Le printemps chilien : de la violence environnementale à un renouveau constitutionnel

Chilean Spring: from Environmental Violence to a Constitutional Renewal

La semaine du 14 octobre 2019, plusieurs dizaines de lycéens chiliens fraudent le métro de Santiago, la capitale du pays, pour contester la hausse du prix du ticket de 30 pesos[1]. Cette somme, qui semble dérisoire, devient la goutte d’eau qui fait déborder un vase déjà trop plein de colère. Elle donne naissance à une mobilisation sociale historique, relayée par les médias à travers le monde. Elle a surpris car personne ne s’attendait à une telle révolte venant du pays réputé le plus développé d’Amérique Latine, jouissant d’une économie et d’un système politique stables. Elle est alors l’occasion de rappeler que le Chili a été le laboratoire du néolibéralisme. L’explosion sociale résonne alors comme un cri de colère contre les méfaits du modèle de développement dominant dans le monde qui atteint au Chili son paroxysme (Gaudichaud, 2017). Les Chiliens protestent contre les inégalités sociales et l’exclusion, la violence physique et psychique de la précarité et la marchandisation de la vie quotidienne. La violence de la répression a également surpris, avec un bilan de 31 morts et plusieurs milliers de blessés, dont plus de 300 ayant perdu un œil par l’application d’une nouvelle technique policière. Malgré ces faits gravissimes, les manifestations sont longtemps restées massives. Autre aspect surprenant : les syndicats et les partis politiques ont été quasi absents. Ces derniers ont été frappés de discrédit à partir des années 1990 du fait de l’adhésion à l’économie de marché des partis socialiste et communiste[2] et des querelles des dirigeants du Frente Amplio, l’alternative de gauche constituée par l’alliance de plusieurs partis.

During the week of October 14, 2019, several dozen Chilean high school students evaded the fare on the metro in Santiago, the capital of the country, to protest against a fare increase of 30 pesos[1]. This amount, which seems trivial, became the last straw that broke a back already hurting with rage. This gave rise to a historic social mobilization, covered by the media throughout the world. It came as a surprise, because no one expected such an uprising from the country known to be the most developed in Latin America, with a stable economy and political system. This becomes the opportunity to recall that Chile has been the laboratory of neoliberalism, and the social upheaval resonates like an angry cry against the misdeeds of the prevailing development model in the world, which reaches its climax in Chile (Gaudichaud, 2017). Chileans protest against social inequality and exclusion, the physical and psychological violence of insecurity and the commodification of everyday life. The violence of the repression also comes as a surprise, with a death toll of thirty-one and several thousand injured, including more than three hundred who lost an eye because of the implementation of new policing methods. Despite these extremely serious events, the demonstrations remained massive for a long time. Another surprising aspect was the almost total absence of the trade unions and political parties. The latter were discredited from the nineteen-nineties onward because of the commitment of the socialist and communist parties to the market economy[2] and the quarrels of the leaders of the Frente Amplio, the left-wing alternative comprised of the alliance of several parties.

Malgré ce contexte de répression, et cette mise à distance des organisations politiques traditionnelles, la fraude massive du métro donne lieu à des émeutes quotidiennes pendant quatre mois dans tout le pays, dont une manifestation, le 25 octobre 2019, qui réunit plus de 1,2 million de personnes à Santiago. Cet article explore la place de l’écologie dans la structuration et l’ampleur de ce mouvement social. En quoi les rapports à l’environnement permettent-ils d’éclairer la formation de cette mobilisation historique ? Les ressources naturelles sont au cœur du modèle de développement économique extractiviste, qui produit des inégalités environnementales croissantes (I). Ceci explique la multiplication des mouvements socio-environnementaux, faisant de la question écologique un mot d’ordre qui a permis de fédérer les revendications identitaires, statutaires et de classes existantes, jusque-là éclatées (II).

Despite this context of repression, and this alienation of traditional political organizations, the massive fare evasion in the metro led to daily riots for four months throughout the country, including a protest on October 25, 2019, which gathered over 1.2 million people in Santiago. This article investigates the part played by the ecology in the structuring and scope of this social movement. How do relations to the environment provide insights into the creation of this historic mobilization? Natural resources are at the heart of the extractivist business model, which produces growing environmental inequalities (I). This explains the multiplication of socio-environmental movements, making the ecological issue a watchword that has allowed the consolidation of previously separate demands regarding identity, status and class (II).

 

 

L’environnement au cœur des contradictions de la société chilienne

The environment at the heart of the contradictions of Chilean society

L’exploitation des ressources naturelles au fondement du « modèle chilien »

The exploitation of natural resources underlying the “Chilean model“

L’économie chilienne a historiquement reposé sur l’extraction des ressources naturelles. Néanmoins, le tournant néolibéral imposé sous la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990) transforme le rapport de la société chilienne à l’environnement. Le pays devient alors le laboratoire du néolibéralisme, une nouvelle école de pensée économique qui émerge, puis se consolide, dans l’entre-deux-guerres (Dardot et Laval, 2010). De jeunes économistes, formés dès les années 1950 à l’École de Chicago par Milton Friedman, rédigent le « Ladrillo ». Ce long document propose une réforme totale de l’État et de l’économie en opposition aux politiques socialistes mises en place par l’Unité populaire de Salvador Allende (Moulian, 2000). Le contexte autoritaire et répressif créé par la Junte militaire à la suite du coup d’État du 11 septembre 1973 en facilite son application.

Chile’s economy has historically been based on the extraction of natural resources. Nevertheless, the neoliberal shift during the dictatorship of Augusto Pinochet (1973-1990) transformed Chilean society’s relationship to the environment. The country then became a laboratory for neoliberalism, a new school of economic thought that emerged and strengthened in the interwar period (Dardot and Laval 2010). Young economists, trained as early as the 1950s by Milton Friedman from the University of Chicago, write the “Ladrillo”. This long document proposes a complete overhaul of the State and the economy against the socialist policies implemented by Salvador Allende’s Popular Unity (Moulian, 2000). The authoritarian and repressive context created by the Military Junta following the September 11, 1973 coup d’État made it easier to implement.

C’est ainsi que la Junte est à l’initiative de la libéralisation des échanges et qu’elle aménage le territoire pour que chaque région se consacre à un type d’activité extractive, considérée comme son avantage comparatif (Bustos et Prieto, 2019). Le nord doit exploiter différents minerais, les régions centrales se consacrer à l’agriculture commerciale, puis les régions du sud se dédier à la pisciculture, l’arboriculture, l’extraction pétrolière et l’hydroélectricité. Depuis les années 1990, les différents gouvernements démocratiques postérieurs à la dictature militaire, qu’ils soient de centre-gauche ou de droite, ont maintenu et approfondi ce modèle de développement économique. Selon ses dirigeants, la croissance du pays dépend du niveau des investissements extérieurs, raison pour laquelle ils décrètent une série de lois destinées à attirer les capitaux étrangers. L’ensemble des secteurs essentiels à la vie économique et sociale sont privatisés : le système de santé, l’éducation, les télécommunications, les transports, l’électricité, les services d’eau potable et d’assainissement, entre autres. Ces privatisations se caractérisent par la mise en concession de la gestion de ces services, leur dérèglementation et le transfert du contrôle étatique à des autorités de régulation dites autonomes.

Thus the Junta promotes the liberalization of trade and organizes the use of land so that each region can be dedicated to a type of extractive activity, in which it is considered to have a comparative advantage (Bustos and Prieto, 2019). The north is to mine various ores, the central regions should concentrate on commercial agriculture, and the southern regions on fish farming, arboriculture, oil extraction and hydropower. Since the nineteen-nineties, the various democratic governments in power after the military dictatorship, both center-left and right-wing, have maintained and deepened this model of economic development. According to its leaders, the country’s growth depends on the level of foreign investments, which is why they enacted a series of laws to attract foreign capital. All sectors essential to economic and social life are being privatized: the health system, education, telecommunications, and transportation, electricity, drinking water and sanitation services, among others. These privatizations are characterized by outsourcing the management of these services, deregulating them and transferring state control to so-called autonomous regulatory authorities.

Le cadre juridique et l’architecture institutionnelle qui soutiennent le modèle de développement mis en place sous la dictature sont demeurés inchangés depuis. La Constitution de 1980 est toujours en vigueur, bien qu’elle ne soit pas le seul texte juridique à perdurer. Une série de lois érigées pour faciliter l’exploitation des ressources naturelles, condition nécessaire aux activités extractives, sont toujours appliquées, comme le Code de l’eau de 1981 (Bauer, 2015). Ce dernier constitue un exemple de néolibéralisation de la nature en ce qu’il reconnaît juridiquement l’eau comme un bien économique, condition renforcée par un article constitutionnel. Ce Code concède aux détenteurs de titres d’eau le droit d’en disposer librement : les droits d’eau peuvent être loués ou vendus à des tiers sans que l’État n’instaure de priorités dans son usage – pour la consommation domestique par exemple –. En ce sens, le droit humain à l’eau n’est pas reconnu ni respecté au Chili. En revanche, le Code offre de nombreux avantages aux entreprises minières et agricoles pour accéder aux ressources hydriques. Par exemple, il autorise les entreprises minières à utiliser sans limites les « aguas halladas », c’est-à-dire toutes les eaux situées sur leur territoire de concession, sans égards aux besoins des populations alentour, notamment celles situées en aval d’un cours d’eau.

The legal framework and institutional structure supporting the growth model established under the dictatorship have remained unchanged since then. The 1980 Constitution is still in force, and it is not the only legal document that is. Several laws enacted to better exploit the natural resources, a required condition for extractive activities, are still applied, such as the 1981 Water Code (Bauer, 2015). The latter is an example of the neoliberalization of nature inasmuch as it legally recognizes water as a commodity, as further stated in a constitutional article. The Code grants the owners of water rights the right of free use: water rights can be leased or sold to third parties without having the State establish priorities in its use — for domestic use, for instance. To that extent, the human right to water is neither recognized nor respected in Chile. Meanwhile the Code provides many benefits to mining and agricultural companies in terms of access to water resources. For example, it authorizes mining companies to make unlimited use of “aguas halladas”, i.e., all the water located within their concession’s territory, regardless of the needs of the nearby communities, especially those located downstream of a river.

Quelques mois après la proclamation du Code de l’eau, la Junte militaire établit un nouveau Code des mines. Celui-ci reconnaît la propriété privée du sous-sol, indépendamment de celle du sol, facilitant l’acquisition des ressources minières par les entreprises. De plus, afin d’attirer les capitaux étrangers, les impôts, notamment les royalties associées aux exportations, sont dérisoires. Par ailleurs, dans le secteur agricole, la contre-réforme agraire et la loi sur l’irrigation incitent les nouveaux entrepreneurs et des capitaux étrangers à mettre en œuvre une agriculture intensive destinée principalement à l’exportation (Faliès, 2015). L’État finance la modernisation des infrastructures hydriques des grands propriétaires terriens donnant lieu à une véritable « révolution bleue » dont sont exclus les quelques petits agriculteurs survivant au nouveau régime concurrentiel. Enfin, dans le secteur forestier, une loi destinée à développer l’arboriculture établit de nombreux avantages financiers pour inciter les entreprises privées à investir. Elle donne lieu à une acquisition massive de terres dans les régions de Bio-Bio, de l’Araucanie et de Los Lagos, reproduisant ainsi la logique coloniale de dépossession des habitants s’identifiant comme mapuche[3] (Nahuelpan et al., 2013 ; Antileo et al., 2015).

A few months after the proclamation of the Water Code, the Military Junta established a new Mining Code. The latter recognizes private ownership of the subsoil, independently of that of the soil, making it easier for companies to acquire mining resources. Moreover, in order to attract foreign capital, taxes due are trivial, especially for royalties related to exports. Furthermore, in the farming industry the agrarian counter-reform and the Irrigation Act encourage new entrepreneurs and foreign capital to implement intensive agriculture, mainly intended for export (Faliès, 2015). The State is financing the modernization of the water infrastructure of the large landowners, leading to a real “blue revolution” from which are excluded the few small farmers able to survive the new competitive regime. Finally, in the forestry industry, a law intended for developing arboriculture establishes many financial benefits to encourage private companies to invest. It has given rise to massive land acquisition in the Bio-Bio, Araucania and Los Lagos regions, thus reproducing the colonial logic of dispossessing inhabitants self-identifying as Mapuche[3] (Nahuelpan et al., 2013; Antileo et al., 2015).

Néanmoins, il faut se garder d’un formalisme et d’un fonctionnalisme juridique trop rigoureux qui consistent à penser que toutes les lois défendent les intérêts des classes dominantes et que leur application transforme le monde social et la géographie du Chili (Blomley, 1994). En réalité, aux échelles locales se jouent des rapports de pouvoir complexes autour de l’appropriation des ressources naturelles qui impliquent les entreprises extractives, les représentants de l’État, les élus locaux, les collectifs militants, les ONGs nationales et internationales, les diverses associations locales d’habitants, les organisations d’usagers de l’eau et les habitants eux-mêmes. La création d’un droit national « mou », de dispositifs d’action publique fondés sur l’autorégulation des acteurs et la réduction de mécanismes de contrôle, laissent place à des conflits et des collusions entre acteurs pour définir l’accès aux ressources naturelles. Bien souvent, l’essor des entreprises extractives repose sur un usage stratégique du droit, de son détournement ou encore de sa production localisée (Nicolas-Artero, 2019). Ces rapports de pouvoir en négociation donnent lieu à des inégalités environnementales.

Nevertheless, one must refrain from an overly rigorous legal formalism and functionalism, and think that all laws protect the interests of the ruling classes and that their implementation transforms the social world and the geography of Chile (Blomley, 1994). Actually, there are complex local power relations relative to the ownership of natural resources involving extractive companies, State & local representatives, activist groups, national and international NGOs, different local residents’ associations, water user organizations, and the inhabitants themselves. The creation of a “soft” national law, of a public action apparatus based on self-regulation by stakeholders and on reducing control mechanisms, encourages conflicts and collusions between stakeholders to define their access to natural resources. Very often, the growth of extractive companies is based on a strategic use of the law, its misuse or its local implementation (Nicolas-Artero 2019). These negotiating power relations result in environmental inequalities.

 

 

Inégalités, injustices et violences environnementales

Inequalities, injustices and environmental violence

Le modèle de développement fondé sur l’exportation de ressources naturelles a permis de soutenir une forte croissance économique et une modernisation des infrastructures. En 2010, le Chili est le premier pays latino-américain à intégrer l’Organisation de coopération et de développement économiques. Les défenseurs de l’économie néolibérale ont nommé cette transformation le « miracle chilien ». Si l’augmentation soutenue du produit intérieur brut (PIB) a permis de réduire la pauvreté, les inégalités n’ont cessé de s’accentuer (Angostini et Brown, 2007). Le Chili est l’un des pays les plus inégalitaires au monde (indice de Gini : 0,47). La concentration du patrimoine économique constitue l’un des visages de ces inégalités : 1 % de la population concentre environ 30 % des richesses et 16 conglomérats participent à 80 % de la production de ces dernières. La financiarisation de l’économie et la privatisation du système de retraites participent à cette concentration du patrimoine. En effet, en 2003, sept entreprises (contre 23 en 1993) détiennent l’ensemble des fonds de pension (45 000 millions de dollars), dont les directeurs émanent souvent des sociétés où les capitaux sont investis. Les trois principaux entrepreneurs du pays, Andronico Luksic, Eliodoro Matte et la famille Angelini comptent parmi les plus grandes fortunes du monde (Pizarro, 2005).

The development model based on the export of natural resources has enabled a strong economic growth and the modernization of infrastructure. In 2010, Chile became the first Latin American country to join the Organization for Economic Cooperation and Development. Advocates for the neoliberal economy have called this transformation the “Chilean miracle”. While the sustained increase in gross domestic product (GDP) has reduced poverty, inequalities have continued to grow (Angostini and Brown, 2007). Chile is one of the most unequal countries in the world (Gini index: 0.47). Concentration of economic wealth is one of the aspects of these inequalities: 1% of the population concentrates about 30% of wealth and 16 conglomerates are involved in 80% of the wealth creation. The financialization of the economy and the privatization of the pension system contribute to this concentration of wealth. Indeed, in 2003, seven companies (compared to 23 in 1993) held all the pension funds (45,000 million dollars) whose managers often come from the companies where the capital is invested. The three main businessmen of the country, Andronico Luksic, Eliodoro Matte, and the Angelini family are among the world’s wealthiest (Pizarro, 2005).

Les inégalités sociales se lisent dans l’espace, à plusieurs échelles. Tout d’abord, la spécialisation extractive des régions a accentué les inégalités interrégionales (Amilhat Szary 1997). Les revenus moyens des ménages sont très élevés dans la région Métropolitaine, où se situe Santiago, et les régions de Tarapaca et d’Aysen, respectivement productrices de minerais et de pétrole, alors qu’ils sont très faibles dans les régions de Coquimbo et de l’Araucanie[4]. Aux échelles régionales, le développement n’est pas égal non plus. Ce sont principalement les sites d’exploitation des ressources naturelles qui témoignent d’un dynamisme économique. De plus, les conditions de vie diffèrent entre les métropoles régionales et les espaces ruraux, le nombre de pauvres étant deux fois plus élevé dans les communes rurales. Ces inégalités se mesurent par les différences de revenus par habitant, mais se retrouvent également dans l’accès aux soins, à l’éducation ou au logement. Partout on observe un système à deux vitesses : d’une part, des services de qualité, garantis par des entreprises privées, réservés à la minorité de la population aisée, et d’autre part, des services publics précaires (ou inexistants) dont l’accès repose sur l’endettement des ménages défavorisés.

Social inequalities can be read spatially, on several scales. First and foremost, the extractive specialization of regions has emphasized interregional inequalities (Amilhat Szary, 1997). Average household incomes are very high in the Metropolitan Region, where Santiago is located, as well as in the Tarapaca and Aysen regions, which respectively produce ores and oil, while they are very low in the Coquimbo and Araucania regions[4]. Regionally, development is not equal either. Economic dynamism is mainly evident in the natural resource sites. In addition, living standards differ between metropolitan urban areas and rural ones. The number of poor people is twice as high in rural communities. These inequalities can be measured by differences in per capita income, but are also found in access to health care, education and housing. There is a two-tiered system everywhere: on the one hand, quality services, guaranteed by private companies, reserved for the minority of the well-off population, and on the other hand, precarious (or non-existing) public services, where access is linked to debt for disadvantaged households.

La dimension environnementale de ces inégalités n’est pas négligeable. Les différences d’accès aux ressources naturelles ou d’exposition aux risques environnementaux sont fortement liées à d’autres formes d’inégalités sociales (Emelianoff et Theys, 2000). Par exemple, on observe de fortes inégalités d’accès aux services d’eau potable et d’assainissement entre les espaces urbains et les campagnes. La loi sur l’eau de 1989 inaugure la privatisation des services d’eau potable urbains : dans ces espaces, les taux de couverture et la qualité du service sont élevés. En revanche, dans les quartiers périphériques et les villages, l’accès à l’eau est garanti par des organisations communautaires, souvent précaires, gérées par ses habitants. L’accès aux ressources en eau de qualité et en quantité suffisante ne leur est pas garanti. Cela s’explique par l’affaissement des nappes phréatiques du fait de la surexploitation des eaux par les agro-industries, les mines ou les opérateurs urbains, ou de la pollution des cours d’eau. Par ailleurs, de manière exceptionnelle, dans l’ensemble du pays de nombreux ménages isolés sont desservis par camion-citerne : bien souvent, cette exception devient la norme.

The environmental aspect of these inequalities is not insignificant. Differences in access to natural resources or exposure to environmental risks are strongly linked to other forms of social inequalities (Emelianoff and Theys, 2000). For instance, there are strong inequalities in access to drinking water and sanitation services between urban and rural areas. The 1989 water law inaugurated the privatization of urban drinking water services: in these areas, the coverage rates and the service quality are high. By contrast, in outlying districts and villages, access to water is guaranteed by often precarious community organizations that are managed by residents. There is no guaranteed access to water of sufficient quantity and quality. This is due to the sinking of water tables because of the overexploitation of water by agribusiness, mining or urban operators, or the pollution of waterways. Moreover in exceptional cases many isolated households throughout the country are supplied by tanker trucks: this exception often becomes the rule.

Ces inégalités environnementales se manifestent également par une exposition différenciée aux risques environnementaux et un accès disparate aux aménités environnementales. Dans les villes, la possibilité des ménages de fréquenter des lieux publics arborés, contribuant au bien-être des habitants en raison des bienfaits que procure la proximité à la nature, diffère en fonction des catégories socioprofessionnelles. Les habitants des quartiers défavorisés ont moins accès à ces espaces que ceux des quartiers riches (Salgado, 2013). De même, les ménages sont dans une position inégale face aux aléas naturels. On peut citer le cas des destructions de logements précaires lors du tremblement de terre de 2010, des inondations à Coquimbo et Atacama en 2015, mais aussi les incendies forestiers de Valparaiso et du sud du pays en 2017 (Imilan, Fuster et Vargara, 2015 ; Pliscoff et al., 2020).

These environmental inequalities also manifest themselves in a differentiated exposure to environmental risks and a disparate access to environmental amenities. In cities, the possibility for household members to frequent green spaces that contribute to the well-being of residents, thanks to the proximity to nature, varies depending on socio-professional categories. Residents of underprivileged neighborhoods have less access to these spaces than those in wealthy neighborhoods (Salgado, 2013). Likewise, people are in an unequal position when facing natural disasters. Examples include the destruction of precarious housing during the 2010 earthquake, the floods in Coquimbo and Atacama in 2015, as well as the forest fires in Valparaiso and the south of the country in 2017 (Imilan, Fuster and Vargara, 2015; Pliscoff et al., 2020).

Cette inégale exposition aux nuisances et aux risques environnementaux donne parfois lieu à des mobilisations locales contre les injustices produites (Laigle et Moreau, 2018). Malgré leur fréquence, ces dernières restent encore peu étudiées en sciences sociales (Núñez et al., 2019, Stamm, 2016). Pourtant, plusieurs évènements récents illustrent de manière éloquente ce qui est perçu par les habitants comme une injustice environnementale en ce qu’elle transforme de manière violente leur quotidien et leurs espaces vécus, et les submerge dans des situations de précarité croissantes. À titre d’exemple, en 2016, une marée rouge sévit dans les mers entourant l’île de Chiloé, au sud du Chili, produite par l’augmentation d’algues microscopiques qui rejettent des toxines fatales pour les crustacées, dont la collecte constitue le gagne-pain des populations locales. Selon ces dernières, ce phénomène proviendrait du rejet par les entreprises piscicoles de 4 500 tonnes de saumons en putréfaction dans la mer. Par ailleurs, dans de nombreuses vallées, les habitants s’opposent à la construction de barrages destinés aux entreprises agricoles et hydroélectriques, en raison des répercussions sur l’écosystème, mais aussi de l’expulsion des habitants des zones inondées, dont les conditions de relogement sont très critiquées. Les habitants s’identifiant comme peuples autochtones y contestent l’appropriation territoriale non légitime par l’État Chilien et les entreprises étrangères, vécue comme une continuité de la logique coloniale.

This unequal exposure to environmental liabilities and risks sometimes gives rise to local mobilizations against the resulting injustices (Laigle and Moreau, 2018). Despite their frequency, the latter remain largely unexamined in the social sciences (Núñez et al., 2019; Stamm, 2016). Yet several recent events eloquently illustrate what inhabitants perceive to be an environmental injustice in that it violently transforms their daily lives and their living spaces, and overwhelms them in increasingly precarious situations. For example, in 2016, a red tide invaded the seas surrounding the island of Chiloé, in southern Chili. It was due to a growing amount of microscopic algae that release a toxin fatal to shellfish, jeopardizing the livelihood of the local population. According to the latter, this phenomenon is caused by the dumping of 4,500 tons of rotting salmon into the sea by the fish farming industry. Moreover, in many valleys, the inhabitants stand up against the construction of dams for agricultural and hydroelectric companies, because of the impact on the ecosystem, as well as the eviction of residents from the flooded areas whose relocation conditions are much criticized. Inhabitants identifying themselves as native people are challenging the illegitimate territorial appropriation by the Chilean State and foreign companies, which they perceive to be a continuation of the colonial logic.

Enfin, plusieurs organisations locales ont qualifié de « Zones de Sacrifices » les différents lieux, hautement pollués, consacrés au développement industriel du pays. Ces espaces concentrent des hydrocarbures, des solvants et des métaux lourds dégradant l’air, les sols, les ressources en eau et les fonds marins. La baie de Quintero a été la scène de forte contestation sociale en raison des effets nocifs produits sur la santé des habitants. La nuit du 4 octobre 2018, Alejandro Castro, le leader du mouvement, est retrouvé mort, asphyxié, suspendu à la barrière des voies ferrées de Valparaiso. Ce type de violences environnementales, qui finissent par des assassinats, des menaces de mort ou forçant à l’exil les militants environnementaux, deviennent fréquentes au Chili[5]. En outre, les échelles et le niveau des destructions environnementales autoriseraient à parler d’écocide puisqu’elles pourraient être assimilées à une pratique criminelle. Un crime contre la nature, mais aussi, une dépossession des habitants – souvent ruraux – de l’accès aux ressources naturelles vitales, en ce qu’elles constituent leur source de travail ou parce qu’elles sont indispensables à leur reproduction. Dans ce contexte, de nombreux collectifs d’habitants s’organisent pour protester contre ces injustices environnementales. Leurs actions participeront à l’émergence d’un mécontentement national latent qui expliquera l’ampleur des émeutes d’octobre 2019.

Finally, several local organizations have named the various highly polluted places dedicated to the industrial development of the country “Zones of Sacrifice”. These areas concentrate hydrocarbons, solvents and heavy metals that degrade the air, soil, water resources and the seabed. At Quintero Bay strong protests took place because of their harmful effects on the health of local residents. On the night of October 4, 2018, Alejandro Castro, the leader of the movement, was found strangled and dead, hanging from the barrier on the Valparaíso railway tracks. This type of environmental violence, which leads to assassinations, death threats or forced exile for environmental activists, is becoming frequent in Chile[5]. In fact, the scale and level of environmental destruction would allow the use of the term ecocide since it can be viewed as a crime. A crime against nature, but also a dispossession of the — often rural — inhabitants deprived of their access to vital natural resources, inasmuch as they are their source of work or because they are vital for their reproduction. In this context, many groups of residents organize to protest against these environmental injustices. Their actions will have contributed to the emergence of a latent national movement of discontent that helps to explain the scale of the riots in October 2019.

 

 

Quand l’écologie fait ressource pour la contestation politique

When ecology becomes a resource for political protest

Des émeutes inscrites dans une longue trajectoire de mobilisations sociales et environnementales

Riots as part of a long history of social and environmental mobilization

Le mouvement social chilien de 2019 et 2020 est le plus grand de l’histoire du pays depuis le retour à la démocratie. Pour comprendre l’ampleur de celui-ci, il est important d’inscrire les évènements d’octobre dans l’histoire longue des mouvements sociaux post-dictature. La spécificité de ces derniers est la diversification des revendications et des répertoires d’action, avec notamment, comme partout ailleurs dans le continent, une augmentation des mouvements socio-environnementaux.

The Chilean social movement of 2019 and 2020 is the largest in the country’s history since the return to democracy. To understand the magnitude of this movement, it is important to place the events of October in the long history of post-dictatorship social movements. The specificity of the latter is the diversification of demands and kinds of actions, including, as everywhere else on the continent, growing socio-environmental movements.

Dans les années 1980 et 1990, pendant la dictature et la transition à la démocratie, les manifestants exigent, dans un premier temps, une sortie du régime dictatorial, et dans un second temps, justice et réparation à l’égard des crimes commis par la Junte militaire (Doran, 2016). Sous les premiers gouvernements de la démocratie, les manifestations sont peu nombreuses en raison des répercussions psychiques du climat de terreur instauré par trente ans de dictature sanguinaire. Néanmoins, deux luttes emblématiques ravivent le conflit historique qui oppose les habitants se reconnaissant comme peuples autochtones et l’État : l’opposition à la construction de la centrale hydroélectrique Rauco dans la région du Bio-Bio et celle contre les pollutions produites par l’entreprise Celulosa Arauco à Mehuin dans la région de Los Lagos. La dimension environnementale de ces conflits est importante puisque les habitants contestent l’appropriation de leurs terres et territoires historiques, par des entreprises, soutenues par l’État, et revendiquent en même temps une reconnaissance culturelle et politique (Hirt, 2007).

In the nineteen-eighties and nineties, during the dictatorship and the transition to democracy, the protestors requested, first of all, an end to the dictatorial regime and, secondly, justice and compensation for the crimes committed by the military Junta (Doran 2016). Under the first democratic governments, protests were few and far between because of the psychological impact of the climate of terror established by 30 years of bloody dictatorship. Nevertheless, two emblematic struggles rekindle the historic conflict between the inhabitants who consider themselves native people and the State: the opposition against the construction of the Rauco hydroelectric power station in the Bio-Bio region and that against pollutions issued by the Celulosa Arauco Company in Mehuin in the region of Los Lagos. The environmental dimension of these conflicts is important, as the inhabitants contest the appropriation of their historical lands and territories by state-supported companies and at the same time demand cultural and political recognition (Hirt, 2007).

La révolution des pingouins en 2006 marque le renouveau d’une contestation sociale portée par la première génération n’ayant pas grandi sous la dictature. Les pingouins, ce sont les lycéens en uniforme, qui manifestent contre l’application d’un nouveau système de transport leur limitant l’accès à ce service ainsi que les frais nécessaires pour passer le baccalauréat, puis contre la municipalisation de l’enseignement secondaire, source d’inégalités scolaires. Si, pendant cette période, les conflits environnementaux sont peu médiatisés, ils ne sont pas pour autant inexistants. Plusieurs organisations non gouvernementales, comme l’Observatorio Latinoamericano de Conflictos Ambientales (1995) et le Programa Chile Sustentable[6] (1997), sont créées par d’anciens universitaires forcés à l’exil dans le but de sensibiliser l’opinion publique sur les désastres environnementaux et les injustices existantes (Carruthers, 2001). Dès 1997, OLCA publie l’ouvrage de Pablo San Martin Saavedra, Conflictos Ambientales en Chile, et en 2006, Sara Larrain du Programa Chile Sustentable publie : El agua en Chile : entre los derechos humanos y las reglas del mercado[7]. Ce dernier, soulignant les spécificités chiliennes de la gestion de l’eau, aura d’importantes retombées sur l’opinion publique.

The penguin revolution of 2006 marks the revival of a social protest led by the first generation not to have grown up under the dictatorship. The penguins are high school students in uniform, demonstrating against the implementation of a new transport system limiting their access to this service as well as against the fees required to take final school exams, and further against the municipality-based system of secondary education, a source of educational inequalities. Although during this period environmental conflicts receive little media attention, it doesn’t mean they don’t exist. Several non-governmental organizations, such as the Observatorio Latinoamericano de Conflictos Ambientales (OLCA) (1995) and the Programa Chile Sustentable[6] (1997), are created by former academics forced into exile to raise public awareness about environmental disasters and existing injustices (Carruthers, 2001). As early as 1997 OLCA publishes Pablo San Martin Saavedra’s book, Conflictos Ambientales en Chile, and in 2006 Sara Larrain from Programa Chile Sustentable publishes El agua en Chile. Entre los derechos humanos y las reglas del mercado[7]. The latter, highlighting the Chilean specificities of water management, has a significant impact on public opinion.

À partir de 2011, tout s’accélère (Garcés, 2012 ; Salazar, 2012). Au mois de mai, à Aysen, au sud du Chili, de fortes altercations ont lieu entre les habitants opposés au projet HidroAysen et la police. Ce projet visait à construire cinq centrales hydroélectriques pour acheminer l’électricité vers les mines du nord à l’aide de lignes à haute tension. Dès sa conception, il suscite une vive opposition, mais en 2011, la mobilisation devient nationale et s’unit au mouvement des étudiants. En effet, le 12 mai, quelques jours avant la présentation des comptes annuels par le président conservateur Sebastian Piñera, la Confédération des étudiants du Chili convoque une manifestation nationale pour exercer une pression sur les futures mesures en matière d’enseignement. Le jour de l’annonce, des manifestations éclatent dans plusieurs villes du pays, donnant naissance à un mouvement étudiant sans précédent dont le mot d’ordre sera « l’accès à l’éducation publique, gratuite et de qualité ». Il débouchera, avec le soutien de divers secteurs professionnels en grève, sur la demande d’un changement constitutionnel. Au mouvement étudiant se joignent également le mouvement des pobladores, structuré autour du droit au logement et à la ville, et le mouvement des délogés par le tremblement de terre de 2010, critiquant les insuffisances de la « politique de reconstruction » (Pulgar, 2019).

Starting in 2011 everything speeds up (Garcés, 2012; Salazar, 2012). In May, in Aysen, in the south of Chile, strong altercations take place between the residents opposed to the HidroAysen project and the police. The project aims to build five hydroelectric power stations to provide electricity to the mines in the north using high-voltage lines. From the outset, it elicits strong opposition, but in 2011 the mobilization becomes national and joins the student movement. Indeed, on May 12, a few days before the presentation of the annual budget by conservative president Sebastian Piñera, the Confederation of Chilean Students calls for a national demonstration to put pressure on the future educational measures. On the day of the announcement, demonstrations break out in several cities across the country, giving rise to a first-of-its-kind student movement whose motto becomes “access to free, high-quality public education“. With the support of various professional striking sectors, this will then lead to demands for constitutional change. The student movement is also joined by the pobladores movement, structured around the right to housing and to the city, and the movement of those displaced by the 2010 earthquake, criticizing the inadequacies of the “reconstruction policy” (Pulgar, 2019).

Certainement motivés par ce climat contestataire, mais aussi forts de nouvelles expériences militantes, les Chiliens multiplient leurs mobilisations qui se diversifient et se consolident à partir de 2011. En 2012, plusieurs collectifs locaux organisent la première « marche plurinationale pour l’eau et les territoires »[8].

Certainly motivated by this climate of protest, but also strengthened by new activist experiences, Chileans multiply their actions of mobilization, which become diversified and consolidated from 2011 onward. In 2012, several local collectives organize the first “plurinational march for water and territories”.

21 nov 2011

Manifestants lors de la Marche pour l’eau défilant sur l’avenue de l’Alameda à Santiago du Chili le 22 mars 2019 (https://www.youtube.com/watch?v=E0FHVXwY-is&t=1s).

Demonstrators at the March for Water marching on Alameda Avenue in Santiago de Chile on March 22, 2019 (https://www.youtube.com/watch?v=E0FHVXwY-is&t=1s).

Source : Movimiento por el agua y los territorios

Source: Movimiento por el agua y los territories

Elle se conclut par la création de la Coordination nationale pour la défense et la récupération de l’eau, qui organise, tous les ans, une marche nationale revendiquant un nouveau Code de l’eau et une nouvelle Constitution, afin de nationaliser les ressources hydriques. À ce mouvement s’ajoutent, dès l’année suivante, les appels à la grève nationale de la Coordination No + AFP[9] qui lutte contre le système de retraite par capitalisation. En 2016, cette Coordination convoque plus 150 000 personnes dans les rues. Dès lors, l’ampleur des mobilisations ne cesse de croître. L’année 2018, quant à elle, est marquée par une grève massive des femmes appelée « la vague féministe ». Dans le contexte de mobilisation mondiale de « # metoo » et du mouvement latino-américain « Ni una menos », plusieurs dénonciations de harcèlements et d’abus sexuel effectués à l’encontre des professeures et des étudiantes donnent lieu à des grèves et le blocage de 32 universités entre les mois d’avril et de juin (Alvarez et al., 2019). La même année, l’Institut national des droits humains produit une cartographie numérique des conflits socio-environnementaux. 117 conflits sont recensés : 38 % autour du secteur énergétique, 28 % autour du secteur minier, 26 % concernent d’autres secteurs, et 9 % sont liés à des dégradations environnementales[10]. Des initiatives cartographiques similaires concernant les conflits pour l’eau ont été portées par le Programa Chile Sustentable et la Coordinadora por la Defensa del Agua y de la Vida[11]. Ces conflits révèlent l’ampleur des mobilisations locales contre les injustices environnementales dont un évènement majeur furent les mobilisations à Osorno en raison du déversement d’hydrocarbure dans le réseau d’adduction d’eau potable (Fuenzalida et Quiroz, 2012). Toutefois, si ces cartographies rendent visibles certains conflits, elles ne montrent pas l’ensemble des inégalités environnementales existantes face auxquelles les habitants ne se mobilisent pas nécessairement, ou du moins pas de manière conflictuelle et médiatisée (Nicolas-Artero, 2015).

It leads to the creation of the National Coordination for the Defense and Recovery of Water, which organizes a yearly national march demanding a new Water Code and a new Constitution, in order to nationalize water resources. In the following year are added to this movement calls for a national strike on the part of the Coordination No + AFP[8] which fight against the for-profit pension system. In 2016, this Coordination gathers more than 150,000 people onto the streets. From then on, the scale of the mobilizations keeps growing. The year 2018, in turn, is marked by a massive strike by women called “the feminist wave”. In the context of the worldwide #MeToo movement and the Latin American movement “Ni una menos”, several denunciations of sexual harassment and abuse of feminine teachers and students lead to strikes and the blocking of 32 universities between April and June (Alvarez et al. 2019). In the same year, the National Institute for Human Rights produces a digital mapping of socio-environmental conflicts. 117 conflicts are identified: 38% in the energy sector, 28% in the mining sector, 26% concerning other sectors, and 9% related to environmental degradation[9]. Similar mapping initiatives concerning water conflicts have been carried out by the Programa Chile Sustentable and the Coordinadora por la Defensa del Agua y de la Vida. These conflicts reveal the magnitude of local mobilizations against environmental injustices, a major event being the mobilizations in Osorno due to oil spills in the drinking water supply (Fuenzalida and Quiroz, 2012). However, while these maps make certain conflicts visible, they do not show all the existing environmental inequalities against which the inhabitants do not necessarily protest, or at least not in a confrontational and publicized manner (Nicolas-Artero, 2015).

 

 

L’écologie, ciment de la mobilisation

Ecology, the bond of mobilization

Lorsque les premiers lycéens et étudiants fraudent massivement le métro, on croit assister à un mouvement contestataire qui se cantonne à la capitale. Très rapidement, la colère gronde sur l’ensemble du territoire, y compris dans les villes où il n’y a pas de métro. « Ce ne sont pas trente pesos, mais trente ans », lit-on sur les pancartes, preuve d’un mécontentement généralisé contre le modèle économique introduit par la dictature et consolidé par les gouvernements élus. Très rapidement, les dégradations de plusieurs stations de métro justifient l’état d’urgence et l’intervention de l’armée dans les rues. Plusieurs villes sont en état de siège et les manifestants entre les mains des armées. Les violences perpétrées rappellent les heures les plus sombres de l’histoire chilienne. Mais, malgré cela, comme l’affirment certains manifestants, les Chiliens n’ont plus peur, et n’ont plus rien à perdre. Dans les manifestations à Santiago ou ailleurs, l’on compte plusieurs millions de manifestants, toute catégorie socioprofessionnelle confondue. Les revendications aussi se multiplient : éducation gratuite, droit au logement, droit à l’avortement, fin au système de retraite par capitalisation, mais aussi, et surtout, récupération de l’eau, fin aux « Zones de Sacrifices » et à l’extractivisme. En ce sens apparaît une solidarité à l’égard des revendications des peuples autochtones, comprenant un fort caractère environnemental, comme en témoigne la photographie devenue historique d’une personne brandissant le drapeau wenüfoye sur la statue de la place d’Italie, lors de la manifestation du 25 octobre, rebaptisée depuis « place de la dignité ». (Photographie. Crédit : Susana Hidalgo).

When the first high school and university students massively evaded the fare on the metro, it was believed to be a protest movement limited to the capital. Very quickly anger arose throughout the country, including in cities where there is no metro. The signs read “It’s not thirty pesos, but thirty years“, revealing widespread dissatisfaction with the economic model introduced by the dictatorship and reinforced by elected governments. Very quickly, the damages in several metro stations then help to justify the establishment of the state of emergency and the intervention of the Army in the streets. Several cities are under siege and the protestors in the hands of the Army. The violence perpetrated recalls the darkest hours in Chilean history. In spite of this, however, as some protestors say, Chileans are no longer afraid and have nothing left to lose. In demonstrations in Santiago and elsewhere, there are several million protestors of all socio-professional categories. Demands are also growing: free education, the right to housing, the right to abortion, an end to the for-profit pension system, but also, and above all, water recovery, an end to “Zones of Sacrifices“ and extractivism. To that extent, there is solidarity with the demands of the native peoples, with a strong environmental focus, as evidenced by the now historic photograph of a person waving the Wenufoye flag on the statue at Plaza Italia, during the demonstration of October 25, which has since been renamed Square of Dignity.

Susana Hidalgo

Photographie 1. Un manifestant brandissant le drapeau wenüfoye sur la statue de la Place d’Italie à Santiago du Chili le 25 octobre 2019. Source : Susana Hidalgo (https://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-50239591).

Picture 1. A demonstrator waving the wenüfoye flag over the statue in the Plaza de Italia in Santiago de Chile on October 25, 2019. Source: Susana Hidalgo (https://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-50239591)

Les préoccupations environnementales semblent avoir agi comme un ciment permettant d’unir les différentes revendications. Nous l’avons vu, les inégalités contestées par les Chiliens sont le fruit d’un modèle économique qui repose sur l’exploitation des ressources naturelles. En ce sens, le rapport à l’environnement, au fondement de l’économie chilienne, produit cette société inégalitaire, raison pour laquelle les contestations à l’encontre de ce « modèle » convergent progressivement vers les injustices environnementales et le cadre juridique qui les produit. On observe donc, au Chili, à l’instar de nombreux pays latino-américains, un « tournant écoterritorial » des luttes (Svampa, 2012). La particularité de ces revendications est qu’elles sont détachées de toute adhésion identitaire, statutaire ou partisane, contrairement aux autres. Elles concernent l’ensemble de la population, toute catégorie sociale confondue. Les revendications environnementales ne sont pas le monopole d’ONGS, de partis politiques écologistes, ni des classes sociales bien-pensantes (Biskupovic, 2015). Elles sont transversales aux classes sociales et aux luttes : l’ensemble de la population s’en est emparé aisément. Elles émanent souvent d’organisations locales, rurales et urbaines, créées par des habitants affectés par les inégalités environnementales qui s’insèrent dans des conflits locaux ou produisent des initiatives écologiques de quartier. Les organisations politiques existantes qui portent des revendications identitaires, statutaires ou partisanes, s’en sont également emparées.

Environmental concerns seem to have acted as a bond bringing together the different demands. As we have seen, the inequalities decried by Chileans are the result of an economic model based on the exploitation of natural resources. In this sense, the relation to the environment, the base of the Chilean economy, produces this unequal society, which is why the protests against this “model” are gradually converging on environmental injustices and the legal framework that produces them. Thus, in Chile, as in many Latin American countries, there has been an “ecoterritorial turn” in the struggles (Svampa; 2012). The particularity of these demands is that unlike the others, they are detached from any identity, status or partisan concern. They affect the entire population and any social category. Environmental demands are not the monopoly of NGOs, ecological political parties, or self-righteous social classes (Biskupovic, 2015) but rather cross-cut social classes and struggles: the population as a whole has appropriated them easily. The demands often come from local rural and urban organizations, created by residents affected by environmental inequalities that are part of local conflicts or produce local green-friendly initiatives. Existing political organizations with identity-based, statutory or partisan demands have also adopted them.

De plus, l’existence de conflits socio-environnementaux sur l’ensemble du territoire national, et particulièrement dans les espaces ruraux, explique la diffusion de la mobilisation à l’ensemble du pays. Ce mouvement social n’est pas seulement urbain, il dépasse largement le contexte de Santiago. Dans les régions minières du pays, par exemple, une modalité d’action fut le blocage des routes qui permettent d’acheminer les minerais vers les ports. Plus au sud, dans la vallée d’Elqui, les habitants organisèrent, le 12 novembre 2019, une marche sur la route qui mène des villages montagnards jusqu’à la côte, à laquelle s’unissaient progressivement les villageois de la vallée[12]. Les mots d’ordre portaient une critique à l’extractivisme et aux conséquences de ce dernier sur les conditions de vie et l’environnement.

Furthermore, the existence of socio-environmental conflicts throughout the country, particularly in rural areas, helps to explain the dissemination of the mobilization throughout the country. This social movement is not only urban; it goes far beyond Santiago. In the country’s mining regions, for example, one modality of action has been to block the roads that bring ores to the harbors. Further south, in the Elqui Valley, on November 12, 2019, residents organized a march on the road that leads from the mountain villages to the coast, gradually joined by the inhabitants of the surrounding villages[10]. Their slogans spoke out against extractivism and its impact on living conditions and the environment.

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Photographie 2. Peinture murale, située à l’entrée de la ville de Vicuña et réalisée par le collectif Kintral, représentant l’appropriation de l’eau par les entreprises agricoles et minières dans la vallée d’Elqui. Crédit photo : Chloé Nicolas-Artero.

Picture 2. Mural painting, located at the entrance to the city of Vicuña and carried out by the Kintral collective, representing the appropriation of water by agricultural and mining companies in the Elqui Valley. Photo credit: Chloé Nicolas-Artero

Finalement, les revendications environnementales fédèrent la pluralité de mouvements existants en raison de leur radicalité. Elles s’attaquent aux racines du modèle de développement extractiviste, à savoir, le Code de l’eau, celui des mines et la Constitution de 1980. Cette radicalité, loin de produire une situation d’isolement, a au contraire réussi à rassembler la majeure partie des organisations et de la population mobilisée, formant un consensus autour de l’impérieuse nécessité de modifier la Constitution pour dessiner un nouveau modèle de développement.

Finally, environmental demands gather the plurality of existing movements because of their radicalism. They attack the roots of the extractivist development model, which is to say the Water Code, the Mining Code and the 1980 Constitution. This radicalism, far from producing a situation of isolation, has instead succeeded in bringing together the majority of the organizations and the mobilized population, forming a consensus around the urgent need to modify the Constitution in order to draw up a new development model.

 

 

Conclusion

Conclusion

La mobilisation historique chilienne ne peut se comprendre sans s’intéresser à la spécificité des rapports de cette société à l’environnement. Les contradictions du modèle de développement se structurent entre l’exploitation des ressources naturelles et les inégalités, injustices et violences environnementales qu’il produit. Ces dernières dégradent les conditions de vie quotidienne de milliers d’habitants, qui viennent s’ajouter à des situations d’exclusion sociale et de précarité, déjà très pesantes. Malgré la peur initiale de se mobiliser, la désaffection pour la politique et l’engrenage vicieux de l’endettement et du travail quotidien, depuis 2011, différents mouvements sociaux émergent, et se rétroalimentent positivement en termes de politisation et d’expériences militantes. Les conflits socio-environnementaux se multiplient également. Leurs revendications font prendre conscience à l’ensemble de la population que la néolibéralisation de l’environnement est au fondement du « modèle chilien ». L’urgence de l’endiguer érige la question écologique comme une bannière commune et fédératrice aux différents mouvements. Elle explique, en partie, l’ampleur de la mobilisation sociale de 2019-2020 et sa radicalité, donnant lieu à l’organisation d’un plébiscite pour rédiger une nouvelle Constitution.

Chile’s historic mobilization cannot be understood without taking into account the specific relationship of the society with the environment. The contradictions of the development model are structured between the exploitation of natural resources and the inequalities, injustices and environmental violence it produces. These worsen the daily living conditions of thousands of inhabitants, in addition to situations of social exclusion and burdensome precarity. Despite the initial fear of becoming involved, the disaffection with regard to politics and the vicious trap of debt and daily work, since 2011 different social movements have emerged and created feedback in terms of politicization and activist experiences. Socio-environmental conflicts are also increasing. The demands raise awareness among the whole population that the neoliberalization of the environment is at the root of the “Chilean model”. The urgent need to contain it makes the ecological question a common and unifying banner for the different movements. It explains, to a certain extent, the magnitude of the social mobilization of 2019-2020 and its radicalism, resulting in the organization of a plebiscite to draft a new Constitution.

[1]. 0,032 euros. Le prix du transport est similaire à celui de Paris alors que le salaire minimum n’atteint pas 350 euros par mois.

[1]. 0,032 euros. The cost of transportation is similar to that of Paris when the minimum wage doesn’t reach 350 € per month.

[2]. Notamment dans le cadre de la formation de l’alliance de partis politiques de centre et de gauche, appelée La Concertacion. Le parti communiste intègre cette alliance en 2006.

[2]. Especially with the creation of an alliance between left and center political parties, called La Concertación that the Communist party joined in 2006.

[3]. Les Mapuche sont le peuple autochtone le plus nombreux du pays.

[3]. The Mapuche are the most numerous native people in the country.

[4]. Source: https://www.desiguales.org/regiones, accessed June 18, 2020.

[5]. Entretien auprès de Rodrigo Mundaca, leader de l’organisation MODATIMA contre la marchandisation de l’eau, Paris, novembre 2019.

[5]. Interview with Rodrigo Mundaca, leader of the organization MODATIMA against the commodification of water, Paris, November 2019.

[6]. Ces organisations sont financées par l’aide internationale publique et privée. OLCA reçoit des financements de la Fondation Rosa Luxembourg, de la Fondation Tikva Grassroots Empowerment ou de la coopération Allemande. Le Programme Chile Sustentable est principalement financé par la Fondation AVINA.

[6]. These organizations are financed by public and private international aid. OLCA receives funding from the Rosa Luxemburg Foundation, the Tikva Grassrots Empowerment Fund and Germany. Programa Chile Sustentable is mainly financed by the Avina Foundation.

[7]. Traduction : Conflits environnementaux au Chili ; L’eau au Chili : entre les droits humains et les règles du marché.

[7]. In English: Environmental Conflicts in Chile; Water in Chile: Between Human Rights and Market Rules.

[8]. Manifestants lors de la Marche pour l’eau défilant sur l’avenue de l’Alameda à Santiago du Chili le 22 mars 2019 (https://www.youtube.com/watch?v=E0FHVXwY-is&t=1s).

[8]. AFP stands for “Administradoras de Fondos de Pensiones”. These are private companies that manage pension funds.

[9]. AFP signifie « Administradoras de Fondos de Pensiones ». Ce sont les sociétés privées qui assurent la gestion des fonds de retraite.

[9]. Source: https://mapaconflictos.indh.cl/, accessed June 18, 2020.

[10]. http://www.diarioeldia.cl/region/cordillera-mar-masiva-llegada-manifestantes-desde-valle-elqui-serena, accessed June 18, 2020.

[11]. Source : http://www.derechoalagua.cl/mapa-de-conflictos/.

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