Néolibéralisation et (in)justice spatiale : Le cas de la gentrification de Harlem

Neoliberalization and Spatial (In)Justice: The Gentrification of Harlem

Depuis leurs développements les plus précoces, les villes ont été le support de visions sociales utopiques et les réflexions actuelles sur la notion de ville juste en sont la manifestation la plus récente. Les chercheurs s’accordent en général sur le fait que la forme et l’organisation des espaces urbains sont à la fois le cadre des relations sociales que nous entretenons – ce qui fait dire à David Harvey que « la question du type de ville que nous voulons ne peut pas être dissociée de la question du type de relations sociales que nous souhaitons » (Harvey, 2008, 23) – mais aussi le produit de celles-ci, et plus précisément des différentiations et des rapports de force au sein de ces relations sociales. Aussi, depuis les années 1980, les villes sont « devenues de plus en plus centrales dans la reproduction, la mutation et la reconstitution continuelles du néolibéralisme » (Brenner, Theodore, 2002, 375). En retour, la néolibéralisation des villes, par ses actions d’ouverture, de dérégulation et de mise en concurrence des marchés a profondément modifié non pas seulement les espaces urbains, mais aussi la façon de les produire, ainsi que le montre l’exemple de New York déroulé ci-après (Harvey, 2007 ; Moody, 2007 ; Pouzoulet, 2000).

From the time of their earliest development, cities have been the medium of utopian social visions, and current reflections on the just city concept are the most recent manifestation thereof. Researchers are in general agreement on the fact that the form and organization of urban spaces are both the framework of our social relations – which led David Harvey to say that “The question of the kind of city we want cannot be divorced from the kind of social ties…we desire” (Harvey, 2008, 23) – but also the product of these social ties, and more specifically the differentiations and power relationships within these social ties. As well, since the 1980s cities have “[tr.] become increasingly key in the ongoing reproduction, mutation and reconstitution of neoliberalism” (Brenner, Theodore, 2002, 375). In return, through its openness, deregulation and putting markets in competition, the neoliberalization of cities has profoundly modified not only urban spaces but also the way in which they are produced as shown by the example of New York City that follows (Harvey, 2007; Moody, 2007; Pouzoulet, 2000).

L’ambition de cet article est, à l’appui de l’exemple de la gentrification de Harlem, d’interroger les liens entre néolibéralisation, ville et justice spatiale. Rappelons dès ici que la justice spatiale[1] est « polysémique » et recouvre des « conceptions différentes, souvent contradictoires, voire conflictuelles, du « juste » et de « l’injuste » ». Cependant, Philippe Gervais-Lambony et Frédéric Dufaux, dans leur chapitre d’ouverture des actes du colloque « justice et injustice spatiales » rappellent que « les conceptions de la justice qui [les] intéressent ici oscillent entre deux pôles » : une approche structurelle de la justice spatiale et une approche procédurale (Gervais-Lambony et Dufaux, 2009, 4). Nous adopterons donc ces deux approches complémentaires qui considèrent respectivement l’équité et l’égalité de la distribution des ressources d’une part (définition rawlsienne), et les processus de production de la ville et de négociation des droits des groupes et des communautés d’autre part, c’est-à-dire les relations d’oppression ou de domination qu’entretiennent les groupes entre eux (définition de Marion Iris Young (1990)).

Based on the example of the gentrification of Harlem, this article aspires to examine the ties between neoliberalization, the city and spatial justice. Let us immediately recall that spatial justice[1] is “polysemic” and covers “[tr.] various, often contradictory, to say nothing of conflicting conceptions of what is ‘just’ and ‘unjust’”. However, Philippe Gervais-Lambony and Frédéric Dufaux, in their opening remarks for the symposium “Spatial Justice and Injustice” recall that “[tr.] the conceptions of justice which interest [them] here range between two poles”: an approach to spatial justice that is structural and one that is procedural (Gervais-Lambony and Dufaux, 2009, 4). We will therefore adopt these two complementary approaches, which consider respectively the equity and equality in the distribution of resources on the one hand (Rawlsian definition), and on the other, the processes by which the city is produced and the negotiation of group and community rights, i.e. relations of oppression or domination among groups (Marion Iris Young’s definition (1990)).

Il s’agit donc d’analyser les impacts de la néolibéralisation – que nous pouvons définir comme un ensemble de mesures économiques et politiques visant l’ouverture des marchés, la mise en concurrence, la dérégulation et la privatisation du secteur public et dans lesquelles les gouvernements sont censés intervenir le moins possible (Brenner et Theodore, 2002, 350) – sur la justice spatiale en ville. L’hypothèse de ce travail est que les politiques de gentrification sont une incarnation néolibérale des politiques urbaines et témoignent des rapports de domination qui reconfigurent les espaces urbains à l’échelle locale, sous l’influence, aussi, de logiques globales. Et, comme nous l’indique David Harvey, nous postulons que la néolibéralisation consiste « dès son commencement, en la restauration du pouvoir de classe et, en particulier, du pouvoir de classe d’une élite très privilégiée » (Harvey, 2007, 12), et que, donc, la néolibéralisation est nécessairement injuste puisque la domination et l’oppression en sont l’essence. Cette lecture paraît particulièrement pertinente dans le contexte de New York, dont les orientations urbaines, économiques et politiques sont clairement tournées vers les classes managériales (Brash, 2011). A l’appui de l’exemple de Harlem, cet article soutient donc que les politiques de gentrification sont l’expression des processus néolibéraux de production de la ville qui, tant dans leurs résultats que leurs procédures, produisent des injustices spatiales. Précisons, toutefois, que Brenner et Theodore (2002) nous invitent à considérer la néolibéralisation comme un processus contradictoire et complexe où, évidemment, les contextes et rapports de force locaux peuvent être déterminants.

Analyzing the impacts of neoliberalization on spatial justice in the city is therefore the question. Neoliberalization can be defined as a set of economic and political measures for market openness, competition, deregulation and privatization of the public sector, in which governments are supposed to intervene as little as possible (Brenner and Theodore, 2002). The hypothesis of this work is that gentrification policies are a neoliberal incarnation of urban policies and bear witness to domination relationships that reconfigure the urban spaces on the local scale, including under the influence of a global sense of logic. And, as David Harvey points out, we postulate that neoliberalization consists “[tr.] since its beginning, in the restoring of class power and specifically, the power of a very privileged elite class” (Harvey, 2007, 12), and that therefore, neoliberalization is inevitably unjust because domination and oppression are the essence thereof. This interpretation would seem particularly relevant in the context of New York City, where urban, economic and political trends are clearly turned toward the managerial classes (Brash, 2011). Using the example of Harlem, this article maintains that gentrification policies are the expression of neoliberal processes of city production, the outcomes and procedures of which both produce spatial injustices. We further explain, however, that Brenner and Theodore (2002) invite us to consider neoliberalization as a contradictory and complex process where, obviously, the local settings and power relationships can be determinants.

Cet article présente la façon dont les politiques néolibérales ont reconfiguré le territoire de Harlem, à la fois physiquement et économiquement, et discute la distribution des « bienfaits » de la gentrification[2], c’est-à-dire les impacts de celle-ci en termes de justice spatiale. L’un des outils des politiques néolibérales étant la subordination des acteurs publics aux acteurs privés, l’étude est ensuite approfondie à l’aide de l’exemple de l’expansion de l’université Columbia. En effet, ce projet urbain privé soutenu par la municipalité constitue une facette de la gentrification de Harlem et a montré, dans sa mise en œuvre, de forts signes d’injustice procédurale. Mais, dans un premier temps, il convient de revenir sur le contexte néolibéral new-yorkais et les enjeux de la gentrification de Harlem.

This article presents the way in which neoliberal policies have reconfigured Harlem’s territory, both physically and economically, and discusses the distribution of the “benefits” of gentrification[2], that is, its impacts in terms of spatial justice. Considering that one of the tools of neoliberal policies is the subordination of public actors to private actors, the study then goes into greater depth using the example of the expansion of Columbia University. In fact, this private urban project supported by the municipality is an aspect of Harlem’s gentrification and its implementation has shown strong signs of procedural injustice. But first, it is appropriate to go back to New York’s neoliberal context and the issues of Harlem’s gentrification.

 

 

1- La gentrification de Harlem : une politique urbaine néolibérale

1- The gentrification of Harlem: A neoliberal urban policy

 

 

La néolibéralisation de New York

The neoliberalization of New York

New York, par son statut de ville globale et sa position dans le capitalisme financier, tient un rôle particulier dans la mise en place de politiques néolibérales. David Harvey estime même que la néolibéralisation de New York après 1975 est une des plus fascinantes (Harvey, 2007). En effet, et comme nombre d’autres villes d’ailleurs, New York a souffert de la désindustrialisation et de la perte conséquente de 600 000 emplois industriels entre 1966 et 1977 (Weil, 2006). La crise urbaine s’y traduit par la chute du nombre de constructions nouvelles, des espaces de bureaux construits massivement dans la décennie précédente qui restent vacants, des loyers et des investissements financiers en baisse, et entraîne une récession grave, tandis que les banques peinent à vendre les bonds émis par la ville (Moody, 2007 ; Harvey, 2007). La ville-centre concentre alors de plus en plus de chômeurs et de pauvres, souvent appartenant à des minorités ethniques, tandis que les classes moyennes blanches s’installent dans les banlieues, et que le gouvernement fédéral réduit drastiquement ses subventions. Les revenus fiscaux quittent la ville à mesure que les dépenses augmentent, tout comme les tensions sociales et ethniques consécutives[3] (Smith, 1996 ; Harvey, 2007).

New York, through its status as a world city and its position in financial capitalism, has a special role in the establishment of neoliberal policies. David Harvey even deems that the neoliberalization of New York after 1975 is one of the most fascinating (Harvey, 2007). Like many other cities for that matter, New York City suffered deindustrialization and the subsequent loss of 600,000 manufacturing jobs between 1966 and 1977 (Weil, 2006). The urban crisis resulted in a drop in the amount of new construction, office spaces built in great part in the previous decade remaining vacant, and declining rents and financial investments, which led to a serious recession while the banks struggled to sell bonds issued by the city (Moody, 2007; Harvey, 2007). The city centre therefore had growing concentrations of the unemployed and poor, often members of ethnic minorities, while the middle classes settled in the suburbs and the federal government drastically reduced its grants. Tax revenues left the city as expenses rose, along with the resulting social and ethnic tensions[3] (Smith, 1996; Harvey, 2007).

A la faveur de cette crise fiscale grave, et évitant la banqueroute de très peu, les élites politiques et financières de la ville souhaitent rompre avec les politiques antérieures, jugées responsables, en particulier par le biais des dépenses trop importantes dans les services publics. « Cette analyse de la débâcle de 1975 justifiait donc d’opérer un recentrage politique sur les classes moyennes et de juguler les dépenses sociales et les concessions aux syndicats » (Pouzoulet, 2000, 35). Organisés au sein de Chambres de commerce ou de partenariats comme le New York City Partnership, ces banquiers, entrepreneurs, promoteurs et acteurs de la finance ont réussi à transformer les priorités financières de la ville et à rompre avec ce modèle de « démocratie sociale ». En 1977, Edward Koch (1977-1989) est élu maire sur la promesse de relancer l’économie. Et, en effet, il réduit les effectifs municipaux ; il institutionnalise des rapports étroits avec les milieux d’affaires qui, désormais, ont droit de regard sur les orientations des politiques publiques et, avec eux, crée un climat favorable aux affaires. Il initie aussi une campagne efficace de marketing urbain autour du slogan « I love New York » (Greenberg, 2008). L’accès à l’université publique devient payant, des services publics sont privatisés, des mesures de déréglementation du marché du travail entrent en vigueur, faisant pour premières victimes les employés municipaux et les syndiqués. Ce « moment » fut crucial non seulement pour la ville de New York mais pour l’ensemble des politiques à naître dans le monde. Pour David Harvey, « c’est là qu’un principe extrêmement important, et devenu global, est apparu pour la première fois : s’il y a un conflit entre le bien-être des institutions financières et le bien-être de la population, le gouvernement choisira le bien-être des institutions financières » (Harvey, 2007, 8).

Owing to this fiscal crisis and barely avoiding bankruptcy, the political and financial elites of the city wished to break with the previous policies, which through excessive spending on public services in particular, were deemed responsible for the crisis. “[tr.] This analysis of the 1975 debacle thus justified political refocusing on the middle classes, and curbing social spending and concessions to the unions” (Pouzoulet, 2000, 35). Organized in chambers of commerce or partnerships like the New York City Partnership, these bankers, promoters and financial actors managed to transform the city’s financial priorities and break with the “social democracy” model. In 1977, Edward Koch (1977-1989) was elected mayor on the promise of re-launching the economy. And in fact, he reduced the number of city employees; he institutionalized close ties with business, which from then on had the right to control public policy, and with them, created a climate favourable to business. He also initiated an effective urban marketing campaign around the slogan “I love New York” (Greenberg, 2008). Access to the public university became by tuition, public services were privatized, labour market deregulation measures went into effect with its first victims being city and unionized employees. This “moment” was crucial not only for the city of New York but for all the policies to come in the world. For David Harvey, “[tr.] this is where an extremely important principle that has become global appeared for the first time. If there is a conflict between the well-being of financial institutions and the well-being of people, the government will choose the well-being of financial institutions” (Harvey, 2007, 8).

L’impact de ces politiques sur les espaces urbains est extrêmement inégal. Tandis que Manhattan est réinvesti, voire réinventé, de nombreux quartiers sont laissés à l’abandon, en particulier dans les outer boroughs (Harvey, 2007 ; Pouzoulet, 2000). Gangrénés par la violence, les épidémies (notamment le sida) ou encore le crack, les quartiers ethniques et les quartiers pauvres du Bronx, du Queens ou de Brooklyn, pas assez rentables du point de vue de la municipalité et des investisseurs (faibles recettes fiscales, absence de revenus issus du tourisme et du commerce…), sont sacrifiés. Par contre, les quartiers centraux et d’affaires connaissent une vague de réinvestissements publics et privés, d’importantes incitations fiscales – notamment en direction des secteurs de la finance, de l’assurance et de l’immobilier – et des politiques de gentrification, le tout accentuant la polarisation ethnique et sociale de la ville (Recoquillon, 2010).

The impact of these policies on urban spaces is extremely unequal. While investment is being made again in Manhattan and it has essentially been reinvented, many neighbourhoods have been left abandoned, particularly in the outer boroughs (Harvey, 2007; Pouzoulet, 2000). Corrupted by violence, epidemics (particularly AIDS), not to mention crack, the ethnic and poor neighbourhoods of the Bronx, Queens and Brooklyn that are not profitable enough from the perspective of the city or investors (low tax receipts, absence of tourism and business revenues), are sacrificed. By contrast, the central neighbourhoods and business districts are experiencing a wave of renewed public and private investment, significant tax incentives – particularly the financial, insurance and real estate sectors – and gentrification policies, all accentuating the city’s ethnic and social polarization (Recoquillon, 2010).

La réponse, extrêmement dure, aux problèmes sociaux, sera incarnée par Rudolph Giuliani (1994-2001). Une violence à la fois physique et morale s’exerce alors de plus en plus ostensiblement par des élites néolibérales décomplexées. Après la violente récession des années 1980, les classes moyennes blanches développent un sentiment de rancœur et de colère vis-à-vis de populations de plus en plus marginalisées et jugées comme responsables de tous les maux : les drogués, les sans-abri, les prostituées, les pauvres sont chassés des espaces publics par une série de lois criminalisant la misère et stigmatisant les minorités ethniques (Wacquant, 1999). La reconquête des espaces publics devenus dangereux apparaît comme une nécessité. Pour Neil Smith, la gentrification devient l’expression géographique d’une attitude revanchiste de la classe moyenne blanche qui veut reconquérir les espaces centraux (Smith, 1996). Son étude de l’expulsion des sans-abri de Tompkins Square Park en illustre la violence et les antagonismes.

Rudolph Giuliani (1994-2001) would be the incarnation of the extremely hard response. More confident neoliberal elites more and more openly committed both physical and moral violence. After the harsh recession of the 1980s, the white middle classes developed a feeling of rancour and anger toward the increasingly marginalized populations deemed responsible for all the ills: the drug addicts, the homeless, prostitutes and the poor are chased from public spaces by a string of laws criminalizing poverty and stigmatizing ethnic minorities (Wacquant, 1999). The re-conquest of public spaces that had become dangerous looked like a necessity. For Neil Smith, gentrification became the geographic expression of a revanchist attitude on the part of the white middle class that wanted to re-conquer central spaces (Smith, 1996). His study of the expulsion of the homeless from Tompkins Square Park illustrates the violence and antagonism.

C’est dans ce contexte que Harlem, épicentre de la culture africaine-américaine et symbole de fierté ethnique tout autant que de ghetto urbain, devient la cible d’intenses investissements publics destinés à impulser et soutenir sa gentrification.

It is in this context that Harlem, the epicentre of African-American culture and ethnic pride, as well as of the urban ghetto, became the target of intense public investment intended to impel and sustain its gentrification.

 

 

La politique urbaine néolibérale de gentrification à Harlem

The neoliberal urban gentrification policy in Harlem

Le cas que nous allons présenter se situe sur un territoire tout à fait particulier du fait de son histoire et des représentations qui y sont associées. Ainsi, revenons brièvement sur la genèse de ce quartier emblématique.

The case we are going to present is located in a quite special area due to its history and what it represents. Thus, let’s briefly go back to the beginnings of this iconic neighbourhood.

Localisé au nord de Central Park à Manhattan, Harlem s’était développé à la fin du 18ème siècle comme un faubourg résidentiel blanc. Les grandes familles ayant quitté les terres épuisées par les récoltes, avaient laissé un quartier de « villages de cabanes et huttes avec quelques fermes ici ou là » (Osofsky, 1971, 73). En 1811, dans le but d’encadrer le développement de la ville à long-terme et de soutenir le marché immobilier, les autorités ont décidé de mettre en place un plan de réaménagement de Manhattan en damier – l’exemple même de la force d’interventionnisme de la ville de New York animée par une vision du futur et la représentation de sa grandeur (Ballon, 2012). L’arrivée du métro en 1904 soutient une intense spéculation et la poussée démographique de Harlem (qui se situe dans le prolongement du front d’urbanisation de l’île) fait fleurir demeures bourgeoises et hôtels particuliers. Territoire stratégique, Harlem connaît un développement immobilier important. Mais l’anticipation fut trop forte et l’offre abondante de maisons luxueuses dépasse rapidement la demande. Les prix, gonflés, sont déconnectés des valeurs réelles, puis, s’effondrent à partir de 1904. Les logements ne trouvent plus de locataires et certains propriétaires et promoteurs, craignant pour leurs investissements, commencent à louer ces logements à des Noirs, au moment même où ces derniers émigrent massivement des États du Sud, à la recherche de meilleures opportunités économiques dans les grandes villes du Nord. C’est ainsi que, dès les années 1910, Harlem devient le plus célèbre quartier noir et le berceau de la culture africaine-américaine, notamment pendant la période nommée la Harlem Renaissance (années 1920), marquée par une affirmation identitaire forte en réaction à la suprématie blanche. C’est à la lumière de cet épisode historique que l’on peut comprendre la gentrification contemporaine comme un processus de reconquête territoriale d’un quartier perdu par les élites blanches de la ville.

Situated north of Central Park in Manhattan, Harlem developed in the late 18th century as a white, residential suburb. The large families that left the land worn out by cropping, left a neighbourhood of “[tr.] villages of shacks and huts with a few farms here and there” (Osofsky, 1971, 73). In 1811, with the goal of creating a long-term development framework for the city and supporting the real estate market, the authorities decided to implement a redevelopment plan for Manhattan based on a grid – the very example of the strength of New York City’s interventionism led by a vision of the future and illustrating its grandeur (Ballon, 2012). The 1904 arrival of the subway supported intense speculation and Harlem’s demographic surge (Harlem is located in the extension of the front line of the island’s urbanization) caused middle class residences and private hotels to flourish. A strategic territory, Harlem experienced significant real estate development. But expectations were too high and the abundance of luxury homes quickly exceeded demand. The inflated prices were disconnected from actual values and they collapsed starting in 1904. Housing went unrented and some owners and promoters, fearing for their investments, began to rent these homes to Blacks at the very time of their mass emigration from the Southern states in search of better economic opportunities in the big cities up north. This is how in the years following 1910 Harlem became the most famous black neighbourhood and the cradle of African-American culture, particularly during the period called the Harlem Renaissance (1920s), a strong affirmation of identity in reaction to white supremacy. It is in light of this historic episode that we can understand contemporary gentrification as a process of territorial re-conquest of a neighbourhood lost by the city’s white elites.

Le processus de gentrification de Harlem débute dans les années 1980, sous l’administration Koch, par un programme de construction et de réhabilitation de logements. En effet, dès les années 1950 et 1960, le quartier avait connu un exode de ses classes moyennes et supérieures et entamé un long déclin. La pauvreté, le chômage, la surpopulation des décennies précédentes, les épidémies et le crack avaient laissé un territoire exsangue, dégradé, où de nombreux immeubles et terrains étaient insalubres ou vacants. La part de Noirs avait atteint 98% parmi les 237 467 habitants de Central Harlem en 1950, tandis que seuls les 163 632 parmi les plus pauvres et plus vulnérables étaient restés en 1960. En 1990, la population de Central Harlem n’était plus que de 101 026 personnes, témoignant du déclin d’un quartier désormais ségrégué à la fois socialement et racialement[4].

Harlem’s gentrification process began in the 1980s under the Koch administration through a construction and housing rehabilitation program. The exodus of its middle and upper classes since the 1950s and 1960s was the start of a long decline for the area. Poverty, unemployment, and the overpopulation of previous decades, epidemics, and crack had left a territory that was bled out, and decayed where many buildings and a great deal of land were unhealthy or vacant. Blacks made up 98% of Central Harlem’s 237,467 inhabitants in 1950, whereas only 163,632 of the poorest and most vulnerable remained in 1960. In 1990, the population of Central Harlem was only 101,026 demonstrating the decline of a neighbourhood that by then was both socially and racially segregated[4].

C’est dans ces conditions, qu’au début des années 1980, une commission municipale est chargée d’étudier le réinvestissement de Harlem et que les politiques de gentrification commencent. On trouve des signes de la néolibéralisation dans la gentrification de Harlem pour plusieurs raisons. Par exemple, selon le Furman Center, 40% des logements de Central Harlem ont reçu entre 1987 et 2003 une assistance de la ville, qui a consacré 10 milliards de dollars durant cette période sur l’ensemble de son territoire pour subventionner la construction ou la rénovation de logements, privés pour l’essentiel. Ces investissements publics massifs se justifiaient par l’ampleur de la dégradation et faisaient partie d’un arsenal de politiques destinées, certes, à rénover et améliorer le quartier mais, surtout, à le rendre plus sûr pour les investissements privés. En effet, les investisseurs privés – qui avaient déserté le quartier car il était devenu non rentable économiquement de continuer d’investir et d’entretenir le parc de logements, les coûts de maintenance excédant les revenus[5] – estimaient que Harlem restait trop risqué pour leurs investissements. Depuis les années 1980, les discours et les représentations des responsables politiques défendent l’idée que pour rester une grande ville, New York doit être propice et favorable au secteur privé, que ce dernier doit pouvoir y faire des affaires et des profits dans un climat idéal. Donc, quand des améliorations ont commencé à se faire sentir, la municipalité a cédé les actions de redéveloppement au secteur privé en vendant les terrains vacants ou immeubles saisis pour défaut de paiement pour des sommes symboliques dérisoires à des promoteurs privés. Ces derniers ont alors commencé à considérer la marge de profit potentiel suffisante pour investir. La municipalité a continué de les aider par le biais d’abattements de taxes et autres aides financières ou réglementaires. Par exemple, les promoteurs privés obtiennent le droit de dépasser le nombre d’étages autorisés s’ils réservent 20% des logements à des loyers dits abordables.

These were the conditions when a municipal commission was given a mandate to study reinvestment in Harlem in the early 1980s and gentrification policies began. Signs of neoliberalization are found in Harlem’s gentrification for a number of reasons. For example, according to the Furman Center, between 1987 and 2003 40% of the housing in Central Harlem received assistance from the city, which allocated $10 billion during this period to subsidizing the construction or renovation of primarily private housing. These massive public investments were justified by the extent of the deterioration and were part of an arsenal of policies certainly intended to renovate and improve the neighbourhood, but especially to make it safer for private investment. In fact, private investors had deserted the neighbourhood as it had become economically unprofitable to continue investing and maintaining the housing supply when maintenance costs were exceeding the revenues[5]. And they deemed that Harlem was still too risky for their investments. Since the 1980s, in their speeches and submissions, politicians defended the idea that to remain a great city, New York had to be attractive and favourable to the private sector, that the private sector had to be able to do business there and make profits in an ideal climate. So, when improvements began to have their effect, the city gave over redevelopment to the private sector by selling vacant lots and buildings seized for default on [tax] payments for ridiculous symbolic amounts to private developers who began to consider the profit margin adequate for investment. The city continued to help them through tax abatements and other financial or regulatory assistance. For example, private promoters obtained the right to exceed the number of floors allowed if they reserved 20% of the units for so-called affordable housing.

Les investissements publics fédéraux et municipaux se sont conjugués pour favoriser le développement économique, élément central des discours sur la « régénération urbaine ». Ainsi, en 1994, sous l’administration Clinton, Harlem est désigné empowerment zone (zone franche) et reçoit plusieurs centaines de millions de dollars pendant plus de dix ans afin de développer des activités économiques et commerciales. Cependant, au lieu de bénéficier aux entrepreneurs locaux et commerces traditionnels, il semble que les fonds aient principalement soutenu l’implantation de grandes chaînes nationales dont la compétitivité ne pouvait être concurrencée par les petites boutiques. Un autre exemple du soutien du secteur public au secteur privé concerne l’implantation d’un supermarché Pathmark à East Harlem en 1994. Ce projet a reçu 6,2 millions de dollars d’aide municipale en abattements et emprunts à 1%, soit la moitié du coût du projet, ainsi qu’un million de dollars fédéraux supplémentaires par l’intermédiaire de l’UMEZ[6] (Recoquillon, 2013). Ces investissements se justifiaient par les carences de l’offre alimentaire – comme de nombreux ghettos, Harlem était un food desert – et les emplois que le supermarché allait créer bénéficieraient principalement aux habitants du quartier. En termes de répartition spatiale des bénéfices, les profits du supermarché iraient aux actionnaires de l’entreprise, tandis que des emplois seraient créés localement et soutiendraient le niveau de vie des habitants. Cependant, –et ce n’est pas inhabituel dans un contexte de gentrification où les groupes mis en concurrence se disputent les fruits du redéveloppement– ce projet a créé de vives tensions entre les communautés hispanique et noire qui se disputaient le contrôle du projet d’une part, et la redistribution de ses fruits d’autre part. Finalement, l’essentiel des 300 emplois créés sont précaires et occupés par des Hispaniques.

Federal and municipal government investments combined to promote economic development, the key component of “urban renewal” speeches. Thus, in 1994, under the Clinton administration, Harlem was designated an “empowerment zone” and received hundreds of millions of dollars to develop economic and commercial activities. However, instead of benefitting local businesspeople and traditional businesses, it seems that the funds primarily supported the establishment of large national chains with prices that small shops could not compete against. Another example of public sector support to the private sector concerns the establishment of the Pathmark supermarket in East Harlem in 1994. This project received municipal assistance of $6.2 million – i.e. half the cost of the project –in abatements and loans at 1%, as well as $1 million in additional federal money through UMEZ[6] (Recoquillon, 2013). These investments were justified by the shortages of food supply – like many ghettos, Harlem was a “food desert” – and the jobs that the supermarket was going to create would mainly benefit the neighbourhood’s residents. In terms of spatial distribution of benefits, the profits from the supermarket would go to the company’s shareholders, while the jobs would be created locally and would support the residents’ standard of living. However, – and it’s not unusual in a gentrification context where groups put into competition fight over the fruits of redevelopment – this project created profound tension between the Hispanic and black communities who argued over control of the project on the one hand, and the redistribution of its benefits on the other. In the end, most of the 300 jobs created have no job security and are filled by Hispanics.

Un autre exemple de l’intervention de la municipalité, sous les ordres du maire Giuliani, dans le but de protéger les intérêts et les activités commerciales privées, concerne l’éviction des vendeurs africains de la 125ème Rue en 1994. Ces vendeurs de produits africains, dont les stands recouvraient les trottoirs de la rue commerçante principale, étaient perçus comme des concurrents déloyaux, ne payant ni loyers ni impôts. Un groupe de commerçants a donc sollicité l’intervention des pouvoirs publics qui ont répliqué de façon spectaculaire : 400 policiers en tenue de combat, et certains à cheval, ont expulsé le millier de vendeurs abasourdis par l’ampleur de l’action. Les vendeurs africains qui ont continué leur activité ont été déplacés dans un marché couvert à neuf blocs du lieu, mais nombre d’entre eux déplorent une réduction de leur activité. D’ailleurs, les commerçants eux-mêmes ont plaidé pour la réintroduction d’un nombre limité de vendeurs sur les trottoirs de la 125ème Rue car c’est, en fait, eux, qui attirent les clients.

Another example of municipal intervention occurred by order of Mayor Giuliani. In order to protect private interests and business activities, African vendors were removed from 125th Street in 1994. These vendors of African products, whose stands covered the sidewalks of the main business street, were perceived as unfair competition, paying neither rent nor taxes. A group of merchants therefore sought the intervention of public officials who responded most spectacularly with 400 police officers in combat gear, and some on horseback, and expelled the thousand or so vendors who were stunned by the extent of the action. The African vendors who continued their activity were moved to a covered market nine blocks away but many of them suffered a decline in their business. Moreover, the merchants themselves pleaded for the reintroduction of a limited number of vendors on the sidewalks of 125th Street as in fact, it was they who attracted the clients.

Plus récemment, le maire Bloomberg a initié un projet de requalification de la 125ème Rue dont l’objectif principal était de rationnaliser les usages et d’optimiser les activités économiques sur cette artère. Les discours municipaux s’articulaient autour de l’idée de faire de cette rue à dimension locale (économiquement parlant, car dans les imaginaires, la 125ème Rue est connue dans le monde entier), une artère à dimension régionale et attirer les acheteurs et les touristes, ainsi que les autres New-Yorkais. Ainsi, il s’agit d’exploiter l’image historique de Harlem en tant que quartier de divertissement pour mieux intégrer la rue, et donc le quartier dans son ensemble, aux activités économiques de Manhattan et de la ville. Faire de New York un espace polycentrique est d’ailleurs une ambition affichée du mandat de Michael Bloomberg.

More recently, Mayor Bloomberg initiated a rezoning of 125th Street, the main objective of which was to streamline the uses and optimization of the economic activities on this thoroughfare. The municipal narratives focussed on the idea of making this local dimension street (economically speaking as in the imagination, 125th Street is known worldwide), into a regional artery and attracting buyers and tourists as well as other New Yorkers. This was to take advantage of Harlem’s historic image as an entertainment area to better make the street and therefore the neighbourhood as a whole, an integral part of Manhattan’s and the city’s economic activities. Making New York a polycentric space is moreover one of Michael Bloomberg’s stated mandates.

Enfin, d’autres partenariats public-privé sont nés pour conduire le développement urbain, à l’échelle de la ville – le New York City Partnership, par exemple, mais aussi à l’échelle locale – la West Harlem Development Corporation, dont nous verrons ultérieurement le rôle dans la possibilité d’expansion de l’université Columbia à Harlem.

Finally, city level public-private partnerships, such as the New York City Partnership, were formed to drive urban development but there were also local public-private partnerships like the West Harlem Development Corporation whose role we will see later in Columbia University’s ability to expand in Harlem.

A l’aide de ces exemples, nous espérons avoir montré que si la néolibéralisation se définit par l’ouverture de marchés, un désengagement du public en même temps que des partenariats plus fréquents avec le privé, et une priorité au développement économique, la gentrification de Harlem est bien une traduction concrète, spatialisée, de ces logiques. Il s’agit maintenant d’évaluer les impacts en termes de justice spatiale de ce processus de gentrification.

With these examples, we hope to have shown that if neoliberalization is defined by openness of markets and the withdrawal of government concurrent with more public-private partnerships, and economic development as a priority, then Harlem’s gentrification is indeed a concrete, spatialized translation of this rationale. Now the impacts of this gentrification process in terms of spatial justice must be evaluated.

 

 

Les impacts de la gentrification de Harlem en termes de justice spatiale

The impacts of Harlem’s gentrification in terms of spatial justice

La justice spatiale peut s’appréhender en fonction de diverses mesures. Par exemple, la question des déplacements de population semble se poser comme centrale car elle indique non seulement qui a accès à l’espace, en l’occurrence Harlem, mais aussi qui s’est vu privé de cet accès. Dans un second temps, nous répondrons à l’invitation de Sonia Lehman-Frisch (2009) de réfléchir aux implications de la déségrégation de Harlem sur la justice spatiale.

There are various ways in which spatial justice can be grasped. For example, the matter of displacements of population seems to be central as it indicates not only who has access to the space, in this case Harlem, but also who has been deprived of this access. Later, we will respond to Sonia Lehman-Frisch’s invitation (2009) to reflect on the consequences for spatial justice of Harlem’s desegregation.

La question des déplacements est conflictuelle parce qu’elle est au carrefour de conceptions opposées du droit à la ville. D’un côté, une vision néolibérale défend le principe que les habitants doivent vivre là où leurs moyens le leur permettent et est réticente aux interventions publiques à caractère social ; de l’autre, une vision plus « radicale » considère que les quartiers appartiennent à ceux qui les occupent, non seulement dans les périodes de désinvestissement et d’abandon, mais aussi dans les périodes de réinvestissement. Bien que les chercheurs aient encore des difficultés à mesurer les déplacements (malgré quelques études (Newman et Wyly, 2006 ; Braconi et Freeman, 2004)), cet argument reste un enjeu central dans les discours entourant la gentrification. En effet, il ne s’agit pas uniquement de la protection des droits individuels mais aussi de la protection des droits des communautés en ce que les déplacements impliquent souvent une destruction des réseaux de voisinage et des liens sociaux, à la fois pour ceux qui partent, mais aussi pour ceux qui restent (Fullilove, 2004). A Harlem, la démographie du quartier s’est profondément transformée à mesure de la progression de la gentrification. Ainsi, le tableau ci-dessous met en évidence une tendance lourde de l’évolution démographique de Central Harlem – cœur historique noir du quartier – ces dernières décennies : la diminution de plus en plus rapide, en termes absolus et relatifs, du nombre de Noirs.

Displacement causes conflict because it is where opposing concepts of right to the city intersect. On the one hand, a neoliberal vision defends the principle that the inhabitants must live where their means allow and is slow to have public intervention that is social in nature; on the other hand, a more “radical” vision considers that the neighbourhoods belong to those who occupy them, not only when there is no money being invested in them and they are abandoned, but also when money is again being invested. Although researchers are still having problems calculating the number of displacements (despite several studies (Newman and Syly, 2006; Braconi and Freeman, 204)), this argument remains a central issue in the narratives surrounding gentrification. In fact, the protection of individual rights is not the only issue; the protection of community rights is also an issue in that displacements often involve the destruction of neighbourhood networks and social ties, both for those who leave and those who stay (Fullilove, 2004). In Harlem, the neighbourhood has been profoundly transformed in terms of demographics as gentrification has progressed. The table below highlights a strong trend in the demographic evolution of Central Harlem – the historic heart of the black neighbourhood – in recent decades: the accelerating decrease, in absolute and relative terms, in the number of blacks.

 

 

Tableau 1. Le Recul de la population noire à Central Harlem depuis 1990

Table 1. The decline of Central Harlem’s black population since 1990

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Cependant, il ne faudrait pas croire que la gentrification de Harlem s’articule seulement autour d’une dimension raciale. Bien au contraire, la dimension sociale semble être elle aussi au cœur du processus puisque la transformation du quartier résulte elle-même d’une vague initiale de gentrification noire, sans laquelle les ménages aisés blancs et les services qui les accompagnent ne seraient pas venus s’installer (Schaffer et Smith, 1986 ; Taylor, 1990 ; Freeman, 2006). La diminution du nombre de Noirs à Harlem en valeurs absolue et relative est bien réelle tandis que l’augmentation du nombre de Blancs s’est accélérée au cours des années 2000, même si le groupe reste, pour le moment, limité en nombre. Ce sont plutôt les Hispaniques qui ont connu une croissance démographique importante à Harlem ces dernières décennies, mais comme le rappelle Lance Freeman, cela ne semble pas avoir marqué les esprits et retenu autant l’attention que l’arrivée des Blancs en bien plus petit nombre. Ce sont les Noirs, dont les classes moyennes ont considérablement augmenté, qui ont constitué l’essentiel des gentrifieurs des deux dernières décennies et cela peut s’observer à travers les niveaux de revenus ou d’éducation. Les raisons de leur emménagement à Harlem ne se limitent pas à la logique économique qui participe fortement de l’emménagement des Blancs, par exemple. Ces ménages ont emménagé à Harlem, surtout dans les premières années, pour ce qu’il symbolise et pour y jouer un rôle social, économique et culturel. Comme l’explique Yolanda Jackson, une femme noire de la classe moyenne ayant emménagé à Harlem et interrogée par Monique Taylor en 1992 (1992, 293) :

However, it should not be believed that Harlem’s gentrification is only racially based. On the contrary, the social aspect also seems to be at the heart of the process, as the transformation of the neighbourhood is the result of an initial wave of black gentrification, without which the well-to-do white households and the services that go along with them would not have moved in (Schaffer and Smith, 1986; Taylor, 1990; Freeman, 2006). The decrease in the number of blacks in Harlem in absolute and relative numbers is quite real, while the number of whites has increased more quickly over the 2000s, even if the group remains numerically small for the time being. It has been the Hispanics whose demographic has grown significantly in Harlem in recent decades, but as Lance Freeman reminds us, this does not seem to have made as much of an impression or got as much attention as the arrival of whites in much smaller numbers. Blacks, whose middle classes have grown considerably, have been the main gentrifiers in the last two decades and this can be observed through income and education levels. The reasons for their move to Harlem are not limited to economics, which has a great deal to do with the whites’ moving in, for example. These households moved to Harlem, especially in the early years, for what it symbolizes and to play a social, economic and cultural role. As explained by Yolanda Jackson, a black middle-class woman who moved into Harlem and was interviewed by Monique Taylor in 1992 (1992, 293):

« Je pense que la classe moyenne noire a été négligente en ce qui concerne ses responsabilités vis-à-vis de cette communauté. Dans d’autres quartiers, la classe moyenne n’a pas déménagé donc il y a eu une certaine stabilité. Il y avait toujours une certaine mixité. Il y a toujours eu des pauvres qui vivaient à côté de médecins, d’avocats, de professeurs ou autres. Et ces personnes étaient des modèles. (A Harlem) tous les modèles ont déménagé à la fin des années 1960 et début 1970. Plus de Noirs des classes moyennes doivent prendre l’engagement de revenir dans cette communauté (...) ».

[translation]I think that the black middle-class has been negligent in its responsibilities toward this community. In other neighbourhoods, the middle class has not moved away so there has been a certain stability. There was always a certain mix. There were always poor people living side by side with doctors, lawyers, professors or others. And these individuals were role models. (In Harlem) all the role models moved out in the late 1960s and early 1970s. More middle-class blacks must make the commitment to come back to this community…”

Dans son article de 1992, Monique Taylor montre qu’une grande partie de la classe gentrifiante est noire, contrairement aux perceptions des processus de gentrification, et « motivée par un désir de participer aux rituels qui caractérisent la vie quotidienne dans cette communauté historiquement noire et célèbre ». Cependant, malgré les intentions initiales de ce groupe, Taylor souligne que « les distinctions sociales les isolent souvent de leurs voisins à mesure qu’ils s’efforcent de vivre une vie typique de propriétaire de classe moyenne dans un quartier majoritairement pauvre ». Et donc, alors que c’est en majorité, selon Taylor, le désir de vivre entre soi, entre Noirs, qui a conduit la classe moyenne noire à revenir à Harlem, c’est une séparation non plus raciale mais économique qu’elle rencontre désormais. Taylor ajoute toutefois que cette confrontation ne se produit pas avec la même intensité pour les Noirs qui se sont installés dans les quartiers déjà bourgeois de Harlem, comme Hamilton Heights. A grand renfort de témoignages, elle montre que ceux qui s’éloignent des enclaves huppées rencontrent plus de tensions quotidiennes.

In her 1992 article, Monique Taylor demonstrates that a large portion of the gentrifying class is black, contrary to perceptions of the gentrification process, and is “[tr.] motivated by a desire to participate in the rituals that characterize daily life in this famous historically-black community”. However, despite this group’s initial intentions, Taylor stresses that the “[translation] social distinctions often isolate them from their neighbours to the extent that they try to live the typical life of a middle-class homeowner in a neighbourhood where the majority is poor.” And therefore, according to Taylor, while blacks are in the majority, and the desire to live among one’s own, among blacks, is what led the black middle-class to return to Harlem, there is a separation encountered now that is no longer racial but economic. Taylor adds however that this confrontation does not have the same intensity for the blacks that have settled in the already middle class neighbourhoods of Harlem, like Hamilton Heights. With great reinforcement from testimonials, she shows that those who move away from the posh enclaves encounter more daily tension.

Or, les habitants de Harlem perçoivent rarement la bourgeoisie et la classe moyenne supérieure noires comme responsables des transformations en cours et de l’éviction des Noirs plus pauvres, contrairement au relativement petit nombre de Blancs (Freeman, 2006). Apparemment, cette attitude engendre moins de ressentiment quand il s’agit de Noirs que quand il s’agit de Blancs qui sont, alors, perçus comme des intrus tentant d’imposer leur mode de vie et leurs valeurs. Des reproches adressés aux Blancs consistent à dire que par leurs pratiques, ou non-pratiques, ils modifient la culture locale, la dominent. Dans le domaine de la restauration par exemple, les Blancs ne fréquentent pas les restaurants traditionnels noirs, ils ouvrent d’autres restaurants, de cuisine italienne, entre autres. Mais il faut, une fois encore, nuancer la question raciale par la question sociale car, en revanche, les classes moyennes et supérieures noires fréquentent avec enthousiasme ces nouveaux restaurants.

Harlem’s residents rarely perceive the black bourgeoisie and upper middle-class as responsible for the transformations occurring and the eviction of poorer blacks, in contrast to the relatively small number of whites (Freeman, 2006). Apparently, this attitude engenders less resentment when it involves blacks than when it involves whites, who are perceived as intruders wanting to impose their lifestyle and values. Criticism directed towards whites consists of saying that through what they do, or don’t do, they’re changing the local culture, dominating it. In the area of restaurants, for example, whites do not frequent the traditional black establishments, they open other restaurants featuring Italian or other cuisine. But once again, the race question must be nuanced by the social as, on the other hand, the black upper and middle classes enthusiastically frequent these new restaurants.

Malgré la couleur de peau qu’ils auraient en commun, les conflits d’intérêts sur les usages de l’espace urbain sont donc réels entre les habitants noirs des classes moyennes et supérieures et les habitants plus pauvres. Cela met en évidence la complexité de déterminer des catégories d’acteurs et, ici, il faut en conclure que la communauté noire n’existe pas en tant qu’acteur organisé partageant des intérêts communs à défendre. Cet élément est important pour évaluer les retombées de la gentrification pour chacun des groupes et déterminer si ce processus a induit plus ou moins de justice spatiale et sociale.

Despite the skin colour they may have in common, the conflicts of interests on the uses of urban space are therefore genuine between black middle- and upper-middle class residents and poorer residents. This highlights the complexity of determining the categories of actors and, here, it must be concluded that the black community does not exist as an organized actor sharing common interests to be protected. This element is important for assessing the benefits of gentrification for each group and determining if the process has led to more or less spatial and social justice.

Ainsi, la question se pose de savoir si la gentrification noire se distingue de la gentrification blanche, et si, l’une ou l’autre, sont légitimes et en justifient les coûts sociaux (déplacements de population, destruction des réseaux sociaux, perte d’identité locale, tensions raciales et sociales, conflits…). On peut considérer que la première vague de gentrification noire, comme le montre le témoignage de Yolanda plus haut, correspond à une stratégie identitaire, une volonté d’entre soi sur une base affinitaire et dont les objectifs n’auraient pas tant été de se séparer du reste de la société que de mutualiser les ressources du groupe et d’entretenir une fierté identitaire qui a permis aux Noirs Américains de lutter contre le racisme et la ségrégation, Harlem étant un territoire emblématique de cette lutte. Cependant, deux objections principales peuvent être émises. D’une part, les divisions sociales au sein de la communauté noire sont plus profondes qu’il n’y paraît, ce qui conduit à des stratégies de classe différentes, et, d’autre part, les divisions ethniques entre Noirs (pour ne prendre que ce groupe, alors que certains sous-quartiers de Harlem sont occupés par des Portoricains ou des Dominicains) sont nombreuses. Les rivalités, les incompréhensions et les préjugés ont traversé dès le début du 20ème siècle les Africains-Américains, les Noirs immigrés des Caraïbes et, plus récemment, les Noirs africains (Recoquillon, 2013). De plus, qu’ils soient noirs ou blancs, l’arrivée des nouveaux ménages aux ressources économiques plus importantes a le même effet : les loyers, les valeurs immobilières, le coût de la vie et des services augmentent, étouffant les franges précaires de la population jusqu’à leur déplacement ou leur non-remplacement. Enfin, étant donné le rôle de Harlem dans l’histoire culturelle et politique noire-américaine, sa dépossession des Noirs paraît problématique et sa gentrification a des implications bien au-delà de son territoire.

Thus, the question is whether black gentrification is distinguishable from white gentrification and if either is legitimate and justifies gentrification’s social costs (displacements of population, destruction of social networks, loss of local identity, racial and social tensions, conflicts, etc.). We could consider that the first wave of black gentrification, as shown by Yolanda Jackson’s testimony above, corresponds to an identity-related strategy, a desire to be with one’s own on the basis of affinity and the objectives of which were supposedly not so much to separate oneself from the rest of society as to pool the group’s resources and maintain an identity-based pride which enabled black Americans to struggle against racism and segregation, with Harlem as an iconic territory of this struggle. However, two main objections can be raised. One the one hand, the social divisions within the black community are deeper than would appear, which leads to different class strategies, and on the other hand, there are numerous ethnic divisions among blacks (just to mention this group, while some sub-neighbourhoods of Harlem are occupied by Puerto Ricans or Dominicans). Since the beginning of the 20th century, there have been rivalries, incomprehension and prejudices among African-Americans, black immigrants from the Caribbean and more recently, black Africans (Recoquillon, 2013). Moreover, whether they are black or white, the arrival of new households with greater economic resources has the same effect: rents, real estate values, the cost of living and services rise, suffocating the precarious fringes of the population to the point that they are displaced or not replaced. Finally, given Harlem’s role in black American political and cultural history, its dispossession of blacks would seem problematic and its gentrification has implications that reach well beyond its boundaries.

Les déplacements de population, des mouvements non-consentis ou tout au moins contraints, sont au cœur d’une réflexion sur le droit à la ville et sur la justice spatiale. Or, la gentrification de Harlem n’a globalement pas résulté des initiatives individuelles mais bien d’une politique municipale volontariste qui a favorisé les classes rémunératrices fiscalement et les secteurs économiques influents, l’immobilier en particulier (Recoquillon, 2010). Par exemple, le projet municipal de développement économique du quartier conduit lui aussi à de nombreux déplacements. Les études précédant la requalification de la 125ème Rue anticipaient ainsi le déplacement indirect de 500 personnes (par le biais des hausses de loyers liées à la valorisation de la zone), et le déplacement direct de 71 commerces et de près de 1 000 emplois (NYC Department of City Planning, non daté). Pour compenser la perte de logements à loyers modérés, la municipalité devrait construire environ 500 logements, ce qui est censé renforcer l’offre à Harlem. Toutefois, les règles de calcul définissant le logement abordable (affordability) ne reflètent pas les besoins réels de la population de Harlem[7], et rien ne garantit que les nouveaux logements seront attribués aux personnes déplacées. En conclusion, dans cet exemple, une mesure de justice spatiale en apparence se traduit par une inégalité et un traitement défavorable d’une partie de la population.

Displacements of population are at the heart of reflection on the right to the city and spatial justice. Harlem’s gentrification was not the overall result of individual initiatives but of an aggressive city policy that favoured fiscally lucrative classes and influential economic sectors, real estate in particular (Recoquillon, 2010). For example, the municipal project for the neighbourhood’s economic development also led to many displacements. The studies preceding the rezoning of 125th Street thus anticipated the indirect displacement of 500 individuals (through rent increases related to the area’s enhancement), and the direct displacement of 71 businesses and nearly 1,000 jobs[7]. To compensate for the loss of moderate-cost rental housing, the city would have to build approximately 500 units, which was supposed to bolster the supply in Harlem. However, the rules for calculating affordability do not reflect the actual needs of Harlem’s population[8], and nothing guarantees that the new housing will be allocated to displaced individuals. In conclusion, in this example a degree of apparent spatial justice translates into inequality and unfavourable treatment of a portion of the population.

Dans sa réflexion sur la ségrégation comme injustice spatiale, Sonia Lehman-Frisch concluait que si « des mouvements de ségrégation librement consentis (…) ne peuvent être considérés comme injustes a priori », « la division sociale ou ethno-raciale de l’espace est injuste dès lors qu’elle résulte de processus injustes, qui contreviennent notamment au principe fondamental de la liberté et de l’égalité intrinsèque des personnes » (Lehman-Frisch, 2009, 101). Ainsi, une étude empirique du processus qui a conduit à l’expansion de l’université Columbia à Harlem se révèle féconde pour comprendre le lien entre néolibéralisation et gentrification en ce que cette opération incarne un exemple de coalition entre acteurs publics et privés. La négociation d’un contrat de compensations (community benefits agreement) entre l’université et une organisation privée représentant la communauté locale se révèle, en particulier, centrale.

In her reflection on segregation as spatial injustice, Sonia Lehman-Frisch concluded that if “[tr.] freely accepted processes of segregation…cannot be considered a priori as unjust”, “the social or ethno-racial division of the space is unjust from the moment it results in unjust processes that contravene the intrinsic fundamental principle of individual liberty and equality” (Lehman-Frisch, 2009, 101). Thus, an empirical study of the process that led to Columbia University’s expansion to Harlem is a rich source for understanding the link between neoliberalization and gentrification in that it is a concrete example of coalition between public and private actors. The negotiation of a community benefits agreement between the university and a private organization representing the local community is shown to be particularly key.

 

 

2- L’expansion de Columbia University : un processus participatif local juste[8] ?

2- The expansion of Columbia University: a fair local participatory process[9]?

La gentrification de Harlem a, nous l’avons dit, largement résulté de l’intervention des pouvoirs publics. Très souvent, cette intervention a consisté à permettre la rénovation ou le redéveloppement par des acteurs privés. Ce fût le cas dans le secteur du logement par exemple. Le soutien municipal à l’université s’inscrit dans les orientations politiques de New York et participe de la gentrification du quartier en ce que l’expansion contribue à redessiner un paysage, démographique, économique et urbain local. En effet, les universités jouent un rôle important dans les économies créatives et, en tant que telles, sont un acteur puissant. C’est ce qui faisait dire à Cécilia Kushner, directrice des initiatives spéciales du département d’urbanisme (City Planning) que « ce que Columbia voulait, New York le voulait[9] ».

As we have said, the gentrification of Harlem was largely the result of intervention on the part of public authorities. Very often, this intervention consisted of allowing renovation or redevelopment by private actors. This was the case in the housing sector, for example. The municipal support to the university was part of New York’s political trends and relates to the gentrification of the neighbourhood in that the expansion contributed to redrawing the local demographic, economic, and urban landscape. Universities play an important role in the creative economies and as such, are a powerful actor. This is what made Cecilia Kushner, Director of Special Initiatives of the City Planning Department say that “[tr.] What Columbia wanted, New York wanted[10]”.

Aussi, quand la prestigieuse université de l’Ivy League annonce, en 2003, son intention d’étendre son campus vers le nord, dans un quartier de West Harlem où subsistent des activités d’industrie légère et une faible densité résidentielle, le département d’urbanisme, à la demande de Michaël Bloomberg, entame les études préalables nécessaires à la modification du plan de zonage municipal. Après cinq années de vives oppositions des habitants et au terme d’une consultation publique et de la négociation d’un contrat de compensations entre les parties, le projet est adopté par un conseil municipal divisé en décembre 2007.

Therefore, in 2003 when the prestigious Ivy League university announced its intention to extend its campus northward into a neighbourhood of West Harlem, where there was light industrial activity and low residential density, Michael Bloomberg and the City Planning Department began the necessary preliminary studies for modifying the city zoning plan. After five years of strong opposition from the residents, public consultation, and the negotiation of a compensation agreement between the parties, the project was approved by a divided city council in December 2007.

 

 

Un contrat privé de compensations soutenu par des acteurs publics

A private compensation contract supported by public actors

Lorsque de grands projets sont proposés, il est courant que les promoteurs négocient des contrats de compensations (CBA, Community Benefits Agreement) afin d’apaiser les oppositions. La négociation devient alors le théâtre d’un rapport de force entre les différents acteurs qui tentent de défendre leurs intérêts. Quand les investisseurs privés ont besoin de subventions publiques, c’est-à-dire du soutien d’un ou plusieurs élus, il leur est nécessaire d’obtenir l’ « accord » de la communauté locale. Ainsi, même si Michael Bloomberg et son adjoint au développement économique ne soutenaient pas cette démarche initialement – dans une vision néolibérale, ces accords constituent un frein au développement libre –, ces derniers ont alloué 350 000 dollars et dépêché un médiateur pour dénouer la situation qui semblait s’enliser.

When major projects are proposed, the promoters routinely negotiate Community Benefits Agreements (CBA) in order to soften opposition. Negotiations therefore become a show of the power relations among the various actors, who want to protect their interests. When private investors need public subsidies, i.e. support from one or more elected officials, they need to obtain the local community’s “consent”. Thus, even if Michael Bloomberg and his assistant for economic development did not support this process initially – in a neoliberal vision, these agreements put the brakes on free development – they allocated $335,000 and dispatched a mediator to untangle the situation, which seemed to be getting bogged down.

En 2004, alors que Columbia commençait à informer largement le public de son projet et que des associations exprimaient leur colère, un certain nombre d’acteurs cherchait à se positionner. Ainsi, le conseiller municipal Robert Jackson, « d’abord favorable au projet, a commencé à ajouter un “ si ” ». Sa chef de cabinet, Susan Russell comprend alors la colère des habitants et soulève la question de leur intervention sur le processus urbain. En parlant des protestataires, elle reconnaît que même si le « sujet n’était pas la gentrification – car la gentrification se produisait de toutes façons (...), (elle) ne les blâmait pas de se sentir abandonnés et, franchement, s’ils n’avaient pas protesté, (elle) ne pense pas qu’ils (les élus) se seraient autant investis, et qui sait ce qui se serait passé[10] ! ». Pour autant, en 2004, « au lieu de résoudre les problèmes, ils (les leaders communautaires) ne faisaient que crier sur Columbia, ils ne faisaient que se disputer », poursuit-elle. Alors qu’elle est de plus en plus persuadée que « Columbia avait une responsabilité envers la communauté, y compris parce qu’ils avaient le savoir et le pouvoir d’aider, et que quelque part, ils le devaient à la communauté, ne serait-ce que parce que s’ils veulent s’appeler une université urbaine alors ils doivent l’être », Susan Russel est contactée par Mathew Wambua qui travaille pour le maire adjoint Doctoroff. Dès lors, le jeu d’acteurs s’est resserré en faveur de l’université puisque c’est Daniel Doctoroff, à ce moment maire-adjoint au Développement économique, qui a reçu un appel de Robert Kasdin, vice-président de Columbia, avec qui il était allé à l’université. Ce dernier lui demande alors d’aider son institution face à la contestation grandissante et c’est ainsi que, en juin 2005, une structure privée est mise en place pour négocier avec l’université les accords de compensation, la WHLDC (West Harlem Local Development Corporation). Elle est initialement constituée de représentants de la communauté (conseil de quartier, associations, leaders religieux etc.), invités sur décision de Susan Russel, Mathew Wambua et des dirigeants du conseil de quartier, et auxquels se sont ajoutés les élus locaux[11].

In 2004, when Columbia was starting to broadly inform the public about its plan, and associations were expressing their anger, a certain number of actors sought to position themselves. Thus, city councillor Robert Jackson, who was “[tr.] at first in favour of the plan, began to add conditions.” His chief of staff, Susan Russell, then understood the residents’ anger and raised the question of their participation in the urban process. In speaking of the protesters, she acknowledged that even if the “[tr.] topic were not gentrification – as gentrification was occurring anyway…, (she) did not blame them for feeling abandoned and frankly, if they had not protested, (she) did not think that the (elected officials) would be as involved, and who knows what would’ve happened![11]”. For all that, in 2004, “[tr.] instead of solving the problems, all they (the community leaders) did was scream about Columbia, all they did was argue”, she continued. While she is increasingly convinced that “[tr.] Columbia had a responsibility to the community, including because they had the knowledge and power to help, and that at some point, they owed it to the community, simply because if they want to call themselves an urban university, they have to be one.” Susan Russell was contacted by Mathew Wambua, who worked for the deputy mayor, Doctoroff. From then on, the university gained the upper hand in this stakeholders’ match because the deputy-mayor in charge of Economic Development at the time, Daniel Doctoroff, received a phone call from the Vice President of Columbia, Robert Kasdin, with whom he had gone to the university. Kasdin asked him to help his institution in the face of the growing protest and thus, in June 2005, a private framework (the West Harlem Local Development Corporation-WHLDC, LDC) was put in place for negotiating the compensation agreements with the university. The WHLDC was initially made up of community representatives (neighbourhood council, associations, religious leaders, etc.), invited based on decisions by Susan Russell, Mathew Wambua and neighbourhood council leaders, with the addition of local elected officials[12].

Cependant, des désaccords au sein de la LDC ont rapidement émergé et ont rendu cette procédure très compliquée. Ces désaccords ne portaient pas seulement sur la stratégie à adopter mais bien sur la mission de la commission en elle-même. En effet, alors que certains membres limitaient leur mandat à la négociation et la rédaction d’un accord sur les compensations que Columbia devait attribuer à la communauté, d’autres membres faisaient pression pour avoir un impact directement sur le projet et exigeaient, par exemple, le retrait pur et simple de l’option d’expropriation et donc, que le projet soit construit sans les terrains concernés. Tandis que ces derniers étaient perçus comme des agitateurs bloquant la situation, les autres membres avaient accepté la réalisation du projet et souhaitaient se concentrer sur les accords. Par ailleurs, un certain nombre de membres choisis pour leur représentation d’enjeux identifiés comme essentiels (des représentants de locataires, des entrepreneurs, des leaders religieux...) négociaient, en fait, des sujets qui relevaient du privé.

However, disagreements within the LDC quickly emerged and made this procedure very complicated. These disagreements pertained not only to the strategy to adopt, but to the very mission of the committee. In fact, while certain members limited their mandate to the negotiation and drafting of an agreement on the compensations that Columbia needed to give the community, other members pushed to have an impact directly on the project and demanded, for example, the withdrawal of the expropriation option, pure and simple, and therefore, that the project be built without the land affected. While the latter individuals were perceived as agitators blocking the situation, the other members had accepted realization of the project and wished to concentrate on the agreements. Moreover, a certain number of members chosen for their representation of issues identified as essential (tenants’ representatives, entrepreneurs, religious leaders, etc.) were in fact negotiating matters that came under the private sector.

Les pratiques opaques de la LDC (réunions à huis-clos, opacité sur les membres et les activités du groupe, sur les fonds perçus…) et les accusations de cooptation du conseil par les personnalités politiques, les divisions sur le rôle même de l’organisation, ajoutées au refus d’écarter le recours à la loi d’eminent domain (loi d’expropriation) ont finalement conduit à la démission de trois membres fin novembre 2007 : Tom DeMott, leader de la Coalition to Preserve Community, Nick Sprayregen, un entrepreneur qui a refusé de vendre ses entrepôts à Columbia, et Luisa Henriquez, représentant les locataires menacés d’être déplacés.

The LDC’s opaque practices (closed-door meetings, lack of transparency on the members and the group’s activities, on the funds received, etc.) and the accusation of the council being co-opted by politicians, and divisions on the organization’s very role in addition to the refusal to set aside the law of eminent domain (expropriation law) finally led to the resignation of three members in late November 2007: Tom DeMott, leader of the Coalition to Preserve Community, Nick Sprayregen, a businessman who refused to sell his warehouses to Columbia, and Luisa Henriquez, representing the tenants threatened with displacement.

Au terme d’un véritable bras de fer avec l’université, le 19 décembre 2007, un peu plus de deux ans après sa mise en place, un an après le début des réunions publiques, après la démission de deux membres supplémentaires et quelques heures avant le vote par le conseil municipal, la LDC aboutit à un accord de principe sur les compensations que Columbia devrait verser pour un montant de 150 millions de dollars – dont 30 millions seraient alloués à la construction d’une école publique, 24 millions destinés à la construction de logements abordables et 76 millions consacrés à des programmes sociaux et culturels locaux. En outre, le maire Michael Bloomberg a alors confirmé le soutien de la ville et verrouillé le vote du projet en promettant 150 millions de dollars supplémentaires dédiés au logement abordable au travers de l’agence municipale HPD (Housing Preservation Department).

At the end of a genuine tug-of-war with the university, on December 19, 2007, a little more than two years after its establishment, one year after the start of public meetings, after the resignation of two additional members and a few hours before the city council vote, the LDC reached an agreement in principle on the $150 million in compensation that Columbia would have to give – $30 million allocated for the construction of a public school, $24 million to build affordable housing and $76 million earmarked for local social and cultural programs. Moreover, Mayor Michael Bloomberg then confirmed the city’s support and assured the project’s approval by promising $150 million of additional funding for affordable housing through the municipal housing agency, the Housing Preservation Department (HPD).

La LDC, structure privée qui s’est auto-déclarée pour négocier un accord avec l’université, a souffert de rapports de force internes conflictuels mais aussi du manque d’efficacité de ses membres, à tel point qu’il aura fallu attendre décembre 2011, soit quatre années, pour qu’un site internet voie le jour, mars 2012, pour que des bureaux soient ouverts et qu’un nouveau directeur soit nommé. En mars 2012, 3,5 millions de dollars étaient entre les mains de la LDC dont il restait difficile de comprendre l’action tant pour les habitants que pour les journalistes locaux, par exemple.

The LDC, a private structure that appointed itself to negotiate an agreement with the university, suffered from internal power struggles but also from its members’ lack of efficiency, such that there would be a four-year wait (December 2011), for a website to be created; and it would be March 2012 before the offices opened and a new director appointed. In March 2012, $3.5 million were in the LDC’s hands whose action the residents, local journalists and others all continued to find hard to understand.

Sur le fond, c’est la perspective des retombées économiques positives pour la ville de New York – et son image – qui ont conduit la municipalité à soutenir le projet, au détriment des intérêts d’une partie de la population locale. Tournons donc notre attention sur les impacts de ce projet en termes de justice spatiale.

Basically, it was the economic benefits for the City of New York – and its image – that led the municipality to support the project, to the detriment of the interests of a segment of the local population. So, let’s turn our attention to this projects’ impacts in terms of spatial justice.

 

 

Les impacts de l’expansion de Columbia

The impacts of Columbia’s expansion

Les conséquences de l’expansion de Columbia qui prévoit la reconstruction totale de 7 hectares entre la 125ème et la 135ème Rues sur 25 ans, pour un montant estimé à 7 milliards de dollars, se liront tant dans l’espace urbain que dans l’espace social. En effet, quand les 18 tours de logements et espaces éducatifs et leurs façades de verre auront remplacé les immeubles à un étage et les espaces manufacturiers, les entrepôts, les garages et les petits immeubles résidentiels, le quartier n’aura plus que pour unique fonction de servir la communauté universitaire : étudiants, professeurs et employés.

The consequences of Columbia’s expansion, which anticipated the total reconstruction of 7 hectares between 125th and 135th streets over 25 years for an estimated $7 billion, will be felt from both an urban and social spatial perspective. In fact, when the 18 glass towers containing housing and education spaces have replaced the 1-storey buildings and manufacturing spaces, warehouses, garages and small residential buildings, the neighbourhood will no longer have any function other than to serve the university community: students, professors and employees.

L’université insiste depuis le début sur les opportunités d’emploi que leur projet créera. Ainsi, 1200 emplois par an seraient créés chaque année pendant 25 ans dans le domaine de la construction, selon le site de l’université dédié au projet d’expansion, ainsi que 6000 emplois à terme dans l’université, la moitié d’entre eux étant des emplois de service. Car, en effet, malgré les engagements de l’université à embaucher des personnes du quartier, des minorités et des femmes, le problème est qu’il y a une déconnexion entre le réservoir de qualifications existant à West Harlem, et les offres d’emploi à pourvoir. C’est pourquoi l’université a aussi été contrainte par les organisations locales et les élus à mettre en place des programmes de formation pour préparer des résidents à pourvoir ces emplois ou à obtenir les diplômes requis. Une autre critique émise par les associations dénonce l’aspect temporaire des emplois du secteur de la construction.

Since the outset, the university has stressed the job opportunities that their project will create. Twelve hundred (1,200) jobs would supposedly be created every year for 25 years in the construction sector according to the university’s expansion project website, as well as 6,000 term positions in the university, half of them being service jobs. For, in fact, despite the university’s commitments to hire individuals from the neighbourhood, minorities and women, the problem is that there is a disconnect between the pool of qualifications in West Harlem and the jobs to be filled. That’s why the university has also been forced by local organizations and elected officials to establish training programs to prepare residents to fill these jobs or obtain the necessary diplomas. Another criticism on the part of the associations is the temporary nature of the construction sector jobs.

Par ailleurs, depuis la validation par le Conseil municipal de l’expansion, l’État de New York a autorisé l’expropriation des derniers résidents et entrepreneurs de West Harlem qui avaient refusé de vendre leurs propriétés à l’université[12] malgré ses tentatives de négociation ou d’intimidation le cas échéant. D’ailleurs, la question de la justice était au centre de la bataille car les expropriations sont censées répondre à une nécessité d’intérêt général, de « bien public ». Or, s’agissant des intérêts d’une université privée dont les bénéficiaires n’étaient pas les habitants de Harlem, les associations contestaient son caractère juste. La cour, saisie par les entrepreneurs et par un leader local noir qui souhaitait se faire de la publicité pour se présenter aux futures élections à la Chambre des représentants, a finalement estimé que les revenus générés par l’activité économique de l’université, ainsi que les revenus en taxes et impôts, suffisaient à justifier l’intérêt général du projet.

Moreover, from the time that Council approved the expansion, the State of New York authorized the expropriation of the last residents and businesses from West Harlem, who had refused to sell their properties to the university[13] despite the attempts at negotiation or intimidation, depending on the case. Furthermore, the matter of justice was at the core of the battle as expropriations are supposed to fulfil a common need, a “public good”. As this matter concerned the interests of a private university whose beneficiaries were not Harlem’s residents, the associations disputed its fairness. The court, in the grip of businesspeople and a black local leader who was hoping to get publicity for a future run at the House of Representatives, finally estimated that the revenue generated by the university’s economic activity as well as the tax revenues, were enough to justify the project’s general interest.

Du point de vue sociodémographique, les conséquences prévisibles de l’expansion de l’université sont importantes. Les études d’impact conduites dans le cadre de la consultation publique obligatoire pour amender le plan de zonage ont estimé à 400 le nombre de résidents directement déplacés par le projet d’expansion, à 85 le nombre d’entreprises et commerces déplacés et 5000 le nombre d’emplois menacés. De plus, l’espace affecté par le projet s’étend au-delà du « district spécial » établi par Columbia et les conséquences collatérales touchent l’ensemble de West Harlem dont 5 000 personnes sont menacées de déplacement indirect (principalement par le biais de hausses de loyers d’appartements non protégés[13] dans le périmètre immédiat de l’expansion). Et ceci sera encore aggravé quand l’université aura terminé l’extension de son campus. En effet, alors qu’en 2011, parmi les 27 000 étudiants, seulement 5,2% des étudiants de Columbia sont noirs (et seulement 3,6% pour les seuls 3ème cycle) et 7,5% sont hispaniques (Columbia University, 2011), le profil démographique de la zone d’expansion recensait 33,9% de Noirs et 60,5% d’Hispaniques (Census Bureau, 2010) !

From the socio-demographic perspective, the foreseeable consequences of the university’s expansion are significant. The impact studies conducted as part of the mandatory public consultation for amending the zoning plan estimated that 400 residents and 85 businesses were directly displaced by the expansion project, and 5,000 jobs threatened. In addition, the space affected by the project extends beyond the “special district” established by Columbia, and the collateral impacts affect West Harlem as a whole, including 5,000 individuals who are indirectly threatened with displacement (mainly through rent increases for non rent controlled apartments[14] in the immediate perimeter of the expansion). And this will be further aggravated when the university has completed the expansion of its campus. In fact, while in 2011 only 5.2% of Columbia’s 27,000 students were black (and only 3.6% of graduate students) and 7.5% Hispanic (Columbia University, 2011), according to census information the demographic profile of the expansion area was 33.9% black and 60.5% Hispanic (Census Bureau, 2010)!

Finalement, tant la négociation des accords de compensations que la consultation publique – obligatoire dans le cadre de la modification du plan de zonage – ont laissé une communauté locale amère et divisée. En effet, alors que certains se réjouissent d’avoir obtenu des compensations nombreuses, d’autres y voient la progression plus rapide encore de la gentrification de Harlem et de leur propre dépossession du quartier, ainsi que la victoire des intérêts économiques d’un acteur puissant sur leurs vies. Le fait que ce projet n’ait pu aboutir que grâce au soutien de la municipalité illustre le tournant néolibéral des politiques urbaines à New York.

When all is said and done, both the negotiation of the compensation agreements and the public consultation, which is mandatory for zoning modification plans, left a local community bitter and divided. In fact, where some are delighted having received a great deal of compensation, others see Harlem’s gentrification advancing even more quickly and their own dispossession of the neighbourhood, as well as the victory of a powerful actor’s economic interests over their lives. The fact that this project could not be carried out except with the city’s support illustrates the neoliberal trend of New York’s urban policies.

 

 

Conclusion

Conclusion

Ainsi, l’analyse de la gentrification de Harlem se révèle féconde et illustre efficacement la redéfinition des rapports de force politiques et sociaux aux échelles locale, métropolitaine et globale. La néolibéralisation de l’espace urbain est visible tant dans les processus de production de cet espace – les politiques urbaines emploient de plus en plus systématiquement des mécanismes de gentrification pour aménager les villes – que dans les résultats produits – le développement urbain ne se mesure qu’en termes économiques. Le cas de l’expansion de Columbia University, en particulier, montre comment un puissant acteur privé a pu, grâce au soutien du gouvernement municipal et de l’État, étendre son emprise et acquérir un morceau de territoire, en échange de contreparties financières. L’exercice démocratique mis en place n’a pas permis de concilier les intérêts des habitants, de l’université et de la ville, voire même a permis d’évacuer certaines préoccupations et certains acteurs.

Thus, the analysis of Harlem’s gentrification is fertile and effectively illustrates the redefinition of the social and political power relations on local metropolitan and global scales. The neoliberalization of the urban space is visible both in the processes for producing this space and in the results produced. Urban policies increasingly and systematically use gentrification mechanisms for developing cities, and urban development is measured solely in economic terms. The case of Columbia University’s expansion, in particular, shows how a powerful private actor was able, through city and state government support, to extend its grasp and acquire a piece of territory in exchange for financial compensation. The democratic exercise put in place did not make it possible to reconcile the interests of the residents, the university and the city; indeed, it even allowed certain concerns and actors to be evacuated.

Aujourd’hui, la compétition économique et culturelle à l’échelle internationale sert de justification aux politiques urbaines néolibérales de gentrification, en particulier à New York où, depuis qu’il est maire (2001-2013), Michael Bloomberg a systématisé cette stratégie de reconquête territoriale. Ainsi, les espaces et la distribution des ressources dans ces espaces évoluent au prix du déplacement des habitants et de l’altération des cultures locales. Il est difficile pour les mouvements de résistance d’atteindre les lieux de pouvoir et d’influencer les décisions politiques. Le manque de moyens et de ressources, la puissance de leurs adversaires et leur multiplicité constituent des difficultés importantes dans leur lutte contre la gentrification, contre les déplacements et pour leur droit à la ville. La question de la légitimité à vivre sur un territoire et en contrôler les orientations doit, plus que jamais, rester au cœur des débats qui entourent la gentrification afin de tendre vers plus de justice spatiale.

Today, international economic and cultural competition is used to justify neoliberal urban policies, particularly in New York City. Since he has been mayor (2001-2013), Michael Bloomberg has systematized this strategy of territorial re-conquest. The spaces and distribution of resources in these spaces evolve at the cost of displacing residents and the deterioration of local cultures. It is difficult for resistance movements to reach places of power and have an influence on political decisions. The lack of means and resources, and their adversaries’ power and numbers, are significant difficulties in their struggle against gentrification, against displacements and for their right to the city. The question of the legitimacy of living in a territory and controlling its directions must, more than ever, remain at the centre of the debates surrounding gentrification in order to aim for more spatial justice.

A propos de l’auteur : Charlotte Recoquillon est docteure en géographie/géopolitique à l'Institut Français de Géopolitique, Université Paris VIII.

About the author: Charlotte Recoquillon holds a PhD in Geography/Geopolitics (2010) from the French Institute of Geopolitics, Paris 8.

Pour citer cet article : Charlotte Recoquillon, « Néolibéralisation et (in)justice spatiale :  Le cas de la gentrification de Harlem », justice spatiale | spatial justice, n° 6 juin 2014, http://www.jssj.org/

To quote this article: Charlotte Recoquillon, « Neoliberalization and Spatial (In)Justice:  The Gentrification of Harlem », justice spatiale | spatial justice, n° 6 june 2014, http://www.jssj.org/

 

 

[1] Ce champ de recherche est réinvesti depuis la fin des années 2000 comme le montrent la naissance de cette revue en 2008, ou la parution d’un numéro spécial des Annales de la Géographie en 2009.

[1]Money has been getting put back into this field of research since the late 2000s as shown by the birth of this journal in 2008, and the appearance of a special issue of Annales de la Géographie in 2009.

[2] En effet, si le processus de restructuration de l’espace urbain que constitue la gentrification est souvent présenté du point de vue de ses impacts négatifs – altération de l’identité locale, déplacements de population, spéculation et inflation, déplacements de commerces… –, de nombreux impacts positifs en résultent aussi, tels que l’amélioration des services urbains, de la sécurité, des infrastructures, des indicateurs de santé publique etc. Le cœur de la contestation, dès lors, consiste plutôt à savoir qui bénéficie de ces améliorations.

[2] In fact, if the restructuring process of urban space that is gentrification is often presented from the perspective of its negative impacts – alteration of local identify, displacement of population, speculation and inflation, business displacement, etc. – there are also many positive impacts such as improved urban services, security, infrastructure, public health indicators, etc. At the core of the protest is knowing who benefits from these improvements.

[3] La concentration dans la ville de nombreuses personnes pauvres et/ou sans emploi, souvent marginalisées et victimes d’une ségrégation raciale que les récents acquis des Droits Civiques (1968) n’ont pas encore inversée intensifie les tensions raciales et sociales. La violence de cet environnement urbain s’observe notamment parmi les sans-abri ou encore parmi les jeunes dont les gangs font de nombreuses victimes. Le chômage, aussi, favorise le développement d’économies informelles.

[3] The concentration in the city of many poor and/or unemployed individuals, who are often marginalized and victims of racial segregation that the recently acquired Civil Rights (1968) have not yet reversed intensifies the racial and social tensions. The violence of this urban environment is observed particularly among the homeless and the many youth who are the victims of gangs. Unemployment also fosters the development of informal economies.

[4] Beveridge Andrew (2008), « Harlem’s shifting population », Gotham Gazette

[4] Beveridge Andrew (2008), “Harlem’s shifting population”, Gotham Gazette

[5] Voir la théorie de Neil Smith sur le différentiel de loyers et les cycles d’investissement-désinvestissement (1979).

[5]See Neil Smith’s theory on the rent gap and investment-disinvestment cycles (1979).

[6] L’Upper Manhattan Empowerment Zone est l’une des neuf zones franches créées par Bill Clinton en 1994.

[6] The Upper Manhattan Empowerment Zone is one of nine empowerment zones created by Bill Clinton in 1994.

[7] Ce seuil de logement abordable est calculé à partir du revenu moyen de l’aire métropolitaine de New York, c’est-à-dire qu’il inclut les revenus bien plus élevés des banlieues de la ville.

[7] New York City Department of City Planning, “125th Street corridor rezoning and related actions EIS”, Chapter 3-8, p. 14.

[8] Cette partie reprend certains éléments d’un texte publié par l’auteur dans l’ouvrage collectif Des frontières indépassables ?, sous la direction de Béatrice Giblin et Frédérick Douzet, Armand Colin, 2013.

[8] The affordability threshold is calculated based on average income of the New York metropolitan area, i.e. it includes the much higher incomes of the city’s suburbs.

[9] Entretien, février 2012.

[9] This part takes up certain elements of a text published by the author in the collected work Des frontières indépassables ?, under the direction of Béatrice Giblin and Frédérick Douzet, Armand Colin, 2013.

[10] Entretien, février 2012.

[10] Interview, February 2012.

[11] Les élus n’étaient, dans un premier temps, pas les bienvenus pour siéger à la LDC par crainte de conflits d’intérêts (certains d’entre eux étaient appelés à se prononcer sur le projet dans le cadre de la consultation publique) et d’instrumentalisation électoraliste (certains d’entre eux entrant en campagne électorale quelques mois après).

[11] Interview, February 2012.

[12] Dès le début des années 2000, Columbia a adopté une stratégie d’acquisition foncière systématique dans la zone d’expansion. Ainsi, Columbia a acquis cinquante-neuf immeubles entre 2000 et 2009 parmi les soixante-sept que contient la zone d’expansion, portant le nombre total de ses propriétés à soixante-et-un.

[12] Early on, the elected officials were not welcome to sit on the LDC for fear of conflicts of interests (some of them were called upon to speak about the project as part of the public consultation) and that they would use it for election purposes (some of them beginning an election campaign a few months later).

[13] On appelle « appartements protégés » les appartements qui bénéficient d’un programme de régulation et de contrôle des loyers qui limite leur hausse chaque année. Les propriétaires dont les appartements ne sont pas contraints d’obéir à ces lois peuvent augmenter les loyers de façon très importante, notamment dans les quartiers en gentrification.

[13] Since the early 2000s, Columbia has adopted a systematic land acquisition strategy in the expansion zone. Thus, Columbia purchased 59 buildings between 2000 and 2009 among the 67 in the expansion area, bringing the total number of its properties to 61.

 

[14] “Protected apartments” are under a rent control and regulation program that restricts their increase every year. The owners whose apartments are not rent controlled may raise the rents quite significantly, particularly in neighbourhoods undergoing gentrification.

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