Quand la justice spatiale fait trembler la ville néolibérale. Le double mouvement tellurique et social dans le Chili d’après le tremblement de terre du 27 février 2010

When Spatial Justice Makes the Neo-Liberal City Tremble. Social and Seismic action in Chile: The aftermath of the February 27, 2010 earthquake

Cet article propose d’analyser, dans un contexte de profonde néolibéralisation, les formes de production de la ville et plus particulièrement le rôle des acteurs sociaux organisés, des mouvements sociaux urbains et les différentes actions de résistance et résilience dans une période de post-désastre. En portant l’attention sur les deux dernières années de mobilisations (2011-2012) et en abordant la dimension spatiale de l’action collective, l’action de deux mouvements qui sont devenus les principaux acteurs du processus social ressort : la Fédération Nationale de Pobladores[1] (FENAPO) et le Mouvement National pour la Reconstruction Juste (MNRJ).

This article proposes an analysis of forms of production of the city in a profoundly neo-liberal setting and more specifically, the role of organized social actors, urban social movements and the various actions of resistance and resilience in a post-disaster period. In focusing on the last two years of mobilization efforts (2011-2012) and by addressing the spatial aspect of collective action, the action of two movements that have become the main actors of the social process stands out: The National Federation of Pobladores[1] (FENAPO) and the National Movement for Just Reconstruction (MNRJ).

Depuis 1975, au Chili, le modèle néolibéral s’ancre profondément dans la société avec des impacts visibles sur les villes ainsi que sur l’action publique et les acteurs sociaux. Notre point de départ est l’analyse de la ville néolibérale, y compris les politiques urbaines et de logement des dernières décennies, pour appréhender la politique de reconstruction après le séisme de 2010. Nous faisons l’hypothèse que le séisme a servi de détonateur aux mouvements sociaux urbains en recomposition, dans un contexte de néolibéralisme avancé. Nous examinerons le processus de mobilisation et de résistance en insistant sur la dimension spatiale de l’action collective et en prenant l’exemple de deux mouvements de pobladores au niveau national. Ce processus peut être appréhendé comme une illustration des résistances des mouvements sociaux et d’émergence de contre-modèles de la ville post-néolibérale juste.

Since 1975, a neo-liberal model has been firmly anchored in Chilean society with visible impacts on the cities as well as on government action and social actors. Our starting point is the analysis of the neo-liberal city, including the urban development and housing policies of recent decades, to grasp in this context the reconstruction policy following the 2010 earthquake. We would postulate that the earthquake served as a catalyst for the urban movements in recomposition, in an advanced neo-liberal setting. We will examine the mobilisation and resistance process by stressing the spatial aspect of the collective action and using the two national pobladores movements as an example. This process can be understood as an illustration of the social movements’ resistance and the emergence of counter-models for a post-liberal just city.

Les situations de désastres socio-naturels sont très souvent analysées à travers le concept de résilience. Notre proposition ici est de soumettre cette approche à la discussion et de la compléter par la notion de résistance, à partir des actions, mobilisations, propositions et projets émancipatoires des mouvements de pobladores surgis à partir du tremblement de terre de 2010.

Socio-natural disasters are very frequently analyzed through the concept of resilience. Our proposal here is to open this approach to discussion and to complete it with the concept of resistance, based on actions, mobilizations, proposals and emancipatory plans of the pobladores movements that arose starting with the 2010 earthquake.

Nous proposons dans cet article d’analyser les actions de ces mouvements à partir du cadre de la justice spatiale et de discuter du conflit latent entre l’approche en termes de justice distributive et en termes de justice procédurale. La justice distributive met l’accent sur les résultats de la structure sociale et institutionnelle qui détermine des modèles distributifs, que ce soit en termes de biens, de revenus, de ressources, ou de positions. Quant à l’action des mouvements sociaux, elle s’inscrit dans le cadre de la justice spatiale procédurale. Ces mouvements, par leur résilience et leurs résistances, ont produit socialement et quotidiennement une autre ville, par des processus d’autogestion. En même temps, ils relèvent des politiques publiques (tout en les subvertissant) et pénètrent les institutions, en intervenant dans le champ de la justice distributive. Ainsi, ils ne délaissent aucun des deux champs de la justice spatiale. Nous voyons ici à l’œuvre la dialectique de la justice spatiale, dans le sens où le social produit le spatial et le spatial reproduit le social. Les propositions de Lefebvre, à propos de la production sociale de l’espace (Lefebvre, 1974), demeurent pertinentes et nous pouvons les opposer aux effets de près de quarante ans de néolibéralisme, en utilisant la perspective de la justice spatiale comme grille d’analyse.

In this article, we propose to analyze the actions of these movements using a spatial justice framework and discussing the latent conflict between the approach in terms of distributive justice and in terms of procedural justice. Distributive justice accentuates the outcomes of the social and institutional structure, which determines unfair distributive models whether of goods, incomes, resources or jobs. Moreover, action by social movements is part of the extension of procedural spatial justice. Through their resiliency and resistance, these movements have produced this other city on a daily basis through self-management processes. At the same time, they are part of public policy (by subverting it) and they penetrate institutional policy by playing in the field of distributive justice. Thus, they do not neglect either field of action, casting themselves in both. We see in this conflict a spatial justice dialectic in the sense that the social produces the spatial and the spatial reproduces the social. Lefebvre’s proposals, especially regarding the social production of space (Lefebvre, 1974), remain relevant and we can compare them to the effects of nearly forty years of neoliberalism by using the perspective of spatial justice as a tool for analysis.

La méthode proposée pour mener à bien cette analyse est l’observation participante, réalisée au cours d’un travail de terrain entre 2008 et 2012. De plus, nous avons utilisé différentes sources d’information : l’actualité (presse et réseaux sociaux) et la littérature scientifique, ainsi que des documents produits par les acteurs sociaux eux-mêmes.

The method proposed for successfully completing this analysis is participatory observation, carried out over the course of fieldwork that took place from 2008 to 2012. In addition, we have used various sources of information: current events (press and social networks) and research literature, as well as documents produced by the social actors themselves.

 

 

1- La justice spatiale fait trembler la ville néolibérale

1- Spatial justice shakes up the neo-liberal city

 

 

Le contexte

Background

Le Chili est un pays constamment frappé par des catastrophes naturelles (séismes, tsunamis, incendies, inondations, éruptions volcaniques, etc.) dues à sa « géographie du risque » (Musset, 2009). Cette caractéristique rend les secteurs les plus exclus de la société encore plus vulnérables. Cela constitue un grand défi pour les politiques publiques urbaines et de logement, à cause des inévitables processus de reconstruction qui font suite aux désastres et du travail indispensable de prévention et de mitigation par ces politiques. Les séismes au Chili ont été des opportunités pour créer de nouvelles politiques publiques, de nouvelles normes, voire de nouvelles institutions ; ils ont été des moteurs du processus de développement.

Chile is a country that is constantly struck by natural disasters (earthquakes, tsunamis, fires, floods, volcanic eruptions, etc.) due to its “geography of risk” (Musset, 2009). This characteristic makes society’s most excluded segments even more vulnerable. This is a major challenge for both housing and urban public policy because of the inevitable reconstruction processes that follow disasters and the absolutely necessary prevention and mitigation work these policies require. Earthquakes in Chile have been opportunities to create new public policies, new standards, if not new institutions; they have driven the development process.

Le processus de reconstruction a ainsi été considéré comme une opportunité pour le développement. Se pose alors la question suivante : une opportunité pour quoi et pour qui ? On peut répondre à cette question en suivant la proposition de Lefebvre de « production sociale de l'espace », qui considère la ville comme un lieu de conflit, en la complétant par l’analyse de García Acosta sur la « construction sociale du risque» (García Acosta, 2005).

The reconstruction processes was examined as a development opportunity. So, the following question is asked: an opportunity for what and for whom? This question may be answered by following Lefebvre’s proposal of “social production of space” for the city as a place of conflict, completing it with García Acosta’s analysis on the “social construction of risk” (García Acosta, 2005).

Ces éléments nous permettent de mieux comprendre le contexte du Chili néolibéral face au tremblement de terre et au tsunami de 2010 dans une « perspective de vulnérabilité, en raison du rôle central joué par celle-ci et particulièrement par ses dimensions économiques et politiques dans le processus de catastrophe» (Oliver-Smith, 2002). Au Chili, le processus d'installation et d’enracinement du néolibéralisme et ses résultats socio-économiques ont agi comme un stimulateur synergique des effets de la catastrophe. On peut parler de “synergies de vulnérabilité” : « Les modèles sociaux et économiques adoptés ont généré des risques de catastrophe qui, associés à l’augmentation des vulnérabilités particulièrement notable dans certaines régions du monde, ont amplifié de façon exponentielle les effets des menaces naturelles » (GarcíaAcosta, 2005).

These components enable us to better understand neo-liberal Chile’s conditions in the face of the 2010 earthquake and tsunami, by following the “[translation] vulnerability perspective due to the key role it plays and particularly its economic and political aspects in the catastrophe process” (Oliver-Smith, 2002). In Chile, the establishment and taking root of neoliberalism and its socio-economic results have acted as synergetic stimulus on the effects of the catastrophe. We can speak of “[translation] synergies of vulnerability”: “[tr.] The social and economic models adopted have generated catastrophe risks which, associated with the increase of particularly notable vulnerabilities in certain regions of the world, have exponentially amplified the effects of the natural threats” (GarcíaAcosta, 2005).

Le tremblement de terre du 27 février 2010 a affecté tout le centre sud du pays, entre les villes de Santiago et de Concepción, c'est‐à‐dire la zone qui concentre la majeure partie et la plus forte densité de population du pays. En plus des nombreux dommages humains et matériels, le séisme a donné lieu à une série de conflits sociaux dus au processus de reconstruction dans les différents territoires affectés. On peut analyser ces conflits comme une crise‐opportunité et un moteur‐mobilisateur de l’organisation sociale et du capital.

The earthquake of February 27, 2010 affected the entire central south of the country, between the cities of Santiago and Concepción, i.e. the area where most of the country’s population is concentrated and density is greatest. In addition to the human injuries and material damage, the earthquake resulted in a string of social conflicts due to the reconstruction process in the various areas affected. These conflicts can be analyzed as a crisis-opportunity and a driver-mobilizer of social organization and social capital.

Ainsi, le séisme de 2010 a agi comme un révélateur de la société chilienne. Il a mis en évidence les inégalités et les injustices spatiales construites au cours des quarante dernières années et a révélé le rôle prépondérant des acteurs sociaux, en particulier du mouvement de pobladores, dans leurs processus d'organisation et de résistance. Le séisme a donc accéléré les processus sociaux dans un Chili qui semblait assoupi après dix-sept ans de dictature[2], puis vingt ans d’une interminable transition vers la démocratie[3]. Depuis 2010, la citoyenneté s’est réveillée. Le processus à la fois tellurique et social qui a commencé le 27 février 2010 n'a fait que s'accélérer de jour en jour : d'abord avec la solidarité[4] et l’aide mutuelle face à la catastrophe, puis avec le fait que le tremblement de terre et le tsunami ont révélé les inégalités de la société chilienne, tout en permettant aux gens de se réunir pour s'organiser.

Thus, the 2010 earthquake served to reveal Chilean society. It highlighted the spatial inequalities and injustices constructed over the last 40 years and also revealed the dominant role of social actors, particularly the pobladores movement, in their organization and resistance processes. So, the earthquake accelerated the social processes in a Chile seemingly grown sleepy after 17 years of dictatorship[2], and then 20 years of an endless transition to democracy[3]. Since 2010, citizenship has been reawakened. The simultaneously social and seismic process that began on February 27, 2010 only accelerated from one day to the next, first with solidarity[4] and mutual assistance in the face of the catastrophe, and then with the fact that the earthquake and tsunami revealed the inequalities of Chile’s society while also enabling people to come together to organize.

Les séismes se produisent à cause d’une accumulation invisible, constante et souterraine de forces telluriques qui, à un moment donné, explosent. On pourrait comparer ce phénomène au processus social chilien : des années d’accumulation de frustration, d’inégalités et d’exclusion ont fini par exploser sous la forme d’un séisme social qui secoue aujourd’hui le pays pour exiger plus d’égalité, de droits, et finalement de justice. Nous choisissons de qualifier ce processus de double mouvement tellurique et social.

Earthquakes occur due to an invisible, constant subterranean accumulation of telluric force, which at a certain point, explodes. This phenomenon could be compared to Chile’s social process: years of accumulated frustration, inequalities, and exclusion ended up exploding in the form of a social earthquake which shakes the country today to demand more equality, rights and when all is said and done, justice. We are choosing to describe this process as a dual seismic and social action.

 

 

Résiliences ou résistances. S'adapter ou se battre ?

Resilience or resistance. Adapt or fight?

Ce processus social et, en particulier, le mouvement de pobladores postérieur au tremblement de terre de 2010, peuvent être compris du point de vue de la relation dialectique entre résilience et résistance. Le conflit que nous analysons ne concerne pas seulement les luttes “dans” la ville, mais aussi la lutte “pour” la ville. Ce conflit a lieu entre différents acteurs qui prétendent transformer ou maintenir les rapports de pouvoir en vue d’une hégémonie dans la production de la ville, et en conséquence dans la reproduction et l'accumulation de capital. La ville n'est pas un espace statique, mais est en évolution et fluidité permanentes. Elle constitue un véritable “mouvement” de différentes forces, antagonistes ou collaboratives en fonction du moment et des conditions.

This social process, and in particular the pobladores movement that followed the 2010 earthquake, can be understood from the perspective of the dialectical relationship between resilience and resistance. The conflict that we are analyzing does not only concern the struggles “in” the city but also the struggle “for” the city. This conflict takes place between various actors who claim to transform or maintain power relations with an eye to hegemony in the production of the city, and subsequently in the reproduction and accumulation of capital. The city is not a static space but something that is permanently evolving and fluid. It is a genuine “movement” of various forces that work with or against each other based on the time and conditions.

Nous appréhendons le concept de résilience à partir de deux perspectives, tel que le propose García Acosta. La première est “comprise comme la capacité de changer ou de s'adapter pour faire face à l'inconnu d'une meilleure façon” (Douglas etWildavsky, 1983:196). La deuxième est la capacité de s'adapter ou de changer, mais de changer “ce qui est connu et accepté” (Terrence McCabe, 2005: 23), le risque et le désastre faisant partie d’un environnement avec lequel on sait cohabiter. Nous complétons cette analyse par la perspective foucaldienne des rapports de pouvoir, où Foucault affirme que “là où il y a du pouvoir il y a de la résistance” (Foucault, 1980). Cette approche nous permet de constater l'existence d'une “société disciplinaire”, constituée d'un réseau de dispositifs et d’appareils qui produisent et régulent aussi bien les coutumes que les habitudes et les pratiques sociales. Nous appréhendons la société disciplinaire dans la perspective de la ville néolibérale et du projet politique sous-jacent. En outre, nous étudions comment les résistances apparaissent dans le contexte d'un pouvoir vu comme un “réseau de relations”, plutôt que comme un objet. Ce réseau de relations fut surtout constitué par la coalition public-privé installée depuis 1975 avec les ajustements structurels néolibéraux.

We understand the concept of resilience from two perspectives, as proposed by García Acosta. The first is “[tr.]understood as the ability to change or adapt to better deal with the unknown” (Douglas andWildavsky, 1983:196). The second is the ability to adapt or change but change “[tr.] that which is known and accepted” (Terrence McCabe, 2005: 23), risk and disaster being part of an environment one knows how to live with. Moreover, we understand the concept of resilience in light of Foucault’s outlook on power relations, where Foucault states that “[tr.] where there is power, there is resistance” (Foucault, 1980). This approach enables us to observe the existence of a “[tr.]disciplinary society”, made up of a network of devices and apparatus that produce and regulate customs, as well as habits and social practices alike. In our analysis, we are analyzing disciplinary society from the perspective of the neo-liberal city and the underlying political plan. Moreover, we are studying how resistances appear in the context of power seen as a “network of relations”, rather than as an object. This network of relations was especially formed by the public-private coalition in place since 1975 with the neo-liberal structural adjustment.

Ainsi, si nous confrontons les concepts de résilience et de résistance, c'est surtout à partir de l'action des acteurs sociaux organisés, à savoir les mouvements de pobladores qui se sont mobilisés dans le cas qui nous intéresse. Dans la rhétorique officielle, aussi bien du gouvernement que des organismes internationaux comme l'ONU, les pauvres doivent être “résilients”. Cependant, nous allons constater que plutôt que de simples résiliences, les processus d'action collective peuvent être aussi compris comme des résistances, à différents degrés, à un modèle idéologique, politique, économique, social et culturel. Les mouvements de pobladores, outre le fait qu'ils agissent de façon résiliente, en s'adaptant à la situation qui suit les désastres, commencent à produire des “pratiques de résistances”, que nous allons mettre en rapport avec leur rôle dans la “production sociale de l'espace”. En suivant Foucault, nous verrons que la résistance n'est ni réactive ni négative : c’est un processus de création et de transformation permanentes. Cependant, nous analysons également les formes de “réaction” face au désastre, en lien avec ce que nous qualifions de résilience.

Thus, if we are comparing the concepts of resilience and resistance, the case we’re interested is primarily based on the action of the organized social actors, namely, the pobladores movements. In the official rhetoric, both of the government and international organizations like the UN alike, it is repeated that the poor need to be “resilient”. However, we will observe that rather than mere resilience, collective action processes can also be understood as resistance, to various degrees, to an ideological, political, economic, social and cultural model. The pobladores movements, beside the fact that they act with resilience, adapting to the situation that follows disasters, begin to produce “resistance practices”, that we will link with their role in the “[tr.] social production of space”. In following Foucault’s thought, we will understand that resistance is neither reactive nor negative; it is a process for creation and permanent transformation. However, we are also analyzing the forms of “reaction” in the face of the disaster in relation with what we describe as resilience.

Ville néolibérale au Chili

The neo-liberal city in Chile

Le concept de ville néolibérale est important pour notre analyse de la construction de la vulnérabilité,ainsi que pour comprendre le rôle des acteurs sociaux et en particulier du mouvement des pobladores. Analysant les processus de vulnérabilitéssynergiques, dans un contexte de désastres socio-naturels accentué par des politiques néolibérales, nous nous concentrerons sur le cas de Santiago, la capitale du Chili, en tant que modèle de ville néolibérale. Ce processus de néolibéralisation a été reproduit dans d’autres villes et territoires du pays, « mais il y a peu de cas comme celui de Santiago, qui montrent aussi clairement ce qui se produit dans une ville et sur ses habitants lorsque les politiques néolibérales sont mises en œuvre  » (Rodríguez, 2004: 4). Nous partons de l’idée que « le néolibéralisme n’est pas une idéologie du désengagement de l’Etat mais de la mobilisation de ce dernier dans un projet de généralisation des mécanismes marchands » (VVAA, 2012).A partir du modèle de destruction/création néolibérale proposé par Brenner et Theodore (2002), Rodríguez (2009) distingue quatre moments de destruction et création néolibérales dans la ville de Santiago :

The “neo-liberal city” concept is important for our analysis of the construction of vulnerability as well as for understanding the role of social actors and the pobladores movement in particular. Analyzing the processes of synergetic vulnerabilities in a context of socio-natural disasters augmented by neoliberal policies, we will concentrate on the case of Santiago, Chile’s capital, as a model of the neo-liberal city. As we will see below, this “[tr.] process of neoliberalization” was reproduced in other cities and areas of the country, “[tr.] but there are few cases like that of Santiago that show as clearly what happens in a city and to its inhabitants when neoliberal policies are implemented.” (Rodríguez, 2004: 4). We are starting from the idea that “[tr.] neoliberalism is not an ideology of State disengagement but the mobilization of the State in a plan for the generalization of market mechanisms” (VVAA, 2012).Using Brenner and Theodore’s (2002) neoliberal destruction/creation model, Rodríguez (2009) identifies four periods of neoliberal destruction and creation in the city of Santiago:

1. La discipline : L'élimination et la désarticulation des organisations dans les quartiers populaires ont été effectuées pendant la dictature au moyen de la répression, de la suppression de l’espace politique traditionnel et de la création d’un climat général de terreur. Les organisations des poblaciones[5] ont disparu à cause de la désarticulation des partis politiques, du changement de nature de l’Etat et de la répression des dirigeants et militants des poblaciones. Quant à l’administration urbaine, les municipalités ont été noyautées par la nomination de maires délégués, le plus souvent des militaires.Les institutions en charge des questions urbaines ont été réorganisées et une nouvelle fonction de contrôle de la population a été confiée aux municipalités.

1. Discipline: The elimination and dismantling of organizations in working class neighbourhoods was carried out during the dictatorship by means of repression, suppression of the traditional political space, and the creation of a general climate of terror. The poblaciones[5] organizations disappeared due to the disbanding of political parties, the change in the nature of the State and repression of the poblaciones’ leaders and activists. As for urban administration, municipal governments were infiltrated through the appointment of mayors who were most often members of the military. The institutions in charge of urban matters were reorganized and a new population control function was entrusted to the city governments.

2. Le marché agit comme (dé)régulateur avec la création d’un marché foncier, l’élimination des limites urbaines, ainsi que la politique de logement d’Etat subsidiaire.

2. The market acts as a (de)regulator with the creation of a real estate market, the elimination of city limits as well as an subsidiary State housing policy.

3. Un mélange entre la discipline et le marché : la régularisation foncière. A la différence d’autres processus similaires mis en œuvre en Amérique latine, définissant la régularisation foncière comme le transfert de propriété des terrains à leurs occupants précaires, à Santiago cela a signifié la rétrocession des terrains à leurs propriétaires précédents. A cette fin, les familles occupant les terrains occupés de manière irrégulière (les tomas de terrenos[6] et campamentos[7]) ont été déplacés vers des logements collectifs partiellement subventionnés à la périphérie de la ville (ou bien ils ont dû former de nouveaux campamentos, en périphérie). Ainsi, cette régularisation foncière fut bien plus qu’une solution donnée à des cas particuliers. Elle a constitué l’une des bases de la restructuration du marché foncier urbain. C’est ce qu’on a appelé le phénomène de la « vente de pauvres » avec le déplacement forcé de plus de 150 000 pobladores à la périphérie de Santiago (SUR, 1984).

3. A blend of discipline and the market: land regularization. Unlike other similar processes implemented in Latin America that defined land regularization as the transfer of ownership of land to the occupants, in Santiago, this meant retroceding land to the previous owners. To this end, the families occupying informally occupied land (the tomas de terrenos[6] and campamentos[7]) were moved to partially subsidized community housing on the city’s periphery (or they had to create new campamentos on the periphery). Thus, this land regularization was much more than a solution to special cases. It was one of the foundations for the restructuring of the urban real estate market. This was called the “sale of the poor” phenomenon entailing the forced removal of more than 150,000 pobladores to the periphery of Santiago (SUR, 1984).

4. La ville réorganisée (au niveau administratif) : La structure administrative et territoriale des municipalités préalablement en vigueur a disparu : Santiago, qui avait été divisée en quatorze communes, a été fractionnée en trente-deux unités territoriales. Les anciens territoires municipaux ont été modifiés et leurs limites redessinées. Ils ont été subdivisés, dans le but de parvenir à une homogénéité socio-économique permettant un meilleur fonctionnement administratif ainsi que le contrôle politique des habitants. La gestion des services publics tels que l’éducation et la santé a été partiellement transférée aux municipalités, comme étape d'un processus culminant avec la privatisation de ces services publics. Une nouvelle législation du travail a été édictée, réduisant la capacité de négociation des travailleurs. La privatisation de la sécurité sociale a par la suite permis la création de grands fonds d’investissement – les AFP, entités d’administration des fonds de pensions (Administradoras de Fondos de Pensiones) – qui ont aujourd’hui un rôle important sur le marché foncier urbain et l’extension de la ville. Ces fonds constituent la force motrice du développement immobilier dans la mesure où ils élargissent le marché de capitaux à long terme, permettant de financer l’achat de logements pour les ménages n’ayant pas de capacité d’endettement.

4. The reorganized city (at the administrative level): The previous administrative and territorial structure of the municipalities disappeared. Santiago, which had been divided into 14 administrative districts, was broken into 32 territorial units. The former municipal territories were modified and their boundaries redrawn. They were subdivided for the purpose of achieving socio-economic homogeneity allowing the administration to function better as well as political control of the inhabitants. The management of public services such as education and healthcare was partially transferred to the municipalities as one phase in a process culminating in the privatization of these government services. New labour legislation was enacted, reducing workers’ ability to negotiate. Privatization of social security then made possible the creation of large investment funds – the AFPs (Administradoras de Fondos de Pensiones), pension fund administrative bodies – which today have a major role in the urban real estate market and the expansion of the city. These funds are the driving force of real estate development to the extent that they expand the long-term capital market, making it possible for households without capacity for indebtedness to finance the purchase of housing.

 

 

La politique urbaine néolibérale au Chili : segmentation et inégalités urbaines

Neoliberal urban policy in Chile: segmentation and urban inequalities

« Les politiques urbaines dépendent de situations spécifiques. A des périodes données, elles ont aussi des caractéristiques générales qui ne sont pas réductibles à une seule société. Les politiques correspondent à la transcription contingente des modèles de transformation, dans des situations et des périodes. A chaque modèle de développement correspond un modèle urbain : à chaque politique de développement correspond une politique urbaine » (Massiah, 2012 : 11).

“[tr.] Urban policies depend on specific situations. At given times, they also have overall characteristics that cannot be boiled down to a single society. The policies correspond to the contingent interpretation of transformation models, in situations and periods. Each development model has a corresponding urban model, and each development policy has a corresponding urban policy” (Massiah, 2012: 11).

L'intensité des réformes néolibérales au Chili est à mettre sur le compte de leur réalisation sous la main de fer d'une dictature féroce. Sabatini (2000) analyse la façon dont la réforme des marchés fonciers à Santiago a eu d'importants effets sur le prix des terres et sur la ségrégation résidentielle. Cette politique de libéralisation reposait sur trois principes centraux : le foncier urbain n’est pas une ressource limitée ; le marché est le mieux placé pour assigner des usages différents aux sols ; l’usage du sol doit être régi par des dispositions flexibles, définies en fonction des exigences du marché.

The intensity of the realization of neoliberal reforms in Chile is to be blamed on the iron hand of a ferocious dictatorship. Sabatini (2000) analyzed how the reform of real estate markets in Santiago had significant effects on the price of land and on residential segregation. This liberalization policy was based on three key principles: urban real estate is not a limited resource; the market is best placed to assign various uses to the land; land use must be governed by flexible provisions that are determined on the basis of market requirements.

Apparente dans les documents officiels du MINVU[8] entre 1978 et 1981, la libéralisation des sols urbains, grâce à l’élimination des « limites urbaines » en 1979, cherchait - selon le discours officiel -, par l’intermédiaire du marché, à faire baisser les prix du foncier grâce à l’extension de l'offre. Mais l’effet a été inverse puisque les prix ont augmenté. La spéculation sur les terres, qu'une décision administrative incluait du jour au lendemain dans les limites urbaines, a été décisive dans l’évolution des prix. Les logements sociaux ont été progressivement éloignés des emplacements péricentraux vers l’extérieur de la ville, en raison de la spéculation, phénomène qui existe encore aujourd’hui.

Evident in official MINVU[8] documents between 1978 and 1981, the liberalization of city land brought about by the 1979 elimination of “city limits”, sought to use the market to lower land prices by increasing the supply – according to the official narrative. But the effect was the opposite, since prices went up. Land speculation, which an overnight administrative decision included within the city limits, was crucial in the evolution of the prices. Social housing was gradually distanced from more central locations toward areas outside the city due to the phenomenon of speculation that still exists today.

 

 

Politique de logement dans le Chili néolibéral

Housing policy in neoliberal Chile

Selon la thèse avancée par Gilbert(2003), la politique de logement au Chili n’a pas été imposée par le consensus de Washington. Au contraire, la radicalité néolibérale des technocrates chiliens, les Chicago Boys, est allée bien au-delà des politiques de Washington, pour faire du modèle chilien une référence copiée et diffusée par les organisations internationales.Gilbert explique qu’après le coup d’Etat, « le gouvernement militaire s’est immédiatement débarrassé du programme de logement socialiste, même s’il ne l’a remplacé par rien. Toutefois, en 1975, l’esquisse d’un nouveau modèle pour le logement prenait déjà forme. Le nouveau système serait guidé par le marché et serait intégré à des systèmes économiques et financiers bien plus compétitifs. Du côté de l’offre, le logement public ne serait plus commandité par l’Etat mais construit par le secteur privé, en fonction des signaux envoyés par le marché. Plutôt que d’avoir les promoteurs construisant sur commande du secteur public, ils seraient mis en concurrence pour produire ce qui correspond aux souhaits des consommateurs. L’Etat serait donc réduit à un rôle « subsidiaire » (Gilbert, 2003: 138).

According to the argument put forward by Gilbert(2003), Chile’s housing policy was not imposed through the Washington consensus. To the contrary, the radical neoliberal Chilean technocrats – the “Chicago Boys” – went beyond Washington’s policies to make Chile the model that was copied and disseminated by international organizations. Gilbert explains that after the coup, “[tr.] the military government immediately got rid of the socialist housing program, even if it didn’t replace it with anything. However, in 1975, a new housing model was beginning to take shape. The new system would be guided by the market and would be integrated into much more competitive economic and financial systems. On the supply side, public housing would no longer be sponsored by the state but built by the private sector based on signals sent by the market. Rather than the developers building based on orders from the public sector, they would be competing to produce what consumers wanted. The State would therefore be reduced to a “subsidiary” role (Gilbert, 2003: 138).

Le système de logement subventionné, toujours d’actualité, a représenté un changement d’envergure puisqu’il a orienté la demande de ceux qui avaient besoin d’une aide vers le marché. En plus du nécessaire endettement des bénéficiaires, ce système a introduit l’idée du ciblage selon laquelle « le logement était un bien ne pouvant être obtenu que grâce à l’effort individuel ; la subvention de l’Etat serait réservée aux plus nécessiteux, en guise de récompense pour leurs efforts » (Chambre chilienne du bâtiment, 1991: 90-91). Rodríguez et Sugranyes (2005) affirment que le logement subventionné au Chili ne constitue pas une politique de logement en tant que telle, mais plutôt et « en premier lieu un mécanisme financier de soutien au secteur privé de l'immobilier et du bâtiment ». En plein ajustement structurel des années 1980, la priorité pour l’Etat chilien était avant tout de stabiliser le secteur privé du bâtiment. Pour ce faire, la stratégie a consisté à privatiser tout le système de production de logement. La Chambre chilienne du bâtiment, une association patronale qui regroupe les plus grandes entreprises du bâtiment, a joué (et joue encore) un rôle essentiel dans la définition et la mise en œuvre de cette politique.

The subsidized housing system, which is still topical, represented a major change because it directed the demand of those in need to the market. In addition to the necessary indebtedness of the beneficiaries, this system introduced the idea of targeting according to which “[tr.] housing would be a good that could not be obtained except through individual effort; the State subsidy would be reserved for the neediest in the guise of compensation for their efforts” (Chilean chamber of construction, 1991: 90-91). Rodríguez and Sugranyes (2005) affirm that subsidized housing in Chile does not constitute a housing policy per se, but “first and foremost a financial mechanism supporting the private real estate and construction sector”. Undergoing full structural adjustment during the 1980s, the Chilean government’s top priority was to stabilize the private construction sector. The strategy for doing this was the privatization of the entire housing production system. The Chilean Chamber of Construction, an employers’ association that brings together the largest construction companies, played (and continues to play) an essential role in determining and implementing this policy.

La construction massive de logements pour les pauvres – bien que de mauvaise qualité et situés en périphérie – a réussi à faire taire les revendications sociales pendant de nombreuses années. Sugranyes (2012) fait valoir qu’entre 1990 et 1997, le MINVU a réussi à « construire autant de logements que l’Allemagne après la IIème Guerre mondiale, atteignant un taux annuel tout à fait exceptionnel, de dix logements pour mille habitants. Ce niveau record a été maintenu pendant plusieurs années, permettant de loger en accession à la propriété la plupart des demandeurs des secteurs les plus pauvres ».

The massive construction of housing for the poor – although of poor quality and located in the periphery – managed to quiet social demands for many years. Sugranyes (2012) asserts that between 1990 and 1997, the MINVU managed to “[tr.] build as many homes as Germany after World War II, achieving an absolutely outstanding annual rate of ten units per 1,000 inhabitants. This record level was maintained for a number of years, providing home ownership to most applicants from the poorest sectors”.

Les politiques publiques subsidiaires ont réussi durant les trente dernières années au Chili à convertir les pauvres – considérés comme marginaux, vulnérables, exclus – en simples bénéficiaires assistés (et non acteurs) des programmes sociaux, et objets-cibles (et non sujets) de la politique publique. Cependant, la politique de logement a généré une crise en créant des « ghettos » de pauvreté urbaine, zones de pobladores « avec abris » (Rodríguez, 2005) : « Le monde de la marginalité est, de fait, construit par l’Etat, dans un processus d’intégration sociale et de mobilisation politique, en échange de biens et de services qu’il est le seul à pouvoir donner» (Castells, 1986).

In the last 30 years in Chile, public policies on subsidies have succeeded in converting the poor – considered marginal, vulnerable and excluded – into simple, assisted beneficiaries (and not actors) of social programs, and target-objects (and not subjects) of public policy. However, the housing policy generated a crisis by creating ghettos of urban poverty, areas of “non-homeless” pobladores (Rodríguez, 2005): “[tr.] The world of marginality is in fact built by the State in a process of social integration and political mobilization, in exchange for goods and services that it alone has the power to give” (Castells, 1986).

Cette politique de logement renvoie au concept d’aliénation, comprise comme résultant des politiques publiques et comme situation « imposée dans toutes les facettes de la vie quotidienne de l’individu par des institutions et des organisations qui ne permettent pas leur participation dans l’approvisionnement en services » (Ruipérez, 2006).

This housing policy reflects the concept of alienation, understood as the result of public policies and as a situation “[tr.] imposed on all facets of the individual’s daily life by institutions and organizations that do not allow participation in the providing of services” (Ruipérez, 2006).

 

 

La politique de reconstruction : la même recette ?

The reconstruction policy: same recipe?

Différents rapports (MNRJ, 2011a ; Rolnik, 2011 ; INDH, 2012 ; Mission ONU- HABITAT, 2010) élaborés après le tremblement de terre par des organisations de défense des droits de l’homme ont montré « l'idéologie de la reconstruction », sujet qui a également été abordé dans certains articles et même dans des reportages de presse. Dans « L’échec idéologique de la reconstruction », Peréz (2011) suggère que ce modèle (de reconstruction) se révèle comme une approche qui démantèle l'Etat, transférant ses pouvoirs vers des acteurs privés, considérés comme « brillants, puissants et prééminents ». Dans le processus de reconstruction, l’accent a été mis sur l’allocation des subventions, la simplification de la bureaucratie et la facilitation de la participation du secteur privé, tandis que les victimes devaient être assignées à des logements de qualité très moyenne, ségrégés, éloignés de leur vie quotidienne et sociale, conçus comme solution d’urgence.

Various reports (MNRJ, 2011a; Rolnik, 2011; INDH, 2012; UN Mission-HABITAT, 2010) by human rights organizations after the earthquake have shown “[tr.] the reconstruction ideology”, a topic that has also been addressed in certain articles and even in special interest stories in the press. In “[tr.] The ideological failure of reconstruction”, Peréz (2011) suggests that this model (of reconstruction) is shown to be an approach that the State dismantles, transferring its powers to private actors, deemed to be “[tr.] brilliant, powerful and prominent”. In the reconstruction process, emphasis was placed on the allocation of subsidies, simplification of the bureaucracy and private sector facilitation, while the victims were to be assigned housing of mediocre quality, were segregated, far from their daily and social lives, and designed as an emergency solution.

Ces différents éléments soulignent l'importance du rôle joué par les mouvements sociaux en général dans le Chili d'aujourd'hui, en particulier par le mouvement des pobladores, en résistance à un modèle hégémonique de développement.

These various components underscore the importance of the role played by social movements in general in Chile today, particularly by the pobladores movement, in resistance to a hegemonic development model.

 

 

2- Les mouvements sociaux et la lutte pour la ville, entre pouvoir et faire

2- Social movements and the struggle for the city, between power and action

Nous faisons l’hypothèse que le séisme a servi de détonateur aux mouvements sociaux urbains en recomposition, dans un contexte de néolibéralisme avancé. Nous examinerons le processus de mobilisation et de résistance en prenant en compte la dimension spatiale de l’action collective et en nous appuyant sur l’exemple des deux mouvements de pobladores au niveau national. On peut comprendre ce processus comme une illustration des « résistances des mouvements sociaux et de l’émergence de contre-modèles et de débats sur la ville post-néolibérale juste » pour reprendre l’appel à contribution de ce numéro.

It is our theory that the earthquake served to detonate urban social movements that were rebuilding in an advanced neoliberal setting. We will examine the mobilization and resistance process by considering the spatial aspect of the collective action and by taking the example of the two pobladores movements at the national level. This process can be understood as an illustration of “[tr.] social movement resistance and the emergence of counter-models and debates on the just post-neoliberal city” to echo the call for contributions for this issue.

 

 

Le mouvement de pobladores et son accélération après le séisme 2010-2012

The pobladores movement and its acceleration after the earthquake 2010-1012

La période récente - de 2010 jusqu’à 2012 - représente un point d’inflexion dans la société chilienne (ce processus est actuellement encore en cours), et au sein même du mouvement de pobladores, principalement pour trois raisons conjoncturelles :

The recent period – from 2010 to 2012 – is a change in the course of Chilean society (this process is still in progress at this time), and in the pobladores movement, mainly for three reasons related to the following circumstances:

1. Le changement de coalition gouvernementale : l’alternance du centre-gauche à la droite. En janvier 2010, lors du second tour de l’élection présidentielle, l’homme d’affaires Sebastian Piñera, candidat de la droite, l’emporte avec 51,61% des voix sur le candidat de la Concertation (la coalition qui a gouverné entre 1990 et 2010) Eduardo Frei. La passation de pouvoir a eu lieu le 11 mars 2010, peu de jours après le tremblement de terre du 27 février. La cérémonie a d’ailleurs été interrompue par une forte réplique, un deuxième séisme de 7,2 sur l’échelle de Richter ayant déclenché une alerte de tsunami. Ce mouvement tellurique annonçait ainsi symboliquement les années agitées qui viendraient. De plus, le changement de gouvernement est lié à une crise de représentation du duopole politique. Avec le nouveau gouvernement, les politiques néolibérales se sont maintenues, malgré quelques essais d’accélération et d’approfondissement du « modèle », par les mêmes acteurs qui l’avaient fondé dans les années 1980.

1. The change of the government coalition: the switch from centre-left to the right. In January 2010, during the second round of the presidential election, businessman Sebastian Piñera, a right-wing candidate, won with 51.61% of the votes defeating the “Concertation” [tr.: joint action] candidate, Eduardo Frei. Power was handed over on March 11, 2010, a few days after the February 27th earthquake. The ceremony moreover was interrupted by a strong second earthquake measuring 7.2 on the Richter Scale, triggering a tsunami alert. This movement of the ground symbolically announced the unsettled years to come. In addition, the change of government is tied to a representational crisis in the political duopoly. The new government maintained the neoliberal policies despite a few attempts at accelerating and deepening the “model” by the same actors that had founded it in the 1980s.

2. Le séisme et le tsunami du 27 février 2010. C’est le second séisme le plus fort enregistré à ce jour au Chili et le sixième plus fort dans l’histoire de l’humanité, depuis que nous avons les moyens de les recenser. C’est aussi le séisme qui a engendré le plus de dégâts : au moins un million de sinistrés, des dégâts estimés à 17% du PIB. C’est un véritable mouvement tellurique et social qui a mis le logement, la ville, et les pobladores mais surtout les inégalités et la vulnérabilité du pays sur le devant de la scène. Selon notre hypothèse, ce point est lié à la troisième raison, qui suit.

2. The February 27, 2010 earthquake and tsunami. This was the second strongest earthquake recorded to date in Chile and the sixth strongest in the history since the means to measure have been available. It is also the earthquake that caused the most damage: at least 1 million disaster victims and damage estimated at 17% of the GDP. While this actual geological and a social upheaval put housing, the city and the pobladores at centre stage, it especially turned the spotlight on the country’s inequalities and vulnerability. It is our theory that this point is tied to the third reason, which follows.

3. L’explosion en 2011 (Pulgar, 2012a) (et qui continue en 2013) d’un mouvement social plus ample qui est le plus « significatif des vingt dernières années» (Garcés, 2012), après le mouvement de résistance à la dictature dans les années 1980. Il s’agit avant tout d’un mouvement étudiant, mais aussi de citoyens, écologistes, mapuches, des régions (Magallanes, Aysén, Calama, Freirina), des pobladores, des minorités sexuelles, des féministes, des sinistrés du séisme de 2010, des travailleurs. Ceci est lié, selon notre hypothèse, aux deux points précédents et aux contradictions structurelles du « modèle ». Certains commentateurs ont récemment décrit cette période comme « la chute du modèle » (Mayol, 2012), tandis qu’un groupe important d’historiens sociaux la définit comme une « révolution anti-néolibérale» (VVAA, 2011). Il est important de souligner le développement territorial de ce mouvement social, dans lequel le mouvement de pobladores a joué un rôle décisif. Le slogan « Halte au profit[9] » inventé par le mouvement étudiant recoupe tous les mouvements, que ce soit dans le secteur du logement, de la ville, de la santé, de l’environnement, et en général des droits sociaux.

3. The 2011 explosion (Pulgar, 2012a) (and which is ongoing in 2013) of a larger social movement that is the most “[tr.] significant in the last twenty years” (Garcés, 2012), after the resistance movement against the dictatorship in the 1980s. This is primarily a student movement but includes citizens, ecologists, Mapuches, people from the regions (Magallanes, Aysén, Calama, Freirina), pobladores, sexual minorities, feminists, victims of the 2010 earthquake, and workers. According to our hypothesis, this is tied to the two preceding points and the “model’s” structural contradictions. Some commentators recently described this period as “[tr.] the collapse of the model” (Mayol, 2012), while a major group of social historians defines it as an “[tr.] anti-neoliberal revolution” (VVAA, 2011). It is important to emphasize the territorial development of this social movement in which the pobladores movement played a decisive role. The slogan “No to more profit![9]” created by the student movement, is common to all the movements, whether in the housing sector, the city, health, the environment or social rights in general.

 

 

En plus de ces trois points, qui affectent la société chilienne dans son ensemble, d’autres processus structurels de plus longue date sont liés à la fois à l’installation des politiques néolibérales dans les années 1980, à un système politique à démocratie de « faible intensité », et aux conséquences en termes d’inégalités et d’exclusion, ce à quoi nous ajouterions la vulnérabilité face aux risques.

In addition to these three points which affect Chilean society as a whole, other structural processes of longer standing are related to the very establishment of neoliberal policies in the 1980s, to a “low intensity” democratic political system, and to the consequences in terms of inequalities and exclusion, to which we would add vulnerability to risks.

 

 

Le développement du mouvement de pobladores est lié à trois autres raisons :

The development of the pobladores movement is tied to three more reasons:

1. La recomposition des mouvements citoyens et territoriaux des dix dernières années, et surtout depuis le séisme de 2010.

1. The recomposition of the citizen and territorial movements of the last 10 years, and especially since the 2010 earthquake.

2. La crise du modèle de ville néolibérale, reflétée par les inégalités croissantes, l’exclusion et la vulnérabilité. Cela s’est accentué avec la crise de la politique de reconstruction, qui a suivi le modèle établi précédemment. Le déficit de logements, ainsi que la pauvreté (Soto, 2011), ont augmenté avec le tremblement de terre.

2. The crisis of the neoliberal city model, reflected by growing inequalities, exclusion and vulnerability. This has been stressed with the reconstruction policy crisis, which followed the previously established model. The housing shortage, as well as poverty (Soto, 2011), increased with the earthquake.

3. Le processus de reconstruction post-séisme est considéré comme une opportunité. Mais pour qui ? Est-ce une fois de plus une stratégie de choc pour mettre en œuvre de nouveaux processus d’accumulation par dépossession ou assiste-t-on au contraire à des résistances et des processus émancipatoires ?

3. The post-earthquake reconstruction process is considered an opportunity. But for whom? Is this yet another shock strategy to implement new accumulation processes through dispossession, or are we witnessing resistance and emancipation processes?

 

 

Dimension spatiale de l’action collective : la FENAPO et le MNRJ

The spatial aspect of collective action: comparison of two movements, FENAPO and MNRJ

Nous étudierons deux mouvements sociaux, d'une part parce qu'ils se distinguent par leur irruption soudaine et leur nouveauté, d'autre part en raison de leur articulation au niveau national et de leur aptitude à négocier et à faire des propositions dans différents domaines. Il s’agit de la Fédération Nationale de Pobladores (FENAPO) et du Mouvement National pour la Reconstruction Juste (MNRJ), les deux fonctionnant comme des fédérationsde mouvements locaux.

We will examine two social movements on the one hand, because they stand out due to their sudden emergence and novelty, and on the other due to their connection at the national level and their ability to negotiate and make proposals in various areas. These are the National Federation of Pobladores (FENAPO) and the National Movement for Just Reconstruction (MNRJ), both serving as umbrella organizations for local movements.

Après des années de désarticulation des organisations sociales et territoriales, nous assistons, ces dix dernières années, à la réapparition de celles-ci avec une certaine force. De nombreux mouvements nouveaux sont apparus, avec des caractéristiques diverses, que nous pouvons analyser à partir de leur origine, de leur dimension sociale, de leurs projets et de leurs évolutions. Comment lier les concepts de droit à la ville et de justice spatiale avec l’action de ces mouvements sociaux urbains au Chili ? Soja (2010) explique la différence entre les concepts de justice spatiale et de droit à la ville, le premier se présentant comme une approximation analytique qui peut « être opérationnelle » de manière diverse localement, alors que le droit à la ville peut être compris comme un horizon politique global commun qui articule différentes revendications.

After years of disjointedness, social and territorial organizations have been making a fairly strong re-emergence in the last 10 years. Many new movements have appeared with various features, which we will analyze based on their origins, social aspect, their plans and how they are evolving. How can we link the concepts of the right to the city and spatial justice with the action of these urban social movements in Chile? Soja (2010) explains the difference between the concepts of spatial justice and right to the city, the former presenting as an analytical approximation (diagnostic) that can “[tr.] be operational” in various ways locally, whereas the right to the city can be understood as a common global political horizon that links various demands.

Figure 1. Carte des mouvements sociaux urbains et dommages par le séisme/tsunami.

Figure 1. Map of urban social movements and earthquake/tsunami damage

Fig 1 Art PULGAR JS SJ

Source: Élaboration personnelle à partir du registre de mouvements locaux du MNRJ et de la FENAPO

Source: Elaboration by author from the register of local movements MNRJ and FENAPO

Les deux mouvements, la FENAPO et le MNRJ, sont des « mouvements de mouvements », des « réseaux de réseaux, qui commencent à construire un nouveau sujet historique, pluriel et divers» (Houtart, 2010). Dans le cas de la FENAPO et du MNRJ, « de mouvements strictement revendicatifs, ils deviennent aussi des mouvements qui proposent des solutions, bénéficiant souvent de l'appui technique d'ONG, d'universitaires et de diplômés de diverses spécialités. Leurs exigences s'élargissent aussi. Loin de se limiter à des questions spécifiques directement liées à leurs besoins locaux, nombre de ces mouvements en viennent à critiquer les modèles de développement. Le fait de s'organiser en réseau explique, en partie, l'élargissement de cette vision locale vers une vision plus inclusive d'ordre universel » (BrasaoTexaira, 2010). Les mouvements sociaux urbains se transforment du même coup en espaces d'éducation non formelle de la société civile, comme le suggère Gohn (2002).

Both the FENAPO and the MNRJ are “movements of movements”, “[tr.] networks of networks that are beginning to construct a new historical, plural and diverse topic” (Houtart, 2010). In the case of the FENAPO and the MNRJ, “[tr.] they have gone from being strictly protest movements to also being movements that propose solutions, often benefiting from the technical support of NGOs, academics and graduates in various fields. Their demands are also expanding. Far from limiting themselves to specific matters directly related to their local needs, many of these movements are beginning to criticize the development models. The fact of organizing themselves into networks partially explains the broadening of this local vision toward a more inclusive, universal vision” (BrasaoTexaira, 2010). The urban social movements are at the same time transforming themselves into informal education spaces for civil society, as Gohn (2002) suggests.

Les mouvements de pobladores, (y compris les sans logis, « allegados[10] », surendettés et sinistrés) groupés dans la Fédération Nationale des Pobladores (FENAPO) avaient prévu d’annoncer leurs propositions depolitiques urbaines de logement en mars 2010, lorsque Sebastián Piñera, un entrepreneursoutenu par la coalition de droite, allait assumer le mandat de président du pays. Mais à cause du séisme du 27 février 2010, ils ont fait leur apparition quelques semaines avant lechangement de présidence. Ainsi, leur action directe, leur organisation et leur développementse sont construits à partir de l’action humanitaire pour venir en aide aux sinistrés, ce qu’eux mêmesont qualifié d’une aide du « peuple au peuple »[11]. Cette action montre une dimension de résilience organique au niveau de la mobilisation des ressources.

The pobladores movements (including the homeless, or “allegados[10], the indebted and disaster victims) grouped under FENAPO had planned to announce their recommendations for urban housing policies in March 2010, when businessman Sebastián Piñera, supported by the right-wing coalition, was going to assume the presidency of the country. But due to the February 27, 2010 earthquake, their recommendations were made a few weeks prior to the new president taking office. Thus, their direct action, their organization and development were built on the basis of humanitarian action in aid of the disaster victims, which they themselves described as “people to people” assistance”[11]. This action demonstrates an aspect of organic resilience with regard to the mobilization of resources.

L’apparition publique de la FENAPO a donc lieu en avril 2010 lors de sa première mobilisation de rue, face au Palais présidentiel, pour exiger une réunion avec le président de la République, puis en juin 2010, à travers les mobilisations de rue« pour exiger l’accomplissement de divers engagements et donner à connaître ses positions enmatière de logement social, de dette et de reconstruction »[12]. Entre octobre et novembre 2010, une série de manifestations ont lieu en réaction aux annonces du Ministère du logement et de l’urbanisme visant à modifier la politique du logement en vigueur, dans le sens d’une baisse des subventions et d’une augmentation de la contribution des ménages. Après une série d’importantes mobilisations, le mouvement a réussi à obtenir en janvier 2011 la tenue d’un groupe de travail directement avec la Ministre de l’époque et ses conseillers les plus proches. La négociation s’est traduite par l’arrêt des annonces du ministère et l’engagement d’avoir le soutien du Ministère du Logement pour développer un projet de logements sociaux autogérés[13]. Ce succès d'une stratégie de résistance a mis en évidence les « capabilities » du mouvement social.

So, FENAPO appeared publicly in April 2010 during its first street mobilization in front of the presidential palace, to demand a meeting with the president of the republic, then in June 2010 through mobilization in the streets “[tr.] to demand the fulfilment of various commitments and make known its positions on social housing, debt, and reconstruction”[12]. Between October and November 2010, a string of demonstrations took place in reaction to the announcements of the Ministry of Housing and Urban Development, aiming to modify the housing policy in effect, by lowering subsidies and increasing household contributions. After a series of major mobilizations, in January 2011the movement succeeded in holding a working group directly with the Minister at the time and his closes advisors. The negotiation resulted in a stop being put to the ministry’s announcements and the commitment to the support of the Ministry of Housing to develop a plan for self-managed social housing[13]. The success of this resistance strategy highlighted the social movement’s capabilities.

En parallèle, les mouvements de victimes du tremblement de terre et tsunami se sont articulés au sein d’un mouvement plus ample nommé Mouvement National pour la Reconstruction Juste (MNRJ). Un des évènements importants du mouvement a été la « Première rencontre nationale des sinistrés » qui a eu lieu le 5 octobre 2010 dans le cadre de la Journée Mondiale de l’Habitat organisée à la « Villa Olímpica » de Santiago, un des lieux les plus touchés par le séisme de la Région métropolitaine de Santiago, et auquel ont participé de nombreuses organisations qui travaillaient sur le thème de la reconstruction dans leurs localités.

Concurrently, earthquake and tsunami victims’ movements connected in a broader movement called the National Movement for Just Reconstruction (MNRJ). One of the movement’s significant events was the “[tr.] First national victims meeting” which took place on October 5, 2010, as part of World Habitat Day organized at the Olympic village in Santiago, which included the participation of many organizations working on reconstruction in their areas.

Figure 2. Manifestation du MNRJ et de la FENAPO " 1 année sans reconstruction" à côté du palais présidentiel de La Moneda au Santiago. Source : photo de l’auteur, 08/03/2011

Figure 2. Demonstration of MNRJ and FENAPO « 1 year without reconstruction » next to the presidential palace La Moneda in Santiago. Source: Photo by the author, 08/03/2011

Fig 2 Art Pulgar

Beaucoup de ces organisations ont participé à la « Rencontre nationale : expériences citoyennes pour une reconstruction juste» à Talca en janvier 2011. Deux faits importants ont eu lieu lors de cette rencontre : tout d’abord, les bases du premier document de proposition et de demandes citoyennes pour la reconstruction ont été élaborées dans un document intitulé « Demande nationale pour une reconstruction juste » (MNRJ, 2011b) qui a été formellement remis au palais présidentiel le 7 mars 2011, une semaine après la commémoration du premier anniversaire du séisme et tsunami. En second lieu, les organisations participantes ont décidé de donner naissance au Mouvement National pour la Reconstruction Juste,qui s’est transformé en l’un des principaux référents citoyens pour la défense des sinistrés du tremblement de terre et qui a permis de rendre visibles ces problématiques au niveau national.

Many of these organizations participated in the “National Meeting: Citizens’ experiences for just reconstruction” in Talca in January 2011. Two important events occurred during this meeting. First of all, the foundations of the first recommendations and citizen demands document were laid for reconstruction in a document entitled “[tr.] National Demand for Just Reconstruction” (MNRJ, 2011b) which was officially submitted to the presidential palace on March 7, 2011, one week after the commemoration of the first anniversary of the earthquake and tsunami. Secondly, the participating organizations decided to create the National Movement for Just Reconstruction, which became one of the main citizen referents for the protection of the earthquake victims and which made it possible to make these issues visible at the national level.

Dans le cadre de l’émergence de ces deux nouveaux acteurs collectifs, la FENAPO représente « l'héritière » d'un mouvement social historique, à savoir, le mouvement des pobladores du Chili. En revanche, le MNRJ apparaît comme une réaction au processus de reconstruction, réaction des victimes du tremblement de terre alliées à des composantes du mouvement social historique des pobladores. Ces nouveaux mouvements sociaux apparaissent dans le contexte d'un État subsidiaire et néolibéral contesté. Face aux évidentes limites de celui-ci, surgissent de nouvelles demandes sociales, dans le sens de plus d'autonomie, de liberté et d'autogestion.

As part of the emergence of these two new collective actors, the FENAPO is the “heir” to a historic social movement, namely, the pobladores movement in Chile. On the other hand, the MNRJ appears to be a reaction to the reconstruction process, the reaction of the earthquake victims allied with components of the historic pobladores social movement. These new social movements appear in the context of a contested neoliberal, subsidiary State. In the face of its obvious limits, new social demands are arising for more autonomy, freedom and self-management.

 

 

Conclusion : l’épuisement du modèle chilien, entre défis sociaux et politiques publiques fondées sur la justice spatiale

Conclusion: The exhaustion of the Chilean model: Social challenges and public policies based on spatial justice

De nombreux auteurs, universitaires, journalistes ont parlé après le séisme et tsunami de 2010 d’un « tremblement de terre après le séisme » ou encore d’un « séisme social », en le liant surtout aux pillages qui suivirent les heures et jours après la catastrophe. Ce discours a entraîné, trois jours plus tard, la militarisation des zones sinistrées afin de répondre à ce supposé chaos, ce qui a fait revivre aux habitants de ces zones des images de la dictature militaire de Pinochet, avec un couvre-feu imposé, des arrestations et même des morts causées par la répression militaire pour maintenir « l’ordre public ».

After the 2010 earthquake and tsunami, many authors, academics, and journalists spoke about “an earthquake after the earthquake” or alternatively, of a “societal earthquake”, especially in connection with the looting that followed in the hours and days after the catastrophe. This narrative led three days later to the militarization of the affected areas in response to this supposed chaos, which brought back images of the Pinochet military dictatorship to the inhabitants of these areas, with an imposed curfew, arrests and even deaths caused by military repression for maintaining “public order”.

José Luis Ugarte, universitaire chilien, se demandait quelques jours après le séisme : « pourquoi au Chili, dès que l’ordre se retire – lorsque le bras armé de la loi arrête de terrifier – les plus pauvres trouvent-ils légitime de piller et de prendre ce que par d’autres moyens – légaux - ils ne peuvent pas ? » Il répond en disant que « le sentiment d’injustice et d’exclusion clairement partagé par les couches populaires – ce que l’on a défini tant de fois comme étant une « scandaleuse inégalité » – fait que notre société est liée par le même ciment que celui de nos immeubles neufs qui aujourd’hui s’effondrent. (…).  Le tremblement de terre a dénudé le capitalisme chilien en montrant honteusement ses pieds d’argile. Ni notre meilleure propagande, ni celle des organismes financiers ne peuvent cacher qu’à l’heure de répartir les bénéfices entre tous, nous ressemblons bien plus aux pays africains qu’aux pays du premier monde auxquels nous aimerions nous comparer » (Herreros, 2010).

José Luis Ugarte, a Chilean academic, wondered a few days after the earthquake, “[tr.] Why is it that in Chile, when order disappears – when the arm of the law stops terrifying – the poorest find that it is legitimate to loot and take that which they cannot by other – legal – means?” He replies saying that “[tr.] The feeling of injustice and exclusion clearly shared by the working classes, which has been so often defined as being a “scandalous inequality” – causes our society to be bound by the same [quality of] cement as our new buildings that are collapsing today… The earthquake lays bare capitalism in Chile by shamefully demonstrating its feet of clay. Neither our best propaganda nor that of financial organizations can hide the fact that at a time for sharing advantages among everyone, we look much more like African countries than the first world countries we would like to compare ourselves to” (Herreros, 2010).

Ainsi, dans cet article, nous avons démontré que le tremblement de terre a mis à nu le pays en montrant ses très fortes inégalités. Ce diagnostic est partagé par certains médias internationaux, peu de jours après la catastrophe, avec des titres comme « Malgré la force économique : le tremblement de terre a mis à nu la dette sociale du Chili » (Vregara, 2012) ou « Le tremblement de terre laisse à vif une profonde brèche sociale au Chili» (Fuentes, 2010).

Thus, in this article we have shown that the earthquake laid bare the country by showing its very significant inequalities. Some international media shared this diagnosis in the days immediately following the disaster, with headlines like “Despite economic strength, the earthquake has exposed Chile’s social debt” (Vregara, 2012) or “The earthquake exposes a profound social gap in Chile” (Fuentes, 2010).

Il faut toutefois situer cette émergence des mouvements sociaux urbains dans un contexte historique plus vaste et comprendre que les deux mouvements actuels (FENAPO et MNRJ) font partie du mouvement historique des pobladores au Chili. C’est de là que part notre hypothèse du double mouvement tellurique et social, le tremblement de terre étant bien un évènement catalyseur ou mobilisateur de processus qui étaient en cours, de manière souterraine. Les propositions et projets, notamment de la FENAPO, revendiquant plus d’autonomie et fondés sur l’autogestion, mettent en question la relation de dépendance assistancielle envers l’Etat, renforcée par les politiques néolibérales. Ce conflit témoigne d’une dialectique entre l’aliénation, résultant des politiques néolibérales, et les processus émancipatoires qui commencent à surgir dans les territoires. Les processus de résistance et de résilience se croisent, augmentant la complexité dialectique du problème.

However, the emergence of these urban social movements must be situated in a broader historical context and it must be understood that both current movements (FENAPO and MNRJ) are part of the historic pobladores movement in Chile. This is the basis of our hypothesis of the dual social and geological upheaval, the earthquake being a catalyst or mobilizer of processes that were going on “underground”. The recommendations and plans, notably FENAPO’s, demanding more autonomy and based on self-management, challenge the relationship of dependency on the state, reinforced by neoliberal policies. This conflict bears witness to a dialectic between alienation, resulting from neoliberal policies, and emancipation processes which begin to emerge in the territories. The process of resistance and resilience intersect, increasing the dialectic complexity of the problem.

La discussion en cours aujourd’hui concerne les projets du mouvement social, son impact sur les politiques publiques et la politique générale du pays. Barozet (2010) conclut l’un des ses articles en affirmant que “l’impact de ces mobilisations sur les institutions est encore limité : les mouvements sociaux locaux au Chili, malgré leur diversité et leur pugnacité, n’ont pas réussi a créer un impact significatif sur le système politique ni sur les politiques publiques nationales ou locales, car elles n’ont pas encore réussi à mettre en place de nouvelles logiques institutionnelles et ne semblent pas non plus répondre à une réelle transformation de la structure d’opportunité politique”. Cette position est discutable car, comme nous l’avons expliqué dans ce travail, l’action des mouvements sociaux a clairement des impacts sociaux, bien que ceux-ci ne soient ni définitifs ni structurels. Nous voyons donc qu’un nouveau cycle politique s’ouvre, avec les mouvements sociaux comme acteurs incontournables.

The discussion in progress today concerns the social movement’s plans, its impact on the country’s public policies and overall policy. Barozet (2010) concludes one of his recent articles by affirming that “[tr.] the impact of these mobilizations on the institutions is still limited. The local social movements in Chile, despite their diversity and combativeness, have not succeeded in creating a significant impact on the political system or national or local public policies, as they have not yet managed to establish new institutional logics nor do they seem to respond to a genuine transformation of the structure of political opportunity”. This position is debatable because as we have explained in this piece, the action of social movements has definite social impacts, although these impacts are neither definitive nor structural. We are therefore seeing that a new political cycle is beginning, with the social movements unquestionably actors.

Nous avons ainsi mis en évidence les résiliences des acteurs sociaux face à la catastrophe mais surtout les résistances du mouvement social face au néolibéralisme. Ces deux processus sont liés, si l’on regarde les trajectoires des deux mouvements de pobladores ces dernières années. Il convient à présent de voir les impacts qu’ils auront à moyen terme, surtout dans un contexte touché par les revendications sociales et avec une crise importante de la représentativité politique.

We have thus shown the resilience of social actors in facing the catastrophe but especially the social movement’s resistance in the face of neoliberalism. These two processes are related if we look at the trajectories of the two pobladores movements of recent years. It would be a good idea at this time to see what their impacts will be in the medium term, especially in a context affected by social demands and a significant crisis of political representation.

Les récentes convergences des différents mouvements sociaux doivent être considérés comme une variable nouvelle. Ainsi, dans une récente déclaration, pobladores, étudiants et travailleurs organisés affirmaient : « nos luttes peuvent paraître dispersées, mais elles ont la même origine : le modèle économique, politique et social chilien, avec tout son fardeau d’injusticeset de souffrances. Jusqu’à maintenant, le mensonge du jeu démocratique de la Concertation et de la droite avait réussi à contenir l’énorme désir de justice et d’égalité du peuple chilien. Cependant, aujourd’hui surgissent et s’articulent des organisations qui proposent la lutte directe, dans la rue, avec la force de la raison comme seul chemin pour vaincre ceux qui utilisent le pouvoir à des fins privées» (VVAA, 2012b). Cette convergence est à mettre en lien avec la naissance du parti politique Igualdad, issu du mouvement de pobladores. Il faudra attendre de voir, à court et moyen terme, quels seront les impacts de ces convergences et si la stratégie des mouvements sociaux consistant à participer à la démocratie représentative portera ses fruits.

The recent convergences of various social movements must be considered as a new variable. In a recent statement, pobladores, students and organized workers declared, “[tr.] Our struggles may seem scattered but they have the same origin: Chile’s social, political and economic model, with its burden of injustices and suffering. Until now, the lie of the democratic game of the Concertación [party] and the right had managed to contain the tremendous desire for justice and equality of the Chilean people. However, today organizations are emerging and joining one another that are recommending direct struggle, in the street, with the strength of reason as the only road to conquering those who use power for personal ends”(VVAA, 2012b). This convergence is connected with the birth of the political party Igualdad (equality), which arose from the pobladores movement. We will have to wait and see what the short- and medium-term impacts of these convergences will be, and if the social movements’ strategies of participating in representative democracy will bear fruit.

La crise du modèle urbain et de la politique de logement montre comment l’agenda de la néolibéralisation continue d’être en vigueur, avec par exemple des tentatives pour étendre les limites urbaines de la Région métropolitaine de Santiago pour bénéficier des processus spéculatifs. Alors que le MINVU discute de la nouvelle politique de développement urbain, parallèlement, le mouvement de pobladores consolide sa vision qui, comme nous l’avons vu, a évolué de la revendication du droit au logement vers l’horizon plus large du droit à la ville.

The crisis of the urban model and the housing policy shows how the neoliberalization agenda continues to be in effect with, for example, the attempts to extend the city limits of the Santiago metropolitan region to the advantage of speculators. While the MINVU is discussing the new urban development policy, the pobladores movement is consolidating its vision which, as we have seen, has evolved from the demand for the right to housing towards the broader horizon of the right to the city.

A propos de l’auteur : Claudio Pulgar Pinaud EHESS-Paris / Université du Chili- Institut du logement INVI.

About the author: Claudio Pulgar Pinaud EHESS-Paris / University of Chile- Institut du logement INVI.

Pour citer cet article : Claudio Pulgar Pinaud, « Quand la justice spatiale fait trembler la ville néolibérale. Le double mouvement tellurique et social  dans le Chili d'après le tremblement de terre du 27 février 2010 », justice spatiale | spatial justice, n° 6 juin 2014, http://www.jssj.org/

To quote this article: Claudio Pulgar Pinaud, , « When Spatial Justice Makes the Neo-Liberal City Tremble. Social and Seismic action in Chile: The aftermath of the February 27, 2010 earthquake », justice spatiale | spatial justice, n° 6 june 2014, http://www.jssj.org/

[1]Poblador(es): Habitants d’une población. En Amérique latine et surtout au Chili, ce terme a une connotation sociale et souvent politique que le mot “habitant” n’a pas. Pobladores se réfère donc à des collectifs vivant dans des quartiers populaires et qui luttent pour un espace, pour leur quartier, leur rue, et leur droit à la ville. L’identité du sujet poblador est très liée à l’histoire de la production de l’espace.

[1]Poblador(es): Inhabitants of a población [city]. In Latin America and especially in Chile, this term has a social, and often political, connotation that the work “inhabitant” doesn’t. Pobladores refers to communities living in working-class neighbourhoods fighting for a space, to have their own neighbourhood, their own street, and their right to the city. The identity of the poblador is closely tied to the history of the production of space.

[2] Pinochet gouverna le Chili pendant 17 dix-sept ans, du coup d'État du 11 septembre 1973 jusqu’au 11 mars 1990.

[2] Pinochet governed Chile for 17 years, from the coup d’État of September 11, 1973 until March 11, 1990.

[3] De 1990-2010, quatre gouvernements ont été démocratiquement élus, issus de partis de centre gauche regroupés en un bloc appelé « Concertación de partidos por la democracia », Concertation des partis pour la démocratie.

[3] From 1990-2010, four governments were democratically elected, from centre-left parties in a block called “Concertación de partidos por la democracia”, [joint action of parties for democracy].

[4] Selon ce que nous avons pu observer, il y a eu beaucoup plus de démonstrations de solidarité directe et surtout d’aide mutuelle que de pillages, ou autres conduites antisociales minoritaires mais pourtant mises en avant par les médias.

[4] Based on what we were able to observe, there were many more demonstrations of direct solidarity and especially mutual assistance than looting or other antisocial behaviour which although lesser, was nonetheless played up by the media.

[5]Poblaciones: terme utilisé au Chili pour désigner un quartier produit par des occupations de terrains, principalement celles des années 1950 et 1960, ou des terrains urbanisés de façon précaire. La majorité des processus d’urbanisation des poblaciones s’est faite grâce à ses habitants, les pobladores, et aux interventions des politiques publiques (Pulgar, 2011).

[5]Poblaciones: Term used in Chile to designate neighbourhoods created by the occupation of land, mainly in the 1950s and 60s, or land that has been precariously developed. Most poblaciones development is done by its inhabitants, the pobladores, and by public policy intervention (Pulgar, 2011).

[6]Tomas de terreno” : occupation illégale de terres pour auto-construire des maisons ou pour exercer une pression politique pour obtenir des logements.

[6]Tomas de terreno”: illegal occupation of land to build houses for oneself or to exert political pressure to obtain housing.

[7]Bidonville organisé, issu d’une occupation illégale de terrain (toma de terreno) par un groupe de sans logis organisés dans un comité de “sin casa” (comité de sans-logis).

[7]Organized shantytown arising from the illegal occupation of land (toma de terreno) by a homeless group organized into a “sin casa” (homeless) committee.

[8]Ministerio de Vivienda y Urbanismo, Ministère du logementet de l’urbanisme.

[8]Ministerio de Vivienda y Urbanismo. Ministry of Housing and Urban Planning.

[9] En espagnol: ¡No más lucro!

[9] In Spanish: ¡No más lucro!

[10]Allegados : Le terme désigne les personnes qui, par manque de logement, se voient obligées de vivre chez leurs familles ou louer une pièce dans une maison

[10]Allegados: This term designates individuals who, due to lack of housing, are forced to live with family members or rented rooms in a house.

[11] La FENAPO a collecté de l'aide avec ses propres ressources et quatre jours après le tremblement de terre, des dirigeants de Santiago sont partis vers différentes localités touchées. Une relation a commencé à se tisser avec beaucoup d'organisations locales et elle s'est maintenue dans le temps. Nombreuses sont celles qui ont rejoint la FENAPO.

[11] The FENAPO collected assistance with its own resources and four days after the earthquake, the leaders in Santiago left for different areas that had been affected. A relationship began to be formed with many local organizations and has been maintained over time. Many have joined the FENAPO.

[12] « 700 pobladores de la FENAPO se sont mobilisés à Santiago ». Journal El Ciudadano. Sur internet :

[12]700 pobladores belonging to FENAPO mobilized in Santiago”. Newspaper El Ciudadano. On the internat at

http://www.elciudadano.cl/2010/06/04/22980/700-pobladores-de-la-federacion-nacional-de-pobladores-se-movilizaron-en-santiago/, Consulté le 24/08/12

http://www.elciudadano.cl/2010/06/04/22980/700-pobladores-de-la-federacion-nacional-de-pobladores-se-movilizaron-en-santiago/, Consulted on Aug. 24, 2012

[13] Travail qui a été soutenu par l’Université du Chili avec le « Cabinet de Consultation FAU, architecture, habitat, communauté et participation. Sur internet : Consultorio.uchilefau.cl

[13] This work was supported by the University of Chile with the FAU consulting firm, architecture, dwellings, community and participation. Online: Consultorio.uchilefau.cl

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