Les injustices de la sécurisation urbaine dans la ville brésilienne de Campinas

The injustices of urban securitization in the Brazilian city of Campinas

Introduction

Introduction

Discuter de la sécurité est devenu un phénomène courant dans les sphères sociales les plus variées. Il n´est pas restreint pour autant au domaine du discours. Le désir contemporain de sécurité se concrétise également par des formes qui modifient les paysages urbains. A cet égard, deux principaux mouvements sont facilement identifiables : un mouvement « matériel », que nous appelons ici « la création d’espaces exclusifs », et dont nous soulignerons deux des manifestations les plus empiriques, les condominiums clôturés (traduction en français des condomínios fechados brésiliens[1]) et les architectures répulsives (telles les piques qui empêchent des gens de s’assoir) ; et un second mouvement plus « immatériel » et technologiquement plus développé que nous nommerons « l’informatisation du quotidien ». Celui-ci se traduit à l’heure actuelle par une tendance à implanter des caméras de surveillance, ce qui sera notre second objet d’analyse.

Discussing security has become a common phenomenon in all walks of life. And yet it is not confined to mere discussion. The modern wish for security has also been manifested in ways which alter the urban landscape. In this respect, two principle movements are readily identifiable. One of them being “concrete”, or even “material”, which we shall call here “the creation of exclusive spaces”; the more practical examples of which are gated communities (the best English translation of the Brazilian condomínios fechados[1]) and deterrent architecture, such as spikes to prevent people from sitting down. A second more “intangible” and technologically developed movement, which we will call the “computerization of daily life”, has resulted in a tendency to install appliances such as surveillance cameras, and will form the second part of our analysis.

L’objectif central de ce texte est de montrer comment la sécurité, telle qu’elle a été conçue au Brésil est fréquemment inefficace pour la plus grande partie de la population, et surtout qu’elle conduit à la production d’un espace fortement ségrégué, considéré injuste, voire même violent pour certains.

The main objective of this article is to show that the way in which security has been conceived up to now in Brazil – aside from the fact it is largely inefficient for the majority of the population – has led to strongly segregated spaces, considered unjust, and even violent to some.

Afin de pouvoir corroborer notre hypothèse, nous consacrerons la première partie de ce texte à une réflexion sur le concept de « sécurisation urbaine », idée importante pour la compréhension de la tendance actuelle à l’implantation d’outils de sécurité et de leurs conséquences.

In order to corroborate our hypothesis, we will dedicate the first part of this article to the concept of “urban securitization[2]” as it is important to grasp this idea to understand the current trend of installing security tools and its consequences.

Dans une deuxième étape, nous présenterons une mise en contexte des transformations sociales qui ont eu lieu au Brésil et plus spécifiquement à Campinas. Ce raisonnement sera utile pour comprendre pourquoi les transformations architecturales, dues au processus de sécurisation, se sont particulièrement multipliées à Campinas, ville brésilienne très prospère, abritant à la fois d’importantes entreprises et des universités, mais aussi des quartiers très pauvres, où les taux de criminalité et de délinquance sont supérieurs à la moyenne nationale.

The second part will concentrate on putting into context the social transformations that have occurred in Brazil, and more specifically, in Campinas. This examination will help us to understand why the architectural changes – that have come about due to the process of securitization – have been so extensive in Campinas. Located in the state of São Paulo, Campinas is a very prosperous Brazilian city, home to both large companies and universities, but also very poor neighborhoods, where the crime rate and level of antisocial behavior are above the national average.

Fondée sur des exemples tirés d’enquêtes réalisées auprès d’agents locaux et sur des observations effectuées à partir de nos travaux sur des cartes et des photographies prises dans cette ville, la troisième partie montrera comment la quête démesurée de sécurité à travers la création des espaces exclusifs est capable de créer de nouvelles violences qui peuvent être ressenties par certains habitants comme des injustices spatiales.

Based on examples from local inquiries and on observations made from our own work on maps and photographs taken in this town, the third part will show how this excessive quest for security through the creation of exclusive spaces can lead to new instances of violence, considered by some residents to be forms of spatial injustice.

La dernière partie du texte analysera les nouvelles tendances de sécurisation basée sur le contrôle d’information, plus spécifiquement sur l’utilisation et les conséquences de la vidéosurveillance sur la criminalité et le quotidien urbains. Bien qu’il soit moins visible dans les paysages, ce genre de transformation, qui utilise les nouvelles technologies informationnelles, peut aussi être générateur de violence et d’injustice.

The final part of the article will examine the new trends of securitization based on the control of information, and more specifically on the use of video surveillance and its consequences on criminality and every day urban life. Despite being less visible, this type of transformation, which uses new, computerized technology, can also be seen as a generator of violence and injustice.

 

 

Le concept de sécurisation urbaine

The concept of urban securitization

Pour parler du processus d’implantation des formes et des objets urbains, ayant pour but de promouvoir un quelconque type de sécurité, nous suggérons le concept de « sécurisation urbaine »[2]. Ainsi, on pourrait regrouper sous cette seule expression, toutes les architectures de la peur de la violence, car elle se réfère aussi bien à la création d’espaces d’exclusion – tels que les condominiums clôturés, ou les « enclaves fortifiées » comme les proposent Teresa Caldeira (2000) – qu’à l’informatisation du quotidien à des fins de sécurité. On peut ici, néanmoins, émettre une réserve, puisque « sécuriser » ne signifie pas nécessairement transformer tout lieu en un lieu plus sûr. Le terme se réfère à une implantation d’objets motivée par la quête de sécurité, et non pas à la garantie de l’efficacité de ces derniers.

To best encapsulate the installation process of urban forms and objects, which aims to promote some kind of urban security, we suggest the concept of “urban securitization”. We can therefore regroup within this one expression all forms of architecture based around the fear of violence, as it refers just as much to the creation of exclusion areas – such as gated communities, or the “fortified enclaves” referred to by Teresa Caldeira (2000) – as it does to the computerization of daily life for the purposes of security. We can, nevertheless, express one reservation here, as “securitizing” does not necessarily transform any area into a safer place. The term refers to the installation of objects designed for the sake of security, and does not guarantee the efficiency of these objects.

Si l’on fait une distinction entre les notions de risque et celles d’insécurité – la première serait entendue comme une probabilité, une occasion réelle de subir une violence et la seconde comme une sensation d’angoisse, un sentiment de peur de la violence – on peut affirmer que la sécurisation finit par agir davantage sur le sentiment de la sécurité, l’insécurité, que sur la réduction effective des risques. A Campinas, par exemple, il y a différents condominiums clôturés qui, même en ayant installé divers équipements de sécurité, comme des caméras, des grilles et des fils barbelés, ont quand même été attaqués[3]. Les dispositifs de sécurité se sont révélés de très nombreuses fois inefficaces : les cas ne sont pas rares où les assaillants, après avoir neutralisé les portiers ou les habitants, finissent par accéder par la grande porte d’entrée de l’immeuble principal. La sécurisation apparaît donc comme une réponse hâtive au discours de la peur.

If we make the distinction between the notions of risk and actual insecurity – the former would be construed as a likelihood, a real chance of falling prey to violence, and the second would concern a state of anguish, a sense of fear of violence – we can assert that securitization has a greater influence on the feeling of insecurity, than on an effective diminishing of any risk. In Campinas, for example, there are different gated communities which, despite having installed all manner of security equipment, such as cameras, gates and barbed wire, have still come under attack.[3] The security measures have repeatedly shown themselves to be inefficient, with numerous cases where the assailant, having disarmed the doorkeeper or the residents themselves, has managed to access buildings through the main front door. Securitization therefore appears to be a hasty response within a culture of fear.

Faire la critique du processus actuel de sécurisation urbaine ne signifie pas, toutefois, que toute quête de sécurité doit être condamnable. Si d´une part, son excès est susceptible de renforcer l’autoritarisme et les injustices, d’autre part, la complète absence de sécurité peut, effectivement, engendrer le chaos et la violence[4].

To criticize the current process of urban securitization is not, however, to condemn every quest for greater security. If, on the one hand, excess securitization can lead to increased authoritarianism and injustice, a total absence of security, on the other, would prompt chaos and violence.[4]

Le concept de violence a été, ici, entendu sous une forme assez large, non restreinte aux agressions physiques ni aux crimes et délits ; elle prend aussi en considération des manifestations moins explicites. Parmi les différentes définitions de la violence existantes, celle de Galtung est l’une des plus intéressantes (1969, p. 168) : celui-ci la définit en termes de différence entre réalisation et potentialité. « La violence est présente quand les êtres humains s’en trouvent être persuadés d’une telle manière que leurs réalisations somatiques et mentales sont au-dessous de leurs réalisations potentielles ». Morais (1981, p. 24) se réfère à un phénomène similaire quand il soutient que la violence « n’est cependant pas quelque chose qui se définit par le vrai et le faux, mais seulement une chose ou une situation qui nous menace nécessairement dans notre intégrité personnelle, ou qui nous exproprie de nous-mêmes ». Dans cette même ligne, Odália (1983, p. 86) montre que « chaque fois que le sentiment que je ressens est celui de privation, que certaines choses me sont refusées, sans raison solide ni fondée, je peux être sûr de ressentir une violence à mon encontre». C’est cette définition élargie de la violence qui nous a été capitale pour comprendre pourquoi la sécurité peut également, en elle-même, être génératrice de nouvelles violences.

The concept of violence is seen here as a wide notion, not merely limited to physical aggression, crimes or other offences; it also encompasses the least explicit of displays. Amongst the various existing definitions of violence, we consider that one of the more interesting ones can be attributed to Galtung (1969, p. 168). He defines it in terms of the difference between the potential and the actual: “Violence is present when human beings are being influenced so that their actual somatic and mental realizations are below their potential realization”. Morais (1981, p. 24) refers to something similar when he maintains that violence “is not, however, something that can be defined by true or by false, but only a thing or a situation which threatens our personal integrity, or which expropriates us from ourselves”. In the same line of thinking, Odália (1983, p. 86) shows that “every time that I sense a feeling of deprivation, that some things are refused me, with no real reason, I can be sure that I feel violence towards me”. It is this enlarged definition of violence which was central to our understanding why security can, itself, generate new forms of violence.

La sécurité est le but ultime de la sécurisation, mais pas le seul. La sécurisation est aussi un moyen de ségrégation sociale grâce à la création d’espaces homogènes et libérés des personnes considérées indésirables. L’idée de sécurité ne correspond pas ici au risque possible d’encourir une violence, mais bien plutôt à l’assurance de demeurer dans un groupe de personnes provenant de la même couche sociale, comme dans les cas des résidents des condominiums clôturés.

Security is the ultimate goal of securitization, but not the only one. Securitization is also a means of social segregation, thanks to the creation of homogenous spaces free of people considered undesirable. The idea of security here does not correspond to a potential risk of encountering violence, but more to the assurance of residing in a group of people from the same social background, as is the case in gated communities.

Le concept de sécurisation urbaine renvoie à une conception complexe et dialectique[5] de l’espace géographique. Comme l’affirment des auteurs comme Santos (1999) ou Soja (2009), l'espace est plus qu’un simple réceptacle des actions humaines, parce qu’en même temps que la société altère l’espace à la recherche de plus de sécurité, l’espace agit aussi sur elle ; soit en lui apportant plus de tranquillité, soit en y recréant des craintes, des violences et des injustices. Cette conception de l’espace attire notre attention sur les conséquences gérées par l’implantation de nouveaux instruments techniques sur le territoire. Par exemple, l’installation d’une caméra de surveillance ou la fermeture d’une rue modifient le comportement des personnes qui passent par les endroits où ces aménagements ont été mis en place.

The concept of urban securitization refers to a complex and dialectical[5] conception of geographic space. As authors such as Santos (1999) or Soja (2009) affirm, space is not merely a receptacle of human actions, because as society alters space in search of greater security, simultaneously space acts on society; either in granting it greater tranquility, or in recreating fear, violence and injustice. This conception of space brings our attention to the consequences emerging from the installation of new technical instruments on the land. For example, the setting up of a surveillance camera or the closure of a street changes the behavior of those that come across the area in question.

 

 

L’émergence de la sécurisation à Campinas

The emergence of securitization in Campinas

Aujourd’hui, le processus de sécurisation se manifeste comme une tendance mondiale. Les caméras de surveillance, les architectures répulsives et même les condominiums clôturés se multiplient dans de nombreux pays. Bien qu’il y ait un processus qui soit devenu global, la forme sous laquelle il apparaît et cette quête de sécurité en des lieux différents ne sont absolument pas homogènes. Campinas, par exemple, présente une réalité particulière différente du reste du Brésil et du monde. Toutefois, pour mieux comprendre ces particularités propres à Campinas, il nous faut les mettre en contexte avec la formation socio-spatiale brésilienne (Santos, 1999).

Today, the process of securitization has become a worldwide trend. Surveillance cameras, deterrent architecture and even gated communities have been on the increase in numerous countries. Even though the process has become global, this quest for security adopts many different forms in different places. Campinas, for example, has its own particularities, different from the rest of Brazil and from the world. However, for us to better understand these traits that are peculiar to Campinas, they must first be put into context within the Brazilian socio-spatial formation (Santos, 1999).

Même si elle est un processus d’origine récente, la sécurisation au Brésil résulte d’événements historiques marquants comme le « Colonélisme ». Prenant ses origines à l’époque du Brésil Colonial (1500- 1822), ce mouvement s'est consolidé pendant la Première République (1889-1930). Ce nom vient du grade de colonel promis par la Garde Nationale à tous les grands propriétaires terriens. Le colonel était non seulement le propriétaire des moyens de production, mais il était aussi une figure politique influente, capable de diriger les actions des forces de l’ordre. La sécurité publique brésilienne est, donc, dès son origine marquée par des intérêts exclusifs et particularistes.

Even if it is a recent process, securitization in Brazil results from significant historical events, such as Coronelismo. From its origins during Brazil’s colonial period (1500-1822), Coronelismo established itself during the First Republic (1889-1930) as a common practice in the way politics were conducted across the country. It derives its name from the rank of colonel (coronel in Portuguese) attributed by the National Guard to all the major landowners. The colonel would not only be the owner of local goods and services, but also an important political figure, capable of influencing and even managing the actions of law enforcement officers. As a result, Brazilian public security has, since its inception, been tarnished by individual and selfish interests.

L’usage politique des forces de sécurité se raffermit davantage durant la dictature militaire lorsque pendant plus de vingt ans (1964-1985), le pays vécut de nombreuses violences engendrées par une quête excessive d’ordre et de sécurité. Pendant toute cette période, le Brésil fut gouverné par les militaires, sans élections démocratiques. Tout particulièrement entre 1968 et 1978, avec la promulgation de l’Acte Institutionnel Numéro 5, l’ « AI 5 », qui donnait des pouvoirs extraordinaires au Président de la république, l’argument sécuritaire entraîna d’extrêmes restrictions aux libertés individuelles.

The use of security forces for political means gained strength during the military dictatorship, as for more than twenty years (1964-1985) the country suffered under a cloud of violence, brought about by an excessive quest for security and order. Throughout this time Brazil was governed by the military, with no democratic elections. During a particularly agitated 10 year period (1968-1978), symbolised by the promulgation of the Institutional Act Number 5, the “Al 5”, which gave exceptional powers to the President of the Republic, the culture of security resulted in severe restrictions on individual freedoms.

En 1985, avec la fin du régime militaire, mais plus encore après la mise en place de la nouvelle Constitution Fédérale, en 1988, le pays met un terme au processus de transition vers un régime plus démocratique. L’ouverture politique coïncide, toutefois, avec une augmentation des inégalités et, par conséquent, également une très nette augmentation de la criminalité violente. Le nombre d’homicides connait une très vive augmentation après les dernières années de la dictature militaire. Le graphique 1 représente la hausse du taux des homicides dans le pays entre 1980 et 2008.

Coinciding with the end of the military regime in 1985, and more importantly with the new Federal Constitution signed in 1988, the country’s transition period gave way to a more democratic regime. Political opening, however, also led to a dramatic rise in inequality, and, as a result, to a very visible increase in criminal violence. One of the crimes which soared, just after the final years of military dictatorship, was homicide. Graph 1 shows the increased homicide rate in Brazil between 1980 and 2008.

Source : DataSUS/MS pour les homicides et IBGE pour la population.

DataSUS/MS (homicides), IBGE (population)

Juste après la transition démocratique, non seulement le nombre de crimes et délits en tous genres a augmenté, mais il y a eu une nette accélération de la du nombre de détenus parmi la population brésilienne. Selon les données du Ministère Brésilien de la Justice, pendant les vingt années de la dictature, le taux de prisonniers avait, si l’on peut dire, simplement doublé, alors que pendant les vingt années démocratiques suivantes, ce nombre a plus que triplé. C’est pendant cette période que nombre de pratiques et de formes spécifiques au monde carcéral commencent à faire partie des paysages urbains. Les murs, les clôtures, la surveillance et la ségrégation socio-spatiale se multiplient tout azimut.

Just after the democratic transition, not only did the number of crimes and other offences rise, but there was also a distinct acceleration in the increasing number of Brazilians being imprisoned. According to the figures from the Brazilian Ministry of Justice, during the twenty years of military dictatorship the prison population doubled, whereas during the twenty democratic years that followed, it tripled. It was during this period that aspects of prison life began to appear in the ordinary urban landscape. Privacy walls, enclosures, video surveillance and socio-spatial segregation became widespread.

Peu avant l’ouverture, le Brésil commençait déjà à voir la naissance de nombreuses formes de sécurisation urbaine. On peut même dire que c’est à partir du début des années 1970 que le rôle de la peur et de la sécurité est devenu de plus en plus évident dans la structuration du paysage urbain brésilien. Symboliquement, toujours sous la période de la dictature militaire, un événement important eut lieu : la création, en 1973, d’Alphaville, le premier « condominium » brésilien, entièrement clôturé. Situé dans la ville de Barueri, dans la grande banlieue de São Paulo, cet investissement immobilier promettait d’allier la sécurité des grands immeubles aux avantages et à la liberté du pavillon individuel.

Just prior to the political era of openness, various forms of urban securitization were already appearing across Brazil. We can even claim that it was in the early 1970’s that fear and security began to play a significant role in the makeup of the Brazilian urban landscape. Symbolically, still under the military dictatorship, an important event occurred, namely the creation of Alphaville in 1973, the first Brazilian “condominium”, entirely enclosed. Situated in the town of Barueri, in the outer suburbs of the City of São Paulo, this property investment promised to combine the security of large buildings with the advantages and the freedom of individual homes.

C’est en 1997 qu’a été inaugurée la version campinoise du condominium. Aujourd’hui, les lotissements de la marque Alphaville se sont éparpillés dans plus de 40 villes de 16 états brésiliens. De plus, de nombreuses autres entreprises de construction ont commencé à proposer des produits immobiliers ayant comme référence ce type de modèle de condominium entièrement fermé sur lui-même. L’apparition d’Alphaville a, donc, été le fait marquant d’une nouvelle période dans l’urbanisme brésilien.

It was in 1997 that Campinas’ own version first saw the light of day. Today, Alphaville-branded housing estates are scattered over 40 towns in 16 Brazilian states. Furthermore, numerous other construction companies have begun to design buildings based entirely on the enclosed-condominium model. The emergence of Alphaville was, therefore, a pivotal factor in a new era of Brazilian urbanism.

Quelques autres événements beaucoup plus récents, tout spécialement ceux orchestrés par une organisation auto-proclamée comme le Premier Commando de la Capitale (PCC), ont aussi aidé à renforcer le processus de sécurisation, en lien avec la crainte collective qu’ils ont produite. Le 18 février 2001, des prisonniers liés au PCC ont organisé une rébellion simultanée dans de nombreuses prisons brésiliennes. Par l’entremise de la télévision, les téléspectateurs de différentes parties du Brésil ont assisté à une impressionnante démonstration de la capacité d’organisation des criminels et de la fragilité des organes de justice et de sécurité brésiliens. En 2006, la même organisation a créé la panique dans de nombreuses villes brésiliennes, surtout à São Paulo, en provoquant des attaques contre des objectifs militaires et civils. Certaines de ces attaques ont été commises aussi à Campinas, une ville qui a une importance stratégique pour les actions du PCC.

Several other more recent events have contributed to reinforce this process of securitization through the collective sense of fear they have inspired, with those orchestrated by the self-proclaimed First Commando of the Capital (PCC) at the top of the list. On 18th February 2001, prisoners linked to the PCC organized a simultaneous rebellion in several prisons across the country. On television, viewers from all over Brazil witnessed an impressive demonstration of the criminals’ capacity for organization, contrasted with the fragility of the State’s justice and security systems. In 2006, the same organization caused panic in multiple Brazilian towns, especially in São Paulo, through targeted attacks against military and civilian targets. Some of these attacks were carried out in Campinas, a town of strategic importance for the PCC.

Selon José Enéas Marinello Jr., directeur du Groupe Madri, une des plus grandes entreprises campinoises de sécurité privée, après les attaques du PCC, la recherche en équipements de sécurité, qui avait déjà augmenté au cours des dernières années, a explosé. La peur provoquée par ces attaques, et exponentiellement exagérée par les médias, a servi de stimulant à la sécurisation urbaine.

According to José Enéas Marinello Jr., head of the Madri Group, one of the biggest private security firms in Campinas, the demand for security equipment, already on the rise prior to the attacks, rocketed following the PCC’s acts. The fear generated by these attacks, which was subsequently exponentially overplayed by the media, served as a catalyst towards urban securitization.

La croissance du marché de la sécurité électronique, au cours des dix dernières années, démontre combien le processus de sécurisation se trouve en pleine expansion. D’après des données de l’Association Brésilienne des Entreprises des Systèmes Electroniques de Sécurité (ABESE), ce marché florissant a crû en moyenne de 13% par an entre 1999 et 2008.

The growth of the electronic security market in the past ten years proves that the securitization process is expanding. According to figures from the Brazilian Association of Electronic Security Systems Firms (ABESE), this flourishing market sees annual average growth of 13% between 1999 and 2008.

L’Association Brésilienne de Blindage (ABRABLIN) possède d’autres chiffres prouvant combien quête de sécurité est devenue une nécessité de plus en plus présente dans le pays. D’après l’association, la quantité de voitures blindées au Brésil a augmenté 18 fois entre 1995 et 2008.

The Brazilian Armor Plating Association (ABRALIN) provides further data which supports the notion that quest for security has become a more widespread necessity across the country. According to them, the quantity of armor-plated cars in Brazil increased 18 times between 1995 and 2008.

Le nombre des employés qui travaillent dans la sécurité privée a aussi augmenté de manière très significative. Juste après la fin de la dictature militaire, il y a eu une stagnation du nombre de personnes agissant dans les différentes polices (fédérale, de l’état et municipale) comme dans l’armée ; alors que, le nombre des vigiles privés, quant à lui, augmentait très sensiblement. D’après les chiffres de 2008 de la Coordination de Contrôle de la Sécurité Privée de la Police Fédérale, il y a déjà, au Brésil, 431.600 vigiles, soit un nombre 5% supérieur au total des policiers militaires du pays, qui représentent 411.900 agents de police.

It is not merely the equipment, such as armor-plated cars, which has significantly increased in number; the number of employees working in private security has also risen. Just after the military dictatorship, there was stagnation in the number of people in the police forces (federal, state, and municipal) as well as in the army. By comparison, the number of private security officers increased noticeably. The 2008 figures from the Federal Police’s Coordination Unit for Private Security show that there were already 431,600 private security officers in Brazil, 5% more than the total number of public police officers, of which there were 411,900.

Il est important de rappeler, ici, que même si la quête de sécurité est bien devenue une réelle préoccupation nationale, elle se présente de manière très différente selon les diverses régions du pays. Le tableau 1 met bien en évidence la plus grande concentration des vigiles dans la région Sud-est du Brésil.

It is important to remember that, even if the quest for security is a veritable national preoccupation, it varies greatly from one region to another. Table 1 shows the greater number of private security officers in the south-eastern region of Brazil.


The fact that Campinas is situated in the South East Region, the most economically active part of the country, helps to explain the specificities of its securitization process. As is widely the case in Brazilian territorial formation, and particularly in the South East, Campinas is full of deep spatial inequalities, which goes some way to justifying the spread of fear-inspired architecture within the town.

Le fait que Campinas soit située dans la Région Sud-est, la plus active du pays d’un point de vue économique, nous aide à comprendre les spécificités de son processus de sécurisation. Comme tout ce qui se passe dans la formation territoriale brésilienne, mais surtout dans la Région Sud-est, Campinas est, également, marquée par de très profondes inégalités spatiales, ce qui justifie la dissémination des architectures de la peur dans son propre territoire.

Situated 90km from the City of São Paulo, Brazil’s main financial hub, Campinas is known as a technological center. It is considered by many to be the “Brazilian Silicon Valley”. It is home to several well-reputed universities, famous centers of research, and large national and multinational companies. On the flip side of the coin, it is a town awash with squatters and favelas, with a very active drug trade, and can be considered as a core of the national organized crime network.

Située à 90 km de la ville de São Paulo, le plus grand centre financier du Brésil, Campinas est connue pour son pôle technologique. Elle est considérée par certains comme la « Silicon Valley brésilienne ». En effet, il existe plusieurs universités renommées, de célèbres centres de recherche et de grandes entreprises nationales et multinationales. D’un autre côté, c’est une municipalité marquée par la présence d’occupations informelles et de favelas. Elle connaît aussi un fort trafic de stupéfiants et peut être considérée comme un noyau du réseau du crime organisé national.

We must not lose sight of the fact that up until the 1970’s there were practically no favelas and no gated communities in Campinas. In 40 years, the town has leapt forward economically, leaving in its wake an urban landscape of profound transformations and contrasts.

Il nous faut tout de même rappeler que jusqu’aux années 70 il n’y avait pratiquement pas de favelas, à Campinas, ni de condominiums clôturés. En 40 ans, la ville a réalisé un saut économique qui a apporté de très profondes transformations à sa structure urbaine et à son paysage, de plus en plus contrastées.

There are yet more socio-economic statistics that shed light on the obvious inequalities within the municipality. In 2007, its Gross Domestic Product (GDP) was 27 million reais, putting it in 10th position in Brazil, higher than many other cities. Equally, though, Campinas is 10th on the list of municipalities with the most homeless residents.

Quelques données socio-économiques révèlent encore davantage les évidentes inégalités de la municipalité. En 2007, son Produit Interne Brut (PIB) a été de 27 millions de réais, ce qui l’a placée à la 10ème position du plus grand PIB du Brésil, supérieur à celui de beaucoup d’autres métropoles brésiliennes. En même temps, Campinas occupe aussi la 10ème position dans le classement des municipalités du plus grand nombre d’habitants sans logis.

Despite its particularities, the territorial inclinations in Campinas are heavily influenced by the wider Brazilian socio-spatial formation. If, for example, we analyze the number of homicides over the years within this municipality, we notice that the curve follows the nationwide trend. We note also that there was a significant increase in this crime just after the political opening at the end of the 1980’s, with a diminution as of 2003.

Malgré ces particularités, le processus de formation territoriale campinoise est proche de la formation socio-spatiale brésilienne. Si nous analysons, par exemple, l’évolution des homicides dans cette municipalité, nous observons qu’elle suit une logique assez semblable à celle du pays (graphique 2). On peut aussi noter qu’à Campinas il y a eu, également, une assez forte croissance de ce type de criminalité, juste après l’ouverture politique de la fin des années 80, avec une diminution à partir de 2003.

 

En dépit des réductions du nombre des homicides qui a lieu depuis 2003, le discours de la peur et la sécurisation continue toujours d’augmenter à Campinas. Cependant, aussi bien la diminution des assassinats que l’augmentation de tout dispositif de sécurité ne se sont traduits par une augmentation de la justice spatiale. Les principales victimes des homicides sont toujours les pauvres (Melgaço, 2010).

Putting into context the particularities of Campinas’ makeup, and the profound spatial inequalities that exist in this municipality, becomes fundamental here. Without this perspective, we cannot attempt to understand the current process of seeking security at all costs. Furthermore, the privatization of public security which emanates from this process not only fails to combat this criminality at its root, but rather encourages growth of existing fear and the socio-spatial inequalities.

La mise en contexte des particularités du processus de formation campinois et des profondes inégalités spatiales qui existent dans cette municipalité, devient, ici, fondamentale. Sans elle, on ne peut pas comprendre le processus de la quête de sécurité à tout prix qui y est en vigueur. La forme selon laquelle la sécurité publique vient à y être « privatisée », non seulement n’arrive pas à combattre les origines mêmes de la criminalité, mais encore renforce les peurs et les inégalités socio-spatiales qui y existent déjà.

 

 

Urban securitization as a tool of socio-spatial segregation

La sécurisation urbaine comme outil de ségrégation socio-spatiale

The way in which securitization has been implemented up to now in the large majority of Latin American cities follows a model of militarization of the urban space. It is not uncommon, in front of some homes in Campinas, to find a sentry box, or even barbed wire above walls, creating a scene reminiscent of war trenches.

La façon selon laquelle la sécurisation a jusqu’ici été assurée dans la majeure partie des grandes villes latino-américaines suit un modèle de militarisation de l’espace urbain. A Campinas, il est possible de trouver, devant certaines demeures, des guérites, ou encore, sur les murs de diverses maisons, des fils de fer barbelés qui rappellent des tranchées de guerre.

However, the equipment that has almost become obligatory for the façades of buildings, and which is the best-seller for security firms, is the electric fence. Despite the Municipal law 11,674 (Campinas, 2003) which provides that all electric fences must be placed at a height of at least 2.1 meters, at an angle of 30º towards the inside of the building, Figure 1 below shows that these installation rules are normally ignored. A less attentive passer-by could easily touch these wires and receive an electric shock. Even as a very isolated example, it rightly points to a way in which securitization can lead to further unrest and new forms of violence.

En revanche, l’équipement devenu quasiment obligatoire sur les façades des immeubles de la ville et qui est le plus vendu actuellement par les entreprises de sécurité, ce sont les clôtures électriques. Malgré la loi municipale 11.674 (Campinas, 2003) qui affirme que toutes les clôtures électriques doivent être placées à au moins 2,10 mètres du sol et qu’elles doivent être tournées de 30° vers l’intérieur de l’immeuble, la figure 1, ci-dessous, montre comment ces normes d’installation sont ignorées. Un passant moins attentif pourrait facilement toucher ces fils et recevoir un choc électrique. Même très ponctuel, il s’agit d’un bon exemple de la manière dont la sécurisation peut générer des troubles et des nouvelles violences.

 


In Campinas in 2006, a viaduct in the wealthy neighborhood of Guanabara underwent a major facelift, with various modifications allowing the town’s authorities to install sharp-edged stones, with the sole aim of repelling street dwellers and beggars (Figure 2). Politicians took on the poor, as undesirable blots on the landscape, rather than tackling poverty itself. And all the more remarkably; this was a public project, built by the town’s authorities.

La violence de la sécurisation, pourtant, devient encore plus évidente lorsque nous analysons les formes urbaines qui paraissent destinées à éloigner les criminels, mais qui, en réalité servent à empêcher la présence de toutes sortes de personnes « indésirables » : mendiants, jeunes, usagers de drogues, prostituées[6].

 

Dans la ville de Campinas, en 2006, un viaduc dans le quartier aisé de la Guanabara a fait l’objet de grands travaux, diverses modifications ayant permis à la mairie d’installer des pierres pointues dans le seul but de repousser les habitants des rues et les mendiants (figure 2). Ce sont des politiques qui combattent le pauvre, en tant qu’un être indésirable dans le paysage, et non pas la pauvreté. Et le plus impressionnant réside dans le fait qu’il s’agit d’un ouvrage public construit par la mairie.

Even the Catholic Church, an institution whose entire set of beliefs revolves around helping the least advantaged members of society, has put in place deterrent architecture. Campinas Cathedral has installed stakes on the church’s steps, with the sole aim of preventing the poor and disheveled from sitting for too long (Figure 3).

 

Même l’Eglise Catholique, institution dont le discours principal est d’aider les plus démunis, met en place des architectures répulsives. La Cathédrale de Campinas a installé des piquets et des pieux sur les escaliers de l’église, n’ayant pour seul objectif que d’empêcher des personnes pauvres et habillées de guenilles de s’y assoir trop longtemps (figure 3).

 

 

 

Anti-undesirable architecture can be considered, according to the theory of Milton Santos, as an example of “form-substance”[7]. The symbolism associated with these objects is of great importance, because once the town’s authorities conceive architecture to repel the poor, they have created a form whose substance reveals its true aim.

Une architecture anti-indésirable peut être considérée, selon la théorie de Milton Santos, comme une « forme-contenu »[7]. La charge symbolique que ces objets portent en eux revêt une grande importance. Quand la mairie en arrive au point de concevoir des architectures contre les pauvres, elle crée une forme dont le contenu va révéler les objectifs réels.

 

La comparaison entre les deux photos qui suivent, prises à Campinas (figures 4 et 5) est aussi révélatrice. Elles font référence à deux constructions de la ville non dénuées d’une certaine ressemblance.

 

In the first photo, the wall and the tower form part of a gated community, whereas in the second they belong to the largest prison in the region. Their forms are practically the same and their functions can be distinguished by a small change in direction: whereas the first aims to prevent the entry of those on the outside, the second intends to prevent the exit of those on the inside. Even if the gated community’s architects did not deliberately base their design on the prison architecture, the striking resemblances in these two forms reveals a desire for exclusivity that can lead to excesses.

This desire for exclusivity becomes very apparent through the closure of streets in neighborhoods that are already built. Such is the case in the Parque Alto Taquaral neighborhood of Campinas, where, with no concern for the law, residents have got together and closed off the streets, limiting any access by the construction of a sentry box and obstacles to block traffic. Some of the neighborhood’s residents, opposed to the closure, reverted to civil court to obtain unlimited access to these streets. The Mayor, Izalene Tiene, armed with a warrant, ordered public workers from the town authority to remove all barriers which enclosed the estate. The reaction from the residents favorable to the enclosure was immediate. In an act of provocation, and in total disrespect of the Mayor, they once again closed off the streets, this time by installing large flower beds (Figure 6), planting shrubs, large palm trees, or simply by dumping inorganic waste.

This process of reopening and closing of the neighborhood’s streets was repeated several times. It served to highlight the Mayor’s weakness when confronted with the political power of some of the neighborhood’s residents. The pressure they applied has guaranteed that a large part of the estate is still shut off to this day.

Sur la première photo, le mur et la guérite sont ceux d’un condominium clôturé, alors que sur la seconde, ce sont ceux du plus grand complexe pénitencier de la région. Leurs formes sont pratiquement les mêmes et leurs fonctions ont à peine une petite différence de direction : alors que la première vise à y empêcher l’entrée de ceux qui sont à l’extérieur ; la seconde prétend empêcher la sortie de ceux qui sont à l’intérieur. Même si les architectes qui ont conçu les condominiums clôturés ne se sont pas délibérément inspirés de l’architecture carcérale, les ressemblances frappantes de cette forme révèlent un désir d’exclusivité qui peut amener à des excès.

 

Ce désir d’exclusivité se révèle très clairement dans l’enclosure de rues dans des quartiers déjà construits. C’est le cas du quartier Parque Alto Taquaral, à Campinas, où, sans respecter la loi, des résidents se sont réunis et ont décidé de clôturer des voies et de contrôler leurs accès par la construction de guérites et d’obstacles qui bloquaient la circulation des véhicules. Certains habitants du quartier, opposés à la fermeture, se sont résolus à faire appel à la Justice pour garantir l’accès illimité à ces rues. Le Maire, Izalene Tiene, appuyée par un mandat judiciaire, ordonna alors que des fonctionnaires de la Mairie retirent toutes les barrières qui clôturaient ce lotissement. La réaction des habitants favorables à la clôture fut immédiate. Dans un acte de provocation, et ignorant la détermination de la Mairie, ils fermèrent une fois de plus les rues, mais cette fois-ci par l’installation de gros bacs à fleurs (figure 6), et en y plantant des arbustes, de grands palmiers déjà adultes ou, tout simplement en y déversant des déchets non organiques.

In Campinas at least thirty cases remain of neighborhoods shut off at their own residents’ initiative. The map below shows the Cidade Universitária neighborhood, where, following the closure of streets marked with a red dot, access to the Catholic University of Campinas (PUC) – situated in the heart of the local community – was severely disrupted as a large quantity of vehicles were drawn to the crossroads marked with a blue square in Figure 7.

Ce mouvement de réouverture et de nouvelle clôture des rues du quartier a été répété de nombreuses fois. Ce qui met en évidence la faiblesse de la Mairie face au pouvoir politique de certains des habitants du quartier. La pression qu’ils ont effectué a permis qu’une bonne partie du lotissement soit toujours maintenu clos. C’est une situation qui perdure encore.

 


In the name of security, veritable enclosed towns have been created, as is the case for the Swiss Park complex in Campinas. It consists of 19 closed off estates built in a large urban area and which will house, once complete, 35,000 people. Situated near to several favelas and protected by high walls and video surveillance cameras, the whole project occupies more than 6% of the city’s urban area (Figure 8).

A Campinas, on peut compter au moins encore une trentaine de cas où des quartiers ont été clos à l’initiative des résidents eux-mêmes. La carte suivante montre le cas du quartier Cidade Universitária où, après la fermeture des rues marquées par un point rouge, l’accès à l’Université Catholique de Campinas (PUC), située au milieu du quartier, a été profondément perturbé parce qu’un gros flux de véhicules se trouva être concentré dans le carrefour marqué par un carré bleu dans la figure 7.

 

Pour éviter les embouteillages un effectif considérable d’étudiants a commencé à quitter les classes quelques minutes avant la fin des cours, ce qui montre comment l’espace sécurisé pour quelques-uns peut apporter des troubles à beaucoup d’autres résidents de la ville. En plus, en cas d’incendie, par exemple, l’évacuation de la zone et l’accès des pompiers et des ambulances seraient gravement perturbés par ce blocage des rues.

Not only do the walls, blockades and cameras fail to keep out all external criminal activity, they also fail to provide guarantees that there is no such criminality amongst the residents themselves. In order to gain access to this artificial community, one must simply be able to afford the housing. Furthermore, some crimes and offenses already form part of daily life inside the gates of the communities: dangerous driving, unaccompanied driving by minors, drug trafficking, domestic violence and burglary, many of which are perpetrated by the residents themselves (Capron et al., 2006).

Avec l’excuse de la sécurité on crée même de vraies villes fermées, comme dans le cas du condominium Swiss Park, à Campinas. Il s’agit d’un ensemble de 19 lotissements fermés construits dans un grand complexe urbanistique et qui accueillera, une fois achevé, plus de 35 000 personnes. Placé à côté de quelques favelas et protégé par de hauts murs et des caméras de vidéosurveillance, l’ensemble occupe plus de 6% de la zone urbaine de la ville (figure 8).

Yet the problem runs deeper still, given the consequences brought about by these enclosures. Once built, they form part of the town’s housing, and despite a false ideology of supposed self-sufficiency, the residents continue to benefit from the infrastructures and other urban services, which are, after all, open to everyone. There is, however, nothing given to the city in return for this usage by the gated residents. We can evoke here a case of spatial injustice; the gated residents are able to use the city at will for all that they need, whereas its other citizens cannot even gain access to the public spaces situated within these privatized enclosures.

 

Outre le fait qu’ils n’empêchent pas complètement que la criminalité externe pénètre dans les condominiums clôturés, les murs, les blocages et les caméras n'évitent pas non plus qu’il y ait des criminels parmi les résidents eux-mêmes. Il suffit que l’intéressé soit capable de payer sa maison. De plus, certains crimes et délits font aussi déjà partie du quotidien contrôlé par ces ensembles fermés comme : la conduite dangereuse, la conduite par des mineurs non accompagnés, le trafic de drogues, les agressions domestiques et les cambriolages, dont beaucoup d’entre eux ne sont provoqués que par des habitants eux-mêmes (Capron et al., 2006).

“Computerized” securitization

Mais le problème va plus loin. Après leur construction, ces ensembles fermés font partie des habitations de la ville et, malgré l’idée, fausse, d’une soi-disant autosuffisance, les résidents utilise obligatoirement l’infrastructure et les autres services urbains qui restent, malgré tout, ouverts à tous. Il n’y a, en revanche, aucune contrepartie offerte par les habitants de ces ensembles clôturés envers une ville, qui est non seulement la leur mais reste toujours celle des autres. Or, pour tout le reste de la population, l’accès à ces zones clôturées est bien interdit. On peut ainsi parler, ici, d’un cas d’injustice spatiale parce que les riverains peuvent se servir de la ville et en utiliser tout ce dont ils en ont besoin, alors que tous les autres citoyens ne peuvent même plus avoir accès aux endroits « publics » qui sont situés à l’intérieur même de ces quartiers devenus privés parce que privatisés.

Other than the fact that certain architectural constructions can lead to socio-spatial segregation and the deterrence of undesirable people, securitization is also feeling the effects of the computerization of daily life, the emergence of the digital era bringing with it information technology designed for the purposes of vigilance and surveillance. Even if this technology provides a certain security, it can equally lead to paranoia and new forms of violence.

 

In Campinas, in response to the high crime rate between 1999 and 2003, a public project for the installation of cameras was launched under the Mayor’s authority, called the Integrated Center for the Monitoring of Campinas (CIMCAMP). Created in mid-2006, it encourages the surveillance of streets and road junctions. 121 cameras had already been installed and 169 potential sites had been identified, awaiting public – and especially private – funds.

La sécurisation « informationnelle »

However, the majority of the cameras in Campinas do not belong to CIMCAMP, but come from the private initiative of individual residents and shop owners. They were installed without any real prior reflection on their potential efficiency, and even less thought to the impending infringement of privacy. In addition, there is almost no mention – be it in municipal or federal legislation – of regulations that might control the installation or usage of these surveillance cameras.

Outre le fait que la construction de formes architecturales engendre une ségrégation socio-spatiale et la répulsion des indésirables, la sécurisation est aussi marquée par une informatisation du quotidien, c’est-à-dire, par l’émergence de technologies destinées à la vigilance informationnelle. En même temps que ces technologies peuvent apporter une certaine sécurité, elles peuvent aussi générer de nouvelles paranoïas et des violences nouvelles.

Cameras therefore began to spring up not only in public places and in gated communities, but also in more private areas such as schools. In Campinas, the cameras were set up in educational establishments without consideration for the negative effects they might have on the moral development of the children (Westacott, 2010). Or if these potential effects were identified, they were considered of less importance than the increased security, a necessity which was gaining in urgency.

A Campinas, en réponse au fort taux de criminalité vécu par la ville entre 1999 et 2003, un projet public d’implantation de caméras, élaboré par la Mairie, intitulé Centrale Intégrée de Monitorage de Campinas (CIMCAMP) a été mis en place. Créé mi-2006, il souhaitait promouvoir la surveillance des rues et des carrefours. 121 caméras avaient déjà été installées et 169 autres implantations possibles avaient déjà été repérés et n’attendaient que le déblocage de fonds publics, et surtout privés.

The example of the Anglo school, built within one of the town’s shopping centers (in itself a source of controversy), is revealing. The school installed an integrated system of video surveillance, using cameras whose scope extends inside the classrooms. Their aim is not merely to guarantee the pupils’ security, but to add discipline to their behavior and that of the teachers. During an interview, one teacher told us how she had been reprimanded by the headmaster for spending a whole lesson sitting down.

Toutefois, la plupart des caméras installées à Campinas, ne proviennent pas de la CIMCAMP, mais d’initiatives individuelles des habitants et des commerçants. Elles ont été installées sans aucune réflexion approfondie sur leur probable efficacité et, encore moins, sur leur possible conséquence sur la vie privée. Par ailleurs, il n’y a pratiquement aucune mention dans la législation municipale ni fédérale qui régule l’installation et l’usage de ces caméras de surveillance.

These cameras are also used for maintaining a certain moral code, in the name of discipline. During a meeting, a teacher from a traditional Catholic school in Campinas told us that a controversy had erupted after the sexual antics of two pupils had been caught on camera. The rumor spread to the teachers, to the other staff, to the parents and to the pupils. This new technology can therefore lead to new forms of violence, as these cameras were a source of shame for the two young adolescents involved. To free them from any type of harassment or humiliation, their parents decided to transfer them to another school.

Les caméras ont ainsi commencé à apparaître non seulement sur la voie publique et dans les condominiums clôturés mais aussi dans des endroits plus privés comme les écoles. A Campinas, les caméras qui surveillent ces établissements d’éducation ont été utilisées sans évaluation sur les effets négatifs qu’elles pourraient entraîner sur le développement moral des enfants (Westacott, 2010). Ou alors, si de tels effets ont bien été identifiés, ils ont été considérés comme étant moindres par rapport à ce qu’en gagnerait la sécurité, nécessité devenue de plus en plus urgente.

This surveillance of schools in the pupils’ education generates a panoptic environment (Foucault, 1975), where the stranger, the outsider, is always seen as a suspect. Surveillance by cameras does not only identify suspects, it creates them too. As Bauman established (2003, p. 104), the fear of uncertainty shows itself on the face of the stranger. And he adds: “given the intensity if the fear, if these strangers do not exist, they must be invented. And they are invented through the surveillance of the area by closed-circuit cameras” (ibidem, p.105).

L’exemple de l’école Anglo, construite à l’intérieur d’un centre commercial de la ville (fait déjà sujet à controverse) est révélateur. L’école y a installé un système intégré de télésurveillance par caméras qui observe jusqu’à l’intérieur des salles de classe. Elles ne servent pas seulement à garantir la sécurité des élèves, mais bien plus à discipliner leurs comportements et celui des enseignants. Un professeur, au cours d’un entretien, nous a confirmé que l’attention de la coordination pédagogique s’était portée sur elle parce qu’elle était restée assise pendant tout un cours.

What is curious is that in the majority of schools under surveillance, it is the parents themselves who petition for this policy of observation, not realizing that the same treatment is given to both their children and to imprisoned criminals. What is more, these children receive a distorted education with regard to rules; respecting them because they are being watched and not because of their importance within a society.

Ces caméras servent également à maintenir certaines conceptions morales, dans une optique de discipline. Lors d’un entretien, un professeur d’un collège catholique traditionnel de Campinas nous a raconté une polémique suite à des ébats sexuels de deux élèves sous les caméras. A cause de la rumeur, ce fait est parvenu aux oreilles des professeurs, des fonctionnaires, des parents et des élèves. Les technologies de sécurité engendraient ainsi de nouvelles formes de violence, les caméras étant source de honte pour ce jeune couple d’adolescents. Pour leur éviter tout type de harcèlement scolaire et d’humiliations, les parents impliqués ont décidé de les transférer dans une autre école.

A bill is currently before the Municipal Council of Campinas which supports the obligation to install video cameras in private and public school buildings used by children under the age of seven. According to the councillor in charge, “on the face of it, these pictures will be kept within the school. Eventually, they would ideally be available online so that the whole of society can protect the children” (Campinas, 2009). Once the image of a child becomes digital data, however, it is open to hacking, and to all sorts of uses different from those originally intended. If the bill is passed as law, schools and daycares would have 90 days to comply, or face a fine. The cameras would therefore be imposed, and parents and head teachers would not have the right to refuse that their children be monitored.

Cette surveillance des écoles dans l’éducation des élèves engendre une ambiance panoptique (Foucault, 1975), dans laquelle l’étranger, le différent est toujours vu comme suspect. La surveillance par des caméras n’identifie pas seulement les suspects, mais elle peut aussi les créer. Comme l’expose Bauman (2003, p. 104), la peur de l’incertitude se matérialise sur la figure de l’étranger. Et il ajoute que : « étant donnée l’intensité de la peur, si les étrangers n’existaient pas, il faudrait les inventer. Et ils sont inventés dans la surveillance du quartier par la télévision en circuit fermé » (ibidem, p. 105).

If we consider these spaces in their complexity, we notice that the technical equipment put in place to promote security can be used – or create usages – for purposes entirely different from those initially conceived. The cases of subversion involving video surveillance are numerous. Amongst the rarer examples, we can cite the drug traffickers of Rio de Janeiro who use the cameras to anticipate any police activity in the favelas (Leitão, 2008). In Campinas, we have the case of the installation of cameras by street peddlers[8], for whom securitization has become a source of technical support for an illegal activity (Figure 9).

Ce qui devient assez curieux c’est que, dans la majeure partie des cas des écoles surveillées, ce sont les parents eux-mêmes qui réclament des stratégies de surveillance, en ne s’apercevant pas que ces mêmes traitements sont appliqués aussi bien à leurs enfants qu’aux criminels emprisonnés. De plus, ces enfants reçoivent une éducation déformée quant au concept de règles, car ils apprennent qu’ils doivent les respecter parce qu’ils sont surveillés, et non pas pour l’importance de ces dernières dans la vie en communauté.

 

Un projet de loi est déposé à l’heure actuelle devant le Conseil Municipal de Campinas pour obliger l’installation de caméras de vidéo dans les dépendances scolaires publiques et privées utilisées par des enfants de moins de sept ans. Selon le conseiller municipal responsable, « a priori ces images sont conservées à l’école. Et en un second temps, l’idéal c’est qu’elles soient disponibles sur internet pour que toute la société puisse protéger les enfants » (Campinas, 2009). A partir du moment, pourtant, où l’image d’un enfant devient une information numérique, elle est passible d’être volée par des hackers, et, ainsi, elle peut subir des utilisations différentes de celles initialement attendues. Le projet de loi envisage encore que, en cas d’approbation, les écoles et les crèches disposeraient de 90 jours pour se mettre en conformité avec la loi ou recevoir une amende. Les caméras y seraient imposées, les parents et les directeurs n’ayant pas le droit de refuser que les enfants soient ainsi surveillés.

The computerization of daily life created through video surveillance technology is not, therefore, the panacea ready to solve all the problems of urban security. The urban space, transformed into a controlled area, not only receives new securitizing actions, but in turn transforms itself, dialectically, into an inquisitive and often unjust eye in this quest for security.

Si on considère l’espace dans sa complexité, on remarque que les objets techniques qui y sont installés pour promouvoir la sécurité peuvent recevoir ou créer des utilisations totalement différentes de celles qui avaient été initialement prévues. Les cas de subversion impliquant la surveillance par des caméras sont assez nombreux. Parmi les plus inhabituels, nous pouvons citer l’exemple des trafiquants de drogue de Rio de Janeiro qui utilisent les caméras de surveillance pour leurs trafics et prévenir l’action de la police dans les favelas (Leitão, 2008). A Campinas, nous avons le cas de l’installation de caméras de surveillance par des camelots[8], pour lesquels la sécurisation est apparue comme un support technique à une pratique illégale (figure 9).

 

L’informatisation du quotidien créée par l’utilisation des technologies de vidéosurveillance n’est donc pas une panacée prête à résoudre tous les problèmes concernant la sécurité urbaine. L’espace transformé en espace de contrôle ne reçoit pas tout simplement les nouvelles actions humaines mais il se transforme aussi, dialectiquement, en un agent inquisiteur, et souvent injuste, dans ce processus de quête de sécurité.

There is no doubt that a level of protection from risk and a reduced feeling of threat are essential elements of a happy and peaceful life. We must not therefore refuse this fundamental right to security. The crux of the argument, however, lies in the way in which this quest for security has, to date, been undertaken.

 

With this in mind, the concept of urban securitization has shown itself to be important. It has brought about the process of militarization of public spaces in Brazil. Moreover, this concept has been fundamental in highlighting the individualistic and segregationist nature of the privatization of security in the city of Campinas.

Conclusion

Rather than combating the causes of violence or seeking relationships built on trust within a neighborhood, the role of creating a more secure community has been delegated to specialized private companies. The notion of security has therefore been objectified, seen not as a final state for which to aim, but rather as a commodity which can be financed, acquired and consumed.

Il est certain que la protection contre les risques et la réduction du sentiment d’insécurité constituent d’importantes conditions pour une vie tranquille et heureuse. On ne doit donc pas refuser le droit fondamental à la sécurité. La question majeure, cependant, concerne la manière dont cette quête de sécurité a été jusqu’à présent réalisée.

Through the choice made for gated property complexes and the emergence of architecture designed to deter undesirable people, we have seen a new and extremely segregated form of urbanism appear, which, for some, is unjust. The security which counts in this context is that of a small elitist group and not any kind of collective security. These security practices are therefore individualistic, as they only seek to resolve isolated problems, even if, in addition, they can generate negative consequences for an entirely different portion of the population. What is more, in many cases, the current securitization process only uses violence as an excuse to justify the creation of areas which are becoming more and more exclusive.

En ce sens, le concept de sécurisation urbaine s’est montré important. Il a fait ressortir le processus de militarisation de l’espace public au Brésil. En plus, ce concept a été fondamental pour mettre en évidence le caractère particulariste et ségrégationniste de la privatisation de la sécurité dans la ville de Campinas.

This transformed space transforms society too. The closure of streets is a prime example of a security practice which can be a promoter of spatial injustices: while it is liable to bring greater security to those inside the closed compounds, it generates other problems for the neighbors, who end up suffering from an increase in traffic in those streets that remain open.

Au lieu de combattre les causes de la violence ou de rechercher des relations de confiance dans son propre quartier, on a préféré déléguer le rôle de la sécurité à quelques entreprises spécialisées et privées. La sécurité a alors été réifiée car plus qu’un état final recherché, elle finit par être vue comme une marchandise qui s’acquiert par le biais du financement de son achat et de sa consommation.

As a result, we can claim that the geographic space doesn’t simply benefit from security interventions, because when it is transformed into a secure space, it acts in a dialectic way on society as a whole. For example, children from gated communities and schools with video surveillance grow up in denial of that which is different, of “the other”, and they will attempt to reproduce this model of society in their own adult lives. The complexity of space leads us, therefore, to consider spatial justice well beyond a simple “spatialized justice”. More than the distributive access to justice, the spatiality refers to the way in which a space can, itself, be a promoter either of justice or injustice.

Par l’option prise pour des ensembles immobiliers fermés et la construction d’architectures anti-indésirables, nous avons vu apparaître une nouvelle forme d’urbanisme extrêmement ségrégationniste et même, pour quelques-uns, injuste. La sécurité qui compte, ici, est celle d’un petit groupe privilégié et non pas celle de la sécurité collective. Ces pratiques de sécurité sont donc individualistes puisqu’elles ne visent qu’à résoudre des problèmes ponctuels, même si, par ailleurs, elles peuvent avoir des conséquences négatives pour une autre partie de la population. De plus, l’actuel processus de sécurisation n’utilise, dans de nombreux cas, la violence que comme une excuse apte à justifier la création d’espaces devenus de plus en plus exclusifs.

Given the example of the video cameras, it was not our intention to reject them out of hand. We were eager to know if they were really necessary, and, above all, what would be the consequences of their emergence. To claim simply that, following their installation, the signs of indiscipline in schools or the rates of theft in a town were diminished is not a sufficient argument to justify the choice of surveillance. Included in the equation must be all the silent forms of violence and the threats to freedoms which this new technical equipment can create.

Cet espace transformé a également une influence sur la société. La clôture de rues est un net exemple d’une pratique sécuritaire qui peut être promotrice d’injustices spatiales : en même temps qu’elle est passible d’apporter plus de sécurité à ceux qui se trouvent à l’intérieur de ces quartiers fermés, elle engendre de nouveaux problèmes pour les voisins et qui finissent par souffrir de l’augmentation du trafic de véhicules dans les rues qui sont encore restées ouvertes.

The ultimate goal of the cameras is not merely security based. In such cases as those schools with cameras installed inside the classroom, it becomes clear that video surveillance is also used to discipline and condition behavior. Instead of launching educational projects, instilling trust and a sense of responsibility in these children, the schools chose the surveillance technology.

De cette manière, il est possible d’affirmer que l’espace géographique ne reçoit pas simplement les interventions sécuritaires car lorsqu’il est transformé en un espace sécurisé, il y agit d’une manière dialectique sur la société. Par exemple, les enfants des ensembles fermés et des écoles télésurveillées sont élevés dans un milieu de négation du différent, de « l’autre », et ils auront tendance à reproduire ce modèle de société lors de leur propre vie adulte. La complexité de l’espace nous amène donc à considérer la justice spatiale bien au delà d’une simple « justice spatialisée ». Plus que la distribution de l’accès à la justice, la spatialité fait référence à la manière dont l’espace peut, en lui même, être promoteur soit de justice, soit d’injustices.

It is necessary, therefore, to review the question of security and to try to establish a potential alternative to the current process of securitization. The challenge is laid down, to seek security through practices which respect individual freedoms, which prioritize collective behavior and which increase urban solidarity and partnership. A large and open space would be much more efficient and far less violent in the quest for security.

Dans l’exemple du cas des caméras de surveillance, notre intention n’a pas été de les refuser de façon inconditionnelle. Ce qui nous a ici intéressé c’est de savoir si elles sont réellement nécessaires et, surtout, quelles seront les conséquences de leur implantation. Affirmer tout simplement que, suite à l’installation de ces appareils, les indices d’indiscipline dans les écoles ou le taux de vol dans une ville ont effectivement diminué, ne constitue pas un argument suffisant pour justifier ce choix de la surveillance. Il faut inclure dans cette balance toutes les formes silencieuses de violence et les menaces à la liberté que tout ce nouvel appareillage technique de surveillance peut créer.

 

Les finalités auxquelles se destinent les caméras ne se restreignent pas seulement à des applications en matière de sécurité. Des cas tels que ceux de certaines écoles qui ont installé des caméras dans les salles de cours, mettent en évidence que la télésurveillance est également utilisée pour discipliner des corps et des comportements. Au lieu de lancer des campagnes éducatives et de stimuler la confiance et la responsabilité des élèves, ces écoles ont fait l’option de choisir les technologies de surveillance.

[NOTES]

Il est donc nécessaire de revoir le discours sécuritaire et de tenter de penser à une alternative possible à l’actuel processus de sécurisation. C’est le défi lancé de rechercher la sécurité à partir de pratiques qui respectent les libertés individuelles, qui privilégient le collectif et augmentent les solidarités et les accords urbains. Un espace ouvert et généreux sera beaucoup plus efficace et bien moins violent dans la quête de la sécurité.

[1] In Brazil, the term condomínio fechado can refer to very different urban forms. It is possible to identify at least four principle types of residential condominiums (Melgaço, 2010): vertical ones, comprised of towers and communal leisure areas; the small horizontal ones, with twin detached buildings, usually with few communal leisure areas and which occupy a space barely larger than an urban plot; the closure of public streets at the residents’ initiative, such as those in the Parque Alto Taquaral neighborhood, and the large urban complexes such as the Swiss Park, both of which we will address hereafter. As regards the disputes over the illegality of the condomínios fechados in Brazil, see Sarmento Filho (2009).

 

[2] The word securitization is most used in the world of investment banking. According to Oxford Dictionary securitize means “convert (an asset, especially a loan) into marketable securities, typically for the purpose of raising cash by selling them to other investors”. This new application of the word, a neologism for securitization, does not reference finance but rather security studies.

[1] Au Brésil, le terme condomínio fechado renvoie à des formes urbaines très variées. Il est possible d’identifier au moins quatre formes principales de condominiums résidentiels (Melgaço, 2010) : les verticaux, avec des tours d’édifices et des espaces de loisirs communs ; les horizontaux de petite taille, avec des pavillons jumeaux, normalement sans beaucoup d’espaces de loisirs communs et qui occupent des terrains à peine plus grands qu’un lot urbain ; les fermetures de rues publiques à l’initiative des habitants, comme ceux du quartier Parque Alto Taquaral et les grands complexes urbanistiques, comme c’est le cas pour le Swiss Park, qui seront les deux cas abordés plus bas. A propos des conflits concernant l’illégalité des condominiums clôturés au Brésil voir Sarmento Filho (2009).

[4] There is an incompatibility between security and freedom which must be noted. To make the most of our freedom, it is fundamental that we enjoy a certain level of security, but in order to gain this security, we must abandon part of our freedom. Extreme freedom can lead to a complete anomy, to a lawless land, where there would be no guarantee of a right to life. Excessive security creates an unbearable society, where almost every act is supervised and controlled. As Zygmunt Bauman shows (2003, p. 24), “freedom and security, which are both crucial and indispensable, are hard to reconcile without conflict”. Or, as Jean Delumeau warns us (2002, p. 80), “great pressure for security can open the door to the acceptance of dictatorship”.

[2] Le terme « sécurisation » n’existe pas en portugais. Les dictionnaires lusophones ne proposent que l’expression securitização, liée aux finances et non à la sécurité urbaine. C’est pour cette raison qu’en portugais nous utilisons le néologisme « securização urbana».

[5] In this study, the dialectal method is understood to be the conjunction of four essential elements: the perpetual movement of the transformation of things, totality in the course of totalization, coherent contradiction, and complexity. The first element grabs our attention through the submission of the social happenings to a time variable. Everything is defined historically, including the notions and the concepts. The second element reminds us that we should never lose sight of the principle of totality (Kosik, 1976). Totality not being understood here as totality of reality, which is not in itself tangible. It concerns the perception of the social reality as a whole structure, where it is impossible to reach an individual element without upsetting the balance of the entirety. The third element pertains to the notion of contradiction, which is present in the concept of dialectic. We are not going by Hegel’s idealistic proposition here, but rather using Marx’s rereading as a basis, in which contradictions are seen as symbols of class. Finally, for a method to truly be considered as dialectic, it must, on principle, confront the notion of complexity (Morin, 2005). We turn to the dialectic when we find ourselves incapable of understanding and interpreting the world through ordinary and Cartesian methods.

[3] D’après le Secrétariat de Sécurité Publique de l’Etat de São Paulo, Etat où se situe la ville de Campinas, il y a eu, en 2009, 32 cas de vols et cambriolages d’ensembles résidentiels fermés enregistrés dans cette région.

[6] Better known in Brazil under the title of anti-beggar architecture (arquiteturas anti-mendigos, in Portuguese), these objects are in fact designed to repel all undesirables. If they are principally used to dissuade tramps from settling, they are also designed to scare away other badly regarded social groups.

[4] Il existe une incompatibilité entre sécurité et liberté qu’il faut bien distinguer. Pour que nous puissions profiter de notre liberté, il est fondamental que nous jouissions d’un minimum de sécurité, mais pour que nous ayons cette sécurité, il nous faut abandonner une partie de notre liberté. Une liberté extrême peut nous mener à une complète anomie, à une terre sans loi, où nous n’aurions pas la moindre garantie au droit à la vie. Une sécurité excessive peut nous mener à la création d’une société insupportable, dans laquelle presque toutes les actions en seraient surveillées et contrôlées. Comme le démontre Zygmunt Bauman, (2003, p. 24) « la liberté et la sécurité qui sont toutes deux également urgentes et indispensables, sont difficiles à concilier sans heurts ». Ou encore, comme nous en avertit Jean Delumeau (2002, p. 80) « une forte pression en vue de la sécurité peut déboucher sur l’acceptation d’une dictature ».

[7] “With every event, the form recreates itself. Therefore, the form-substance cannot be considered as simply as a form, nor merely as substance. It entails that for the event to occur, it must do so in the most convenient available form in order to achieve its particular function. What is more, once the event has occurred, the form takes on another dimension as a result of this occurrence. In terms of significance and reality, one can neither exist nor be understood without the other. It is impossible to envisage them separately. The form-substance idea unites process and result, function and form, past and future, subject and object, natural and social. It supposes an analysis of space as an inseparable entirety of systems of objects and systems of actions.” (Santos, 1997, p.71).

[5] Dans ce travail, la méthode dialectique est, ici, entendue comme la conjonction de quatre éléments essentiels : le perpétuel mouvement de transformation des choses, la totalité en voie de totalisation, la contradiction cohérente et la complexité. Le premier élément appelle notre attention par la soumission de tous les faits sociaux au temps. Tout y est historiquement délimité, y compris, les notions et les concepts. Le deuxième élément nous fait remarquer que nous ne devons jamais perdre de vue le principe de totalité (Kosik, 1976). La totalité n’étant pas, ici, entendue comme totalité de la réalité, ce qui en soi n’est pas tangible. Elle concerne la perception de la réalité sociale, comme un tout structuré dans lequel on ne peut pas atteindre un élément sans en perdre sa relation avec l’ensemble. Le troisième élément concerne la notion de contradiction qui se trouve présente dans le concept de dialectique. Nous nous basons, ici, non pas sur la proposition idéaliste de Hegel, mais sur la relecture effectuée par Marx qui comprenait les contradictions comme des attributs de classes. Enfin, pour qu’une méthode soit réellement considérée comme étant dialectique elle doit, par principe, parvenir à joindre la notion de complexité (Morin, 2005). Cela même parce que nous avons recours à la dialectique lorsque nous sommes incapables de comprendre et d’interpréter le monde à partir de la démarche cartésienne classique.

[8] Street peddlers in Brazil (« camelôs » in Portuguese) are sellers of diverse goods and hardware, not always but very often illegal. Many of them are mobile sellers, running off at the first sign of any authority, but there are also those who work in small shops or in shopping centers, known as “camelódromo” in Portuguese.

[6] Plus connues au Brésil sous l’appellation d’architectures anti-mendiants (arquiteturas anti-mendigos, en portugais), très souvent, ces objets sont plutôt de vraies architectures anti-indésirables. Car, si elles sont utilisées pour faire fuir les clochards, elles ont aussi pour but de repousser d’autres groupes sociaux assez mal considérés.

[/NOTES]

[7] « A chaque événement, la forme se recrée. Ainsi la forme-contenu ne peut être considérée ni simplement comme une forme, ni seulement comme un contenu. Elle signifie que pour se réaliser, l’événement se coule dans la forme disponible qui convient le mieux à la réalisation des fonctions dont il est porteur. D’autre part, à partir du moment où l’événement a lieu, la forme ou l’objet qui l’accueille, gagne une autre dimension, fruit de cette rencontre. En termes de signification et de réalité, l’un ne peut être compris sans l’autre et l’un n’existe pas sans l’autre. Il est impossible de les considérer séparément. L’idée de forme-contenu unit processus et résultat, fonction et forme, passé et futur, objet et sujet, naturel et social. Cette idée suppose le traitement analytique de l’espace comme un ensemble inséparable de systèmes d’objets et de systèmes d’actions. » (Santos, 1997, p. 71).

[8] Les camelots au Brésil (« camelôs » en portugais) sont des vendeurs d’articles divers et de quincaillerie, pas forcément mais très souvent, illégaux. Beaucoup d'entre eux sont des marchands ambulants, mais certains travaillent dans des petits magasins ou dans des centres commerciaux appelés « camélodrome » (« camelódromo », en portugais).

 

Bibliographie

References

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