearly older than the average, and on the other, people who are not necessarily from modest social backgrounds. And then, there is what is called dangerous driving which inevitably sends individuals to prison who are deemed responsible by the judge for fatal roadway accidents. Which makes it possible for me to tell all listeners that I meet, and I take the opportunity to repeat the same refrain: anybody can go to prison. It’s not just for ‘bad people’, which is the automatic thought. If I cause a serious accident when I leave here, I will be sentenced to 18 months in prison. This introduces greater social diversity than in the past. And conversely, for example, there are a great deal fewer detentions today for petty theft than there were 50 years ago. In other words, to summarize my remark – I would say that 50 years ago, property crimes were punished much more, and now crimes against people are punished more. So, this helps to expand the social spectrum a bit. But the range remains nonetheless greatly dominated by the lower classes for reasons arising from their social background.

Le deuxième facteur tient à l’organisation de la justice. Sur l’organisation de la justice naturellement, les juges fonctionnent encore – je l’espère– dans ce pays avec relativement d’impartialité. Il n’empêche que suivant qu’on est fortuné ou pas, on aura recours à des avocats qui vont être de qualité, d’influence et de poids et d’intérêt inégal. La plupart, même quasiment tous les détenus que j’ai rencontrés, que j’ai interrogés, avec lesquels nous avons conversé et correspondu, se plaignent toujours du sentiment qu’ils ont eu de ne pas avoir été défendus à l’audience. A tort ou à raison naturellement, c’est l’idée qu’ils s’en font. Mais je crois que cette idée n’est pas infondée dans beaucoup de cas. La plupart d’entre eux sont là à la suite de délits correctionnels, sur des procédures souvent de comparution immédiate. Et on sait bien que la défense dans une séance de comparution immédiate, c’est un entretien avec un avocat dans un couloir, une demi-heure avant l’audience, pendant 10 minutes. Autrement dit, la défense va être articulée dans ce cas-là vers la personnalité du détenu : « pauvre hère qui ne mérite pas tout ce que les juges ont envie de lui faire et puis avec des conditions de vie qui sont si terribles qu’il ne pouvait pas faire autrement »…, Evidemment, si vous avez un maître du barreau qui va s’occuper de votre dossier pendant des journées et des journées, des semaines entières, qui va y mettre trois collaborateurs et qui va s’entretenir avec vous dix fois, la plaidoirie ne sera pas la même. Et donc je crois, je l’ai dit à plusieurs reprises, qu’il y a dans ce pays, malgré les efforts que fait la justice, un accès très inégalitaire encore aux conditions de la défense.

The second factor arises from the organization of justice. In this country, judges still – I hope – function with relative impartiality with regard to the organization of justice. This does not prevent the quality, influence, substance and interest of the lawyer you have access to from being unequal, depending on your means. Most, even nearly all, of the inmates that I have met with, that I have questioned, with whom we have conversed and corresponded, always complain of having the feeling that they were not defended at the hearing. Rightly or wrongly, this is how they feel. But I believe that in many cases, this idea is not unfounded. Most of them are there as the result of misdemeanours, procedures for which there is an immediate summons. And it’s well known that defense in an immediate summons is a 10 minute meeting with a lawyer in a hallway half an hour before the hearing. In other words, in these cases the defense will be connected to the inmate’s personality: “a poor wretch who does not deserve everything the judges would like to do to him and whose living conditions are so bad that it was the only thing he could do”, etc. Obviously, if you have a lawyer looking after your case for days on end, entire weeks, who brings in three colleagues and who meets with you ten times, the oral argument is not going to be the same. And so I believe, and I’ve said so many times, that despite the efforts justice makes, in this country access to defense is still very unequal.

Et puis, la troisième chose qui en rajoute, ce sont les conditions de vie à l’intérieur de la prison. La prison d’abord organise entre codétenus une solide ségrégation sociale, qui se fonde sur le motif de détention. Il est évident que plus on est du côté des braqueurs – on va dire –, surtout lorsque ces braquages n’ont donné lieu à aucune effusion de sang, plus on est avec une étiquette de « Robin des bois » moderne à l’égard d’une société que l’on n’aime pas, par conséquent plus haut sera le prestige. Et puis vous avez au contraire, en bas de l’échelle, ceux qu’on appelle les « pointeurs », les agresseurs sexuels, et encore en-dessous les malheureuses mamans qui ont commis des infanticides, qui vivent alors l’enfer sur terre.

And the third factor is the living conditions inside the prison. Firstly, there is a strict social segregation in prison among the inmates based on the reason for their detention. Clearly armed robbers are at the top of the heap with the highest prestige in prison accorded to the modern-day “Robin Hoods” – especially if no blood was spilled during the robbery, a crime against a society for which no love is lost. Then at the opposite end, on the lowest rung of the ladder, are those serving long sentences for sex crimes, and lower still are the unfortunate mothers who have murdered their children, who experience hell on earth.

Donc il y a toute une espèce d’échelle sociale, puisque la première question qu’on vous pose à la première entrée en cellule, puis à la première promenade, c’est : « T’es là pour quoi, toi ? ». Il s’agit de positionner la personne sur l’échelle sociale qui correspond aux valeurs du commun de la détention. Puis, il y a des différences de fortunes, qui sont considérables. La plupart des détenus n’ont que très peu de ressources – nous nous sommes livrés dans nos rapports à des études de comptes nominatifs de détenus qui donnent des chiffres là-dessus très précis –, mais il y en a quelques-uns qui ont soit des aides plus importantes de leur famille pour diverses raisons, – ils sont très peu nombreux –, soit des revenus illégaux, dont ils continuent de profiter sous une forme ou sous une autre en détention. Et, pour caricaturer, je dirais qu’on a vu des réveillons en cellule avec champagne et foie gras. Que ceux qui nous regardent ne croient pas que c’est le commun de la détention. Je cite cela comme exemple pour dire qu’il y a des gens extrêmement riches qui représentent à peu près 1% de la détention. Ces gens-là évidemment vont peser sur les autres. Ils vont modeler la vie des autres. Ceux qui ont à la fois du prestige et de l’argent vont pouvoir s’acheter des biens à l’extérieur, ce qu’on appelle la « cantine » (une espèce d’épicerie sur catalogue par laquelle on fait venir des pâtes, de la viande, enfin pas de la viande puisque maintenant on ne veut plus de produits périssables, mais un peu de café, des cigarettes et tout ce genre de choses). Ce qui ont de l’argent achètent, et ils vont rémunérer, enfin en donner aux autres de ces biens-là, moyennant évidemment contrepartie. La contrepartie classique, c’est assurer la protection de ces gens qui ont de l’argent. Et comment ? En faisant pour eux des choses illicites. Par exemple le transport de drogue ou camoufler un téléphone portable, lequel est interdit en détention, faut-il le rappeler, dans leur propre cellule et pas dans la cellule du propriétaire du téléphone. Donc cela, c’est du classique, et les gens qui ont de l’argent ont donc un instrument très facile de domination sur autrui qui redouble les effets inégalitaires. Voilà pourquoi je crois que la question du travail est absolument décisive en détention parce le travail, c’est d’abord une occasion de gagner de l’argent. Nous avions calculé en 2011, cela n’a pas changé depuis, sauf plutôt à rebours, que 27,8% des détenus étaient au travail. La quasi-totalité d’entre eux n’avait qu’un seul désir, c’était celui de pouvoir travailler, pour de multiples raisons, mais dont l’essentiel c’était de gagner de l’argent. Gagner de l’argent, cela veut dire s’émanciper un tant soit peu de ceux qui en ont et qui autrement vous tiennent sous leur coupe. Cette société carcérale est une société qui, en dépit des apparences, reste aujourd’hui d’une inégalité très forte. Et, si j’avais le temps, je dirais simplement qu’on ne comprend rien à la détention si on ne comprend pas la dialectique entre l’uniformité et la singularité. Je crois qu’il y a des moments où pour le surveillant, ou le personnel en général, on a intérêt à singulariser les gens. Vous l’avez dit tout à l’heure : ceux qui ont la nationalité française, ceux qui sont pensés terroristes, etc. Et puis il y a des moments, au contraire, où il faut uniformiser le régime. Par exemple, quand il faut sortir quelqu’un pour l’amener à l’hôpital, on va mettre les chaines aux pieds et les menottes aux mains de tout le monde, quel que soit le degré de risque d’évasion. Cette dialectique entre la variété, la singularité, et le traitement uniforme, c’est au fondement même du fonctionnement de la vie carcérale.

So there is an entire social scale, as the first question you’re asked the first time you enter your cell is “What’re you in for?” This is for placing the person on the social scale according to the values of detention. Then there are quite considerable differences in wealth. Most inmates have very few resources – we’ve studied bank accounts held in the names of inmates which give very accurate figures about this – but there are some who either have greater assistance from the families for various reasons – their numbers are very small – or those who have illegal revenues which they continue to take advantage of in one form or another in detention. And, I’m being simplistic here, but I would say that there have been Christmas Eve parties in the cells with champagne and foie gras. Our readers should by no means think that this is usual in detention. I mention this by way of example to say that there are some extremely wealthy people who represent about 1% of prisoners. These people obviously are going to have an influence over the others. They are going to shape the lives of the others. Those who have both prestige and money will be able to buy goods from the outside, what’s called the “canteen” (a type of mail order grocery store where you can get pasta, meat, well, not meat because they don’t want perishables coming in now, but a bit of coffee, cigarettes and all sort of this type of thing). Those who have money buy, and they will pay the others using these goods in a form of bartering. The classic trade is providing protection to the people with money. And how? By doing illicit things for them. For example, transporting drugs or hiding a cell phone for them in their own cell, instead of in the phone owner’s cell – having cell phones is prohibited in detention, you must remember. So, it’s classic, the people with money have a very easy means for dominating the others which doubles the effects of social and economic disparity. That is why, I believe, the question of work is absolutely crucial in detention because work is firstly an opportunity to earn money. In 2011 we calculated that only 27.8% of inmates worked and that hasn’t changed unless it has gone down. Nearly all of them had one wish only and that was to be able to work, for a multitude of reasons, but mainly it was to earn money. Earning money means freeing yourself even a little from those holding you under their thumb. This prison society is a society that despite appearances, is marked by tremendous inequality. And if I had time, I would simply say that if you don’t understand the dialectic between uniformity and peculiarity, you don’t understand a thing about detention. I think there are times when it’s in the interest of the guard, or staff in general, to single someone out. You just mentioned it: those who are of French nationality and those who are thought to be terrorists, etc. Then conversely, there are other times when the system has to be standardized. For example, when someone has to be taken out to go to the hospital, everyone is going to be shackled and handcuffed, regardless of the degree of risk for escape. This dialectic between variety, peculiarity and standard treatment is at the very foundation of how prison life functions.

 

 

2 avr 2015

 

 

JSSJ : Parmi les inégalités, ou plutôt les différences, c’est peut-être le terme le plus adéquat, on voulait vous interroger notamment sur le problème des mineurs. Cela ne concerne pas que les établissements pour les mineurs, ni que les quartiers mineurs en détention, puisqu’il faut aussi considérer les centres éducatifs fermés. D’un côté, on a affaire à l’incarcération de mineurs, à la catégorie des mineurs, et d’un autre, la réforme Amor de 1945, que vous évoquiez, semble bien loin : on défendait l’idée que l’éducation passerait avant la sanction. On aimerait avoir votre éclairage sur cette catégorie spécifique des mineurs.

JSSJ: Among the inequalities, or perhaps differences is the more appropriate term, we particularly wanted to ask you about the problem of minors. This isn’t just involving facilities for minors, or minors’ quarters in detention; closed educational facilities also have to be taken into account. On the one hand, we’re dealing with the incarceration of minors, as minors, and on the other, the 1945 Amor reform, which you mentioned, seems quite something else where the idea of education getting precedence over punishment was defended. What light can you shed on the specific category of minors?

JMD : Il y a relativement peu de mineurs incarcérés en France et cela, on le doit à la vertu des magistrats. On n’a pas cessé depuis des décennies de nous raconter que la délinquance juvénile était en explosion. Or, depuis des décennies, le nombre de mineurs incarcérés reste toujours compris en gros entre 600 et 800 chaque année. Les magistrats ne se sont pas laissés influencer par le discours ambiant. La totalité d’entre eux, je crois, reste persuadée que la prison est une solution vraiment de dernier recours, dans laquelle on n’envoie pas les gens sans des risques considérables. Il y a donc cette espèce de retenue. Et j’en déduirais simplement ceci, c’est que la réforme que vous évoquez et singulièrement l’ordonnance du 2 février 1945 qui a posé en effet le principe que pour des enfants – je persiste à dire enfants plutôt que mineurs, après tout, c’est plus clair – pour des enfants, l’éducation vaut mieux que la prison. Ce principe-là, je crois, reste encore vrai en France aujourd’hui, malgré les efforts qui ont été faits pour remettre en cause ce principe à de multiples reprises, notamment encore sous des gouvernements pas si vieux que ça. Ça reste le principe, même si on a varié en effet – vous y avez fait allusion – les modalités éducatives. On a été jusqu’à créer en 2002 une modalité d’éducation fermée qu’on appelle les centres éducatifs fermés, qui étaient destinés au départ – en tous cas dans l’intention du ministre qui a présenté ce projet, qui était Dominique Perben – à cette espèce de délinquants très particulière que sont les délinquants multirécidivistes, comme on dit dans le jargon. C’est-à-dire ceux qui commettent de multiples petits larcins, sans vraiment qu’il soit possible de les envoyer en prison. La réalité a montré que ce calcul n’a pas eu lieu. C’est-à-dire que se sont retrouvés dans les centres éducatifs fermés des gens que les juges pour enfants envoyaient parce qu’ils considéraient que c’était en quelque sorte une étape avant la prison qu’il fallait éviter. Et on trouve dans ces centres éducatifs fermés non seulement les délinquants multirécidivistes que j’évoquais il y a un instant, mais aussi des auteurs de crimes graves qu’on n’a pas voulu, pour des raisons diverses, envoyer en prison. Je me souviens avoir inauguré – c’est la seule fois où je l’ai fait, je n’ai plus recommencé – un centre éducatif fermé en compagnie d’un Président de la République qui a rencontré de façon un peu inattendue et sur un mode très agressif, je parle de l’enfant, un enfant qui était là pour viol aggravé. On a mélangé en réalité dans ces centres éducatifs fermés des enfants de nature très différente, ce qui n’a pas aidé à leur réussite, il faut bien le dire. Mais la prison pour enfant reste une exception. J’ajoute que la prison pour enfants a été une occasion de réflexion comme il ne s’en est pas produit depuis la guerre. J’évoquais tout à l’heure les prisons classiques, dont les plans n’ont pas été revus de fond en comble, en tout cas n’ont pas été accompagnés d’une réflexion sur ce qu’est l’incarcération aujourd’hui. Eh bien, cela s’est fait pour les enfants, et on a conçu également en 2002 les établissements pour mineurs. Ce sont des établissements pénitentiaires que l’on a voulu différents des autres et notamment des traditionnels quartiers de mineurs que vous évoquiez, qui sont des quartiers spécialement dévolus aux mineurs dans les maisons d’arrêt traditionnelles. Il n’y a pas de quartiers de mineurs dans les établissements pour peine, Dieu merci ! Ces établissements pour mineurs ont été conçus vraiment de façon originale comme quelque chose qui n’existait pas en France et qu’il fallait bâtir. Ils ont été conçus avec deux idées directrices qui à mon avis sont partiellement fondées, partiellement erronées. La première, c’était qu’il fallait continuer à faire œuvre éducative en prison, et donc on a associé l’Education Nationale de près au fonctionnement de ces établissements. Et puis la deuxième, que je trouve beaucoup plus contestable, c’est qu’on a craint absolument l’inactivité ou l’oisiveté – mère de tous les vices, comme on le sait… – de ces enfants ! Donc, on s’est employé à les activer, à les sur-activer pendant toute la journée, de 7h du matin à 7h du soir, de crainte qu’ils ne s’ennuient et ne fassent des bêtises. Et cela, je crois que c’est un très mauvais calcul, car l’adolescent a aussi besoin de rêver, de s’asseoir ou de s’étendre sur un lit… Ces établissements sont de qualité inégale. Les uns fonctionnent plutôt bien avec des enfants très difficiles, il faut bien le reconnaitre. Et les autres, pas bien du tout, parce que la trilogie – pénitentiaire / service social, on va dire (c’est-à-dire conseiller pénitentiaire d’insertion) / Education Nationale – n’a pas bien fonctionné. Je pense à l’un d’entre eux en particulier, où dans les premières années de fonctionnement, il y a eu un suicide de gamin qui était dû sans nul doute à une mauvaise prise en charge de cette personne, hélas. Mais quelques-uns d’entre eux ont plutôt bien réussi, malgré tout, même si l’architecture de ces lieux n’est pas toujours très facile. On y a introduit par exemple ce qu’on jamais encore introduit dans les prisons françaises : une forme de vie collective. Dans ces établissements pour mineurs, les EPM comme on les appelle, les personnes – les enfants – sont réparties en petits groupes d’une douzaine. Donc, dans ces établissements qui comptent à peu près 60 places – mais on les remplit rarement, parce que c’est intenable à 60 –, on a quatre ou cinq groupes d’une douzaine d’enfants, quelquefois mixtes – mais c’est très rare, on s’est aperçu que cela apportait plus d’inconvénients que d’avantages –, sous la responsabilité d’un surveillant qui les connait bien et d’un conseiller pénitentiaire. Et, quelquefois, ça marche plutôt bien. Ce qu’on ne sait pas, comme d’ailleurs pour les centres éducatifs fermés, c’est le devenir à long terme de ces enfants. Quand nous avons visité ces établissements, nous nous sommes inquiétés de cela et de savoir si les directeurs d’établissements savaient quel était au fond le résultat de leurs efforts. Aucun d’entre eux n’a été capable de nous le dire. Je me souviens de cette espèce de triste aveu d’un directeur d’établissement de centre éducatif fermé, à qui je demandais ce qui était arrivé aux enfants qu’ils avaient hébergés pendant 6 mois ou davantage, et qui me répondait un peu piteusement : « Ah bien oui, des fois il y en a quelques-uns qui m’envoient des cartes postales ». Autrement dit, l’administration qui a conçu cet établissement a été incapable de mesurer s’il servait à quelque chose ou non. Ce qui est quand même un paradoxe de notre action publique, mais malheureusement ça ne se limite pas au domaine de la prison. Je dirais pour les mineurs, que l'on a encore une haute conscience de ce qu’ils sont différents des autres, et que l'on considère la prison comme un moyen qui ne doit être employé qu’avec de multiples précautions et de multiples garanties de fonctionnement. Et, sinon, l’éducation reste encore – quoi qu’on dise et quoi que certains gouvernements aient eu envie de faire –, la matrice de la sanction pénale pour les enfants.

JMD: There are relatively few minors incarcerated in France and this we owe to the virtue of the judges. For decades we were endlessly told that juvenile delinquency was exploding. Well, for decades the number of minors incarcerated remains roughly between 600 and 800 every year. The judges have not allowed themselves to be influenced by the talk going on around them. I believe that judges as a group are convinced that prison is a truly last resort solution and that people are sent there at considerable risk. So there is this sort of restraint. And I would simply infer this from it, and that is that the reform you mention, the February 2, 1945 order, put into effect the principle that education is better for children than prison. I persist in saying ‘children’ rather than ‘minors’, after all, it’s clearer. I believe that this principle is still true in France today despite the efforts that have been made to challenge this principle multiple times, notably under governments not that long ago. Even if there have been changes, the principle remains the same. You alluded to it – educational methods. In 2002 there was even a closed education method created called ‘closed education centres’, which were initially intended – at any rate, this was the intention of the minister who presented this plan, Dominique Perben – for a very particular type of delinquent known in legal jargon as the ‘multiple repeat offender’. Meaning, those who commit multiple petty thefts for which sending them to prison really isn’t an option. Reality has shown that this is not what happens. What I mean is that the people who ended up in the closed education centres are those who youth judges sent there because they deemed it was some sort of step before prison, which had to be avoided. So, those we find in these closed education centres are not only the multiple repeat offenders of the type I just mentioned but also those who have committed serious crimes and who, for various reasons, were not sent to prison. I recall having opened a closed education centre in the company of a President of the Republic – I remember this because it was the only time I did this, I never did it again. The President had a quite unexpected and quite aggressive encounter – I’m talking about the child – with a child who was there for aggravated rape. In reality, children of very different types are mixed in these closed education centres, which has not helped with their success, it must be said. But prison remains an exception for children. Let me add that prison for children was an opportunity for reflection like nothing that has happened since the war. I just made reference to the traditional prisons whose plans were not reviewed top to bottom or at any rate, that these reviews were not accompanied by reflection about what incarceration is today. Well, this was done for the children, and also in 2002, institutions were designed for minors. These are penitentiaries that were intended to be different from the others and notably the traditional quarters for minors that you mentioned, which are quarters especially designated for minors in traditional remand facilities. There are no quarters for minors in correctional facilities, than God! The design of these institutions for minors was really original, like nothing that existed in France and which had to be built. There were designed on two guiding principles, which in my opinion are partially sound and partially wrong. The first principle was that education had to continue in prison, and so the National Ministry of Education [Education Nationale] was brought into close association in the operation of these institutions. Then there is the second principle, which I find much more contestable, and which is the absolute fear of these children being inactive or lazy – idleness and sloth being the root of all evil, as we all know! So, effort was put into keeping them active, over-active, all day from 7 in the morning until 7 in the evening, for fear that they get bored and do something silly. And there, I think, they really missed the mark, as the teenager also needs to dream, to sit or stretch out on his bed. The institutions are of uneven quality. The one kind functions rather well with very difficult children, this has to be acknowledged. And the other, not well at all because the trilogy – penitentiary/social services (i.e. penitentiary integration councillor) /national ministry of education – has not functioned well. I’m thinking of one of them in particular, where in the early years of operation a boy committed suicide which was no doubt due to the poor handling of his case, sadly. But some of them have done rather well, despite everything, even if the architecture of these places is not always easy-going. For example, something was introduced there that has never yet been introduced in French prisons: a form of community life. In these ‘establishments for minors’, EPMs as they’re called [using the French initials], the children are divided into small groups of about a dozen. So, in these institutions for about 60 – but they’re rarely full as 60 is unbearable – there are four or five groups of a dozen children, at times mixed – this is however very rare as it was seen that this caused more problems than benefits – under the responsibility of one guard who knows them well, and a corrections councillor. And at times this works rather well. What we don’t know – and moreover the same holds true for the closed education centres – is the long-term future for these children. When we visited these institutions, we worried about that and finding out if the wardens knew basically what the outcome was of their efforts. None of them was able to tell us. I recall this sad admission of a warden of a closed education centre whom I asked what happened to the children he had sheltered for 6 months or longer and he replied somewhat sheepishly: “Ah, well, occasionally some of them send me a postcard.” In other words, the administration that designed this institution was incapable of determining whether or not it served some purpose, which is just the same, a paradox of our public action, but unfortunately, this is not limited to prisons. I would say that with regard to minors, there is still a high awareness that they are different and that prison be considered a means not to be used except with multiple precautions and multiple operational guarantees. And otherwise, education still remains – regardless of what is said and certain governments have wanted to do – the corrections system matrix for children.

 

 

2 avr 2015

 

 

JSSJ : Et enfin, si vous le permettez, il y a un autre point particulier sur lequel nous aimerions avoir votre opinion. C’est la privation de liberté pour les personnes qui, parce qu’elles sont malades mentales, ou pour d’autres raisons, doivent être (du moins, l’estime-t-on) privées de leur liberté, sans qu’il y ait eu délit ou crime. Je crois savoir que vous avez insisté pour que votre champ de compétence soit élargi à certaines de ces structures. Quel point de vue en avez-vous ? Quel est le sentiment que cela vous inspire ?

JSSJ: And finally, if you don’t mind, there is another specific point on which we would like to have your opinion. That would be the deprivation of liberty for individuals who have not committed any crime but who because they are mentally ill, or for other reasons, have to be (at least that is the feeling) deprived of their liberty. I believe that you have insisted that your jurisdiction be expanded to some of these systems. What are your thoughts about this? What inspires this feeling in you?

JMD : La loi qui a institué le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, a rangé sous son contrôle, si je puis dire, les établissements psychiatriques, en ce que ces établissements reçoivent aujourd’hui, depuis très longtemps, depuis la loi de 1838, des personnes sans leur consentement, c’est-à-dire des personnes qui sont hospitalisées contre leur gré. La loi française prévoit depuis longtemps que les personnes qui sont hors d’état de prendre conscience qu’elles doivent être soignées peuvent être internées par la volonté ou bien d’une personne de leur famille – c’est le cas notamment depuis 1990 (c’est ce qu’on appelait l’hospitalisation à la demande d’un tiers) –, ou bien, à la demande du préfet, s’il y a des raisons d’ordre public qui se posent, c’est l’hospitalisation d’office. Ce vocabulaire n’a plus cours depuis une réforme de 2011. Il y a, il faut le savoir, un très grand nombre de nos concitoyens qui sont l’objet de ces mesures, puisqu’il y a, bon an mal an, sous ce double régime – hospitalisation à la demande d’un tiers et hospitalisation d’office–, à peu près 85 000 personnes qui, chaque année, entrent à l’hôpital psychiatrique. Ou plus exactement 85 000 mesures qui sont prises sous cette double rubrique, certaines d’entre elles pouvant concerner au fil des années une seule et même personne. Mais il reste qu’il y a au moins 65 000 personnes qui entrent chaque année en hôpital psychiatrique en étant contraintes. C’est beaucoup !

JMD: The law that instituted the Contrôleur général des lieux de privation de liberté [inspector general of deprivation of liberty facilities], indeed, placed under the control of the Contrôleur général psychiatric facilities in that these institutions have, since the 1838 law, received individuals who are hospitalized without their consent, in other words, against their will. French law has long provided that individuals who are in no state to be aware that they must be cared for can be committed by a family member – this has been the case particularly since 1990 (it is what was called a third-party request for hospitalization), or, if there are law and order reasons, what is called ‘automatic hospitalization’. This terminology is no longer current since a reform in 2011. You must know that there are a great many of our fellow citizens who are subject to these measures, as year in, year out, there are approximately 85,000 individuals per year who enter psychiatric hospitals under this dual system (third-party request for hospitalization and automatic hospitalization). Or to be more exact, 85,000 actions are taken under this dual system, some of which possibly concerning the same individual over the years. But the fact remains that there are at least 65,000 individuals who are forced to go into a psychiatric hospital each year. That’s a lot!

Nous avons donc demandé, en effet, à la suite de cette compétence que nous avions, à visiter ces établissements, et nous avons constaté là que l’intérêt de ces institutions a été au fond de regarder ces personnes non plus simplement du point de vue de la maladie, comme le faisait les soignants, mais du point de vue de personnes privées de liberté et des droits dont elles avaient à bénéficier comme personnes privées de liberté. Je sais que ce rapprochement, je crois, du fait même de l’institution, a été mal perçu. J’avais pris l’habitude de réunir les associations qui œuvraient dans tout notre secteur de compétence de lieux de privations de liberté. La première fois qu’il a fallu asseoir autour de la même table ceux qui, par exemple, étaient les visiteurs de détenus et ceux qui étaient les familles de malades, ils ont trouvé que c’était un rapprochement un petit peu malséant. Et puis je crois que la réalité a fait qu’ils ont perçu, et les uns et les autres, l’intérêt qu’il y avait à aborder de façon commune certaines difficultés. Par exemple, l’accès à l’avocat qui est une difficulté commune pour les uns et pour les autres. A mes yeux, en effet, cela ne suffisait pas pour rendre compte de la réalité sociale actuelle et notamment de la réalité qui concerne beaucoup plus généralement les personnes âgées dépendantes. Elles sont, comme on le sait, de plus en plus nombreuses avec l’élévation de l’âge moyen de ce pays. Il y a aujourd’hui plusieurs centaines de milliers de personnes qui sont hébergées dans ce qu’on appelle de façon jargonnante les EHPAD, Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes. Et depuis quelques années, comme d’ailleurs les hôpitaux psychiatriques, ces EHPAD ont recours, de plus en plus fréquemment, et quasiment tous aujourd’hui, à des unités fermées, dans lesquelles sont placés des gens dont on pense qu’ils risquent de sortir de ces établissements, sans être sûr qu’ils seront en capacité de les réintégrer. Ce mouvement a été très fortement encouragé par de malheureux accidents, et auxquels les médias ont donné un grand retentissement, de personnes sorties sans qu’on s’en aperçoive et qu’on a retrouvées décédées à cause du froid, etc. Tout cela est très tragique, mais ce qui est également tragique, c’est d’enfermer plusieurs centaines de milliers de personnes, sans aucune espèce d’ordre administratif ou judiciaire, sans que ces personnes ne l’aient jamais demandé, ou même souvent sans que l’on se soit donné le mal de demander leur avis à leurs proches. Je n’entendais pas contester cette manière de faire, encore qu’elle offre une prise à contestation, mais je trouvais que le sort de ces personnes était exactement identique à ceux, ou bien malades psychiatriques, ou bien étrangers en rétention, ou bien même détenus. C’est-à-dire de personnes privées de leur liberté de fait, et très dépendantes de tiers, je l’ai dit d’emblée pour commencer notre entretien tout à l’heure, et qui n’avaient pas demandé à être là. Aujourd’hui, tous les EHPAD demandent à faire signer à la personne un papier selon lequel elles sont bien volontaires pour venir dans cet EHPAD, mais venir dans une unité fermée et y être enfermé ne fait l’objet d’aucune procédure particulière. Je trouve singulier que dans ce pays démocratique – je tiens quand même à le rappeler–, on enferme des gens par centaines de milliers aujourd’hui sans que personne n’y trouve à redire. Et puis, après tout, il faut bien avouer que c’est un réconfort, une certitude pour les proches…

As a result of this jurisdiction that we had, we requested to inspect these institutions and we observed that these institutions were basically to look at these people not simply from the perspective of the illness, as caregivers, but from the perspective that they are individuals deprived of liberty and the rights they were entitled to enjoy as individuals deprived of liberty. I know that this pooling, I believe, and indeed inclusion of the institution, was ill-perceived. I customarily would bring together the associations that worked in the entire sector under our jurisdiction, deprivation of liberty facilities. The first time we all had to sit down around the same table – those who, for example, were inmate visitors and those who were the families of patients – they found it to be a rather improper pooling of interests. And I believe that the situation then made each of them see the utility there was in addressing certain problems together. For example, access to a lawyer is a difficulty they all have in common. The way I see it, this was not enough to account for the current social reality and notably, the reality that much more generally affects elderly dependent persons. They are, as we know, growing in numbers as the average age of this country rises. Today there are hundreds of thousands of people who are sheltered in what are called in jargon ‘EHPADs’, shelters for dependent elderly persons [Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes]. And for the last few years, these EHPADs as well as the psychiatric hospitals, have had increasingly frequent recourse to closed units where individuals are placed who are thought to be at risk if they leave these institutions as it is not certain they’ll have the capacity to be reintegrated. This movement has been very highly encouraged by some unfortunate accidents, and the media have played these up, of individuals who have left without anyone knowing and been found dead from exposure, etc. This is all very tragic, but what is just as tragic is to shut away hundreds of thousands of people without any sort of administrative or court order, without these people ever having asked for it, or even often without anyone bothering to ask what their families thought. I wasn’t intending to dispute this, even though there is something to complain about, but I found that the fate of these individuals was exactly identical to that of the mentally ill, foreigners in detention, or even inmates. In other words, individuals de facto deprived of their liberty,and very dependant on third parties, and who had not asked to be there; I stated this at the very start of our interview. Today, all the EHPADs request that the individual sign a paper stating that they are there voluntarily, but there is no special procedure for going to a closed unit and being locked up in there. I find it odd that in this democratic country – I really wish to recall this – we lock away people by the hundreds of thousands today and nobody objects. And after all, one has to admit that it gives the family some comfort, some certainty.

Qui n’a jamais visité ces EHPAD ignore sans doute que la première demande que font les personnes qui y résident, comme le font les personnes en hôpital psychiatrique, comme le font les détenus qui sont en prison : « S’il te plait, sors moi de là, sors moi de là ». Donc je crois qu’ils méritent que l’on s’intéresse à leur sort. La compétence du Contrôleur des lieux de liberté ne s’étendait pas à ces EHPAD et j’avais donc demandé au gouvernement, je crois que c’était en 2012, d’étendre la compétence aux EHPAD. J’ai demandé cela – l’histoire mérite d’être racontée – de façon un peu discrète pour ne pas indisposer le gouvernement de l’époque. Je n’ai pas eu de réponse jusqu’en 2013 ; donc dans le rapport public de 2013, j’ai dit explicitement que je demandais l’extension de cette compétence. Cela a suscité évidemment de vives protestations, notamment des professionnels des établissements d’hébergement, qui ont estimé que c’était une honte de vouloir les comparer à des établissements de privation de liberté. Je me souviens d’une formule d’une de ces réactions qui était : « Mais enfin nous sommes, nous autres [nous autres, les établissements d’hébergements pour personnes âgées], des lieux de vie », ce qui comporte évidemment un a contrario terrible, pour les autres établissements sur lesquels nous avions compétence. Quoi qu’il en soit, le gouvernement, dont j’ai rencontré les responsables à plusieurs reprises sur ce point, a préféré écouter les professionnels et n’a pas voulu écouter le point de vue du Contrôleur général, ce qui est un choix parfaitement compréhensible, mais que je regrette tout de même, car je crois qu’il y a de vrais besoins. Nous n’aurions pas du tout desservi la cause des établissements d’hébergement mais plutôt pu les aider à cheminer vers des solutions acceptables. Et nous aurions aussi, je crois, rassuré les familles d’une certaine manière, parce que si les familles demandent en effet que la personne ne sorte pas, pour qu’on ne la retrouve plus ou autrement qu’allongée dans un cul de bas de fosse, c’était d’une certaine manière les rassurer aussi sur les relations qui pouvaient s’établir entre ces personnes âgées et certaines personnes qui sont peu formées, il faut bien le dire, au suivi des personnes âgées, qui ont peu de patience parce qu’elles sont trop peu nombreuses pour les prendre en charge, et puis qui, quelquefois, se livrent aussi à des actes certainement répréhensibles à leur égard, nous en avons tous été, peu ou prou, les témoins. Donc je crois que la question mérite d’être encore posée. Puisque vous me la posez, je vous réponds très clairement, je souhaite que les établissements pour personnes âgées dépendantes deviennent aussi l’objet de contrôle entre guillemets, c’est-à-dire, je le dis clairement, de visites qui les encouragent à progresser, non pas des punitions pour les professionnels qui font ce qu’ils peuvent avec les moyens qu’ils ont.

Anyone who has not visited these EHPADs is certainly unaware that the first thing residents request, like those in psychiatric hospitals and prison is “Please get me out of here, get me out of here.” So, I believe they deserve to have someone take an interest in their fate. The Contrôleur’s jurisdiction did not extend to these EHPADs and I therefore asked the government – in 2012, I believe – to expand the jurisdiction to the EHPADs. I made this request – the story deserves telling – somewhat discretely in order not to annoy the government of the time. I did not receive any answer until 2013; so, in the 2013 public report I explicitly stated that I was requesting that this jurisdiction be expanded. This obviously gave rise to strong protests, notably from the professionals of these institutions, who deemed it shameful to want to compare these shelters to institutions for the deprivation of liberty. I recall how one of these reactions was expressed: “We, we’re [we, the shelters for the elderly] places for life” which obviously implies a terrible opposite with regard to the other institutions that were under our jurisdiction. In any event, the government – whose officials I met with a number of times about this – chose to listen to the professionals and not take into account the opinion of the Contrôleur général, which is a perfectly understandable choice, but which I nonetheless regret as I believe that there are some genuine needs. There is no way we would not have served the cause of the shelters but rather would have been able to help them move toward acceptable solutions. And we would also, I believe, have reassured the families in some way, because if the families request that the person not leave in order not to be lost, or only to be found laid out at the bottom of a ditch, it was also a way of reassuring them on the relations that could be established between these elderly individuals and certain individuals who are under-trained – this has to be said – for looking after seniors, and who lack patience because there are too few of them to deal with the number of elderly, and who occasionally engage in reprehensible actions toward them; we have all more or less witnessed this. So, I believe that the question deserves to be asked again. Since you have asked me, I’m giving you a very straight answer. I hope that the institutions for the dependant elderly also come under ‘control’, in quotation marks. Let me put this clearly: I mean inspections to encourage them to move forward, not to punish the professionals who do what they can with the means they have.

 

 

2 avr 2015

 

 

JSSJ : Merci beaucoup. Et si vous le permettez, une dernière question, à moins que mes collègues en aient d’autres à l’esprit. Vous avez parfois, dans vos rapports, établi des faits très précis et vous accompagnez cela, de façon logique, de recommandations très précises. Sur le résultat de ces recommandations, est-ce que vous pouvez nous dire quelques mots ?

JSSJ: Thank you very much. And if you would allow me one last question, unless my colleagues have others in mind. In your reports, you have occasionally set out very specific facts and logically, you accompany them with very specific recommendations. Could you say a few words about the outcome of these recommendations?

JMD : Bien sûr. C’est évidemment le point crucial. Au fond, ce qu’on attend d’une administration comme celle-là, enfin d’une autorité indépendante comme celle-là, c’est de savoir si elle est sert à quelque chose. Moi je ne suis pas pour les institutions qui ne servent à rien. Je crois que ce qui est utile en tout cas, c’est la création de cette institution, en ce qu’elle inquiète, elle préoccupe les professionnels. Et nous nous sommes efforcés assez vite, par le choix des destinations et des multiples établissements que nous avons visités, de donner le sentiment aux professionnels que, quels qu’ils soient, ils pouvaient être visités à un moment ou à un autre. Rien que cette conviction qu’ils ancrent dans leur esprit induit, je l’espère, des changements dans la façon dont ils envisagent la profession, même si la plupart d’entre eux sont évidemment irréprochables. Mais, je me souviens, pour parler de quelque chose qui ne pose pas trop de problèmes car la gendarmerie est un corps très organisé : nous sommes entrés un jour dans une gendarmerie très particulière, car c’était une gendarmerie qui relevait de la gendarmerie maritime et dont le rôle – c’était dans le sud-ouest de la France – était essentiellement de contrôler les pêches, notamment des navires espagnols qui pêchaient dans les eaux françaises, etc. Ils avaient fait, je crois, six gardes à vue en dix ans. Ils s’étaient dit – nous ont-ils dit après – que jamais ils ne seraient concernés par le contrôle et que par conséquent ils pouvaient… Nous sommes venus, naturellement sans crier gare et sans prévenir, dans cette gendarmerie, comme dans toutes les autres, parce qu’il fallait montrer que nous allions n’importe où. Nous sommes allés très loin, outre-mer aussi. Rien que cela, je crois, implique une mise en vigilance, pour ne pas dire davantage, des professionnels. Je pense aussi que les formateurs de ces métiers de gendarmes, policiers, etc., j’espère, ont inclus dans leur programme de formation un certain nombre de choses que nous pratiquions et que nous avons recommandées. Je me suis attaché en tout cas à visiter de façon à peu près systématique toutes les écoles de formation des cadres de ces métiers : l’ENAP [Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire], qui a eu un peu de mal à accueillir le Contrôleur général, l’Ecole nationale supérieure de police, l’Ecole des officiers de la gendarmerie nationale, l’Ecole des SPIP [Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation] comme je l’ai dit tout à l’heure… Nous avons fait le tour d’un maximum d’écoles, aussi pour montrer aux jeunes générations montantes, qu’il fallait intégrer l’existence du contrôle dans leurs préoccupations. Ça, c’est pour l’existence en elle-même.

JMD: Of course. This is obviously the crucial point. Basically, what is expected of an administration like this, an independent authority such as this, is to know if it serves a purpose. I am personally against institutions that serve no purpose. In any case, I believe that the creation of this institution is useful in that it worries, that it concerns, the professionals. And we made immediate effort through the choice of destinations and the many institutions that we inspected, to let the professionals know that regardless of who they are, they could be visited at any time. Only this conviction anchored firmly – I hope – in their minds leads to changes in how they envision the profession, even if most of them are obviously above reproach. But I recall, just to mention something that doesn’t pose many problems as the national police force is a very organized corps: One day we went to a very particular gendarmerie; it is particular because it came under the maritime police force whose role – this was in south-western France – was mainly to control fishing, notably Spanish ships fishing in French waters, etc. I think they’d taken six people into custody in ten years. They’d said to themselves – they told us afterwards – that they had never given any thought to inspection and accordingly, they could… Naturally, we arrived at this gendarmerie without any warning, as with all the others, because we had to show that we would go anywhere. We went very far, including overseas. There’s nothing like this to put people, professionals, on their toes, to say the least. I also think that gendarmerie and police occupational trainers, etc., I hope they have included a certain number of things we applied and recommended in their training programs. I devoted myself at any rate, to pretty much systematically visiting all the officer training schools of these occupations: the ENAP [Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire (tr.: National school of prison administration)], which had some problems welcoming the Contrôleur général, the National Police Academy [Ecole nationale supérieure de police], the National Police Force Officer Training School [Ecole des officiers de la gendarmerie nationale], the Penitentiary Integration and Parole Services School [Ecole des SPIP], as I just said. We toured the greatest number of schools possible, in part to show the next generations that inspections had to be among their concerns. Their very existence depends on it.

Il y a évidemment, après, l’effet très direct de nos recommandations. Alors là, il faut distinguer deux choses, je crois. Nous avons rencontré, il faut bien le dire, et cela me permet de leur rendre cet hommage, auprès des directeurs d’établissements, commissaires de police, lieutenants de gendarmerie, directeurs d’établissements des services pénitentiaires en général, un accueil qui a été plutôt au-delà de ce que nous attendions. En ce sens qu’au fond, ils ont compris que leur intérêt était de se servir de nous comme vecteur d’évolution de leur propre établissement. Au fond, ça veut dire qu’ils avaient une haute conscience de leur métier et qu’ils savaient très bien que les choses étaient à parfaire, naturellement. Et les plus intelligents ont compris que notre visite était l’occasion rêvée de redemander, par exemple, des montants de crédits qu’ils n’avaient pas pu obtenir, pour faire tel ou tel investissement, ou pour mettre aux normes un règlement intérieur qu’ils n’avaient pas pu faire approuver par leur direction interrégionale, je pense aux établissements pénitentiaires, etc. Nous avons donc eu en général de très grandes satisfactions à ce niveau géographique. Je pense à un exemple un peu paroxystique, parce qu’il était dramatique : celui qui a motivé notamment des recommandations en urgence que nous avons publiées au Journal Officiel, il s’agit du Centre pénitentiaire des Baumettes à Marseille, où nous avons trouvé un directeur d’établissement qui partageait absolument notre constat sur l’état désastreux de son établissement. 1700 détenus, faut-il le rappeler, entassés pour 1100 places dans des bâtiments totalement insalubres. Il était bien conscient de tout cela. Et il nous a fourni toutes les informations dont nous avions besoin, à cœur ouvert et à livre ouvert, parce qu’il estimait en effet que c’était une planche de salut que nous lui offrions de façon inespérée. Donc à cet égard, nous avons eu peu d’échecs et, je crois, quelques réussites en même temps qu’un dialogue fructueux avec les professionnels.

Afterwards, obviously, our recommendations have a very direct effect. Two distinctions have to be made here, I think. I have to say, and this allows me to pay tribute to them, that overall we received a welcome that was well beyond anything we could have expected from the wardens, police chiefs, gendarmerie lieutenants, and penitentiary services directors of the national police. In the sense that basically, they understood that it was in their interest to use us as a vehicle for improving their own institutions. Basically, this means that they knew their jobs well and they were highly aware that there were things to be improved, naturally. And the most intelligent understood that our visit was the much desired opportunity to make another request, for example, for money that they had not been able to obtain for making this or that investment, or to bring an internal regulation up to standards which they had been unable to get approved by their interregional leadership; I’m referring to penitentiaries, etc. when I say this. So, we had a great deal of satisfaction in this regard. I’m thinking of an example that was something of a crisis because it was drastic. It was the motivation for the emergency recommendation we published in the Journal Officiel concerning the Baumettes penitentiary in Marseille where we found a warden who was in complete agreement with our observation of the disastrous state of his institution. 1700 inmates, mind you, stuffed into 1100 spots in totally unhealthy buildings. He was well aware of all that. And he provided us with all the information we needed, in all sincerity and hiding nothing because he felt that we were offering him a lifeline that he hadn’t dared hope for. So, in this regard, we had few failures and, I believe, some successes together with productive dialogue with the professionals.

Ce point-là est à distinguer soigneusement des administrations centrales, c’est-à-dire des grandes directions des ministères : la Direction générale de la police nationale, la Direction de la gendarmerie nationale et la Direction de l’administration pénitentiaire, avec lesquelles les contacts ont été beaucoup plus difficiles. Parce qu’au fond, eux sont les représentants de tout ce qu’incarnent aujourd’hui ces lieux de privation de liberté. A la fois dans l’organisation matérielle des lieux dont nous avons parlé tout à l’heure. Après tout, ce sont eux qui ont inventé les plans. Par exemple, la Direction générale de la gendarmerie nationale, au contraire de la police nationale, n’a pas encore installé des douches dans ses brigades nouvelles. Et puis, ce sont eux aussi qui sont responsables du règlement d’établissement et surtout de la gestion des personnels. Et je crois que, dans ce dialogue que nous avons eu avec ces directions, évidemment il y avait un dialogue très utile et très direct – je n’ai eu que des gens agréables en face de moi, en général en tout cas – mais ils ont aussi à mener un dialogue avec les personnels. Et entre les deux, évidemment, le choix est vite fait. Et les personnels sont souvent très attachés aux mesures de sécurité les plus strictes. Et ils n’ont aucune envie de voir, j’allais dire, se dévergonder la discipline dans leur établissement, outre les charges supplémentaires dont éventuellement résulterait une meilleure prise en considération des personnes. Et donc, voilà pourquoi nous avons eu beaucoup plus de difficultés avec les directions d’administration centrale qu’avec les chefs d’établissement.

This point must be carefully distinguished from the central agencies, meaning the major ministerial headquarters: Headquarters of the National Police Force [Direction générale de la police nationale], the National Gendarmerie Headquarters [Direction de la gendarmerie nationale] and the Penitentiary Administration Headquarters [Direction de l’administration pénitentiaire], with which contacts were much more difficult. This is basically because they are the representatives of everything these deprivation of liberty facilities stand for today, together with the physical organization of the facilities we have just spoken about. After all, they are the ones who came up with the plans. For example, the National Gendarmerie Headquarters, unlike the National Police, has not yet installed showers in it new brigades. And indeed, they are also the ones who are responsible for the institution’s rules and regulations, and above all, personnel management. And I believe that in the dialogue that we had with these departments – obviously, dialogue that was very beneficial and very direct – I had nothing but pleasant people across from me, in general, at any rate. But they also need to have dialogue with their staff. It’s easy to choose between the two. And staff very often prefer the strictest security measures, and have no desire to see discipline in their institution go off the rails, not to mention the additional workload that might arise from taking individuals into greater consideration. And so that is why we had a great deal more problems with the central agencies than with the heads of institutions.

Il y a des choses qui sont passées, naturellement, mais je prends un exemple d’échec très simple, enfin, de deux ordres, si vous voulez bien pour quelques secondes. D’une part nous avons demandé très vite la diminution du nombre de détenus par prison. J’ai dit 690 comme norme tout à l’heure. Nous avons dit qu’il fallait revenir – sans donner de chiffres d’ailleurs – à des nombres très sensiblement inférieurs. Là-dessus nous avons eu un échec total. Pourquoi ? Parce que préparer de nouveaux plans d’établissements pénitentiaires demande des années et des années. Et, par conséquent – nous l’avons demandé fin mai 2010 me semble-t-il – le Garde des Sceaux en 2013 seulement, ce n’est même pas le Garde des Sceaux, c’est l’Administration pénitentiaire, a constitué un groupe de travail pour réfléchir à ces questions. Donc trois ans se sont écoulés. Avant que le groupe de travail ne produise ses fruits, il faudra une bonne dizaine d’années quand on sait la lourdeur de ces infrastructures. Donc, cela c’est inévitable. Un autre exemple qui est beaucoup plus réaliste, c’est l’introduction d’internet en détention. Nous souhaitons beaucoup introduire internet en détention. Non pas n’importe quel type d’internet, on ne va pas y introduire des sites pour fabriquer des cocktails Molotov. Mais on sait aujourd’hui trier les sites, cela se passe ainsi dans certains pays. Nous pensions qu’introduire Pôle emploi par exemple ou des sites de recherche de logement ou des sites de particulier à particulier, était une façon de responsabiliser les détenus sur leur propre avenir. Des détenus qui ne demandent que cela puisqu’ils se plaignent toujours des insuffisances de leur conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation – de leur travailleur social si vous voulez –, et puis il y a tout ce qui est sites éducatifs… Je n’épilogue pas là-dessus. J’avais été très impressionné en visitant une prison américaine de voir que dans une salle commune – parce que vous avez des salles collectives dans les prisons américaines – il y avait une grande table avec six claviers d’ordinateurs où les détenus pouvaient envoyer des messages à leur famille. C’était aussi un renforcement des liens familiaux. Et je ne vois pas que ce qui est autorisé dans une prison de haute sécurité – et je sais que les Américains ne badinent pas sur ce point et que leurs prisons sont mortifères par ailleurs – je ne voyais pas pourquoi on ne pouvait pas le faire en France. L’accès, vous ne pouvez pas le faire en France, mais je suis sûr qu’on y viendra. C’est absolument inévitable. Et j’observe qu’avant que Robert Badinter ne prenne la décision en 1984, on voyait les télévisions en prison aussi avec un sentiment de même horreur, en disant : « C’est dangereux, c’est un luxe qu’il ne faut pas payer aux détenus », etc. Internet, cela va être la même chose, et on finira par y venir, naturellement. Je suis content d’avoir planté cette petite graine dans le sol. Elle produira des fruits dans un délai que je ne saurais pas apprécier mais très bien… Il faut du temps au temps.

There are things that got through, naturally, but I’ll quickly take a very simple example of failure with regard to two orders, if you don’t mind. On the one hand we very quickly requested a reduction in the number of inmates per prison. I earlier gave 690 as the norm. We said – without giving figures, moreover – that much lower numbers had to be achieved. Here we had a complete failure. Why? Because preparing new plans for penitentiaries requires years and years. We had made this request in late May 2010, I believe, and accordingly, not until 2013 did the Keeper of the Seals [minister of justice] – no, not even the Keeper of the Seals, the penitentiary administration – form a working group to study these questions. So, three years have passed. It will take a good ten years before the working group produces any fruit, knowing the unwieldiness of these infrastructures. So, it’s inevitable. Another example, which is much more realistic, is the introduction of the Internet in detention. We very much hope to bring the Internet into detention. Not just any type of Internet, we’re not going to introduce sites for making Molotov cocktails. But today we know how to filter sites, this happens in certain countries. We were thinking that introducing Pôle emploi, for example, or sites for looking for housing, or person-to-person sites would be a way of giving the inmates responsibility for their own futures. That is all some inmates ask for, as they’re always complaining about the inadequacies of their penitentiary integration and parole councillor – their social workers, if you will, and then, there are all sorts of educational sites. I’m not going to go on about it. I was very impressed when visiting an American prison to see in a common room – because there are common rooms in American prisons – there was a large table with six computer keyboards where inmates could send messages to their families. This also strengthened family ties. And I don’t see why something that is authorized in a maximum security prison – and I know that the Americans don’t fool around on this point and that their prisons, moreover, are deadly – I don’t see why it couldn’t be done in France. You can’t get access in France but I’m sure we’ll get there. It’s absolutely inevitable. I would point out that before Robert Badinter made the decision in 1984, televisions in prison were considered with the same feeling of horror, saying, “It’s dangerous, it’s a luxury that should not be given to inmates”, etc. It will be the same thing with the Internet and it will end up coming, of course. I’m happy to have planted this little seed in the ground. When it will bear fruit, I don’t know, but very well… It takes time.

 

 

2 avr 2015

 

 

JSSJ : Merci beaucoup. Une toute dernière question. En lisant vos rapports, vous insistez souvent sur la qualité des personnes que vous rencontrez dans tel ou tel établissement… C’est une question d’ordre très général sur la force de notre démocratie : quand on observe des espaces qui peuvent s’apparenter à des espaces autoritaires, vue leur fonction, avez-vous l’impression que la force de notre démocratie repose sur les personnes, ou bien sur les politiques, dispositifs juridiques, matériels ou professionnels, qui peuvent servir d’appui pour le respect des droits ?

JSSJ: Thank you very much. A very last question. In reading your reports, you often stress the quality of the individuals you meet in the various institutions. This is a very general question on the strength of our democracy. When one observes what could be called authoritarian spaces, considering their function, do you have the impression that the strength of our democracy rests on the individuals or rather on the policies and the legal, physical and professional framework that can be used as support for the respect of rights?

JMD : C’est un peu des deux. Je dirais qu’il faut d’abord rendre hommage en effet à un certain nombre de personnes qui sont des gens formidables dans ces lieux, à la fois d’ailleurs du côté des personnels, et du côté des détenus ou des personnes privées de liberté. Il y a des personnes extraordinaires. Et la particularité de ces lieux, c’est que, comme on est malheureux, on est tout de suite au centre des préoccupations de la vie humaine, il est assez facile d’engager des conversations de fond.

JMD: It’s somewhat both. I would say that first of all we must pay tribute to a certain number of individuals who are amazing people in these places, moreover, both staff and inmates or individuals deprived of liberty alike. There are some extraordinary individuals. And the particular nature of these places is that since one is unhappy, one is immediately at the heart of the concerns of human life so it’s fairly easy to engage in fundamental conversations.

Il est évident depuis longtemps qu’il y a des règles, qu’il y a un règlement intérieur pénitentiaire, il y a un code de procédure pénale qui est relativement détaillé, rédigé d’ailleurs pour l’essentiel par l’administration pénitentiaire elle-même, ce que je trouve regrettable. Et puis il y a quelques lois aussi qui encadrent le comportement à la fois des policiers dans les commissariats, etc. Récemment encore, en 2009, on a voté, c’est à l’honneur du Parlement, une loi pénitentiaire qui au fond intègre les principales avancées du droit international en matière de détention survenues depuis trente ans, et Dieu sait qu’il y en a eu. Tout cela est plutôt satisfaisant. Donc nous avons encore, Dieu merci, des lignes de force votées par le Parlement de notre pays démocratique. Pour prendre un exemple simple, ce pays a été très éprouvé par la question de la torture. Permettez-moi de revenir à mon point de départ : pendant la guerre d’Algérie, le traumatisme a été suffisant pour savoir qu’en prison aujourd’hui il peut exister des mauvais traitements, des coups. C’est peu fréquent. Il y a des pays où c’est monnaie courante. Donc nous avons encore une distinction démocratique qui vaut.

For a long time it has been obvious that there are rules, that there is a set of internal penitentiary regulations, there is a code of penal procedure, that is relatively detailed, written moreover for the most part by the penitentiary administration itself, which I find unfortunate. And then there are also a few laws governing the behaviour of the police officers in the police stations at the same time, etc. Just recently, in 2009, and we have Parliament to thank for this, a penitentiary law was passed which basically integrates the main advances in the last 30 years of international law with regard to detention – and God knows there have been some. All that is rather satisfying. So, we still have, thank God, some guiding principles passed by the Parliament of our democratic country. To take a single example, this country was hit very hard by the question of torture. Allow me to go back to my starting point: during the war in Algeria, people were sufficiently traumatized by the torture in prison that they still realize abuse, such as blows, can occur today, although it’s rare. There are countries where this is still commonplace. So we still have this valid democratic distinction.

Je ne serai pas si optimiste au regard toujours des règles depuis quelques années, puisque l’on a constamment, depuis 1973 surtout, modifié le Code de procédure pénale dans un sens, malgré la loi pénitentiaire que je viens d’évoquer, plutôt régressif. Je pense que la conception, surtout, de la personne ayant commis des infractions est en train de changer. Au fond, ce qui caractérisait la réforme Amor, mais derrière elle le mouvement qu’on a appelé de défense sociale, qui est né dans les années 30, c’était un mouvement de réinsertion possible du détenu. C’est-à-dire que quelqu’un qui a fauté, certes, il faut le punir selon les bons principes de Beccaria du XVIIIe siècle, mais il faut aussi chercher à l'amender et à le réintégrer dans notre société. Cela a subsisté jusqu’à une période très récente. Et, depuis une dizaine d’années – un peu plus car cela a commencé en fait avec les ultimes lois des années 90 – on voit poindre d’autres idéologies, se fondant sur d’anciennes écoles, notamment italiennes, de la fin du XIXe siècle qui sont, on va dire les choses comme cela, des idéologies de la « personnalité dangereuse »… qu’il faut non seulement punir mais contre laquelle il faut aussi se prémunir, alors même qu’elle aurait déjà exécuté sa peine. Le thème de la « dangerosité », c’est comme ça qu’on a qualifié les choses, a été introduit dans notre droit positif, c’est-à-dire dans un texte de loi, en 2005, dans ce pays. Mais il a été évoqué à partir des lois un peu plus répressives de la fin des années 90. Je rappelle aussi que c’est dans une loi de 1995 seulement, que l’on a inscrit pour la première fois dans notre droit positif, le fameux droit des Français à la sécurité, dont on se gargarise tous les jours actuellement. Donc tout cela est d’invention récente. La dangerosité est pour moi quelque chose de très négatif parce qu’elle repose sur un pari, et elle a de terrible conséquences. Le pari, c’est qu’on est capable d’évaluer cette dangerosité. Et cela vient notamment de toute une école anglo-saxonne qui a développé des tests, employés notamment au Canada, par lesquels on prétend dire, suivant l’âge auquel vous avez commencé à fumer, si vos parents sont divorcés ou pas…, si vous allez être un dangereux récidiviste ou pas. J’ai regardé ces questionnaires : ce sont des questionnaires relativement simples – 20, 25 questions maximum –, qui portent sur votre biographie, dont on déduit des choses absolument extravagantes, et dont on évacue le sujet lui-même, comme le fait remarquer Robert Castel dans un article que j’ai cité dans un de mes rapports annuels. On objective la personne, pour en faire une espèce d’être dont le comportement ne répond plus de lui-même. Donc cela, c’est un pari que je crois insensé. Parce que, même si vous prenez – ce qui inquiète toute l’opinion, moi le premier naturellement, mais c’est rarissime – le violeur récidiviste. Vous avez à peu près 0,2% de violeurs qui récidivent. Plus le crime est grave en général, moins on récidive. Tout le monde a à l’esprit les violeurs qui ont récidivé parce que ça fait les manchettes des journaux. En réalité, peu d’entre eux récidivent. Donc si vous prenez, par hypothèse, mille violeurs que vous allez aligner dans la cour de promenade d’une prison, pour savoir lesquels, des deux pour mille, vont récidiver, je vous souhaite bien du plaisir. Même avec les questionnaires canadiens ! Donc ça, c’est un pari que je crois insensé.

I will not be as optimistic about these rules of the last few years, as since 1973 especially, the Code of Penal Procedure has constantly been modified in a fairly regressive direction, despite the penitentiary law that I just mentioned. I think that the conception, especially of the individual who has broken the law, is in the process of changing, which is what essentially characterized the Amor reform, but behind this reform was what is called ‘social defence’, which was born in the 1930s and was a movement for the possible reintegration of the inmate. Meaning that someone who erred, yes, certainly had to be punished in accordance with the fine principles of Beccaria from the 18th century, but there also had to be an effort to rehabilitate him and reintegrate him into our society. This survived until very recently. And, in the last ten or so years – a bit more, as it started in fact with the last laws of the 1990s – we’re seeing other ideologies appear, based on old schools of thought, notably Italian, of the late 19th century which are, let’s say, ideologies based on the “dangerous personality”… and that it’s necessary not only to punish but, positive action must also be taken against this personality, even though the person has already served his sentence. The theme of “dangerousness” – that how things were described – was introduced into our positive law, in a piece of French legislation in 2005. But it was referred to starting in laws that were a bit more repressive in the late 90s. I also recall that it was in a law just from 1995 where the French people’s so-called right to security that we ‘delight’ in every day now was first made part of our positive law. So, all of that is of recent invention. Dangerousness is to me something very negative because it’s based on a wager and has terrible consequences. The wager is that we’re capable of assessing this dangerousness. This comes from an entire Anglo-Saxon school of thought in particular, which developed tests used especially in Canada, through which it is claimed that based on the age you began to smoke, whether or not your parents were divorced, etc. it could be determined if you were going to be a dangerous recidivist or not. I’ve looked at these questionnaires. They are relatively simple – 20 or 25 questions max – that pertain to your biography, from which absolutely wild things are deduced, and from which the subject himself is removed, as pointed out by Robert Castel in an article that I quoted in one of my annual reports. The individual is objectified, making him into a sort of being who is no longer responsible for his own behaviour. So I believe that wager to be absurd, because even if you take the repeat rapist – what everyone worries about, starting with me of course – it’s very rare – about 0.2% of rapists repeat offend. The more serious the crime, the less recidivism there is. Everyone has in mind repeat rapists because they make the headlines. In reality, few repeat offend. So, if you take, let’s assume, 1,000 rapists that you want to line up in the prison yard to find out which of the 2 per thousand will repeat offend, have fun. Even with the Canadian questionnaires! So that is a wager that I believe to be absurd.

Et puis, conséquence terrible, cela nous a amenés à ce qu’on a appelé, dans la loi de février 2008, à la rétention de sûreté. C’est-à-dire qu’on estime que certaines personnes ne peuvent pas être libérées, bien qu’elles aient exécuté leur peine, et qu’il faut les placer dans un établissement spécialisé. Même pour celles qui échappent à ce triste sort, il y a d’autres moyens. On a développé depuis des années, bien avant la rétention de sûreté, ce qu’on appelle le suivi socio-judiciaire, ou bien la surveillance judiciaire, ou bien le bracelet électronique mobile, qui sont des instruments par lesquels, non pas Big Brother, mais malheureusement notre appareil judiciaire, veille sur la personne, ou plutôt surveille la personne pour être sûr qu’elle ne porte pas du tout atteinte à nouveau à un bien ou à une autre personne. Je crois que c’est une façon de voir qui tourne résolument le dos à toute notre pratique pénale – pas carcérale, mais pénale– depuis une bonne centaine d’années. Donc je crois qu’il faut là-dessus inverser la tendance parce que je serais très inquiet qu’elle se développe. Il est vraisemblable qu’elle ne se développe pas qu’en France, puisque les questionnaires dont je parlais sont utilisés à présent dans un certain nombre de pays d’Europe, en Norvège et en Suisse me semble-t-il, ou aux Pays-Bas. Donc tout cela est très préoccupant. Il faut évidemment réfléchir sur ces thèmes qui sont en filigrane de ce que nous avons évoqué – la question de la privation de liberté– mais qui sont intrinsèquement liés à cette question.

And a terrible consequence was that this led us to what is called in the law of February 2008, ‘preventive custody’. In other words, it is deemed that certain individuals cannot be freed, even though they have completed their sentence, and they have to be placed in a specialized institution. And there are other means for those who escape this unfortunate fate. Years before preventive custody, what is called ‘socio-judicial monitoring’ was developed – the electronic bracelet, a tool through which not Big Brother but unfortunately, our judicial system, watches over the individual, or rather has the person under surveillance, to be sure that the person makes no new attacks on property or another person. I believe that this outlook resolutely ignores our entire penal practice – not incarceration practice but penal practice – over the last 100 or more years. So, I believe that this trend must be reversed because I would be very worried if it were to grow. It is likely that France isn’t the only place where this trend might grow, as the questionnaires I was speaking about are currently used in a certain number of European countries, in Norway and Switzerland, I believe, or in the Netherlands. So, this is all very worrisome. Obviously, there must be reflection on these themes underlying the deprivation of liberty, but which are intrinsically connected to it.

JSSJ : Merci beaucoup de nous avoir consacré ce moment tout à fait passionnant !

JSSJ: Thank you very much for this most fascinating time!

 

 

Pour citer cet article : Jean-Marie Delarue, Bernard Bret, Frédéric Dufaux, Olivier Milhaud, Sabine Planel : « Privation de liberté, espace et justice. Un entretien avec Jean-Marie Delarue » (“Deprivation of liberty, space and justice. An interview with Jean-Marie Delarue ”, translation : Sharon Moren), justice spatiale - spatial justice, n° 8, juil. 2015, www.jssj.org

To quote this paper: Jean-Marie Delarue, Bernard Bret, Frédéric Dufaux, Olivier Milhaud, Sabine Planel : « Privation de liberté, espace et justice. Un entretien avec Jean-Marie Delarue » (“Deprivation of liberty, space and justice. An interview with Jean-Marie Delarue ”, translation: Sharon Moren), justice spatiale – spatial justice, n° 8, Jul. 2015, www.jssj.org