Utopie, égalité et liberté : l’impossible idéal

Utopia, Equality and Liberty: The impossible ideal

La plupart des très nombreuses et très disparates utopies urbaines imaginées depuis l’antiquité revendiquent une certaine justice sociale combinant diversement égalité, équité et liberté. Cependant les moyens inventés pour y parvenir établissent des règles du jeu plus ou moins contraignantes, détaillées parfois jusqu’à l’absurde, au sujet du cadre urbain et des comportements des individus. Ces règles du jeu sont supposées suffisantes pour réaliser l’idéal utopique. Mais elles reposent en fait sur des axiomes implicites concernant les caractéristiques des individus et leur adhésion aux règles et modes de vie proposés. Ainsi, derrière le masque de l’idéal utopique, se dissimule en fait l’injustice sociale. En démontant la logique utopique pour en faire apparaître les faiblesses, nous voulons montrer qu’en général la perfection supposée est impossible. Dans l’imaginaire abstrait aussi bien que dans les réalisations concrètes, les inévitables axiomes implicites de la rhétorique utopique font qu’aucune utopie n’est en mesure de réaliser une idéale justice sociale, c’est-à-dire une parfaite liberté et une parfaite égalité et/ou équité. L’imperfection des utopies en termes de justice sociale est sans doute à rattacher à leur manque de pensée philosophique (Paquot, 1996), mais aussi à l’absence d’une véritable pensée psychologique, sociale, économique et au défaut d’une réflexion sérieuse sur la justice, l’égalité et la liberté.

Most of the many and very disparate urban utopias imagined since ancient times lay claim to a certain social justice combing equality, equity and liberty in different ways. However, the means invented for getting there establish rules of the game that are more or less restrictive and occasionally detailed to the point of being absurd with regard to the urban framework and individual behaviours. These rules are assumed to be adequate for achieving the utopian ideal but they rest, in fact, on implicit axioms concerning the individuals’ characteristics and their compliance with the proposed rules and lifestyles. Thus, social injustice hides behind the mask of the utopian ideal. By demonstrating the utopian logic to expose its weaknesses, we want to show that in general, the perfection presumed is impossible. “tr.: In the abstract of the imagination as well as in concrete realizations, utopian rhetoric’s inevitable, implicit axioms are such that no utopia is in a position to achieve an ideal social justice, i.e., perfect liberty and perfect equality and/or equity.” The imperfection of utopias in terms of social justice is undoubtedly related to their lack of philosophical thought (Paquot, 1996) but also to the absence of genuine psychological, social, and economic thought, as well as a want of serious reflection on justice, equality and liberty.

Nous laisserons de côté les imperfections explicitement acceptées, voulue ou planifiées de certaines utopies, notamment de celles qui justifient l’inégalité de traitement des individus, à partir de critères tels que la compétence ou le mérite. Chez Fourier (1829, 1953) et son disciple Considérant (1848), les inégalités sociales, de salaire et de logement sont programmées. Six classes sociales sont reconnues, correspondant à six catégories de logement. Malgré le refus de la ségrégation au profit d’une certaine mixité du phalanstère, les logements somptueux et les logements plus modestes ne sont pas répartis au hasard. Il est encore plus étonnant que More, malgré sa conception égalitaire, fasse allusion dans son Utopie à une classe d’esclaves chargés des basses besognes.

We will set aside the explicitly accepted, desired or planned imperfections of certain utopias, notably those that justify inequality in how individuals are treated on the basis of such criteria as competence or merit. According to Fourier (1829, 1953) and his disciple, Considérant (1848), social inequalities in wages and housing are planned. Six social classes are recognized, corresponding to six categories of housing. Despite segregation being rejected in favour of a certain amount of integration in the phalanstery, luxurious housing and more modest accommodations were not randomly allocated. It is even more surprising that, despite More’s egalitarian design, he alluded to a slave class given lowly tasks in his Utopia.

Notre démarche consiste plutôt à tirer les conséquences logiques mais imprévues, en termes de justice sociale, de l’ensemble des présupposés des constructions utopiques. Le résultat est que, dans les conditions généralement en vigueur dans les utopies, l’égalité est susceptible d’entraver la liberté, voire de créer des inégalités, et la liberté peut s’accommoder d’inégalités voire de privations de liberté.

Our exercise instead is to draw out the logical but unforeseen consequences in terms of social justice of the presuppositions of utopian constructions. The outcome is that in the conditions that are generally in effect in utopias, equality is likely to interfere with liberty, even create inequalities, and liberty can tolerate inequalities, even losses of liberty.

Les termes et concepts discutés – utopie, justice sociale, égalité, équité, liberté – méritent d’être cernés avec précision, dans toute la mesure du possible (section 1). Sur ces bases sémantiques, nous pouvons dénoncer l’illusoire perfection de l’Utopie. En analysant les mécanismes et les conditions de fonctionnement des utopies urbaines qui apparaissent de manière récurrente surtout depuis la Renaissance, nous montrons de quelle manière les auteurs pensent assurer leur possibilité, et ce qui est implicitement nécessaire pour cela (section 2). La critique de l’utopie libérale qui domine actuellement une large partie du monde nous offre à la fois une illustration et un prolongement des constats précédents, en particulier dans leur dimension urbaine (section 3). La solution est-elle dans le renoncement à l’utopie ?

The terms and concepts discussed – utopia, social justice, equality, equity, liberty – deserve to be clearly defined to the full extent possible (section 1). We can condemn the utopian illusion of perfection on these semantic foundations. By analyzing the operating mechanisms and conditions of urban utopias, which appear recurringly, especially since the Renaissance, we will show how the authors intend to ensure that they are possible, and that which is implicitly necessary for this (section 2). The criticism of liberal utopia currently dominating a vast portion of the world, simultaneously provides us with an illustration and an extension of the previous findings, in their urban aspect in particular (section 3). Does the solution lie in renouncing utopia?

 

 

L’imaginaire utopique

The Utopian Imagination

La pensée utopique possède un certain nombre de caractères récurrents et se présente en général sous la forme d’une utopie urbaine, d’une ville idéale. Elle fait explicitement ou implicitement référence à une conception de la justice sociale parmi les multiples formes que peut prendre ce concept.

Utopian thought has a certain number of recurring traits and in general presents itself in the form of an urban utopia, an ideal city. It explicitly or implicitly makes reference to one conception of social justice among the many forms this concept can take.

 

 

De l’utopie à la ville idéale

From Utopia to the ideal city

Écartons d’emblée le sens commun, souvent péjoratif, de l’utopie. L’utopie n’est pas nécessairement cet imaginaire fantaisiste hors du réel, du rationnel et du réalisable. L’utopie n’est pas seulement une pure fiction comme se présente au premier abord l’Eldorado de Voltaire dans son roman Candide (1759). L’utopie peut être tout cela, mais pas seulement. Se limiter là réduirait considérablement le contenu et la portée des utopies.

Let’s immediately set aside the common, often pejorative, meaning of utopia. Utopia is not necessarily this make-believe fantasy outside of the real, the rational, and the achievable. Utopia is not only pure fiction as first presented by Voltaire’s Eldorado in his novel Candide (1759). Utopia can be all that, but not only. Limiting ourselves there would greatly reduce the content and range of utopias.

Pour couper court à tout examen contradictoire des trop nombreuses définitions qui courent dans la littérature et les dictionnaires, nous retiendrons les caractères suivants. Nous considérons l’utopie comme une construction imaginaire, a priori, rationnelle, d’un monde idéal, d’une organisation humaine globale, au sens où elle touche tous les aspects de la vie, où elle est destinée à s’appliquer partout. L’utopie est située en dehors du temps et de l’espace vécus, même si elle est souvent historiquement connotée et si son espace interne est fortement organisé. La société y fonctionne selon d’autres principes que ceux de l’époque où elle est imaginée. Elle résulte généralement d’une critique fondamentale de la société existante. Elle est le produit d’une recherche rationnelle d’un autre possible : c’est un « exercice mental sur les possibles latéraux » (Ruyer, 1950, 9), proche de l’expérience mentale de la théorie scientifique (Bailly, Huriot, Baumont et Sallez, 1995 ; Baumont et Huriot, 1997), mais différente en ce qu’elle ne se soumet pas aux confrontations et aux contrôles de cohérence interne et externe qu’exige la démarche scientifique (Ruyer 1950).

To cut short the full, contradictory examination of the too numerous definitions in the literature and dictionaries, we will select the following traits. We will consider utopia as being an a priori rational construction of the imagination, of an ideal world, a universal human organization in the sense that it touches all aspects of life, and is intended to be applied everywhere. Utopia is located outside of experienced time and space, even if it is often historically implied and its interior space is highly organized. Its society functions according to different principles from those of the time when it is created. It is generally the result of a fundamental criticism of the existing society; the product of a rational search for another form of what is possible: a “[tr.] mental exercise on the lateral possibilities” (Ruyer, 1950, 9), close to the mental experiment of scientific theory (Bailly, Huriot, Baumont and Sallez, 1995; Baumont and Huriot, 1997), but different in that it does not submit itself to the comparisons and checks of internal and external consistency that the scientific process requires (Ruyer 1950).

L’utopie est quasiment toujours urbaine, le microcosme urbain étant le cadre idéal de l’exploration des possibles. La ville est le support privilégié de l’utopie sociale, car elle peut être facilement considérée comme une société en soi, qui concentre toutes les sortes d’activités et d’interactions économiques, sociales, éducatives, culturelles, etc. La proximité y est le support des interactions, la concentration et la diversité y résument la question sociale. En particulier, la ségrégation socio-spatiale y est l’expression la plus visible et la plus aiguë de l’inégalité et de l’injustice.

The utopia is nearly always urban, the urban microcosm being the ideal framework for exploring the possible options. The city is the preferred medium of the social utopia because it can easily be considered as a society per se, which concentrates all sorts of activities and economic, social, educational, cultural, etc. interactions. Proximity is the medium for interactions, while concentration and diversity summarize the social aspect. In the utopia, socio-spatial segregation is the most visible and keenest expression of inequality and injustice.

Par tous ces aspects, l’utopie se distingue du mythe, du fantastique, de la science fiction (Wunenburger, 1979).

All these aspects distinguish the utopia from myth, the fantastic, or science fiction (Wunenburger, 1979).

Le mot utopie est hérité du monde idéal imaginé par Thomas More (1516) qu’il nomme Utopie. En cela il semble jouer sur l’ambiguïté du terme : Utopie, c’est eu-topios, lieu de bonheur, ou bien ou-topios, lieu de nulle part, donc qui n’existe pas. « Utopie n’existe pas mais elle est supposée exister » (Lacroix, 1994, 70). L’utopie repose sur cette attitude : « supposons que ». Nous explorons ici les raisons qui peuvent laisser penser que ce lieu supposé ne peut pas exister.

The word ‘utopia’ is inherited from the ideal world imagined by Thomas More (1516) and which he named Utopia. In doing so, he seems to play on the ambiguity of the term: Utopia is eu-topios, or the place of happiness; or alternatively, ou-topios, nowhere, therefore a place that doesn’t exist. “[tr.] Utopia doesn’t exist but it is assumed to exist” (Lacroix, 1994, 70). Utopia rests on this point of view: “Let’s assume…”. We are exploring here the reasons that may lead us to think that this assumed place cannot exist.

 

 

Une justice sociale plurielle

Social justice in the plural

Les raisons de la non-existence de l’idéal peuvent être trouvées dans le domaine de la justice sociale. L’idée est qu’en général, l’idéal de la société utopique ne peut pas réaliser la justice sociale. En effet, l’utopie est généralement assortie de règles plus ou moins contraignantes et plus ou moins implicites qui font obstacle à la réalisation de l’idéal de justice.

The reasons for the non-existence of the ideal can be found in the field of social justice. The idea is that in general, the utopian society ideal cannot achieve social justice. Utopia is, in fact, generally accompanied by more or less restrictive and more or less implicit rules that block the way to achieving the ideal, justice.

La justice sociale, comme la justice spatiale, qui en est une composante majeure, est jugée ici selon les critères d’égalité ou d’équité, et de liberté. Les utopies, même si elles n’explicitent que rarement une théorie de la justice, prétendent réaliser une société juste où les individus sont libres et où l’égalité (ou l’équité) est garantie.

Social justice, like spatial justice, which is a major component of social justice, is judged here according to criteria of equality or equity and liberty. Although they only rarely spell out a theory on justice, utopias claim that they achieve a just society where individuals are free and where equality (or equity) is guaranteed.

 

 

Égalité

Equality

L’égalité est souvent revendiquée, mais le concept d’égalité reçoit des interprétations très différentes selon les périodes historiques et le contexte géo-politique (Rosanvallon, 2011). La question est double : l’égalité de quoi, l’égalité de qui ? Égalité des conditions sociales, égalité des conditions de travail, égalité des revenus, des chances, des droits, des obligations, des satisfactions, des bien-être ou des niveaux d’utilité ? Quand on se réfère par exemple à l’égalité des revenus, est-ce à travail égal, à compétences égales, ou de façon absolue ? L’égalité selon un critère unique peut s’accompagner de l’absence d’autres formes d’égalité. Le principe d’égalité de la Déclaration des Droits de l’Homme est une égalité devant la loi, une égalité des droits. Elle peut s’accommoder de bien d’autres inégalités.

Equality is often claimed but the concept of equality receives very different interpretations depending on the historical period and geo-political context (Rosanvallon, 2011). This is a dual question: equality of what and equality of whom? Equality of social conditions, equality of work conditions, equality of incomes, opportunities, rights, obligations, satisfaction, well-being or degrees of utility? When, for example, we refer to equality of incomes, is it for equal work, equal skills or in an absolute sense? Equality on the basis of a single criterion may be accompanied by the absence of other forms of equality. The principle of equality in the Declaration of the Rights of Man is equality before the law, an equality of rights. It can tolerate many other inequalities.

L’égalité affirmée au niveau de l’ensemble de la société peut n’être réalisée que dans un sous-groupe de la société. L’égalité chez Platon, comme chez More, était compatible avec une classe d’esclaves. Le principe égalitaire de l’Amérique du XIXe siècle était lui aussi jugé compatible avec l’esclavage, puis avec le racisme et ses conséquences en matière de discrimination et de ségrégation spatiale (Rosanvallon, 2011).

Equality expressed with regard to society as a whole can only be achieved in a sub-group of the society. Plato’s equality, like More’s, was compatible with a slave class. The egalitarian principle in 19th century America was also deemed compatible with slavery, then with racism and the resulting discrimination and spatial segregation (Rosanvallon, 2011).

 

 

Équité

Equity

Quant à l’équité, n’est-elle pas une forme particulière d’égalité, l’égalité des satisfactions, ou des chances, ou des résultats ? En simplifiant à l’extrême, et en s’inspirant d’Aristote, on pourrait considérer que l’équité consiste à appliquer les mêmes règles à des individus aux caractéristiques identiques (équité horizontale) et des règles différentes à des individus différents (équité verticale). Mais ce second principe n’est pas suffisant. L’équité n’est réalisée que si les règles sont modulées de manière à corriger les conséquences inégalitaires des différences de caractéristiques. La politique de redistribution va dans ce sens. Mais l’équité elle aussi est multidimensionnelle et, s’il est possible de savoir si une règle accroît l’équité, il est impossible de déterminer dans quelles conditions l’équité parfaite serait réalisée, parce que l’on ne peut pas définir l’équité parfaite.

With regard to equity, isn’t this a particular form of equality, the equality of satisfaction, or opportunities or outcomes? Simplifying to the extreme and taking inspiration from Aristotle, we could consider that equity consists of applying the same rules to individuals with identical characteristics (horizontal equity) and different rules for different individuals (vertical equity). But the latter principle is not sufficient. Equity is only achieved if the rules are adjusted in such a way that corrects the non-egalitarian consequences of the differences in characteristics. The policy of redistribution goes in this direction. But equity, too, is multi-dimensional and although it is possible to know if a rule increases equity, it is impossible to determine the conditions in which perfect equity would be achieved because it is impossible to define perfect equity.

 

 

Liberté

Liberty 

La liberté est celle des choix et des actes. Elle est également multiple et très difficile à définir précisément. Considérons que la liberté est un ensemble de possibilités effectives. C’est la possibilité pour chacun d’agir et d’interagir de façon à réaliser ce qu’il désire et à assurer l’égalité ou l’équité.

Liberty is liberty of choice and action. It is also multiform and very difficult to accurately define. Let’s consider that liberty is a set of effective options. Everyone has the option to act and to interact to achieve what he wants and to ensure equality or equity.

L’analyse des liens entre utopie, égalité et liberté nous place devant une situation embarrassante. Nous pouvons montrer que l’association des trois concepts est en général impossible. L’utopie égalitaire est susceptible de nier la liberté, voire l’égalité elle-même. L’utopie libre peut limiter la liberté et/ou engendrer l’inégalité et l’inéquité.

The analysis of the links between utopia, equality and liberty places us in an embarrassing situation. We can show that the association of the three concepts is generally impossible. Egalitarian utopia is likely to deny liberty, if not equality itself. Free utopia can limit liberty and/or result in inequality and inequity.

L’utopie affirme la possibilité, voire la volonté d’établir une société idéale, la plupart du temps dans le contexte d’un microcosme urbain. Le possible, qu’il soit purement imaginaire ou destiné à être concrétisé, suppose nécessairement des règles du jeu, consensuelles ou imposées, plus ou moins contraignantes, plus ou moins consenties. La possibilité de l’idéal ne va pas toujours de soi. Les règles du jeu de la ville idéale, même imaginaire, reposent toujours sur des axiomes plus ou moins lourds, plus ou moins réducteurs et le plus souvent implicites. Bien que les utopies résultent généralement d’une construction intellectuelle rationnelle (Ruyer, 1950), la raison y est imparfaite et aucune utopie n’est totalement exempte de faille logique. La défaillance d’un seul axiome suffit à détruire la possibilité de l’idéal recherché. Plus généralement on pourrait partager l’idée que puisque l’utopie propose un autre monde possible, ce monde est nécessairement imparfait (Lacroix, 1994).

Utopia affirms the possibility, indeed, the will, to establish an ideal society, most of the time in the context of an urban microcosm. The possible, whether purely imaginary or intended to be tangible, necessarily assumes that there are playing rules that are consensual or imposed, more or less restrictive, more or less agreed to. The possibility of the ideal does not always go without saying. The ideal, even if imaginary, city’s rules of the game still rest on axioms that are to greater or lesser degrees burdensome, simplistic, and most often implicit. Although utopias are generally the result of a rational intellectual construction (Ruyer, 1950), the reasoning is imperfect and no utopia is completely free of flaws of logic. The failure of a single axiom is enough to destroy the possibility of the sought-after ideal. More generally, it could be suggested that since the utopia proposes another possible world, this world is necessarily imperfect (Lacroix, 1994).

 

 

L’utopie, derrière le masque

Utopia: Behind the mask

Les règles permettant en principe d’obtenir l’idéal se situent à deux niveaux : la conception du cadre de vie et la régulation des comportements par les règles de vie. Mais toute contrainte engendre ses propres limites. Aucun objectif ne peut être réalisé sans un minimum de consentement de la part des individus impliqués. Les règles acceptées sont supposées suffisantes pour réaliser l’idéal (hypothèse de l’institutionnalisme transcendantal). Les conséquences de ces règles sont paradoxales : la réduction de l’égalité à l’uniformité limite la liberté et peut engendrer l’inégalité.

The rules making it possible in principle to achieve the ideal are found on two levels: the conception of the framework for living, and the regulation of behaviours by the rules for living. But all constraints engender their own limits. No objective can be achieved without a minimum of agreement on the part of the individuals involved. The agreed-upon rules are assumed to be sufficient to achieve the ideal (hypothesis of transcendental institutionalism). The consequences of these rules are paradoxical: equality is reduced to uniformity; this limits liberty and can produce inequality.

 

 

Le déterminisme du cadre de vie

Determinism of the life framework

De l’Antiquité à nos jours, la plupart des utopies se situent dans un cadre urbain rigoureusement organisé et planifié, depuis la forme urbaine jusqu’aux moindres détails de l’habitat, voire des meubles, le plus souvent dans une désespérante uniformité, malgré les nuances introduites sur ce point par Paquot (2005).

From Antiquity to the present, most utopias are located in a rigorously organized and planned urban framework – from the urban form to the smallest details of the housing, even the furniture – more often than not in an appalling uniformity despite the nuances Paquot (2005) introduces on this point.

 

 

Les architectes utopistes

Utopian architects                                                                                                      

La conception d’un cadre de vie rigoureusement et géométriquement organisé est d’abord le fait des architectes utopistes. L’organisation spatiale et architecturale est fortement chargée de symbolisme religieux, cosmique, mais ses fonctions d’efficacité, de hiérarchie et de contrôle prennent rapidement le dessus. Le plan en quadrillage régulier d’Hippodamos de Milet (il y a deux millénaires et demi), repris en particulier par Thomas More dans la ville d’Amaurote, capitale d’Utopie (1516), pourrait être relié au symbolisme cosmique du chiffre quatre et des points cardinaux. Mais c’est aussi l’harmonie éternelle du cosmos qui, reflétée dans l’harmonie géométrique de l’espace, est sensée déterminer l’harmonie d’une structure sociale rigide (Servier, 1991). Autre forme simple très répandue dans les utopies, le cercle, à la base de l’organisation concentrique. Symbole d’absolu, de perfection et d’harmonie cosmique, de permanence du cours des astres, le cercle porte aussi en lui la compacité et l’efficacité de la structure concentrique, par essence polarisé sur un centre. La forme concentrique incorpore ainsi l’idée de hiérarchie, de domination. Au XVIIIe siècle, l’architecte visionnaire Claude-Nicolas Ledoux (1804) conçoit la ville de Chaux selon ce principe concentrique-hiérarchique. Chaux est une « ville-usine » organisée pour l’exploitation de salines[1]. Le centre de la ville circulaire est occupé par la maison du patron, qui, de là, optimise sa surveillance des ouvriers dans les ateliers répartis tout autour sur un cercle, à la manière du contrôle absolu des faits et gestes dans le Panoptique de Bentham.

The conception of a rigorously and geometrically organized framework for living is the act of utopian architects. Spatial and architectural organization is highly charged with religious and cosmic symbolism but its efficiency, hierarchy and control functions quickly take the upper hand. The regular grid planned for Miletos by Hippodamos (two and one-half millennia ago), taken up again by Thomas More in particular in the city of Amaurote, the capital of Utopia (1516), could be related to the cosmic symbolism of the figure 4 and the cardinal points. But it is also the eternal harmony of the cosmos which, reflected in the geometric harmony of the space, is supposed to determine the harmony of a rigid social structure (Servier, 1991). Another simple form that his widely used in utopias is the circle, the basis of concentric organization. Symbol of the absolute, of perfection and cosmic harmony, and the eternal course of the stars, the circle also brings the compactness and efficiency of the concentric structure, in essence focussed on a centre. The concentric form thus incorporates the idea of hierarchy and domination. In the 18th century, visionary architect Claude-Nicolas Ledoux (1804) designed the city of Chaux based on this concentric-hierarchical principle. Chaux is a “factory-city” organized for the operation of salt works[1]. The boss’ house stands in the centre of the circular city, giving the boss an optimal view for overseeing the workers in the workshops distributed all around a circle, like the absolute monitoring of actions and gestures in Bentham’s Panopticon.

La géométrie et l’ordre spatial se retrouvent au cœur du projet et de la ville rêvée et réalisée par Haussmann avec l’appui du saint-simonien Napoléon III. A Paris, l’ordre spatial prend la place du désordre hérité du Moyen Age. Les rues tortueuses et malsaines laissent la place à la géométrie des lignes droites et des angles droits et à une architecture uniforme.

Geometry and spatial order are at the core of the plan and city that Haussmann dreamt of and realized with the support of the Saint-Simonian Napoleon III. In Paris, spatial order took the place of the disorder inherited from the Middle Ages. The crooked, unhealthy streets gave way to the geometry of straight lies, right angles and uniform architecture.

C’est encore les mathématiques et la géométrie simple qui règlent la conception hygiéniste et fonctionnaliste de l’espace urbain de Le Corbusier (1925) et des tenants de la Charte d’Athènes. Les tours et barres y sont conçues comme des machines à habiter. L’homme est la somme des fonctions travail, distraction, habitation, déplacement. La géométrie et le progrès technique façonnent la ville pour assurer ces fonctions.

Mathematics and simple geometry are again what governed Le Corbusier’s (1925) hygenics-based, functionalist conception of urban space and the tenets of the Charter of Athens.    Towers and bars are designed as machines to be inhabited. Man is the sum of the functions work, recreation, housing, and movement. Geometry and technical advancement shape the city to these functions.

Dans ces quelques exemples comme dans bien d’autres cas, la forme de la ville est au service de l’harmonie sociale et du bonheur de tous. L’ordre spatial est supposé déterminer l’ordre social, l’harmonie et le bonheur. « L’architecture utopique […] projette dans l’espace ce que l’utopiste voulait faire entrer dans les mœurs. » (Wunenburger, 1979, 141).

In these few examples as in many other cases, the city’s form is at the service of social harmony and everyone’s happiness. Spatial order is assumed to determine social order, harmony and happiness. “[tr.] Utopian architecture…is the spatial projection of what the utopian would put into practice.” (Wunenburger, 1979, 141).

 

 

Les utopies sociales

Social utopias

Ce déterminisme n’est pas limité aux utopies d’architectes. « Tout utopiste se fait en même temps urbaniste » (Wunenburger, 1979, 140). La plupart des utopies sociales considèrent comme primordiale l’organisation spatiale. Que ce soit chez Platon, dans les utopies de la renaissance (notamment l’Utopie de More, la Cité du soleil de Campanella), dans celles du XIXe siècle (chez Owen, Fourier, Considérant, Godin, Cabet, etc.) ou dans les villes rêvées du XXe siècle, le cadre de vie est pensé de manière à déterminer le bonheur individuel et l’harmonie sociale. Le souci du déterminisme du cadre de vie va parfois bien plus loin que le plan urbain. L’habitat lui-même est l’objet d’une planification tatillonne : maisons identiques, voire meubles identiques (Cabet, 1842).

This determinism is not limited to architects’ utopias. “[tr.] All utopians become city planners at the same time.” (Wunenburger, 1979, 140). Most social utopias deem spatial organization of primordial importance. Whether Plato, Renaissance utopias (notably More’s Utopia and Campanella’s City of the Sun), 19th century utopias (Owen, Fourier, Considérant, Godin, Cabet, etc.) or the ideal cities of the 20th century, the framework for living is thought out so as to determine individual happiness and social harmony. Determinism’s concern about the framework for living occasionally goes well beyond the urban plan. Housing itself is subject to nit-picky planning: identical houses, not to mention identical furniture (Cabet, 1842).

A cette stricte organisation interne s’ajoute l’idée de fermeture. « La perfection utopique est pensée dans l’achèvement, la totalité, l’harmonie et […] cela exige la limite et la fermeture. » (Lacroix, 1994, 130). Dans l’Antiquité et à la Renaissance, la ville idéale est entourée de murs et/ou isolée du reste du monde par des barrières naturelles. Utopie est une île, comme la Nouvelle Atlantide de Bacon (1626). Campanella entoure sa Cité du Soleil (1623) de sept enceintes fortifiées.

Added to this strict internal organization is the idea of closure. “[tr.]Utopian perfection is thought of as completion, totality, harmony and… this requires a boundary and closure.”  (Lacroix, 1994, 130). In Antiquity and through the Renaissance, the ideal city is surrounded by walls and/or isolated from the rest of the world by natural barriers. Utopia is an island, like Bacon’s New Atlantis (1626). Campanella surrounds his City of the Sun (1623) with seven fortified walls.

La fermeture prend également la forme d’une limitation démographique. La ville idéale comprend 5 040 citoyens chez Platon ; 6 000 familles (comprenant chacune 10 à 13 adultes) peuplent chacune des 54 villes de l’Utopie de More ; 1 500 à 1 600 personnes forment le phalanstère de Fourier ; chaque unité de la Ville Radieuse de Le Corbusier abrite 2 700 résidents.

Closure also takes the form of demographic limitation. Plato’s ideal city has 5,040 citizens; 6,000 families (each including 10 to 13 adults) populate each of More’s 54 Utopian cities; 1,500 to 1,600 individuals form Fournier’s phalanstery; each unit of LeCorbusier’s Ville Radieuse houses 2,700 residents.

Plus tard, la fermeture idéologique ou politique supplantera la fermeture matérielle, sans toutefois que celle-ci disparaisse totalement. « C’est la clôture qui permet le système. » (Barthes, 2002, 714).

Later, ideological or political closure will supplant material closure, although this will not disappear altogether. “[tr.] Closure is what enables the system.” (Barthes, 2002, 714).

Ainsi, les espaces utopiques se caractérisent en général par un ordre géométrique simple, une plus ou moins stricte uniformité et, au moins jusqu’à la Renaissance, un isolement marqué par des limites physiques.

Thus, utopian spaces are generally characterized by a simple geometric order, more or less strict uniformity and at least until the Renaissance, isolation marked by physical boundaries.

« L’homme social ne se définit pas seulement par l’habitat » (Lefebvre, 1961, 196). Sans doute le déterminisme de l’urbanisme est-il jugé insuffisant par l’utopiste. Il y ajoute alors un ensemble de règles de comportement très détaillées.

“Social man does not define himself solely by his housing” (Lefebvre, 1961, 196). The determinism of urbanism is undoubtedly deemed inadequate by the utopian. So, he adds a set of very detailed rules for behaviour.

 

 

Une vie réglée

A controlled life

A un cadre de vie géométrique et uniforme correspondent des règles de vie simplistes et indifférenciées. L’uniformité des règles de vie suppose un « homme standardisé » (Baumont et Huriot, 1997), un « individu utopiquement correct ». Chacun se comporte honnêtement, pratique la vertu et l’altruisme. Les conflits n’existent pas, car l’harmonie naturelle règne. Tout le monde a les mêmes désirs et les seules différences admises entre individus sont celles qui permettent une harmonieuse complémentarité et une entraide spontanée. L’emploi du temps de la journée est parfois réglé de façon très précise. Le travail, quel qu’il soit, s’effectue dans la joie et la bonne humeur. Le temps de travail est réduit – six heures par jour dans l’Utopie de More, quatre heures dans la Cité du Soleil de Campanella – mais son efficacité crée l’abondance. Tous les détails de la vie courante sont réglés en vue de la réalisation de l’idéal. Même lorsque subsiste une propriété privée, le partage est la règle et la communauté remplace souvent la famille dans nombre de ses fonctions, comme chez Fourier. Les comportements individuels et la vie sociale sont imaginés avec une grande naïveté. Les habitants des villes idéales sont des « automates » (Cioran, 1960). La société est basée « sur le refus des valeurs individuelles, sur un idéal de vie médiocre et de vie spirituelle limitée aux dimensions d’une bibliothèque d’école primaire. » (Servier, 1993, 9).

Simplistic, undifferentiated rules for living go along with a geometric, uniform framework for living. The uniformity of the rules for living assumes that there is a “standardized man” (Baumont and Huriot, 1997), a “utopically correct individual”. Each behaves honestly, virtuously and altruistically. Conflicts are nonexistent because natural harmony rules. Everyone has the same desires and the only differences allowed between individuals are those allowing harmonious complementarity and spontaneous mutual support. Use of time during the day is occasionally very specifically controlled. Work, whatever it may be, is performed joyfully and with good humour. The workday is short – 6 hours per day in More’s Utopia, 4 hours per day in Campanella’s City of the Sun – but efficiency creates abundance. All the details of routine life are controlled with a view to achieving the ideal. Even where private property continues to exist, sharing is the rule and the community often replaces the family in a number of its functions, as with Fourier. Individual behaviours and community life are imagined with great naiveté. The inhabitants of the ideal cities are “robots” (Cioran, 1960). Society is based on “[tr.] the rejection of individual values, on a mediocre ideal of life and a spiritual life limited to the size of an elementary school library.” (Servier, 1993, 9).

 

 

L’indispensable consentement

Consent is indispensable

« Pour qu’il soit possible de transformer le monde, il faut qu’un grand nombre de personnes croient que cela est possible. » (Loty, 2011).

“For it to be possible to change the world, a great many individuals must believe that it is possible.” (Loty, 2011).

L’utopie sociale repose sur des règles de vie simples, voire simplistes. Elle suppose que la cité parfaite est habitée par des individus parfaits, naturellement adaptés aux règles édictées. Tout le monde est sensé suivre ces règles sans contester. Mais aucune utopie ne pose la question du consentement. Or ce consentement est d’autant moins acquis que la diversité des individus réels s’oppose à l’uniformité humaine de la plupart des utopies.

Social utopia rests on rules for living that are simple, even simplistic. Social utopia assumes that the perfect city is inhabited by perfect individuals who are naturally suited to the prescribed rules. Everyone is supposed to follow these rules without protest. But no utopia asks the question about consent. Now, if we take as a given that the diversity of actual individuals is the opposite of the human uniformity of most utopias, we can take this consent as even more of a given.

Soulever la question nous amène à distinguer trois cas.

Raising the question brings us to identifying three cases.

(i) Les individus amenés à vivre dans la ville idéale sont eux-mêmes idéalement constitués, utopiquement corrects, de sorte qu’ils acceptent comme naturel ce que les observateurs extérieurs considèrent comme des contraintes. Les habitants de la ville idéale partagent naturellement et sincèrement les objectifs et principes qui leur sont proposés. En d’autres termes, ils sont exactement comme l’utopiste suppose qu’ils doivent être pour que l’utopie fonctionne.

(i) The individuals motivated to live in the ideal city are themselves ideally constituted, utopically correct, such that they accept as natural what outside observers consider as constraints. The inhabitants of the ideal city naturally and sincerely share the objectives and principles proposed to them. In other words, they are exactly as the utopist assumes they must be for the utopia to function.

Ce cas est imaginaire, mais non possible, notamment à cause de la diversité humaine, de la variété des préférences, de la divergence des intérêts individuels qui engendre la concurrence et les conflits. « Il n’y a pas d’harmonie sociale unique entre les intérêts contradictoires des membres de la société. »  (Sen, 2010, 248). C’est pourtant ce qui est à la fois supposé et non justifié dans la plupart des utopies, c’est l’axiome clé de la ville idéale.

This case can be imagined but is not possible, particularly due to human diversity, the variety of preferences, and diverging individual interests which give rise to competition and conflicts. “[tr.]There is no single social harmony between conflicting interests of the members of the society.” (Sen, 2010, 248). However, it is that which is both assumed and not justified in most utopias; it is the key axiom of the ideal city.

(ii) Les caractères, les préférences, les capacités physiques et intellectuelles des utopiens ne sont pas aussi uniformes et utopiquement corrects que le voudraient les utopistes. Les utopiens peuvent néanmoins accepter les contraintes qui leur sont imposées s’ils trouvent dans la vie utopienne des avantages suffisants pour compenser ces contraintes. Ce n’est rien d’autre qu’un choix individuel libre déterminé par un arbitrage entre avantages et inconvénients. Les avantages compensateurs peuvent être immédiats, en termes de confort matériel et psychologique : aspect rassurant d’une société harmonieuse, prise en charge des fonctions familiales par la collectivité, vie simple et frugale, abandon du libre arbitre au profit de la société qui veille à la satisfaction des besoins, facilité du conformisme matériel et intellectuel…

(ii) The personalities, preferences, physical and intellectual abilities of utopians are not so uniform and utopically correct as the utopists would like. The utopians can nonetheless accept the constraints imposed on them if they find sufficient benefits in the utopian life to compensate for these constraints. This is nothing more than an individual free choice determined by weighing the advantages and disadvantages. The compensating advantages may be immediate in terms of material and psychological comfort: the reassuring aspect of a harmonious society; family functions taken over by the community; a simple, frugal life; abandonment of free will to the benefit of the society which sees to satisfying needs; the ease of material and intellectual conformity, etc.

Dans ce cas, l’utopie est possible tant que les avantages sont perçus comme plus importants que les contraintes. A ce propos, la littérature utopique pose habilement comme allant de soi la réalisation de l’abondance matérielle et la possibilité de satisfaire tous ses besoins. C’est un élément clé de la perfection utopique, et c’est implicitement un avantage suffisant à l’obtention du consentement.

In this case, utopia is possible to the extent that the advantages are perceived as more significant than the constraints. In this regard, utopian literature deftly sets out as self-evident the production of material abundance and the ability to meet all one’s need. This is a key component of utopian perfection and is implicitly enough of an advantage for obtaining consent.

(iii) Les habitants de la ville idéale ne sont pas utopiquement corrects, mais leur arbitrage entre avantages et inconvénients n’est plus libre. Il est conditionné par la persuasion ou la contrainte plus ou moins violente.

(iii) the inhabitants of the ideal city are not utopically correct but their weighing of the advantages and disadvantages is not free; it is conditioned by persuasion or constraint that is more or less violent.

C’est d’abord la propagande orchestrée par les concepteurs ou dirigeants de la société utopique qui biaise les choix et influence le consentement. La rhétorique est bien rodée. Elle passe par l’apologie de la société utopique et/ou le dénigrement de toute autre forme de société, par la promesse d’un avenir radieux, souvent par le mensonge et la mauvaise foi. Dans sa forme moderne, cette propagande passe par le contrôle des médias. La volonté de persuader a un corollaire : la fermeture imaginée ou réalisée, l’isolement de toute contre-propagande extérieure, l’obstacle qui rend impossible toute comparaison. Murailles, murs, frontières infranchissables. C’est ensuite le contrôle des comportements eux-mêmes par des moyens plus ou moins violents, puis la répression et la propagation de la peur. L’utopie dérive alors vers le totalitarisme et ses excès. L’utopie dure tant que la peur domine. Chacun se plie aux règles, se tait ou compose avec le système, voire collabore pour en tirer quelques avantages. L’utopie dure tant qu’il n’y a pas de prise de conscience collective de l’inacceptable, inspirant révolte ou révolution.

First of all, the propaganda that is orchestrated by the designers or leaders of the utopian society is what biases choices and affects consent. The rhetoric is well honed. It moves from an apologetic in support of the utopian society and/or the disparagement of all other forms of society, to promises of a glowing future, often by means of falsehoods and bad faith.  In its modern form, this propaganda goes through media checks. The desire to persuade has a corollary: imagined or genuine closure, and isolation from all external counter-propaganda, the barrier making all comparison impossible. Impassable walls, barriers and borders. Then it’s the control of behaviours themselves through more or less violent means, then repression and fear-mongering. The utopia then veers toward totalitarianism and its excesses. The utopia lasts for as long as fear dominates. Each individual submits to the rules, is quiet or accommodates – perhaps even collaborates with – the system to derive some advantages. The utopia lasts for as long as there is not a collective awareness of the unacceptable, inspiring revolt or revolution.

Paradoxalement, beaucoup d’utopies mêlent l’axiome de l’individu utopiquement correct avec l’isolement et le contrôle plus ou moins strict des comportements. Nous avons souligné plus haut la fermeture de nombre d’utopies de la Renaissance. Le contrôle n’est pas moins présent. More interdit les lieux de vice et de loisir (comme Cabet au XIXe siècle, 1842) ; dans son Utopie, chacun est sous la surveillance de tous : la pression sociale protège contre toute déviance. Fourier (1829) décrit une société quasi-libertaire et hédoniste ; il prône une vie communautaire où l’harmonie sociale découle tout naturellement de l’harmonie des passions, chacun étant apparemment libre de choisir son métier et de suivre ses passions, supposées honnêtes, vertueuses et altruistes. Cependant, Fourier (1849, 1953) et Considérant (1848) décrivent une « tour d’ordre », centre de contrôle absolu du phalanstère. « Au point central du palais se dresse et domine la Tour d’Ordre. C’est là que sont réunis l’observatoire, le carillon, le télégraphe, l’horloge, les pigeons de correspondance, la vigie de nuit ; c’est là que flotte au vent le drapeau de la phalange. – La Tour d’Ordre est le centre de direction et de mouvement des opérations industrielles du canton ; elle commande les manœuvres avec ses pavillons, ses signaux, ses lunettes et ses porte-voix, comme un général d’armée placé sur un haut mamelon. » (Considérant, 1848, 65).

Paradoxically, many utopias muddle the axiom of the utopically correct individual with isolation and the more or less rigid control of behaviours. Above, we emphasized the closure of many of the Renaissance utopias. Control is no less present. More prohibited places of vice and recreation (like Cabet in the 19th century, 1842); in his Utopia, everyone is under everyone’s surveillance; social pressure protects against all deviation. Fourier (1829) described a quasi-libertarian and hedonistic society; he advocated a community life where social harmony quite naturally stemmed from the harmony of the passions, everyone seemingly free to choose his trade and follow his passions, which were assumed to be honest, virtuous and altruistic. However, Fourier (1849, 1953) and Considérant (1848) described a “tower of order”, the absolute control centre of the phalanstery. “[tr.] The Tower of Order rises from and dominates the central point of the palace. This is where the observatory, the carillon, telegraph, clock, carrier pigeons, and the night watchman are gathered; this is where the phalanx flag flutters. –The tower of Order is the centre of leadership and movement of the commune’s industrial operations; it orders the manoeuvres with its wings, signals, lunettes and megaphones, like an army general placed on a high knoll” (Considérant, 1848, 65).

On sait bien de quelles fermetures et propagandes, de quels contrôles et répressions s’accompagnent nombre d’utopies sociales réalisées. Les totalitarismes du XXe siècle illustrent clairement ce paradoxe de l’utopie.

We are well aware of the forms of closure and propaganda, controls and repression that accompany many of the social utopias that have been realized. The totalitarian regimes of the 20th century clearly illustrate this utopian paradox.

 

 

Le parti-pris de l’institutionnalisme transcendantal

The bias of transcendental institutionalism

Un autre axiome coiffe le tout : celui du déterminisme des règles. L’utopiste énonce des règles d’urbanisme et des règles de comportement qui, ensemble, sont supposées suffisantes pour produire la société urbaine idéale. En d’autres termes, cet axiome est une extension de l’« institutionnalisme transcendantal » dénoncé par Sen (2010), sous la condition que par « institutions » nous entendions non seulement les règles de vie – les règles du jeu de North (1990) – mais  également la conception du cadre de vie, qui produit la dimension spatiale des règles de vie. Sen montre à juste titre que l’institutionnalisme transcendantal n’est ni nécessaire ni suffisant à l’émergence d’une société juste – nous dirons ici idéale. Les utopistes « exagèrent beaucoup la vertu propre des institutions », en les considérant naïvement comme des causes plutôt que comme des conséquences (Ruyer, 1950, 77). Ils cherchent à façonner l’homme par les institutions au lieu de laisser l’homme façonner les institutions.

Another axiom trumps everything: the determinism of the rules. The utopist decrees the rules for both town planning and behaviour, which together are supposed to be sufficient to produce the ideal urban society. In other words, this axiom is an extension of the “institutional transcendentalism” condemned by Sen (2010), under the condition that by “institutions” we mean not only the rules for living – North’s (1990) rules of the game – but also the conception of the framework for living, which produces the spatial dimension of the rules for living. Sen rightly shows that transcendental institutionalism is neither necessary nor sufficient for the emergence of a just – we’ll say “ideal” – society here. The utopists “[tr.] greatly exaggerate the virtue specific to the institutions”, naively considering them as causes rather than consequences (Ruyer, 1950, 77). They seek to shape man through the institutions instead of letting man shape the institutions.

Dans ce contexte émerge un nouvel axiome, celui du caractère indiscutable de l’idéal proposé. La ville idéale est par nature la meilleure organisation possible, elle est ce qu’il y a de mieux pour chaque individu aussi bien que pour la société. Il est donc supposé que son organisation ne peut être ni améliorée, ni discutée, puisqu’elle est la meilleure possible. La contestation est supposée impossible par nature. « Aucune utopie, même parmi celles qui se réclament le plus de la fantaisie, n’imagine un “temple de la libre contradiction”, une école ouverte à tous où toutes les philosophies pourraient être exposées librement. » (Servier, 1991, 210) C’est là la version politique de la fermeture utopienne. Deux conséquences en découlent.

A new axiom emerges in this context: that of the unquestionable nature of the proposed ideal. The ideal city is by nature the best possible organization, it is what is best for each individual as well as for society. It is therefore assumed that its organization cannot be improved or questioned because it is the best possible.  Dispute is assumed to be impossible by nature. “[tr.] No utopia, even among those invoking/describing themselves as most imaginative, do not imagine a “temple of free contradiction”, a school open to everyone where all philosophies might be freely expounded.” (Servier, 1991, 210) That is the political version of utopian closure and it produces two consequences.

(i) Puisque la société utopique est l’idéal absolu, elle ne peut être que définitive : l’utopie refuse tout changement, parce que tout changement est inconcevable, parce qu’il n’existe pas d’autre organisation possible. La ville utopique est à jamais fixée et immuable, hors du temps.

(i) Since the utopian society is the absolute ideal, it can only be definitive. The utopia rejects all change because any change is inconceivable, because no other possible organization exists. The utopian city is set forever, immutable and timeless.

(ii) Puisqu’aucune discussion interne n’est envisageable, la possibilité de la ville idéale suppose nécessairement le consentement de tous ses habitants. Même une utopie libertaire, comme celle de Kropotkine (1905, voir Antony, 1995, mise à jour 2011), proche des idées du géographe anarchiste Elisée Reclus, qui limite au maximum toute contrainte (pas d’Etat, pas d’institutions), fonde une société de totale autogestion sur des individus enclins à la coopération et à l’entraide, et nécessite une adhésion totale.

(ii) Because no internal discussion is conceivable, the possibility of the ideal city necessarily assumes the consent of all its inhabitants. Even a libertarian utopia like Kropotkine’s (1905, see Antony, 1995, updated 2011), close to the ideas of the anarchist geographer, Elysée Reclus, who places maximum restriction all constraints (no State, no institutions), bases a totally self-managing society on individuals inclined to cooperation and mutual assistance and requires total compliance.

 

 

Uniformité, liberté et égalité

Uniformity, liberty and equality

Les règles utopiques aboutissent très souvent à uniformiser le cadre de vie et les comportements des individus, et reviennent à supposer un individu formaté, standardisé, utopiquement correct. Que ce soit consenti ou pas, la conséquence immédiate est une entrave à la liberté. L’uniformité institutionnelle est contraire à la diversité humaine. « La diversité des modes de vie et des régimes est un signe de liberté humaine » (Gray, cité par Sen, 2010, 37, note). L’uniformité limite incontestablement la liberté d’affirmer sa différence, sa singularité (son « individualisme de singularité », selon Rosanvallon, 2011), entrave la liberté de choisir le cadre de sa vie et sa manière de vivre. La liberté, c’est non seulement la possibilité de faire ce qu’on désire faire, ce qu’on valorise, mais c’est aussi la liberté de choisir de le faire, que Sen appelle « liberté procédurale » (2010). Deux cas se présentent alors :

The utopian rules very often lead to standardizing the framework for living and individual behaviours, and amount to the assumption that individuals are formatted, standardized and utopically correct. Whether consented to or not, the immediate consequence is an infringement on liberty. Institutional uniformity is contrary to human diversity. “[tr.] The diversity of life styles and systems is a sign of human liberty” (Gray, cited by Sen, 2010, 37, note). Uniformity unquestionably limits the liberty to affirm one’s differentness, one’s uniqueness (one’s “individualism of uniqueness”, according to Rosanvallon, 2011), infringes on liberty to choose one’s framework for living and lifestyle. Liberty is not only the ability to do what one wants to do or values, but also the freedom to choose to do it, which Sen calls “procedural liberty” (2010). Two circumstances arise then:

(i) l’individu est utopiquement correct. Il désire exactement ce qu’on lui impose, ou bien en renversant la logique, il est forcé de faire ce qu’il désire faire : alors il a la liberté d’accomplir ce qu’il veut, mais pas la liberté procédurale. L’habitant d’Icarie de Cabet peut aimer les meubles de son appartement, mais il ne peut les choisir et il ne peut pas non plus en changer en changeant de logement puisque ce sont les mêmes partout. Le phalanstérien peut approuver l’organisation communautaire, mais cela ne résulte pas de son choix puisque cela lui est imposé.

(i) The individual is utopically correct. He desires exactly what is imposed on him or, reversing the logic, he is forced to do that which he wants to do: so he has the liberty to carry out what he wants to, but not procedural liberty. The inhabitant of Cabet’s Icaria may like the furnishings of his apartment but he cannot choose them and neither can he change them by moving as they are the same everywhere. The Phalansterian may approve of how the community is organized but this is not the result of his choice because it is imposed on him.

(ii) l’individu n’est pas utopiquement correct. Ses idées, convictions, goûts, désirs ne correspondent pas aux règles uniformes qu’on lui impose. Qu’il ait consenti ou non aux règles de l’utopie, sa liberté est entravée dans ses deux dimensions, puisqu’il ne peut faire ce qu’il désire faire. S’il est consentant, cela signifie qu’il a choisi de limiter sa liberté, au profit d’autres avantages réels ou illusoires. On peut penser que dans ce cas, plus grande est l’uniformité, plus grand est le nombre d’individus qui perdent leur liberté.

(ii) The individual is not utopically correct. His ideas, convictions, tastes and desires do not match the uniform rules imposed on him. Whether or not he has consented to the utopia’s rules, these two aspects of his liberty are infringed upon, as he cannot do what he wants to do. If he is consenting, this means that he has chosen to limit his liberty in favour of other genuine or illusory advantages. It’s possible to assume that in this case, the greater the uniformity, the greater the number of individuals who lose their liberty.

Compte tenu de la diversité humaine, la liberté de chacun sera plus ou moins gravement atteinte selon la proximité de ses aspirations avec ce que lui propose l’utopie.

Taking human diversity into account, each person’s liberty will be more or less seriously affected depending on how close his aspirations are to that which the utopia proposes.

L’uniformité est par là même un facteur d’inégalité, puisqu’elle rend certains individus plus libres que d’autres.

In that sense, uniformity is a factor of inequality as it makes some individuals freer than others.

Plus généralement, le principe d’égalité, qui entrave la liberté en imposant l’uniformité peut aussi avoir des conséquences inégalitaires (Pollman, 2009). « La loi dans sa majestueuse égalité interdit à tous, aux riches comme aux pauvres, de dormir sous les ponts, de coucher dans la rue et de voler du pain », écrit Anatole France (cité par Pollman, 2009, 26). Pour revenir à notre propos initial sur l’équité, le traitement égal d’individus inégaux est inéquitable et injuste. Selon Marx, le principe d’égalité du droit est injuste car il reproduit les inégalités de fait. De plus, le principe d’égalité aide aussi à les légitimer en rendant l’individu responsable de sa situation : « en posant le principe de l’égalité entre les individus, en particulier sous la forme de l’égalité des chances, les sociétés démocratiques individualisent l’inégalité ; si le jeu est ouvert et que tout le monde peut concourir et être classé selon son mérite, l’échec est imputable à l’individu lui-même. » (Castel, cité par Pollman, 2009, 31).

More generally, the principle of equality, which infringes on liberty by imposing uniformity, can also have inegalitarian consequences (Pollman, 2009). “[tr.] The law, in its majestic equality, forbids everyone, rich and poor alike, to sleep under bridges, have sex in the streets and steal bread” wrote Anatole France (cited by Pollman, 2009, 26). To return to our initial remark on equity, the equal treatment of unequal individuals in inequitable and unjust. According to Marx, the principle of equality of the law is unjust because it reproduces the inequalities of fact. Moreover, the principle of equality also helps to legitimize them by making the individual responsible for his situation: “[tr.] By setting down the principle of equality among individuals, particularly in the form of equality of opportunities, democratic societies individualize inequality; if the game is open and everyone can compete and be classified according to merit, failure is attributable to the individual himself.” (Castel, cited by Pollman, 2009, 31).

Notons que l’égalité des chances est parfois assimilée à la concurrence parfaite que nous analysons de façon approfondie dans la section suivante. Elle constitue en effet la clé de la doctrine libérale que nous considérons comme une utopie à part entière.

We note that inequality of opportunities is occasionally put in the same category as perfect competition, which we will analyze in depth in the following section. It is, in effect, the key to the liberal doctrine that we consider a utopia in its own right.

 

 

Les leurres du libéralisme

Liberalism’s lures

Le libéralisme, même s’il n’est généralement ni conçu ni admis comme tel, peut être interprété comme une utopie. Il en a la plupart des caractères et il est parfois dénoncé sous ce nom, par exemple par Bourdieu (1998) : « Le monde économique est-il vraiment, comme le veut le discours dominant, un ordre pur et parfait, déroulant implacablement la logique de ses conséquences prévisibles […]. Et s’il n’était, en réalité que la mise en pratique d’une utopie, le néolibéralisme, ainsi convertie en programme politique, mais une utopie qui, avec l’aide de la théorie économique dont elle se réclame, parvient à se penser comme la description scientifique du réel ? » (Bourdieu, 1998, version de 2010, 11).

Even if liberalism is not generally conceived as, or admitted to be, a utopia, it can be interpreted as such. It has most of the features and is occasionally denounced under this name, by Bourdieu for example (1998): “[tr.] Is the economic world really, as prevalent discourse would have it, a pure and perfect order, with the logic of its predictable consequences implacably unwinding…And what if neoliberalism weren’t in reality but the implementation of a utopia, converted into a political program, but a utopia which, with the help of the economic theory whose name it invokes, succeeds in thinking of itself as the scientific description of reality?” (Bourdieu, 1998, 2010 version, 11).

Le libéralisme partage avec l’utopie nombre de caractéristiques.

Liberalism shares a number of traits with utopia.

Dans sa justification théorique, il combine habilement l’imaginaire et le rationnel, il énonce d’incontournables et réducteurs axiomes de comportement aboutissant à l’idée d’un homme standardisé. La ville y est pensée sous des formes géométriques simples (Baumont et Huriot, 1997, Huriot et Bourdeau-Lepage, 2009) et les citadins n’ont d’autre choix que de se soumettre au jeu combiné des marchés fonciers et immobiliers et d’appliquer la règle simple du plus offrant.

In its theoretical justification, it skilfully combines the imaginary and the rational, it formulates simplistic axioms on behaviour that cannot be ignored, that result in the idea of a standardized man. The city is thought of in simple geometric shapes (Baumont and Huriot, 1997, Huriot and Bourdeau-Lepage, 2009) and those who live there have no choice but to give in to the game of the real estate markets and apply the simple rule of going with the highest bidder.

Dans la concrétisation du libéralisme, on retrouve d’autres caractères utopiques, notamment la domination du principe simple du marché libre et la volonté à peine dissimulée de persuader que le système est le meilleur qui soit, voire le seul possible, surtout quand il montre ses faiblesses.

In the materialization of liberalism, we find more utopian features, specifically the preponderance of the simple principle of the free market and the barely concealed wish to convince that the system is the best, even the only one possible, especially when it shows its weaknesses.

L’utopie libérale est certainement celle qui a le plus efficacement résisté à l’épreuve du temps, aussi bien dans la pensée que dans la pratique. L’utopie libérale s’est concrétisée sous différentes formes plus ou moins pures (ou plus ou moins réglementées). Le libéralisme pur, en principe, exclut toute réglementation et minimise le rôle de l’État. Il revendique la justification d’une pensée qui s’est construite surtout à partir du XVIIIe siècle, et qui a abouti à la théorie du marché parfait, où la liberté absolue des marchés produirait la meilleure situation possible.

The liberal utopia is certainly the one that has most effectively stood the test of time, in thought and practice alike; it has materialized in various more or less pure (or more or less regulated) forms. Pure liberalism, in principle, rejects all regulation and minimizes the role of the State. It supports an idea that was developed primarily starting in the 18th century and which led to the perfect market theory, where the markets’ absolute freedom would produce the best possible situation.

Comme doctrine économique à prétention scientifique, comme système économique et social concret, le libéralisme, vieux de deux siècles et demi, se présente lui aussi sous le masque d’une perfection qui cache sa véritable nature. S’il est pensé comme parfaitement égalitaire et libre, il se heurte à des incohérences qui limitent la liberté qu’il revendique. S’il est appliqué, il est nécessairement inégalitaire.

As an economic doctrine with scientific pretences, as a concrete economic and social system, liberalism – 250 years old – also presents itself behind a mask of perfection that hides its true nature. If liberalism is thought of as perfectly egalitarian and free, it runs into inconsistencies that limit the liberty it lays claim to. If it is applied, it is necessarily inegalitarian.

 

 

Les origines du libéralisme détournées

The roundabout origins of liberalism

Il est toujours problématique de fixer l’origine historique d’une pensée. Nous la situons au moment où cette pensée s’est installée et répandue en Europe. Le point de départ symbolique est certainement la fameuse Fable des abeilles de Mandeville (1714) qui montre que les vices privés (l’égoïsme de la recherche de l’intérêt individuel) produisent la vertu publique (l’harmonie et la richesse de tous). La fable est à replacer dans le contexte de la philosophie de l’ordre naturel, très en vogue à l’époque. C’est la croyance que le monde – le monde vivant dans tous ses aspects aussi bien que l’environnement physique – est soumis à des lois naturelles supérieures, universelles et éternelles. Ces lois règnent naturellement, il ne peut en être autrement. Les plus modérés pensent cependant qu’il faut les mettre à jour et veiller à leur application. L’ordre qui en résulte est l’harmonie du monde, en particulier de la société. Ainsi il faut laisser l’ordre naturel s’instaurer, ou faciliter son règne, en garantissant la liberté naturelle, en particulier la liberté d’échanger.

It is always problematic to establish the historic origin of an idea. We are placing it at the time when this idea settled in and spread in Europe. The symbolic starting point is certainly Mandeville’s famous Fable of the Bees (1714), which shows that private vices (the egotism of seeking after one’s own interests) produce public virtue (harmony and wealth for everyone). The fable should be put into the context of the philosophy of natural order, which was very in vogue at the time. This is the belief that the world – the living world in all its aspects as well as the physical environment – is subject to superior, universal and eternal natural laws. These laws rule naturally, it cannot be otherwise. The more moderate think, however, that they must be updated and their application seen to. The resulting order is world harmony, social harmony in particular. Thus, natural order must be allowed to be established, or its reign facilitated, by guaranteeing natural liberty, the liberty to trade, in particular.

A propos du libéralisme, la pensée d’Adam Smith a été largement caricaturée, voire dénaturée jusqu’au contresens. Il est vrai que La richesse des nations (1776) contient la trop célèbre image de la main invisible qui, telle une loi naturelle, fait converger les intérêts individuels et l’intérêt collectif. Smith évoque également la tendance naturelle des individus à échanger et fait l’éloge de la liberté d’échanger en rapport avec la complémentarité des activités et la division du travail. Toutefois, Smith est loin de la défense naïve des égoïsmes individuels qu’on lui attribue souvent. La clé se trouve dans sa Théorie des sentiments moraux (1759) où il développe un concept de justice naturelle basé sur l’idée de « sympathie » entre les individus. Chacun est naturellement amené à être sensible au bonheur ou à la souffrance des autres, et à en tenir compte dans ses choix. Ce n’est pas l’égoïsme, mais la sympathie qui permet la réalisation de l’intérêt général. De ce point de vue finalement assez libertaire, l’utopie libérale s’est largement écartée.

Regarding liberalism, Adam Smith’s ideas were vastly caricaturized, even distorted to the point of misinterpretation. It’s true that The Wealth of Nations (1776) has the too-famous image of the invisible hand which, like a natural law, makes the interests of individuals and the collective converge. Smith also evokes individuals’ natural tendency to trade and sings the praises of the freedom to trade in keeping with the complementarity of activities and the division of labour. However, Smith is far from the naïve defence of individual egotisms often attributed to him. The key is found in his The Theory of Moral Sentiments (1759) where he develops a concept of natural justice based on the ideal of “sympathy” between individuals. Everyone is naturally inclined to be sensitive to the happiness or suffering of others and to take this into account in his or her choices. It is not egotism but sympathy that makes it possible to achieve everyone’s best interests. Liberal utopia has greatly moved away from this fairly libertarian perspective, when all is said and done.

Plus tard, l’idée de liberté des échanges a inspiré Walras puis la construction de l’étrange théorie moderne du marché parfait.

Later, the idea of free trade inspired Walras, then the construction of the strange, modern theory of the perfect market.

 

 

Le marché libre sans liberté

The free market without freedom

L’utopie libérale renvoie à la théorie du marché parfait, où les acheteurs et vendeurs ont toute liberté d’agir. Plus précisément, le marché parfait c’est la liberté dans le cadre de la concurrence parfaite, c’est-à-dire dans le cadre d’une liberté limitée. En effet, sur un marché parfait, la seule liberté des individus est de répondre aux prix que fixe le marché, en adaptant leurs offres et leurs demandes. La liberté s’arrête là. Ce marché utopique fonctionne si et seulement si les participants n’ont aucune interaction entre eux. C’est l’« isolement stratégique » des agents en concurrence parfaite (Gabzsewicz, 1993). Chacun n’interagit qu’avec l’entité abstraite du marché, par l’intermédiaire des seuls prix. Chacun doit respecter la loi du marché et ne chercher à obtenir ce qu’il désire que par le marché et non par le troc, le partage, le vol ou la violence. Les participants ne peuvent court-circuiter le marché en négociant des échanges bilatéraux avantageux.

The liberal utopia refers back to the perfect market theory, where buyers and sellers are all completely free to act. More specifically, the perfect market is liberty in the context of perfect competition, i.e. in a context of limited freedom. In fact, in a perfect market, the only individual freedom is to respond to the prices the market sets by adapting their supplies and demands. Liberty stops there. This utopian market functions if and only if the participants have no interaction among themselves. This is the “strategic isolation” of agents in perfect competition (Gabzsewicz, 1993). Everyone only interacts with an abstract body of the market through the intermediary of price alone. All must obey the market law and not seek to obtain what he wants by any means except the market – no bartering, sharing, stealing or violence. The participants cannot short-circuit the market by negotiating advantageous bilateral trade.

A tout cela s’ajoute l’axiome énonçant que personne ne peut manifester la volonté d’avoir une quelconque influence sur le marché. Celui-ci est « atomique », constitué d’une multitude de participants, aucun n’ayant le pouvoir d’influencer à lui seul le résultat des échanges. En cela les individus sont égaux par leur absence de pouvoir et par leur soumission uniforme au marché. Sinon, le marché est imparfait et s’éloigne de l’idéal. Or le désir (naturel ?) de pouvoir et l’existence de rendements croissants (qui font qu’une grande firme est plus productive qu’une petite) rendent fortement probable l’émergence de grandes unités de production et d’individus qui ont la possibilité d’influencer significativement le jeu du marché (Sraffa, 1926). Les individus sont libres, mais plus le marché, qui devient imparfait et inégalitaire.

To all this must be added the axiom that a person cannot demonstrate the wish to have any influence whatsoever on the market. The market is “atomic”, made up of a multitude of participants, none of which has the power on his own to have an impact on the outcome of trades. In this the individuals are equals through their absence of power and their uniform submission to the market. Otherwise, the market is imperfect and moves away from the ideal. The (natural?) desire for power and the existence of increasing returns (making a large firm more productive than a small one) make the emergence of large production units and individuals who have the ability to significantly influence the market game highly likely (Sraffa, 1926). The individuals are free but the market is freer, which becomes imperfect and inegalitarian.

Qui fait respecter ces règles de fonctionnement du marché parfait ? C’est la fiction du commissaire-priseur de Walras, concrétisée inévitablement par une forme ou une autre de contrôle du marché.

Who enforces these operating rules of the perfect market? The Walrasian auctioneer, inevitably in one form or another of market control.

Ainsi la liberté d’échanger s’accompagne de l’absence de toute autre liberté, et le marché dit coordinateur ne peut l’être sans qu’il soit lui-même coordonné, réglementé. L’utopie libérale s’appuie sur une théorie branlante et qui requiert une limitation des libertés. Elle suppose un individu réduit à sa fonction d’échange et soumis entièrement au marché.

Thus, freedom to trade comes with the absence of all other freedom and the so-called coordinating market cannot be so unless it is itself coordinated or regulated. The liberal utopia is based on a wobbly theory requiring a limitation of freedoms. It requires an individual be reduced to his trade function and entirely subjugated to the market.

Plus grave encore, le modèle du marché parfait est a-spatial, ou a-géographique (Krugman, 1991 ; Fujita et Thisse, 2003 ; Huriot et Bourdeau-Lepage, 2009). Pire qu’Utopie de More, pays de nulle part, il est le pays sans autre dimension que celle d’un point, donc sans distance, sans ville ni village, sans déplacements. Non seulement il exclut cette dimension, mais il est logiquement et fondamentalement incompatible avec toute idée d’espace, de localisation, d’agglomération, de déplacement. Toute dimension spatiale rend le marché imparfait et inégalitaire.

More serious still, the perfect market model is aspatial or ageographic (Krugman, 1991; Fujita and Thisse, 2003; Huriot and Bourdeau-Lepage, 2009). Worse than More’s Utopia, the “nowhere” country, is the country without any other dimension than a point, therefore, without distance, cities or villages, and without movement. Not only does it exclude this dimension but is also logically and fundamentally incompatible with all ideas of space, location, agglomeration, and movement. All spatial dimensions render the market imperfect and inegalitarian.

Pourquoi un tel modèle a-t-il eu autant de succès ? En partie parce qu’il est idéal selon le point de vue limité de l’efficacité parétienne indûment nommée optimum parétien. On sait pourtant que ce critère peut amener à retenir une infinité de configurations sociales incomparables entre elles, et qu’il peut conduire à déclarer optimale la situation la plus inégalitaire possible, compte tenu qu’il ne tolère que des changements admis à l’unanimité.

Why would this type of model have been so successful? In part, it’s because it is ideal from the limited perspective of Pareto efficiency unjustifiably named Pareto’s ideal. We know however that this criterion can lead to choosing an infinite number of incomparable social configurations and that it can lead to declaring the most inegalitarian situation possible as ideal, considering that the only changes it allows are those unanimously agreed upon.

Malgré ce défaut de justification théorique, le libéralisme se développe depuis deux siècles et domine le monde depuis la chute des régimes socialistes centralisés. Ces dernières décennies ont vu s’accroître la domination du marché, ou des marchés, avec une dérégulation économique et financière croissante, justifiée par un dogme sans fondement sérieux. C’est la réalisation la plus étendue et la plus longue jamais connue d’une utopie. Jamais sous sa forme absolue, bien sûr. Mais avec toujours l’idée qu’il faut s’en rapprocher le plus possible.

Despite this flaw of theoretical justification, liberalism has been developing for two centuries and has dominated the world since the fall of the centralized socialist regimes. These last decades have seen the domination of the market, or markets, grow with the increasing economic and financial deregulation justified by dogma without a real foundation.  It is the most extensive and longest lasting realization ever of a utopia. Never in its absolute form, of course, but always with the idea that it must be as close as possible.

On est en train de voir où mène cette absence de régulation : crise financière, crise économique, crises politiques qui en découlent ; mais aussi et surtout dramatique accroissement des inégalités, entre nations, entre villes, entre individus.

We are seeing where this absence of regulation leads: financial, economic, and political crises. But there is also, and especially, dramatic growth in the inequalities among nations, cities and individuals.

La conjonction de ce libéralisme débridé et des progrès technologiques dans les transports et communications a produit une mondialisation elle-même source de disparités. Une mondialisation qui est loin d’être mondiale, paradoxalement, laissant au bord du chemin nombre de pays, nombre d’individus ! Plus que jamais, être ou ne pas être dans le réseau, c’est la question, identique à ces autres : être ou ne pas être considéré, être ou ne pas être en mesure de vivre décemment, … ou en inversant les termes, être ou ne pas être objet de ségrégation.

The conjunction of this unbridled liberalism and the technical progress in transportation and communications has produced a globalization that is itself a source of disparities. This globalization is paradoxically far from being “global”, leaving many countries and many individuals behind. Being in the network or not is the question, and it’s identical to the question of counting or not; or being in a position to live decently, or not; or conversely, being subject to segregation, or not.

 

 

Le marché libre sans égalité : de la ségrégation urbaine à la mondialisation inégale

The free market without equality: from urban segregation to unequal globalization

Le marché parfait ne peut concrètement fonctionner. Il est égalitaire mais sans espace et sans autre liberté que celle d’acheter et de vendre selon ses contraintes budgétaires. Il est égalitaire en ce qu’il permet à tous l’accès au marché. Il est égalitaire si l’on fait abstraction des ressources de chacun. Or les possibilités d’acheter et de vendre dépendent de ces ressources, pudiquement nommées « dotations initiales » : il s’agit de la valeur de marché de tout ce qu’un individu possède avant d’entrer dans l’échange. Qui dit que ces dotations sont égales ? La théorie semble muette sur ce point. Par un tour de passe-passe, on pourrait dire que les règles de concurrence parfaite (impossibilité d’un quelconque pouvoir de marché) garantissent logiquement que les dotations initiales sont égales, de même que les niveaux de production des firmes. Le marché parfait serait alors un monde strictement uniforme d’individus sans pouvoir. Cette position est extrêmement fragile car tout écart déstabilise l’ensemble. Le marché parfait n’admet aucune déviance. Ajoutons que la déviance d’un seul marché annihile l’efficacité de l’ensemble (Huriot et Perreur, 1970). Par cette exigence de totalité, le marché parfait rejoint bien d’autres utopies.

The perfect market cannot function in real terms. It is egalitarian but without space and without other freedom than that of buying and selling in accordance with one’s budgetary constraints. It is egalitarian in that it allows everyone access to the market. It is egalitarian if no account is taken of each person’s resources. Abilities to buy and sell depend on these resources that are discreetly called “initial endowments”; this is the market value of everything an individual has before entering into trade. And are these endowments equal? The theory appears to say nothing on this point. Using sleight of hand, it could be said that the rules of perfect competition (an impossibility of any market power whatsoever) logically guarantee that the initial endowments are equal, and by the same token, so are all businesses’ production levels. The perfect market would then be a strictly uniform world of powerless individuals. This position is extremely fragile as any deviation destabilizes the whole. The perfect market allows no deviation. Let’s add that the deviation of a single market destroys the efficiency of the whole  (Huriot and Perreur, 1970). Through this requirement of totality, the perfect market has much in common with many other utopias.

La concrétisation du libéralisme ne peut se faire qu’à travers des marchés  imparfaits et inégalitaires.

The materialization of liberalism can only be achieved through imperfect, inegalitarian markets.

Sur un marché imparfait, les agents restent libres d’échanger. Dès que leurs capacités d’influencer le marché diffèrent, leurs pouvoirs sont inégaux, donc également leurs possibilités de profiter du système. Le marché devient par nature inégal.

In an imperfect market, the agents remain free to trade. From the moment that their abilities to affect the market vary, their powers are unequal, and therefore, so are their opportunities to profit from the system. The market becomes unequal by nature.

 

 

Les principes de la ségrégation socio-spatiale

The principles of socio-spatial segregation

La ville est une illustration très significative du marché créateur d’inégalités. Dans la théorie contemporaine de l’utilisation du sol urbain (la nouvelle économie urbaine) ou dans la théorie plus générale de la formation, de la croissance et de la structure des villes, les marchés foncier et immobilier fonctionnent selon la règle du prix d’enchère, ou loi du plus offrant. Le marché attribue un espace urbain donné, bâti ou pas, au plus offrant. Cette règle détermine entièrement la taille et la structure de la ville. Qui dit plus offrant dit différences de capacités à payer, ou de volonté de payer. Cette capacité découle d’un arbitrage entre dépenses de déplacement et dépenses de logement. La procédure est compatible avec l’égalité absolue des ressources si les préférences sont différentes et telles que l’allocation de l’espace urbain ne fasse aucun mécontent. Mais elle est aussi compatible avec des différences de revenus, situation hautement probable. La différence de capacité à payer est la clé de la structure urbaine. Dans une ville il existe des lieux plus désirables que d’autres, soit, pour les ménages, à cause des aménités, facilités et agréments de vie qu’ils contiennent, soit, pour les entreprises, parce qu’ils sont plus productifs et permettent des profits plus élevés. La forte concurrence pour ces lieux fait que, par la loi d’enchère, ils reviennent toujours à ceux qui peuvent payer le plus. C’est dans cette logique que les services supérieurs occupent les centres des villes, à côté des ménages les plus riches, du moins en France. C’est aussi dans cette logique que les ménages plus riches monopolisent certains bords de mer ou certaines stations de montagne.

The city is a very significant illustration of the market as a creator of inequalities. In contemporary theory of urban land (the new urban economy) or the more general theory of the formation, growth and structure of cities, land and real estate markets function according to the bid price rule, or the highest bidder. The market allocates a given urban space, whether or not it is built up, to the highest bidder. This is the rule that determines the size and structure of the city. “The highest bidder” means there are differences in ability to pay, or willingness to pay. This ability is carved out of the weighing of travel costs and housing costs. The procedure is compatible with absolute equality of resources if preferences are different and such that the allocation of urban space doesn’t disgruntle anyone. But it is also compatible with differences in income, a highly likely situation. The difference in ability to pay is the key to urban structure. In a city, there are places that are more desirable than others, either for households due to the amenities, facilities and attractiveness, or for businesses because they are more productive and make higher profits possible. Through the bid price rule, the heavy competition for these places always causes them to go to those who can pay the most. This is the logic that has the best services in the city centres, next to the wealthiest households, at least in France. By the same token, certain seashore areas or mountain resorts are monopolized by the wealthiest.

Inégalités, donc, et ségrégation spatiale. Les plus riches résident dans les lieux les mieux placés, les plus accessibles, les mieux pourvus en aménités diverses. Les sièges sociaux des firmes les plus puissantes occupent les hyper-centres. Mais le processus ne s’arrête pas là. Une dynamique cumulative renforce les inégalités. Les individus les mieux placés ont plus d’opportunités d’accroître leur richesse et leur pouvoir, parce qu’ils sont proches de ces opportunités et proches les uns des autres. Qui plus est, la richesse attire la richesse à cause du désir d’entre-soi et des réseaux très étroits d’interaction et d’entraide de ce milieu (Pinçon et Pinçon-Charlot, 2010). Les firmes qui occupent les tours les plus prestigieuses et les plus chères des centres d’affaires montrent leur pouvoir (Huriot, 2011) et augmentent leurs opportunités de profit. Leur proximité mutuelle facilite leurs affaires en favorisant les contacts face-à-face, indispensables dans le milieu des sièges sociaux et des services supérieurs (Bourdeau-Lepage et Huriot, 2005).

So, inequalities and spatial segregation. The wealthiest live in the best locations from the perspectives of access, provision and various amenities. The headquarters of the most powerful companies occupy the mega-centres. But the process doesn’t stop there. A cumulative dynamic strengthens the inequalities. The best-placed individuals have more opportunities to increase their wealth and power because they are close to these opportunities and to one another. What’s more, wealth attracts wealth, as birds of a feather flock together, and this environment’s very close networks of interaction and mutual assistance (Pinçon and Pinçon-Charlot, 2010). The firms occupying the most prestigious towers and most expensive business centres are displaying their power (Huriot, 2011) and increasing their opportunities for profit. Their mutual proximity facilitates their business by favouring the face-to-face contacts that are indispensible in the head office and superior services milieu (Bourdeau-Lepage and Huriot, 2005).

Du côté des plus pauvres, même processus cumulatif mais en sens inverse. Les plus pauvres ne pouvant résider que dans des lieux peu accessibles, peu désirés, ont peu d’opportunités de sortir de leur pauvreté. Le chômage rend plus pauvre, élimine la possibilité de résider à proximité des opportunités d’emploi, et restreint l’information disponible, donc renforce le chômage et la pauvreté. Ainsi la pauvreté entretient ou renforce la pauvreté par le jeu du marché, de même que la richesse renforce la richesse.

As for the poorest, the cumulative process is the same only in the reverse. The poorest, who are only able to live in the least accessible, least desirable places, have few opportunities to get out of their poverty. Unemployment makes them poorer, eliminates the option to live near employment opportunities, and limits the available information, therefore reinforcing unemployment and poverty. This means that poverty maintains or reinforces poverty through the market game just as wealth reinforces wealth.

 

 

Inégalités et ségrégation dans les faits

The facts on inequalities and segregation

Concrètement, dans la France de ces dernières années, il semble difficile de mettre en évidence un appauvrissement absolu des plus pauvres. Mais les mécanismes cumulatifs précédents ont fonctionné à merveille pour les riches, de manière à accroître très sensiblement l’écart entre les deux catégories. Les statistiques abondent sur l’enrichissement absolu des plus riches et la paupérisation relative des plus pauvres. En se limitant à l’examen du Rapport sur la situation des finances publiques remis au gouvernement français en avril 2010, les riches se sont enrichis bien plus vite que le reste de la population. De 2004 à 2007, les revenus déclarés des 1% les plus riches se sont accrus de 16%, ceux des 0,1% les plus riches de 27%, contre 9% seulement pour les 90% les plus modestes (Pech, 2011, 34), sans parler des exclus, chômeurs et autres laissés pour compte vivant avec quelques centaines d’euros par mois.

In France in recent years, it seems difficult to demonstrate an absolute impoverishment of the poorest in concrete terms. But the above cumulative mechanisms have worked marvellously for the wealthiest, considerably widening the gap between the two categories. Statistics abound on the absolute increase in the wealth of the richest and the relative pauperization of the poorest. Limiting ourselves to studying the Rapport sur la situation des finances publiques [tr.: report on the state of public finances] delivered to the French government in April 2010, the rich got richer much more quickly than the rest of the population. From 2004 to 2007, declared incomes of the richest 1% grew by 16%, and those of the richest 0.1% by 27%, as compared to just 9% for the most modest 90% (Pech, 2011, 34), not to mention the excluded, the unemployed and other outcasts living on a few hundred euros per month.

Au niveau urbain, l’effet joint de la règle d’enchère du marché et des processus cumulatifs évoqués entretient ou accentue la ségrégation spatiale, qui se manifeste en particulier par le phénomène des cités-ghettos (produit conjointement par le marché et les erreurs magistrales inspirée par l’utopie de Le Corbusier) où la misère et l’isolement engendrent régulièrement des révoltes, et par son opposé, le quartier riche (l’Ouest de Paris, Neuilly-sur-Seine), voire les « enclaves résidentielles sécurisées », ces « ghettos de riches » en plein développement un peu partout dans le monde (Paquot, 2009). Les études menées sur Paris confirment notamment qu’il existe une ségrégation croissante des riches (Préteceille, 2006). A partir d’une analyse en termes de capabilités de Sen, on met en évidence que « le bien-être des franciliens s’améliore mais la fracture sociale s’accentue » (Bourdeau-Lepage et Tovar, 2011).

At the urban level, the combined effect of the market bid rule and the cumulative processes mentioned above maintain or emphasize spatial segregation, which manifests particularly through the phenomenon of housing project ghettos (produced jointly by the market and the monumental errors inspired by Le Corbusier’s utopia) where hardship and isolation regularly result in revolts, and through its opposite, the wealthy neighbourhood (Ouest de Paris, Neuilly-sur-Seine), even the “gated residential enclaves”, these “ghettos of the rich” expanding somewhat everywhere in the world (Paquot, 2009). The studies conducted on Paris confirm that there is a growing segregation of the rich (Préteceille, 2006). Using Sen’s analysis of abilities, it is demonstrated that the “[tr.] well-being of the inhabitants of the Île de France is improving but that the social divide is growing” (Bourdeau-Lepage and Tovar, 2011).

 

 

Mondialisation et inégalités

Globalization and inequalities

Enfin, la conjonction de ce libéralisme débridé et des progrès technologiques dans les transports et communications a produit une mondialisation elle-même source de disparités, une mondialisation qui paradoxalement est loin d’être mondiale, laissant au bord du chemin nombre de pays, nombre d’individus ! Plus que jamais, être ou ne pas être dans le réseau (Taylor, 2004), c’est la question, du même type  que ces autres : être ou ne pas être considéré, être ou ne pas être en mesure de vivre décemment, … ou en inversant les termes, être ou ne pas être objet de ségrégation. La mondialisation pourrait être considérée comme le dernier stade de l’utopie libérale où, grâce aux nouvelles technologies de l’information et à la libéralisation financière, les mouvements de capitaux spéculatifs et le marché financier dominent l’économie.

Finally, the conjunction of this unbridled liberalism and technological progress in transportation and communications has produced a globalization that itself is a source of disparities, and which is paradoxically far from being global, leaving many countries and individuals behind!  More than ever, to be or not to be – in the network – that is the question (Taylor 2004), as is to be or not to be taken into account, or to be or not to be in a position to live decently, or conversely, to be or not to be subject to segregation. Globalization could be deemed the last phase of the liberal utopia where, thanks to the new information technologies and financial liberalization, movement of hot money and the financial market dominate the economy.

La domination de la spéculation est le résultat extrême de la vulgate libérale, et elle en est la négation. Négation parce qu’elle est la domination absolue et kafkaïenne de l’irrationnel et du très court terme sur l’ensemble des autres marchés, sur l’ensemble de l’économie, de la politique, de la société et sur chaque individu. Elle signifie la disparition de fait de la liberté sur la plupart des marchés, soumis à celui des capitaux, et en même temps asservis aux fantaisies de quelques agences de notation auxquelles on prête une confiance sans limite.

The dominance of speculation is the extreme outcome of liberal popular ideology and it is the negation thereof. Negation because it is the absolute, Kafkaesque domination by the irrational and the very short term over the other markets as a whole, the economy as a whole, and over policy, society and each individual. It means the de facto disappearance of liberty on most markets, subjugated to the capital market and at the same time slave to the imaginations of a few credit rating agencies that are lent endless trust.

Le consentement nécessaire est bien là, encore, comme la conviction aveugle qu’il n’y a pas d’alternative. Un consentement de tous les acteurs, de ceux qui manient les rouages des marchés, de ceux qui bénéficient des bienfaits du marché. Consentement par intérêt, pour la plupart, consentement pas confort, peut-être pour d’autres. Quant à la conviction, elle est assurée par d’importantes techniques de persuasion : vous ne voulez pas du libéralisme ? D’accord, mais vous allez retomber dans les méfaits du collectivisme, ou bien de toute façon vous serez perdants. C’est la grande offensive de tous les défenseurs acharnés du libéralisme, relayés par les médias, pour nous persuader qu’il n’y a pas d’alternative, que c’est inévitable et incontournable, sous peine de catastrophe (une catastrophe sans contenu, le mot seul suffit à convaincre, dans la rhétorique libérale). Seul grain de sable dans celle belle mécanique : il est impossible de convaincre tout le monde. Parce que ceux que la mondialisation prive de pouvoir (pays pauvres, villes non « mondiales », individus laissés pour compte) n’ont aucun droit à la parole. Ils sont marginalisés. Et ils pourraient bien le rester longtemps. La mondialisation libérale serait-elle donc inévitablement destinée à rester partielle, parce qu’elle engendre ses propres limites en développant les inégalités et les marginalités ?

The necessary consent is definitely there, still, like the blind belief that there is no alternative. Consent from all stakeholders, from those who handle the workings of the markets and those who benefit from the market’s blessings. Consent through interest, for the most part, consent but not comfort perhaps for the others. As for belief, this is provided by serious persuasive methods: You don’t want liberalism? Fine, but you’re going to fall back into the ravages of collectivism, or at the very least, you’ll be losers. That’s the major offensive of all die-hard defenders of liberalism, relayed by the media, to persuade us that there is no alternative, that it’s inevitable and inescapable, on pain of catastrophe (an unnamed catastrophe, the word alone being convincing enough in liberal rhetoric). The only wrench in the works of this fine mechanism is that it’s impossible to convince everyone. Because those who globalization deprives of power (poor countries, “non world-class” cities, social outcasts) are not entitled to speak. They are marginalized. And they could stay that way a long time. So, is liberal globalization inevitably destined to remain partial because it engenders its own limits by developing inequalities and marginalities?

 

 

Conclusion : la quête incertaine d’un idéal

Conclusion: The uncertain quest for an ideal

L’utopie est la recherche d’une société idéale, unique, indiscutable et définitive, projetée dans un espace urbain. L’idéal social, c’est avant tout la justice sociale. L’utopie cherche donc à se construire sur les bases d’une théorie idéale de la justice, des principes d’une justice sociale parfaite. Nous avons pu montrer qu’aucune utopie ne peut, voire ne veut, respecter parfaitement égalité (ou équité) et liberté. Notre raisonnement se fonde en partie sur l’existence de plusieurs formes d’égalité et de différentes dimensions de la liberté. L’égalité selon un critère particulier peut engendrer l’inégalité selon d’autres points de vue. La liberté de faire dans un domaine particulier  peut entraver la liberté d’agir dans d’autres domaines. Qui plus est, une certaine forme de liberté peut entraîner des inégalités, et inversement l’égalité, selon sa conception, peut limiter la liberté. Nous sommes face à une impossibilité fondamentale de réaliser une justice absolue, parce que la justice absolue n’existe pas. Il n’existe pas un principe unique de justice. Dans ces conditions, doit-on suivre Sen (2010) qui d’emblée s’écarte de la recherche d’un idéal de justice ? Doit-on en conséquence rejeter toute utopie ? La justice idéale n’existe pas. Même si elle existait, sa connaissance ne serait ni nécessaire ni suffisante pour agir de manière juste, parce qu’on peut toujours dire si A est plus juste ou moins juste que B, sans référence à un C imaginaire qui serait le plus juste possible. Sen milite alors pour une méthode comparative qui se passe de toute référence à un idéal. Pour nous, une telle démarche signifie que l’impossible justice idéale de l’utopie devrait nous faire rejeter toute utopie.

Utopia is the search for an ideal, unique, unquestionable and definitive society, projected into an urban space. The social ideal is first and foremost social justice. Utopia therefore seeks to build itself on the foundation of an ideal theory of justice, and the principles of perfect social justice. We have been able to show that no utopia can, or even wants, to perfectly respect equality (or equity) and liberty. Our reasoning is based in part on the existence of a number of forms of equality and various aspects of liberty. Equality on the basis of a particular criterion can result in inequality from other perspectives. The liberty to act in one area can interfere with the liberty to act in others. Moreover, one form of liberty may result in inequalities and conversely, equality, depending on the concept thereof, can limit liberty. We are facing a fundamental impossibility to achieve absolute justice because absolute justice doesn’t exist. There is not a single principle of justice. In these conditions, should we follow Sen (2010) who moves away from the outset from the search for an ideal justice? Accordingly, must we reject all utopias? Ideal justice doesn’t exist. Even if it did, knowledge of it would be neither necessary nor sufficient to act justly because we can always say: If A is more just or less just than B, without reference to an imaginary C which would be the most just possible. Sen militates for a comparative method that does without any reference to an ideal. For us, this approach means that utopia’s impossible ideal justice should make us reject all utopias.

Cette position est elle-même difficile à justifier, pour deux raisons, l’une basée sur une critique de ce que propose Sen, l’autre attachée malgré tout à une défense nuancée de l’imaginaire utopique.

This position is itself difficult to justify for two reasons, one of which is based on criticism of what Sen proposes, and the other, despite everything, connected to a nuanced defence of the utopian imagination.

Que propose Sen comme guide de jugement de ce qui est plus ou moins juste ? Des principes de justice sont de toute manière nécessaires. Selon Sen, ils doivent résulter d’un « accord issu d’un débat argumenté ».  Le débat doit être le plus large possible, sur une base proche de celle du « spectateur impartial » d'Adam Smith, dans le but d’éviter à la fois tout localisme et tout « point de vue positionnel » (selon lequel notre conception de la liberté dépend de notre position dans la société et de nos intérêts propres). L’idée de débat s’oppose au principe de l’institutionnalisme transcendantal. Ce débat doit être argumenté et faire appel à la raison, ou bien à l’indignation raisonnable. Sur ces bases, il prône une justice qui respecte la diversité humaine et la liberté procédurale, et propose le concept de capabilité, qui intègre cette liberté procédurale : « La capabilité d’un individu peut se définir comme liberté de bien-être (celle d’améliorer son propre bien-être) et liberté d’action (celle de faire progresser tous les objectifs et valeurs qu’il souhaite promouvoir). » (Sen, 2010, 349).

What does Sen propose as a guide to determining what is more or less fair? Some principles of justice are certainly necessary. According to Sen, they must be the result of “[tr.] an agreement arising from a reasoned debate.” The debate must be as broad as possible, and on a foundation resembling that of Adam Smith’s “impartial spectator”, for the purpose of simultaneously avoiding all localism and all “positional points of view” (according to which our conception of liberty depends on our position in society and our own interests). The idea of debate is the opposite of the principle of transcendental institutionalism. This debate must be supported and call on reason or reasonable indignation. On these bases, it urges justice that respects human diversity and procedural liberty, and proposes the concept of capability, which integrates this procedural liberty: “[tr.] An individual’s capability can be defined as liberty of well-being (that of improving one’s own well-being) and liberty of action (that of advancing all the objectives and values he wishes to promote).” (Sen, 2010, 349).

On connaît le succès remporté par l’idée de capabilité. Ce qui nous préoccupe, c’est moins ce concept que la procédure supposée de détermination des principes de justice. Si on examine un instant l’idée du débat impartial et argumenté, il n’est pas difficile d’y voir au moins deux axiomes implicites difficiles à justifier : (i) il est possible d’avoir un débat impartial. Certes Sen prend toutes les précautions pour garantir cette impartialité, mais rien de ce qu’il propose ne la garantit absolument, sauf à considérer que l’impartialité existe absolument. Sen, conscient de cette imperfection, assouplit son point de vue, mais alors il lui enlève sa pertinence. (ii) Le débat est raisonné ou raisonnable. C’est ici une confiance discutable en la généralité et la toute-puissance de la raison.

The success scored by the idea of capability is understood. What we’re concerned about is less this concept than the supposed procedure for determining the principles of justice. If we briefly examine the idea of impartial, reasoned debate, it is not hard to see in it at least two difficult-to-justify implicit axioms: (i) it is possible to have an impartial debate. Of course, Sen takes every precaution to guarantee this impartiality, but nothing that he proposes guarantees it absolutely except considering that impartiality absolutely exists. Sen, who is aware of this imperfection, softens his point of view, but then he removes its relevance. (ii) Debate is reasoned or reasonable. This is a questionable trust in the universality and all-powerfulness of reason.

Ainsi, on pourrait penser que la démarche de rejet de l’idéal, ou de l’utopie, aboutit à revenir à une autre forme d’utopie. La démarche de Sen serait utopique parce qu’elle repose sur des axiomes implicites et réducteurs qui l’amènent à revendiquer la capabilité comme principe idéal de justice. Peut-être ne suffit-il pas de rejeter l’institutionnalisme transcendantal pour éviter l’utopie.

Thus, one could think that the process of rejecting the ideal or utopia ends up coming back to another form of utopia. Sens’ process would be utopian because it rests on two implicit, simplistic axioms that lead to claiming capability as the ideal principle of justice. Rejecting transcendental institutionalism may not be enough to avoid utopia.

Finalement, l’utopie est-elle à rejeter ? Oui, indiscutablement, lorsqu’elle est trompeuse (encore faut-il en avoir conscience) et conduit ou risque de conduire à un asservissement à des règles immuables, ou d’engendrer le totalitarisme et la déshumanisation. Non lorsqu’elle est porteuse d’espoirs réalisables. On dit parfois que l’utopie d’aujourd’hui est la réalité de demain. L’utopie, en tant que recherche d’autres possibles en réponse à une situation inacceptable, ne peut être qu’encouragée. Les innombrables utopies sociales revendiquant liberté et égalité, malgré leurs défauts, ont fini par produire le progrès social, le suffrage universel, le vote des femmes, la sécurité sociale, l’impôt progressif, l’État-providence (actuellement en péril). L’utopie n’est pas un but en soi. C’est une erreur de construire des utopies pour les appliquer rigoureusement. L’utopie est seulement, mais c’est beaucoup, un creuset d’idées nouvelles.

Finally, should utopia be rejected? Yes, unquestionably, when it is deceptive (again, it’s necessary to be aware of it) and leads to, or is liable to lead to enslavement to immutable rules or result in totalitarianism and dehumanization. No, when it is the bearer of achievable hopes. It is sometimes said that today’s utopia is tomorrow’s reality. Utopia, as the search for other possibilities in response to an unacceptable situation, can only be encouraged. The countless social utopias claiming liberty and equality despite their flaws, ended up producing social progress, universal suffrage, the vote for women, social security, progressive taxation, and the welfare-state (currently in danger). Utopia is not a goal in and of itself. It is a mistake to construct utopias to rigorously implement them. Utopia is only – but this is a lot – a crucible for new ideas.

 

 

Remerciements : Cet article a bénéficié des commentaires et conseils d’Élisabeth Tovar que nous remercions vivement.

Thanks: This paper benefited from the comments and advice of Élisabeth Tovar to whom we offer our sincere thanks.

 

 

A propos des auteurs : Jean-Marie Huriot, Professeur d’économie à l’Université de Bourgogne, Dijon, UMR LEG, huriot@u-bourgogne.fr

About the authors: Jean-Marie Huriot, Professeur d’économie à l’Université de Bourgogne, Dijon, UMR LEG, huriot@u-bourgogne.fr

Lise Bourdeau-Lepage, Professeure de géographie à l’Université Jean Moulin - Lyon 3, UMR EVS (CRGA), lise.bourdeau-lepage@univ-lyon3.fr

Lise Bourdeau-Lepage, Professeure de géographie à l’Université Jean Moulin – Lyon 3, UMR EVS (CRGA), lise.bourdeau-lepage@univ-lyon3.fr

Pour citer cet article : Jean-Marie Huriot, Lise Bourdeau-Lepage, « Utopie, égalité et liberté : l’impossible idéal. », [translation : Sharon MOREN], justice spatiale | spatial justice, n° 5 déc. 2012-déc. 2013 | dec. 2012-dec. 2013, http://www.jssj.org/

To quote this article: Jean-Marie Huriot, Lise Bourdeau-Lepage, « Utopie, égalité et liberté : l’impossible idéal. », [translation : Sharon MOREN], justice spatiale | spatial justice, n° 5 déc. 2012-déc. 2013 | dec. 2012-dec. 2013, http://www.jssj.org/

 

 

[1] Le projet de Ledoux a été partiellement concrétisé, sous la forme d’un demi-disque, aux Salines d’Arc-et-Senans, dans le Doubs.

[1] Ledoux’s project was partially realized in the form of a half-disk at the salt works in Arc-et-Senans in the department of Doubs.

Bibliographie

References

ANTONY, Michel, 1995, Quelques œuvres utopiques libertaires ou résolument anarchistes. http://artic.ac-besancon.fr/histoire_geographie/HGFTP/Autres/Utopies/u3c-ferm.doc Dernière Mise à jour : 17/09/2013.

BACON, Francis, 1626, The New Atlantis. Traduction, 1702, La Nouvelle Atlantide, Paris : Jean Musier. Réédition, 1983, Paris : Payot.

BAILLY Antoine, BAUMONT Catherine, HURIOT Jean-Marie et SALLEZ, Alain, 1995, Représenter la ville. Paris : Economica.

BARTHES, Roland, 2002, Sade, Fourier, Loyola. in Œuvres complètes, tome 3, Paris : Seuil. 1ère édition 1971.

BAUMONT, Catherine et HURIOT Jean-Marie, 1997, « La ville, la raison et le rêve : entre théorie et utopie ». L’espace Géographique, 2, 99-117.

BOURDEAU-Lepage, Lise et HURIOT Jean-Marie, 2005, « La métropolisation, thème et variations ». in Buisson, Marie-André et Mignot Dominique, eds., Concentration économique et ségrégation spatiale, Bruxelles : De Boeck Université, 39-65.

BOURDEAU-LEPAGE, Lise et TOVAR Élisabeth, 2011, « Bien-être en Île-de-France : derrière une hausse générale, des disparités territoriales croissantes ». Métropolitiques, 2 mai 2011. En ligne : http://www.metropolitiques.eu/Bien-etre-en-Ile-de-France.html

BOURDIEU, Pierre, 1998, « Cette utopie, en voie de réalisation, d’une exploitation sans limite : l’essence du néolibéralisme ». Le Monde Diplomatique, mars 1998. Repris, 2010, Le Monde Diplomatique : Manières de voir, 112, août-septembre, 11-15.

CABET, Etienne, 1842, Voyage en Icarie. Réimpression : Genève : Slatkine reprints, 1979.

CAMPANELLA, Tommaso, 1623, Civitas Solis. Francfort : G. Tampachii. Traduction par A. Tripet, 1972, La Cité du Soleil. Genève : Librairie Droz  (Les classiques de la pensée politique) et 2000, Paris : Éd. Mille et une nuits (La petite collection, 261).

CIORAN, Emil, 1960, Histoire et utopie. Paris : Gallimard. Réédition, 1987-1990, Paris : Gallimard (coll. Folio Essais).

CONSIDERANT, Victor, 1848, Description du phalanstère et considérations sociales sur l’architectonique. Réimpression : Genève : Slatkine Reprints, 1980.

FOURIER, Charles, 1829, Le nouveau monde industriel et sociétaire, ou invention du procédé d’industrie attrayante et combinée, distribuée en séries passionnées. Paris : Bossange Père – P. Mongie aîné.

FOURIER, Charles, 1849, L’harmonie universelle et le phalanstère, recueil méthodique de morceaux choisis de l’auteur. Paris : Librairie phalanstérienne.

FOURIER Charles, 1953, Textes choisis. Paris : Editions Sociales (Les classiques du peuple).

FUJITA, Masahisa et THISSE, Jacques-François, 2003, Économie des villes et de la localisation. Bruxelles : de Boeck. Traduit de Economics of Agglomeration. Cities, Industrial Location and Regional Growth, 2002, Cambridge : Cambridge University Press.

GABSZEWICZ, Jean, 1993, La concurrence imparfaite. Paris : La découverte (Repères).

HURIOT, Jean-Marie, 2011, « Les tours du pouvoir ». Métropolitiques, 24 octobre 2011. URL : http://www.metropolitiques.eu/Les-tours-du-pouvoir.html.

HURIOT, Jean-Marie et Bourdeau-Lepage Lise, Économie des villes contemporaines. Paris : Economica.

HURIOT, Jean-Marie et Perreur Jacky, 1970, « L’optimum second ». Revue d’Économie Politique, 2, 288-313.

KROPOTKINE, Pierre, 1905, “Anarchism”. in Encyclopedia Britannica, London :

KRUGMAN, Paul, 1991, Geography and Trade. Cambridge Mass : MIT Press.

LACROIX, Jean-Yves, 1994, L’utopie. Paris : Bordas (coll. Philosophie présente).

LE CORBUSIER, 1925, Urbanisme. Paris : Grès et Cie. Réédition, 1980, Paris : Artaud.

LEDOUX, Claude-Nicolas, 1804, L’architecture considérée sous le rapport de l’art, des mœurs et de la législation. Paris : Chez l’Auteur, rue Neuve d’Orléans, tome 1. Réimpression, 1994, Nördlingen : Verlag Dr. Alfons Uhl.

LEFEBVRE, Henri, 1961, Critique de la vie quotidienne Tome II : Fondements d’une sociologie de la quotidienneté. Paris : L’Arche.

LOTY, Laurent, 2011, « L’optimisme contre l’utopie. Une lutte idéologique et sémantique ». Europe, n° spécial Regards sur l’utopie, 985, 84-102.

MANDEVILLE (de), Bernard, 1714, The Fable of the Bees or Private Vices, Public Benefits. Réédition augmentée, 1729.

MORE, Thomas, 1516, De optimo rei publicae statu, deque nova insula Utopia. Louvain : Thierry Martens. Réédition de la traduction, 1987, L’utopie ou Le traité de la meilleure forme de gouvernement, Paris, GF-Flammarion.

NORTH, Douglass C., 1990, Institutions, Institutional Change and Economic Performance. Cambridge : Cambridge University Press.

PAQUOT, Thierry, 2005, « Utopie : uniformité sociale ou hétérogénéité. Thomas More, Robert Owen, Charles Fourier et André Godin revisités ». Informations sociales, 5, 125, 112-119.

PAQUOT, Thierry, 2009, Ghettos de riches. Paris : Perrin.

PINÇON, Michel et PINÇON-CHARLOT Monique, 2010, Le président des riches. Paris : La Découverte (Zones).

POLLMAN, Christopher, 2009, « Le principe d’égalité : tremplin ou impasse pour l’émancipation humaine ? ». Aspects, 3, 25-44.

PECH, Thierry, 2011, Le temps des riches. Anatomie d’une sécession, Paris : Seuil.

PRETECEILLE, Edmond, 2006, « La ségrégation sociale a-t-elle augmenté ? La métropole parisienne entre polarisation et mixité ». Sociétés Contemporaines, 62, 69-93.

ROSANVALLON, Pierre, 2011, La société des égaux. Paris : Seuil (Les livres du nouveau Monde).

RUYER, Raymond, 1950, L’utopie et les utopies. Paris : PUF. Réédition, 1988, Paris : Gérard Monfort.

SEN, Amartya, 2010, L’idée de justice. Paris : Flammarion. Traduit de The Idea of Justice, 2009, Londres : Penguin Books Ltd.

SERVIER, Jean, 1993, L’utopie. 3e édition corrigée, Paris : PUF (Que sais-je ?).

SMITH, Adam, 1759, The Theory of Moral Sentiments. Traduction française de Blavet), 1774 (tome 1), 1775 (tome2), Théorie des sentiments moraux, Paris, Valade. Traduction de M. Biziou, C. Gautier et J.-F. Pradeau, 1999, Paris : PUF.

SMITH, Adam, 1776, An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations. London : Strahamand Cadell. Traduction française de Garnier G., 1843, revue, 1881, rééditée, 1991, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Paris : GF-Flammarion, 2 tomes.

TAYLOR, Paul J., 2004, World City Network: A Global Urban Analysis. London and New York : Routledge.

WUNENBURGER, Jean-Jacques, 1979, L’utopie ou la crise de l’imaginaire, Paris : Jean-Pierre Delarge.

More