JSSJ rencontre RELOCAL – Mobilisations, sens et usages du concept de justice spatiale dans un projet de recherche européen

JSSJ Meets RELOCAL – Mobilizations, Meaning and Uses of the Concept of Spatial Justice in a European Research Project

Questions : Cyril Blondel et Estelle Evrard (CB et EE, Université of Luxembourg) ; Sarolta Németh (SN, Université de l’Est de la Finlande) ; Laura Noguera (LN, MCRIT Barcelone, Espagne).

Interviewers: Cyril Blondel and Estelle Evrard (CB and EE, University of Luxembourg), Sarolta Németh (SN, University of Eastern Finland) and Laura Noguera (LN, MCRIT Barcelona, Spain)

Réponses (RELOCAL) : Thomas Borén (TB, Université de Stockholm, Suède) ; Timothy Heleniak, Linnea Löfving et Gustaf Norlen (TH, LL et GN, NORDREGIO, Suède), Petri Kahila (PK, Université de l’Est de la Finlande), Viktoria Kamuf et Felix Matzke (VK et FM, ILS Dortmund, Allemagne), Ali Madanipour (AM, Université de Newcastle, RU), Patricia Melo, (PM, ISEG Lisbonne, Portugal), Tomasz Napierała (TN, Université de Łódź, Pologne), Lefteris Topaloglou et Victor Cupcea (LT et VC, Université de Thessalie, Volos, Grèce), Jan Jacob Trip, Kees Dol et Arie Romein (JT, KS et AR, TU Delft, Pays-Bas), George Iulian Zamfir, (GIZ, Fondation DESIRE, Romanie).

Interviewees (RELOCAL): Thomas Borén (TB, Stockholm University, Sweden), Timothy Heleniak, Linnea Löfving and Gustaf Norlen (TH, LL and GN, NORDREGIO, Sweden), Petri Kahila (PK, University of Eastern Finland), Viktoria Kamuf and Felix Matzke (VK and FM, ILS Dortmund, Germany), Ali Madanipour (AM, University of Newcastle, UK), Patricia Melo, (PM, ISEG Lisboa, Portugal), Tomasz Napierała (TN, University of Łódź, Poland), Lefteris Topaloglou and Victor Cupcea (LT and VC, University of Thessaly, Volos, Greece), Jan Jacob Trip, Kees Dol, Arie Romein (JT, KS and AR, TU Delft, Netherlands), George Iulian Zamfir, (GIZ, Foundation DESIRE, Romania).

Transcription : Tom Royer.

Transcription: Tom Royer

Édition du texte : Cyril Blondel et Estelle Evrard.

Text editing: Cyril Blondel and Estelle Evrard

 

 

CB/EE/SN/LN : Que signifie la justice spatiale dans votre contexte national ? Les acteurs locaux utilisent-ils le terme, ou tendent-ils à en utiliser d’autres qu’ils estiment plus proches du concept ?

CB/EE/SN/LN: What does spatial justice mean in your national context and do local stakeholders make use of the concept or are they more inclined to use other terms that they would consider closest to this concept?

A.M. : Dans le contexte britannique, l’analyse de la justice spatiale dépend de l’échelle, comme dans n’importe quel autre contexte. Au Royaume-Uni, il y a une très nette division nord/sud, et cette division s’est accentuée au fil des changements qui ont eu lieu récemment : la crise économique, les politiques néo-libérales, et désormais le Brexit. Ces changements ont abouti à une concentration encore plus grande des richesses et des perspectives dans le Sud-Est ; de son côté le nord est notamment affecté par l’absence de perspectives et de ressources. Mais quand on se rend sur place, on voit bien qu’il y a des nuances dans la répartition spatiale des perspectives et des ressources. On peut trouver des poches de grande pauvreté y compris dans des régions très riches. Et on trouve des poches de richesse dans des régions qu’on considère généralement en difficulté. Donc la coupure est loin d’être aussi nette. En d’autres termes, tout dépend de la résolution de la carte qu’on adopte quand on veut cartographier la justice spatiale dans le contexte national. Tout dépend à quel point on veut affiner.

AM: In the UK context, the analysis of spatial justice depends on the scale, as in any other context. In the UK, there is a very clear north/south divide, and this divide has been exacerbated with all the recent changes: economic crisis, neoliberal policies and now Brexit. These changes lead to a further concentration of wealth and opportunities in the south-east, whereas the north suffers, in particular, from a lack of opportunities and resources. But when you go inside each of these areas, you see more nuances in the spatial distribution of opportunities and resources. Even within the areas that are very rich, you can see pockets of deep deprivation. And in areas that are generally considered to be deprived, you see pockets of wealth. So it is not as clear-cut. It depends on the resolution of our cartography, if you like, in terms of mapping spatial justice in the national context. It varies depending on how far inside we go.

Il existe des différences de pouvoir au niveau régional [par exemple entre l’Écosse et l’Angleterre]. Les autorités locales anglaises ont assez peu de pouvoir au niveau local. Et elles sont extrêmement dépendantes du gouvernement national en termes de ressources. Pour les autorités locales, il devient de plus en plus difficile de décider comment dépenser, en fonction de quelles priorités, parce que ce qu’on voit, c’est qu’il y a sans cesse des coupes dans l’approvisionnement et les services. L’un des choix qu’ont faits les autorités locales, ça a été de privatiser et d’externaliser les services, en se contentant de petits budgets à gérer. Ce sont des questions de justice spatiale dans le sens où il y a un manque d’autonomie, un manque de ressources en quantité suffisante au niveau local. Parfois, ce sont aussi les groupes locaux, les groupes de la société civile, qui doivent tout prendre en charge. Mais on le sait bien, ça n’a rien d’évident ; ceux-ci ne peuvent pas assurer, à niveau constant, des services qui sont en train d’être supprimés. Ce que l’on voit, par exemple dans le cas des parcs publics, ce sont des autorités locales qui délèguent peu à peu le pouvoir à des communautés locales, à des bénévoles, à des associations caritatives, à des groupes locaux afin qu’ils s’occupent du parc, mais leurs compétences en la matière restent assez limitées.

Differences in power exist at the regional level [for instance between Scotland and England]. At the local level, the English local authorities are not powerful enough. And they are highly dependent on the national government for their resources. And it becomes more and more difficult for the local authorities to decide how to spend, on whatever priorities, because what we see is continuous cuts in provision and in services in many places. One choice for the local authorities has been the privatisation of services and outsourcing them, just managing their smaller budgets. Those are the issues of spatial justice in the sense that there is a lack of autonomy and lack of sufficient resources at the local level. And then sometimes it’s up to the local groups, civil society groups, to look after things. But as we know, they are not consistent; they cannot deliver, to a consistent level, services that are now being withdrawn. So what you see, for example in the case of public parks, is that some local authorities are starting to give their control out to local communities or volunteers or charities or local groups who look after the park, but their ability to do so is somewhat limited.

TH, LL et GN : Dans le contexte national suédois, il s’agit évidemment du système de protection sociale ; c’est assurer autant que possible l’égalité des chances aux divers groupes de revenus, et bien sûr aussi sur le plan spatial. Sur le terrain, les personnes du gouvernement local avec qui nous avons discuté l’ont affirmé : leur fonction, c’est d’inclure le plus de monde possible. En revanche, le mot « justice » est assez politique dans le contexte suédois. Les fonctionnaires vont donc plutôt parler de différences et d’inégalités.

TH, LL, GN: Certainly in the Swedish national context, this is the social welfare system; there is an effort to provide equal opportunities across income groups and certainly equality across space. During our fieldwork, the people we talked to in local government said that they have the mandate to try to include everybody. But the word “justice” is quite political in the Swedish context, so civil servants would instead talk about differences or inequalities.

TB : En Suède, la « justice spatiale » est seulement utilisée (parfois) dans le discours académique, pas dans le débat politique. J’ai tendance à penser que le positionnement de ces chercheurs est normatif, dans le sens où leur objectif est de contribuer à changer les choses pour améliorer la vie des gens.

TB: In Sweden, “spatial justice” is only sometimes used in academic discourse and not in policy discourse. I think the position of these researchers is normative, in the sense that their purpose is to contribute to changes that would make it better for people.

PM : Le Portugal poursuit une stratégie de cohésion régionale, et à ce titre dispose à la fois de politiques nationales et de politiques locales, qui sont soutenues soit par le LEADER si c’est en zones rurales, soit par des instruments dédiés au financement de la cohésion. Donc tout ça s’inscrit dans le cadre de la stratégie pour la cohésion régionale. Je suppose que c’est cet aspect-là que j’associe à la justice spatiale dans mon contexte national – ou bien alors [je le comprends] comme un moyen délibéré de promouvoir une plus grande justice spatiale dans le domaine de l’action publique. À partir de là, je me demande dans quelle mesure je considère la justice spatiale en termes de résultats à atteindre – autrement dit d’une meilleure répartition géographique des résultats – ou si ce sont les règles du jeu, donc plutôt l’élément procédural, qui lui confèrent son caractère équitable.

PM: Portugal has a strategy for regional cohesion, and as part of that you have both national policies and local policies, supported either by LEADER if it is in rural areas or by some of the cohesion funding instruments. So those all fit into the national strategy for regional cohesion. I guess that is how I would link it in my national context to spatial justice, or a deliberate way to try to promote more spatial justice through policy-making. Now the question is: I’m unsure whether I should relate to spatial justice in terms of desired outcomes; I mean by that whether the outcomes are more equally spread geographically or if the rules of the game, so the more procedural element, represent fair play.

L’important, c’est de savoir si on veut établir des règles qui garantissent à toutes et tous, indépendamment du lieu où on vit, d’avoir accès exactement aux mêmes ressources, aux mêmes services, comme l’école, ou les services de santé. C’est loin d’être le cas pour l’instant, car le Portugal est par endroits très peu peuplé. Ils ferment donc des écoles. Les enfants ont donc plus de trajet pour rejoindre l’école la plus proche. En ce qui concerne le niveau d’éducation moyen de la population, s’il n’y a pas de justice spatiale au point de départ il n’y en aura pas à l’arrivée. S’ils habitaient en milieu urbain, ils auraient probablement pu faire des études par exemple, ils auraient pu y avoir accès.

One thing is whether you set up rules that make sure that everyone, regardless of where they live, gets access to exactly the same resources, same services, like school, health services. At the moment, this doesn’t happen because in some areas in Portugal, the population is very low. So they close schools and children have to go much further away to go to the nearest school. That is not spatial justice at the starting point, and hence there will be no spatial justice at the endpoint in terms of when you look at the average educational level of different people. They will be more likely to have higher education if they were, for example, in an urban area, because they could access it there.

Dans ce cas de figure, la justice spatiale implique donc d’avoir plus ou moins les mêmes perspectives dans une région donnée, indépendamment de l’endroit où l’on naît, où l’on a grandi.

So, in that case spatial justice would mean whether the opportunities you have access to in a given region are more or less the same, regardless of where you were born or where you grow up.

VK : En Allemagne, du point de vue politique, le terme est traduit par « équité des conditions de vie ».

VK: In Germany, from a political point of view, the term is translated into “an equity of living standards”.

FM : C’est inscrit dans la loi, tout le monde devrait bénéficier des mêmes chances dans la vie, des mêmes chances de subvenir à ses besoins. En parallèle, différents termes géographiques ou sociologiques sont employés, comme disparités régionales ou désavantages spatiaux.

FM: This is written in the law, that everybody should have the same opportunities to live and maintain their lives. Aside from this, there are different geographical or sociological terms used, like regional disparities or spatial disadvantages.

VK : Il faut également souligner qu’une commission nationale pour l’équité des conditions de vie a vu le jour en 2018, et qu’elle aborde la question à partir de différents points de vue. Elle se concentre en particulier sur la division rural/urbain, mais aussi sur la relation rural/urbain. Et bien sûr, l’une des questions centrales en Allemagne – elle l’est aussi pour la commission – reste la division entre l’est et l’ouest du pays.

VK: What is also important is that a national commission for the equity of living conditions was also established in 2018, and they look at the question from different perspectives. And one of their main focus areas is the urban/rural divide, but also the urban/rural links. And of course, one of the major questions in Germany still, and also for this commission, is the divide between eastern and western Germany.

TN : Tout d’abord, en Pologne, la notion de justice spatiale n’a pas vraiment d’existence, elle n’a pas vraiment été intégrée par nos acteurs ou dans la loi. En revanche, lorsqu’on a introduit la notion auprès des acteurs, ils se sont dits « mais ce truc-là existe ? ». Donc lors des entretiens, des focus groups, dans ces moments-là, on a introduit le concept de justice spatiale. Les acteurs ont alors remarqué : « en fait nous l’utilisons dans notre travail, nous travaillons dans cette optique, nous faisons avec ». C’est en effet ce qui s’est passé pendant le projet : nous avons présenté l’idée aux acteurs, désormais ils n’ont plus qu’à s’en emparer.

TN: First of all, in Poland, there is actually no such notion as spatial justice in the minds of our stakeholders, or in the law. But when we introduced the idea of spatial justice to our stakeholders, they realised, “Oh gosh, there is something like this.” So, during the interviews, during the focus panels and so on, we introduced the concept of spatial justice, and then they realised that, “Oh, so actually we are working with this, we are working for this, and trying to handle this.” This is what actually happened during this project; we introduced the notion of spatial justice into the minds of stakeholders, and now they can just use it.

Une grande partie de nos idées sont pourtant étroitement liées à la justice spatiale, ce dont nos acteurs sont bien conscients. Par exemple, la notion de justice sociale, bien que très proche dans la pratique de la justice spatiale, n’est pas vraiment valorisée. Mais quand il est question de justice sociale, ils utilisent l’idée, ils savent comment l’interpréter et la présenter dans le cadre de leurs actions, etc. Certains acteurs connaissent un peu la cohésion territoriale. D’autres ont une très bonne connaissance du développement régional. C’est donc là encore une notion, un terme qu’ils connaissent, et qu’ils veulent introduire et aborder lorsqu’ils débattent de ces questions.

However, a lot of our ideas are closely related to spatial justice, and stakeholders are aware of it. For example, social justice, which is very close to spatial justice in practical contexts, is not emphasised so much. But when talking about social justice, they use the idea of social justice, they know how to interpret it, how to introduce it in their policies, and so on. Some of our stakeholders know something about territorial cohesion. And some are very familiar with regional development. So this is also another notion, another term they know, one that they want to introduce, and they want to address too when discussing those issues.

Le dernier point que je souhaiterais ajouter à propos de la justice spatiale concerne le contexte du mot « spatial » au sens large, plutôt que la « justice spatiale ». Le problème, en Pologne, c’est que les acteurs sont très peu sensibilisés à l’espace géographique en général. Ils ont beaucoup de mal à définir un élément du contexte spatial. Par conséquent, ils ne sont pas très à l’aise quand il s’agit de définir des espaces, même quand il s’agit d’espaces d’assez grande taille – des villes par exemple. Ils préfèrent visualiser la ville comme un point. C’est la ville où les choses se passent, pas un espace donné dans la ville. D’où la difficulté de demander à des gens de commencer à réfléchir à des lieux précis, à des localités précises, et non pas à des points. C’est vraiment très compliqué, même dans une grande ville comme Łódź.

And the last thing I would like to say about spatial justice is in the context of the word “spatial” in general, rather than “spatial justice”. The problem in Poland is that the awareness amongst our stakeholders about geographical space in general is very limited. For them, it is very challenging to define anything in the spatial context, so they do not feel comfortable defining spaces, even if we are talking about pretty big areas like cities. They prefer to think about the city as a point. So the city is where something happens, not a particular space in the city. And that was pretty difficult, to ask the people to start thinking about particular places, localities, not points. This is very challenging, even in a big city like Łódź.

GIZ : En Roumanie, personne n’utilise le terme pour parler d’injustice spatiale. On utilise un amalgame d’autres termes, tels que marginalisation, zones défavorisées, etc. Mais personne n’utilise vraiment ce terme-là.

GIZ: In Romania, no one talks about spatial injustice using this term; there’s a conflation of other terms, terms like marginalisation, disadvantaged areas and so on. But no-one really uses this exact term.

PK : Dans le contexte finlandais, si on se réfère à la traduction directe du concept de « justice spatiale », on observe qu’elle ne rend pas vraiment compte de la « justice spatiale » au sens anglais du terme. Je ne vais donc pas l’utiliser si je dois discuter avec des responsables ou des décideurs politiques. Dans le monde universitaire, je peux en revanche le faire, car les gens ont un autre regard sur la notion. Mais en dehors de la sphère académique, il vaut mieux parler de différences régionales, de différenciation régionale, entre les régions et entre les gens.

PK: In the Finnish context, if you take the direct translation of “spatial justice”, it actually does not really reflect “spatial justice” in the sense of the English concept. So I would never use it if I am talking with policymakers, or with decisionmakers. In the university world, I can use it, because then, people have a different kind of attitude towards it. But, outside academia, it would be better to speak about regional differences, or regional differentiation between the regions, and between people.

 

 

CB/EE/SN/LN : Quels sont les éléments, qui échappent habituellement à d’autres notions, et que le concept de justice spatiale vous permet de saisir ? Pourquoi mobiliser la justice spatiale comme un concept dans vos recherches ?

CB/EE/SN/LN: What does the concept of spatial justice allow you to grasp that other concepts usually don’t? Why use spatial justice as a concept in your research?

TN : Comme je l’ai mentionné, la connaissance de la géographie est très limitée en Pologne, que ça soit au sein de la population, chez les acteurs ou dans les données. Pour moi, en tant que géographe, c’est l’une des difficultés à laquelle je suis confronté au quotidien. Cette notion de « justice spatiale », à la fois absente des esprits et de la loi, confirme d’ailleurs la difficulté apparente de mon travail. Je dois d’ailleurs souligner que mon point de vue est celui d’une personne engagée dans un processus de promotion de la géographie dans la société polonaise. Je me suis rendu compte à quel point il était nécessaire d’améliorer la connaissance de la géographie.

TN: As I mentioned, the understanding of geography in Poland is very limited, e.g. in the consciousness of the people, and stakeholders, and in the data. For me as a geographer, it is just part of the daily difficulty which I have to face. The missing notion of “spatial justice” in the consciousness of the people and in the law is a confirmation that my job seems to be difficult. I need to emphasise that my perspective is that of a person engaged in a process of promoting geography in Polish society. I realised how much we need to improve the understanding of geography.

GIZ : Prenons le terme de développement territorial, utilisé par beaucoup de gens. La Roumanie est très polarisée en termes de développement territorial. Ce processus a grimpé en flèche ces dix grandes dernières années, en raison de plusieurs facteurs. Le premier est celui de la désindustrialisation, qui a eu lieu à un stade plus récent qu’en Europe de l’ouest, et couplé à une migration de grande ampleur. Donc vous avez ces deux processus qui se télescopent, et des régions comme le nord-est de la Roumanie, qui a été cataloguée comme la plus pauvre région d’Europe. Donc c’est très polarisé ; beaucoup de gens considèrent que c’est un phénomène naturel, qui devait forcément avoir lieu après nous être finalement « débarrassé » du communisme et du nivellement contre-nature qui l’a accompagné. Si vous interrogez des personnes pauvres, elles vous diront qu’elles attendent de l’État d’avoir les bons remèdes pour les prémunir contre ce qui peut arriver. Plus les gens sont aisés, plus ils tendent à soutenir la décentralisation et l’autonomie. Ils considèrent donc la justice spatiale comme un processus de décentralisation associé à des mesures anti-distributives. En un sens, c’est comme si on comprenait la gentrification, comme si elle devait forcément arriver, non ? La plupart des gens considèrent que les inégalités territoriales sont naturelles, qu’elles reflètent le « caractère inégal » de la réalité ; pour eux c’est ça la justice spatiale.

GIZ: Let’s use the term territorial development, that a lot of people use. Romania is highly polarised in terms of territorial development. And this process has sky-rocketed in the last 10 years or more, due to a couple of factors. One would be the de-industrialisation that took place at a later stage than in western Europe, along with mass migration. So you have these two processes colliding and you have areas like the north-eastern part of Romania, which is catalogued as the poorest in Europe. So it’s highly polarised and many people see this as a natural phenomenon that’s supposed to take place after we finally “got rid” of communism and its unnatural social levelling. If you were to ask the poor people, they would say that they want the state to act as a provider of remedies for whatever’s happening. The more well-off people are, the more they tend to favour decentralisation and local autonomy. So they would see spatial justice as this decentralisation coupled with anti-redistributive measures. In a way, it would be like gentrification is understood, like it’s supposed to happen, right? Most people would say that it’s natural to have these territorial inequalities because they reflect the “unequal reality”, so they see it as spatial justice.

EE : Donc dans ce contexte, ce n’est pas une injustice ?

EE: So, in this context, it’s not an injustice?

GIZ : Si, c’est bien une injustice. Car ceux qui ne se trouvent pas au bon endroit seront chassés de chez eux. Elle est très efficace, la propagande anti-pauvre qui a lieu actuellement en Roumanie ; elle atteint un degré de cruauté, de cruauté véritable. Regardez, et vous verrez que même les spécialistes d’études urbaines, les urbanistes, les architectes, à quelques exceptions près, ne se bousculent pas vraiment pour donner une autre version. La plupart d’entre eux pensent que la gentrification est normale et souhaitable. C’est logique, vous voulez les meilleures personnes possibles pour votre ville. Vous concevez donc des politiques pour les loger. C’est le fonctionnement classique de la gentrification, non ? Et c’est intégré dans l’action publique, notamment au sein de l’administration locale dans les grandes villes. La plupart des gens, la plupart des pouvoirs publics locaux, pensent comme ça. Peu importe qu’elles ne soient pas au même niveau que Cluj ou Bucarest, elles aimeraient bien l’être. Et elles considèrent que ce facteur est l’un de ceux leur permettra d’atteindre leur but.

GIZ: Oh, it’s actually injustice. Because people who are not supposed to belong there will be pushed away. It’s very powerful, anti-poor propaganda in Romania that’s happening; it reaches a level of cruelty, genuine cruelty. So if you think about it, not even the specialists in urban studies, urbanists, architects, most of them, with a few notable exceptions, they’re not really pushing alternative explanations. Most of them believe that gentrification is normal and desirable. It’s expected to want the best people that your city can host. So you project policies in such a way that you would accommodate them. It’s how classic gentrification works, right. But that’s embedded in public policy, particularly in terms of local administrations in the larger cities. Most people, most local administrations, think like that. Even if they are not at the same level of economic development as Cluj and Bucharest, they would like to be, and they see that as one of the factors that will lead to it.

 

 

CB : Pensez-vous que si vous aviez utilisé le mot « développement durable » en Allemagne, concept qui est beaucoup plus connu, il aurait été plus simple d’aborder la question des disparités régionales, ou des inégalités concernant l’équité des conditions de vie ? Ou pensez-vous au contraire que la « justice spatiale » vous aurait permis de mieux appréhender les différents aspects du problème ?

CB: Do you think if you had used “sustainable development” in Germany, which is, like, a very much more well-known concept, do you think that it would have been simpler to address questions of regional disparity or inequalities of equity of living standards, or do think that with “spatial justice”, you would be better able to see some different aspects of the problem?

VK : À mon avis l’un des avantages de la « justice spatiale », c’est sans doute que personne ne le connaît, donc…

VK: I think an advantage of “spatial justice” could actually be that no-one knows it, so…

FM : Il n’y a pas de cadre posé d’entrée de jeu.

FM: There is no framing from the outset.

VK : Oui, car quand on dit « développement durable », tout le monde pense à l’environnement, aux arbres. C’est pourquoi il est beaucoup plus difficile de parler de durabilité dans le sens non-environnemental du terme, dans le sens d’un développement régional sur le long terme, ou autre chose de cet ordre. Donc l’avantage que nous avons sans doute ici, c’est que nous n’avons qu’à importer le terme et nous l’approprier, en quelque sorte.

VK: Yes. Because when you think about sustainable development, everyone thinks about the environment, and trees. So it is more difficult to talk about sustainability in a non-environmental, long-term regional development sense, or something like that. So maybe the advantage we have is that we could just put it out there, and kind of make it our own.

 

 

EE : Dans le cas du Portugal par exemple, pourquoi parler de « justice spatiale » plutôt que de « cohésion territoriale », de « développement local », ou d’« inégalités » ?

EE: For example in Portugal, why “spatial justice” and not “territorial cohesion” or “local development” or “inequality”?

PM : Parce ce que les inégalités n’ont pas de composante spatiale, je suppose. Elles ne peuvent qu’être sociales. Par contre, je pense qu’on ne peut pas vraiment dissocier la composante géographique des autres composantes. Toutes s’inscrivent dans l’espace. À vrai dire, c’est comme le développement territorial ou l’approche fondée sur le lieu (place-based). On n’est pas en train de dire qu’il faut des interventions à un niveau très localisé pour être plus proche des gens, mais plutôt qu’on associe et qu’on implique les populations locales parce qu’elles ont une meilleure connaissance des dynamiques locales. Donc dans un sens, j’imagine, le spatial est loin de se limiter à sa seule définition physique.

PM: But inequality itself does not have a spatial element, I guess. So it could be only social. But then, I guess that you cannot really separate the geographical element from other elements. They are all embedded in the space. I mean it’s like territorial cohesion or like a place-based approach. It is not that we are saying that you need to have the interventions at the very localised level just because it is closer to the people, but rather that you involve and engage the various local people because they will have better knowledge of the local dynamics. So in a way, the spatial doesn’t have to be limited only to the physical definition, I guess.

De mon point de vue, ce qui peut vraiment constituer une limite, c’est sans doute de se concentrer un peu trop sur la dimension physique. Car le terme, c’est bien « justice spatiale » : il dirige d’emblée la focale sur l’espace, sur la géographie. Il peut donc masquer d’autres composantes, pourtant bien présentes dans la dimension spatiale, mais pas forcément visibles dans l’espace. Or ce qui est intéressant, ce n’est pas forcément leur composante spatiale.

From my point of view, the limitation might actually be that it might focus too much on the physical element. Because the term is “spatial justice”, it indicates a very direct focus on the space, on the geography, and that might actually hide other elements that are actually embedded with the spatial element but are not necessarily as visible in space. The interesting thing about them is not necessarily their spatial dimension.

AM : A mes yeux, la justice spatiale met l’accent sur la dimension distributive de la justice. L’espace, de toute évidence, suscite chez les gens des interprétations variées. Mais pour eux, le spatial et le social sont parfois tellement imbriqués que si vous leur demandez « qu’est-ce que le spatial ? », ils vous répondront : « c’est le social ». Bien sûr, tout a une composante sociale et une composante spatiale, et dans ce sens, il est difficile de distinguer la justice spatiale de la justice sociale. Mais si on veut parler très concrètement du spatial, ce qui surgit souvent c’est le mécanisme distributif des ressources et des offres à travers l’espace. Ici, on voit très clairement que l’accent est mis sur la composante spatiale et distributive, ce qui n’est pas forcément le cas avec la justice sociale. La justice spatiale, quand les gens en parlent, c’est souvent à propos de l’égalisation, c’est-à-dire du concept égalitaire d’accès aux offres et aux ressources ; c’est bien, c’est un principe très vaste et très général. Mais quand il s’agit de caractéristiques spatiales et de distribution dans l’espace, c’est la justice spatiale qui permet de le saisir. Ici, dans un sens, la justice spatiale ne peut pas fonctionner sans le concept sous-jacent de justice sociale, sans ce sens-là de l’égalité. Mais on l’applique à l’organisation spatiale de la même manière, par exemple, que durabilité signifie justice temporelle. Une justice qui transcende les générations. Au final, la définition classique de la durabilité, c’est de faire en sorte qu’il y ait des ressources disponibles pour les générations futures. Il s’agit d’une justice temporelle, d’une justice pour l’avenir. Or ici, la justice spatiale c’est rendre justice à tout le monde, c’est rendre justice à son voisin, en quelque sorte. C’est donc dans ce sens-là que ça met l’accent sur la dimension distributive, c’est un trait distinctif.

AM: Well, to me, spatial justice is emphasising the distributive element of justice. Obviously, space is something that people have various interpretations of. But sometimes, the spatial and the social are so much intertwined for people that when you ask them what is “spatial”, they answer: “It’s the social.” And of course anything has a social and a spatial dimension. In that sense, spatial justice is not distinguishable from social justice. But if you say spatial in a very explicit way, what you are saying is often the distributive pattern of resources and opportunities across space. And in that case, we see a very clear emphasis on that spatial distributive element, which is not the case necessarily in social justice. Social justice, when people talk about it, is often equalisation, or an egalitarian concept of access to opportunities and resources; it is fine, that is a very broad and general principle. But when it comes to spatial patterns and distribution across space, spatial justice addresses that. Now, in a sense, spatial justice cannot stand on its own without the underlying concept of social justice being there, that sense of equality. But we are applying it to spatial organisation in the same way that, let’s say, sustainability is temporal justice. It is justice across generations. I mean, the classic definition of sustainability is that resources are available to future generations. It is temporal justice; it is justice to the future. And now spatial justice is justice to everybody, justice to your neighbour in a way. So in that sense it emphasises that distributive element, which is distinctive.

 

 

CB : Mais où placez-vous dès lors la justice procédurale dans ce contexte spatial/social/temporel ?

CB: In that case, where do you put procedural justice in this spatial/social/temporal context?

AM : La justice procédurale, je la comprends comme un ensemble d’outils et de moyens nécessaires si l’on veut atteindre la justice spatiale ou la justice sociale. Dans un sens, la justice spatiale c’est mettre en place les bons processus, les bons règlements, les bonnes règles, pour obtenir des résultats équitables.

AM: Procedural justice I put as the means and tools that are needed to achieve spatial justice or social justice. So, in a sense, procedural justice is having the right processes, regulations and rules in place that delivers fair outcomes.

 

 

CB : Il s’agit donc d’une justice politique ?

CB: So it is political justice?

AM : En partie oui, c’est politique. C’est d’ailleurs pour cette raison que les politistes sont très axés sur la justice procédurale. D’un autre côté, on constate que les géographes tendent à être plus distributifs dans leur approche, parce qu’ils parlent de mécanismes qui se manifestent à travers l’espace. Certains pensent que si les bonnes procédures sont en place, c’est amplement suffisant – ce qui reste en partie à vérifier. Ce que je veux dire par là, évidemment, c’est qu’au bout du compte, il faut avoir les bons processus en place si on veut garantir une bonne qualité de vie. Mais qu’est-ce qu’une bonne qualité de vie ? C’est une vie qui est juste. Dans ce sens, la justice procédurale n’est pas une fin en soi. Par contre, la justice procédurale signifie avoir les bons cadres, les bonnes institutions et les bonnes procédures, c’est ce qui donne le moyen de parvenir à ses fins.

AM: Well, partly, it is political. And that is why political scientists are very much into procedural justice. On the other hand, you see geographers tend to be more distributive in their thinking, because they are talking about patterns across space. Some may think that if you have the right procedures in place, it is enough, which is not so much verified. I mean, of course, ultimately you have to have the right process in place to deliver, if you like, good quality of life. But what is good quality of life? One that is just. In that sense, procedural justice in itself is not an end. But procedural justice means having the right frameworks, institutions, and procedures as a means to an end.

 

 

SN : Si je comprends bien, les mécanismes distributifs peuvent être aussi considérés comme des fondations qui garantissent l’établissement de bonnes procédures. Si on veut donner plus d’autonomie à certains niveaux et échelles (empowerment), pensez-vous que certaines conditions et capacités doivent être mises en place ? Pensez-vous par conséquent que leur existence au niveau local dépend des mécanismes distributifs ?

SN: I understand also that distributive patterns can also be seen as the foundations for having an opportunity to have good procedures. Can one say that to empower certain levels/scales, certain social conditions and capacities need to be in place, the local presence of which in turn, depends on distributive patterns?

AM : Ils sont corrélés, en effet. Ils sont très clairement en lien les uns avec les autres ; ils ne peuvent pas être dissociés. Car ce qui est distribué, ce sont entre autres des capacités, et par nature les capacités sont procédurales. Ou si vous préférez, elles ne sont pas matérielles ; ce sont des biens sociaux en quelque sorte. Et les biens sociaux font partie de ces procédures. Donc, comment générer des biens sociaux, des capacités en faveur de l’empowerment ? En un sens, ils ont un pied dans chaque camp. Et très clairement, ils sont évidemment et étroitement liés les uns aux autres. Il ne s’agit pas d’affirmer ici qu’il faut une justice distributive à tout prix ; mais pour l’obtenir nous avons besoin de procédures justes. La fin ne justifie pas les moyens. Les moyens ont autant d’importance que la fin. Et dans ce sens, ils sont très étroitement liés.

AM: Yes, they are interrelated. They are very clearly related to each other; they cannot be separated. Because some of the things that are distributed are those capacities, and those capacities are procedural in nature. They are not, if you like, material; in a way, they are social assets. And social assets are part of those procedures. So, how to generate social assets, our capacities to achieve empowerment? Those are, in a way, one foot in each place. And they are obviously very clearly and closely related to each other. It is not to say that we need distributive justice by any means; we need to get it through just procedures. It is not that the ends justify the means. The means are as important as the end. And in this sense, they are very closely related.

PK : Pour en revenir à la justice spatiale, si on regarde les communes finlandaises et nordiques, la principale question qui se pose c’est l’universalisme. L’universalisme, c’était l’idée centrale de la « société providence » (welfare society). Les habitants, indépendamment de l’endroit où ils vivaient, avaient donc droit à des services. Jusqu’ici, le principe d’universalisme – lié à la « société providence » des pays nordiques – a plutôt bien fonctionné. Grâce à l’augmentation constante de notre niveau de vie et à la croissance économique, il n’a pas été difficile pour les communes de construire un système de protection sociale. Le budget des communes a toujours pris 5 % grâce à la croissance économique, jusqu’en 1991. Ensuite, il y a eu une période de stagnation très importante, qui a été suivie par d’autres ; la « société providence » a donc dû réduire les coûts et cette forme de développement s’est arrêtée là.

PK: Going back to spatial justice, when you think about Finnish and Nordic municipalities, the main question is universalism. Universalism has been the main idea of the whole welfare society. So, people, it does not matter where they live, they have the right to get the services. And so far, universalism, as a principle for the welfare society in the Nordic countries, has been working rather well. Because of the steady rise in our welfare, and the economic growth, it was easy for the municipalities to build a social welfare system. They always had a 5% bigger budget, because the economy was growing until 1991. Then, there was a really deep stagnation and after that there has been more, so that the welfare society has been cutting costs and this kind of development stopped.

À partir de là, on en vient à ce nouveau discours sur la justice spatiale, ou plutôt sur les injustices spatiales. En un sens, on ne parle pas uniquement de problèmes concrets. On parle aussi de valeurs. En Finlande, en Suède, c’est un débat qui est vraiment centré sur les valeurs. Et quand on essaye d’articuler cet aspect centré sur les valeurs et certains problèmes de nature très concrète, du type « ok, où est-ce que se trouve le centre de santé ? », et bien, vous pouvez facilement le placer sur une carte, calculer l’accessibilité en fonction des rues, et répondre « oui, c’est l’endroit parfait pour un centre de santé, tout le monde peut y accéder facilement, allons-y ».

So now you come to this new talk about spatial justice, or spatial injustice. In a way, you are not only talking about the concrete issues. You are also talking about values. In Finland, and in Sweden, it is also very much a value-based discussion. And when you try to connect the value-based aspect and some very concrete issues, such as “OK, where is the health centre located?”, well, you can easily put it on the map, calculate the accessibility along the roads, and say “Yeah, here is the perfect place for the healthcare centre, everybody can go there, let’s go.”

Mais comment couper court à ce débat basé sur les valeurs ? Au lieu d’utiliser le seul universalisme, on pourrait associer la justice spatiale à la discussion, en d’autres termes. Si j’emménage au fin fond des bois, à 200 km du milieu de nulle part, au milieu de nulle part, et qu’ensuite vous dites « bon, où est la garderie ? ». C’est votre choix […]. Mais jusqu’à présent ce n’était pas le cas. Ça a toujours été le cas, si vous aviez des enfants, le taxi venait les chercher aux frais de la société. Mais c’est un type de débat qui est centré sur les valeurs, et pour l’instant il n’a pas encore eu lieu en Finlande. Donc le type de projection que je fais – je peux me tromper – c’est que ce débat aura lieu dans quelques années. Et quand il touchera la Finlande et l’ensemble des pays nordiques, ce sont les régions périphériques qui seront les plus durement touchées.

But how do you break this value-based discussion? It might be that spatial justice would be a new dimension to this discussion, and no longer using only universalism, you know. If I moved into the middle of the forest, 200 kilometres from the middle of nowhere, in the middle of nothing, and then you say: “Well, where is the day-care?” It’s your choice […] But so far it has not been like that. It has always been the case that if you have children, then the taxi comes to collect your children at the expense of society. But this is a sort of value-based discussion, and it has not taken place in Finland yet. So my sort of projection – I might be wrong – will be that it will come within a couple of years. When this discussion hits Finland and all the Nordic countries, it will hit peripheral regions really hard.

 

 

CB : Le concept de justice spatiale, dans le contexte finlandais, nous permettrait donc d’ouvrir ce débat sur les valeurs, du fait de la nature spécifique des pays nordiques, étendus et très peu peuplés, et de poser la question de l’accessibilité ?

CB: So the spatial justice concept in the context of Finland allows us to open this value-based discussion and, because of the particular nature of Nordic countries, being so big and so sparsely populated, this raises the question of accessibility?

SN : Je pense que la justice spatiale introduit ces réalités, les dures réalités de la spatialité. C’est une approche pragmatique. Après, il faut faire des compromis avec ces valeurs.

SN: I think that spatial justice brings in these realities, the hard realities of spatiality. It is a pragmatic approach. And then you have to compromise with those values.

PK : Jusqu’ici, l’accès au soin et les services sociaux étaient présents dans les communes. Donc bien sûr, chacune de ces communes a eu son centre de santé. Très bien. L’accessibilité est plutôt bonne actuellement. Mais quand on passe à un niveau supérieur, on commence à compter différemment parce qu’il s’agit d’une région plus grande. Elle a ses avantages et ses inconvénients, et parmi les inconvénients on trouve la justice spatiale. Vraiment. Comment cela évoluera-t-il dans un contexte en mutation ? Car aujourd’hui même les petits centres municipaux perdent peu à peu leurs effectifs, il n’y a plus assez de monde. C’est un problème démographique. L’autre, c’est le vieillissement. Mais ce ne sont pas tant les personnes âgées qui posent problème ; on trouvera le moyen de s’occuper d’elles, toujours. Le vrai problème, c’est qu’il n’y a pas de jeunes. C’est ça qui pose problème. Ils partent, mais aucun jeune ne vient s’installer.

PK: And so far, health care, social services have been organised in the municipality. So of course, each of these municipalities has had their own health centres. Fine. Accessibility is pretty good today. But then when you come to the upper level, you start counting in a different way because you have a bigger region. It has its pros and cons, and one of the cons is spatial justice. Really. How will it evolve with the changing context? Because now, even the small municipal centres are slowly shrinking and there are not enough people. It is a demographic problem. One problem is ageing. But older people are not so much the problem; they will be taken care of, somehow, always. What is the real problem is that there are no young people. That is the problem. They are moving out and there are no young people coming in.

 

 

CB : Bien sûr, la situation est beaucoup plus complexe que ça, mais pourquoi ne pas ouvrir vos frontières à un niveau plus élevé de migration ?

CB: So, of course it is more complicated than this but still, why don’t you open your borders to high levels of migration?

SN : Le plus drôle, en fait, c’est que les acteurs institutionnels et les administrations municipales sont déjà ouverts à cette idée, parce qu’il y a un vrai besoin en main-d’œuvre. Les Russes, surtout, sont employables. Cette immigration ne fait pas peur dans les contextes locaux. Les choses bougent, le monde change. Ce qui est plus problématique, pour être honnête, c’est que peu de gens choisissent cette destination. Impossible d’entrer en concurrence avec l’Europe de l’Ouest.

SN: Actually, the funny thing is that stakeholders and city management, they are open to that, because they need workforce. Russians, most importantly, are employable. Fears of such immigration are not an issue in those local contexts. Things are changing, the world is changing. To be honest, what is more problematic is that not that many people choose this destination. You cannot compete with western Europe.

 

 

CB/EE/SN/LN : Quel message adressent ces études de cas dans la lutte contre les injustices spatiales ?

CB/EE/SN/LN: What is the main message from the case studies when it comes to tackling spatial injustice?

JT, KS et AR : Le cas que nous avons étudié se trouve au nord des Pays-Bas, dans la région de Groningen. C’est là qu’on a commencé à extraire du gaz naturel dans les années 1960. Et l’extraction de gaz provoque des tremblements de terre, même si le gouvernement du pays a affirmé le contraire pendant un temps. Mais il y a eu un grave séisme en 2012 et tout a changé. Ça a été un tournant majeur, indéniablement. Après ça, notre bonne vieille mécanique s’est mise en branle pour contester qu’il y ait eu relation entre l’extraction et les tremblements de terre, et refuser de résoudre le problème. Ils se sont contentés de mettre en place et financer une autre institution, sans analyser en quoi l’institution précédente n’avait pas fonctionné – personne ne savait si elle avait ou non bien fonctionné – et hasard ou non, le processus procédural a ici aggravé la répartition des injustices. Pour certains, c’est loin d’être une coïncidence : c’est au contraire le moyen qu’a trouvé le gouvernement de gérer la question, car il en a bien profité, il en a bien bénéficié, de l’argent qu’il a gagné par ce biais ; c’est un gros montant. Actuellement l’estimation est d’environ 400 milliards d’euros depuis les années 1960. Donc, c’est vraiment un gros montant.

JT, KS and AR: Our case is situated in the north of the Netherlands, in the region of Groningen. There, natural gas extraction started in the 1960s, and natural gas extraction causes earthquakes, although that was denied for quite some time by the national government. But there was a really severe earthquake in 2012 and it changed everything. That was a turning point, absolutely, and after that, our old machinery came in, in the form of denial of the relation between extraction and earthquakes, and of solving the problem. They simply organised and funded another institution without analysing why the previous institution hadn’t worked – nobody knew if it had worked well or not – and the procedural process here aggravated the distribution of injustice, and whether that was coincidental or not. Some people say it is not, that is the way the government deals with it, because the government profited, benefited from all the money that was earned by it, and that is a lot of money; well, the estimate is about 400 billion euros now, since the 1960s. So, it is really about a lot of money.

 

 

CB : Et dont très peu va la région ?

CB: And very little goes back to the region?

JT, KS et AR : L’argent va à l’État et à la compagnie pétrolière, qui sont des acteurs internationaux. Voilà le contexte.

JT, KS and AR: It goes back to the national state and the oil company, which are international stakeholders, so that’s the particular context.

 

 

CB : Vous aviez évoqué, je me rappelle, la forte mobilisation des citoyens et des pouvoirs publics locaux et régionaux au niveau local, qui n’a pourtant rien changé. Je ne me trompe pas ?

CB: And what I heard you saying before is that actually, the local, the citizens, the local authorities, the regional authorities are very much mobilising against this, but that this mobilisation does not change anything?

JT, KS et AR : Non, leur impact est en effet assez limité. La mobilisation pourrait être bénéfique, mais le gouvernement national, ou les autorités locales et municipales, ne savent même pas quelles maisons ont été touchées ou pas sur leur périmètre. Et elles n’ont pas le droit de le savoir, en raison de la réglementation sur la protection de la vie privée. C’est seulement dans les cas où il est trop dangereux de rester dans les maisons, dans les cas où elles peuvent s’effondrer à tout moment, que le maire reçoit un appel du ministre : « Il faut détruire, c’est trop dangereux ». Mais sinon, les maires locaux ne sont pas censés le savoir. Sauf qu’ils ont besoin de le savoir, parce que les habitants de leurs villages viennent les voir pour protester. Donc ce qu’ils font maintenant pour essayer de trouver où ont eu lieu les dégâts, c’est d’aller sur Facebook. Ce qui est aussi particulier, c’est que dans le contexte néerlandais, cette région est une région périphérique pauvre. Depuis les années 1970, elle a déjà fait l’objet aux Pays-Bas de politiques régionales, en raison de sa position périphérique. Donc la région n’est pas sinistrée au sens où toute l’industrie est partie ; c’est plutôt une affaire d’accès à l’information. C’est curieux, avec internet, ils devraient savoir tout ce qu’ils peuvent faire, mais c’est encore trop loin.

JT, KS and AR: No, their impact is quite limited. It might be quite beneficial but the national, or the local government, or the municipal government, does not even know which houses in its own area are damaged or not. And they are not allowed to know it, due to privacy regulations. Only in cases where houses are too dangerous to live in any more, that can collapse at any time, then the mayor receives a phone call from the minister: “Tear it down, because it is too dangerous.” But otherwise, the local mayors are not supposed to know about it. And they have to know, because people from their villages come to them and complain to them. So what they do now is they are trying to find out where the damage is by means of facebook. What is particular in the Dutch context too is that this region is a poor peripheral region. It has already been the focus of the Dutch regional policy for its peripheral position since the 1970s. So, it’s not that that area is deprived because all the industry went away; the story is more about access to information. It is strange, you have the Internet now, they should be aware of anything, you know, that they could do, but it is still too far off.

VK : L’un des cas sur lesquels on travaille, c’est Görlitz, une ville est-allemande située à la frontière polonaise. C’est une ville de taille moyenne. Il y a une initiative destinée aux jeunes, une association, qui a pour mission de créer un centre pour les jeunes et la culture sociale – c’est vraiment quelque chose de très important pour la commune en ce moment. On y trouve plein d’activités différentes, des activités à bas seuil, ouvertes, des ateliers, le tout avec une gestion très professionnelle. Il s’agit vraiment d’une approche par le bas, mais ils travaillent toujours main dans la main avec la municipalité ; donc ce centre, c’est vraiment un projet commun.

VK: One of the German cases is Görlitz, an east german town at the border with Poland. It is like a mid-sized town. And there is a youth initiative, association, that got the mandate to create a centre for youth and social culture, which actually is a really big thing in the municipality happening right now, and we have all kinds of activities, like low-threshold, open activities, workshops, with very professional management. And it is a very bottom-up approach, but they still work together very closely with the municipality, so it is basically a joint project, this centre.

Ce qui m’amène au point suivant, car je pense que c’est un très bon exemple de municipalité qui accepte une forme d’informalité. Ils reconnaissent en effet que c’est quelque chose qui peut être vraiment important pour la commune, qui peut leur apporter beaucoup, de permettre à ces jeunes, en fait, de prendre part au développement urbain. Pas nécessairement de manière formelle, pas au sens où ils participeraient au conseil municipal, ce genre de choses ; mais de manière informelle, au sens où il s’agit de revitaliser des espaces vacants, d’être présent dans l’espace public, d’organiser des événements, de rencontrer les habitants du quartier, de proposer des activités, etc. Ils ont donc vraiment vu que ce type d’approche informelle du développement urbain, ou qu’une approche du développement urbain très axée sur la société civile, pouvait beaucoup apporter à la commune.

This brings me to the point, that I think it is a great example of a municipality accepting some kind of informality. So they recognise that this can actually be really important for the municipality, and be very beneficial, to allow these young people, basically, to take part in urban development. Not necessarily in formal ways, in the sense of being on the city council or anything like that, but also in informal ways, in the sense of just reviving vacant spaces, being in a public place, and holding events, and approaching people in the neighbourhood, doing activities and so on. So they really saw how this kind of informal approach to urban development, or a very civil society approach to urban development, can be very beneficial for the municipality.

VK et FM : L’un des aspects dont nous pourrions également discuter, que je souhaite mentionner, se situe à un niveau plus général, sans doute lié à nos deux études de cas, mais regarde également vers d’autres niveaux de financements – les fonds européens et les politiques européennes, les politiques nationales, par exemple. Nous pensons, ou plutôt nous considérons, qu’on devrait davantage prendre en compte le droit de faire des erreurs, dans le sens où être ensemble, développer des projets, développer une ville ou une région, c’est tout un processus à apprendre ; d’avoir le droit de se tromper, en fait.

VK and FM: One thing we could also discuss, which I want to add, is also a more general one, maybe coming from both case studies as well, also looking at higher levels of funding, EU funds, or EU policies, national policies and so on. We think or we would consider that making mistakes should be taken into account more often, in the sense of this whole process of learning how to get together, how to develop projects, how to develop your town or region; that mistakes are allowed, basically.

 

 

SN : C’est-à-dire un processus d’apprentissage ?

SN: You mean a learning process?

VK : Oui, et qui n’est pas uniquement pertinent pour les acteurs au niveau local ; c’est aussi très pertinent pour ceux qui attribuent les fonds. Car ils attendent toujours un résultat sous une forme ou une autre, ils veulent que ça marche, mais je crois qu’il faut comprendre que réussir, ça peut vouloir dire se tromper, prendre en compte ses erreurs et en tirer des leçons. C’est tout l’intérêt de l’apprentissage organisationnel. Dans les deux cas sur lesquels nous avons travaillé, nous avons remarqué qu’ils continuaient à commettre des erreurs, en quelque sorte, mais on peut aussi évoluer grâce à elles, donc oui, cela devrait être plus souvent pris en compte.

VK: Yes, and this is not only relevant for the actors on the local level, but this is especially also relevant for those who give out funds, because they also always want to have some kind of output there, they always want to succeed, and I think understanding that success can also be making a mistake, and then building on that, and learning from it. This is the whole point of organisational learning. In both cases we saw that these mistakes are always made, somehow, but you can also evolve on the basis of them, and yes, that should be taken into account more often.

AM : L’une de nos études de cas porte sur le groupe d’action locale du Northumberland, dans une région rurale du nord de l’Angleterre. Le principal message que nous adresse ce cas, dans sa lutte contre les injustices spatiales, c’est d’avoir mis en place une procédure qui consiste à localiser la prise de décision et à s’appuyer sur les savoirs locaux pour ouvrir des perspectives à cette région rurale reculée, ce qu’on n’aurait pas pu faire autrement. Donc dans un sens, du moins en théorie, c’est une avancée en faveur de résultats plus justes. Mais il y a aussi ici, si vous voulez, des facteurs limitatifs, par exemple les limites imposées par le gouvernement national qui encadre cette stratégie, plutôt que de laisser le groupe local prendre lui-même les décisions. Ou le fait de mettre clairement l’accent sur les résultats économiques, ce qui oriente les résultats dans une direction particulière ; c’est sans doute gratifiant sur le plan économique, mais pas forcément juste sur le plan social. Donc si vous remarquez, par exemple dans votre région, qu’un élément donné est arrivé à maturité, qu’il peut être investi, et qu’il peut générer des emplois pour certains habitants, mais qu’il ne répond pas forcément aux problèmes que d’autres habitants rencontrent, ou aux besoins de ceux qui sont davantage en difficulté, ce qu’on voit, c’est que c’est conçu pour l’économie, que ça contribue au développement économique, mais que ça ne prend pas en compte les problèmes et les besoins.

AM: One of our case studies is the Northumberland local action group in a rural area at the north of England. The main message from that case in tackling spatial injustice is that it is putting in place a procedure which is the localisation of decision making and drawing on local knowledge to provide opportunities in a remote rural area, which otherwise may not have been possible. So, in that sense, it is, at least in theory, a contribution to more just outcomes. But there are also some, if you like, limiting factors here, such as limitations from the national government that set the strategy, rather than allowing the local group to decide. Or the clear emphasis on economic outcomes, which steers the outcome towards particular things that can be economically rewarding but not necessarily socially just. So you see that, for example, when something is ripe and ready for investment in your area, and it may generate employment for new people, but it is not necessarily addressing the problems that some others are having and the needs of some more needy people. What we see is that because it is economically geared, it contributes to economic development, but not necessarily to tackling social problems or needs.

 

 

CB : Comme dans certains cas mentionnés précédemment ?

CB: As in other cases that have been mentioned before?

LT et VC : En effet, car quand on parle d’autonomie, tout ce qui en sort semble positif. Mais dans la pratique, l’autonomie exige une certaine maturité de la part des institutions pour qu’elles arrivent à l’appréhender et à inclure vraiment les citoyens. Deux de nos études de cas, à Thessalonique et dans la région de Macédoine-Occidentale, ont montré que les acteurs, les différents acteurs locaux et régionaux, avaient une faible culture de la coopération. Il leur manque une vision commune pour la direction dans laquelle ils veulent aller. Il y a une fragmentation des stratégies. C’est aussi la conséquence du contexte national, qui cherche vraiment à contrôler la procédure dans son ensemble (c’est assez centralisé). Mais dans le même temps, au niveau national de la Grèce, ils continuent à regarder les situations locales avec une approche vraiment top-down, ils ont plus d’intérêt pour le prochain cycle électoral. Il y a très peu d’intérêt pour ce qui se passe au niveau local en ce qui concerne les résultats concrets et les indicateurs de changement.

LT and VC: Yes, because whatever you say regarding autonomy sounds good, but in practice, autonomy requires the maturity of local institutions to tackle it and to really include citizens. Two of our cases in Thessaloniki and in the Western Macedonia region proved that there is a weak culture of cooperation between the stakeholders, the different local and regional stakeholders. There is a lack of a joint vision of where they want to go. There is a fragmentation of strategies. It is also a consequence of a strong will of the national context to control the entire procedure (pretty centralised). But at the same time, on the national level in Greece they still look at all the local situations with a very top-down approach and are more concerned about the next election cycle. Very little regard is paid to what is going on at the local level in terms of substantive results and indicators of change.