Justice environnementale et vote vert en Europe

Environmental Justice and the Green Vote in Europe

Sophie Moreau : Procédons d’abord aux présentations.

Sophie Moreau: Let us proceed with the introductions first.

Kristin Reynolds : Je suis géographe et chercheur indépendante à New York City, et puis je suis chargée de cours dans deux universités aux États-Unis : la New School et Yale School of Forestry and Environmental Studies. Mes domaines de recherche sont l’agriculture urbaine, les systèmes alimentaires, et la justice sociale dans le système alimentaire mondial, avec une perspective de recherche-action : comment des chercheurs peuvent s’insérer à travers leurs recherches dans les luttes pour la justice sociale et la justice alimentaire.

Kristin Reynolds: I am a geographer and an independent researcher in New York City; I also lecture in two universities in the United States: New School and Yale School of Forestry and Environmental Studies. My areas of research are urban agriculture, food systems and social justice in the global food system, with an action research perspective: how can researchers, through their research work, become part of the fights for social justice and food justice.

Nathalie Lewis : Moi, je me définis comme socio-politologue, entre la science politique et la sociologie de l’environnement. Je suis actuellement professeure à l’Université du Québec à Rimouski, et Directrice du département Société Territoire et Développement. C’est un département interdisciplinaire en sciences sociales, qui aborde de façon critique la notion de développement, qu’il soit international, territorial, social ou… j’hésite à dire, durable, parce qu’on a tellement fait dire de choses à paradigme là ! Je suis aussi directrice d’un groupe de recherche sur l’interdisciplinarité en développement territorial. La notion de territoire permet de réfléchir aux enjeux de justice (environnementale et sociale), de réfléchir aux inégalités (justes ou non). Jusqu’en 2007, j’étais au CEMAGREF (devenu IRSTEA) responsable entre autres des dossiers liés à la « forêt sociale », dans lesquels la notion de justice, imbriquant les divers usages et usagers, prenait sens. Je m’inscris encore dans cette façon de lire nos interactions avec la nature, qui met au premier plan les enjeux d’écologie politique.

Nathalie Lewis: I define myself as a socio-political analyst, between political science and environmental sociology. I currently lecture at the University of Québec in Rimouski, and I head the Societies, Territories and Development Department. This interdisciplinary department in social sciences tackles the notion of development in a critical way, whether international, territorial, social or… I hesitate to say it, sustainable development, because this paradigm has been used to say so many things! I am also heading a research group on interdisciplinarity in territorial development. The notion of territory makes it possible to think about issues of justice (i.e. environmental and social justice), and about inequalities (fair or unfair). Up until 2007, I worked at the CEMAGREF (that later became IRSTEA), and was in charge, among other things, of cases linked to the “social forest”, in which the notion of justice, overlapping the various uses and users, made sense. I still adhere to this way of reading our interactions with nature, that brings issues of political ecology to the fore.

Lydie Laigle : Je suis sociologue, directrice de recherche au CSTB, Centre scientifique et technique du bâtiment, un organisme parapublic de recherche en France. Je suis rattachée au LABEX Futurs Urbains de l’Université Paris-Est. J’enseigne à l’École des ponts et chaussées en MASTER : développement durable, prospectives post-carbone des villes, transition énergétique et territoires. Au tournant des années 2000, j’ai commencé à étudier les politiques de développement durable des villes européennes. Je me suis intéressée aux inégalités environnementales et à la participation citoyenne parce que ces deux questions étaient insuffisamment prises en compte dans ces politiques. Cela m’a conduit à m’interroger sur la notion de justice environnementale. Celle-ci ayant évolué sous l’influence des mobilisations environnementales et du changement climatique, je me suis ensuite intéressée à la notion de justice climatique. Poursuivant mes recherches à l’intersection des démarches citoyennes et des politiques publiques, j’ai focalisé l’attention sur l’analyse des chemins de transition écologique et leur manière singulière d’articuler le social et l’environnement, le local et le global.

Lydie Laigle: I am a sociologist and research director at the Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), a semi-public research organisation based in France. I am attached to the LABEX futurs urbains of the University of Paris-Est. I lecture at the French School of Civil Engineering (École des ponts and chaussées) for the Master’s programme on sustainable development, post-carbon urban forecasting, energetic and territorial transitions. At the turn of the Millennium, I began to study the policies of European cities on sustainable development. I took an interest in environmental inequalities and civic participation, because these two issues were not sufficiently taken into account in the policies. This led me to question the notion of environmental justice. Where environmental justice evolved under the influence of environmental mobilisation and climate change, I then took an interest in the notion of climate justice. Pursuing my research at the crossroads of civic approaches and public policies, I focused on the analysis of ecological transition and the unique way in which it links social and environmental issues, as well as local and global issues.

Sophie Moreau : Le deuxième point, c’est votre commentaire général sur la progression du vote écologiste aux dernières élections européennes, en Europe, et notamment en France.

Sophie Moreau: The second point is your general comment on the progress of the green vote at the last European elections, in Europe, and in France in particular.

Nathalie Lewis : Vu de l’extérieur, et de quelqu’un qui regarde depuis 30, peut-être 40 ans, la montée des préoccupations en environnement, en écologie, sur la nature, je voudrais bien voir le vote vert en Europe comme quelque chose de positif, mais j’ai plutôt l’impression que c’est encore très politique, en mode réactif, de protestation. Il faudra probablement attendre la prochaine élection, et voir comment ça va se développer. Il y a eu tellement de tiraillements entre les gauches, dans la plupart des pays européens comme en Amérique, en Occident, et au-delà. Les gauches se sont affaiblies au fil des dernières décennies, elles se cherchent, elles sont fragmentées. Et, comme d’autres analystes, j’ai l’impression qu’une partie de vote vert provient de l’électorat de gauche désillusionné. Est-ce que cette portion d’électeurs a voté vraiment par conviction écologiste, et qu’on s’en va vers une transition ? On sent une certaine pression, mais ce n’est pas la première fois. Je me demande si cette fois sera la bonne. Est-ce qu’on est au point de rupture ? Est-ce que justement maintenant, on va être capables de poser des actions et des gestes qui vont avoir un certain impact ? Je ne sais pas. En même temps, j’aime mieux voir la partie verte de ces élections-là plutôt que la partie droite et populiste issue du même scrutin, mais je pense qu’il faut attendre pour voir ce qui va en résulter.

Nathalie Lewis: Seen from the outside, and by someone who has been observing for 30, perhaps 40 years, increasing concerns about the environment and the ecology, I would like to see the green vote in Europe as something positive, but I have the impression that, rather, it is something that is still highly political, that it is still in a reactive or protesting mode. We will probably have to wait until the next election to see how things are going to develop. There has been so much conflict between the parties of the left, in most European countries as in America, the West and beyond. Parties of the left have become weaker during the last decades, finding themselves; they are fragmented. Also, like other analysts, I have the impression that part of the green vote comes from disillusioned left-wing voters. Did these voters truly vote as convinced ecologists, and are we in fact on our way to a transition? We can feel a certain pressure, but it is not the first time. I wonder whether this time will be the right one. Have we reached the breaking point? Are we now actually going to be able to start acting in a way that will have a certain impact? I don’t know. At the same time, I prefer to see the green section of these elections rather than the right and populist section stemming from the same ballot, but I think we need to wait to see what is going to come out of it.

Kristin Reynolds : À l’échelle européenne, il y a aussi la possibilité que ce soit une réaction à au moins deux évènements récents. Premièrement, la généralisation de la prise de conscience de la gravité du changement climatique, même si bien sûr, ça fait longtemps que les chercheurs, les écologistes s’en rendent compte, puis avec les Accords de Paris, et les différents rapports du GIEC. Et deuxièmement, une réaction à des changements politiques dans beaucoup de pays du monde industrialisé qui tournent vers la droite. C’est différent dans chaque pays, mais je pense qu’il y a des gens qui réagissent pour l’environnement, et des gens qui réagissent contre l’extrême droite, sans forcément être écologiste dans le fond.

Kristin Reynolds: On the European scale, there is also the possibility that this is a reaction to at least two recent events. First, the fact that the awareness of the seriousness of climate change is now generalised, even if, of course, researchers and ecologists have been aware of it for a long time, and then there is the Paris Agreement and the different reports from the IPCC. And secondly, it could be a reaction to political changes in many industrialised countries that are turning to the right. It’s different in each country, but I think that there are people who react in favour of the environment, and people who react against the far right, without automatically being ecologist at heart.

Lydie Laigle : Ce qui m’a interpellée dans le score des verts aux élections européennes, c’est le clivage géographique au sein de l’Europe. Le bloc Sud-Est, de l’Italie à la Pologne, en passant par la Croatie, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, la Grèce, n’a pratiquement pas de députés verts. En Europe du Nord-Ouest, l’électorat vert est plutôt citadin, jeune avec un capital culturel. Lorsqu’on rapporte ces caractéristiques de l’électorat aux programmes des verts, ce vote peut être interprété comme une défiance citoyenne vis-à-vis de la globalisation économique qui perturbe le climat et l’environnement. La géographie du vote vert correspond aux régions urbaines où les effets de la globalisation sont perceptibles, telles une augmentation des prix immobiliers et de l’alimentation, une dégradation écologique et un accroissement des inégalités. Le citoyen se rend compte qu’il est peu consulté sur l’orientation donnée à la globalisation et qu’il a peu les moyens d’en concevoir les garde-fous face à une économie qui écrase le vivant et surenchérit la vie. On a l’impression d’une Europe qui fait la part belle aux lobbys et qui laisse peu de place aux alternatives citoyennes. À mon sens, les écologistes à la différence des partis de gauche représentent une force politique, à l’échelle européenne, à même de défendre une certaine conception de la citoyenneté, de la législation environnementale et de la régulation fiscale face aux lobbys économiques.

Lydie Laigle: What was of concern to me with the green score at the European elections, is the geographic split within Europe. The South-East bloc, from Italy to Poland, via Croatia, Hungary, Romania, Bulgaria and Greece, had virtually no green deputy. In North-West Europe, green voters are rather urban and young with a cultural capital. When relating these voters’ characteristics to the ecologists’ programmes, this vote can be construed as civic defiance vis-à-vis economic globalisation, which is disturbing both the climate and the environment. The geography of the green vote corresponds to urban regions where the effects of globalisation are perceptible, such as an increase in the property and food prices, ecological degradation and an increase in inequalities. Citizens realise that they are not consulted a lot as regards the orientation given to globalisation, and that they have little means to conceive safeguards for it, faced with an economy that suppresses the living and overbids life. We have the feeling that Europe gave more to lobbies than was due, and leaves little space to civic alternatives. In my opinion, the ecologists, unlike the parties of the left, represent a political force, on the European scale, that can defend a certain conception of citizenship, environmental legislation and tax regulation in the face of economic lobbies.

Nathalie Lewis : Effectivement les Verts, de façon générale, c’est ni la droite ni la gauche. C’est quelque chose qui s’est composé et recomposé au fil des décennies. Au Canada il y a 15 ans, le Parti Vert, c’était un parti qui défendait la nature, sur certains plans il pouvait être direct et autoritaire. On ne défendait pas les populations, on défendait la nature. Le parti a évolué. Il est plus progressif maintenant et propose des solutions différentes. Il permet d’imaginer d’autres choses, d’autres structures. Et Lydie l’a souligné, les partis de gauche et particulièrement en France se sont institutionnalisés, et sont pris dans des sortes de carcans. Les électeurs y sont sensibles, et le parti vert peut offrir une voie de changement que les partis traditionnels ne semblent plus capables d’imaginer.

Nathalie Lewis: Indeed, the ecologist movement, in general, represents neither the right nor the left. It is something that was formed and reformed over the decade. In Canada, 15 years ago, the Green Party was a party that defended nature; on certain levels, it could be direct and authoritarian. Populations were not being defended; nature was. The party has evolved. It is more progressive today and proposes different solutions. It makes it possible to imagine other things, other structures. And as highlighted by Lydie, parties of the left, especially in France, have become institutionalised and are caught in some sort of shackles. Voters are sensitive to this, and the green party can offer an alternative for change which traditional parties seem no longer able to conceive.

Kristin Reynolds : Du point de vue des États-Unis, c’est bien différent. Même s’il y a un parti vert ou plus précisément une fédération de partis verts, et s’il y a quelques élus, ce n’est pas un parti pris au sérieux au niveau national.

Kristin Reynolds: From the point of view of the United States, things are very different. Even if there is a green party, or more precisely a federation of green parties, and if there were a few elected members, nationally the party is not taken seriously.

Nathalie Lewis : Les États-Unis et le Canada partagent ça. Le parti vert du Canada est toujours très marginal en termes de vote. Parce que, si on retourne dans les années 1970, lors de la première montée des préoccupations environnementales, les militants verts au Québec et au Canada ont fait le choix de ne pas investir la politique formelle. Il y a un parti vert du Canada, mais ce n’est pas là que se passe l’action environnementale. Elle se passe dans les ONG, les mouvements environnementaux, qui sont assez forts, qui font du lobby, qui s’infiltrent un peu partout dans la société, qui font du militantisme. L’action environnementale, si elle est éminemment politique, se passe sur une autre scène et non pas sur la scène de la politique officielle.

Nathalie Lewis: The United States and Canada have that in common. The green party in Canada is always very marginal when it comes to voting. This is because, if we go back to the 1970s, when concern for the environment first grew, green militants in Québec and Canada chose not to get involved in formal politics. There is a green party in Canada, but it is not where environmental action takes place. It takes place through NGOs and environmental movements that are fairly powerful, that lobby, campaign and infiltrate society everywhere. Environmental action, if eminently political, takes place on another stage, not on the official political scene.

Lydie Laigle : En France, il y a toujours eu des discussions au sein des mouvements écologistes pour savoir s’il fallait s’impliquer dans le jeu politique. Mais ce qui a peut-être poussé l’entrée en politique des écologistes, c’est l’urgence climatique. C’est comme si on n’avait plus le choix, il faut il y aller.

Lydie Laigle: In France, there have always been discussions within ecologist movements to know whether it was necessary or not to become involved in politics. But perhaps what pushed ecologists to enter the political scene is the climate emergency. It is as if there was no longer a choice; it had to be done.

Nathalie Lewis : Oui, mais votre mode de scrutin fait qu’il y a ce poids possible du vote – même s’il reste bien illusoire – pour infléchir l’action gouvernementale, alors qu’au Québec et au Canada si on veut être efficace face à l’urgence climatique, ce n’est pas vers les urnes que se tourneront les militants. C’est une perte d’énergie, liée au système électoral qui écarte de fait les partis minoritaires. Donc, les écologistes vont aller influencer les différents partis, ce qui est un peu différent que ce qu’on a pu voir en France.

Nathalie Lewis: Yes, but with your ballot system, there is the possible weight of the vote – even if it remains unrealistic – to re-orientate the action of the government, while in Québec and Canada, if we want to be efficient when dealing with climate emergency, activists do not turn to the polls to that end. It is a waste of energy, linked to the electoral system that actually excludes minority parties. Therefore, the ecologists are going to influence the various political parties, which is a bit different from what we can see in France.

Depuis ces dernières années, je sens vraiment une reprise en force de la société civile qui fait pression sur le gouvernement. Si on se rappelle les années 1970, un peu partout au Québec et au Canada comme en France et dans d’autres pays européens, c’est la société civile qui a fait pression sur les élus, sur le politique, et celui-ci a été obligé de s’adapter et de mettre en place les premières politiques environnementales et les ministères de l’Environnement. Et après, je dirais que l’Occident s’est mis à ronronner. Et là, depuis un an et demi, il y a une nouvelle poussée, forte, qui peut bousculer le politique, et dire : « Vous n’avez plus le choix, que vous soyez à droite ou à gauche. Il faut faire quelque chose ».

These last few years, I can really feel the strengthening of civil society which is putting pressure on the government. On recalling the 1970s, in Québec and Canada, just as in France and other European countries, it is the civil society that put pressure on elected members, on politicians, and the latter were compelled to adapt and implement the first environmental policies and create ministries of Environment. After that, I would say that the West started being complacent. And now, for about one and a half years, there is a new, strong pressure, that can rush politicians, and say: “You no longer have a choice, whether you’re from the left or the right wing. You must do something.”

Sophie Moreau : Cette pression de la société civile, à quoi tu la vois ?

Sophie Moreau: How do you feel that pressure from civil society?

Nathalie Lewis : Au Québec et pour le Canada, l’enjeu c’est l’énergie, c’est ce qui a fait basculer les choses. On parle de la transition, des changements climatiques. On a un gouvernement canadien qui est plutôt ouvert à ça. Et en même temps, on accepte des pipelines d’hydrocarbures, on va pousser pour des projets d’énergie fossile d’un océan (Pacifique) à l’autre (Atlantique) « Coast to Coast ». La réaction contre ça est très forte, mais l’acceptation est plus forte encore. Une autre variable s’est ajoutée, c’est la montée en puissance des peuples autochtones, qui jusque très récemment étaient invisibilisés. Aujourd’hui, ils développent leurs revendications sur ces questions énergétiques, que ce soit le transport des hydrocarbures ou la production de pétrole, en Alberta, puis dans d’autres provinces. Il y a une vraie mobilisation là-dessus. Puis il y a la jeunesse, un peu comme en Europe, on a vu tout le printemps, tout l’hiver, chaque vendredi des marches immenses des jeunes pour le climat, à Montréal entre autres et au Québec. Il y a ça qui monte tranquillement, mais assez fortement.

Nathalie Lewis: In Québec and Canada, energy is the issue; that’s what changed things dramatically. We speak of transition, of climate changes. Our Canadian government is rather open to that. But at the same time, we accept oil pipelines, we push for fossil energy projects from the Pacific to the Atlantic, “Coast to Coast”. There is a very strong reaction against that, but the acceptance of it is even stronger. There is another variable in addition: the growing power of indigenous people that, up until very recently, was made invisible. Today, they are developing their claims on these energy issues, whether oil transport or production, in Alberta, and in other provinces. There is real mobilisation in this regard. And then there is the youth, a bit like in Europe where, every Friday, during the entire spring and winter months, we’ve seen them marching for climate, in Montréal among others, and in Québec. This kind of movement is increasing quietly but strongly.

Lydie Laigle : En France, on a connu des tendances similaires. Dans les années 1970, les mobilisations environnementales ont pris de l’importance. Après, il y a eu une certaine institutionnalisation des politiques environnementales initiées par l’État et menées par ses services déconcentrés et les collectivités locales. Puis, la poussée associative et la montée des ONG ont changé la donne. Celles-ci ont acquis une expertise et sont intervenues dans les débats et les décisions sur les grands projets. Depuis quelques années, les citoyens se mobilisent directement contre les projets démesurés impactant leurs lieux de vie et accentuant les inégalités environnementales (data centers, fermes usines, etc.). Avec l’accélération du changement climatique et le retard pris dans les politiques climatiques, les mobilisations gagnent des profils qui étaient jusque-là peu investis comme les jeunes.

Lydie Laigle: In France, we have known similar trends. During the 1970s, environmental mobilisation took on a certain importance. After that, environmental policies initiated by the State became somehow institutionalised and were led by decentralised services and local authorities. Then, the rise of associations and NGOs changed the situation. They acquired expertise and played a part in debates and decisions on major projects. For a few years now, citizens are joining forces to fight directly against excessive projects impacting on their living space and highlighting environmental inequality (data centres, factory farms, etc.). With the acceleration of climate change and the delay in climate policies, profiles that up until then were little invested, like the youth, are now joining forces.

Ce qui change la donne, c’est la propagation de la mobilisation environnementale qui semblait hors de portée. On se dit à présent : « finalement regardez, se mobiliser ce n’est pas si compliqué que ça ». Les réseaux sociaux d’une certaine façon aident, comme cette fameuse pétition l’Affaire du siècle. Mais il y a aussi, un changement des mentalités et des pratiques : les citoyens se mobilisent à l’échelle locale, lancent des alertes ou relaient leurs luttes à des échelles plus larges. De plus, les élus locaux ont compris qu’ils ont besoin du citoyen pour avancer dans le domaine écologique.

What is changing the situation is the fact that environmental mobilisation, that seemed out of reach, is actually spreading. Today we say: “look, in the end, joining forces and fighting is not as complicated as that”. The social media help in a way, like that famous petition l’Affaire du siècle. But there is also a change in the mentality and practices of citizens who are joining forces locally, who are sending out warnings or relaying their fight on wider scales. In addition, local councillors understand that they need citizens to move forward ecologically.

Sophie Moreau : Vous pointez l’infiltration des préoccupations écologistes dans la société et des modes d’action et d’organisation qui ne rentrent pas dans les partis institutionnels. En France, depuis l’automne 2018, une grande part de la vie politique a tourné autour du mouvement des gilets jaunes, qui fait de la politique, mais autrement qu’à travers les pratiques institutionnalisées, et avec des revendications qui, au début, pouvaient apparaître comme anti-écologistes, mais qui finalement recoupent les problématiques sociales de justice énergétique, voire de justice environnementale.

Sophie Moreau: You are pointing out the fact that ecological preoccupations are filtering into society, as are means of action and organisation that do not fit into institutional parties. In France, since the fall of 2018, a major part of political life has been evolving around the Yellow Vest movement, which is a political movement, but other than through institutionalised practices, and with claims that, at the beginning, could have appeared as being anti-ecology, but that, in the end, confirmed the social issues of energy justice, or even environmental justice.

Nathalie Lewis : Ces mouvements-là incommodent les chercheurs, parce que ça ne rentre pas dans nos catégories d’analyse. C’est ça les mouvements sociaux. L’action collective, elle ne sort pas d’un livre. Elle se fait sur le terrain, et en fonction des différentes pressions qui sont subies par différents segments de la population, qui ne sont pas tous pareils, qui ne vivent pas les mêmes réalités. Je ne pense pas qu’il faille chercher une réponse unifiée, parce qu’il y a plusieurs malaises, que ces malaises-là, on va les exprimer dans la rue. C’est sain, me semble-t-il, parce qu’on exprime ce qui ne va pas, puis on va pouvoir peut-être faire quelque chose. On a toujours un sentiment d’injustice par rapport à quelqu’un d’autre, mais quelle est justement l’injustice de l’un par rapport à l’injustice de l’autre ? C’est une question philosophique pas si simple quand on parle de justice sociale ou de justice, parce que c’est sans fin. Mais c’est ce qu’on peut lire dans les gilets jaunes, ça me semble très stimulant.

Nathalie Lewis: These movements are bothering researchers, because they do not fit in our analytical categories. That’s what social movements are all about. Collective action does not come out of a book. It takes place on the ground, and according to the different pressures that are endured by different segments of the population, that are not all the same, and that do not live the same realities. I don’t think we need to look for a unified answer, because there is more than one social ill, and we express these ills in the street. This is healthy, it seems to me, because we express what is wrong, then we can perhaps do something about it. We always have a feeling of injustice in relation to somebody else, but what is indeed the injustice of the one compared to that of the other? This philosophical issue is not that simple when we speak of social justice or simply justice, because there is no end to it. But that’s what we can read when looking at the Yellow Vest movement; it seems very stimulating to me.

Lydie Laigle : À mon sens, ce mouvement des gilets jaunes symbolise vraiment la fracture entre la politique institutionnelle et le peuple, pas uniquement les catégories défavorisées parce qu’il y a une diversité de classes sociales dans les gilets jaunes : des commerçants, des fonctionnaires, des micro-entrepreneurs, etc. Ce qu’ils mettent en évidence, c’est que la redistribution doit évoluer. Ce n’est pas au peuple de payer les taxes écologiques, mais à ceux qui détruisent la planète.

Lydie Laigle: The way I see it, the Yellow Vest movement truly symbolises the split between institutional politics and the people, and not just disadvantaged categories, because there is a diversity of social classes among the yellow vests: shopkeepers, civil servants, micro-entrepreneurs, etc. What they are highlighting is that redistribution must evolve. It is not for the people to pay green taxes, but for those who destroy the planet.

Il y a autre chose qui me semble intéressant. C’est cet appel à l’initiative citoyenne et au RIC (référendum d’initiative citoyenne), afin que le citoyen puisse avoir une influence sur les lois votées par les députés. Le message qu’ils ont lancé, c’est : « Attention l’État ! Quand vous faites des lois, considérez la situation dans laquelle se trouvent les personnes et leurs contraintes de vie ; considérez si elles sont captives et dépendantes de modes d’habiter qu’elles subissent ; considérez les effets de vos politiques et comment elles se traduisent sur les conditions de vie des populations ». Ce mouvement a délivré un message aux politiques en disant : « Vous votez des lois dont les effets sont injustes et très peu évalués ». C’est un élément de citoyenneté extrêmement important pour la possibilité de relier la justice sociale à la justice environnementale.

Something else also seems interesting to me. It is that call for citizen initiative and for the citizens’ initiative referendum (RIC), to allow citizens to have an influence on laws voted by deputies. The message they sent out is: “Watch out the State! When you pass laws, consider the situation in which people find themselves and consider their life constraints; consider whether they are captive of and dependent on the living conditions they are subjected to; consider the effects of your policies and how they affect people’s living conditions”. This movement issued a message to politicians, saying: “You pass laws that impact unfairly and with very little assessment”. This is a very important element of citizenship for potentially linking social justice to environmental justice.

Kristin Reynolds : À propos des mouvements versus la politique formelle, je suis totalement d’accord. Dans le passé et même aujourd’hui, les mouvements sociaux pour l’environnement sont très importants, pour les changements sociaux et même politiques. Mais, le vote vert, c’est bien un vote. Et donc, il y a peut-être une prise de conscience plus forte en ce moment, que vis-à-vis des enjeux du changement climatique, on ne peut rien sans action au niveau politique.

Kristin Reynolds: Concerning movements versus formal politics, I totally agree. In the past, and even today, social movements for the environment were very important for social and even political changes. But the green vote, is a vote indeed. And therefore, there is perhaps a greater awareness at the moment than vis-à-vis climate change issues; we can do nothing without taking action at the political level.

Sophie Moreau : Ce vote vert et ce mouvement social, est-ce qu’il y a une fracture entre les deux, ou est-ce que vous voyez des articulations ?

Sophie Moreau: Is there actually a gap between the green vote and this social movement, or can you see any links?

Nathalie Lewis : Je ne serais pas prête à dire que justice sociale et justice environnementale se recoupent tout le temps, non. Pour certaines personnes, la justice sociale, c’est la justice sociale, et il n’y a pas de considération environnementale. Et pour les environnementalistes les plus extrêmes, l’environnement domine par rapport à la justice sociale. Il y a tout un spectre, on ne peut pas tout amalgamer. Mais malgré tout, il y a du recoupement.

Nathalie Lewis: I would not be prepared to say that social and environmental justice match up all the time, no. For some, social justice is social justice, and there are no environmental considerations. And for the most extreme environmentalists, the environment prevails over social justice. There is a whole spectrum, we can’t amalgamate everything. But despite all this, there is some cross-checking.

Nous en 2012, on a eu un mouvement étudiant assez massif, qu’on appelle le mouvement des carrés rouges. Il s’opposait au gouvernement qui voulait monter les frais de scolarité à l’époque. Et ce mouvement étudiant a eu une répercussion très positive. Une grosse partie de la population descendait tous les soirs dans la rue. Moi, j’habite un village où il n’y a presque pas d’étudiants, et chaque soir il y avait des manifestations, un peu comme ce qui se passe avec les gilets jaunes. Il y a eu une accélération des pressions sociales, et le gouvernement a été obligé de renoncer. On est parti en élection, il a perdu ces élections. Après ça, malheureusement, on a eu un retour plus conservateur et tout s’est éteint. Malgré tout, ce mouvement de la rue a montré que les choses peuvent se faire différemment. On a un nouveau parti au Québec, et comme je le disais plus tôt, à cause de notre système électoral, il est difficile pour un nouveau parti de percer. Ce troisième parti, Québec Solidaire, est issu de ces mouvements citoyens liés aux carrés rouges, et il est aujourd’hui le deuxième parti officiel. Avant d’y être, il voulait faire de la politique autrement, faire des assemblées de citoyens. Une fois rendu dans l’appareil gouvernemental, il redevient plus classique. Donc, il y a ce besoin de faire de la politique autrement, mais on ne sait pas trop comment faire « autrement ». Tous les partis surfent avec l’environnement. Tous les partis ne le font pas pour les bonnes raisons, mais ce parti-là, Québec Solidaire reste le plus écolo, et il dit vouloir croiser la justice sociale, et la justice environnementale. Malgré tout, je ne sais pas si on peut dire que ces deux choses vont converger. Je ne suis pas certaine que justice sociale et justice environnementale soient portées par les mêmes personnes.

In 2012, we had a fairly massive student movement, which we call the Red Squares movement. It was opposing the government that wanted to increase school fees at the time. And this student movement had a very positive repercussion. A large part of the population walked down the street every evening. I live in a village where there are almost no students, and every evening, there were demonstrations, a bit like what is happening with the yellow vests. There has been an acceleration of social pressure, and the government was forced to renounce. There was an election, and the government lost. After that, unfortunately, a more conservative government returned and everything went dead. Despite everything, this street movement showed that things can be done differently. We have a new party in Québec, and as I was saying previously, because of our electoral system, it is difficult for a new party to break into the political scene. This third party, Québec Solidaire, stems from the citizen movements linked to the Red Squares, and today it is the second largest official party. Before being on the political scene, this party wanted to do a different type of politics, by organising citizen meetings. But once it became part of the government apparatus, it went back to being a more classic structure. Also, there is this need to do politics differently, but we are not too sure how to do it “differently”. All the parties surf with the environment. All parties do not do it for the right reasons though, but this party, Québec Solidaire, remains the most ecological party among them, and it says that it wants to cross-pollinate social justice and environmental justice. Despite all this, I’m not sure whether we can say that these two things can converge. I’m not sure that social justice and environmental justice are championed by the same people.

Kristin Reynolds : Je pense que, théoriquement, on peut voir clairement les liens entre la justice sociale et la politique environnementale, mais comment cela évolue en pratique, on ne le sait pas. À propos des gilets jaunes, pour moi ce mouvement pose deux questions. La première : est-ce qu’on va vers une sorte de anti-établissement, anti-machine politique, ces sentiments-là qui sont à la base du populisme autoritaire dans bien de pays dans le monde en ce moment, ou bien est ce que l’organisation de la machine politique va changer dans le bon sens (c’est-à-dire, positif pour l’environnement et pour les classes populaires) ? Et la deuxième question : en supposant les démocraties et les partis politiques perdurent, est ce que les partis écologistes vont trouver le moyen d’inclure les enjeux des classes populaires et des travailleurs ? Je pense que c’est un des grands enjeux pour les partis politiques, pas seulement les écologistes mais pour tout le système, parce que c’est vraiment, pour moi, ce qui est derrière le mouvement des gilets jaunes.

Kristin Reynolds: I think that, theoretically, we can clearly see the links between social justice and environmental policy, but the way it develops in practice, that we don’t know. Concerning the yellow vests, to me this movement is raising two issues. The first being: are we going towards a sort of anti-establishment, anti-political machine, with sentiments that are at the foundation of authoritarian populism in many countries around the world at this stage, or is the organisation of the political machine going to change in the right direction (i.e. positive for the environment and for the working classes)? And the second issue being: supposing that democracies and political parties endure, will green parties find a way to include the issues of the working classes and the workers? I think this is one of the major issues for political parties, not only for the ecologists but for the entire system because, to me, it’s really what is underlying the Yellow Vest movement.

Lydie Laigle : Effectivement je suis aussi assez sceptique sur les manières de lier justice sociale et justice environnementale. Ce n’est pas évident, comme on peut le percevoir à travers les programmes des Verts, y compris le programme de EELV. J’aimerais faire passer des messages, c’est l’occasion. Il y a des propositions très importantes dans ce programme telles que la création d’une constituante citoyenne par lesquels les citoyens peuvent vérifier le travail parlementaire, la reconnaissance des lanceurs d’alerte, la lutte contre le dumping social et fiscal entre les pays européens et l’accueil des migrants. Toutes ces propositions contribuent à un espace démocratique fondé sur la coopération, les droits humains et les droits de la nature.

Lydie Laigle: Indeed, I’m also sceptical about how to link social justice and environmental justice. It is not obvious, as can be perceived through the programmes of the ecologists, including the EELV programme. I’d like to send out messages, this is a good opportunity. There are very important proposals in this programme, such as the creation of a citizen constituent assembly, through which citizens can check the work done by parliament, the recognition of whistle blowers, the fight against social and fiscal dumping between European countries, and immigrant reception. All these proposals contribute to a democratic space founded on co-operation, human rights and nature rights.

Néanmoins, la justice reste définie par rapport à la lutte contre l’évasion fiscale, le financement de la transition écologique, le respect des droits et la redistribution socio-économique. La future banque européenne du climat et de la biodiversité s’inscrit dans cet esprit. Toutefois, l’on demeure attaché à une conception redistributive et procédurale de la justice qui n’est pas toujours adaptée à la justice environnementale. Celle-ci implique de créer d’autres critères d’analyse et de pensée que ceux d’une compensation redistributive. La justice environnementale suppose de reconnaître quelles sont les discriminations sociales et politiques qui sont liées aux mutations des milieux et du vivant. On peut par exemple se trouver socialement discriminé par une perte de ses conditions d’existence due aux changements écologiques de son milieu ou à des politiques défavorables à la poursuite de ses modes de vie. Il convient donc d’expliciter les situations par lesquelles certaines catégories deviennent dépendantes des énergies fossiles ou d’un environnement dégradé sans qu’il leur soit donné les conditions ou possibilités pour surmonter cette situation. Ce genre de questions devrait davantage mobiliser les partis verts.

Nevertheless, justice remains defined in relation to the fight against tax evasion, financing the ecological transition, respecting rights and socioeconomic redistribution. The future European climate and biodiversity bank comes under this consciousness. However, we remain attached to a redistributive and procedural conception of justice, which is not always adapted to environmental justice. The latter involves the creation of analytical and thinking criteria other than those of redistributive compensation. Environmental justice presupposes the recognition of the social and political discriminations that are linked to the mutation of the environment and the living. For example, one can find oneself socially discriminated against, through the loss of one’s living conditions due to the ecological changes of one’s environment, or due to policies that are detrimental to the pursuit of one’s lifestyle. It is therefore advisable to explain in detail the situations through which certain categories become dependent on fossil energy, or a degraded environment, without these categories being given an opportunity or the possibility to overcome that situation. These types of issues should mobilise green parties more.

Il convient donc de sortir des raisonnements rapides conduisant à penser qu’investir dans l’environnement est bon pour le social. Par exemple que l’économie verte va créer des emplois ou que la transition énergétique va augmenter le pouvoir d’achat par une baisse des charges. C’est oublié que la transition écologique peut être inégalitaire, qu’elle peut bénéficier à certains et pas à d’autres. C’est pourquoi c’est important de redonner une place au social dans la transition écologique. D’accorder une place aux échanges de savoirs, à la coopération entre territoires, à l’expérimentation citoyenne, aux associations locales. Redonnons les moyens au local de faire de la transition écologique et énergétique en soutenant les initiatives locales des citoyens qui connaissent bien le territoire et ses problématiques. Prendre en compte la situation des classes populaires, mettre la citoyenneté et la coopération sociale au centre de l’écologie vont permettre d’inventer des trajectoires socio-écologiques.

As such, we should not rush into thinking that investing in the environment is good for social issues, for example, that a green economy is going to create jobs or that the energy transition is going to increase one’s buying power through a drop in charges. This would be like forgetting that an ecological transition can be unequal, that it can benefit some and not others. That is why it is important to give social issues a place in the ecological transition; to give a place to the exchange of skills, to co-operation between territories, to citizen experimentation, and to local associations. Let’s give the means to local structures to make the ecological and energy transition, by supporting the local initiatives of citizens who are well acquainted with the territory and its problematics. Taking into account the situation of the working classes, and making citizenship and social co-operation central to ecology, will make it possible to invent socioecological paths.

Nathalie Lewis : Je suis assez d’accord avec toi. Et je pense à la crise des migrants, je trouve que c’est un enjeu intéressant parce qu’il lie le social et l’environnement. Ce n’est pas strictement lié à des enjeux climatiques, mais c’est souvent lié à des enjeux climatiques. Mais on ne veut pas ces migrants-là. On nie l’origine du problème – dont on est partie prenante – et, socialement, on repousse les migrants (justifiant ce rejet avec d’autres registres). Cette crise-là révèle bien cette difficulté à marier le social et l’environnemental puis à faire corps avec un problème qui est global.

Nathalie Lewis: I quite agree with you. And I’m thinking of the immigrant crisis, which I find to be an interesting issue, because it links a social issue with an environmental issue. It is not strictly but often linked to climatic issues. But we don’t want these immigrants. We deny the origin of the problem – to which we are a party – and, socially, we’re turning immigrants away (justifying the rejection with other registers). This crisis shows indeed the difficulty in marrying social issues with environmental issues, and then in forming one body with a problem which is global.

Et ce que j’entendais dans ce que tu disais Lydie, c’est qu’on est dans une façon classique de faire les choses. Pour changer les choses au niveau territorial, pour redistribuer socialement différemment, on va nous dire : « il faut de l’argent ». Cet argent-là, on va le générer par des instruments de fiscalité verte. Ce faisant, on reste dans le même paradigme de développement. Et c’est ce paradigme qui va devoir être cassé. J’observe tous ces signaux citoyens qui réclament qu’on change plus radicalement. Mais pour l’instant, on a un système qui est fort, qui est capable de reprendre ces mouvements d’agitation et les recadrer. On est toujours dans la même logique. Changer de logique, c’est le prochain défi pour relier ce social-là et cet environnemental-là qui peinent à se rejoindre.

And what I understood from what you were saying Lydie, is that we are in a classic way of doing things. In order to change things at the territorial level, to redistribute socially in a different way, we’re going to be told: “we need money”. This money, we are going to generate it via green tax instruments. In so doing, we remain in the same development paradigm. And it is this paradigm that will have to be broken down. I have been observing all the signals of citizens who are demanding that changes take place in a more radical way. But for the time being, the system we have is strong; it is able to recover these unrest movements and refocus them. We are always in the same logic. Changing logic is the next challenge to link this social issue with this environmental issue that have a hard time linking.

Kristin Reynolds : Je suis totalement d’accord. Et je pense qu’il serait naïf de penser qu’on y est, que les mouvements anti-machinisme politique et les mouvements pour l’environnement et les mouvements pour combattre le changement climatique, vont ensemble, parce que les différences dans les changements qu’ils recherchent sont parfois très profondes.

Kristin Reynolds: I totally agree. And I think that it would be naive to think that we’re there, that anti-mechanisation political movements and environmental movements and movements to fight against climate change go together, because the differences in the changes sought are sometimes very wide.

Lydie Laigle : Je pense qu’il faut plutôt une redistribution des pouvoirs d’agir. C’est-à-dire une reconnaissance par les politiques des apports des contributions citoyennes et de leurs manières d’enrichir les politiques publiques. Toutefois, peu d’élus et de collectivités savent le faire. Cela demande un dialogue et une écoute réciproque entre élus et citoyens, et de nouvelles imbrications entre l’initiative associative, l’économie coopérative, les politiques publiques et les services de proximité.

Lydie Laigle: I think that we need rather a redistribution of acting powers; i.e. politicians must recognise citizens’ contributions and their way of enriching public policies. However, few elected members and authorities know how to do that. It requires elected members and citizens to enter into dialogues and listen to one another, and it requires new links between community initiatives, co-operative economy, public policies and community services.

Kristin Reynolds : J’avais quelques points à ajouter. À propos des initiatives dans les systèmes alimentaires et précisément dans l’agriculture urbaine, je parle du point de vue de mes recherches, je pense qu’il y a une tendance chez certains élus ou même chez certains qui font de l’agriculture urbaine, à penser, ou espérer, que ces réformes mènent à des solutions à tous les problèmes. Ces initiatives pour cultiver en ville et pour l’infrastructure verte, c’est positif, et on en a besoin pour développer des centres urbains en tenant compte de la résilience environnementale. L’agriculture urbaine a aussi d’autres avantages, notamment l’éducation, les activités pour les jeunes, les liens sociaux entre des gens qui ne se croiseraient peut-être pas si ce n’était pas dans un jardin. Tout ça, c’est positif. Un objectif de mes recherches, c’est de découvrir comment et jusqu’à quel point c’est positif, et quelles sont les limites vis-à-vis des changements structurels pour une justice sociale plus profonde. Comme le montrent les théories de la justice environnementale appliquées au concept de justice alimentaire, il y a des aspects distributifs, comme l’accès à des avantages environnementaux ou alimentaires. Mais il y a aussi des questions de justice procédurale. Et aux États-Unis, les enjeux d’ethno-racisme structurel (c’est-à-dire, les inégalités systémiques, basées sur l’ethnicité, la race) sont au fondement des inégalités dans les systèmes politiques, y compris dans les politiques concernant l’environnement et l’alimentation. Ils sont beaucoup plus profonds que l’accès à des jardins ou à des supermarchés. Si les partis politiques, les élus ou des décideurs soutiennent ces activités, c’est positif, mais il faut toujours tenir compte que ce n’est pas en soi un changement social structurel, qui donne plus de pouvoir de décision politique aux populations qui en sont depuis longtemps marginalisés. Pour revenir à l’idée des mouvements qui luttent pour les changements sociétaux et/ou de la machine politique, on ne peut pas dire que l’existence d’un jardin dans un quartier donné signifie plus de représentation au niveau politique.

Kristin Reynolds: I wanted to add a few points. Concerning initiatives in food systems and specifically in urban agriculture, I’m speaking from the point of view of my research, I think there is a tendency among certain elected members or even among some who do urban agriculture, to think or hope that these reforms will lead to solutions applicable to all problems. Initiatives for cultivating in town and for green infrastructure are positive, and we need that to develop urban centres by taking into account environmental resilience. Urban agriculture also offers other advantages, education in particular, activities for the youth, social links between people who perhaps would never meet if it was not in a garden. All these things are positive. One of the objectives of my research, is to discover how and up to which point it is positive, and what are the limitations vis-à-vis structural changes for deeper social justice. As shown by theories on environmental justice applied to the concept of food justice, there are distributive aspects, such as accessing environmental or food advantages. But there are also issues of procedural justice. And in the United States, issues of structural ethno-racism (i.e. systemic inequalities based on ethnicity, race) underlie inequalities in political systems, including in policies concerning the environment and food. They are deeper than having access to gardens or supermarkets. If political parties, elected members or decision-makers support these activities, it’s positive, but one always needs to take into account the fact that, in itself, it is not a structural social change, which gives more power to make political decisions to populations that have been marginalised from it for a long time. To come back to the idea of movements fighting for societal changes and/or the political machine, we cannot say that the existence of a garden in a given suburb means more representation politically.

Nathalie Lewis : Au Québec, le secteur de l’économie sociale et du mouvement coopératif est très bien implanté depuis le début du xxe siècle. C’est quelque chose dont on ne parle plus, parce que ça fait partie de la vie des territoires. Les coopératives, il y en a plein, l’économie sociale est même supportée par une partie du ministère de l’Économie. Dans la région où j’habite, il y a ce projet de fruits partagés. Les gens se rassemblent et vont cueillir un peu partout, en campagne et en ville, et vont redistribuer les fruits. Il y a ça à Montréal, et dans plusieurs villes. C’est intéressant, c’est utile, mais ce n’est pas ça qui va changer le système. Moi, je suis à Rimouski, je ne suis plus dans la grande ville, je suis plutôt dans des territoires semi-ruraux. Les enjeux territoriaux ici, c’est l’alimentation et les transports. Quand on parle transport, c’est inéquitable de dire aux gens qui habitent à 60 kilomètres d’ici : « Écoutez, il faut se limiter en termes de transport, donc restez chez vous ». Ils ont peu de services, ils ont moins de diversité alimentaire. Manger local, oui, mais il fait froid ici. Manger local, c’est des légumes racines !

Nathalie Lewis: in Québec, the social economy sector and co-operative movement are very well established, since the beginning of the 20th century. This is something no longer talked about, because it is part of the life of the territories. There are many co-operatives, and the social economy is even partly supported by the Ministry of Economy. In the region where I live, there is this project of shared fruit. People get together and go picking fruit everywhere, in the countryside and in town, and redistribute their pickings. This is done in Montréal, and in several other cities. It’s interesting; it’s useful, but that’s not what is going to change the system. I am based in Rimouski; I no longer live in a large city but in a semi-rural territory. Territorial issues there, concern food and transport. When we speak about transport, it is inequitable to tell people who live 60 km away from here: “Listen, we’re going to have to limit transport, therefore stay at home”. They have few services, and have less food diversity. Eating local food, is great indeed, but it is cold there. Eating local food means eating root vegetables!

Kristin Reynolds : Tu avais proposé, Sophie, une question sur les mouvements écologistes des jeunes. Pour conclure, je pense qu’il faut souligner ces mouvements, et l’importance que j’imagine que prend le changement climatique pour les jeunes. À mon avis, ils ont peur pour leur avenir.

Kristin Reynolds: You mentioned Sophie a question about the ecologist movements of the youth. In conclusion, I think that we need to highlight these movements, and – I imagine – the importance climate change represents for them. I think that they fear for their future.

Nathalie Lewis : Oui, c’est vrai.

Nathalie Lewis: Yes, that’s true.

Sophie Moreau : On dit toujours : c’est le vote des jeunes, mais je vois plutôt le vote des familles. Il y a les parents qui commencent à avoir peur pour leurs enfants, qui se demandent dans quelle planète ils vont vivre. C’est aussi la marche des enfants qui fait que les parents, ou les grands-parents vont se dire : « Oui, c’est le moment… ». C’est transgénérationnel. Il y a des études, en général, qui montrent le rôle structurant des familles dans les choix électoraux. Souvent on vote comme ses parents, et peut-être ici est-ce l’inverse.

Sophie Moreau: We always say: it’s the vote of the youth, but I’m seeing more the vote of families. Parents are starting to fear for their children; they are wondering about the state of the planet their children are going to live in. It is also the children’s protest which is going to make parents or grandparents say to themselves: “Yes, it’s now…” It is transgenerational. Generally, there are studies that show the structuring role of families in electoral choices. Often, children vote like their parents, but perhaps in this case it is the other way around.

Lydie Laigle : Et je pense qu’effectivement, les parents, à travers leurs enfants, commencent à être fortement conscients d’un devenir en suspens.

Lydie Laigle: And I think that, indeed, parents, through their children, are beginning to become strongly aware of a future on hold.