Les droits au territoire de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh. Une entrevue avec Hélène Boivin.

The Right to the Pekuakamiulnuatsh First Nation’s Territory. An Interview with Hélène Boivin

Entrevue avec Hélène Boivin, membre de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh, impliquée dans le dossier de la négociation territoriale globale depuis 1995

Interview with Hélène Boivin, Member of the Pekuakamiulnuatsh First Nation and involved in the comprehensive land claim negotiations since 1995

Mashteuiatsh, le 13 avril 2016

Mashteuiatsh, April 13, 2016

Les Pekuakamiulnuatsh (Pekua kami : lac plat ; Ilnuatsh : gens) constituent l’une des neuf Premières Nations innues de la province de Québec[1], sise à Mashteuiatsh, sur le rivage nord-ouest du lac Saint-Jean, à six kilomètres de la ville de Roberval (Carte 1). La « réserve »[2] de Mashteuiatsh, autrefois lieu de rassemblement pour les groupes nomades algonquiens de la région, a été créée en 1856. Les réserves sont les espaces dans lesquels les peuples autochtones du Canada ont été sédentarisés de force au 19e siècle, afin de « libérer » le reste des terres pour le développement industriel du pays et l’exploitation des ressources naturelles. La superficie de Mashteuiatsh (15,24km2) ne représente qu’une partie infinitésimale des vastes espaces que les Innus parcouraient autrefois pour y pratiquer leur mode de vie nomade et leurs activités de subsistance (chasse, pêche, cueillette, trappe); ceci en fonction des saisons, de la disponibilité des ressources naturelles, des réseaux familiaux, des échanges commerciaux et des relations avec les nations voisines. Aujourd’hui, la communauté des Pekuakamiulnuatsh compte 6’562 membres, dont 2’058[3] résident à Mashteuiatsh. A l’instar des autres réserves au Canada, Mashteuiatsh relève du gouvernement fédéral, en vertu de la Loi sur les Indiens laquelle, bien que remontant à 1876, demeure en vigueur aujourd’hui. La communauté de Mashteuiatsh est dirigée et administrée par Pekuakamiulnuatsh Takuhikan (anciennement Conseil des Montagnais du Lac Saint-Jean).

The Pekuakamiulnuatsh (Pekua kami: flat lake; Ilnuatsh: people) are one of the nine Innu First Nations of the province of Québec[1], located in Mashteuiatsh on the northwest shore of Lac Saint Jean, six kilometres from the city of Roberval (Map 1). The Mashteuiatsh “reserve[2]”, formerly a gathering place for the nomadic Algonquin groups of the region, was created in 1856. Reserves are spaces in which Canada’s Indigenous peoples were settled by force in the 19th century in order to “free up” the rest of the land for the country’s industrial development and the exploitation of natural resources. The Mashteuiatsh area (15.24km2) represents but an infinitesimal portion of the vast spaces that the Innu occupied in previous times while practicing their nomadic lifestyle and subsistence activities (hunting, fishing, gathering, trapping); this was based on the seasons, the availability of natural resources, family networks, trading and relations with neighbouring nations. Today there are 6,562 members of the Pekuakamiulnuatsh community, 2,058[3] of which live in Mashteuiatsh. Like the other reserves in Canada, Mashteuiatsh is under federal government jurisdiction pursuant to the Indian Act which, although it goes back to 1876, is still in effect today. The community of Mashteuiatsh is led and administered by Pekuakamiulnuatsh Takuhikan (formerly the Conseil des Montagnais du Lac Saint-Jean).

 

 

Carte 1 : Localisation de Mashteuiatsh

Map 1: Location of Mashteuiatsh

Fig 1 Boivin_carte 1

 

  

Au Canada, des mécanismes de négociation, appelés « revendications globales », ainsi que les financements nécessaires à ces processus, ont été mis en place à partir de 1973, avec l’objectif de conclure des traités dits « modernes » avec les Premières Nations et les Inuit, dans des régions du pays où les droits fonciers des peuples autochtones n’ont pas fait l’objet de traités dit « historiques » (négociés entre 1701 et 1923). La conclusion de ces traités contemporains repose sur l’idée selon laquelle l’établissement d’une certitude juridique sur des terres et des territoires déterminés constitue un avantage pour l’ensemble des parties concernées, puisque son objectif est de concilier les droits et intérêts des Premières Nations avec ceux des Canadiens allochtones, et ainsi prévenir de futurs conflits. Plus les modalités d’un traité sont précises (droits et obligations de chacune des parties), plus la certitude est réputée grande quant à l’usage, au développement économique et à l’administration des terres et territoires affectés par le traité. Le processus est facultatif et doit permettre aux Autochtones d’éviter de recourir aux tribunaux.

In Canada, negotiation mechanisms called “comprehensive claims”, as well as the necessary funding for these proceedings were put in place in 1973 with the objective of entering into so-called “modern” treaties with Inuit and First Nations in regions of the country where their land rights were not subject to so-called “historic” treaties (negotiated between 1701 and 1923). Based on the idea of establishing legal certainty on specific lands and territories, finalizing these modern treaties is perceived as a benefit for all parties concerned as their objective is to reconcile the rights and interests of Indigenous peoples with non-indigenous Canadians and thus prevent future conflicts. The more clearly the terms, conditions rights and obligations of each of the parties of a treaty are set out, the greater the certainty is deemed to be with regard to the use, economic development and administration of the lands and territories affected by the treaty. The process is optional and supposedly affords Indigenous peoples a way out of legal proceedings.

Les autorités de Mashteuiatsh, de concert avec d’autres Premières Nations innues, sont en négociation depuis 1979 avec les gouvernements québécois et fédéral. Elles fondent leurs revendications sur une recherche portant sur l’occupation et l’utilisation contemporaine du territoire, communément appelée « la grande recherche », effectuée en 1983 à la demande du Conseil Attikamek-Montagnais[4]. Depuis 2005, c’est sous l’égide du regroupement Petapan, rassemblant les Premières Nations de Mashteuiatsh, Essipit et Nutashkuan, que se poursuivent les pourparlers[5]. Ceux-ci ont été relancés en janvier 2016, en vue de déposer le projet de traité, négocié sur la base de l’Entente de principe d’ordre général (EPOG), signée en 2004. Les territoires concernés par le futur traité touchent à trois régions administratives de la province du Québec : le Saguenay-Lac-Saint-Jean, la Côte Nord et la capitale nationale (Québec et la Mauricie). Pour la première fois, la négociation d’un traité moderne concerne un territoire dont la population est majoritairement non-autochtone (95%). C’est pourquoi l’EPOG prône une approche partenariale avec les communautés non-autochtones et les différents paliers de gouvernement. La particularité de l’EPOG est en outre de vouloir contrer la logique – qui est celle de la société québécoise et canadienne – selon laquelle les autochtones devraient éteindre leurs droits ancestraux pour entrer de plein pied dans l’Union canadienne. L’EPOG se veut ainsi la première négociation entre peuples autochtones et gouvernements provinciaux et fédéraux au Canada reposant non pas sur l’extinction mais sur la reconnaissance des droits ancestraux, et sur le règlement des effets et modalités d’exercice de ces droits. L’un des défis actuels majeurs du regroupement Petapan est de convaincre l’ensemble des membres des futures Premières Nations signataires d’adhérer à ce projet, puisqu’une fois ratifié par les parties en pourparlers, le traité leur sera soumis par référendum.

The Mashteuiatsh authorities, jointly with other Innu First Nations, have been in negotiation since 1979 with the Quebec and federal governments. They are basing their claims on research pertaining to the occupation and contemporary use of the territory, commonly called “the great research”, carried out in 1983 at the request of the Attikamek-Montagnais[4] Council. Since 2005, the discussions have continued under the auspices of the Petapan group, bringing together the First Nations of Mashteuiatsh, Essipit and Nutashkuan[5]. The discussions were relaunched in January 2016 with a view to filing the draft treaty, negotiated on the basis of the Agreement-in-Principle of General Nature (AIPGN) signed in 2004. The territories affected by the future treaty involve three administrative regions of the province of Quebec: Saguenay-Lac-Saint-Jean, Côte Nord and the provincial capital (Québec and Mauricie). For the first time, the negotiation of a modern treaty involved a territory whose population is in majority non-indigenous (95%). That is why the AIPGN strongly recommends a partnership approach with the non-indigenous communities and the various levels of government. Moreover, what distinguishes the AIPGN is that it would go against logic – that of Québécois and Canadian society – according to which Indigenous peoples should extinguish their ancestral rights to fully enter Canada. Thus, the AIPGN intends to be the first negotiation between Indigenous peoples and the Canadian provincial and federal governments based not on extinguishment of their ancestral rights, but on their recognition, and regulation of the effects and provisions for exercising these rights. One of the current major challenges of the Petapan group is to convince the members of future signatory First Nations as a whole to support this draft, because once it has been ratified by the parties in discussion, the treaty will be presented to them for referendum.

Pour mieux comprendre les enjeux de ces négociations, et le point de vue porté par Pekuakamiulnuatsh Takuhikan sur les droits territoriaux de la communauté de Mashteuiatsh, nous avons rencontré Hélène Boivin, impliquée dans ce dossier pour le conseil de bande depuis plus de vingt ans.

To better understand the stakes of these negotiations and the perspective brought by Pekuakamiulnuatsh Takuhikan on the territorial rights of the Mashteuiatsh community, we met with Hélène Boivin, who has been involved in this process for the band council for over twenty years.

 

 

Justice Spatiale - Spatial Justice (JSSJ) : Dans une perspective longue et historique, comment Pekuakamiulnuatsh Takuhikan aborde-t-il la question des droits au territoire, que ce soit sur les terres de réserve de Mashteuiatsh ou sur le Nitassinan [territoire traditionnellement occupé par les Innus dans le nord-est de l’Amérique du Nord, avant la colonisation] ? Et quel sont les rôles et les objectifs des négociations territoriales par rapport à ces droits ?

Justice Spatiale – Spatial Justice (JSSJ): From a long and historic perspective, how does the Pekuakamiulnuatsh Takuhikan address the question of rights to the territory, whether the Mashteuiatsh reserve lands or Nitassinan [territory traditionally occupied by the Innu in north-eastern North America prior to colonization]? And what are the roles and objectives of the land negotiations with regard to these rights?

Hélène Boivin (HB) : Nous le voyons de la façon suivante : nous étions les premiers occupants du territoire. Nous étions là avant que les Européens n’arrivent. Nous étions là avant même que Samuel Champlain ne débarque à Pointe-à-Matthieu en 1603, et ensuite à Québec en 1608. L’histoire et l’occupation du territoire de notre Première nation [celle des Pekuakamiulnuatsh], puis des Montagnais et de la famille algonquine si l’on élargit, n’a pas débuté avec les écrits, ni avec l’arrivée de Champlain. Nous, nous nous basons sur le fait que nous avons une présence historique sur le territoire. Nous l’abordons tout d’abord de cette façon-là. Ensuite, nous l’abordons aussi de plus en plus, compte-tenu des négociations territoriales en cours, par rapport à l’occupation contemporaine du territoire. Les négociations visent entre autres à concilier les droits et intérêts de chacune des parties – les parties étant nous, le gouvernement du Canada, le gouvernement du Québec qui représente ici les Québécois et aussi les Canadiens. L’objectif de la négociation est de concilier ces droits-là. Il faut donc qu’on ait le plus possible d’occupation et d’informations sur cette occupation, tant historique que contemporaine. Parce que sans cette occupation et ces informations, nous ne pouvons pas justifier les droits que nous demandons sur ce territoire-là. Au Canada, on parle de « droits ancestraux » et de « titre aborigène ». Les droits ancestraux concernent le plus faible du spectre des droits, c’est-à-dire les droits de chasse, de pêche, de cueillette et les activités accessoires, comme par exemple, avoir un camp, couper du bois, etc. Dans ce spectre des droits, le plus fort est le titre aborigène[6]. C’est un peu l’équivalent d’un droit de propriété sur le territoire et les ressources, non pas dans le sens du code civil québécois, mais plutôt dans le sens de l’usage. Nous autres, nous l’expliquons comme cela : c’est comme si les droits de propriété au Québec sur le territoire et les ressources se divisaient en trois : l’usus, le fructus et l’abusus. Nous, les Premières Nations, nous avons l’usus. Nous avons des droits d’usage du territoire et des ressources pour les fins de l’articulation de notre culture et de notre mode de vie distinctif, c’est-à-dire pour faire la chasse et la trappe, et perpétuer notre mode vie. Admettons que si nous revendiquions des droits sur un territoire pour construire un centre d’achat, cela ne fonctionnerait pas. Et ces balises, au Canada et au Québec, ce sont les jugements de la Cour suprême qui viennent les établir. Donc, notre vision à nous autres, je vais la résumer : nous étions ici avant, nous avons accueilli les premiers Européens. Cependant, nous sommes dans un cadre constitutionnel canadien, et c’est dans ce cadre-là que nous négocions.

Hélène Boivin (HB): This is how we see it: we were the first occupants of the territory. We were there before the Europeans arrived. We were there even before Samuel Champlain landed at Pointe-à-Matthieu in 1603 and then Quebec City in 1608. The history and occupation of the territory of our First Nation [that of the Pekuakamiulnuatsh], then the Montagnais and the Algonquin family if we expand, did not begin with Champlain’s writings, nor with his arrival. We are basing ourselves on the fact that we have a historic presence on the land. We are approaching it this way first and foremost. Then, considering the land negotiations in progress, we are also increasingly addressing it on the basis of contemporary occupation of the territory. The purpose, in part, of the negotiations is to reconcile the rights and interests of each of the parties – the parties being us, the government of Canada, and the government of Quebec which here represent Quebeckers, and also Canadians. The objective of the negotiation is to reconcile these rights. So, we have to have a lot of information on this occupation, historic and contemporary alike, because without this occupation and this information, we cannot justify the rights we are asking for over this territory. “Ancestral rights” and “aboriginal title” are spoken of in Canada. Ancestral rights concern the weakest in the range of rights, namely, rights to hunt, fish, gather and related activities, like for example, having a camp, cutting wood, etc. In the spectrum of rights, the strongest of these is Aboriginal title[6]. This is somewhat the equivalent of a right of ownership over the territory and resources, not in the sense of the Quebec civil code, but rather in the customary sense. We explain it like this: it’s as if the rights of ownership in Quebec over the territory and resources were divided in three: usus, fructus and abusus. We, the First Nations, have usus. We have the right to use the territory and resources for purposes of expressing our culture and distinctive lifestyle, in other words, to hunt and trap and to perpetuate our way of living. Let’s accept that if we claimed rights over a territory to build a shopping centre, that wouldn’t work. And these guidelines were established by decisions of the Supreme Court. So, I will summarize our view: we were here first, we received the first Europeans. However, we are in a Canadian Constitutional setting and that is the context in which we are negotiating.

JSSJ : Ghislain Picard, le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, a récemment fait référence à ce qui est appelé en Colombie Britannique la « résurgence autochtone » (« indigenous resurgence »), posture qui consiste à dire qu’on ne peut pas revendiquer des droits que l’on possède déjà. Que pensez-vous de cette perspective, et comment cela fonctionne-t-il au Québec ?

JSSJ: Ghislain Picard, the chief of the Assembly of First Nations of Quebec and Labrador, recently made reference to what is called the “indigenous resurgence” in British Columbia, a position that essentially says one cannot claim back the rights that one already has. What do you think about this point of view and how does it function in Quebec?

HB : Vous avez raison, c’est pour cela que nous, nous parlons de « négociation territoriale ». La négociation a lieu dans le cadre d’une politique fédérale qui s’appelle « politique de revendication territoriale globale ». Mais nous, nous considérons que nous n’avons pas à revendiquer parce que nous n’avons jamais abdiqué nos droits territoriaux et notre droit à être souverain. C’est notre vision. La preuve, c’est que nous, on n’a jamais signé de traité allant en ce sens, comme l’ont fait d’autres nations à travers le Canada, comme par exemple les Cris au Québec, les Naskapis ou encore les Inuit. Nous, nous n’avons jamais abdiqué d’aucune façon nos droits territoriaux et notre droit à constituer éventuellement un gouvernement autonome. C’est pour cela que nous parlons de « négociation » et non de « revendication ». Nous n’utilisons pas le mot « revendication », parce que nous considérons que le territoire nous appartient et que nous ne l’avons jamais cédé.

HB: You’re right, that’s why we, we’re talking about “land negotiation”. The negotiation is taking place in the context of a federal policy called the “comprehensive land claim policy”. But we feel that we don’t have to make a claim because we never gave up our land rights and our right to be sovereign. That’s our view. The proof is that we have never signed a treaty in this regard, as other nations across Canada have done, like for example, the Cree in Quebec, the Naskapis or the Inuit. We have in no way ever renounced our land rights and our right to potentially form an autonomous government. That is why we speak of “negotiations” and not “claims”. We do not use the word “claim” because we deem that the land belongs to us and that we have never ceded it.

JSSJ : Est-ce aussi pour cela que le Conseil a une politique « d’affirmation » culturelle ?

JSSJ: Is that why the Council has a “cultural affirmation” policy?

HB : Oui, une politique d’affirmation culturelle qui a déjà dix ans[7]. Et dernièrement, nous avons voulu nous inscrire dans une démarche constitutionnelle, c’est-à-dire dans une démarche de droit à l’autodétermination interne, au sens du droit international. Le dossier « Constitution » est un dossier important, parce que cela nous permettrait de mettre en place nos propres balises. Quand je dis « établir nos balises », c’est parce qu’on se rend de plus en plus compte que si on ne s’organise pas, on va se faire organiser ! Il faut le voir comme cela. Le but de la démarche constitutionnelle que nous avions commencée à entreprendre était donc d’établir nos propres balises. On avait cette volonté-là. Toutefois, actuellement, nous considérons que dans notre communauté, compte-tenu de sa diversité – diversité au niveau idéologique, diversité au niveau des origines, diversité au niveau des opinions –, que la barre était peut-être trop haute. Mais aussi parce que, parallèlement, nous allons avoir sous peu un traité. Comme pourrais-je expliquer cela ? Il faudrait que j’essaye de nuancer mon propos. Les gens sont beaucoup dans la pensée originale autochtone, par exemple : le fait qu’à l’époque, les frontières n’existaient pas ; le fait qu’à l’époque, il y avait un vrai partage et une collaboration très forte ; le fait qu’à l’époque tu n’avais pas à demander une permission à qui que ce soit pour faire quoi que ce soit. Par conséquent, les gens, aujourd’hui, ne serait-ce que de leur dire qu’ils sont obligés de respecter des balises, c’est très difficile pour eux. Parce que les gens de la communauté, pas tous, mais notamment l’un des groupes représentés – parce que tantôt je vous disais qu’on a une diversité – eux, leur vision est de dire : « Moi, je peux chasser, pêcher, cueillir des fruits partout, et où je veux. Je n’ai pas de permission à demander à personne, et je n’ai à me soumettre à aucune réglementation quelconque ».

HB: Yes, a cultural affirmation policy that is already ten years old[7]. And most recently, we have wanted to register a constitutional process, that is, steps for the right to internal self-determination as referred to in international law. The “Constitution” file is important because it would enable us to establish our own guidelines. When I say “establish our guidelines”, it’s because we increasingly realize that if we don’t organize ourselves, someone else will do it for us! That’s how it has to be seen. The goal of the constitutional process that we had begun to undertake was therefore to establish our own guidelines. This is what we wanted. However, at this time, we feel that in our community, considering its diversity – ideological diversity, diversity of origins, diversity of opinions – that the bar was perhaps too high. But also because, in parallel, we will soon have a treaty. How could I explain that? I would have to try to nuance my remarks. People’s way of thinking is the original aboriginal way, for example: the fact that at the time, borders did not exist; the fact that at the time, there was a real sharing and strong cooperation; the fact that at the time, you didn’t have to ask anyone’s permission to do whatever. Consequently, you can’t just tell people today that they have to comply with new guidelines and regulations, it’s very difficult for them. Because the people in the community – not everyone but particularly one of the groups represented – because I was just telling you that there is diversity among us – the way they see it is: “Me, I can hunt, fish, gather fruit everywhere and anywhere I want. I don’t have to ask anyone’s permission and I am not subject to any rules whatsoever.”

JSSJ : Et cela, c’est vraiment le cœur des revendications : à quel système territorial ou à quelle territorialité – pour reprendre un terme que l’on utilise beaucoup à l’université – vous référez-vous pour structurer la négociation et clarifier les droits ? Beaucoup de gens font valoir que la manière autochtone d’occuper le territoire n’est pas représentée par les mécanismes de négociation, à savoir l’occupation par les liens sociaux, les liens politiques, etc. Il n’y a que peu de place pour cela, dans la politique de revendication. Peut-être est-ce cela qui produit cette opposition-là dans la communauté ? Peut-être que les gens pensent que ce n’est pas adapté à leur occupation culturelle du territoire ?

JSSJ: And that, that’s really the heart of the claims: Which territorial system – or territoriality, to use a term that is frequently used in the university – do you refer to for structuring negotiations and clarifying rights? Many people assert that the indigenous way of occupying the territory is not represented by the mechanisms of negotiation, namely, occupation through social ties, political ties, etc. There is little room for that in the territorial claims policy. Could this be what produces this opposition in the community? Is it possible that people think it’s not suited to their cultural occupation of the territory?

HB : Oui. Mais nous, nous essayons de faire comprendre aux gens que la réalité est tout autre aujourd’hui. Il y a cent ans, ou deux cents ans – parce que la colonisation s’est faite récemment – nous, on était quasiment seuls sur le territoire. Il y avait un peu de monde mais on était quasiment seuls. Et on rencontrait d’autres groupes, comme les Cris et les Algonquins. Car ici, le territoire où se trouve ma Première Nation, le Lac Saint-Jean, le Pekuagami, c’est un carrefour de rencontres internationales. Car à l’époque, les routes, c’étaient les rivières. Et les gens se rencontraient ici, puis à partir d’ici, ils accédaient au Nord, au Sud, à l’Est, et à l’Ouest. Mais aujourd’hui, la réalité est tout autre : il y a de la coupe forestière, il y a de la construction de barrages hydroélectriques, il y a de l’exploration et de l’exploitation minières, il y a de la villégiature. Et pour nous autres, ces activités constituent un enjeu extrêmement important. Je vais vous donner un exemple que je donne souvent : les Québécois, pas tous les Québécois, mais certains Québécois qui ont peu de connaissances sur les Premières Nations, vont dire : « Ah, ce sont eux qui pêchent tous les poissons des lacs, qui tuent tous les orignaux, qui prennent tous les castors ». Mais en réalité, nous, nous avons 143 terrains de piégeage et 200 camps innus de Mashteuiatsh sur le territoire. Ce n’est rien par rapport aux 11'000 chalets de non-Autochtones. La pression n’est pas de notre côté ! Ce n’est pas nous qui exerçons la pression sur la ressource faunique et sur les ressources naturelles, ce sont les non-Autochtones.

HB: Yes. But we are trying to get people to understand that the situation is completely different today. One or two hundred years ago – because colonization is recent – we were nearly alone on the land. There were a few people but we were nearly alone. And we would encounter other groups, like the Cree and Anishnaabe, because the territory where my First Nation is located, Lac Saint-Jean, Pekuagami, is an international crossroads. Because at the time, the “roads” were the rivers. And people encountered one another here, then starting from here, they had access to the north, the south, the east and the west. But today the situation is quite different: there is forest harvesting, hydro-electric dams are being built, there is mining exploration and operations, and vacation use (cabines). And for us, these activities are an extremely important issue. I will give you an example I often give: Quebeckers, not all Quebeckers but some of them who have little knowledge about First Nations, will say, “Ah, they’re the ones taking all the fish out of the lakes, killing the elk, taking all the beavers”. But in reality, we have 143 traplines and 200 Mashteuiatsh Innu camps on the territory. That is nothing compared to the 11,000 cottages belonging to non-indigenous individuals. We are not the ones causing stress! We are not the ones stressing wildlife and natural resources, it’s the non-indigenous.

JSSJ : Oui, de nombreuses idées et stéréotypes sont véhiculés sur la question de l’occupation autochtone et non-autochtone du territoire. Il semblerait aussi que dans les régions plus éloignées où l’implantation des nouveaux arrivants est moins importante, et où la question du rapport interculturel avec les settlers, les colons, comme on les appelle en anglais, ou la settler society, la société colonisatrice, se pose moins, les négociations se règlent plus facilement. Est-ce aussi votre impression ?

JSSJ: Yes, many ideas and stereotypes emerge around the issue of sharing the territory between Indigenous and non-Indigenous peoples. It would also seem that in more remote regions, where there is a smaller percentage of newcomers – that is, non-Indigenous peoples – and where the question of intercultural relations with the settler society is less present, negotiations have been settled more easily. Is this your impression as well?

HB : Oui, effectivement. Nous, nous négocions depuis trente-sept ans. Si on compare notre négociation avec celle des Cris et des Naskapis au Québec[8] – je connais moins les négociations à l’échelle du Canada – les Cris, eux, à l’époque, ont négocié avec un fusil sur la tempe. C’est l’image que nous donnons. Ils ont gagné en première instance, puis en deuxième instance, mais le jugement a ensuite été renversé, et ils ont eu un an pour convenir d’une entente. Et les Cris, comme vous l’avez mentionné, occupent un territoire où ils sont relativement seuls. Et par ailleurs, l’ensemble de la nation crie était impliqué. Nous, actuellement, nous ne négocions pas avec un fusil sur la tempe puisque nous n’avons pas choisi d’aller devant les tribunaux et qu’il n’y a pas de jugement. Certains de nos gens disent : « Ne perdez plus votre temps à négocier. Allez devant les tribunaux ». Mais nous, on leur donne justement l’exemple des Cris : aller devant les tribunaux, cela coûte cher. Les Cris y sont allés, ils ont gagné leur cause, mais la cause a été renversée et ils ont eu un an pour négocier une entente. Aller devant les tribunaux reviendrait donc quand même à la négociation, au bout du compte. Le problème, c’est qu’il n’y a pas assez de pression politique pour régler la négociation. Les gouvernements canadiens et québécois ne sentent pas l’urgence. Et je pense que c’est par un manque de connaissances. Car si le Canada et le Québec connaissaient mieux les peuples autochtones dans leur ensemble, je suis convaincue qu’ils achèteraient l’idée que les Premières Nations puissent s’orienter vers la mise en place de leur propre gouvernement, la prise en charge de leur destinée, la reconnaissance de leurs droits territoriaux, etc. Je pense qu’en établissant nos propres balises, tout le monde y gagnerait. Le problème est que les gouvernements canadiens et québécois négocient tout le temps avec une certaine forme d’insouciance, d’inconscience et de résistance, comme si tout cela n’était pas important. Je vais vous donner un exemple de ce que j’ai vécu : quand je suis revenue dans la communauté, c’était mon travail d’être assise à la table des négociations avec les gouvernements. J’ai été assise à la table des négociations de 1995 à 2005, jusqu’à la signature de l’EPOG, l’entente de principe d’ordre général. A l’époque, le fédéral déposait parfois une proposition. Or, un mois après, il était contre sa propre proposition. Et nous, nous leur disions : « Eh, mais là, c’est votre proposition ! ». C’était aussi aberrant que cela.

HB: Yes, indeed. We’ve been negotiating for 37 years. If we compare our negotiation with that of the Cree and the Naskapis in Quebec[8] – I am less familiar with the negotiations Canada-wide – the Cree, at the time, negotiated with a gun to their heads. That’s the image we give. They won in the first instance and then on appeal but the decision was then overturned and they had one year to come to another agreement. And the Cree, as you have mentioned, occupy territory where they are relatively alone. And moreover, the entire Cree nation was involved. Currently, we are not negotiating at gunpoint because we have not chosen to go before the courts and there is no ruling. Some of our people are saying, “Don’t waste any more of your time negotiating. Go to court”. But we give them the example of the Cree: going to court is expensive. The Cree went, and they won their case but the decision was overturned and they had one year to negotiate an agreement. The bottom line is that going to court would come down to negotiations just the same. The problem is that there is not enough political pressure to settle the negotiation. The Canadian and Quebec governments have no sense of urgency. And I think it’s due to a lack of knowledge because if Canada and Quebec were better acquainted with Indigenous peoples overall, I am convinced that they would buy the idea that First Nations can move toward establishing their own government, taking charge of their own destiny, the recognition of their territorial rights, etc. I think that by establishing our own guidelines, everyone would win. The problem is that the Canadian and Quebec governments always negotiate with a certain lack of caring, lack of awareness as well as resistance, as if none of this mattered. I am going to give you an example of what I have experienced: when I came to the community, my job was to be seated at the negotiations table with the governments. I sat at the negotiations table from 1995 to 2005, until the signing of the AIPGN, the Agreement-in-Principle of General Nature. At the time, the federal government occasionally filed a proposal. A month later, it was against its own proposal. And we would say to them, “But it’s your proposal!” It was that absurd.

JSSJ : il y a encore beaucoup de dénigrement de la part des non-Autochtones. Mais en bout de ligne, c’est aussi du racisme, parfois. L’idée que les Premières Nations étaient souveraines, organisées politiquement, économiquement et culturellement sur le territoire, et qu’elles avaient leurs propres systèmes d’organisation, cela ne fait pas partie de la mentalité.

JSSJ: There is still a great deal of bashing by the non-indigenous population. But ultimately, it’s also a form of racism. The idea that Indigenous peoples were sovereign – politically, economically – as well as organized culturally on the land, that they had their own organizational systems, doesn’t occur to them.

HB : Oui, tout le monde aurait à y gagner de nous reconnaître – une partie de la population québécoise et canadienne pense que nous, les Premières Nations, nous vivons à leurs crochets. Et ça, ça les fatigue. Mais s’ils sont si fatigués qu’on vive à leurs crochets, pourquoi alors ne nous reconnaissent-ils pas l’autonomie ? « Donnez-nous une chance, et soyez ouverts à ce que nous puissions tenter des expériences, comme par exemple gérer des parties de territoire. Ayez au moins l’ouverture d’accepter ». Bien sûr, il est possible qu’on n’y parvienne pas, mais au moins, on aura essayé. Et essayons ensemble : « Considérez vos besoins, considérez les nôtres, et essayons de trouver un terrain d’entente ». Et de dire : « D’accord, maintenant on s’organise pour que tout le monde soit bien dans ce territoire, et pour faire des activités qui conviennent à tout le monde ». Mais parfois, on a l’impression qu’on est même obligés de reculer. Un dossier d’actualité cette année, mais qui existe depuis longtemps, est celui de la pêche sportive. Nous, chaque printemps, nous nous gardons deux semaines pour pratiquer la pêche traditionnelle au filet. Les deux dernières années, lorsque cette activité coïncidait avec la pêche sportive, nous avions réussi à négocier une zone qui nous était exclusive pour la pêche traditionnelle, et pour qu’eux autres puissent aller dans le reste du lac. Cette zone exclusive n’allait pas loin, on ne demande pas tant que ça puisqu’on les voit au large, les filets. Mais cette année, le gouvernement a insisté encore pour ouvrir la pêche non autochtone dès le départ de la glace. La pêche sportive a été devancée de deux semaines partout sur le lac. Avec un traité, nous n’aurions pas continuellement à renégocier.

HB: Yes, everyone would win from recognizing us – a portion of the Quebec and Canadian population thinks that we, the First Nations, live off of them. And that bothers them. But if they’re so bothered that we’re living off them, why don’t they recognize our autonomy? “Give us a chance and be open to what we can do with the experience, such as managing portions of the land, for example. At least be open enough to agree”. Of course, we may not get there but at least we’ll have tried. And let’s try together. “Consider your needs, consider ours, and let’s try to find common ground.” And say, “OK, now we’ll arrange it so that everyone is comfortable in this territory and any activity benefits everyone.” But at times we get the impression that we should back up. One of the current issues this year, but which has existed for a long time, is sport fishing. Every spring, we keep two weeks for traditional fishing with nets. The last two years, when this activity coincided with sport fishing, we managed to negotiate an area that was exclusively for us for traditional fishing and everyone else could fish in the rest of the lake. This exclusive area didn’t go far, we aren’t asking for that much since you could see the nets from the shore. But this year, the government insisted again that non-indigenous fishing be opened as soon as the ice was gone. Sport fishing was moved up two weeks everywhere on the lake. With a treaty, we wouldn’t have to continually renegotiate.

JSSJ : On se rend compte que le paternalisme est encore bien présent : une autre autorité décide, peu importe que les Innus soient consultés ou non.

JSSJ: We realize that paternalism is very much still in existence: another authority decides, regardless of whether or not the Innu are consulted.

HB : oui, mais nous avons aussi de bonnes relations avec le gouvernement. Nous avons une rencontre avec le Ministère de l’Energie et des Ressources Naturelles du Québec, la semaine prochaine. Quand on leur explique que la pression n’est pas de notre côté, ils comprennent ce que nous leur disons. Eux, ils sont sensibles à ces questions. Mais en réalité, il y a des enjeux politiques. Et là, ce sont les élus qui sont concernés. Les Autochtones, nous représentons un pourcent de la population de la province. Par conséquent, si tu veux être réélu, ce n’est pas vendeur de te présenter comme étant défenseur ou respectueux des droits autochtones. Mais les représentants au ministère, eux, sont très sensibles, ils comprennent et essayent de nous aider. Ils essayent de cheminer avec nous. C’est à un autre niveau que cela bloque.

HB: Yes, but we also have a good relationship with the government. We have a meeting with the Quebec Ministry of Energy and Natural Resources next week. When we explain to them that the pressure is not coming from our side, they understand. They are sensitive to these matters. But in reality, there are also political issues. And this involves the elected officials. We Indigenous peoples are one percent of the province’s population. Accordingly, if you want to be re-elected, it’s not a good selling point to present yourself as being a defender of or respectful of indigenous rights. But the representatives at the ministry are very sensitive. They understand and try to help us. They try to make progress with us. Things get stuck at a different level.

JSSJ : Cela signifie qu’il y a beaucoup de travail de conscientisation à faire pour développer une vision interculturelle du territoire chez les jeunes, afin qu’ils comprennent qu’ils partagent ce territoire avec les Premières Nations. Peut-être qu’avec une nouvelle génération, avec un autre enseignement dans les écoles, il pourrait y avoir une population plus compréhensive, qui part sur d’autres bases pour concevoir sa relation avec les Premières Nations et les Inuit ?

JSSJ: That means that there is a lot of work to do in raising awareness to develop an intercultural vision of the territory among the youth so they’ll understand that they share this territory with Indigenous peoples. Do you think that perhaps with a new generation, with a different curriculum in the schools, there may be a more understanding population, one that might conceive of its relationship with Inuit and First Nations differently?

HB : Oui, cela fait vingt ans que je suis dans les négociations territoriales, et auparavant, j’ai travaillé dans d’autres communautés et dans d’autres secteurs. Je donne aussi de nombreuses conférences depuis 25-30 ans sur les enjeux et réalités autochtones du Québec. Et parfois, j’ai l’impression que tout est à recommencer. Je n’ai pas vu beaucoup d’évolution. Et par ailleurs, il faut apporter beaucoup d’argumentation pour expliquer les réalités autochtones. Je vais vous donner un exemple. Dans notre négociation territoriale, il est prévu d’ajouter 6km2 au territoire de la communauté, qui s’étend aujourd'hui sur 15,24km2. Actuellement, c’est un dossier qui bloque avec la ville de Roberval, parce que la mairie s’y oppose. Et quand je donne des conférences, on me demande : « Et vous, comment voyez-vous cela ? ». Je leur réponds que ce que je ne comprends pas, c’est que des gens de l’Inde ou de la Chine viennent acheter des terres agricoles au Québec, et que le monde accueille cela de façon favorable. Mais nous, les Premières Nations, les premiers habitants de ce pays, on ne fait que demander 6km2 à ajouter à notre territoire de réserve, et il y a des gens qui s’y opposent.

HB: Yes, I have been in land claim negotiations for twenty years and prior to that, I worked in other communities and other sectors. I have also given many lectures in the last 25-30 years on indigenous issues and realities in Quebec. And at times I get the feeling that everything has to be started over again. I have not seen a lot of evolution. And, moreover, a lot of reasoning needs to be put forward to explain indigenous realities. I’ll give you an example. In our land claim negotiations, 6km2 are to be added to the community, which today covers 15.24km2. At this time, this issue is stuck with the city of Roberval because the mayor is opposed to it. And when I give lectures, I’m asked, “And what do you think about that?” I reply that I don’t understand. People from India or China come and buy farm land in Quebec and they’re welcomed with open arms. But we, the First Nations, the first inhabitants of this country, are just asking to add 6km2 to our land reserve and there are people against it.

JSSJ : Ces terres appartiennent-elles à la municipalité de Roberval ?

JSSJ: Does this land belong to the city of Roberval?

HB : Oui, et ils ne veulent pas les céder. Pourtant, nous sommes prêts à payer pour.

HB: Yes, and they don’t want to give it up. However, we’re prepared to pay.

JSSJ : On retrouve là encore la vision selon laquelle les autochtones auraient dû disparaître, qu’ils n’ont pas de droits sur le territoire, et que c’est juste un problème qu’il faut essayer de régler. Pas d’égal à égal… mais plutôt pour s’en débarrasser.

JSSJ: Once again the view is that Indigenous peoples should have disappeared, that they do not have rights over the land and that it’s just a problem that has to be settled. Not equal to equal… but rather to make it go away.

HB : Oui, c’est ça.

HB: Yes, that’s it.

JSSJ : Peut-on dire qu’il n’y a pas d’arrimage entre l’aménagement et la planification territoriale des municipalités d’un côté, et les communautés autochtones de l’autre ?

JSSJ: Could it be said that there is no connection between municipal development and land planning on the one hand and indigenous communities on the other?

HB : Concernant le dossier d’agrandissement de la réserve, Roberval a consenti des droits à une entreprise et c’est pour cela que nous, on ne peut pas avoir ces terres. Pourtant, la question de l’agrandissement figure dans l’Entente de principe d’ordre général (EPOG) signée en 2002. Quand il y a des planifications gouvernementales, que ce soit au niveau macro ou micro, nous, on leur dit : « Regardez, nous, on a l’EPOG, et on a un régime territorial. Voici ce qui est prévu sur ce régime territorial ». Il est vrai que l’entente de principe n’a pas de portée légale. Mais nous partons quand même du principe que les gouvernements l’ont négociée de bonne foi. Et nous avons un chapitre sur les mesures transitoires, le chapitre 19, qui dit clairement dans ses premiers articles que le Québec et le Canada vont faire tout ce qui est possible pour ne pas porter atteinte à ce qui est écrit dans cette entente.

HB: Concerning the file on enlarging the reserve, Roberval granted rights to a company and that is why we can’t have this land. However, enlargement appears in the Agreement-in-Principle of General Nature (AIPGN) signed in 2002. When there are government plans, whether micro or macro, we tell them, “Look, we have the AIPGN and a land regime. This is what is provided for in this land regime.” It’s true that the agreement in principle has no legal weight. But we are nonetheless basing ourselves on the principle that the governments negotiated it in good faith. And we have a chapter on transitional measures, chapter 19, which clearly states in its first paragraphs that Quebec and Canada will do everything possible not to infringe upon the contents of this agreement.

JSSJ : Pourrais-tu nous rappeler quels sont les objectifs du régime territorial prévu par l’EPOG ?

JSSJ: Could you remind us of the objective of the land regime provided for by the AIPGN?

 

 

Carte 2 : Régime territorial de la Première Nation de Mashteuiatsh

Map 2: Land regime of the Mashteuiatsh First Nation

Fig 2 Boivin_carte 2 avec permission

 

 

HB : Notre territoire ancestral s’étend sur 92'000 km2. Dans ce territoire, nous devrions obtenir des terres en pleine propriété, soit à peu près l’équivalent de 200km2 qui comprendront le territoire de la réserve, le territoire de l’agrandissement de la réserve, le lac Ashuapmushuan, et deux petites parties du lac Onistagan, au Nord. Seules ces terres-là seront en pleine propriété. C’est sur ces terres-là que le gouvernement autochtone qui serait mis en place aurait plein pouvoir. Sur le reste du territoire, le Nitassinan, le principe est que nous puissions continuer nos activités traditionnelles, et avoir priorité de prélèvement faunique sur les autres, c’est-à-dire sur les prélèvements sportifs. Mais comme je le disais tantôt, dans la négociation, l’objectif est la conciliation des droits et intérêts des parties. Dans le traité, cela se traduira de la façon suivante : on pourra pratiquer nos activités traditionnelles et on aura une priorité de prélèvement. Mais ces activités vont devoir être conciliées avec les autres affectations. Cela veut dire qu’il y aura des ententes qui établiront notamment ce qui va se passer dans les pourvoiries et ce qui va se passer dans les ZEC[9]. Par exemple, on va devoir négocier le paiement des droits d’accès avec les ZEC. Car sur le territoire du Québec, tu as des pourvoiries[10], tu as des ZEC, tu as des réserves écologiques, tu as des parcs nationaux, tu as des parcs provinciaux. Pour chacune de ces affectations, il y aura une entente pour établir ce qui va se passer. Dans le cas d’une pourvoirie, pendant que le pourvoyeur accueille ses clients, nous, on ne peut pas pratiquer nos activités sur son terrain. On peut les pratiquer ailleurs, cependant. Par exemple, sur notre territoire ancestral, nous avons beaucoup de territoires agricoles, et c’est là que se pratique la chasse aux oiseaux migrateurs. Il va donc y avoir des ententes parce que là, on est en territoire municipalisé, et dans certains cas, territoires privés. Il s’agira donc d’avoir la permission de la part des propriétaires. S’ils nous autorisent la chasse, on va pouvoir la faire, s’ils ne l’autorisent pas, on ne pourra pas la pratiquer.

HB: Our ancestral land covers 92,000 km2. In this territory, we are supposed to obtain full ownership of roughly 200km2 which includes the current reserve, the land for enlarging the reserve, Lake Ashuapmushuan, and two small portions of Lake Onistagan to the north. Only these lands would be fully owned. This is the land over which the indigenous government that would be put in place would have full authority. The principle is that we would be able to continue our traditional activities over the rest of the territory, Nitassinan, and have priority over sportsmen for wildlife harvesting. But as I was just saying, the objective in the negotiations is the reconciliation of the rights and interests of both parties. In the treaty, this translates as follows: we can practice our traditional activities and have priority for harvesting. But these activities must be reconciled with others. This means that there will be agreements establishing specifically what will happen in the outfitters’ operations and what will happen in the ZECs[9]. For example, we’re going to have to negotiate payment of access fees with the ZECs. Because there are outfitter operations on provincial land[10], you have ZECs, you have environmental reserves, you have national parks, you have provincial parks. For each of these designations, there is an agreement establishing what goes on there. In the case of an outfitter’s operation, when the outfitter is receiving his clients, we cannot go about our activities on his land. We can do them elsewhere, however. For example, on our ancestral land, we have a great deal of farmland and that is where migratory birds are hunted. Therefore, there will be agreements because this has become municipal land and in some cases, private property. So it will be a matter of getting permission from the owners. If they give us permission to hunt, we’ll be able to; if they don’t, no.

JSSJ : Les terres de réserve sont dites des terres de la Couronne, et donc des terres fédérales. Si le traité est mis en œuvre, quel sera le statut de ces terres ?

JSSJ: By virtue of the Indian Act, reserve land belongs to the federal government. If the treaty is implemented, what will be the status of these lands?

HB : Le statut sera au sens du Code civil québécois. On va être propriétaire du fonds et du tréfonds. Le statut s’apparentera à un titre collectif.

HB: The status will be as referred to under the Quebec Civil Code. We will be owners of the surface and the subsurface. The status will be like a collective title.

JSS : Et quel sera le statut des terres que vous ne posséderez pas en pleine propriété mais qui seront conventionnées ? Y aura-t-il trois catégories de terres comme dans le cas de Convention de la Baie James et du Nord Québécois[11]?

JSSJ: And what will the status be of the lands that you won’t have full ownership of but that fall under the agreement? Will there be three land categories as in the case of the James Bay and Northern Quebec Agreement[11]?

HB : Pour nous, ce sera différent. Ils vont nous consulter selon le principe de la « participation réelle » dans les processus de décision relatifs à la gestion du territoire, de l'environnement et des ressources naturelles sur le Nitassinan. Mais nous, ce que nous aurions souhaité, c’est la « co-gestion ». Mais là, le Québec a dit : « Non, on ne peut pas être deux décideurs ». La participation réelle signifie que sur le reste du territoire, le territoire public, c’est-à-dire les terres que nous ne détiendrons ne pas en pleine propriété, nous allons pouvoir pratiquer Innu aitun[12]. Innu aitun va cependant devoir se moduler avec les autres affectations. Nous aurons des ententes avec ces autres affectations-là. Et pour la question de savoir comment vont s’articuler le droit ancestral et le titre aborigène, le gouvernement devra nous consulter sur tout développement qui aura lieu sur ce territoire. Il y a une obligation de consulter. Et si le gouvernement porte atteinte à notre droit et à notre titre, il va devoir « harmoniser » et « accommoder ». « Harmoniser » veut dire mettre en place des mesures. Par exemple, si un camp doit être détruit, il peut être déplacé. Et « accommoder » veut dire que s’il n’est pas possible de relocaliser le camp, il y aura des compensations financières. Donc, le gouvernement doit nous consulter, harmoniser et accommoder.

HB: This will be different for us. They will consult us in accordance with the principle of “genuine participation” in the decision-making processes related to management of the land, the environment and natural resources on Nitassinan. But what we had been hoping for was “co-management”. But Quebec said, “No, there cannot be two decision-makers.” Genuine participation means that over the rest of the land, the public land, meaning the lands that we will not have full ownership of, we will be entitled to practice Innu aitun[12]. Innu aitun will, however, have to adjust to the other designations. We will have agreements with these other designations. And regarding the matter of knowing how ancestral and indigenous title will be expressed, the government will have to consult us on all development that takes place on this land. Consultation will be an obligation. And if the government infringes on our right and our title, it will have to “harmonize” and “accommodate”. “Harmonize” means to put measures in place. For example, if a camp has to be destroyed, it can be moved. And “accommodate” means that if it is impossible to relocate the camp, there will be financial compensation. So, the government has to consult us, harmonize and accommodate.

JSSJ : En quoi l’harmonisation et l’accommodement sont-ils différents de la co-gestion ?

JSSJ: How are harmonization and accommodation different from co-management?

HB : La co-gestion implique un droit de veto. Par exemple, dans le cas d’un projet d’exploitation minière, le projet ne se fera pas si tu t’y opposes. Alors que l’harmonisation et l’accommodement, c’est le gouvernement qui a le dernier mot en bout de ligne.

HB: Co-management involves the right to veto. For example, in the case of a mining operation project, the project will not go ahead if you oppose it. With harmonization and accommodation, the government ultimately has the last word.

JSSJ : Les rapports de pouvoir resteront donc inégaux, malgré tout ?

JSSJ: So, despite everything, will the power relationships remain unequal?

HB : Oui, mais le traité doit être vu comme un contrat que les parties s’engagent à respecter. La dernière cause qui a été rendue devant les tribunaux, la cause Tshilquot’in (Nation Tsilhqot’in c. Colombie‑Britannique), montre qu’on pourrait aussi empêcher un développement en prouvant le titre aborigène le plus fort. Mais cela veut dire que tu dois prouver que tu occupes ce territoire-là depuis six mille ans, que tu l’occupes encore, que tu en as l’occupation exclusive, qu’il n’y a pas d’autres personnes que toi sur ce territoire, et que ce territoire-là, tu en as besoin, par exemple, pour faire la trappe au castor, dans le but de t’alimenter. Et que si on détruit ce territoire, il n’y en aura pas d’autres où il y a du castor, et que cela va affecter ta base alimentaire. Mais même dans ce cas de figure, le gouvernement pourrait porter atteinte à notre droit, et nous compenser financièrement. Par ailleurs, je donne toujours l’exemple suivant. Le gouvernement du Québec a une politique de protection du caribou. Et dans cette politique, la perte culturelle que représente pour nous la baisse des populations de caribou n’est pas considérée. C’est un commentaire que nous faisons à chaque fois que nous devons analyser les politiques gouvernementales et soumettre des commentaires. Dans le cas de coupes forestières, s’ils mettent en place des zones de protection du caribou, ils vont évaluer ce que cela représente au niveau de la perte économique, et ils vont compenser. Mais ils ne nous compenseront pas pour la perte culturelle que cela représente.

HB: Yes, but the treaty must be seen as a contract that the parties undertake to respect. The last case that went before the courts, the Tshilquot’in case (Tsilhqot’in Nation v. British Columbia), shows that development could also be impeded by proving Aboriginal title as stronger. But that means that you have to prove that you have occupied this land for 6,000 years, that you still occupy it, and that you have exclusive occupation, that there are no other individuals than you on this land, and that you need this land, for example, to trap beaver for food. And that if this land is destroyed, there will be no other where there are any beaver, and that that will have an impact on your food base. But even in this case, the government could infringe on our right and give us financial compensation. Moreover, I always give the following example. The government of Quebec has a caribou protection policy. And in this policy, cultural loss, which for us means a drop in the caribou populations, is not considered. This is an observation we make every time that we have to analyze government policies and submit our comments. In the case of forest harvesting, if they establish caribou protection zones, they will assess what this represents in terms of economic loss and will compensate us. But they will not compensate us for the cultural loss that this represents.

JSSJ : Et quelle est l’importance des sites patrimoniaux, par rapport au reste du territoire ?

JSSJ: And what is the importance of the heritage sites compared to the rest of the land?

HB : Comme il y a de nombreux tiers sur notre territoire, nous avons identifié différents sites patrimoniaux en fonction des grandes rivières, afin de protéger notre culture. Mais nous n’aurons pas non plus l’exclusivité sur ces territoires-là, hormis quelques-uns.

HB: As there are many third parties on our land, we have identified various heritage sites based on major rivers in order to protect our culture. But we won’t have exclusive rights over these lands, with the exception of a few.

JSSJ : Tu nous disais tantôt qu’il est important pour vous d’avoir des chercheurs issus de la communauté. Peux-tu nous expliquer cela ?

JSSJ: You were just saying that it is important for you to have researchers who are from the community. Can you explain that for us?

HB : Nous, on est obligés de documenter notre occupation du territoire, depuis 6 mille ans jusqu’à aujourd’hui. Et on va devoir continuer à la documenter. Parce qu’à chaque fois que tu veux appliquer des mesures d’harmonisation, tu n’auras pas le choix. Car le gouvernement du Québec veut savoir : « Il est où ton camp ? Elle est où, ta ligne de piégeage ? Et c’est quoi que tu prends ? Qu’est-ce que tu fais-là ? Depuis combien de temps le fais-tu là ? ». Par conséquent, nous n’avons pas le choix. Nous allons donc constamment devoir documenter toutes nos pratiques. Avant le jugement Delgamuukw, les politiques de revendication territoriale ne reconnaissaient pas l’occupation historique. Elles ne reconnaissaient que l’occupation contemporaine. C’est pourquoi, après le jugement Delgamuukw, en 1997, nous, on a rajouté dans les négociations la partie sud-ouest du territoire qui va jusqu’à Québec [située dans la réserve faunique des Laurentides]. Actuellement, cette partie continue à faire l’objet de litiges à la table des négociations. Le gouvernement a mandaté des études car il avait des gros doutes sur le fait que nous étions là, et depuis combien de temps nous étions là. C’est pour cela que nous aussi, on a été obligés de faire faire nos propres études pour documenter notre occupation du territoire. Sur la base de son étude, le gouvernement a dit : « Oui, effectivement, il y avait des Montagnais là, en 1603 et en 1608. Mais ensuite, il y a eu l’installation de colonies, la maladie, les guerres iroquoiennes... Et les Montagnais ont dû quitter ce territoire pour diverses raisons, et se retirer à l’intérieur des terres ». Et en effet, pendant une période de temps, de 1635 à 1701 environ, les populations montagnaises ont diminué dans cette partie du territoire. C’est pourquoi les gouvernements du Québec et du Canada ont dit : « Étant donné que vous étiez juste quelques-uns dans la partie sud-ouest, vous ne pouvez pas revendiquer le titre aborigène ». Pour eux, le fait que pendant plusieurs centaines d’années, on n’a pas fréquenté ce territoire pour ces raisons-là, cela veut dire qu’ils ne pourraient pas reconnaître un titre aborigène aux Innus dans ce territoire-là.

HB: We are obliged to document occupation of the land for 6,000 years up to the present. And we’re going to have to continue documenting it, because each time you want to implement harmonization measures, you have no choice as the government of Quebec wants to know: “Where is your camp? Where is your trap line? And what are you taking? What are you doing there? How long have you been doing it?” As a result, we have no choice. We are therefore going to have to constantly document all our practices.  Prior to the Delgamuukw decision, land claim policies did not recognize historic occupation. They only recognized contemporary occupation. That’s why after the Delgamuukw decision in 1997, we added the southwestern part of the territory that goes up to Quebec City [located in the Laurentian wildlife reserve] to the negotiations. At this time, this portion continues to be subject to disputes at the negotiations table. The government mandated studies, as it seriously doubted that we were there and how long we had been there. This is why we were obliged to do our own studies to document our occupation of the land. On the basis of its study, the government said, “Yes, indeed, there were Montagnais there in 1603 and 1608. But then colonies were established, disease, war with the Iroquois… And the Montagnais had to leave this land for various reasons and withdraw toward the interior.” And indeed, during a period of time, from 1635 to 1701 roughly, the Montagnais populations decreased in this part of the land. That’s why the governments of Quebec and Canada said, “Given that there were just a few of you in the southwestern part, you cannot claim Aboriginal title.” For them, the fact that for several hundred years we did not frequent this land for those reasons means that they could not recognize the Aboriginal title of the Innu in that territory.

JSSJ : Dans le fond, cela revient à nier le fait que la colonisation elle-même est la cause de cette diminution. Ce ne sont pas les Montagnais qui ont décidé d’un jour à l’autre : « Ah, on n’y va plus ».

JSSJ: Basically, this comes down to denying the fact that colonization itself was the cause of this decrease. It wasn’t the Montagnais who decided one day to the next, “Let’s not go there anymore.”

HB : Oui.

HB: Yes.

JSSJ : Qu’en est-il de la Loi sur les Indiens ? Mashteuiatsh et les autres communautés signataires y seront-elles encore soumises après la signature du traité ? Y aura-t-il encore un statut d’Indien[13] ?

JSSJ: What about the Indian Act? Will the Mashteuiatsh and the other signatory communities still be subject to it after signature of the treaty? Will there still be Indian status[13]?

HB : C’est loin d’être évident. Un juriste pourrait l’expliquer mieux que moi. Le statut indien demeure. La Loi sur les Indiens va continuer à s’appliquer. Cependant, le traité rendra certains articles de la loi caduque. Par exemple, en vertu de la Loi sur les Indiens, c’est le Ministre des Affaires autochtones et du Nord (Canada) qui est le décideur ultime. Le Conseil de bande n’a qu’un pouvoir délégué. Mais avec le traité, le Conseil de bande n’aura plus un pouvoir délégué, il sera un vrai gouvernement, même s’il s’agit d’un gouvernement de type municipal entre guillemets. C’est un enjeu important pour notre communauté parce que certaines personnes véhiculent l’idée que si c’est à cela que le traité va aboutir, ce sera ridicule. Mais en réalité, nous ne pouvons pas faire autrement. Admettons que si l’ensemble de la nation innue était engagée dans les négociations, nous pourrions former un gouvernement national. Mais nous ne sommes que trois Premières Nations. Il est donc impensable de former un gouvernement à l’échelle locale, qui aurait des pouvoirs équivalents à ceux d’une cour supérieure du Québec en matière de justice ; ou encore, et là je vais aller à l’extrême, équivalents d’une Cour suprême. C’est illogique. On va donc être un gouvernement à mi-chemin entre un gouvernement municipal et national, entre guillemets. Mais ce qui va changer, c’est qu’on va pouvoir adopter nos propres lois en ce qui concerne les éléments liés à notre indianité. Et ces lois-là vont s’appliquer et avoir une prépondérance sur les lois d’application générales provinciales et fédérales.

HB: It’s far from obvious. A legal expert could explain it better than I. Indian status remains. The Indian Act will continue to apply. However, the treaty will make some sections of the law null and void. For example, under the Indian Act, it’s the federal Minister of Indigenous and Northern Affairs who has the ultimate say in decisions. The Band Council only has delegated authority. But with the treaty, the band council will no longer have delegated authority, it will be a real government, even if it’s a “municipal” type government. This is an important issue for our community because some individuals have said that if this is where the treaty ends up, it will be ridiculous. But in reality, we cannot do otherwise. We admit that if the entire Innu nation were engaged in the negotiations, we could form a national government. But we are just three First Nations. It is therefore unthinkable to form a government at the local scale that would have powers equivalent to those of a Quebec superior court in terms of justice, or again, and here I’m going to the extreme, equivalent to a supreme court. It doesn’t make sense. So we’re going to be a government that is part way between a municipal government and a national government, in quotation marks. But what’s going to change is that we’re going to be able to approve our own laws with regard to elements related to our Indianness. And these laws will apply and have precedence over provincial and federal laws.

JSSJ : Le traité sera soumis à la population par référendum. Que se passera-t-il si le référendum ne passait pas, comme dans le cas des Inuit[14]?

JSSJ: The treaty will be submitted to the population through a referendum. What will happen if the referendum doesn’t pass, like in the case of the Inuit[14]?

HB : Cela ne sera pas perdu, mais se fera probablement dans une optique de droit à l’autodétermination interne qui se traduira par des ententes bilatérales.

HB: It won’t be lost but it will probably be done from a perspective of the right to internal self-determination, which will translate into bilateral agreements.

JSSJ : Quelle est la différence entre l’autodétermination interne et un traité ?

JSSJ: What is the difference between internal self-determination and a treaty?

HB : Avec l’autodétermination interne, il est probable que nous aurons des pouvoirs plus limitatifs que ceux qui nous seraient reconnus dans le cadre d’un traité. Avec l’autodétermination interne, nous ne pourrions exercer les pouvoirs concernant notre indianité qu’à l’intérieur du territoire de la réserve. Et si nous décidions de mettre nos balises à l’extérieur de ce territoire, par exemple en matière de pratique des activités traditionnelles, il se pourrait que nous soyons poursuivis par le gouvernement du Québec, et que cela aille en cour. Mais s’il ressort que les règles que nous autres nous établissons ne nuisent pas, ou respectent tel ou tel élément de conservation des ressources, et que nous sommes justifiés de le faire, alors, ils vont dire : « C’est correct pour les Innus ». Mais comme nous le disent nos conseillers juridiques, cela risque d’être confronté tout le temps sur le plan juridique, contrairement à un traité qui ressemble à un contrat que tu signes avec quelqu’un et qui établit la façon dont vont se passer les choses ; un contrat global qui règle tous les aspects, tous les enjeux : les questions territoriales, les questions de l’autonomie, les questions du développement économique, les questions du financement. Avec un traité, tu n’es pas obligé à chaque fois de revalider.

HB: With internal self-determination, it is likely that we will have more restrictive powers than those recognized under a treaty. With internal self-determination, we would not have authority concerning our Indianness except on the reserve. And if we were to decide to put our guidelines outside this land, for example with regard to practicing traditional activities, the Quebec government could prosecute us and take us to court. But if it emerges that the rules that we establish for ourselves are not harmful, or comply with some component or other of resource protection, and that we are justified in so doing, then they will say, “It’s alright for the Innu.” But as our legal advisors are telling us, there is the possibility of being confronted from a legal perspective at any time, unlike a treaty which is similar to a contract that you sign with someone and which establishes how things are going to go; a global contract that regulates every aspect of all the issues: land matters, autonomy, economic development, funding. With a treaty, you are not obliged to re-approve it every time.

JSSJ : L’autodétermination interne sera-t-elle appliquée selon la Déclaration des droits des peuples autochtones des Nations Unies ?

JSSJ: Will internal self-determination be implemented in accordance with the United Nations Declaration on the Rights of Indigenous Peoples?

HB : Oui, il y a aussi une théorie au Canada à ce sujet. C’est la théorie du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale, de Brian Slattery. Ce juriste constitutionnaliste a établi la théorie suivante : étant donné que nous n’avons pas abdiqué notre souveraineté et que nous existions avant la formation de la Constitution canadienne, notre droit à l’autonomie peut s’exercer en dehors du corps de la Constitution canadienne.

HB: Yes, there is also a theory in Canada in this regard. This is Brian Slattery’s theory of the inherent right to self-government. This constitutional law scholar has established the following theory: given that we have not abdicated our sovereignty and that we existed prior to the creation of the Canadian constitution, our right to autonomy can be exercised outside Canada’s constitution.

JSSJ : Et si le référendum ne passait pas, la démarche aura-t-elle quand même des retombées positives en termes d’aménagement du territoire ? Par exemple, allez-vous pouvoir récupérer des éléments du régime territorial de l’EPOG en vue d’une planification interculturelle, et de l’établissement d’une meilleure relation avec les communautés non-autochtones, notamment avec la municipalité de Roberval ?

JSSJ: And if the referendum were unsuccessful, would the process still have the benefits in terms of land use and development? For example, will you be able to salvage elements of the AIPGN land regime for the purpose of intercultural planning, and the establishment of better relations with non-indigenous communities, notably the city of Roberval?

HB : Oui, mais si nous n’obtenons pas de sources de revenus autonomes, outre celles que nous avons déjà actuellement pour fonctionner, même avec la meilleure volonté du monde, nous n’aurons pas les moyens de mettre en œuvre une telle planification. Je ne sais pas si vous comprenez ce que cela implique dans le quotidien. Je vais donner un exemple relatif à l’harmonisation. De mémoire, peut-être que les chiffres ne sont pas exacts, il y a une cinquantaine de municipalités [sur le territoire du Nitassinan de Mashteuiatsh]. Et ces municipalités ont des schémas d’aménagement. Or, pour s’harmoniser avec ces schémas, on doit s’asseoir avec ces cinquante municipalités. Le problème est que nous ne sommes que 2000 personnes résidant dans la communauté, et 4000 vivant à l’extérieur. Donc oui, l’EPOG pourrait constituer une base pour une planification commune, mais si nous n’avons n’a pas de sources de revenus supplémentaires, quand bien même on voudrait le faire, ce serait impossible.

HB: Yes, but if we do not obtain independent sources of revenue, other than those that we already have now in order to operate, even with all the willingness in the world, we will not have the means to implement this type of plan. I don’t know if you understand what that involves on a daily basis. I’ll give you an example regarding harmonization. Just off the top of my head, these figures may not be exact, but there are about fifty municipalities (on the traditional lands [Nitassinan] of Mashteuiatsh). And these municipalities have urban development plans. Now, to harmonize with these plans, you have to sit down with these fifty municipalities. The problem is that there are only 2,000 of us residing in the community, and 4,000 living outside. So yes, the AIPGN could be a basis for a common plan but if we do not have additional sources of revenue, regardless of how much we would want to, it would be impossible.

JSSJ : Et dans le cadre d’un traité, quelles seraient les ressources supplémentaires et d’où viendraient-elles ?

JSSJ: And in the context of a treaty, what would be the additional resources and where would they come from?

HB : Nous continuerons, entre autres, à avoir des sources de financement des programmes et services gouvernementaux, comme n’importe qui. Nous aurons aussi du financement pour la mise en œuvre du traité, et des compensations financières pour les dommages passés qui n’ont jamais été réglés, entre autres les dommages engendrés par les coupes forestières et les barrages hydroélectriques, à l’époque où nous n’avons pas été consultés, où nous n’avions pas eu un mot à dire et où cela s’est fait sans qu’il y ait jamais eu de compensation. Nous aurons aussi le droit de partager 3% des redevances sur l’exploitation des ressources sur l’ensemble du territoire. Et enfin, nous allons pouvoir appliquer un régime fiscal.

HB: We will continue to receive government funding for programs and services, like everyone else. We will also have funding for implementation of the treaty, financial compensation for past damages that were never settled, including damage caused by forest harvesting and hydroelectric dams, at a time when we had not been consulted, when we couldn’t say a thing, and this was done without ever receiving any compensation. We will also be entitled to share 3% of the royalties on resource development over the entire territory. And finally, we will be able to implement a taxation system.

JSSJ : il y aura donc un régime fiscal appliqué dans les communautés ?

JSSJ: So a taxation system will be implemented in the communities?

HB : Oui, et par ailleurs, on aura des ententes de répercussions et avantages presque obligatoires[15]. Et donc, dès que quelqu’un envisagera de faire un développement minier, il y aura automatiquement une entente qui prévoit des mesures d’emploi, l’accès à des contrats, des compensations financières, etc.

HB: Yes, and moreover, there will be nearly mandatory impact and benefit agreements[15]. So, as soon as someone plans a mining operation, there will automatically be an agreement that provides for employment measures, access to contracts, financial compensation, etc.

JSSJ : Et en même temps, étant donné que cela fait 37 ans que vous négociez, vous aurez aussi à rembourser la dette accumulée durant toutes ces années de négociation ?[16]

JSSJ: And at the same time, given that you have been negotiating for 37 years, will you also have to repay the debt accumulated during all these years of negotiation?[16]

HB : Oui, jusqu’à présent, nous avons 42 millions à rembourser.

HB: Yes, to date we owe $42 million.

Pour conclure, la conclusion d’un traité est essentielle. Sans un traité, dans le contexte actuel du développement, de l’exploitation du territoire et des ressources, les droits de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh risquent d’être réduits à une peau de chagrin. Il est donc primordial de se donner les outils et les moyens pour assurer un meilleur avenir à nos jeunes et aux générations futures. Ce n’est certainement pas en restant sur la loi sur les Indiens que nous allons y arriver.

To conclude, it is essential to sign a treaty. Without a treaty, in the current context of development, land and resources development, the rights of the Pekuakamiulnuatsh First Nation are in danger of being reduced to next to nothing. It is therefore essential that we give ourselves the tools and means to provide a better future for our youth and future generations. We’re certainly not going to get there by staying with the Indian Act.

 

 

Pour citer cet article :

To quote this paper:

Hélène Boivin, Irène Hirt, Caroline Desbiens, « Les droits au territoire de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh. Entrevue avec Hélène Boivin », [“The Right to the Pekuakamiulnuatsh First Nation’s Territory. Interview with Hélène Boivin”, translation: Sharon MOREN], justice spatiale | spatial justice, n° 11 mars 2017 | march 2017, http://www.jssj.org/

Hélène Boivin, Irène Hirt, Caroline Desbiens, « Les droits au territoire de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh. Entrevue avec Hélène Boivin », [“The Right to the Pekuakamiulnuatsh First Nation’s Territory. Interview with Hélène Boivin”, translation: Sharon MOREN], justice spatiale | spatial justice, n° 11 mars 2017 | march 2017, http://www.jssj.org/

 

 

[1] Les autres Premières Nations innues sont réparties sur la Côte-Nord (Essipit, Pessamit, Uashat-Maliotenam, Ekuanitshit, Natashquan, Unamen Shipu, Pakuashipi) et à l’intérieur des terres (Matimekush-Lac John, près de Shefferville). Les Pekuakamiulnuatsh se caractérisent par leur langue, le nehlueun, qui comporte des particularités la distinguant des autres communautés innues – ce qui explique la différence dans la désignation de la nation (« Ilnuatsh » plutôt que « Innus »), ainsi que l’usage de l’adjectif « ilnu »).

[1] The other Innu First Nations are distributed along the North Shore (Essipit, Pessamit, Uashat-Maliotenam, Ekuanitshit, Natashquan, Unamen Shipu, Pakuashipi) and in the interior of the territories (Matimekush – Lac John, near Shefferville). The Pekuakamiulnuatsh language, Nehlueun, has some particular characteristics which distinguish it from the other Innu communities – which explains the difference in the designation of the nation (“Ilnuatsh” rather than “Innu”) as well as the use of the adjective “Ilnu”).

[2] Au sens de la Loi sur les Indiens, une réserve est la terre « mise de côté par la Couronne pour l'usage et le bénéfice d'une bande au Canada », cette dernière se référant au « Groupe d'Indiens au profit duquel des terres ont été réservées ». Une réserve est administrée par un « Conseil de bande », généralement composé d'un chef et de conseillers élus pour un mandat de deux ou trois ans. Cette structure organisationnelle, imposée par le gouvernement canadien à partir du 19e siècle, n’a en général que peu de rapport avec les modes d’organisation coutumiers des peuples autochtones du Canada.

[2] As referred to the Indian Act, a reserve is “a tract of land, the legal title to which is vested in Her Majesty, that has been set apart by Her Majesty for the use and benefit of a band.” A band refers to a “body of Indians for whose use and benefit in common, land, (…), have been set apart ». A reserve is administered by a “Band council”, generally made up of an elected chief and councillors for terms of two or three years. This organizational structure, imposed by the Canadian government starting in the 19th century, generally has little in common with the customary organization systems of the indigenous peoples of Canada.

[3] Source : Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, http://www.aadnc-aandc.gc.ca/Mobile/Nations/profile_mashteuiatsh-fra.html (dernier accès le 28 juin 2016).

[3] Source: Indigenous and Northern Affairs Canada http://www.aadnc-aandc.gc.ca/Mobile/Nations/profile_mashteuiatsh-eng.html (last accessed on June 28, 2016).

[4] Les résultats de cette recherche regroupent plus de neuf volumes, un rapport synthèse, le témoignage de plus de 400 Innus, 17 000 fiches descriptives, environ 1 000 cartes et plus d’un millier d’heures d’enregistrement (http://petapan.ca/page/nitassinan, dernier accès le 29 juin 2016).

[4] The findings of this research fill over nine volumes, a summary report, the testimony of over 400 Innu, 17,000 descriptive files, approximately 1,000 maps and over a thousand hours of recording (http://petapan.ca/page/nitassinan, last accessed on June 29, 2016).

[5] Les négociations ont d’abord été menées sous l’égide du Conseil tribal Mamuitun (CTM) réunissant les Premières Nations de Mashteuiatsh, Essipit et Pessamit. Elles ont abouti en janvier 2000 à l’élaboration de l’« Approche commune », document définissant les paramètres servant de base à de futures négociations. Rejoints la même année par la Première nation de Nutashkuan, le CTM est alors devenu le Conseil tribal Mamuitun mak Nutashkuan (CTMN), qui, en avril 2002, a convenu avec les négociateurs du Canada et du Québec d’une proposition d’Entente de principe d’ordre général ou EPOG (cf. http://www.versuntraite.com/documentation/publications/EntentePrincipeInnus.pdf, dernier accès 28 juin 2016). En 2005, la Première Nation de Pessamit s’est retirée du processus, amenant un nouveau changement d’appellation du regroupement, désormais connu sous le nom de Petapan.

[5] The negotiations were initially conducted under the auspices of the Conseil tribal Mamuitun (CTM) bringing together the Mashteuiatsh, Essipit and Pessamit First Nations. In January 2000, the negotiations resulted in the development of the “Approche commune” [tr.: common approach], a document defining the parameters used as a basis for future negotiations. Joined the same year by the Nutashkuan First Nation, the CTM then became the Mamuitun mak Nutashkuan Tribal Council (CTMN), which in April 2002, agreed with the negotiators for Canada and Quebec on a proposal for an Agreement-in-Principle of General Nature or AIPGN (cf. http://www.versuntraite.com/documentation/publications/EntentePrincipeInnus.pdf, last access Jun 28, 2016). In 2005, the Pessamit First Nation withdrew from the process, leading to a new change in the group’s name, known from then on by the name Petapan.

[6] Titre aborigène : catégorie de droit ancestral, liée à une occupation exclusive d’un territoire, comprenant le droit d’utiliser et d’occuper des terres de façon exclusive. C’est dans l’arrêt Delgamuukw c. Colombie-Britannique en 1997 que la Cour suprême du Canada a défini pour la première fois le contenu et la portée du titre aborigène, en remarquant que ce dernier était protégé par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

[6] Aboriginal title: Category of ancestral right, related to exclusive occupation of a territory, including the right to exclusively use and occupy lands. In the ruling Delgamuukw v. British Columbia in 1997, the Supreme Court of Canada for the first time defined the content and scope of Aboriginal title by noting that this was protected by subsection 35(1) of the Constitution Act, 1982.

[8] Il est fait référence ici à la Convention de la Baie James et du Nord québécois (CBJNQ), premier traité moderne conclu entre le Canada et des peuples autochtones. Elle trouve son origine dans l’annonce, en 1971, par le gouvernement québécois d’entreprendre des activités de développement hydroélectrique dans le Nord du Québec. Les Cris et les Inuit du Québec se sont alors adressés aux tribunaux en 1972 pour demander l’arrêt immédiat des travaux. Ces poursuites judiciaires ont finalement permis aux Cris et aux Inuit d’entamer des négociations. Ces dernières ont abouti à la signature de la CBJNQ le 11 novembre 1975 par les Cris et les Inuit, les gouvernements du Canada et du Québec, la Société de développement de la Baie James, la Société d'énergie de la Baie James et Hydro-Québec. En 1978, la Première Nation des Naskapis a adhéré à l'entente, qui a été modifiée dans le cadre de la Convention du Nord-Est québécois (CNEQ).

[8] Reference is made here to the James Bay and Northern Quebec Agreement (JBNQA), the first modern treaty signed between Canada and Indigenous peoples. It originated in the 1971 announcement by the Quebec provincial government that hydroelectric development activities would begin in Northern Quebec. The Cree and Inuit of Quebec thus turned to the courts in 1972 to demand the immediate cessation of the construction work. These proceedings finally enabled the Cree and Inuit to begin negotiations, resulting in the signing of the JBNQA on November 11, 1975 by the Cree and Inuit, the governments of Canada and Quebec, the James Bay Development Corporation, the James Bay Energy Corporation and Hydro- Québec. In 1978, the Naskapis First Nation joined the agreement, which had been amended as part of the Northeastern Quebec Agreement (NEQA).

[9] Au Québec, les ZEC (zones d'exploitation contrôlée) sont des territoires publics d’exploitation, de chasse, de pêche et de plein air, administrés par des organismes à but non-lucratif, et offrant des services liés à la pratique d'activités récréatives en forêt, moyennant le paiement d’un droit de circulation. Les ZEC sont chargées de l'aménagement, l'exploitation et la conservation de la faune et de la flore, tout en facilitant l'accès aux territoires pour les usagers.

[9] In Quebec, the ZECs (controlled exploitation zones) are public lands for harvesting, hunting, fishing and outdoor activities administered by not-for-profit organizations and providing services related to recreational forest activities through payment of an access fee. The ZECs are responsible for development, harvesting and conservation of fauna and flora while also facilitating users’ access to the lands.

[10] Au Canada, une pourvoirie est une entreprise privée, et par extension le terrain occupé par celle-ci, louant des installations et services (logement, transports, équipement) pour la pratique récréative de la chasse, de la pêche et du piégeage.

[10] In Canada, an outfitter is a private company – and by extension the land occupied by it – which rents outs facilities and services (lodging, transportation, equipment) for sport hunting, fishing and trapping.

[11] Dans le régime territorial de la CBJNQ, les terres de catégorie I, sur lesquelles sont établis les villages, sont administrées exclusivement par les collectivités autochtones signataires de la convention. La catégorie II regroupe des terres situées généralement sur le pourtour des villages et relèvent du niveau provincial. Les Autochtones participent cependant à la gestion des activités de chasse, pêche et piégeage, et au développement des pourvoiries. Ils y possèdent en outre des droits exclusifs de chasse, de pêche et de piégeage. La catégorie III comprend des terres publiques québécoises sur lesquelles Autochtones et non-Autochtones peuvent chasser et pêcher, les premiers y jouissant cependant du droit exclusif d'exploiter certains animaux à fourrure et espèces aquatiques, de participer à l'administration et à la mise en valeur du territoire, et jusqu'en 2015, d'un droit de préemption lors de la demande ou du transfert d'une pourvoirie (cf. https://www.aadnc-aandc.gc.ca/fra/1100100030830/1100100030835, dernier accès le 28 juin 2016).

[11] The JBNQA created three land categories. Lands in category I, where indigenous villages are located, are administered exclusively by the indigenous communities that are signatories to the agreement. Category II covers lands generally located on the perimeter of the villages. They fall under provincial jurisdiction but Indigenous peoples participate in the management of hunting, fishing and trapping activities and the development of outfitters’ operations. Moreover, they possess exclusive hunting, fishing and trapping rights in these areas. Category III includes Quebec public lands on which Indigenous and non-Indigenous peoples may hunt and fish with the former having the exclusive right to harvest certain furbearing animals and aquatic species, participate in the administration and development of the territory and until 2015, right of first refusal when there is an application for or transfer of an outfitter’s operations (cf. https://www.aadnc-aandc.gc.ca/fra/1100100030830/1100100030835, last accessed June 28, 2016).

[12] L’EPOG définit Innu Aitun ainsi : « [T]outes les activités dans leurs manifestations traditionnelles ou contemporaines rattachées à la culture nationale, aux valeurs fondamentales, et au mode de vie traditionnel des Innus associé à l’occupation et à l’utilisation du Nitassinan et au lien spécial qu’ils possèdent avec la terre. Sont incluses, notamment, toutes les pratiques, coutumes et traditions dont les activités de chasse, de pêche, de piégeage et de cueillette à des fins de subsistance, rituelles ou sociales. (Chapitre 1, art. 1.2).

[12] The AIPGN defines Innu Aitun as: “… all activities, in their traditional or modern manifestation, relating to the national culture, fundamental values and traditional lifestyle of the Innus associated with the occupation and use of Nitassinan and to the special bond they have with the land. These include in particular all practices, customs and traditions, including hunting, fishing, trapping and gathering activities for subsistence, ritual or social purposes” (Chapter 1, sec. 1.2).

[13] Au Canada, l'admissibilité au statut d'Indien (Indien inscrit) est définie dans la Loi sur les Indiens, selon des règles précises. Le statut permet d’accéder à des programmes et services offerts par les organismes fédéraux et les gouvernements provinciaux. Dans le cadre de la signature d’un traité moderne, la Loi sur les Indiens peut être partiellement remplacée par les dispositions de la nouvelle entente et les lois qui en découlent, entraînant un transfert de compétence et de pouvoir du gouvernement fédéral aux instances autochtones signataires, dans des domaines circonscrits. Pour autant, cela n’entraîne pas forcément la suppression du statut d’Indien inscrit, comme en témoigne le cas des Cris et des Naskapis, dans le contexte de la mise en œuvre de la CBJNQ et de la CNEQ.

[13] In Canada, eligibility for Indian status (registered) is defined in the Indian Act in accordance with specific rules. This status allows access to programs and services offered by federal organizations and provincial governments. In the context of signing a modern treaty, the Indian Act may be partially replaced by the provisions of the new agreement and the laws arising from it, resulting in a transfer of jurisdiction and authority of the federal government to the indigenous signatory bodies in discrete areas. For all that, this does not necessarily lead to the suppression of registered Indian status, as shown in the case of the Cree and the Naskapi in the context of the implementation of the JBNQA and the NEQA.

[14] Le 27 avril 2011, les Inuit du Nunavik ont rejeté à 66 % le projet de gouvernement régional qui leur était proposé par leurs représentants politiques et les gouvernements québécois et canadien.

[14] On April 27, 2011, the Inuit of Nunavik rejected by a vote of 66% the final agreement for regional government proposed by their political representatives and the Quebec and Canadian governments.

[15] Une Entente sur les répercussions et les avantages (ERA) est un accord contractuel entre une société d’exploitation des ressources (minières, forestières, hydroélectriques, etc.) et une communauté autochtone concernée par les projets de développement mené par cette société.

[15] An “impacts and benefits agreement” (IBA) is a contractual agreement between a resource development company (mining, forestry, hydroelectric, etc.) and an indigenous community affected by the development projects this company carries out.

[16] « Les revendications globales » font l’objet de prêts gouvernementaux permettant à la partie autochtone d'assumer les dépenses liées aux négociations ; l'emprunt devenant une dette à rembourser une fois la revendication réglée (les gouvernements provinciaux et fédéral se constituent donc à la fois en juge et partie dans les processus de négociation).

[16] “Comprehensive Land Claims” are subject to government loans enabling the indigenous party to take on the expenses related to negotiations; the loan becomes a debt to be repaid once the claim has been settled (provincial and federal governments are thus both judge and party in negotiation processes).