Un entretien avec Susan FAINSTEIN

An interview with Susan FAINSTEIN

Susan Fainstein est professeure d’urbanisme à la Graduate School of Design de l’Université Harvard. Elle est l’auteur de nombreux livres, le dernier paru étant The Just City, elle a aussi dirigé de nombreux ouvrages collectifs, sur des sujets allant du tourisme urbain au genre, en passant par la planification urbaine et les théories de l’urbanisme. Elle est également l’une des grandes figures de la recherche en urbanisme, et a formé de nombreux professionnels et chercheurs. Elle a auparavant enseigné à l’Université Columbia ainsi qu’à celle de Rutgers, et, à titre de professeure invitée, à l’Université d’Amsterdam et à l’Université de Witwatersrand.

Susan Fainstein is a professor of urban planning in the graduate school of design at Harvard University. She is the author of numerous books, most recently The Just City, as well as many edited volumes, including issues ranging from urban tourism to gender and planning, planning theory, and urban theory. Just as importantly, she is one of the great teachers of urban planning, the mentor to many respected practitioners and scholars, having previously taught at Columbia and Rutgers and as a visitor at the University of Amsterdam and the University of Witwatersrand.

Cet entretien s’est déroulé en décembre 2011 et a été revu et condensé. Il a été mené en collaboration avec Polis Podcast sur CoLab Radio (colabradio.mit.edu/category/polis-podcast/), où l’on peut également écouter l’entretien.

This interview was conducted in December 2011, and has been edited and condensed. The interview was conducted in collaboration with Polis Podcast on CoLab Radio (colabradio.mit.edu/category/polis-podcast/), where the audio version of this interview is also available.

 

 

Alex Schafran : Je voudrais d’abord parler un peu de l’idée de la ville juste en général et de votre livre en particulier. C’est vraiment un livre intéressant car je n’ai pas vu beaucoup d’autres textes universitaires qui aient connu une telle réception. J’étais à New York en 2006 lorsque vous avez donné une première version de vos idées. J’ai lu le livre que Peter Marcuse, Johannes Novy, Cuz Potter et d’autres ont dirigé (Marcuse et al., 2011), où émerge déjà une nouvelle formulation de ces idées, et maintenant il y a votre livre. Je me demande si vous pourriez nous dire un peu comment l’idée vous en est venue  et comment vous l’avez développée avec le temps.

Alex Schafran:  I want to start talking a little about the idea of the just city and the book in particular. This is a really interesting book, in that I haven’t seen very many other academic texts where the production of the idea was almost a public event. I was in New York in 2006, for the big party, where you delivered an early edition of the paper. I’ve read the book that Peter Marcuse, Johannes Novy, and Cuz Potter, and others edited, where a kind of newer rendition of the essay came out, and now you have the larger book itself. I wonder if you could tell us a little bit about how the idea came about and how you developed it over time.

Susan Fainstein : D’une certaine manière, j’ai voué toute ma carrière à la question de savoir comment faire des villes plus justes, mais ma thèse de doctorat portait sur les revendications des communautés locales pour une plus grande participation dans la gestion des écoles. A cette époque, je pense que j’avais une plus grande foi en la capacité des mouvements de base et en celle de la participation populaire à amener une transformation complète de la vie urbaine.

Susan Fainstein:  In a certain way, my entire career has been devoted to the question of how do we make more just cities, but my doctoral dissertation was about the movement for community control of schools. At that time, I think that I had greater faith that simply grassroots movements and popular participation would bring about wholesale transformation of urban life.

J’ai fait des études de sciences politiques, mais ma carrière d’enseignante a toujours été en urbanisme, où l’on a à traiter avec les réalités quotidiennes de ce qui a vraiment lieu dans les villes. J’ai toujours été consciente d’avoir à enseigner ce qui serait utile à mes étudiants, qui deviendraient des aménageurs et non des universitaires.

My degree was in political science, but my teaching career has entirely been within planning, where one has to in fact deal with the nitty‑gritty of what really goes on in cities. I was always conscious of having to teach what would be useful to my students, who would actually be planners, not scholars.

Cela m’a amenée à faire des recherches pendant un bon bout de temps sur la restructuration urbaine, et j’ai coécrit un livre appelé Restructuring the City [Restructurer la ville], qui examine l’histoire des programmes de rénovation urbaine dans cinq villes états-uniennes (Fainstein et al., 1987). C’est une comparaison de différentes approches de la rénovation urbaine, mais uniquement dans un contexte états-unien.

This lead me to do research for quite a while on urban redevelopment, and I published a coauthored book called « Restructuring the City, » which looked at the history of urban redevelopment programs in five American cities. It was a book that was a comparison of different approaches to redevelopment, but entirely within the context of the United States.

Mais de plus en plus je me suis mise à regarder vers l’Europe pour d’autres modèles de rénovation urbaine, dans le contexte d’un système démocratique et capitaliste, mais où l’on manifeste une plus grande sensibilité aux questions d’équité qu’aux Etats-Unis.

I increasingly, however, looked to Europe for other models of redevelopment, within the context of a democratic, capitalist system, but where there was greater sensitivity to issues of equity than in the United States.

Ma recherche a eu tendance à avancer sur deux pistes. D’un côté une analyse comparative des villes européennes et états-uniennes qui a donné l’ouvrage The City Builders [Les bâtisseurs de villes] sur Londres et New York (Fainstein, 2001). D’un autre côté, j’ai aussi beaucoup écrit sur la théorie de la planification urbaine, en analysant la question des rapports entre l’aménagement urbain et une plus grande égalité, et celle des rapports entre les processus de planification et leurs résultats.

My research tended to proceed on one track, which was comparative urban research, looking at European and American cities. Then I wrote a book called The City Builders, looking at London and New York, and then, another track, I did a lot of writing in planning theory, looking at the question of the relationship between planning and greater equality, the relationship between the planning process and planning outcome.

Mon dernier livre, The Just City [La ville juste] tente de rassembler ces deux branches différentes de la recherche (Fainstein, 2011). D’une part, les problèmes théoriques liés à ce que nous voulons dire par « justice dans la ville » : dans quelle mesure pouvons-nous faire quelque chose à l’échelle de la ville, et non à celle de l’Etat, de la nation ou de la planète ? D’autre part, qu’est-ce que les villes ont réellement fait ? Quelle leçon pouvons-nous tirer de ce qu’elles ont fait pour savoir ce qui pourrait être mieux fait ?

This final book was an attempt to bring together these two different strands of scholarship. On the one hand, theoretical issues of what do we mean by justice in the city, to what extent can we do anything at the scale of the city, as opposed to the state, the nation the globe. On the other hand, what have cities actually done? What can we glean from what they’ve done in terms of what could be done better?

AS : Je suis intéressé par la question européenne. Comme vous savez, Justice Spatiale est une revue européenne et elle est distribuée sous un format bilingue, en partie pour traiter certains points sur lesquels vous travaillez dans le livre, travail qui consiste à engager un peu plus la conversation entre la perspective européenne et la perspective états-unienne.

AS:  I’m interested in the European question. As you know, Justice Spatiale is a Europe-based journal and in some ways it has come together in a bilingual format partly to deal with some of the work that you do in the book, which is to try to bring the European and American question into a little bit more of a conversation.

Dans le livre, vous parlez beaucoup d’Amsterdam en général et de Londres en particulier ; sans surprise, Amsterdam l’emporte, mais vous semblez résister à des comparaisons plus étendues entre des systèmes plus vastes, et [résister] à préciser comment on pense l’idée de justice dans le contexte des villes d’Europe du Nord, ou celui des villes britanniques, ou encore celui des villes états-uniennes.

In the book, you talk a lot about Amsterdam, and about London in particular, and not surprisingly, Amsterdam emerges at the top of the pile, but you seem to resist broader comparisons between the larger systems and how the idea of justice is thought about in the context of Northern European cities, or in English cities, or in American Cities.

Vous connaissez bien les remarques des chercheurs allemands Margit Mayer et Johannes Novy, qui invitent à résister à la tentation de sacraliser certaines des villes européennes. Je me demande si cela ne vous dérangerait pas de nous dire un peu comment vous voyez certaines des similarités et des différences, uniquement sous l’aspect de la justice ou de la manière de concevoir l’idée de justice des deux côtés de l’Atlantique.

You’re well familiar with German scholars Margit Mayer and Johannes Novy’s argument to resist idolizing in some of the European cities. I’m wondering if you wouldn’t mind talking a little bit about how you see some of the similarities and differences, just in terms of how justice or the idea of a just city is conceived on both sides of the Atlantic.

SF : Une des raisons pour lesquelles je n’en parle pas dans le livre est que j’essaie de dire ceci : « Voyons, voici ce que nous pouvons faire au niveau local. » Dans une certaine mesure, nous devons accepter le contexte national et international dans lequel nous nous trouvons. Il y a une certaine tendance, je crois, chez les gens de gauche, à dire qu’il n’y a rien à faire au niveau local. Il y a longtemps, Castells a dit que le maximum qu’on puisse obtenir, c’est une révolution urbaine, mais que même cela ne transformerait pas les choses. Jusqu’à ce qu’il y ait une révolution nationale, et là David Harvey dirait même qu’il faut une révolution mondiale. Il n’y a rien à faire alors. Je perçois cela comme trop décourageant. Rappelez-vous, j’ai enseigné à des gens qui sont des aménageurs, et je dis que l’aménagement urbain a fait beaucoup de mal au niveau local, mais qu’il pourrait faire du bien, ou plus de bien, et c’est sur cela que je me concentre. Cela ne veut pas dire que les autres niveaux ne soient pas de grande importance et, de fait, je me suis exprimée à leur sujet à d’autres moments.

SF:  One of the reasons I don’t deal with it in the book is because I am trying to say « Look, this is what we can do at the local level. » To some extent, we have to accept the national and international context that we’re in. There’s a certain tendency, I think, among people on the left to say there’s not anything you can do at the local level. Castells long ago said that the most you can have is an urban revolution, but that wouldn’t be transformative. Until we have a national revolution, or David Harvey would say you need a global revolution, there’s nothing you can do. I feel that’s too disheartening. Remember, I’ve taught people who are urban planners, and I’m saying urban planning has done a lot of harm at the local level, but that it could do some good, or more good, so that’s where my focus is. That doesn’t mean that I don’t think that other levels aren’t of great importance and, in fact, I’ve written about them at other times.

Un des problèmes est ce qu’on appelle parfois « l’exceptionnalisme américain » - ce qui actuellement aux Etats-Unis prend un sens positif pour la droite, mais qui a plutôt eu tendance à être vu négativement dans la littérature scientifique et qui a été mis en évidence dans le sous-développement des mécanismes d’aide sociale ce qui apparemment a été considéré comme un attribut positif à droite.

One issue is what’s sometimes called American exceptionalism – which these days in the United States has a positive spin on the right, but which in the scholarly literature has tended to have a negative spin and has been evidenced in the underdeveloped welfare state, which apparently on the right has been considered to be a positive attribute. Yet there are a number of reasons one can deduce for saying why there is no socialism in America and not even any social democracy.

On peut donner bon nombre de raisons pour expliquer qu’il n’y ait pas de socialisme aux Etats-Unis ni même de démocratie sociale. En premier lieu, et cela remonte à l’argument de Louis Hartz sur la tradition libérale en Amérique, les Etats-Unis sont nés avec la démocratie politique, laquelle a institué un système de valeurs insistant avant tout sur la liberté, mais aux dépens de l’équité. Hartz attribue cela en partie au manque de tradition aristocratique, ce qui signifie que la bourgeoisie états-unienne n’a pas eu à s’engager dans une lutte de classes contre l’aristocratie. Son argument, que je simplifie ici à l’extrême, est que l’absence de révolution bourgeoise signifiait aussi l’absence d’un élan révolutionnaire socialiste, de sorte que le socialisme comme thème n’a jamais pris racine aux Etats-Unis. De même, le genre de paternalisme aristocratique qui existait en Europe, l’idée d’un Etat national qui a la responsabilité d’assurer le bien-être public ne font pas davantage partie de la tradition états-unienne.

First of all, and this goes back to Louis Hartz’s argument about the liberal tradition in America, the United States was born with political democracy, which gave rise to a values system which greatly emphasized liberty, but at the expense of equity. Hartz attributes this partly to the lack of an aristocratic tradition which meant that the American bourgeoisie did not have to fight a class war against the aristocracy and his argument, which I am oversimplifying here, but the absence of the bourgeois revolution meant that there was also the absence of a socialist revolutionary impetus so that socialism as a theme never took root in America. Also, the kind of aristocratic paternalism that existed in Europe, the idea of a national state which has its responsibility of public welfare is also not part of the American tradition.

Ainsi, une partie de la différence  tient à la structure de classes aux Etats-Unis, à l’époque où l’égalité politique a été conquise, et à l’absence de certains genres de valeurs politiques existant en Europe. Cela s’est manifesté par l’absence de partis de gauche, de sorte que le Parti Démocrate, qui se situe probablement quelque part où l’on mettrait les Chrétiens-Démocrates en Allemagne, est ce qu’il y a de plus loin à gauche dans les limites de la politique mainstream. Cela signifie qu’il n’existe pas le même genre de pressions sur le gouvernement que dans les pays européens pour imposer différents types de lois en faveur de l’aide aux plus démunis.

So, part of the difference has to do with the class structure of the United States, the stage at which political equality was won, and the absence of certain kinds of political values that exist in Europe. What this has manifested itself in is the absence of left parties in the United States so that Democratic Party, which is probably somewhere where Christian Democrats would be in Germany, is as far left as you get within mainstream politics. That means that there’s not the same kind of pressures on government that exist in European countries to force welfare legislation of various kinds.

Ce que cela signifie au niveau des villes, c’est que tous les pays européens transmettent bien davantage de leur richesse nationale à leurs villes que ce n’est le cas aux Etats-Unis, où la participation nationale, la part des aides fédérales dans les budgets urbains est très faible, et où pèse constamment la menace d’une crise budgétaire. Si les villes elles-mêmes ne peuvent stimuler la croissance, elles n’ont alors rien à distribuer.

What this means in terms of cities is that all European countries transfer a great deal more of national wealth to their cities than is the case in the United States, where national support, federal support, for urban budgets is very low, there’s constant threat of fiscal crisis. If cities themselves can’t stimulate growth, then they’ve got nothing to distribute.

Cela se traduit inévitablement par une compétition effrénée, qui dans de nombreux cas a tourné à un nivellement par le bas. Il règne constamment une compétition entre les villes états-uniennes pour attirer des contribuables, des emplois, et un bon moyen de les attirer, c’est de donner de grosses subventions aux promoteurs.

What you get then is this competitive race, which has in many instances turned into a race to the bottom. We have constant competition among American cities for tax rateables, for jobs, and the way they get them is by giving big subsidies to developers.

On peut certes partir du sommet et examiner les différences entre nations pour expliquer ce qui se passe au niveau urbain, et je ne nierai absolument pas que ce soit possible, mais ce n’est justement pas ce dont parle mon livre. Au contraire, il dit que si nous avons à établir des critères pour des villes plus justes, et les trois critères que j’ai fixés sont l’équité, la diversité et la démocratie, la question est alors de savoir quelles sont les politiques locales qui, tout en restant dans les compétences des administrations locales, feraient une différence à cet égard?

So one can certainly start at the top and look at the differences among nations to explain what’s happening at the urban level, and I wouldn’t deny that at all, it’s just simply that that’s not what my book was about. My book instead was saying, if we’re going to establish criteria for more just cities, and the three criteria I established were equity, diversity and democracy, then what local policies which are within the capability of local government would make a difference in this respect?

AS : Je garderai toujours un souvenir précis de la remarque que vous aviez faite à la conférence RC21[1]   à Amsterdam [en 2011], à propos d’un entretien que vous aviez eu avec un aménageur hollandais, où vous admiriez leur inclination pour la justice qui vous apparaissait exceptionnelle. Il vous avait répondu : « Pourquoi voudrions-nous être différents ? Pourquoi Amsterdam devrait-elle être en quoi que ce soit plus juste, ou plus redistributive que n’importe quelle autre ville ? »

AS:  I always will remember vividly a comment you made at the RC21 conference[1] in Amsterdam [in 2011], about an interview you’d done with a Dutch planner where you were admiring their orientation towards justice, which you felt was exceptional. He remarked to you that « Why do we want to be different? Why should Amsterdam be any more just, or any more redistributive than any other city? »

SF : En réalité, ce qu’il m’a dit, plutôt fièrement, c’est que maintenant qu’Amsterdam a régressé (bien qu’elle reste toujours loin devant les villes états-uniennes) et qu’elle s’est éloignée de son énorme engagement pour les logements sociaux, il a dit : « Nous sommes enfin une ville normale. »

SF:  Actually, what he said to me, was, rather proudly, that as Amsterdam has now receded (but is still way ahead of American cities) and has moved away from its huge commitment to social housing, he said, « At last, we are a normal city. »

AS : Ah oui, “normale”. C’est une question qui a surgi dans le premier Polis Podcast  avec Jan Willem Duyvendak et Justus Uitermark[2], en écho au commentaire de Justus disant que peut-être Amsterdam est maintenant « juste une belle ville » et non plus une ville juste.

AS:  Ah, yes, “normal”. This is a question that came up in the first Polis Podcast[2] with Jan Willem Duyvendak and Justus Uitermark, surrounding Justus’ comment that maybe Amsterdam is now “just a nice city” as opposed to a just city.

En parlant d’Amsterdam et de New York, deux villes que vous connaissez et aimez bien, avez-vous le sentiment qu’il y a un changement dans une de ces deux villes quant au degré auquel on peut mettre la justice en avant comme une sorte de principe élémentaire opératoire, particulièrement au niveau du pouvoir supérieur, des Etats, des sociétés financières ou de l’investissement immobilier ?

In talking about Amsterdam and New York, two cities that you know and love very well, do you get a sense that there’s a change in either city in terms of the degree to which one can put justice forward as a sort of primary operating principle, especially at the levels of higher power, at the levels of state, at the levels of corporate or real estate investment?

SF : Il y a certainement un  repli à Amsterdam en termes de développement urbain par rapport à l’engagement énorme qui avait conduit à construire la ville au bénéfice de la classe ouvrière. En partie, je suppose, parce que la classe ouvrière a elle-même rétréci et qu’il y a bien plus de gens appartenant aux classes moyennes et supérieures qui aimeraient devenir propriétaires, de sorte qu’il n’existe plus un aussi large  soutien.

SF:  Certainly, there’s a retreat in Amsterdam in terms of urban development from the enormous commitment that existed to building the city for the benefit of the working class. In part, I suppose, because there’s been a shrinkage of the working class itself, because there’s a much larger group of middle and upper middle class people who’d like home ownership, so there isn’t the widespread support.

De plus, et c’est un point essentiel, il y a eu l’antagonisme à l’égard des immigrés. Quand je parlais des raisons de l’exceptionnalisme américain, une des raisons les plus significatives, c’est l’histoire de l’esclavage puis le racisme qui a suivi la Guerre Civile, ce qui a eu tendance à amener les Etats-Uniens blancs à voir la bienveillance du gouvernement comme bénéficiant aux autres – aux Noirs. En Europe, vous avez des partis d’extrême-droite qui ne font pas tant campagne sur les moyens qu’ils vont mettre en place pour rendre les programmes économiques plus conservateurs, mais plutôt sur l’idée que c’est l’immigration qui a fait perdre leurs emplois aux gens. Donc l’immigration est un important facteur de division, ce qui entraine alors l’élection de gouvernements qui ne sont pas seulement anti-immigrés, mais aussi contre l’Etat-Providence. Donc cet antagonisme à l’égard de l’Autre est central pour la conduite de toute politique. 

Also, and this is key, has been the antagonism to immigrants. When I was talking about the reasons for American exceptionalism, one of the most significant reasons is the history of slavery and then the history of racism subsequent to the Civil War, which has tended to cause white Americans to see government benevolence as benefiting the black other. In Europe, you have right wing parties which don’t campaign so much on how they’re going to change economic programs to be more conservative but rather on the grounds that immigration has taken people’s jobs away. So immigration is a very divisive issue, which then leads to the election of governments which are not only anti‑immigrant, but which are anti‑welfare status. Therefore, this antagonism to the other is very key in terms of driving the politics of it all.

AS : Imaginez-vous un mouvement inverse aux Etats-Unis – dans le style du mouvement post-Obama ? On commence à voir de plus en plus de coalitions interraciales dans les villes états-uniennes, particulièrement au niveau de la base de la société, autour de toutes sortes de questions de justice. Pensez-vous que nos villes entrent dans une nouvelle ère où de nouvelles coalitions sont possibles, pour nous inciter à dépasser ce qui est aujourd’hui une dynamique très vieille et usée ?

AS:  Do you see anything in terms of the reverse possible in the United States ‑‑ in the kind of post‑Obama movement? You are starting to see more and more cross‑racial coalitions in American cities, especially at the grassroots level, around all sorts of issues of justice. Do you think that our cities are moving into a new era where new coalitions are possible, to push us a little bit past that which is now a very old and very tired dynamic?

SF : Oui, je crois que cela aide, je pense que les jeunes aux Etats-Unis s’encombrent moins de préjugés raciaux, de même qu’ils en ont beaucoup moins à l’égard des homosexuels. Des progrès énormes ont été accomplis sur ce plan en Europe, en fait, aussi bien qu’ici.

SF:  Yeah, well, it’s helpful. I think that young people in America are less racially prejudiced, just as they are much less prejudiced against gays. Enormous progress has been made in that respect in Europe, actually, as well as here.

Il y a un taux nettement plus élevé maintenant de mariages interraciaux que dans le passé. La population des Etats-Unis, qui avait tellement l’habitude de se voir en noir et blanc, est désormais si hétérogène, particulièrement dans les grandes villes, avec toutes les nuances intermédiaires, de gens qui sont d’origine hispanique mais avec toutes les variations de couleur de peau. L’intégration (contemporaine) très réussie des Asiatiques dans la société états-unienne a suivi les Lois d’exclusion des Chinois de la dernière partie du 19ème siècle. 

There’s a much higher rate now of interracial marriage than had been the case in the past. The United States population, which used to be so much black and white, is now so heterogeneous, especially in large cities, with every gradation in‑between, of people who are of Hispanic background, whose skin color is a great range. The very successful (contemporary) integration of Asians into American society comes following the Chinese Exclusion Acts of the latter part of the 19th century.

Donc il y a, je pense, une ouverture beaucoup plus grande, et malgré le sentiment anti-immigration sur lequel les politiciens jouent à l’heure actuelle surtout dans le Sud et l’Ouest, les Etats-Unis ont bien sûr une tradition très ancienne d’accueil des immigrants, ce qui se reflète dans la représentation politique à tous les échelons. 

So, there is, I think, much greater openness, and of course, the United States, despite the anti‑immigration sentiment that’s right now being played on by politicians, particularly in the South and in the West, the United States has a very long tradition of being accepting of immigrants and successfully assimilating immigrants into the country, which is reflected in representation at every political level.

AS : Pour changer un peu de cap, nombre de vos lecteurs, de vos étudiants et de vos critiques s’intéressent à la théorie politique fondamentale qui constitue une bonne partie du livre. J’aime beaucoup votre utilisation du concept de Nancy Fraser de réformes non-réformistes pour traiter le débat vieux comme le monde au sein de la gauche états-unienne : jusqu’où doit-on être radical et révolutionnaire, jusqu’où peut-on faire changer le système ? Ou bien faut-il prendre une approche plus graduelle ?  

AS:  To shift track just a bit, many of your reviewers, your students and your critics focus on the deep political theory which is a big part of the book. I’m a fan of your use of Nancy Fraser’s idea of non‑reformist reforms, dealing with the age‑old argument on the American Left about just how radical and revolutionary you need to be, how much of a system change is possible, about whether to take an incremental approach.

Vous vous positionnez aussi dans une longue histoire de théorie politique et de réflexions sur la justice. Je pense que John Rawls doit avoir eu le meilleur directeur de communication au monde, parce qu’aujourd’hui, dès que l’on parle de justice, d’une manière ou d’une autre on se doit de parler de John Rawls même si l’on a parlé de justice bien avant lui, et que nous en parlerons encore bien après lui.

You also have a very clear engagement with the long history of political theory around justice. I think John Rawls must have had the best brand manager in the world, because now, for some reason, if you talk about justice, somehow, you have to talk about John Rawls even though we’ve been talking about justice long before John Rawls, and we’ll be talking about it long after Rawls.

Mais ce que j’ai toujours aimé dans votre travail, et ce qui me semble constituer un point plus important et essentiel dans le livre, c’est l’attention que vous portez depuis longtemps à cette division entre d’un côté la théorie de la planification, qui me semble plutôt relever de la théorie politique, et de l’autre côté le champ de l’aménagement urbain, et la réalité de l’urbain.

But what I’ve always liked about your work, in which to me seems to be a broader, and more critical call in the book is the attention that you’ve long paid to this divide between planning theory, which I would argue is more aligned with political theory, and urban theory and the actual urban.

C’est une chose que vous avez écrite dans un de vos articles en 2005 (Fainstein, 2005) – un de ceux que je préfère – même si la division est probablement intellectuellement intenable, une sorte de division persiste dans ce qui se passe quotidiennement dans les services d’aménagement, et chez les universitaires dans les départements d’aménagement en particulier. Pourriez-vous nous parler un peu plus de cette distinction entre l’urbain et la théorie de la planification, quelles possibilités de changement identifiez-vous, et quelle place leur donnez-vous dans le livre ?

It is something you wrote about in one of my favorite articles of yours in 2005 (Fainstein, 2005) and though the divide may be intellectually untenable, in the day to day goings about of planning departments, and academic planning departments in particular, there still remains some sort of divide. Can you talk a little bit more about the divide between the urban and the planning theory, how you see it changing, and how it made it into this book?

SF : Je dois reconnaître une dette à l’égard de Robert Beauregard (Beauregard, 1990) – je pense qu’il a écrit le premier article qui se soit réellement penché sur cette division. Ce que l’on voit, surtout après la Seconde Guerre Mondiale, c’est le développement de quelque chose appelé « théorie de la planification ». La théorie de la planification avait tendance à traiter de comment on fait de l’aménagement. Quel est le processus qui doit conduire à aménager la ville? Cela a été formalisé en particulier dans le travail d’Andreas Faludi, et sa compilation sur les théories urbaines a été pendant des années la plus utilisée dans les cours (Faludi, 1973). Cela traduisait l’idée selon laquelle il suffisait de prendre le modèle rationnel, né en fait dans la discipline de l’économie, de l’analyse coûts-avantages, et de suivre tout du long le processus, pour que celui-ci produise le résultat approprié.

SF:  To give a little credit to Robert Beauregard – I think that he wrote the first article that really focused on this divide. What you see especially after World War II was the development of something called planning theory. Planning theory tended to be about how do we do planning. What is the process by which planning should occur? This particularly became formalized in the work of Andreas Faludi, and his reader on planning theory, which for many years was the work that was most used in courses (Faludi, 1973). It reflected the view that you could take the rational model, that has been generated, really, in economics, of benefit‑cost analysis, and go through this process, and the process would produce the appropriate outcome.

Grosso modo, ce qui se passait à ce stade là, c’était la séparation du processus de décision et des pratiques d’aménagement. Puis la révolte contre les projets de rénovation urbaine, en particulier l’aménagement des infrastructures routières, a révélé que le problème, c’était bien que les aménageurs n’impliquaient pas les gens. Il n’y avait pas de participation.

Basically what you’ve got at that stage was the separation of the planning process from the content of planning. Then the revolt against urban renewal planning, in particular highway planning, said that well, the problem was that planners didn’t involve people. They didn’t have participants.

Une nouvelle norme a donc été instaurée, celle d’introduire de la démocratie, ou du débat public, de la collaboration, ou au moins un minimum de communication, dans les procédures de prise de décision. Mais cela ne disait toujours rien des pratiques concrètes : on présupposait simplement que si l’on avait de bonnes procédures, et si l’on avait impliqué les personnes concernées, on aurait forcément de bons résultats.

So the form of the planning process became introducing democracy, or deliberation, or collaboration, or communication into the planning process. But this still didn’t say anything about the substance of planning it was simply assumed that if you have good processes, with the people affected involved, then you would have good outcomes.

A mon avis, cela continue de produire des divisions entre la théorie urbaine, les choses concrètes que nous devrions attendre de nos villes, et les procédures d’aménagement. De plus, cela suppose que le rôle de l’aménageur est seulement d’être un assistant, un médiateur, plutôt que quelqu’un qui milite pour certains types de résultats. C’est aussi renoncer à ce qu’il ait un rôle de réformateur.

This is, to me, still a separation between urban theory and the content of what it is we should want in cities, and the process. Moreover, it implied that the role of the planner should be simply that of a facilitator and mediator, rather than of anybody who pressed for particular kinds of outcomes. That’s really giving up on the role of planners as reformers.

AS : Ce que j’aimerais savoir, surtout dans la perspective de ce lien entre l’urbain et l’aménagement, ou de ce que certains appellent le débat process/outcome [processus/résultat], c’est que, dans tout le livre, vous examinez, légèrement de biais à mon avis, la question de savoir qui sont les aménageurs et ce qu’est l’urbanisme. Parfois, vous êtes vraiment claire sur le fait que ce dont vous parlez avant tout ce sont les décisions des administrations publiques sur des projets d’une taille respectable, - un projet de rénovation majeur, de grands projets immobiliers, etc. Mais dans votre manière de définir qui sont les aménageurs, à certains moments vous parlez plus spécifiquement des fonctionnaires du public, mais parfois aussi de personnes se tournant vers des consultants privés, ou de personnes travaillant pour des organisations à but non lucratif.

AS:  What I’m curious about, especially in terms of this link between the urban and planning, or what some call the process/outcome debate, is that throughout the book, you discuss, I think fairly obliquely, the concept of who planners are and what planning is. At times, you’re really clear that what you’re talking primarily are the decisions of public agencies about fairly sizable projects – major redevelopment project, major housing projects, etc. But in terms of how you define who planners are, at times you talk about public servants in particular, as well as people looking for consulting firms, people working for not‑for‑profit agencies.

Beaucoup de vos travaux précédents ont eu à voir de très près avec le rôle et l’impact que le capital privé et les aménageurs privés ont sur la production de l’espace. Je suis donc curieux de savoir comment vous définissez vraiment l’aménagement - est-ce que c’est juste une activité du secteur public, ou est-ce la production au sens large, la production intentionnelle, de l’espace urbain ? Qui sont précisément les acteurs dont nous parlons ? Pour moi c’est un point essentiel que nous devons chercher à mieux comprendre si nous essayons d’analyser la production de la justice.

A lot of your past work has dealt very specifically with the role and the impact that private capital and private developers have on the production of space. So I’m curious as to how you define really what planning is – is planning just a public sector activity, or is planning the larger production, the intentional production, of space in the urban environment? Precisely who are the actors that we’re talking about? To me, that’s a critical thing to understand a little bit if we’re trying to understand the production of justice.

SF : Oui, vous avez raison. J’aurais probablement dû me consacrer davantage à cette question dans le livre. Je dirais que c’est quiconque s’engage dans la production de l’espace. Mon livre, The City Builders, traitait beaucoup plus des acteurs privés que des aménageurs publics. Mais il s’intéressait aussi aux gens qui travaillent pour des organisations à but non lucratif au niveau local.

SF:  Yeah, you’re right. Probably, I should have focused on that question more in the book. I would say that it is anybody who becomes involved in the production of space. My book, « The City Builders, » was really much more about private developers than about public planners. It also was about people who work for non‑profits at the community level.

Je pense que c’est là où la participation entre en jeu, là où la participation est essentielle. Sans pression de la base, sans participation publique et sans demandes explicites, on n’est pas près de voir les travailleurs du secteur public se sentir très concernés par ce qui arrive aux personnes à faibles revenus. 

I think that this is where participation does come in, where I do think it’s crucially important. Without pressure from beneath, without public participation and demands being made, one is not going to see people in the public sector being awfully concerned about what happens to low income people.

Il est donc d’une importance cruciale d’avoir des pressions venant de la base. Ce que je ne pense pas que la base puisse fournir dans la plupart des cas, c’est un ensemble de demandes  imaginatives, ou créatives. Cela requiert des gens qui soient professionnellement formés, qui y pensent à plein temps, qui s’engagent à défendre les valeurs d’équité et de diversité. Ces personnes-là pourraient jouer un rôle autrement plus significatif que celui où ils se contentent de faciliter un processus de consultation publique.

So it’s critically important to have grassroots pressure. What I don’t think the grassroots provide are very imaginative, or creative set of demands most of the time. This does require people who are professionally trained, who think about it full-time, who have a commitment to values of equity and diversity. There’s a much more significant role for such people to play than simply facilitating a process of public input.

AS : Il y a de plus en plus, surtout dans des villes comme New York, de ces gens travaillant à plein temps sur ces questions, un groupe d’aménageurs professionnels ne travaillant ni pour les pouvoirs publics ni pour le privé, qui est tout aussi qualifié que les fonctionnaires ou ceux qui travaillent pour le privé. En faudrait-il plus ? Rien qu’à New York, je ne sais pas combien ils seraient, mais c’est un groupe important—est-ce qu’ils sont assez nombreux ?

AS:  In terms of those people working full-time on these issues, there’s more and more, especially in cities like New York, essentially a full time non‑governmental, non‑corporate professional planning class, that is educated, that possesses the same level of expertise, but isn’t necessarily either a public servant or working on behalf of for‑profit entities. Is it critical to develop that group of people? In New York alone, I don’t even know what the numbers would be, but it is a pretty significant population of folks. Is it enough?

SF : Non, bien entendu, ce n’est pas suffisant ! Après tout, pour en faire son emploi à plein temps, on doit bien être payé par quelqu’un. J’ai fait beaucoup de recherches pour savoir qui travaille dans les associations de community development [soutien aux communautés locales]  et l’un des problèmes qui se pose est celui de la cooptation, parce que le financement de telles structures vient soit de sociétés de philanthropie, soit de l’Etat, et les gens ont toujours peur de mordre la main qui les nourrit.

SF:  No, of course, it’s not enough and, after all, for people to have this as their full time job have to get paid by someone. I’ve done a lot of work actually on who works for community development corporations and one of the issues that they always raise is that of cooptation, because the financing of community development corporations is either by private philanthropy or the government, and people are fearful of biting the hand that feeds them.

A certaines époques, et cela a été le cas dans les années 1960 et 1970, sous la pression des mouvements sociaux, ces personnes peuvent se montrer beaucoup plus efficaces, parce qu’alors ceux qui occupent des positions de pouvoir reconnaissent qu’ils doivent lâcher du lest pour ne pas perdre leur place.

In times, and this was true in the 60s and 70s, when they are being backed by publics who are aroused, they can be much more effective because then the people who are in positions of power are cognizant that they have to make concessions in order to survive.

AS : Le lien entre l’espace urbain et l’aménagement soulève forcément une autre question, surtout avec ce genre de recherche pour une ville juste, c’est la question des échelles.

AS:  The other question that really came to mind, in terms of the linkage between the urban and planning theory, in particular with this kind of search for the just city, is the question of scale.

Là aussi, vous abordez un peu la question, mais pas vraiment directement. Il y a une section très brève où vous analysez la région en termes de régionalisme, mais dans la majeure partie des cas votre attention se porte surtout sur l’échelle du projet – de projets vraiment grands, des mégaprojets. Vous énoncez très clairement comment nous devrions penser la justice et comment évaluer des projets de grande envergure au centre des espaces urbains.

Again, you touch on that slightly in the book, but not as much directly. You have a very brief section where you discuss the region in terms of regionalism, but for the most part you’re focused on the scale of the project – really large projects, mega projects. You are very clear in how we should think about justice and how to evaluate large‑scale projects in the center of urban environments.

Mon travail porte beaucoup sur les « foreclosure prices »[3] dans le fin fond des suburbs, sur la restructuration générale des villes états-uniennes. Aujourd’hui, plus de la moitié des pauvres aux Etats-Unis vivent à l’extérieur des centres urbains. En Californie, en particulier, on a assisté à une restructuration majeure des géographies raciales, de sorte qu’il y a maintenant à peu près autant de Noirs à Riverside ou dans le comté de San Bernardino que dans la ville de Los Angeles, idem avec les comtés de Solano Sud et de la Contra Costa Est par rapport à Oakland. 

My work is a lot about the foreclosure prices in the suburbs, about the deep suburbs, about the general restructuring in American city. More than half of poor people in America now live outside of center cities. In California, in particular, there has been major restructuring of racial geographies so that there are now about as many African Americans in Riverside and San Bernardino County as in the city of Los Angeles, the same with Southern Solano and Eastern Contra Costa Counties vis‑a‑vis Oakland.

Comment envisagez-vous vos idées sur la ville juste, comment les questions d’équité, de diversité et de démocratie s’appliquent-elles à l’aménagement soit de plus vastes espaces à l’échelle métropolitaine, soit dans des espaces suburbains et dans des plus petites communes entourant les mégalopoles ?

How do you see your ideas about the just city, about questions of equity and diversity and democracy applying to planning either at larger scales, the metropolitan scale, or planning that deals with suburbs and smaller jurisdictions surrounding central cities?

SF : Une des choses qui se sont passées aux Etats-Unis, je dirais sous l’administration de Reagan, a été la fin de tous les organismes d’aménagement des aires métropolitaines, subventionnés ou financés par le gouvernement fédéral à l’exception de quelques services de transports. Il n’y a vraiment pas de structure en place aux Etats-Unis qui fasse de l’aménagement régional, sauf au niveau des gouvernements des Etats fédérés.

SF:  Well, one of the things that happened in the United States, I guess it was under the Reagan administration, was the end of all metropolitan planning bodies that were in any way subsidized or financed by the federal government, except for some transportation agencies. There is no structure in the US really, except for state governments, which does regional planning.

J’ai écrit quelque chose où je soutenais que les gouvernements des Etats fédérés sont les organismes d’aménagement régional aux Etats-Unis, et que nous pourrions tout aussi bien renoncer à essayer de mettre en place une gouvernance et un aménagement à l’échelle métropolitaine (Fainstein et Fainstein, 2009). Mais il est dans les compétences des gouvernements des Etats fédérés de pratiquer une redistribution substantielle. Hawaï est, je crois, le seul Etat (ou c’était le cas dans le passé) qui perçoive les taxes immobilières de tout l’Etat pour ensuite les redistribuer à travers tout l’Etat en fonction d’une certaine formule.

I did a piece which argued that state governments are the regional planning bodies in the United States, and we might as well give up on trying to get metropolitan governments and metropolitan planning. But, it is within the power of state governments to do substantial redistribution. Hawaii is, I think, the only state (or it used to be) that actually has statewide collection of property tax which it then distributes by formula throughout the state.

Bizarrement, on pourrait comparer cela avec  la réforme fiscale la plus égalitaire au Royaume-Uni, celle qui eut lieu sous Margaret Thatcher, qui retira aux collectivités territoriales tout pouvoir - parce qu’elle n’aimait pas nombre d’entre elles dominées par des Travaillistes. Elle fit passer la perception de ce que les Britanniques appellent « rates », c’est-à-dire la perception des impôts sur les biens immobiliers des sociétés et des entreprises, des mains des collectivités territoriales à celles du gouvernement national ; elle institua également un nouvel impôt national sur les profits commerciaux des entreprises.

This is comparable, oddly, to the most egalitarian tax change in the United Kingdom, one that occurred under Margaret Thatcher, who took away the power from local government – because she didn’t like a lot of the Labor dominated local government – and removed collection of what the British called « rates », i.e property taxes of corporations and business, to the national government, and created a new reformed national business tax.

Ainsi, dès que les impôts sur les contribuables qui ont de grosses propriétés sont perçus par le gouvernement national – ou par les Etats aux Etats-Unis – on peut les redistribuer sur une base bien plus équitable.

Now, once you have the taxes that are collected from the big property tax payers, taken by the national government ‑‑ or by state governments in the United States ‑‑ you can then have them redistributed on a much more equitable basis.

Donc la chose plus importante, réellement, qui pourrait se faire aux Etats-Unis en termes d’équité régionale, c’est la péréquation des recettes fiscales. On a ça, comme je disais, à Hawaï, ou dans les Meadowlands du New Jersey, ou dans les Twin Cities (Minneapolis-St. Paul, Minnesota). Mais c’est à peu près tout – ça existe dans quelques unes des agglomérations (Consolidated Metropolitan Statistical Area)  comme Metro Dade (Miami, Florida) mais jusqu’à un certain point seulement.

So, the most important thing, really, that could be done in America in terms of regional equity is tax‑base sharing. We have that, as I’ve said, in Hawaii, and then we have it in the Meadowlands in New Jersey, we have it in the Twin Cities (Minneapolis-St. Paul, Minnesota). But that’s about it – some of the (consolidated) metropolitan areas, like Metro‑Dade (Miami, Florida) have it to some degree.

Ensuite, au niveau des Etats, il y a aussi à déterminer qui reçoit les fonds distribués par chaque Etat pour le développement économique. La plupart des Etats le font sur une base indifférenciée. C’est-à-dire, ils ne favorisent pas les zones à bas revenus, mais simplement, tout ce qu’ils peuvent prendre pour alimenter leur Etat, ils le prennent.

Then at the state level also is the determination of who gets economic development funds that are distributed by the state. Most states do it on a completely indiscriminate basis. That is, they do not favor low‑income areas, but simply anything that they can get to come to their state, they will.

Les Etats ont des soi-disant « enterprise zones » [zones franches] ; et de ce fait, ils ciblent des zones qui en ont particulièrement besoin. Celles-ci tendent à être de vieilles villes centres. Mais, en réalité, avec la suburbanisation de la pauvreté, il faut tout repenser pour savoir quelles doivent être les zones prioritaires. Mais je dirais que, pour les Etats-Unis, les gouvernements des Etats fédérés sont les meilleurs instruments dont nous disposions à l’échelle régionale.

States do have so‑called « enterprise zones, » and to that extent, they target areas which are especially needy. These tend to be old central cities. But, in fact, as we have the suburbanization of poverty, this has to be rethought, in terms of what should be target areas. But I guess I would say that, for the US, state governments are the best instruments we have around for the regional scale.

Quant au gouvernement national, nous aurions des villes bien meilleures, ou bien plus justes, ou des aires métropolitaines plus justes, si le gouvernement fédéral nous laissait une plus grande marge de manœuvre. Ce qu’on a pu voir avec les dernières coupes budgétaires c’est que, même si on avait déjà arrêté de verser la majeure partie des subventions fédérales, on va continuer à en supprimer toujours plus, tandis que pendant les récessions précédentes, on avait plutôt plus de péréquation des revenus avec les Etats et les collectivités territoriales.

In terms of the national government, we would have much better, or more just cities, or more just metropolitan areas, if we had much more pass‑through from the national government. What we’ve been seeing in the latest retrenchments is that, even as much federal funding had already been withdrawn, even more is (being cut), while in previous recessions, what you had was increased revenue sharing with states and localities.

AS : Et qu’en est-il de la question à l’échelle des municipalités suburbaines ? Nous avons tendance à concevoir les villes comme des lieux uniques, particuliers, et les suburbs [banlieues] comme un amas indifférencié, ou bien que nous différencions uniquement selon les types de lieux : les suburbs aisées, suburbs  pauvres, suburbs en perte de vitesse, suburbs en déclin, exurb[4], - alors que bon nombre de ces lieux ont une longue histoire, et une politique interne. Ce n’est peut-être pas une histoire aussi ancienne que celle des villes, on n’y est peut-être pas aussi avancé en politique, ni tout à fait aussi compliqué et on n’atteint pas davantage la même taille que les villes, mais ce sont de réelles entités municipales et des villes avec leurs propres histoires. 

AS:  What about the question of within existing suburban jurisdictions? We have a tendency, I would argue, to conceive of cities as unique, individual places, and suburbs as this sort of undifferentiated mass, or places that we chop up into various typologies – the rich suburb, the poor, fading suburb, the declining suburb, the exurb – when many of these places have a deep history, they have an internal politics. It may not be as long of a history as cities, they may not be as advanced of politics, they may not be quite as complicated and quite as sizable as cities, but they are actual municipal entities and cities with their own histories.

Pensez-vous que certaines de vos idées sur la justice soient applicables si on les exporte vers des espaces de taille plus réduite ou qui n’ont pas cette tradition d’aborder les choses en termes de justice, comme dans nombre de villes aux Etats-Unis où vous avez travaillé ?

Do you think that some of your ideas about justice are applicable as you push out into smaller areas or areas that don’t have a history of talking about things in terms of justice, as many of the cities in the United States in which you’ve done work have?

SF : Oui, certainement. Les plus gros problèmes se trouvent dans ces villes construites principalement comme des ensembles de quartiers homogènes, ou encore plus dans les gated communities [quartiers résidentiels sécurisés], où chaque lotissement tend à avoir ses propres équipements internes et constitue un espace d’exclusion.

SF:  Yeah, sure. The biggest problem are in those cities which were built as essentially groups of homogenous subdivisions, or gated communities even more so, where each separate development tends to have its own internal facilities, and is exclusionary.

Je ne sais pas comment nous allons dépasser cela. Le groupe le plus ségrégué aux Etats Unis est, de loin, celui des riches qui vivent dans des communautés très exclusives, qui sont extrêmement difficiles à intégrer. Je pense qu’il existe plus de diversité dans les zones suburbaines moyennes. 

I’m uncertain how we really overcome this. The most segregated group in America, by far, are the rich, who live in very exclusive communities, and which are extremely hard to integrate. I think we’re seeing more suburban integration in those kind of middling kinds of suburbs.

Mais il est très dur de défaire l’histoire. Ainsi, quand on considère le fait que la F.H.A. [Federal Housing Administration] avait interdit les prêts dans les zones où existait une certaine diversité ethnique, et tant de ces subdivisions suburbaines ont été construites durant cette période, ce qu’on obtient est une histoire bien enracinée d’exclusion dans les zones suburbaines.

But it’s very hard to undo history. So that the fact when FHA (Federal Housing Administration) forbade loans in areas that were racially integrated, and so many of the suburban subdivisions were built in that period, what you have is a history which is entrenched of suburban exclusion.

C’est une chose de dire que nous allons lancer une nouvelle ville et la rendre plus diversifiée, et une autre de dire que nous avons ces milieux ségrégués, et que nous allons leur imposer de force la diversité. Mais, il y a des lieux qui ont réussi à se diversifier à cause des désirs des habitants.

It’s a different thing to say we’re going to start a new development and have it integrated, from saying, we have these segregated environments, and we are going to force integration upon them. Now there are places which, because of the desires of the people there, have successfully become more diverse.

Par exemple, Shaker Heights, Ohio, où j’ai grandi. A cette époque, les seules personnes de couleur à Shaker Heights étaient des domestiques. Dans mon lycée, il y avait en tout et pour tout un seul élève noir. C’était une banlieue prospère, même s’il y avait des nuances, ainsi nous vivions dans une maison pour deux familles, et les gens qui vivaient dans des appartements et des maisons pour deux familles étaient moins bien lotis que ceux qui vivaient dans une maison mono-familiale.

For example, Shaker Heights, Ohio, where I grew up. When I grew up, the only people of color in Shaker Heights were people who were live‑in servants. My high school class had exactly one African American student in it. It was a wealthy suburb, although it varied, because we lived in a two‑family house, and people who lived in apartments and two‑family houses were less well off than those people who lived in single‑family houses.

Mais il est arrivé un jour où Shaker Heights est devenu beaucoup plus mixte parce qu’il jouxtait le côté est de Cleveland qui était entièrement noir, et les gens ont commencé à déménager de l’autre côté de la limite, de sorte qu’une partie de Shaker Heights a commencé à devenir un ghetto. La réponse a consisté à monter une organisation appelée The Shaker Communities, laquelle a délibérément orienté les gens vers différents quartiers.  Ainsi, même s’il y a un gradient entre la partie ouest de la ville qui est la partie la plus noire, et la partie est qui l’est le moins, Shaker Heights est parfaitement mixte dans son système scolaire – qui a toujours été exemplaire, un des meilleurs du pays – et le système est devenu  tout à fait mixte.

But, at some point Shaker became integrated because it abutted the east side of Cleveland which was entirely Black, and people began to move over the boundary, so that that part of Shaker Heights began to become a ghetto. The response was to start an organization called The Shaker Communities, which deliberately steered people into different neighborhoods. So even though there’s a gradient where the western part of the city is the most black, and the eastern part is the least, it is fairly integrated in the school system – which has always been exemplary, one of the best in the country- (and the system) has become highly integrated.

Donc il est possible d’atteindre une certaine diversité ethnique, et, jusqu’à un certain point, la diversité de classe. Mais, même à l’époque, je dirais qu’une des raisons du succès de Shaker Heights, ou de Montclair, au New Jersey, ou d’autres exemples de lieux qui se sont engagés pour la diversité ethnique, est qu’il ne s’agit pas là des groupes les plus défavorisés, et cela leur rend la tâche plus facile.

So it’s possible to achieve racial diversity, and to a degree, class diversity. But, even then, I’d say one of the reasons for the success of Shaker Heights, or Montclair, New Jersey, or other various examples around the country of places which have been committed to racial diversity, is they don’t have the very bottom, and that makes it easier.

La question de l’exclusion suburbaine est extrêmement difficile à traiter en ce moment, je pense peut être en partie parce qu’il faut attendre un vieillissement de la population états-unienne, quand on aura à la fois plus de mixité dans la ville centrale – de gentrification si vous préférez – mais aussi dans les suburbs.

The fact of suburban exclusion is one that’s extremely hard to deal with at this point, and I think maybe, partly just awaits an aging of the American population where we have more, both ‑‑ if you want to call it « gentrification, » ‑‑ integration of the central city, and integration of suburbs.

Je pense que ce qu’on voit partout est une conséquence des évolutions démographiques – et quand je dis « partout », je veux dire dans les pays riches – les femmes mettent au monde leur premier enfant beaucoup plus tard, il y a bien moins de familles avec des enfants à la maison, et la conséquence de l’existence de personnes qui sont, soit retraitées sans enfant, soit jeunes et sans enfant, est qu’il existe bien plus de lieux dans lesquels les gens sont prêts à vivre que lorsque régnait le modèle de la famille états-unienne, composée de maman, papa, et les enfants. 

I think everywhere one is seeing is a consequence of changed demographics – and when I say everywhere, I mean in the wealthy world – of much later child bearing, far fewer families with children at home, and the consequence of people who are either retired and childless, or young and childless, is a greater willingness to live in various kinds of places than was the case when we have the modal American family, of mom, dad, and the kids.

AS : Je suis tout à fait d’accord. Particulièrement en Californie, où nous avons été pendant longtemps à l’avant-garde de ces évolutions démographiques, nombre des vieilles idées, pas seulement sur ce qu’il faut faire (en termes de politiques), mais les termes mêmes qui décrivent les lieux où les Etats-Uniens vivent, sont très, très désuets, et je crois que cela entrave d’une certaine manière notre capacité à aller de l’avant.

AS:  I couldn’t agree more. Especially in California, where we’ve long been at the vanguard of some of these demographic changes, many of the old ideas, not just about what to do (policy-wise) but the very terms describe the places that Americans live are very, very out of date, and I think it impedes in some ways our ability to push forward.

Je m’intéresse à quelque chose que vous venez juste de mentionner, et qui est encore un autre thème dans le livre, à savoir le problème de l’histoire. Tout votre travail a été, soit historique, soit historiquement fondé, et l’une des questions qui m’a toujours préoccupé au sujet des travaux de théorie urbaine qui mobilisent l’idée de rationalité communicationnelle, est que, alors qu’on les critique parce qu’ils ne traitent pas des questions de pouvoir, pour moi, la raison pour laquelle ils n’en disent rien est qu’ils n’intègrent pas l’histoire. Comme si la situation qui vous conduit à aménager ne s’était jamais présentée, comme si les gens n’en avaient jamais fait l’expérience, que ce soit dans le secteur privé ou dans le secteur public, comme si ils n’avaient pas déjà une idée de la tournure que ça allait prendre à l’avance.

I’m curious about something you just mentioned, which is again another theme in the book, which is the issue of history. All of your work has been either historical or historically grounded, and one of the questions that has always bothered me about some of the communicative rationality work in planning theory, is that, while people criticize it for not dealing with power, to me the reason why it doesn’t deal with power is because it doesn’t deal with history. It sort of assumes that the situation in which you’re going to be planning has never been planned before, and that the people have never experienced, with either private sector, or public sector intervention, and that they don’t already have ideas about how this is going to turn out ahead of time.

Comment voyez-vous la question de l’histoire par rapport aux questions de justice et de ville juste – à la fois la question de savoir si nous avons besoin de mieux connaître l’histoire qui a eu lieu, ou de savoir comment nous allons de l’avant avec l’histoire ? Par exemple, vous parlez beaucoup des problèmes d’aménagement et d’expertise en aménagement – on parle encore des erreurs de l’urbanisme moderne, même si on a cessé d’agir selon ses préceptes depuis une ou deux générations.

How do you see the question of history in terms of questions of justice and the just city ‑‑ both in terms of whether we need to better acknowledge the history that has happened, or how do we move forward for history? For instance, you talk a lot about issues of planning and planning expertise – we’re still talking about sins of modernist planning, even if we may be a generation or two away from having acted in that particular way.

SF : Oui ; les deux termes les plus utilisés sont « path dependency »[5] et « cumulative causation » [causalité cumulative]. Tous deux veulent dire que nous continuons sur les trajectoires qui sont les nôtres jusqu’à ce que quelque chose ébranle cet équilibre. Ou vous pouvez aller voir du côté de la « théorie de l’équilibre ponctué » (Punctuated Equilibrium Theory) de Stephen Jay Gould, et je crois que cela pourrait s’appliquer.

SF:   Well, the two terms that are most used are « path dependence » and « cumulative causation. » Both of them say that we continue on the trajectories we’re on, until something jolts that equilibrium. Or you can go to Stephen Jay Gould’s « Punctuated Equilibrium Theory, » and I think that that applies.

Mais ce qu’on découvre si l’on examine l’histoire des politiques urbaines et du développement de l’urbanisation aux Etats Unis, c’est qu’il y a eu des périodes critiques où la trajectoire a changé. Bien entendu, la Grande Dépression est l’une d’entre elles. Mais laissez-moi revenir un peu plus loin en arrière. Avec la Première Guerre Mondiale, l’immigration à grande échelle vers les Etats-Unis a cessé pour une assez longue période, et les Germanophones ont subi des répressions. Alors qu’on pourrait voir cela comme profondément injuste, d’une certaine façon, cela a également permis l’adhésion presque totale des anciens groupes minoritaires - lesquels étaient bien plus séparatistes que ne veut bien le dire la mythologie actuelle - à l’idée d’être des Etats-Uniens.

But what one sees if you look at the history of American urban policy and American urban development is that there were certain critical periods when the trajectory changed. One was, of course, the Great Depression. But let me go back a little further. Starting with World War I was the stopping of large‑scale immigration into the United States for quite a long period of time, along with the suppression of the German‑speaking communities. While one could look upon this as an enormous interference with justice in one way, it also led to the almost complete integration of the former minority groups, which really were a lot more separatist than current mythology has it, into the idea of being an American.

Cela a ensuite permis – sauf pour les Noirs, qui étaient encore « les Autres », alors que les immigrants n’étaient plus « les Autres » - d’une certaine manière cela a permis le développement de l’Etat-providence du New Deal – le sentiment que les Okies[6], par exemple, ou des groupes ethniques qui vivaient dans des villes faisaient tous partie d’une communauté états-unienne qui méritait l’aide du gouvernement fédéral. C’est le moment où le gouvernement national s’est investi dans la production urbaine à grande échelle.

This then allowed – except for black people, who were still « the other, » but immigrants were no longer « the other, » – this allowed in a way the development of the New Deal welfare state ‑ the feeling that the Okies, for example, people, ethnic groups who lived in cities were all part of an American community which required help from the national government. That was when the national government entered into urban development on a large scale.

Alors, ces gens qui étaient, ne disons même pas à gauche, mais « libéraux », pensaient qu’une fois fixée cette trajectoire, cela continuerait de marcher ainsi. Cela ferait boule de neige. Pendant un bon moment après la Seconde Guerre, cela s’est effectivement étendu. Au niveau national, on avait le sénateur Taft, qu’on appelait « Monsieur le Conservateur », qui a promu le Housing Act de 1949. C’était d’une certaine manière accepté, même par des gens qui étaient des Républicains, qu’il soit du rôle du gouvernement national d’aider les plus démunis.

Now, those people who were, let’s not even say on the left, but were liberals, thought that once this trajectory got hold, it would keep going. It would snowball. For quite a period after World War II, it did grow. At the national level, we had Senator Taft sponsoring the Housing Act of 1949. It was sort of accepted, even by people who were Republicans, that it was the role of the national government to provide assistance.

Ensuite avec la crise des années 1960, qui était une conséquence du Mouvement pour les Droits Civiques, du mouvement contre la guerre au Vietnam, les mouvements sociaux dans les villes, les luttes urbaines, on a eu une quantité considérable de réponses des pouvoirs publics à tous les échelons. C’est ainsi qu’on a eu droit à « La Guerre contre la pauvreté », les Model Cities[7]. C’est en réaction à une menace que se sont développés les programmes sociaux et les programmes de rénovation urbaine dont l’objectif étaient d’aider les pauvres. 

Then with the crisis of the 1960s that was a consequence of the Civil Rights Movement, the anti‑war movement, urban mass movements in cities, urban social movements, that one had considerable amount of response from government at all levels. So we had « The War on Poverty, » we had Model Cities. We had, in response to threat, the development of social programs and redevelopment programs which were aimed at helping people who were poor.

Mais ensuite, juste après on a assisté à une réaction violente contre cela. C’était la réaction contre ce que l’on percevait comme des émeutes  perpétrées par des assistés profiteurs, vivant aux crochets de l’Etat, et la dénonciation des programmes de redistribution nationale comme des programmes qui prenaient ce que travailleurs avaient gagné pour le donner aux fainéants. Mais ce qui était également essentiel au milieu des années 1970, c’était que les Etats-Unis et tous les pays d’Europe de l’Ouest souffraient de la crise du capitalisme. Castells a écrit un très bon livre, qui est l’un des moins cités de son œuvre, sur la crise des années 1970, où il soutient que le capitalisme privé est devenu beaucoup moins lucratif à mesure que le salaire minimum a augmenté (Castells, 1980).

But then, the next thing that happened was the backlash against it. It was the backlash against what were seen as riots, of welfare queens, of people living off the public and the labeling of national redistributive programs as ones that took from those people who worked to those people who were shiftless. But what was also crucial in the mid-1970s was that the United States and every one of the western European countries suffered from the crisis of capitalism. Castells has a very good book, actually, which is one of the least mentioned of his work, on the crisis of the 70s, which argues that corporate capitalism had become much less profitable as the social wage had increased.

C’est à ce moment que nous avons assisté à cet énorme repli qui persiste aujourd’hui, ce retour en arrière, ce que Neil Smith appelle du « revanchisme ». Mais à l’échelle mondiale la capacité du capital à déplacer la production ailleurs, à substituer le capital au travail, à briser les syndicats, à faire baisser les coûts du travail par tous les moyens possibles – voilà le contexte historique actuel, et par bien des aspects les villes y sont enfoncées jusqu’au cou. Mais même ainsi, il y a une certaine flexibilité.

That was when we saw this enormous retrenchment which continues to today, a taking back, what Neil Smith likes to call « revanchism. » But the globalized moves of capital to move production elsewhere, to substitute capital for labor, to break unions, to push down labor costs in every possible way ‑‑ this is the present historical context, and cities are in many ways are stuck with it. But even then, there is some flexibility.

Il y a des différences entre les villes. Ces différences sont en partie la conséquence de différences dans les instances nationales de gouvernement. Mais ce sont aussi des différences qui viennent de différences dans la gouvernance urbaine et dans les objectifs des gens au pouvoir au niveau de la ville.

There are differences among cities. These differences are partly as a consequence of differences among national governments. But they’re also differences that arise from the differences in urban governance and the aims of those people in power at the city level.

AS : Je voudrais savoir si vous voyez le moment actuel comme un autre de ces tournants. Juste après la Grande Récession beaucoup ont commencé à parler en termes d’histoire mondiale. Je me demande si nous vivons maintenant quelque chose qui s’apparente à ce qui s’est passé au milieu des années 1970 et si nous allons connaître un changement significatif. Cela a paru s’effacer un peu, les vieilles habitudes ont repris le dessus, mais avec le Mouvement « Occupy » peut-être, avec les Espagnols et le Printemps arabe, les gens vont-ils recommencer à parler de changements fondamentaux ?

AS:  I’m curious as to whether you see the current moment as another one of those shifts. It was very popular in the immediate aftermath of the Great Recession to start speaking in world historic terms. I’m wondering whether we are somewhere in the mid 70s now and we’re going to get a significant shift. It seemed to fade a little bit as there was a return to business as usual, but with the Occupy Movement maybe, with the Spanish and the Arab spring, people are again talking about fundamental shifts.

SF : Ce que le Mouvement « Occupy » a réussi à faire, avec leur slogan « Nous sommes les 99 % », c’est de mettre en lumière l’énorme augmentation des inégalités de revenus pour des gens qui justement n’avaient rien compris à la situation – alors que les universitaires en avaient pris conscience depuis un certain temps. Ces inégalités, au passage, varient substantiellement selon les pays. La France a eu une augmentation relativement faible des inégalités de revenus, comparée à celle du Royaume-Uni ou des Etats-Unis, par exemple. Nous le savions, mais la plupart des gens ne l’avaient pas vraiment compris. Et la ségrégation extrême des riches les protège partiellement d’une prise de conscience de l’ampleur de leur richesse.

SF:  What the Occupy Movement has succeeded in doing, with their slogan of « We are the 99, » is pointed out to people who just really didn’t understand it – which academics have been aware of for some time – the enormous increase in income inequality. This inequality, by the way, varies substantially from country to country. France has had relatively little increase in income inequality, as compared to the UK or the US, for example. We’ve been aware of it, but most people really didn’t understand it. And partly, the extreme segregation of the rich protects them from people being so aware of how rich they are.

Bien sûr, dire « Nous sommes les 99 % », c’est aussi dire, vous savez, c’est seulement ces gens qui font partie du 1 % supérieur, autrement dit quasiment personne, plutôt que les gens dans les 30 ou 40 pour cent supérieurs, qui ont besoin d’être imposés davantage.

Of course, by saying « We are the 99, » it’s saying OK, you know, it’s only those people in the top one percent, which is hardly anybody, rather than the people in the top 30 percent or the 40 percent who need to be taxed more.

Donc je pense que nous avons vu les discours évoluer. Maintenant il est tout simplement impossible, alors que nous sommes immergés dans cela, de savoir si ce changement va durer, ou s’il sera ou non intégré dans les programmes politiques en faveur de la redistribution.

So, I think we have seen a change in the discourse. Now, it’s just impossible, while we’re now in the midst of it to know whether this will be a lasting change, or whether it will become incorporated in political programs for re‑distribution or not.

Beaucoup critiquent le Mouvement « Occupy » parce qu’il ne présente pas de revendications claires. Je ne partage pas ces critiques parce que je pense que ce n’est pas à eux de formuler des revendications spécifiques. Mais c’est aux politiciens d’embrayer sur le mouvement, et de donner forme à des revendications spécifiques.

Many people criticize the Occupy Movement for not having specific demands. I’m not one of them because I don’t think it’s up to them to create specific demands. But it is up to politicians to grab onto their formulation, and to create specific demands.

Si vous regardez les nombreuses comparaisons d’Occupy avec le Tea Party, on a dit que le Tea Party avait formulé des revendications spécifiques, mais je ne suis pas sûre que ce soit si vrai. Ce que l’on a, ce sont des politiciens qui ont vu qu’en tant qu’élus ils pouvaient s’en servir, et ce sont eux qui ont formulé le discours, pas les gens à la base du Tea Party eux-mêmes, qui ressemblaient beaucoup plus aux gens d’Occupy : des gens qui critiquent plutôt qu’ils ne proposent des politiques spécifiques.  

If you look at many comparisons of Occupy with the Tea Party, people have said Tea Party did have specific demands, but I’m not sure that’s so true. What you have are politicians who saw that as a constituency that they could make use of, and they’re the ones who formulated the discourse, not the Tea Party grassroots people themselves, who were much more like the Occupy people. Critics, rather than proponents of specific policies.

AS : Je suis tout à fait d’accord. Je pense que c’est une mauvaise lecture de l’histoire du Tea Party. Au début, il y a eu une manifestation de colère, très médiatisée, rendue possible par les nouvelles technologies de communication, où quelqu’un décide de manifester à Des Moines, et un autre à Lancaster, la Californie embraye et les choses se répandent comme une traînée de poudre. Il a fallu un certain temps pour que la droite organisée se mette réellement en rang, et ensuite commence à capitaliser dessus et à formuler en son nom des revendications politiques, pour finir par faire élire une liste de députés homologués. 

AS:  I would agree completely. I think it’s a misreading of Tea Party history. In the beginning, it was a networked display of anger, made possible in some ways by the current communication technology, where somebody decides to protest in Des Moines, and somebody in Lancaster, California can quickly mimic that and things can spread in a way that they’ve never spread before. It took a while before the organized Right really got behind it, and then started bankrolling it and started formulating it into policy demands, and eventually elected a slate of Congressmen on it.

Je pense que l’on commence à voir, dans une certaine mesure, par exemple avec le mouvement « Occupy Our Homes » [littéralement « Occupez nos maisons »]- lequel constitue, à mes yeux, fondamentalement une cooptation, et une bonne cooptation, par des gens avec lesquels je suis d’accord, pour canaliser un peu de l’énergie et de la colère du mouvement « Occupy » sur les problèmes des gens qui perdent leur maison parce qu’ils ne peuvent plus faire face à leurs remboursements de prêts immobiliers, une véritable crise à l’heure actuelle, et réclamer une politique publique dans le domaine du logement. C’est la façon dont se font les choses de nos jours, et je pense que c’est important.

I think you’re starting to see, to a certain extent, for instance, the « Occupy Our Homes » movement ‑ which is, you know, fundamentally, a co‑optation in my opinion, a good one, by people that I agree with, to channel some of the Occupy energy and anger into direct policy demands around foreclosure and the foreclosure crisis and federal housing policy. That’s the way things are done these days, and I think it’s important.

A propos des 99 %, vous abordez à des degrés divers dans votre livre une question que je voudrais résumer comme la question morale au sens plus large du terme. Il y a une partie très intéressante où vous décrivez comment actuellement dans l’immobilier new-yorkais, il y a peu de possibilités pour faire des bénéfices très, très importants. Ce que les aménageurs ont eu tendance à promouvoir, du coup, c’est cette poignée de projets de développement local qui font d’énormes bénéfices. C’est devenu la règle. Alors que dans le passé, 10 ou 12 % de retour sur investissement étaient tenus pour acceptables, maintenant on compte sur 20, 25, 30 % de RSI (retour sur investissement). C’est une hausse sensible du seuil de ce qu’il est moralement acceptable (d’exiger).

Speaking of the 99 percent, you touch on in various degrees in the book an issue I would sum up as the broader moral question. There’s a very interesting part where you talk about how in the current version of New York City real estate, there were limited options for very, very large profits. What the development community tended to push for, then, were these handful of different types of development that would reap huge profits. It became standard. Whereas in the past, 10 percent, 12 percent return on investment was acceptable, now, especially with hedge funds in the game, you’re looking at 20 percent, 25 percent, 30 percent ROI (return on investment) across the board. It was a ratcheting up of what was morally acceptable (to demand).

Vous citez le beau mot de Todd Swanstrom sur l’égoïsme[8], et il me semble que la question de l’égoïsme est quelque chose qui ne relève pas simplement du capital à l’échelle mondiale, mais aussi de toutes sortes de Nimbyisme[9] d’un type chaque fois différent, de celui de la gauche écolo à la droite revanchiste, souvent suburbaine, et raciste.

You quote Todd Swanstrom’s great line about selfishness,[3] and I would argue that the question of selfishness is something that is not just an issue with large scale capital, but with all sorts of Nimbyism, of every different type, from left wing environmental-based nimbyism, to kind of right‑wing revanchist, often suburban, racist Nimbyism.

Je voudrais savoir comment vous arrivez à voir ce lien entre la moralité et les questions de justice et de la ville juste. J’avancerais volontiers que la gauche a été un peu hésitante à envisager – David Harvey en particulier, au moins dans ses premiers travaux – vraiment hésitante à envisager l’idée de justice comme une question morale.

I’m curious, as to how you sort of see this linkage between morality and questions of justice and the just city. This is something I would argue that the left has been a little bit hesitant to take on – David Harvey in particular, at least his earlier work – really hesitant, this idea of justice as a moral question.

SF : Oui, enfin, si vous êtes un vrai marxiste, et Harvey l’est et ne l’est pas, pour vous dire la vérité, alors vous dites : « Eh bien, l’histoire est de mon côté et je n’ai pas besoin de me soucier d’une formulation  abstraite de la justice » ; ce que Marx a dit, en substance, c’est que toutes les formulations abstraites de la justice, et donc la philosophie dans ce sens sont dépourvues de signification, parce que la justice n’est pas créée par des gens pensant à ce qui est juste mais concerne plutôt l’ascension d’une classe qui porte avec elle une société plus juste.

SF:  Yeah, well if you are a real Marxist, and Harvey is and isn’t, to tell you the truth, then you say « Well, history is on my side and I don’t have to worry about an abstract formulation of justice, » that what Marx essentially said was that all abstract formulations of justice, philosophy in that sense are meaningless because justice is not created by people thinking of what is just but rather about the rise of a class that carries with it a more just society.

Alors, Harvey – j’essaie de me rappeler s’il l’a dit dans l’article qui fait partie de Searching for the Just City ou s’il l’a dit sur une tribune où j’étais avec lui – dit au fond que lorsqu’il était en train d’écrire Social Justice and the City, il a regardé chez tous les différents philosophes qui avaient une théorie de la justice et qu’il en est venu à la conclusion que cela n’allait le mener nulle part. Donc il a laissé tomber le concept de philosophie morale et à la place il a en quelque sorte adhéré à l’argument marxiste de la nécessité historique, mais il n’a jamais dit cela en termes explicites, parce que je ne pense pas qu’il croie réellement que le sens de l’histoire va nécessairement produire une révolution prolétarienne. Il est assez difficile de croire cela arrivés où nous en sommes aujourd’hui. Il ne traite pas non plus du socialisme comme s’il avait réellement existé – le socialisme du vingtième siècle n’était-il donc qu’une aberration, une dégradation, ou n’était-ce pas dans une certaine mesure le produit d’un système où l’Etat dominait complètement aussi bien l’économie que la politique ?

Now Harvey – I’m trying to remember if he said it in the article in Searching for the Just City or whether he said it in some panel I was on with him – said basically that when he was writing Social Justice and the City, he looked around at all the different philosophers who had theories of justice and eventually he came to the realization that that wasn’t going to get him anywhere. So he discarded the concept of moral philosophy and instead kind of buys into the Marxist historical inevitability argument, but he doesn’t ever make that explicit, because I don’t think he really believes that the pied of history will necessarily produce a proletarian revolution. It’s pretty hard to believe that at this point in time. Nor does he deal with socialism as it really existed – was (20th century socialism) just an aberration, a corruption, or was it in certain ways necessarily a product of a system where you have the state dominating wholly the economy as well as the polity?

Je tends à rester sceptique quant à la possibilité d’une société libre si l’on a cela (la domination de l’Etat). Ce qui veut dire qu’on va avoir une séparation, ou qu’on devrait avoir une séparation, entre l’économie, d’une part, et la politique à suivre, de l’autre. En même temps, je pense qu’il doit y avoir un bien plus grand rôle pour le public que celui que nous voyons dans les pays capitalistes occidentaux.

I tend to be skeptical of the possibility of free society if you have that (state domination). This means that we’re going to have a separation, or ought to have a separation, between economy and polity. At the same time, I think there has to be a much larger public role within the economy than we see in the western capitalist countries.

J’ai été fascinée par Singapour, où j’ai enseigné le printemps dernier, parce qu’y règne un despotisme bienveillant où l’Etat contrôle dans une large mesure l’économie, et ça marche plutôt bien. Le coefficient de Gini est élevé, ce qui signifie qu’il y a d’importantes inégalités de revenus, il y a une exploitation des travailleurs étrangers, mais je dirais que, dans l’ensemble, ils ont produit une société hautement urbanisée plutôt correcte où à peu près tout le monde, 90 pour cent de la population, vit dans un logement public. Tout le monde a le droit à la ville au sens de l’accès aux services, mais pas dans l’autre sens, celui de Lefebvre, de créer la ville.

I’ve been very fascinated by Singapore, where I taught last spring, because it is a benevolent despotism where the state does to a large extent control the economy, and it works pretty well. The Gini coefficient is high, that is there is substantial income inequality, there is exploitation of foreign workers, but I will say that on the whole, they have produced a pretty decent, highly urbanized society where everybody pretty much, 90 percent of the population, live in public housing. Everybody has the right to the city in the sense of access to facilities, but not in the sense of the other Lefebvrian sense of creating the city.

Singapour représente un contre-exemple complètement différent de celui d’Amsterdam, et un exemple que je ne pense pas réellement généralisable, mais c’est un cas intéressant en termes de champ des possibles. Singapour a la complète propriété des terrains, ce qui est aussi le cas à Amsterdam, à Stockholm et en Chine. La propriété publique des terrains donne la possibilité de ce qu’Henry George a réclamé, la saisie par le public de la plus-value non-gagnée (unearned increment)[10]. Donc je pense qu’il y a des combinaisons diverses de capitalisme et de propriété étatique qui sont possibles et qui pourraient créer la possibilité d’une ville plus juste.  

It represents a completely different counterexample from the Amsterdam one, and one that I can’t really think could necessarily be generalized, but it’s an interesting case in terms of the range of possibilities that do exist. It does have total public ownership of land, which is also the case in Amsterdam, in Stockholm, in China. Public ownership of land gives the possibility of what Henry George called for, the public capturing the unearned increment. So I think there are various combinations of capitalism and state ownership which are possible which could create the possibility of a more just city.

Mais pour revenir à votre question par rapport à laquelle j’ai quelque peu digressé, je pense qu’on doit tenir un argument moral, que si l’on ne dit pas que les gens doivent faire telle chose parce que c’est ce qu’il est juste de faire, on n’a alors aucun moyen de  s’opposer aux intérêts personnels. On s’attend simplement (et Harvey le dit en toutes lettres) à ce que tout le monde agisse dans l’intérêt de sa propre classe. Eh bien, comment savez-vous ce qu’est vraiment votre intérêt de classe ? On présume en quelque sorte que, si vous êtes un homme d’affaires, votre intérêt de classe est d’exploiter autant que possible, et que, si vous êtes un simple travailleur, c’est de résister autant que possible, nous saurions simplement ce que c’est. Mais en fait il y a un grand nombre de choses qui sont dans votre intérêt, et l’une d’elles est de vivre dans une bonne société. 

But to go back to your question from which I’ve digressed some, I think you have to make a moral argument, that if you don’t say that people should do things because it’s right, then you have no way to counter self‑interest. You simply, and Harvey does say this specifically, that everybody’s going to act in their class interest. Well, how do you know what your class interest actually is? There’s sort of an assumption that well, your class interest if you’re a businessman is to exploit as much as possible, and your class interest if you’re a working person is to resist as much as possible, and we just know what it is. But in fact there’s a big spectrum of what your interest is, and part of your interest is living in a decent society.

Donc je pense qu’on doit discuter sérieusement de ce qui constitue une bonne société, et pour cela aller voir du côté de la philosophie morale. Le problème avec la philosophie quand elle est purement abstraite, c’est qu’elle dit : « D’accord, voici ce qui constitue un ensemble désirable de buts », mais elle ne vous donne pas beaucoup d’informations sur la manière de procéder. Quelles sont les politiques à suivre ? Quels sont les objectifs des mouvements sociaux ? Comment procède-t-on pour atteindre ces buts?

So, I think one has to make an argument of what constitutes a decent society and to look to moral philosophy. The problem with philosophy when it’s purely abstract is that it says « OK, this is what is a desirable set of goals, » but doesn’t give you very much in the way of how do you proceed? What are the policies? What are the aims of social movements? How do we proceed toward those goals?

C’est réellement ce que j’ai essayé de faire dans le livre, de dire que la démocratie, la diversité et l’équité sont les trois composantes essentielles d’une ville juste. Beaucoup m’ont critiquée parce que je ne réfléchissais pas en termes de durabilité. Et je suis d’accord il est nécessaire d’interroger la durabilité, mais je pense que c’est à quelqu’un d’autre de le faire.

That’s really what I tried to do in the book, to say that democracy, diversity, and equity are the three principal components of a just city. I’ve been criticized by many people for not discussing sustainability. And I agree that sustainability needs to be discussed, but I think that somebody else besides me could do it.

Etant donnés ces objectifs généraux [démocratie, diversité, équité], que l’on pourrait tirer de la philosophie politique, quels sont alors les objectifs plus spécifiques qui pourraient nous permettre d’atteindre ces buts ? C’est là où je me place vraiment sur le plan de la moralité et de l’intérêt personnel ; que les gens aient besoin d’appréhender leur propre intérêt en termes d’intérêt pour le bien social, pour la justice sociale.

But given those general aims, which you could derive from political philosophy, then, what are some more specific aims that could lead you towards realizing those goals? That’s where I really stand on the question of morality and self‑interest that people need to construe their self‑interest in terms of having an interest in the social good, an interest in social justice.

La première chose à faire pour aller dans cette direction est de changer les discours, de faire parler les gens beaucoup plus de justice. L’autre impulsion pour mon livre a été que tout ce dont les gens n’arrêtaient pas de parler dans les conseils municipaux, c’était de compétitivité, et si c’est votre point de départ, alors vous en arrivez logiquement à des questions comme : « Quel genre de pot-de-vin devons-nous donner aux entreprises pour qu’elles viennent s’installer dans notre ville plutôt qu’ailleurs ? »

The first step towards doing that is to change the discourse, to make people talk much more about justice. The other impetus for my book was that all people in city government ever talked about was competitiveness, and if that’s your starting point, then you inevitably move into « What can we do to bribe business to get them to come to my city as opposed to some others? »

AS : J’ai trouvé assez ironique qu’une partie de votre histoire sur New York s’intéresse aux équipes sportives, parce que je pense que la compétitivité est incroyablement importante et que c’est là où la compétition a sa place.

AS:  It’s ironic in some ways that a chunk of your New York story focuses on sports teams, because I think competitiveness is incredibly important and that’s where the competition belongs.

SF : C’est vrai ! [rires]

SF:  Right. [laughs]

AS : J’aime encourager ma ville quand elle joue des matchs à l’extérieur, mais je  souhaite que ce ne soit pas une lutte sur des usines et la production économique.

AS:  I love rooting for my city when it plays in other cities, but I wish it wasn’t a fight over factories and economic production.

SF : Voilà…

SF:  There you go…

AS :  En tout cas, je vous remercie de m’avoir épargné d’avoir à vous poser une question finale, qui serait la question de la propriété foncière, parce que je suis persuadé qu’au bout du compte, l’une des questions les plus fondamentales est la vieille question d’Henry George sur la propriété foncière et la plus-value non gagnée [unearned increment][11] (George, 1886).

AS:  And I appreciate that you actually saved me from having to ask a final question, which was the question about land, because I couldn’t agree more that when you get down to it, I think one of the fundamental questions is the old Georgist question about the ownership of land and that unearned increment (George, 1886).

Je soutiendrais que c’est une question morale si l’on prend cette plus-value non gagnée exclusivement pour soi tout seul, c’est une faute morale essentielle, et malheureusement c’est devenu quelque chose de relativement peu remis en question – souvent au nom de la compétitivité – pour non seulement en prendre des morceaux de plus en plus grands, mais pour que la sphère publique abandonne cette plus-value non gagnée à la sphère privée parce qu’elle aurait d’une certaine manière gagné la course pour un gratte-ciel de plus, pour un revenu fiscal supplémentaire, revenu qui ne sera jamais à la hauteur – cela ne suffit tout simplement pas à payer les métros et les égouts et l’eau et le système scolaire et toute la gamme de fonctions reproductives qui sont au cœur de la gestion urbaine.

I would argue that it is a moral question when you take that unearned increment exclusively for yourself, that it is a key moral failing, and unfortunately it has become something relatively unquestioned – often in the name of competitiveness – to not only take bigger and bigger chunks of it, but for the public sphere to give away the unearned increment to the private sphere in the name of somehow winning the race for additional skyscrapers and additional tax revenue, revenue which is not making the grade – it is simply not paying for the subways and the sewers and the water and the education system and all the sort of social reproductive functions that are the heart of urban management.

SF : Eh bien, à ma grande surprise on m’a demandé de donner l’allocution plénière au colloque annuel de l’Institut Lincoln Land. Lincoln Land c’est intéressant parce que c’est un institut qui a été fondé par un industriel qui était un partisan de Henry George. Il l’a financé pour explorer les idées de Henry George et voir comment elles marchaient. Mais l’Institut a fini par être repris en mains par des économistes très conventionnels qui ont fait toutes ces analyses conventionnelles – et souvent utiles – de l’incidence des taxes immobilières et ainsi de suite. Il est devenu très mainstream et a semblé perdre l’engagement d’Henry George pour une redistribution globale ou du moins pour que le public bénéficie de l’investissement immobiliers.

SF:  Well, to my great surprise last spring, I was asked to give a keynote address at the Lincoln Land Institute annual conference. Now, Lincoln Land is interesting because it was founded by an industrialist who was a follower of Henry George. He endowed this institute to explore Henry George’s ideas and how they worked out. But, it eventually became taken over by very conventional economists who did all these various conventional – and often quite useful – analyses of the incidence of the property tax and so on and so forth. It became very mainstream and seemed to lose its Georgist commitment to redistribution altogether or to the public gaining proceeds from the investment in land.

Donc, comme j’ai dit, j’étais vraiment surprise qu’ils m’aient invitée et j’ai donné cette conférence où j’en ai vraiment appelé à la propriété publique des terrains, en employant l’exemple de Singapour, en fait pour montrer comme la propriété commune des terrains à Singapour était utilisée comme une méthode pour se saisir de cette plus-value non gagnée et comment des montants substantiels de ces bénéfices étaient employés pour produire des logements bon marché. J’ai également soutenu qu’utiliser une analyse coût – avantage comme base unique pour prendre des décisions publiques, cela revient à inclure toutes sortes de présupposés en termes de qui devrait supporter les coûts et qui devrait toucher les profits, ou plutôt à ne pas s’inquiéter de savoir qui sont les payeurs et qui sont les bénéficiaires, il y a alors une forte circularité, c'est à dire que d’une certaine manière les prix vous diraient ce qui est juste bien mieux que les préceptes de la philosophie morale.

So, as I said, I was quite surprised that they should ask me and I gave this lecture in which I did call for public ownership of land, used the Singapore example in fact to show how public ownership of land in Singapore was used as a method of capturing the unearned increment and how substantial amounts of it were being used to produce affordable housing. I also argued that the idea that the cost‑benefit analysis and using that as your basis for making public decisions simply build into it all kinds of assumptions in terms of who should bear the cost and who should get the benefits -or actually not caring very much about who bear the cost and who got the benefits, and that it had a very strong circularity to it, which is that somehow prices told you what was right rather than moral philosophy telling you what was right.

Eh bien, un économiste dans la salle était apoplectique, il était déchaîné contre moi. Il m’a dit : « Vous êtes une idéologue. » Il considérait vraiment l’économie comme une discipline non-idéologique, c'est à dire qu’il considérait que les politiques publiques devraient être déterminées par l’optimum de Pareto. L’optimum de Pareto, bien sûr, n’a rien à dire sur les questions de redistribution. Mais la base utilitariste de l’économie moderne se contente de dire que l’efficacité est la valeur prééminente, et l’efficacité se mesure aux prix, et le prix est censé refléter qui détient le pouvoir sur le marché. C’est considéré comme factuel, objectif et non-idéologique. Ce que je veux faire, c’est couper là-dedans, casser ça à la base, et faire voir aux gens que c’est en fait idéologique. L’idée de compétitivité s’est construite sur une base idéologique extrêmement forte. 

Well, an economist in the audience was apoplectic, he was so angry at me. He said, « You are simply ideological. » He really viewed economics as non-ideological, that is the view that what we did as public policy should be determined by Pareto Optimality. Pareto Optimality, of course, it’s completely blind to questions of distribution. But the utilitarian basis of modern economics is one that simply says that efficiency is the preeminent value, and efficiency becomes measured by prices, and price is supposed to reflect who has power in the market. It’s seen as factual, objective and non‑ideological. What I want to do is cut into that, to break that down, and make people see that it is ideological. The idea of competitiveness has built into it a very strong ideological basis.

Pour revenir un instant à l’histoire, je viens de lire un livre de John Fairfield sur la formation des idéaux civiques états-uniens. Ce qui est irritant, c’est qu’il montre comment les idées de gauche qui ont largement prévalu avant la Première Guerre, ont été purement et simplement balayées pendant la guerre par l’idée que nous devions gagner la guerre, et que quiconque ne se sentait pas de tout cœur acquis à la cause de gagner cette guerre devait être exilé – voire mis en prison. Ainsi, vous voyez comment des gens peuvent être aspirés trop facilement dans des arguments qui ne sont pas des arguments moraux du tout, mais des arguments pro domo, du genre « notre camp doit gagner », auxquels il n’y a rien à opposer.

To go back to history for a moment. I just read a book by Fairfield on the formation of American  civic ideals, and what is upsetting is how it shows the way in which left ideas that were rather prevalent before World War I just simply got swept away during the war with the idea that we had to win the war, and that anybody who wasn’t concerned wholeheartedly with winning the war should be exiled essentially ‑‑ or jailed. So, what we see is that people get swept up all too easily in arguments that are not moral arguments at all but are simply ’our side had better win’ kinds of arguments, and it’s hard to counter that.

AS : Tout à fait d’accord. Je pense que l’une des grandes tragédies de la gauche états-unienne est le fait que les marxistes l’ont emporté sur les partisans d’Henry George. Le marxisme était une stratégie brillante pour une société réellement industrielle, mais les États-Unis, dès le départ, - et là c’est vraiment parler comme un Californien, parce que la totalité de l’Etat s’est développée à partir d’un projet immobilier – les idées d’Henry George constituaient une stratégie orientée à gauche qui reconnaissait la vraie nature urbaine des États-Unis. Je dirai que notre économie a presque toujours été une économie urbaine, depuis l’ascension de Détroit et la production des banlieues, jusqu’aux premières expérimentations agricoles en Californie. Il s’est toujours agi pour nous des terrains, - c’est ce que les gens de Singapour ou d’Amsterdam ont compris, et c’est ce qu’a donné Lefebvre et la Révolution urbaine et j’aimerais que les gens lisent autant La révolution urbaine que Le droit à la ville ou La production de l’espace. Malheureusement, à Singapour ils ont besoin de lire un peu plus Le droit à la ville.

AS:  I couldn’t agree more. I think one of the great tragedies for the American Left is the fact that the Marxists won over the Georgists. Marxism was a brilliant strategy for a real industrial society, but America, from the very beginning ‑ and this is speaking very much as a Californian, where the entire state was a real estate project from the get go – Georgism was a left‑oriented strategy that recognized the true urban nature of the US. I would argue that our economy has almost always been an urban economy, from the rise of Detroit and the production of the suburbs, back to early California agricultural experiments. We’ve always been about land – this is what the Singaporeans and Amsterdammers, I think, have understood, and this is what Lefebvre and the Urban Revolution got, and I wish people would read as much Urban Revolution as they would read The Right to the City or The Production of Space. Unfortunately, the Singaporeans need to read a little bit more Right to the City.

Eh bien, merci, Susan. Ce fut un échange vraiment merveilleux, et toute conversation sur la ville devrait probablement finir sur la question de la propriété foncière. Je vous remercie vraiment d’avoir pris le temps.

Well, thank you, SF. This has been a really wonderful talk, and any conversation about the city should probably always end with a conversation about land. I really appreciate you taking the time.

SF :   Merci de m’avoir posé toutes ces questions. Je crois qu’on devine combien j’aime en parler.

SF:   Thank you for asking me. I think you can tell I enjoy talking about it immensely.

 

 

Pour citer cet article : Susan Fainstein, Alex Schafran: “An interview with Susan Fainstein” « Un entretien avec Susan Fainstein », translation : Muriel Froment-Meurice), justice spatiale | spatial justice, n° 5, déc. 2012-déc. 2013 | dec. 2012-dec. 2013, www.jssj.org

To quote this paper: Susan Fainstein, Alex Schafran: “An interview with Susan Fainstein” (« Un entretien avec Susan Fainstein », translation : Muriel Froment-Meurice), justice spatiale | spatial justice, n° 5, déc. 2012-déc. 2013 | dec. 2012-dec. 2013, www.jssj.org

 

 

[1] Research Committee 21 (RC21) on the Sociology of Urban and Regional Development of the International Sociological Association [ndlt].

[1] Research Committee 21 (RC21) on the Sociology of Urban and Regional Development of the International Sociological Association.

[2] http://www.thepolisblog.org/2011/11/polis-podcast-beta-social-justice-and.html [ndlt]

[2] http://www.thepolisblog.org/2011/11/polis-podcast-beta-social-justice-and.html

[3] Cela désigne le prix des biens immobiliers saisis à la suite de la défaillance à rembourser un prêt hypothécaire [ndlt].

 

[4] « Exurb » désigne les périphéries urbaines lointaines.

 

[5] Parfois traduit par « dépendance au sentier » ou « dépendance au chemin emprunté » en français, cette expression renvoie à une théorie selon laquelle un ensemble de décisions passées influe sur les décisions qui suivent.

 

[6] Habitants de l’Oklahoma, Etat dévasté par une sécheresse et des tempêtes dans les années 1930 ce qui amena une bonne partie de sa population à migrer [ndlt].

 

[7] Il s’agit de fonds fédéraux débloqués pour la redynamisation de certains quartiers des villes-centres sous condition de mobilisation et de participation des communautés concernées [ndlt].

 

[8] « L’analyse politique proposée par le populisme urbain était essentiellement une version de la théorie des élites adaptée à la rue: une petite élite fermée, provenant de la classe économique supérieure, utilise son contrôle des richesses pour manipuler le gouvernement en vue de ses propres intérêts personnels. », Swanstrom, Todd. 1985. The Crisis of Growth Politics, Temple University Press, Philadelphia. p. 129 [ndlt].

[3] « The political analysis offered by urban populism was essentially a streetwise version of elite theory: a small closed elite, stemming from the upper economic class, uses its control over wealth to manipulate government for its own selfish purposes. » (Swanstrom, 1985,  p. 129)

[9] NIMBY : acronyme de Not In My Back Yard, littéralement « pas dans mon arrière cour ». L’expression désigne l’opposition des riverains à l’implantation de certains types de structures. Le terme est généralement employé dans un sens péjoratif [ndlt]

 

[10] Il s’agit de la plus-value immobilière qui n’est pas liée à l’amélioration du bien immobilier lui-même (par des travaux de rénovation par exemple), mais qui résulte d’une valorisation plus générale de sa situation géographique. Ainsi un terrain peut acquérir plus de valeur si une université est construite à proximité, et la parcelle devient alors intéressante pour les promoteurs.   (D’après Farlex Financial Dictionary, 2012) [ndlt]

 

[11] Cf. note de bas de page n° 10 pour une définition de ‘unearned increment’ [ndlt].

 

Bibliographie

References

Références citées

BEAUREGARD, Robert A., « Bringing the city back in », Journal of the American Planning Association, vol. 56 n° 2, 1990, pp. 210-215

FAINSTEIN, Susan S. et al. Restructuring the City: The Political Economy of Urban Redevelopment, Longman Higher Education, 1987

FAINSTEIN, Susan S., The City Builders: Property Development in New York and London, 1980-2000, University Press of Kansas, 2001

FAINSTEIN, Susan S., « Planning Theory and the City », Journal of Planning Education and Research, vol. 25 n° 2, 2005,  pp. 121-130

FAINSTEIN, Susan S.,The Just City, Cornell University Press, 2011

FAINSTEIN, Norman, FAINSTEIN, Susan S., Social Equity and the Challenge of Distressed Places, pp. 191-218 in Catherine L. Ross (ed.). Megaregions: Planning for Global Competitiveness. Island Press, Washington, DC, 2009.

FAIRFIELD, John, The Public And Its Possibilities: Triumphs And Tragedies In The American City, Temple University Press, 2010

FALUDI, Andreas, A Reader in Planning Theory. Pergamon Press, Oxford, 1973

GEORGE, Henry, Progress and Poverty: An Inquiry into the Cause of Industrial Depressions and of Increase of Want with Increase of Wealth; the Remedy. Minneapolis, MN: Appleton Press, 1886,

MARCUSE Peter, CONNOLLY James, NOVY Johannes, OLIVO Ingrid, POTTER Cuz, STEIL Justin (dir.) Searching for the Just City : debates in urban theory and practice, Routledge, 2011

SWANSTROM, Todd, The Crisis of Growth Politics, Temple University Press, Philadelphia, 1985

More