Patrimoine culturel et stratégies de mode de vie dans le « placemaking » à Kaka’ako, Hawai‘i

Cultural Heritage and Lifestyle Strategies in the Placemaking of Kaka’ako, Hawai‘i

Note des auteures

Authors note

Les deux auteures ont contribué à parts égales à cet article. La première s’est chargée de rassembler les données et les résultats ; la seconde a fourni le cadre et le contexte. Le texte a été écrit conjointement par les deux auteures.

Both authors contributed equally to this article. The first one collected the data and results. The second provided the framework and background. Both authors wrote the text.

 

 

Prologue

Prologue

« C’est mon troisième jour à Honolulu, une ville bien différente de Graz, ma ville natale. Je marche dans Cooke Street et passe devant des entrepôts décorés de magnifiques peintures murales gigantesques. Certaines d’entre elles semblent vouloir vous enseigner l’histoire d’Hawaï, tandis que d’autres font mine de vous transporter dans un conte de fées. Je tourne à gauche et aperçois un atelier de réparation automobile. Bien sûr, c’est de cela que parle la littérature – de l’ancienne industrie encore bien présente à Kaka'ako. Charmant. Et voici une brasserie branchée. Il faut que je revienne une fois ici en soirée. Il n’y a pas beaucoup de gens dans les rues. Les rares personnes que je croise sont de jeunes citadin·e·s, âgé·e·s de 20 à 30 ans. Je me sens connectée à elles et eux. Iels s’habillent comme moi, et j’ai le sentiment que nous avons bien plus de choses en commun. Comme le fait d’aimer boire un café sophistiqué. Ah, parfait, voilà justement un café. “Un chai latte, s’il vous plaît.” Même si j’ai lu pas mal de choses sur “Our Kaka'ako” et surtout sur “SALT”, le lieu de rassemblement du quartier, je me sens maintenant presque aveuglée par tout ce qu’il a à offrir. Ce quartier a été créé pour des gens comme moi – des jeunes citadin·e·s, intellectuel·le·s et créatif·ve·s. Je m’intégrerais parfaitement ici. Et il est si proche du front de mer. Ah, voici le Waterfront Park. Je le traverse afin d’avoir une vue sur le bassin de Kewalo. Soudain, un sentiment étrange s’empare de moi. Quelque chose me dit de ne pas continuer ma route. J’arrête de rêvasser et d’imaginer ce que ma vie pourrait être si je vivais dans “Our Kaka'ako” ; la réalité me frappe de plein fouet. Je vois des tentes dispersées dans le parc. Une multitude d’yeux me regardent. Ce parc est leur parc. Les gens comme moi n’y sont pas les bienvenus. Il est midi, mais je me sens très mal à l’aise. C’est une situation inédite pour moi. Je n’ai jamais vu autant de sans-abri rassemblé·e·s en un seul endroit. J’ai peur, je suis triste et en colère en même temps. La plupart d’entre elles et eux ont l’air d’être polynésien·ne·s. Cette île ne devrait-elle pas être la leur ? Pourquoi les autochtones hawaïen·ne·s doivent-iels vivre dans une tente dans le Waterfront Park tandis que de riches étranger·ère·s les observent depuis leur jardin sur le toit ou la piscine à débordement d’une des nouvelles tours ? J’ai lu que certains immeubles sont vides la majeure partie de l’année. Cela n’a pas de sens. Cela me met en colère. Comment les jeunes peuvent-iels déguster paisiblement leur café à 5 $ alors qu’il y a autant de pauvres de l’autre côté du Ala Moana Boulevard ? Comment un lieu célèbre pour son “esprit aloha” peut-il être aussi inégal et exclusif ? » (Astrid Holzinger, extrait de journal de terrain, Kaka'ako, 2017)

“This is my 3rd day in Honolulu, a city way different than my hometown Graz. I am walking down Cooke Street, passing warehouses with huge and beautiful murals. Some of them look like they want to teach you about Hawaiian history while others seem like carrying you off into a fairy-tale. I turn left and recognize a car repair shop. Of course, that’s what literature is talking about—the old industry that is still remaining in Kaka’ako. Nice charm. And here is a hip brewery. I need to come back once during the evening. There are not many people on the streets. The few people I see are young, urban and in their early 20s to early 30s. I feel connected to them. They dress similar to me and I have the feeling that we even have more things in common. Like drinking fancy coffee. Ah, perfect there is a coffee shop. ‘One chai latte, please.’ Even if I read a lot about the neighborhood of ‘Our Kaka’ako’ and especially their gathering place ‘SALT’, I now feel blinded by its offers. It is a district created for people like me—young, urban, intellectual, creative. I would fit in here perfectly. And it is so close to the waterfront. Ah, here is Waterfront Park. Let’s cross it to get a view on Kewalo Basin. I have a strange feeling now. Something tells me not to continue walking. My daydreaming of living in ‘Our Kaka’ako’ stops and reality hits me hard. There are tents scattered across the park. Many eyes are watching me. This is their park. People like me are not welcome. It is midday but I feel very uncomfortable. It is a situation I have never been to. I have never seen so many homeless people at once before. I feel afraid, sad and angry at the same time. Most people look Polynesian. Should it not be their island? Why do Native Hawaiians have to live in a tent in Waterfront Park while rich foreigners look down on them from a rooftop garden or the infinity pool of one of the new high-rises? I read that some of the condominiums are empty most of the year. It does not make sense. It makes me angry. How can young people enjoy their $5 coffee while many poor people are on the other side of Ala Moana Boulevard? How can a place that is famous for the ‘Aloha spirit’ be that unequal and exclusive?” (Astrid Holzinger, diary fragment of the fieldwork, Kaka’ako, 2017)

 

 

Introduction

Introduction

Alors que dans le monde entier, en raison du changement climatique et d’autres défis, le développement urbain intègre davantage de pratiques et de principes de durabilité environnementale, cela se traduit également à l’échelle locale, modifiant ainsi l’environnement existant de multiples façons. Cet article a pour point de départ l’importance de comprendre les influences dynamiques de la culture vivante (Toelken, 1996) sur les récits actuels et historiques dans les transpositions locales de la durabilité urbaine. Dans différentes parties du monde, les acteurs internationaux et locaux ont reconnu l’importance du patrimoine culturel et plaident pour que la culture fasse partie intégrante des indicateurs de développement durable (Hassan et Lee, 2015), voire pour un développement durable axé sur la culture (Hribar, David and Primož, 2015). Néanmoins, la motivation qui sous-tend des initiatives durables axées sur les adaptations et les développements environnementaux ne comporte pas toujours de dimension de justice sociale. Sharon Zukin affirme que la préservation culturelle est plutôt un outil de marketing ou une stratégie de mode de vie des sociétés immobilières pour créer un « esprit des lieux authentique » visant à attirer de riches nouveaux·elles arrivant·e·s, détenteur·rice·s de capitaux (2011, p. 162). Consécutivement, cela « s’avère problématique pour les résidents de longue date, entraînant parfois leur déplacement » (ibid.). Dans ses travaux de recherche sur le thème de la conservation historique durable, Erica Avrami (2016) a indiqué qu’il existe des tensions entre la préservation et d’autres objectifs de développement durable, tels que l’égalité, mais aussi que de nombreux cas et données empiriques font défaut. Certain·e·s chercheur·e·s ont avancé l’argument selon lequel la valeur esthétique attire les résident·e·s potentiel·le·s (aux revenus élevés), tandis que la faible offre de logements en raison des restrictions sur les constructions plus grandes ou à plus forte densité peut entraîner l’augmentation du prix des immeubles résidentiels dans un même quartier (ibid. ; Zukin, 1987). Par ailleurs, la protection des « vieux » bâtiments aurait également un impact environnemental positif. Par exemple, une étude des stocks et des flux de matériaux portant sur la reconversion de Tiexi, un site industriel en Chine, sur une période d’un siècle a révélé que les redéveloppements urbains où le patrimoine culturel bâti a été démoli ont des conséquences néfastes en matière de déchets de construction et de démolition ainsi que d’extraction des matériaux (Guo, Fishman, Wang et al., 2021). La protection et la promotion du patrimoine culturel peuvent générer des avantages économiques à l’échelle locale, tels que la création d’emplois et de revenus (Chong et Balasingam, 2019). En outre, le patrimoine culturel permet de transmettre des connaissances relatives au lieu en question, ce qui peut faciliter la conception et l’adaptation aux défis environnementaux spécifiques de ce dernier. La protection du patrimoine culturel n’est pas uniquement une stratégie de gentrification, mais pourrait également répondre à des objectifs de développement durable.

While urban development worldwide, in the wake of climate change and other challenges, is integrating more practices and principles of environmental sustainability, local translations manifest and change the existing environment in different ways. The departure point of this article is the importance of understanding the dynamic interactions of living culture (Toelken, 1996) on the current and historical narratives in the local translations of urban sustainability. In different parts of the world, international and local actors alike recognized Cultural Heritage (CH) and advocate for culture to be part of sustainable development indicators (Hassan and Lee, 2015), or even more for culture-led sustainable development (Hribar, David and Primož, 2015). Notwithstanding, the motivation behind sustainable initiatives with a focus on environmental adaptations and developments do not always include/integrate a social justice dimension. Sharon Zukin noted that cultural preservation is rather a marketing tool or lifestyle strategy of real estate companies to create an “authentic sense of place” (2011, p. 162) which attracts capital rich newcomers. Subsequently, it “challenges and sometimes displaces long term residents” (ibid.). In her literature research on the topic of making historic conservation sustainable, Erica Avrami (2016) noted that there are tensions between preservation and other sustainable development goals, like equality, but also that many cases and empirical data are missing. Some scholars have brought forward the argument that aesthetic value attracts potential (high-income) residents, but low supply of housing due to restrictions on larger or higher density infill can drive up the price of residential buildings in the area (ibid.; Zukin, 1987). On the other hand, protecting “old” buildings would also be good in terms of environmental impacts. For instance, a material stock and flow study of redevelopment of Tiexi, an industrial site in China, over the span of a century, revealed that urban renewals, where cultural built heritage got demolished, has pernicious consequences on construction and demolition waste and material extraction (Guo, Fishman, Wang et al., 2021). The protection and promotion of CH can lead to local economic benefits, like job and income creation (Chong and Balasingam, 2019). In addition, cultural heritage transfers knowledge about the place, which can help in the design and adaptation of place-specific environmental challenges. Cultural heritage protection is not only a strategy of gentrification but could also serve sustainable development goals.

Une analyse des tactiques dans la mobilisation de la culture peut en révéler plus sur les différentes approches de la culture et du patrimoine. La culture est fluide, ce qui laisse sous-entendre qu’il existe toute une série d’« histoires » et d’éléments culturels parmi lesquels choisir. Dans les années 1960, la petite vague d’investissements de capitaux du marché privé dans le redéveloppement de villes occidentales visait la vitalité, mais se caractérisait également par un haut degré de sélectivité (Zukin, 1987). Aujourd’hui encore, ces choix du passé façonnent le présent. En outre, les promoteurs peuvent parfois « introduire » des pratiques ou des motifs culturels qui ne paraissent pas authentiques aux populations locales ou à certaines communautés attachées à une autre culture. Cela peut être le résultat d’une invention historique ou de la manipulation de la mémoire collective de l’histoire culturelle (Said, 2000 ; Orlić, 2013). Par exemple, dans le cas d’Hawai‘i[1], le concept de hula (auana) que de nombreux non-Hawaïens et touristes considèrent comme l’ancien hula des autochtones est en réalité une tradition qui vient des colons. Le hula traditionnel, le kahiko, n’est pas accompagné de sons de guitare et de ukulélé et est devenu moins fréquent, même à Honolulu. Plus encore, la culture locale risque de disparaître en raison d’une invasion d’éléments culturels « étrangers ». Dans d’autres pays d’Asie-Pacifique comme le Japon, le patrimoine culturel bâti est menacé par l’introduction de nouveaux choix en matière de mode de vie et de normes culturelles qui sont pour la plupart importés de l’Ouest (Wuyts, Miatto, Sedlitzky et al., 2019 ; Wuyts, Sedlitzky, Morita et al., 2020). La sélection ou l’introduction d’éléments culturels va souvent de pair avec le rejet ou l’exclusion d’autres éléments. Le choix ou l’appropriation d’éléments culturels pourrait ainsi entraîner des conflits entre les professionnels du marketing territorial et les populations locales, et même conduire à l’éradication de la culture concernée (Kearns et Philo, 1993 ; Hubbard, 1998). Dans le cas d’Hawaiʻi, à titre d’exemple, la culture précoloniale est commercialisée de telle manière qu’elle apparaît moins spéciale et moins unique (Harvey, 2012). Et en effet, si l’histoire et l’identité culturelle sont pertinentes pour les communautés, il est également nécessaire de générer des revenus. La situation peut revêtir un caractère politique, sensible et complexe, et entraîner des conflits (Kearns et Philo, 1993 ; MacLeod et Carrier, 2010), d’autant plus que la production et la consommation de culture, ainsi que ce choix d’éléments culturels, sont sous le contrôle d’acteur·rice·s relativement puissant·e·s (ibid.).

An analysis of the tactics in the mobilization of culture can reveal more about the different approaches to culture and heritage. Culture is fluid, which implies there is a whole array of “history” and cultural elements to choose from. In the 1960s, the small wave of private market capital investments in redevelopments in western cities aimed for vitality but was also characterized by a high degree of selectivity (Zukin, 1987). Even nowadays these choices of the past are shaping the presence. In addition, sometimes developers can “introduce” cultural practices or motives which do not feel authentic to local people or certain communities who are attached to another culture. This can happen through historical invention or manipulation of collective memory of cultural history (Said, 2000; Orlić, 2013). For instance, in Hawai’i’s[1] case, the concept of (ʻauana) hula, which many non-Hawaiians and tourists perceive as an ancient indigenous hula, is a tradition invented by settlers. The traditional hula, kahiko, is not accompanied by guitar and ukulele sounds and becomes less seen even in Honolulu. Even more, local culture could be erased by the invasion of “alien” cultural elements. In other Asia-Pacific countries like Japan, cultural built heritage is threatened by the introduction of new lifestyle choices and cultural norms, which are mostly imported from the west (Wuyts, Miatto, Sedlitzky et al., 2019; Wuyts, Sedlitzky, Morita et al., 2020). Selection or introduction of cultural elements often means rejection or exclusion of other elements. Selecting or appropriating elements of culture could lead to conflicts between the place marketeers and local people and even lead to the eradication of this culture (Kearns and Philo, 1993; Hubbard, 1998). To illustrate this with the case of Hawai‘i, the precolonial culture is marketed in such a way that it appears less special and less unique (Harvey, 2012). Hence, as history and cultural identity are relevant for communities but there is also the need to generate income. The situation can become political, sensitive and complex and can lead to conflicts (Kearns and Philo, 1993; MacLeod and Carrier, 2010), especially as the production and consumption of culture, and the choice of cultural elements, are in control of relatively powerful stakeholders (ibid.).

Bien que les propriétaires fonciers et les promoteurs dont il est question dans cette étude de cas prétendent inviter tou·te·s les résident·e·s et visiteur·rice·s à « découvrir l’endroit urbain le plus désirable et le plus durable d’Hawaii où travailler, vivre, apprendre et jouer » (Kamehameha Schools, 2008, p. 2), en réalité, tout le monde n’a pas le privilège de participer. Plus encore, certaines histoires sont exclues du processus. Néanmoins, Mateja Šmid Hribar, David Bole et Pipan Primož (2015) ont insisté sur le rôle de la communauté locale en tant que principale partie prenante dans le processus de développement local axé sur le patrimoine culturel et ont mis en avant la valeur ajoutée d’une capacité institutionnelle et d’une approche participative. Cet article se penche sur l’inclusion d’éléments culturels et de modes de vie plus commercialisables (et sur les communautés locales qu’ils représentent) dans le spatial fix[2] de Kaka'ako, un quartier au cœur d’Honolulu, au cours des dernières décennies, c’est-à-dire l’adéquation entre la génération de capital et les solutions environnementales aux problèmes locaux (symptomatiques) (While, Jonas et Gibbs, 2004). Cette combinaison entraîne souvent de nouvelles inégalités spatiales, qui sont explorées par plusieurs chercheur·e·s (Curran et Hamilton, 2017). Cet article examine la création d’une autre inégalité spatiale, qui – à notre connaissance – n’a pas encore fait l’objet d’études : la gentrification environnementale se fait souvent au détriment d’autres « histoires ». Nous entendons par là les récits des communautés locales qui ont vécu ou vivent encore en marge de ce lieu. À nos yeux, le développement axé sur la culture ne doit pas être synonyme d’appropriation d’éléments culturels pour leur valeur esthétique dans le cadre d’un redéveloppement orienté vers les nouveaux·elles arrivant·e·s, mais tendre à trouver un équilibre entre l’amélioration du lieu et le respect du plus grand nombre possible d’histoires de ce lieu.

While landowners and developers of this case study claim to invite all residents and visitors to “discover the most desirable and sustainable urban place in Hawai‘i to work, live, learn and play” (Kamehameha Schools, 2008, p. 2), in reality not everyone is privileged to participate. Even more, some histories are excluded in the process. Notwithstanding, Mateja Šmid Hribar, David Bole and Pipan Primož (2015) placed emphasis on the role of the local community as the main stakeholder and process in cultural heritage oriented local development and noted the added value of an institutional capacity and participatory approach. This paper zooms in on the inclusion of more marketable cultural elements and lifestyles (and the local communities represented by it) in the spatial fix[2] of Kaka’ako, a neighborhood in the heart of Honolulu, during the past decades, i.e., matching capital generation and environmental solutions for the (symptom) local problems (While, Jonas and Gibbs, 2004). This combination often leads to new spatial inequalities which are explored by several scholars (Curran and Hamilton, 2017). This manuscript reflects upon the creation of another spatial inequality, which—to our knowledge—has not been investigated. Environmental gentrification often happens at the expense of other “histories”. By that we mean narratives of local communities that have lived or still have been living in the margins of this place. To us, culture-led development does not mean appropriating cultural elements for aesthetic value in redevelopment oriented to newcomers, but it means to find a balance between improving the place and respecting as many histories of this place as possible.

L’étude de cas que nous avons choisie est celle de Kaka'ako, un (re)développement d’un quartier du front de mer d’Honolulu. Celui-ci compte une grande variété de parties prenantes. La carte suivante (figure 1) illustre la composition des propriétaires fonciers privés et des terres appartenant à la Hawai‘i Community Development Authority (HCDA) : elle permet de visualiser le développement en cours. Ce qui distingue cette étude de cas de celles portant sur d’autres fronts de mer, principalement en Amérique du Nord, est la composition de la population et l’intégration de symboles culturels précoloniaux dans le redéveloppement des sites industriels comme une sorte de « nettoyage culturel » (Auclair, 2014). Alors que les zones de peuplement informelles sont plutôt habitées par une population polynésienne, les nouveaux bâtiments attirent non seulement la classe blanche supérieure et moyenne, mais aussi de riches investisseurs des états continentaux des États-Unis et d’Asie (Spencer, 2014 ; Loomis, 2018).

The case study is Kaka’ako, a waterfront (re)development of a district in Honolulu. The district has a broad variety of stakeholders. The following map (figure 1) shows the composition of the private landowners and the land owned by the Hawai‘i Community Development Authority (HCDA). It visualizes the ongoing development. What distinguishes this case study from other studied waterfronts, mostly in North America, is the composition of the population and the integration of precolonial cultural symbols in the redevelopment of industrial sites as some sort of “culture washing” (Auclair, 2014). While the informal settlements are inhabited by a more Polynesian population, the new buildings not only attract the white upper and middle class, but also wealthy investors from mainland US and Asia (Spencer, 2014; Loomis, 2018).

Carte de la propriété foncière à Kaka'ako avec la localisation des photos du présent article.

Figure 1 : Carte de la propriété foncière à Kaka'ako avec la localisation des photos du présent article © Holzinger, 2020

Figure 1: Map of the landownership in Kaka’ako with the localization of this article’s photos © Holzinger, 2020

 

 

Avant la colonisation, Kaka'ako était un lieu de loisirs pour les autochtones hawaïen·ne·s, utilisé pour la purification, la pêche, les pratiques religieuses ainsi que pour ses débarcadères pour pirogues (Wu, 2007). Ironiquement, de nos jours, ce lieu est affecté à la création d’un espace de loisirs pour les nouveaux·elles arrivant·e·s afin de créer des possibilités d’accumulation de capital. Après le Great Mahele, une mesure de division des terres visant à introduire la propriété privée, instauré en 1848, les propriétaires fonciers ont transformé ce district en un centre industriel (Balderston, 2016), ce qui s’est traduit par des inégalités entre autochtones et allochtones (Grandinetti, 2019). Depuis le développement industriel de la fin du XIXe siècle, Kaka'ako a toujours été un quartier du prolétariat. Au début du XXe siècle, les autochtones hawaïen·ne·s, qui se sont retrouvé·e·s sans-abri après la privatisation des terres et de l’accès au marché, occupaient une bande de terrain vague à Kaka'ako, mais ont été expulsé·e·s par le gouvernement territorial dans les années 1920, laissant la place aux ouvrier·ère·s (Balderston, 2016). Dans les années 1940, ce district a été réservé à un usage strictement industriel, ce qui a entraîné une deuxième vague de déplacement (Johnson et Turnbull, 1991). Dans les années 1980, la communauté comptait 2 300 habitant·e·s et près de dix fois plus de travailleur·euse·s (Steele, 1990). Jusqu’au début du développement récent, beaucoup de gens associaient la région à la criminalité et la considéraient comme une friche industrielle (Holzinger, 2018). Kaka'ako a connu d’énormes changements, passant d’une colonie de pêcheurs à une zone à vocation industrielle et commerciale et à une communauté ethniquement diversifiée, pour devenir le quartier « mixte » qu’il est aujourd’hui.

Before colonization, Kaka’ako was a place of recreation for Native Hawaiians used for cleansing, fishing, canoe landings, and religious practices (Wu, 2007). Ironically, nowadays, this place is being appropriated to create recreational space for newcomers in order to generate capital accumulation opportunities. After the Great Mahele, a land division measure to introduce private property in 1848, landowners transformed this district into an industrial hub (Balderston, 2016), which translated into inequalities between the native and non-native locals (Grandinetti, 2019). Since industrial development in the late 19th century, Kaka’ako has always been a neighborhood of the proletariat. In the early 20th century, Native Hawaiians, who were homeless as a result of privatization of land and access to the market, occupied a strip of wasteland in Kaka’ako, but were evicted by the territorial government in the 1920s, only making space for the blue collars (Balderston, 2016). In the 1940s, this district was designated for strictly industrial use, leading to a second wave of displacement (Johnson and Turnbull, 1991). In the 1980s, the community counted 2,300 residents and almost ten times as many workers (Steele, 1990). Until the recent development started, many people associated the area with criminality and thought of it as an industrial wasteland (Holzinger, 2018). Kaka’ako has undergone tremendous changes, transitioning from a fishing settlement to an area with an industrial and commercial focus and an ethnically diverse community, and then to the “mixed-use” neighborhood it is today.

Les défis actuels d’Hawai‘i et surtout d’Honolulu sont non seulement causés par le secteur du tourisme, car les îles sont considérées comme un paradis sur terre, entraînant ainsi un tourisme de masse, mais aussi par des problèmes de logement, à cause de l’espace limité de l’île d’O‘ahu. Après la Seconde Guerre mondiale, les investissements immobiliers et la spéculation ont stimulé la croissance démographique, notamment avec l’arrivée de nouveaux·elles résident·e·s en provenance du continent américain et des pays d’Asie (Spencer, 2015 ; Minerbi, 1994). En raison de la surface de la ville et de sa population croissante, le coût élevé de la vie oblige les résident·e·s à cumuler deux emplois ou à se retrouver sans abri (Spencer, 2015). Les logements abordables pour les résident·e·s à faibles revenus sont en concurrence avec les gratte-ciel de luxe construits pour les retraité·e·s californien·ne·s, new-yorkais·es, japonais·es et autres personnes fortunées qui cherchent à déménager. En 2015, la population de sans-abri d’Hawaï (dont la majorité vit à Honolulu) a atteint 7 620 personnes, ce qui en fait l’État avec la plus forte population de sans-abri par habitant aux États-Unis (Nagourney, 2016 ; Spencer, 2015, Minerbi, 1994 ; voir figure 2).

Today’s challenges of Hawai‘i and especially Honolulu are caused not only by the tourism sector, as the islands are seen as paradise on earth which led to mass tourism, but also by housing issues, due to the limited space of the island of O’ahu. After World War II, real estate investment and speculation have spurred population growth, especially with an influx of new residents from the US mainland and Asian countries (Spencer, 2014; Minerbi, 1994). Because of the city’s land mass and growing population, the high cost of living forces residents to either work two jobs or experience homelessness (Spencer, 2014). Affordable housing for low-income residents competes with luxury high-rises constructed for retired Californians, New Yorkers, Japanese, and other wealthy individuals looking to relocate. In 2015, the homeless population of Hawai‘i (with the majority living in Honolulu) reached 7,620, making it the state with the highest homeless population per capita in the United States (Nagourney, 2016; Spencer, 2014; Minerbi, 1994; see figure 2).

Foyer pour sans-abri à Kaka’ako

Figure 2 : Foyer pour sans-abri à Kaka’ako © Holzinger, 2017

Figure 2: Homeless shelter in Kaka’ako © Holzinger, 2017

 

 

En prenant Kaka'ako comme étude de cas, cet article cherche à aborder la perte potentielle de la sensibilisation et de l’implication communautaires, ainsi que de l’héritage culturel de ce quartier hawaïen au cours de son redéveloppement, bien que les initiatives de redéveloppement prétendent célébrer l’héritage culturel de la communauté lié à différentes époques dans leur processus de placemaking (littéralement la « création d’espaces »). Zukin (1987) a déjà évoqué la question de l’utilisation de la préservation historique par les différentes classes, qui se regroupent autour de choix de vie collectifs, pour coloniser les espaces urbains. Cependant, nous nous concentrons sur un lieu qui a d’autres racines culturelles que les cas de gentrification traditionnellement étudiés. La deuxième section de cet article expose le matériel et les méthodes sur lesquels se fonde cette étude. La troisième section commence par la description du placemaking créatif contemporain à Kaka'ako afin de présenter le rôle de la sensibilisation et de l’implication communautaires contemporaines dans le redéveloppement. Alors que la première sous-section de cette partie donne un aperçu des principaux propriétaires fonciers, la seconde sous-section présente les éléments culturels (dont l’histoire) qui sont intégrés dans le paysage urbain actuel de Kaka’ako. La section suivante traite de la façon dont les promoteurs et les décideurs politiques pourraient intégrer la culture de manière plus approfondie dans le (re)développement d’un quartier. Enfin, la dernière conclut par des suggestions pour un avenir alternatif pour Kaka’ako.

Using Kaka’ako as a case study, this paper aims at addressing the potential loss of community outreach and involvement, and their cultural heritage in the redevelopment of the Hawaiian neighborhood, although redevelopment initiatives claim to celebrate the community’s cultural heritage of different times in their placemaking process. Zukin (1987) addressed already the use of historic preservation by classes, which cluster around collective lifestyle choices, to colonize urban spaces. However, we shift the focus to a place which has other cultural roots than traditional studied gentrification cases. The second section zooms in on the material and methods that this study is based on. The third section starts with the description of contemporary creative placemaking in Kaka’ako in order to present the contemporary community outreach and involvement in the redevelopment. While the first subsection of this part gives a background of the main landowners, the next one presents which cultural elements (of which history) are integrated in the current urban landscape of Kaka’ako. The next section discusses how developers and policy-makers could integrate culture in a deeper way in the (re)development of a neighborhood. The last one concludes with suggestions of what an alternative future for Kaka’ako could look like.

 

 

Matériel et méthodes

Material and methods

Nous appuyant sur les arguments de Judith Rosendahl, Matheus A. Zanella, Stephan Rist et al. et dans le respect des principes de réflexion, nous sommes d’avis qu’il est essentiel de nous positionner, car « […] les revendications de connaissances sont toujours socialement situées. La situation sociale d’une personne rend possible et limite ce qu’elle peut savoir » (2015, p. 19). Cette étude fait partie d’un mémoire de fin d’études réalisé au département de géographie de l’université de Graz, dont l’objectif est de comprendre l’histoire environnementale, les ressources et les réseaux sociaux de Kaka’ako (Holzinger, 2018). La première auteure a résidé à Hawaï de juillet à novembre 2017, période durant laquelle elle a participé à différents événements et réunions publiques en tant qu’auditrice active. Elle a mené quatorze interviews d’experts en suivant un guide d’entretien semi-directif, ainsi que six interviews narratives non directives. Les échanges duraient en moyenne une heure. Le plus court a duré environ 30 minutes et le plus longue 1 h 30. Ces entretiens ont permis de comprendre l’histoire (émotionnelle) du quartier, le lien qui existe entre les acteur·rice·s, ainsi que l’implication de la communauté, la façon dont sont perçus le nouvel aménagement et les prévisions pour l’avenir. Parmi les personnes interrogées figuraient les dirigeant·e·s des trois principaux propriétaires fonciers – la HCDA, la Ville et le Comté d’Honolulu –, ainsi que des professeur·e·s d’université et des habitant·e·s de Kaka'ako. D’autres informations sont issues d’articles de journaux, de blogs, d’événements de quartier et d’habitant·e·s faisant partie du réseau personnel des auteures. Les sources secondaires comprennent des recherches universitaires antérieures, d’autres études de cas et un nombre limité de dossiers et de statistiques provenant des unités administratives (des projets, des programmes et des documents politiques), des cartes, des diagrammes, des photographies et des textes publiés sur le(s) site(s) internet des parties prenantes ou sur les canaux officiels de leurs réseaux sociaux. L’ensemble des procédures mises en œuvre, des événements observés et des contributions à cette étude a été systématiquement documenté dans des journaux de terrain et par des photographies. Grâce à la diversité des sources, nous avons pu observer, documenter et analyser de nombreux points de vue relatifs au quartier étudié. Cela nous a également permis de remettre en question les incohérences et les injustices existantes. Depuis le mois d’août 2017, nous avons correspondu entre nous en ligne : nous avons échangé de longs courriels analytiques, réalisé des réunions introspectives et publié des blogs portant sur nos recherches. On pourrait dire que nous pouvons être considérées toutes deux comme des outsiders (Kerstetter, 2012 ; Staeheli et Lawson, 1995). Cependant, nous avons essayé d’être conscientes de nos préjugés et de nos aveuglements. Nous avons donc décidé de commencer et de terminer cet article par des fragments de journal personnel où nous reconnaissons que nous sommes de jeunes professionnelles privilégiées qui bénéficient d’une consommation culturelle haut de gamme et renforcent même la dynamique du placemaking.

Based on arguments by Judith Rosendahl, Matheus A. Zanella, Stephan Rist et al. to make research more reflective, we feel it is pivotal to state our positionality, because “[…] knowledge claims are always socially situated. One’s social situation both enables and sets limits on what one can know” (2015, p. 19). This study is part of a master’s thesis at the Department of Geography, University of Graz, of one of us, with the purpose of understanding the environmental history, resources, and social networks of Kaka’ako (Holzinger, 2018). She resided in Hawai‘i from July to November 2017, during which time she attended different public events and meetings as an active listener. She conducted fourteen expert interviews along with a semi-structured interview guide and six narrative interviews that did not follow the guided interview structure. The interviews lasted on average one hour. The shortest interview lasted approximately thirty minutes and the longest took one hour and thirty minutes. The interviews helped to understand the (emotional) history of the neighborhood, the link between actors, as well as the involvement of the community, the perception of the new development and the forecast of the future. Interview partners were executive leaders of all three main landowners, HCDA and the City and County of Honolulu, as well as university professors and residents of Kaka’ako. Further information was drawn from newspaper articles, blogs, neighborhood events and the authors’ personal network of locals. Secondary sources included previous academic research other case studies, and a limited number of records and statistics from administration units (projects, programs and policy documents), and maps, diagrams, photographs, and texts published on stakeholders’ website(s) or official social media channels. All procedures implemented, observed events, and contributions to this study were systematically documented in field diaries and photographs. The diversity of sources has helped to observe, document and analyze many perspectives of the neighborhood. It has provided the opportunity to question inconsistencies and injustices. From August 2017 onwards, we corresponded online: we traded long, analytical emails, have online self-reflective meetings and published blogs about our research. One could argue that we both can be considered as outsiders (Kerstetter, 2012; Staeheli and Lawson, 1995). However, we tried to be self-aware of our biases and blindness. Therefore, we decided to start and end this article with diary fragments where we acknowledge that we are privileged young professionals who benefit from high-end consumption of culture and even reinforce the placemaking dynamics.

 

 

Le placemaking à Kaka'ako

Placemaking in Kaka’ako

La Hawai’i Community Development Authority a été créée en 1976 (Kamehameha Schools, 2008). Les promoteurs et la HCDA partagent une vision qui consiste à combiner la culture contemporaine et la tradition culturelle dans un cadre urbain dense (ibid.). En plus d’encourager une variété de possibilités de logement en réservant des unités de logement abordables aux résident·e·s à revenus mixtes et d’âge mixte, d’autoriser et d’intégrer la création de zones à usage industriel et commercial, et de réaliser deux gares dans le cadre du Transit-Oriented Development (TOD) à Honolulu, les promoteurs et la HCDA ont témoigné un certain intérêt quant à la préservation des sites historiques et des installations, établissements ou emplacements culturellement significatifs (HCDA, 2015). D’un point de vue marketing, le placemaking implique authenticité et qualité (Steuteville, 2014). Dans le développement de Kaka'ako, on retrouve des éléments de placemaking stratégique, créatif et tactique. Différents lieux s’y voient dotés, par le concours des propriétaires fonciers, d’une histoire qui attire celles et ceux qui veulent en faire partie. L’histoire derrière « Our Kaka'ako », le quartier développé par Kamehameha Schools, est celle de jeunes professionnel·le·s ou d’artistes branché·e·s et en pleine ascension. S’y mêlent d’anciens entrepôts et des ateliers de réparation automobile avec des cafés, des brasseries et autres salles de sport. L’histoire du Ward Village d’Howard Hughes est celle d’un professionnel (étranger) soucieux de la durabilité et de la culture. La certification LEED, le South Shore Market – un centre commercial ne proposant que des marques locales –, ou encore le marché hebdomadaire des producteurs en sont quelques exemples. Sur le plan culturel, dans une forme d’appropriation, de nombreux bâtiments ont également reçu des noms hawaïens faisant référence au passé précolonial.

The Hawai‘i Community Development Authority was formed in the year 1976 (Kamehameha Schools, 2008). Developers and the HCDA have a vision to mix contemporary culture and cultural tradition within a compact urban setting (ibid.). Besides encouraging a variety of housing opportunities with a provision of reserved, affordable housing units for mixed-income and mixed-age residents; permission for and integration of areas for industrial and commercial use; and the implementation of two train stations for Honolulu’s Transport Oriented Approach (TOD), a focus on the preservation of historic sites and culturally significant facilities, settings, or locations has also been observed (HCDA, 2015). Placemaking, from a marketing perspective, implies authenticity and quality (Steuteville, 2014). In the development of Kaka’ako, one can find elements of strategic, creative and tactical placemaking. Places of Kaka’ako receive a story from the landowners which attracts the people who want to belong to this story. “Our Kaka’ako’s”—the area developed by Kamehameha Schools—story is the hip, rising, young professionals or artists. They combine old warehouses and car repair shops with coffee shops, breweries and gyms. “Ward Village’s” story by Howard Hughes is the (foreign) already professional with a “care” for sustainability and culture. Examples of that are the LEED certification and the South Shore Market as a shopping center with only local brands or the weekly farmers’ market. Regarding culture, many buildings were also given appropriate Hawaiian names in reference to the precolonial past.

L’année précédant la création de la HCDA, le programme d’études et de planification urbaines du Pacifique de l’université d’Hawaï a publié une étude intitulée « Kaka’ako Solved? » (« Kaka’ako résolu ? » ; Campbell, 1975 ; Kamehameha Schools, 2008). Si l’équipe de recherche s’est accordée sur l’inévitabilité d’un redéveloppement du quartier, elle a également tenté de sensibiliser à la protection des petites entreprises. L’étude Kaka’ako Solved? comprend une enquête menée sur un échantillon aléatoire représentatif de 20 % des entreprises du district, avec un taux de réponse de 48 % (Minerbi, 1980). Même si l’étude proposait toute une série de suggestions pour le nouveau développement, notamment en matière de besoins spatiaux des entreprises, de dépendances d’emplacement et de compatibilité entre des usages mixtes, la publication n’a jamais été utilisée, et l’université et la communauté se sont senties ignorées (Holzinger, 2018). À Kaka'ako, des voix se sont fait entendre après l’annonce des plans spécifiques pour le redéveloppement de la zone. Lors des interviews menées entre juillet et septembre 2017 dans le cadre du travail de terrain de cette étude, le point commun entre les personnes interrogées n’était pas une opinion, mais bien une question : « Pour qui ces immeubles vont-ils être construits ? » (ibid., p. 58).

The year before the establishment of the HCDA, the Pacific Urban Studies and Planning Program at the University of Hawai‘i published a study called “Kaka’ako Solved?” (Campbell, 1975; Kamehameha Schools, 2008). While the research team agreed on the inevitability of a redevelopment of the district, it also tried to raise awareness for the protection of small businesses. Kaka’ako Solved? included a district-wide 20% representative random sample survey of businesses, with a return rate of 48% (Minerbi, 1980). Even if the study announced many suggestions for the new development, especially in terms of spatial needs of businesses, locational dependencies and mixed-use compatibility, the publication was never used, and the university and community felt ignored (Holzinger, 2018). Voices from Kaka’ako spoke out loudly after specific plans for the area’s redevelopment were announced. During the interviews conducted in July-September 2017 as part of the field work of this study, the common thread among interviewees was not an opinion, but a question: “for whom are they going to build the condominiums?” (ibid., p. 58)

La marche Save Our Kaka'ako vers la capitale, menée par Ron Iwami le 23 janvier 2006, est une formidable « histoire » de résistance dont les habitant·e·s de Kaka'ako parlent encore aujourd’hui (Iwami, 2014). Le rassemblement a permis la promulgation d’une nouvelle loi interdisant la vente de terrains publics et le développement résidentiel à Kaka'ako Makai (ibid.). Iwami est non seulement le visage de la résistance pour la communauté, mais aussi une voix reconnue et respectée parmi les propriétaires fonciers (Holzinger, 2018). Son organisation, Friends of Kewalos, a été créée afin de « protéger et préserver et malama[3] le Kewalo Basin Park ainsi que le littoral et l’océan environnants pour garantir que l’utilisateur·rice récréatif·ve ait un accès à la région et puisse en profiter, de même que les générations futures » (Iwami, 2014, p. 129). Il représente les surfeur·euse·s ainsi que les utilisateur·rice·s des parcs publics de Kaka'ako (Holzinger, 2018).

One remarkable “story” of resistance that residents of Kaka’ako are still talking about today was the Save Our Kaka’ako march to the capitol on January 23, 2006, led by Ron Iwami (Iwami, 2014). The rally resulted in a new law prohibiting the sale of public land and residential development in Kaka’ako Makai (ibid.). Iwami is not only a face of resistance for the community but also a voice recognized and respected by the landowners (Holzinger, 2018). His organization, Friends of Kewalos, was formed to “protect, preserve, and malama[3] Kewalo Basin Park and the surrounding shoreline and ocean, to ensure that the recreational user will continue to have access and the ability to enjoy the area for future generations to come” (Iwami, 2014, p. 129). He represents surfers and people using the public parks in Kaka’ako (Holzinger, 2018).

 

 

Stratégies de mode de vie des principaux propriétaires fonciers

Lifestyle strategies of the main landowners

À Kaka'ako, deux concepts urbains en matière de développement sont principalement d’actualité. Les deux plus grands propriétaires fonciers, Kamehameha Schools et Howard Hughes, qui, ensemble, possèdent près de 40 % de Kaka'ako, ont des approches très différentes (Lau, 2018). « Our Kaka'ako », la zone gérée par Kamehameha Schools, est destinée aux jeunes professionnel·le·s urbain·e·s et créatif·ve·s au style de vie branché, tandis qu’Howard Hughes s’adresse principalement, avec le Ward Village (figure 3), aux classes socio-économiques supérieures et aux étranger·ère·s fortuné·e·s qui s’intéressent à la durabilité et à la culture.

In Kaka’ako, especially two urban concepts with respect to development are underway. The two biggest landowners, Kamehameha Schools and Howard Hughes, who, together own almost 40% of Kaka’ako, follow very different approaches (Lau, 2018). “Our Kaka’ako”, the area managed by Kamehameha Schools, focuses on young, urban, creative professionals with a hip lifestyle, while Howard Hughes addresses primarily upper socioeconomic classes and wealthy foreigners with interests in sustainability and culture with Ward Village (figure 3).

Ward Village, Anaha

Figure 3 : Ward Village, Anaha © Holzinger, 2017

Figure 3: Ward Village, Anaha © Holzinger, 2017

 

 

Il convient de souligner que Kamehameha Schools et l’Office of Hawaiian Affairs (OHA), autre propriétaire foncier à Kaka'ako, sont deux puissantes institutions hawaïennes autochtones qui possèdent des terres à Kaka'ako. Alors que Tina Grandinetti affirme qu’ils « font partie de la ruée pour capitaliser sur la valeur croissante des terres de Kaka'ako » (2019, p. 11), il nous faut mentionner que le processus de développement de Kamehameha Schools concernant « Our Kaka'ako » a connu un ralentissement en raison des réactions de la communauté. Kamehameha Schools a prétendu faire des adaptations (par exemple changer un salon de coiffure en épicerie) afin de suivre l’opinion de la communauté. Ils ont également installé un centre d’information au SALT pour écouter les besoins de la communauté (Holzinger, 2018). D’autre part, des propos tels que « Je ne réglemente pas les prix, je les incite », prononcés par un membre de Kamehameha Schools et documentés lors d’un entretien, attestent des objectifs capitalistes de l’institution[4].

It is noteworthy that Kamehameha Schools and the Office of Hawaiian Affairs (OHA), another landowner in Kaka’ako, are two powerful Native Hawaiian institutions that own land in Kaka’ako. While Tina Grandinetti argues that they are “part of the rush to capitalize on Kaka’ako’s rising land value” (2019, p. 11), one has to mention that Kamehameha Schools’ development process at “Our Kaka’ako” slowed down due to responses from the community. Kamehameha Schools claimed to make adaptations (e.g., changing a barber shop into a grocery store) because of the community’s input. They provide an information center at SALT to listen to the needs of the community (Holzinger, 2018). On the other hand, quotes such as “I don’t regulate the price, I incentivize the price”, which have been uttered by a member of Kamehameha Schools and documented during the interview, show the capitalist objectives of the institution.[4]

L’Office of Hawaiian Affairs possède des terres du côté makai (océan) de Kaka'ako. Le zonage résidentiel n’y est pas autorisé (voir la marche Save Our Kaka'ako, Iwami, 2014, chapitre 3). Bien qu’il existe un plan directeur qui associe l’industrie du commerce et de détail, l’OHA reste plutôt silencieux sur le sujet, les informations recueillies n’étant pas suffisantes pour permettre une déclaration appropriée. La HCDA se sent responsable du maintien de l’équilibre entre les intérêts des promoteurs et ceux des résident·e·s. Depuis les changements dans le conseil d’administration de la HCDA en 2015, la communauté et les résident·e·s se sont senti·e·s davantage impliqué·e·s et entendu·e·s. L’un des grands ajustements réside dans la nouvelle composition des membres du conseil d’administration, qui représente désormais également les résident·e·s et les petites entreprises, et plus uniquement les politicien·ne·s et les promoteurs. En septembre 2017, le conseil d’administration a adopté une politique visant à revoir à la baisse les règles relatives aux logements abordables, passant de 140 % à 120 % de la valeur moyenne du revenu médian. Ce chiffre reste néanmoins supérieur au revenu médian moyen, et de nombreuses personnes consacrent plus de 30 % de leurs revenus au logement, bien qu’elles vivent dans des logements dits « abordables ».

The Office of Hawaiian Affairs owns land on the Makai (ocean) side of Kaka’ako. The residential zoning is not allowed (see Save our Kaka’ako march in chapter 3, Iwami, 2014). Although a master plan for a mix of commercial and retail exists, OHA is very quiet. There was not enough information gathered for a proper statement. HCDA feels responsible for balancing the interests of developers and residents. Since the board of HCDA changed in 2015, the community and residents have felt more involved and heard. One big adjustment was the new mixture of board members. Thereupon members also represent residents and small businesses and not only politicians and developers. In September 2017, the board passed a policy lowering rules for affordable housing from 140% average median income (AMI) to 120% AMI. Still, this figure is higher than the average median income, and many people spend more than 30% of their income on housing even if they live in “affordable” units.

La culture et l’histoire du lieu influencent fortement les plans directeurs des deux grands propriétaires fonciers, qui non seulement intègrent ces facteurs dans leurs projets, mais organisent également des événements tels que les Kona Nui Nights, un événement mensuel gratuit qui honore la langue, la musique et les arts hula (non ancestraux) hawaïens. Kamehameha Schools collabore notamment avec POW ! WOW ! Hawai'i, un réseau mondial d’artistes de rue qui peignent des fresques temporaires sur les murs de tout le quartier. Si l’influence hawaïenne se fait sentir dans quelques-unes de ces peintures murales, elle semble être davantage un signe de gentrification que de sensibilité culturelle. Le soutien aux arts et à la culture est donc considéré comme faisant partie du soutien à la communauté. Comme le décrivent Gerry Kearns et Chris Philo (1993), les promoteurs célèbrent certains objets et traditions culturels et historiques qu’il est pertinent de représenter, notamment pour attirer les étranger·ère·s et leur capital, ainsi que pour légitimer le redéveloppement aux yeux des personnes venant de l’intérieur (figure 4).

The place’s culture and history strongly influence the master plans of both large landowners, who not only integrate these factors into their designs but also organize events such as Kona Nui Nights, a free monthly event honoring Hawaiian language, music, and (non-ancient) hula arts. Kamehameha Schools, furthermore, collaborate with POW! WOW! Hawai‘i, a global network of street artists who paint temporary murals on walls throughout the neighborhood. While Hawaiian influences can be noticed in a few murals, they appear to be more a sign of gentrification than of cultural sensitivity. Supporting arts and culture, therefore, is seen as a part of supporting the community. As Gerry Kearns and Chris Philo (1993) would describe it, the developers celebrate certain cultural and historical objects and traditions that are appropriate for being represented, especially to attract outsiders and their capital as well as to legitimate the redevelopment for insiders (figure 4).

Musique en direct et fresque au SALT

Figure 4 : Musique en direct et fresque au SALT © Holzinger, 2017

Figure 4: Live music and mural at SALT © Holzinger, 2017

 

 

Choix des éléments culturels

Choice of cultural elements

Le patrimoine culturel bâti joue un rôle essentiel dans la société et la vie quotidienne, car il relie les gens à certaines valeurs, croyances et pratiques du passé tout en leur permettant de s’identifier à d’autres personnes de milieux et de mentalités similaires – en résumé, il permet aux gens de comprendre d’où ils viennent. Dans certains cas, cela facilite la guérison à la suite d’une histoire tragique et de tristes souvenirs. Par exemple, dans le cas de Gwangju, en Corée du Sud, différents acteurs locaux ont contesté la destruction d’un site aménagé en hommage au soulèvement démocratique des années 1980 ; la résistance des habitant·e·s qui ont perdu leurs enfants dans ce soulèvement révèle le pouvoir du deuil sur l’histoire tragique et aux souvenirs douloureux (Shin et Stevens, 2013 ; Shin, 2016). Bien que les fonctionnaires et les promoteurs locaux puissent avoir de bonnes intentions en voulant guérir ou « nettoyer » un lieu en appliquant des politiques d’oubli et d’amnésie, la démolition de bâtiments peut également être considérée comme un acte d’oubli, voire de déni de certains pans du passé et de la culture ; ces politiques peuvent donc jouer un rôle ambigu (Colombino et Vanolo, 2017 ; Brockmeier, 2002). La culture est quelque chose qui change. Elle est fluide et inhérente aux choix que les gens font par rapport à ce dont ils se souviennent et ce qu’ils oublient (Tengberg, Fredholm, Eliasson et al., 2012). Les lieux ont des héritages et des traditions multiples, chacun avec leurs propres pratiques (ibid.). Toutefois, l’utilisation des connaissances et du patrimoine locaux et traditionnels peut entraîner des conflits. Certaines communautés accordent une grande importance au maintien ou à la restauration de certaines pratiques et certains symboles culturels, en raison des souvenirs de tristesse ou de joie susmentionnés, ou encore de croyances et de services écosystémiques culturels pouvant entrer en conflit avec les pratiques et les valeurs d’autres communautés qui sont le moteur de la rénovation urbaine. Comme l’a fait remarquer Zukin (1987), souvent, les prégentrificateur·rice·s s’attachent à des éléments de leur vision de l’« histoire » et ne voient pas les améliorations qui accompagnent le redéveloppement. Plusieurs chercheur·e·s ont étudié la résistance que pouvait rencontrer le marketing territorial de la part des résident·e·s, en particulier celles et ceux qui sont présent·e·s depuis longtemps (voir Hubbard, 1998 ; Kearns et Philo, 1993), bien qu’il existe aussi des cas sans opposition (voir Colombino, 2009).

Built Cultural Heritage (CH) plays an important role in society and everyday life, because it connects people with certain values, beliefs, and practices from the past by allowing for identification with others of similar backgrounds and mindsets—in short, it enables people to understand where they come from. In some cases, it helps to heal from tragic history and sad memories. For instance, in the case of Gwangju in South Korea, different local actors contested and negotiated the removal of a site connected to the democratic uprising in the eighties; the resistance of locals who lost their children in this uprising reveals the power of mourning for the tragic history and sad memories (Shin and Stevens, 2013; Shin, 2016). Although local government officers and developers can have good intentions to heal or clean “a place” by applying politics of forgetting and amnesia, the removal of buildings can be considered an act of forgetting or even denying some parts of the past and culture; hence these politics can have an ambiguous role (Colombino and Vanolo, 2017; Brockmeier, 2002). Culture is something that changes. Culture is fluid and inherent to choices people make about what to remember and what to forget (Tengberg, Fredholm, Eliasson et al., 2012). Places have plural heritages and traditions with their own practices (ibid.). However, the utilization of local and traditional knowledge and heritage can lead to conflicts. Some communities place high value on the maintenance or restoration of certain cultural practices and symbols, because of the aforementioned memories of sadness, or of joy, or because of beliefs and cultural ecosystem services, which can be in conflict with the practices and values by other communities that drive urban renewal. As Zukin (1987) noted, often the pregentrifiers attach to elements of their version of “history” and do not see the improvements that come with redevelopment. Several scholars have studied how place-marketing might find resistance among residents, and specific long-term residents (see Hubbard, 1998; Kearns and Philo, 1993), although non-opponent cases exist too (see Colombino, 2009).

Dans le cas de Kaka'ako, la « culture » ou l’histoire n’était pas profondément inscrite dans l’environnement bâti, mais dans les souvenirs du passé industriel, ainsi que dans ceux du passé précolonial. Les personnes interrogées n’ont pas fait référence à un édifice ou à un monument en particulier appartenant à l’histoire industrielle, elles ont plutôt mentionné les membres de la communauté qui travaillaient dans les anciennes industries de Kaka'ako. Elles se sentaient fortement liées à ces dernier·ère·s : iels rêvaient de travailler dur et d’acquérir leur propre maison familiale dans la banlieue d’Honolulu, ce qui représentait « le rêve américain » à l’époque. Aucun grand déplacement n’a été observé, sauf dans quelques cas (Feeding Hawaii Together, par exemple). Les ateliers de réparation automobile et les entrepôts sont toujours présents dans le quartier, mais de nouveaux·elles arrivant·e·s de la classe moyenne et de la classe supérieure y font également leur apparition. Pour certain·e·s résident·e·s de longue date, cela ressemble à une invasion de gens de plus en plus riches. Les opposant·e·s au développement semblent vouloir protéger la population active contre le déplacement en partageant des histoires du vieux Kaka'ako. Les 88 Block Walks d’Adele Balderston en sont un exemple. Elle est une narratrice qui documente les changements du quartier en proposant des visites guidées à pied. Les histoires et les liens (émotionnels) de la population motivent les opposant·e·s à préserver le sentiment et le mode de vie du vieux Kaka'ako.

In the case of Kaka’ako, the “culture” or history was not profoundly present in the built environment but in the memories of the industrial past and precolonial past. Interviewees did not refer to a specific building or a landmark of industrial history. Their focus was on the community that worked in the former industries of Kaka’ako. They had a strong connection: they dreamt of working hard and acquiring their own family house in the suburbs of Honolulu which was “the American dream” during that time. A big displacement is not observed, except for a few cases (e.g., Feeding Hawaii Together). Car repair shops and warehouses still remain in the area, but middle-class and high-class newcomers are also popping up in the neighborhood. For some long-time residents, it feels like an invasion by more and more wealthy people. Opponents of the development seem to protect the working population from displacement by retelling the stories of the old Kaka’ako. One example is 88 block Walks by Adele Balderston. She is a storytelling voice that documents the changes of the district by offering walking tours. The stories and the (emotional) connection of the population motivate the opponents to keep the sense and the lifestyle of the former Kaka’ako alive.

Quelques-unes des personnes interrogées ont fait référence à l’ancien concept hawaïen d’ahupua'a, le concept précolonial de la division des terres. Une ahupua'a était une zone non privée en forme de part de tarte qui s’étendait des montagnes à la mer tout en suivant les limites naturelles du bassin versant. Par conséquent, chaque zone disposait de ressources similaires – du poisson aux fruits et légumes, et ce à différentes altitudes. Pour ces personnes, le concept d’ahupua'a et de partage des ressources au sein d’une communauté est un symbole fort de durabilité. Kaka'ako United, une organisation bénévole bien connue à Kaka'ako, a intégré ce concept dans ses lignes directrices. Cependant, l’intégration de celui-ci n’a pas encore été planifiée concrètement.

A few interviewees referred to the ancient Hawaiian concept of ahupua’a, the precolonial concept of land division. An ahupua’a was a non-private and pie slice-shaped area running from the mountains to the sea while following the natural boundaries of the watershed. Therefore, each area had similar resources—from fish to vegetables and fruits in different altitudes. For the interviewees, the concept of ahupua’a and sharing the resources within a community is a strong symbol for sustainability. Kaka’ako United, a voluntary organization well known in Kaka’ako, integrated the concept in their guidelines. However, no definite plans for the integration of this concept have been found.

Dans le cadre de la renaissance de la culture ancienne et précoloniale, de nombreux projets ont reçu, dans une forme d’appropriation, des noms hawaïens en référence au passé précolonial, mais cela semble surtout être une façade. Les communautés universitaires plaident pour un « mouvement de renaissance culturelle » (Chirico et Farley, 2015, p. 17 et suivantes), en particulier de ce passé, et étudient les processus développés par les Hawaïens précolonisés. Selon leur point de vue académique, ceux-ci intégraient l’écologie locale de l’île dans leur vie quotidienne et ces pratiques traditionnelles pourraient être ressuscitées grâce à une valorisation et une réhabilitation du patrimoine culturel, puisqu’ils vivaient dans le respect des limites de la nature, pour assurer non seulement une durabilité à long terme, mais aussi leur survie (ibid.). Néanmoins, suivant la mise en garde de Grandinetti (2019), il pourrait s’agir d’une vision romancée de ce qui est possible. Elle a proposé une vision alternative de la justice urbaine, mais sans pour autant décrire en détail ce que cela signifie précisément pour ce quartier. Cependant, nous partageons sa vision de ne pas seulement récupérer des aspects de la culture précoloniale qui pourraient être ravivés tout en nettoyant le passé industriel plus récent.

Regarding the renaissance of the long-standing and precolonial culture, many projects were given appropriate Hawaiian names in reference to the precolonial past, but this seems more like a façade. Academic communities advocate for a “cultural renaissance movement” (Chirico and Farley, 2015, p. 17 et seq.), in particular of this past, and are studying processes developed by precolonized Hawaiians. In their academic view, these integrated the ecology of the local island into their everyday lives; these traditional practices could be resurrected through a valorization and reclamation of CH, since they lived within nature’s limits, not only to ensure long-term sustainability but also their survival (ibid.). However, as Grandinetti (2019) warned, that this might be a romanticized view of what is possible. She proposed an alternative urban justice vision, but she also did not get into detail what this exactly means for this neighborhood. However, we engage with her vision to not only retrieve aspects of this culture that could be revived while cleaning up the more recent industrial past.

Les promoteurs incluent l’histoire dans leurs récits en choisissant les symboles de certains événements, héros et héroïnes historiques. Une fresque de la princesse Kaʻiulani rappellerait ainsi la monarchie tandis que la brique de la maison évoquerait en même temps le passé industriel. Une tour de verre de luxe avec une piscine à débordement au sommet serait censée célébrer la culture hawaïenne, alors que les Hawaïen·ne·s précoloniaux·les n’ont jamais utilisé le verre comme matériau. Un festival culinaire (figure 5) présente l’aloha, la diversité et la joie, mais les personnes qui s’y rendent garent leur voiture juste à côté des sans-abri (figure 6). De plus, l’ensemble du parc, qui était un lieu de pêche il y a quelques décennies, est aujourd’hui une décharge.

The developers include the history into their story by picking and choosing symbols of certain historical events and heroes. A mural of Princess Kaʻiulani should remind of the monarchy while the brick stone of the house should simultaneously remind of the industrial past. A luxury glass tower with an infinity pool on top should celebrate Hawaiian culture, while precolonial Hawaiians never used the material of glass. A food festival (figure 5) presents aloha, diversity and joy. However, people visiting the festival park their cars right next to the homeless (figure 6). Moreover, the whole park is a landfill that used to be a fishing spot some decades ago.

Festival culinaire dans le parc

Figure 5 : Festival culinaire dans le parc © Holzinger, 2017

Figure 5: Food festival in the park © Holzinger, 2017

Des personnes sans-abri dans le parc

Figure 6 : Des personnes sans-abri dans le parc © Holzinger, 2017

Figure 6: Homeless people in the park © Holzinger, 2017

 

 

SALT (figure 7), lieu de rassemblement du quartier de Kamehameha Schools, a été nommé d’après les anciens étangs salés précoloniaux de la région. Pourtant, aujourd’hui, il s’agit d’un endroit où manger, faire du shopping et s’amuser qui n’a plus aucun lien avec l’Hawaï précoloniale, bien que Kaka'ako, comme cela a été ironiquement mentionné plus haut, était un lieu de loisirs à cette époque. Les bâtiments du Ward Village portent des noms hawaïens tels que waiea (eau de vie), anaha (réflexion de la lumière) ou ke kilohana (regard vers le haut) et les architectes décrivent l’influence de la culture hawaïenne dans leur conception. Cela revient à manipuler ces associations culturelles et historiques de l’Hawaï précoloniale, parce que les immeubles hypermodernes avec un intérieur brillant, des climatiseurs et des piscines sur les toits non accessibles au public semblent être ce que Kearns et Philo appellent « l’architecture du pouvoir », par opposition à « l’architecture du peuple » (1993). En outre, l’histoire d’un Kaka'ako aux origines ethniques diverses au xxe siècle n’est pas prise en compte dans les récits des promoteurs.

SALT (figure 7), the gathering place of Kamehameha Schools’ neighborhood, is named after the old, precolonial salt ponds in the area. However, today it is a place to eat, shop and have fun and it has no connection to this time at all, although Kaka’ako, as ironically mentioned before, used to be a place of recreation in this time. The buildings of Ward Village have Hawaiian names such as Waiea (water of life), Anaha (reflection of light) or Ke Kilohana (gaze upward) and architects describe the influence of Hawaiian culture in the design. It manipulates those cultural and historical associations because the hypermodern condominiums with high gloss interior, air conditioners and non-publicly accessible rooftop pools appear to be what Kearns and Philo call “architecture of power” instead of “architecture of the people” (1993). Furthermore, the history of an ethnically diverse Kaka’ako in the 20th century is not considered in the storytelling of the developers.

Ces exemples montrent comment le patrimoine culturel, ou en fait seulement ses symboles, ses héros et héroïnes ainsi que ses rituels sont revitalisés, mais pas les valeurs de préservation et d’harmonie avec l’environnement et sa capacité de charge. On pourrait soutenir que les promoteurs participent au culture washing, en se référant au green whasing (Auclair, 2014), afin d’attirer les touristes de ce marché et les nouveaux·elles résident·e·s relativement aisé·e·s et bien éduqué·e·s qui constituent une nouvelle main-d’œuvre qualifiée pouvant générer des revenus grâce aux impôts et aux dépenses touristiques (Kearns et Philo, 1993).

These cases demonstrate how cultural heritage, or actually only the symbols, heroes and rituals are revitalized, but not the values of preservation and harmony with the environment and its carrying capacity. One could argue that the developers participate in culture washing, referring to green washing (Auclair, 2014), in order to attract market tourists and new relatively well off and well-educated workforce residents who can generate revenue through tax and tourism expenditures (Kearns and Philo, 1993).

SALT

Figure 7 : SALT dans le « Our Kaka’ako » © Holzinger, 2017

Figure 7: SALT at “Our Kaka’ako” © Holzinger, 2017

 

 

Alors que Balderston (2016) et Grandinetti (2019) notent que la marchandisation de la culture hawaïenne est une instrumentalisation des lieux indigènes colonisés, nous considérons le redéveloppement dans notre étude de cas comme le nettoyage des souvenirs de la période industrielle « sale » du siècle dernier. Il semblerait que la culture du passé ne puisse être conservée que si elle répond aux besoins des (futur·e·s) habitant·e·s riches, en bonne santé et heureux. Cela soulève des questions sur la politique de l’oubli et de la mémoire des différent·e·s acteur·rice·s impliqué·e·s dans les processus de rénovation urbaine.

While Balderston (2016) and Grandinetti (2019) note that the commodification of Hawaiian culture is an instrumentalization of colonizing indigenous places, we see the redevelopment in our case study as the clean-up of the memories of “dirty” industrial time of the last century. The culture of the past it seems can only stay if it serves the needs of the wealthy, healthy and happy (future) residents. This raises questions about the politics of forgetting and remembering of different stakeholders in urban renewal processes.

 

 

La nécessité d’un développement plus profond axé sur la culture

Call for a deeper culture-led development

Les quartiers et leurs bâtiments sont enracinés dans la culture. Leur vie est influencée par les gens, leurs croyances et leurs valeurs, leurs préférences de matériaux et leurs connaissances, ainsi que par le contexte local (Cox, 2015). Cependant, la culture peut également être utilisée comme un outil de placemaking, avec des répercussions sur la justice sociale. L’une des priorités de nos recherches était de déterminer si les voix les plus entendues à Kaka'ako sont celles des institutions capitalistes, qui soutiennent les machines hautement destructrices à fabriquer de l’argent pour une élite, fondées sur l’inégalité structurelle et l’exploitation. Bien que Grandinetti (2019) ait décrypté le processus de gentrification et d’effacement culturel dans ce quartier, elle est surtout partie du point de vue de l’économie politique urbaine, en se concentrant sur l’histoire indigène. Cet article examine les processus de redéveloppement sous l’angle de la consommation durable et d’un plus large éventail d’histoires et de cultures présentes dans ce lieu afin d’identifier les occasions manquées et actuelles pour un développement en profondeur (plutôt que superficiel) axé sur le patrimoine culturel. Le marché du logement sur les îles d’Hawai‘i, et à Honolulu en particulier, est vulnérable en raison de la forte demande des citoyen·ne·s venant des États-Unis et d’Asie. Bien que l’on puisse reconnaître les efforts d’intégration de pratiques culturelles « visibles » et la conservation de logements abordables par la HCDA et les promoteurs, l’orientation vers le profit semble être le moteur du développement et la source de motivation des personnes au pouvoir. Ainsi, certains groupes défavorisés, tels que les sans-abri du Waterfront Park de Kaka'ako et la classe ouvrière qui possède des entreprises dans le quartier, comme les ateliers de réparation automobile, ne sont pas suffisamment pris en compte. Parallèlement, certains de ces groupes détiennent des connaissances précieuses quant à la région d’avant le début du développement qui risquent de disparaître ou d’être oubliées.

Neighborhoods and their buildings are culturally rooted. Their lives are mediated through the people, their beliefs and values, as well as their preference for materials and knowledge, and the local context (Cox, 2015). However, culture can also be used as a tool in placemaking with social justice impacts. One of our research priorities was to challenge if the most visible voices of Kaka’ako are capitalist institutions, that uphold a highly destructive money-making machinery for an elite, based on structural inequality and exploitation. Although Grandinetti (2019) deciphered the process of gentrification and cultural erasure in this neighborhood, she primarily used the lens of urban political economy, with a focus on the indigenous history. This paper is looking at the processes of redevelopment from a sustainable consumption perspective to a wider array of histories and cultures of this place in order to identify the missed and ongoing opportunities for in-depth (rather than shallow) cultural heritage-oriented development. The housing market on the islands of Hawai‘i and Honolulu in particular is vulnerable because of the high demand from citizens from the US and Asia. Although efforts of integrating “visible” cultural practices and the reservation of affordable housing units by the HCDA and the developers can be recognized, profit orientation seems to be the driver for the development and an incentive for the people in power. Hence, some unprivileged groups such as the homeless people in Kaka’ako Waterfront Park and the working class which owns businesses such as car repair shops in the neighborhood are not taken enough into account. At the same time, some of these groups have valuable insights into the area before the development started that might disappear or be forgotten.

Le placemaking créatif est susceptible d’impliquer les résident·e·s dans le développement d’un aménagement urbain vernaculaire. Cependant, comme Zukin (2011) et Paul Cloke, Martin Phillips et Nigel Thrift (1998) l’ont remarqué, la préservation de la culture et le placemaking créatif peuvent avoir des effets secondaires négatifs pour certaines communautés, en particulier lorsque la culture est transformée en marchandise dans le cadre de stratégies de mode de vie. À Kaka'ako, malgré les bonnes intentions qu’avait la HCDA en voulant créer un lieu prospère avec des communautés saines et durables, le placemaking créatif a entraîné une colonisation perceptible de symboles précoloniaux et une exclusion apparente du passé industriel. Le placemaking s’accompagne d’une sélection de certains récits, ce qui implique que d’autres soient exclus ou rejetés (Brockmeier, 2002). Bien que les récits sélectionnés puissent contribuer à la préservation du patrimoine culturel, ce choix pourrait également s’avérer problématique pour les communautés qui se sentent liées au passé industriel récent par exemple. L’exclusion n’est pas née de la nécessité de corriger une erreur du passé industriel récent. Néanmoins, l’« invasion » de nouveaux·lles arrivant·e·s et l’introduction de nouveaux symboles culturels semblent servir principalement les intérêts du tourisme et peuvent être ressenties comme un nettoyage culturel témoignant de la « durabilité » des nouveaux bâtiments.

Creative placemaking has the potential to engage residents in the development of a vernacular urban design. However, as Zukin (2011) and Paul Cloke, Martin Phillips and Nigel Thrift (1998) noted, culture preservation and creative placemaking can have negative side effects for certain communities, especially when culture is commodified in the function of lifestyle strategies. In Kaka’ako, though HCDA might has good intentions to create a thriving place with healthy sustainable communities, the creative placemaking led to a perceived colonization of precolonial symbols and a perceived exclusion of the industrial past. In placemaking, certain narratives are selected, which implies the exclusion or rejection of other narratives (Brockmeier, 2002). Albeit the selected narratives might contribute to cultural heritage preservation, this might also challenge the communities that feel connected with the recent industrial past for example. The exclusion did not happen out of a need to right some wrong from the recent industrial past. However, the “invasion” of incomers and the introduction of new cultural symbols seems to mainly serve tourism and can feel like a culture washing to show how “sustainable” the new buildings are.

Pour clore cette analyse, nous voulons partager notre rêve d’un placemaking créatif plus inclusif quant à la gentrification et développer la vision que Grandinetti a amorcée. Nous partageons sa vision selon laquelle « la véritable et regrettée justice urbaine dans les sociétés coloniales doit toujours avoir pour fondement un engagement à reconnaître, soutenir et rétablir les liens des autochtones avec les terres urbaines » (Grandinetti, 2019, p. 17). Pourtant, nous manquons de détails sur ce que cela signifie exactement, sur ce qui est possible et souhaitable. Tout d’abord, comme indiqué précédemment, les puissantes institutions hawaïennes autochtones utilisent également la « terre » pour l’accumulation de capital, et pas nécessairement pour créer un environnement urbain plus résistant et adapté aux limites de l’île. Ensuite, il conviendrait d’intégrer d’autres histoires et un patrimoine culturel représentant d’autres groupes marginalisés. Bien que Grandinetti critique l’opposition binaire colons/autochtones, elle la renforce en se concentrant uniquement sur le passé précolonial. Cependant, nous adhérons à son invitation à reconnaître et à soutenir les liens des communautés avec la zone urbaine de Kaka'ako, mais, à nos yeux, il ne s’agit là que d’une première étape dans ce processus complexe de placemaking.

As a last discussion note, we want to dream of a more inclusive way of creative placemaking in terms of gentrification and build further on the vision that Grandinetti started. We agree with her vision that “true urban justice in settler colonial societies must always have at its foundation a commitment to recognizing, supporting, and reestablishing Indigenous connections to urban land” (Grandinetti, 2019, p. 17). However, we also miss details about what this exactly means, what is possible and desirable. First of all, as aforementioned, powerful Native Hawaiian institutions also use the “land” for capital accumulation and not necessarily for creating a more resilient urban environment adapted to the limits of the island. Secondly, other histories and cultural heritage representing other marginalized groups should be integrated. Although Grandinetti criticizes the settler-native binary, she reinforces the binary by focusing only on the precolonial past. However, we agree with her call to recognize and support connections of the communities to the urban area of Kaka’ako, but for us this is only a first step in this complex placemaking process.

Bien que des études sur les récits de gentrification (Slater, 2006) semblent démontrer une injustice envers certaines communautés, certains cas donnent l’espoir d’une coexistence potentielle entre la communauté et les entreprises de la région. Winifred Curran et Trina Hamilton (2017) ont étudié les impacts sociaux de la gentrification industrielle à Greenpoint, Brooklyn, et ont proposé la Just Green Approach qui appelle les promoteurs et les parties prenantes à concevoir des projets verts qui sont façonnés par les souhaits, besoins et problèmes de la communauté au lieu d’être guidés par le marché (2017 ; Wolch, Byrne et Newell, 2014). Julie Sze et Elizabeth Yeampierre (2017) ont décrit les activités, l’approche et les méthodes de la communauté UPROSE, située à New York. Cette organisation se concentre sur les points forts, les perspectives et d’autres connaissances locales des zones industrielles, et privilégie les pratiques de fabrication et d’économie plutôt que la consommation haut de gamme. En matière de placemaking, la Just Green Approach est une réponse à la création de nouvelles inégalités sociospatiales par le spatial fix contemporain auquel nous assistons dans les zones urbaines (While, Jonas et Gibbs, 2004), mais elle ne tient pas compte des inégalités sociospatiales que les promoteurs urbains et les décideur·euse·s politiques créent en sélectionnant – ou en excluant – certains éléments culturels dans ce processus d’écologisation urbaine. Nous imaginons un développement profond axé sur la culture, où les autochtones hawaïen·ne·s seraient inclus·es, comme une initiative visant non pas à intégrer des symboles anciens et leur savoir (comme le suggèrent Chirico et Farley, 2015), mais à creuser profondément jusqu’aux racines et découvrir l’évolution de leurs histoires. Et il en va de même pour d’autres groupes marginalisés, comme les ouvrier·ère·s qui faisaient partie du passé industriel. Lorsque nous visitons un pays, nous aimons écouter les histoires locales et nous sentir profondément connectées à ce lieu. En tant que résidentes temporaires, nous avons également tissé quelques fils de notre histoire dans les histoires de ce paysage et le paysage a tissé quelques fils de ses histoires dans la nôtre. Il s’agit d’un échange, dont nous devrions être conscientes lorsque nous participons à des études ou à des projets portant sur le placemaking créatif. Nous sommes d’avis qu’il est important de conserver en mémoire les histoires des paysages, ce qui implique une certaine ouverture face aux nouveaux flux constants du plus grand nombre possible de communautés, qu’il s’agisse des autochtones hawaïen·ne·s, des communautés qui se sentent liées au passé, des nouveaux·elles arrivant·e·s ou des visiteur·euse·s temporaires, afin de maintenir les histoires calibrées dans une culture en constante évolution.

Although studies of the narratives of gentrification (Slater, 2006) seem to demonstrate injustice for certain communities, some cases give hope for the potential of coexistence of community and area businesses. Winifred Curran and Trina Hamilton examined the social impacts of industrial gentrification in Greenpoint, Brooklyn, and proposed the Just Green Approach, which calls developers and stakeholders to design green projects that are shaped by the desires, needs and problems of the community instead of being driven by the market (2017; Wolch, Byrne and Newell, 2014). Julie Sze and Elizabeth Yeampierre (2017) described the activities, approach and methods of the New York City-based UPROSE community. This organization focuses upon the strengths, perspectives and other local knowledge of the manufacturing zones and prioritizes practices of making and saving rather than high-end consumption. The Just Green Approach to placemaking is an answer to the creation of new sociospatial inequalities by the contemporary spatial fix we witness in urban areas (While, Jonas and Gibbs, 2004), but does not look at the sociospatial inequalities that urban developers and policy-makers create by selecting—or excluding—cultural elements in this urban greening process. We imagine a sort of Deep Culture-led development, where the Native Hawaiians are included, not as an inspiration to integrate ancient symbols and their knowledge (as Chirico and Farley, 2015 suggest), but to dig deep to the roots and to learn how their stories are evolved. And the same is valid for other marginalized groups, like the blue collars who were part of the industrial past. When we visit countries, we like to listen to local stories and connect in a deep way with the place. Being there, as temporary residents, we also weaved some threads of our story into the stories of this landscape and the landscape weaved some threads of its stories into our story. It’s an interchange, one we should be conscious about when we participate in studies or projects on creative placemaking. We believe it is important to keep stories about landscapes alive, which implies to be open for constant new influxes of as many communities as possible, of the Native Hawaiians, the communities who feel connected to the past, newcomers and temporary visitors, in order to keep the stories calibrated in the ever-changing culture.

Cela crée cependant des défis, car les différentes histoires incarnent des valeurs et des priorités différentes. Par exemple, il y a quelques siècles, seuls des matériaux locaux étaient utilisés pour la construction de logements sur les îles, et l’emplacement du bâtiment était déterminé par les conditions environnementales telles que le vent, le soleil et la topographie (Chirico et Farley, 2015). Lors de notre travail de terrain en 2017, une des personnes interrogées (née et élevée sur l’île d’O‘ahu) a mentionné que, sur l’île, il y a toujours une brise fraîche et agréable venant du côté exposé au vent. Autrefois, les maisons étaient construites sans air conditionné et les fenêtres étaient ajustées pour que cet alizé puisse circuler dans toute la maison. Nous ignorons si les promoteurs de Kaka'ako en ont tenu compte. À titre d’exemple, le Ward Village a reçu la certification LEED platine pour le développement du quartier. Cependant, il n’a pas reçu la mention pour « la préservation et l’utilisation résiliente des ressources historiques » ou « la sensibilisation et l’implication des communautés » (USGBC, 2019). Cela démontre des pertes potentielles là où des objectifs de développement plus durable pourraient être pris en compte dans une même pratique, mais aussi des occasions multiples pour un développement profond axé sur la culture.

However, this creates challenges as different stories embody different values and priorities. For instance, a few centuries ago, only local materials were used for the construction of housing on the islands and the location of the building was determined by environmental conditions such as wind, sun and the topography (Chiciro and Farley, 2015). During the fieldwork in 2017, one of the interviewees (born and raised on the island of O’ahu) mentioned that on the island there is always a fresh and pleasant breeze coming from the windward side. In the past, houses were constructed without air conditioning and the windows were adjusted so that this trade wind could flow through the whole house. We could not find out if the developers in Kaka’ako took this into account. As an example, Ward Village received a LEED platinum certificate for neighborhood development. However, they did not get the credit for “historic resource preservation and adaptive use” or “community outreach and involvement” (USGBC, 2009). This demonstrates potential losses where more sustainable development goals could be addressed in the same practice, but also windows of opportunities for a deep culture-led development.

 

 

Conclusions

Concluding remarks

Le but de cette étude n’était pas de résoudre les conflits existants entre les parties prenantes, mais plutôt de présenter les données et les implications politiques à la communauté (et aux dirigeant·e·s), aux décideur·euse·s politiques et aux autres chercheur·e·s afin de les aider à comprendre et à gérer les tensions entre les différents objectifs de durabilité, et en particulier le patrimoine culturel, la justice et l’empreinte environnementale. À Kaka'ako, chacun·e a sa propre idée de ce à quoi devrait ressembler cet espace urbain ; actuellement, il n’y a pas de vision commune. Selon le plan directeur, à l’avenir, la zone sera adaptée aux piéton·ne·s, comprendra des espaces publics et favorisera une combinaison d’usages commerciaux et résidentiels. Néanmoins, l’intégration des zones industrielles dans la communauté sera compliquée et la composition des résident·e·s changera. Il est certain qu’un plus grand nombre de personnes fortunées y vivront qu’auparavant. Théoriquement, le quartier devrait être composé de groupes à revenus mixtes. Il ne sera toutefois pas facile d’empêcher la gentrification, l’augmentation des investissements étrangers, le déplacement des résident·e·s actuel·le·s et l’effacement de l’histoire culturelle. Sur la base des conclusions et des discussions susmentionnées, et en partageant la vision aloha’aina de la justice urbaine de Grandinetti (2019) pour ce quartier et en l’approfondissant, nos recommandations à l’attention des décideur·euse·s politiques, des promoteurs et des dirigeant·e·s de la communauté sont les suivantes.

This study did not intend to solve these conflicts between stakeholders, but rather to present data and policy implications to the community (leaders), policy-makers and other researchers in order to support them in understanding and managing the tensions between different goals in sustainability, and especially cultural heritage, justice and environmental footprints. In Kaka’ako, everyone has his or her own idea of what this urban space should look like; currently, there is no shared vision. According to the master plan, in the future, the area will be pedestrian-friendly, include public spaces, and promote a mix of commercial and residential usage. However, the integration of industrial zones in the community will be complicated, and the composition of residents will change. It is certain that a higher number of wealthy people will live in the area than before. Theoretically, the neighborhood should consist of mixed-income groups. Nevertheless, it will not be easy to prevent gentrification, the rise of foreign investment, and displacement of current residents and erasure of cultural history. Based on the aforementioned findings and discussion and by engaging with and deepening the aloha’aina vision for urban justice by Grandinetti (2019) for this neighborhood, our recommendations for policy-makers, developers and community leaders are the following.

Premièrement, une vision commune d’un quartier durable est essentielle pour la justice spatiale. Cela implique une coopération renforcée entre toutes les parties prenantes et leurs investissements en temps. Le statu quo montre que les parties prenantes de Kaka'ako se concentrent sur leurs propres projets au lieu de considérer la situation dans son ensemble, parce qu’elles ont des programmes politiques différents. L’étape suivante est la mise en place d’une analyse rétrospective normative ou d’une méthode similaire ; après avoir trouvé un accord autour d’une vision pour le Kaka'ako de 2030, les différentes étapes séparant les statuts actuel et futur peuvent être identifiées. Il est important qu’une reconnaissance et une sensibilité à la diversité culturelle ne soient en aucun cas oubliées dans la prochaine formulation de cette vision pour 2030. Par exemple, en proposant davantage d’espaces publics (des bâtiments, des rues, des parcs) et un accès plus libre, il est possible d’accueillir les différentes pratiques culturelles immatérielles et d’accroître la visibilité de la diversité culturelle de ce quartier, à l’inverse du nettoyage ou des zones qui ne favorisent que les pratiques culturelles « commercialisables ». En ce qui concerne les bâtiments, il est important de trouver un équilibre entre l’investissement dans de nouvelles maisons écologiques construites avec des matériaux locaux durables ainsi qu’une certification qui s’adaptent à l’évolution des normes et des modes de vie culturels et familiaux, et l’investissement dans l’entretien et la rénovation des bâtiments du patrimoine culturel. Les maisons devraient représenter les différentes histoires du lieu, y compris le « sale passé industriel ». Ainsi, la réutilisation des bâtiments inoccupés est un moyen alternatif de réduire l’empreinte écologique (Avrami, 2016 ; Wuyts, Sedlitzky, Morita et al., 2020), contrairement à la construction de nouveaux bâtiments qui incorporent des symboles commercialisables d’histoires antérieures, mais ne représentent pas, ou plutôt éradiquent, la diversité du passé. Kamehameha Schools intègre des bâtiments issus du « sale passé industriel », mais les rebaptise afin d’accumuler du capital. Bien que leur intervention puisse être interprétée comme capitaliste, il n’y a pas beaucoup de preuves concernant Kaka'ako ou d’autres cas qui permettraient d’affirmer que ces mesures conduisent directement à une augmentation du prix du foncier (Avrami, 2016).

First, a shared vision toward a sustainable neighborhood is essential for spatial justice. This implies a stronger cooperation between all the stakeholders and their investments of time. The status quo shows that stakeholders of Kaka’ako are focusing on their own projects instead of viewing the big picture, because they have different political agendas. A next step is the establishment of a back casting or a similar method; where after the agreement upon a vision of Kaka’ako in 2030, the steps can be identified from the current status to the future status. It is important that a recognition of and sensitivity to cultural diversity should not be forgotten under any circumstances in the next formulation of this vision for 2030. For instance, providing more public space (e.g., buildings, streets, parks), and more free access, can accommodate the different intangible cultural practices and make the cultural diversity of this neighborhood more visible, in contrast to the clean-up or areas which favors only “marketable” cultural practices. Concerning buildings, it is important to find a balance between investing in new eco-friendly houses with local durable materials and certification that are adaptable to changing cultural and family norms and lifestyles and investing in maintenance and repair of cultural heritage buildings. Houses should represent different histories of the place, including the “dirty industrial past”. For instance, a reutilization of vacant buildings is an alternative way of decreasing the environmental footprint (Avrami, 2016; Wuyts, Sedlitzky, Morita et al., 2020), in contrast to building new construction which embeds marketable symbols of previous histories, but do not represent, and rather eradicate, the diversity of the past. Kamehameha Schools include buildings from the “dirty industrial past” but rebrand them in order to accumulate capital. Although their intervention might be interpreted as capitalist, there is not much evidence on Kaka’ako or other cases that these measures directly lead to land price increase (Avrami, 2016).

Un autre point important est d’impliquer les groupes marginalisés dans ce processus de transition, des natif·ve·s hawaïen·ne·s qui ne sont pas des dirigeant·e·s aux immigrant·e·s non blanc·he·s, non seulement comme consommateur·rice·s, mais aussi comme co-créateur·rice·s (Kenis, Bono et Mathijs, 2016). Cela signifie qu’il faut veiller à satisfaire leurs besoins fondamentaux, afin qu’iels puissent participer à ce processus avec une pleine capacité mentale, ce qui implique l’accès à un logement abordable et sain, à de la nourriture et à d’autres services. Les personnes marginalisées ne sont pas en mesure de concevoir un avenir pour leur quartier tant que leur principale préoccupation est de survivre au jour le jour. Les bâtiments et les espaces doivent cependant être protégés contre la spéculation et les investissements étrangers dans les logements temporaires, ce qui nécessite une réglementation gouvernementale plus stricte. Les chercheur·e·s pourraient apporter leur pierre à l’édifice en étudiant l’impact de différents scénarios politiques. Deux scénarios pourraient consister à examiner les effets de la mise en œuvre du modèle de logement social de Vienne ou du modèle thaïlandais, où les terrains ne peuvent être achetés que par les résident·e·s. Cependant, dans le cas d’Hawaï, de nombreux résident·e·s temporaires sont des citoyen·ne·s nationaux·ales· (Américain·e·s), ce qui conduit à la question de savoir qui peut être considéré·e comme un·e local·e et qui a le droit d’accès à Kaka'ako (Grandinetti, 2019). Nous n’avons pas la réponse à cette question, nous pouvons seulement conclure par un épilogue.

Another important note is to engage marginalized groups, including non-leading Native Hawaiians to the non-white immigrants in this transition process, not only as consumers, but also as cocreators (Kenis, Bono and Mathijs, 2016). This means to take care that the basic needs are met, in order for them to be able to participate with full mental capability, which implies access to affordable and healthy housing, food and other services. Marginalized people are not able to design a future for their neighborhood as long as their main concern is to survive on a day-to-day basis. However, buildings and spaces need to be protected against speculation and foreign investments in temporary housing which requires a stronger governmental regulation. Researchers could help by looking into the impacts of different policy scenarios. Two scenarios could be to examine the effects of the implementation of Vienna’s social housing model or the Thai model where land can only be bought by residents. However, in the case of Hawai‘i, many temporary residents are national (US) citizens, which leads to the question of who can be considered to be a local and who has the right to Kaka’ako (Grandinetti, 2019). We cannot answer this, only conclude with an epilogue.

 

 

Épilogue

Epilogue

« En me promenant dans le quartier d’Howard Hughes, Ward Village, je ne résistais pas à l’envie de rêver à mon propre avenir. J’ai levé les yeux vers le bâtiment Anaha et j’ai vu une personne nager dans la piscine à débordement. “Est-ce que je pourrai aussi me permettre ce style de vie dans trente ans ? Est-ce que je veux faire l’expérience de ce mode de vie ?” J’ai visité le South Shore Market, un centre commercial du Ward Village qui prend soin de promouvoir les artistes, l’artisanat et la mode locaux. J’ai trouvé un magnifique collier que j’aimerais posséder. J’ai regardé le prix, que je pouvais me permettre, mais cela aurait fait un trou énorme dans mon budget. Vivre à Honolulu n’est déjà pas bon marché en général, alors j’ai réfléchi plus que d’habitude pour savoir si je le voulais vraiment. J’ai décidé de ne pas l’acheter. Les deux propriétaires foncier·ère·s savent très bien comment raconter une histoire avec leurs projets de quartier. Chaque chose est à sa place, comme cela a été prévu. Et iels accueillent chaleureusement les résident·e·s et les visiteur·euse·s pour qu’iels participent à leur histoire. Certaines personnes s’intègrent dans l’histoire comme une princesse dans un conte de fées. D’autres n’auront jamais la chance d’y participer et de devenir de simples personnages de contes. Une question me trotte dans la tête, même aujourd’hui, après avoir quitté Honolulu ; comment façonner un endroit de telle façon que chacun·e puisse être son propre héros ou sa propre héroïne dans son propre conte ? » (Astrid Holzinger, extrait de journal de terrain, Kaka'ako, 2017)

“While walking through the neighborhood of Howard Hughes, Ward Village, I could not resist daydreaming of my own future. I looked toward Anaha building and saw a person swimming in the infinity pool. ‘Can I afford this lifestyle in thirty years, too? Do I want to experience this way of life?’ I visited South Shore Market, a shopping center of Ward Village which takes care to promote local artists, crafts and fashion. I found a beautiful necklace I would like to call my own. I took a look at the price which I could afford but it would have blown a huge hole in my budget. Living in Honolulu isn’t cheap in general, so I weighed up more than usual whether I really wanted it. I decide not to buy it. The two landowners understand very well how to tell a story with their neighborhood projects. Everything is in its place, just as it was planned. And they warmly welcome residents and visitors to take part in their story. Some people fit into the storyline of how a princess fits into a fairy tale. Others will never have the chance to take part in the story and become just characters in other people’s fairy tales. A question which lingers in my head, even today, after having left Honolulu … how to make a place this way that everyone can be his/her own hero in his/her own tale?” (Astrid Holzinger, diary fragment of the fieldwork, Kaka’ako, 2017)

 

 

Remerciements

Acknowledgements

Cette recherche a été soutenue grâce à la bourse MEXT du gouvernement japonais, la bourse KUWI de l’université de Graz, en Autriche, et une bourse de la faculté des sciences de l’environnement, de la région et de l’éducation de l’université de Graz, en Autriche. Les auteures tiennent à remercier l’éditeur (Gerald Aiken), les deux réviseur·euse·s anonymes et Raphael Sedlitzky pour leurs commentaires et leurs conseils sur les versions précédentes.

This research was supported by the MEXT scholarship of the Government of Japan; the KUWI scholarship of the University of Graz, Austria; and a scholarship from the Faculty of Environmental, Regional and Educational Sciences of the University of Graz, Austria. The authors like to thank the editor (Gerald Aiken), two anonymous reviewers and Raphael Sedlitzky for their comments and guidance on the earlier drafts.

 

 

Pour citer cet article

To quote this article

Holzinger Astrid, Wuyts Wendy, “Cultural Heritage and Lifestyle Strategies in the Placemaking of Kaka’ako, Hawai‘I” [« Patrimoine culturel et stratégies de mode de vie dans le placemaking à Kaka'ako, Hawai‘i »], Justice spatiale | Spatial Justice, no 17, 2022 (http://www.jssj.org/article/patrimoine-culturel-et-strategies-de-mode-de-vie-dans-le-placemaking-a-kakaako-hawaii).

Holzinger Astrid, Wuyts Wendy, “Cultural Heritage and Lifestyle Strategies in the Placemaking of Kaka’ako, Hawai‘I” [« Patrimoine culturel et stratégies de mode de vie dans le placemaking à Kaka’ako, Hawai‘i »], Justice spatiale | Spatial Justice, no 17, 2022 (http://www.jssj.org/article/patrimoine-culturel-et-strategies-de-mode-de-vie-dans-le-placemaking-a-kakaako-hawaii).

[1] Nous voulons faire preuve de respect et honorer la culture en écrivant « Hawai'i » en hawaïen. L'apostrophe hawaïenne est appelée 'okina, et il s’agit en fait une consonne officielle de la langue hawaïenne.

[1] We want to show respect and honor the culture by writing “Hawai’I” in Hawaiian.The Hawaiian apostrophe is called the ‘okina, and it’s actually an official consonant in the Hawaiian language.

[2] « Spatial fix » est un terme utilisé pour exprimer le fait de penser qu’un réaménagement peut régler ou guérir tous les symptômes (et il est possible de discuter de si les symptômes sont vraiment mauvais, ou s’ils le sont peut-être seulement du point de vue des personnes au pouvoir ou des institutions capitalistes).

[2] “Spatial fix” is a term used to express thinking that a redevelopment can fix or cure all the symptoms (and it is arguable if the symptoms are really bad, or only perhaps only from the perspectives of the people in power or capitalist institutions).

[3] Malama veut dire « protéger », « prendre soin » en hawaïen.

[3] Malama means “to protect”, “to care for » in Hawaiian

[4] Entretien semi-directif avec deux experts, cadres de Kamehameha Schools (Holzinger, 2018).

[4] Semi-guided interview with two executives expert from Kamehameha Schools (Holzinger, 2018).