Urbanisme entrepreneurial « durable » au Maroc : Quel(s) changement(s) pour les villes minières ?

“Sustainable” Entrepreneurial Urbanism in Morocco: What Change(s) for Mining Cities?

Le Maroc engagé pour la durabilité : un pays « modèle » pour le développement durable ?

A Commitment to Sustainability: Morocco as a “Model” Country for Sustainable Development?

 

 

Il est impressionnant d’observer la place de plus en plus prépondérante, pour ne pas dire démesurée, qu’occupent désormais les notions de durabilité et de développement durable sur la scène politique et médiatique ainsi que dans le processus d’élaboration des différentes politiques publiques au Maroc (Philifert, 2015). Certes, l’intérêt pour ces notions remonte au début des années 1990, lorsque le Maroc a affiché son engagement pour les objectifs de développement durable au Sommet de Rio. Or, avec l’arrivée du nouveau monarque au début des années 2000, cet intérêt a pris un tournant considérable dans le cadre d’une politique néolibérale tournée vers l’international (Catusse, 2011). Stratégie nationale de développement durable, Initiative nationale de développement humain, Charte nationale pour la protection de l’environnement et le développement durable, Plan Maroc Vert, etc., autant d’initiatives mises en place depuis lors afin de véhiculer une nouvelle image du royaume en tant que pays « modèle » en matière de développement durable (Barthel et Zaki, 2011). Cette ambition s’est illustrée très récemment par l’organisation de la Conférence mondiale sur les changements climatiques (Cop 22) à Marrakech, au cours de laquelle le Maroc s’est engagé à établir un ensemble de mesures juridiques et constitutionnelles pour l’environnement[1]. Au-delà des multiples mesures adoptées, le pays a également mis en œuvre plusieurs projets de grande envergure dits durables à vocation industrielle, touristique, énergétique et urbaine qui s’inscrivent dans la circulation internationale croissante des modèles d’urbanisme durables (Ward et McCann, 2011).

It is impressive to observe the increasingly predominant, if not disproportionate, place now occupied by notions of sustainability and sustainable development in the political and media scene and the elaboration of various public policies in Morocco (Philifert, 2015). Admittedly, interest in these notions dates back to the early 1990s, when Morocco displayed its commitment to sustainable development objectives at the Rio summit. Yet, with the arrival of the new monarch in the early 2000s, this interest took an important turn as part of an internationally oriented neo-liberal policy (Catusse, 2011). A range of initiatives, including the National Strategy for Sustainable Development, the National Initiative for Human Development, the National Charter for the Environment and Sustainable Development, the Green Morocco Plan, etc., have since been undertaken to convey a new image of the kingdom as a “model” country in the area of sustainable development (Barthel and Zaki, 2011). This ambition was very recently illustrated by the recent hosting of the World Conference on Climate Change (COP 22) in Marrakech, in which Morocco committed itself to instituting a set of legal and constitutional measures for the environment.[1] Beyond adopting such measures, the country has also initiated a series of large so-called “sustainable” industrial, tourist, energy and urban projects that participate in the growing international circulation of sustainable urban planning models (Ward and McCann, 2011).

Dans le contexte de cette volonté royale fortement affichée de promotion du développement durable, une société d’exploitation des phosphates, le groupe OCP (anciennement Office chérifien des phosphates), a lancé une série d’initiatives dites « citoyennes » comprenant la construction de villes nouvelles vertes, la réhabilitation de sites miniers abandonnés, la création de structures « internationalisées » de recherche et de formation pour le développement durable, etc. Premier employeur au Maroc et premier exportateur mondial de phosphates, cette ancienne entreprise nationale désormais privatisée œuvre depuis 2006 à contrer l’image qui lui est souvent associée dans ses territoires d’extraction en raison des nuisances environnementales qui y sont observées (Adidi, 2006). Les initiatives « citoyennes » qu’elle a mises en place dans le cadre de sa nouvelle démarche de responsabilité sociale et environnementale ont ainsi pour but de minimiser les impacts sociaux et environnementaux de ses unités d’extraction et de transformation minière et, plus généralement, de lui permettre de se positionner comme entreprise citoyenne engagée pour la durabilité (Boyer et Scotto, 2013 ; Felli, 2015).

In the context of this strongly expressed royal desire to promote sustainable development, a Phosphate mining company, the OCP Group (formerly Office chérifien des phosphates), has launched a series of so-called “citizen” initiatives, which include the building of green new cities, the rehabilitation of abandoned mining sites, the creation of “globalised” research and training facilities for sustainable development, etc. As the leading employer in Morocco and the leading global exporter of phosphates, this now-privatised former national company has been working since 2006 to counter the negative image with which it is often associated in its mining territories due to the environmental nuisances it has generated (Adidi, 2006). The “citizen” initiatives it has set up as part of its new social and environmental responsibility policy are thus aimed at minimising the social and environmental impact of its mining and processing plants and, more generally, at enabling its positioning as a civic-minded company committed to sustainability (Boyer and Scotto, 2013; Felli, 2015).

S’inscrivant dans le sillage de travaux scientifiques sur les enjeux sociaux et politiques de l’urbanisme entrepreneurial[2] et sur son insertion au niveau local (Ward et McCann, 2011), la présente contribution étudie les approches « entrepreneuriales » adoptées au sein des Suds pour traiter des problèmes sociaux, économiques et environnementaux qui y perdurent encore aujourd’hui (Philifert, 2015 ; Barthel et al., 2013 ; Bogaert, 2015 ; Boiral, 2008). Elle analyse, dans le cadre de l’approche « Greening the Neoliberal City » (verdir la ville néolibérale) (Béal, 2017), l’articulation/désarticulation entre l’urbanisme entrepreneurial, qui prône une vision managériale et performative du développement (Harvey, 1996, Mayer et Kunkel, 2012 ; Peck et al., 2013), et l’urbanisme « durable », qui privilégie ses dimensions environnementales et écologiques (Cambell, 1996 ; Pinson et al., 2011 ; Jonas et While, 2007). Enfin, elle retrace comment cette articulation/désarticulation s’inscrit dans le local pris dans ses dimensions à la fois sociales, politiques et culturelles (Raco, 2005), tout en participant à la circulation internationale croissante des modèles d'urbanisme durable (Barthel, 2015 ; Ward et McCann, 2011).

Building on a body of scientific work that examines the social and political challenges of entrepreneurial urbanism[2] and its integration at the local level (Ward and McCann, 2011), this contribution explores the “entrepreneurial” approaches adopted in the global South to deal with persisting social, economic and environmental problems (Philifert, 2015; Barthel et al., 2013; Bogaert, 2015; Boiral, 2008). It analyses, through the lens of “the Greening the Neoliberal City” framework (Béal, 2017), the articulation/disarticulation between entrepreneurial urbanism, which promotes a managerial and performative vision of development (Harvey, 1996, Mayer and Kunkel, 2012; Peck et al., 2013), and “sustainable” urbanism, which privileges its environmental and ecological dimensions (Cambell, 1996; Pinson et al., 2011; Jonas and While, 2007). Lastly, it traces how this articulation/disarticulation unfolds in “the local,” considered here in its social, political and cultural dimensions (Raco, 2005), while participating in the growing international circulation of sustainable urban planning models (Barthel, 2015; Ward and McCann, 2011).

Par ailleurs, la contribution s’appuie sur une série d’investigations portant sur le processus d’insertion sociale et spatiale des projets « durables » de l’OCP. Ces investigations, menées dans le cadre d’un projet de recherche sur les villes minières au Maroc (Khouribga, Youssoufia et Benguérir), combinent des recherches documentaires, des séances d’observation et des entretiens[3] réalisés auprès des différents acteurs institutionnels et ordinaires concernés par ces initiatives. Elles servent de point de départ pour l’analyse des ressorts de l’adoption par le groupe minier d’une nouvelle démarche de responsabilité sociale et environnementale et de la place qu’occupe réellement « le local » dans ces nouveaux projets d’éco-urbanisme (Harvey, 1989 ; Fol et al., 2013). Comment expliquer que l’entreprise minière mobilise la durabilité comme valeur centrale de son action et multiplie les projets d’éco-urbanisme dans des territoires voués à l’extraction minière ? Comment la mobilisation « d’en haut » de la durabilité est-elle perçue et appropriée localement ? Les projets « durables » de l’OCP induisent-ils un réel changement dans ces espaces marqués par des formes de précarité sociale et économique et par une situation environnementale souvent déplorable ? (Adidi, 2006). Ne constituent-ils pas plutôt, face à la pression des associations environnementales et des populations locales, de nouveaux instruments pour « durabiliser » (entendu dans le sens de faire durer et prolonger) l’exploitation minière et légitimer l’action de l’entreprise (Deshaies, 2011 ; Godard, 2003) ?

In addition, the contribution draws on a series of field investigations on the social and spatial integration of the OCP Group’s “sustainable” projects. These investigations, which were conducted as part of a research study on mining cities in Morocco (Khouribga, El Youssoufia and Benguerir), combined documentary research, observation sessions and interviews[3] with various institutional and ordinary actors concerned by these initiatives. They provided the basis for the present analysis of the motivations behind the OCP Group’s adoption of a social and environmental responsibility policy and of the place that “the local” truly occupies in these novel ecological urbanism projects (Harvey, 1989; Fol et al., 2013). How can one explain that the mining company mobilises sustainability as a central value of its action and multiplies ecological urbanism projects in territories dedicated to mining? How is this “top-down” mobilisation of sustainability perceived and appropriated locally? Do the company’s “sustainable” projects induce real change in these spaces marked by social and economic precariousness and by often deplorable environmental conditions (Adidi, 2006)? Might it be that, in the face of pressures from environmental associations and local populations, the OCP Group is in fact using these projects as new instruments to “sustainabilise” mining (i.e. to ensure that mining is sustained and extended over time) and to legitimise its own action (Deshaies, 2011; Godard, 2003)?

Sur la base de ces investigations, la contribution met en exergue les décalages qui existent entre les perceptions « internationalisées » et locales de la durabilité de l’OCP, ainsi qu’entre les actions menées par l’entreprise minière et les attentes et besoins réels exprimés par les populations locales. En outre, elle retrace l’inscription de ces projets labélisés « durables » dans le cadre de l’urbanisme entrepreneurial (Ward et McCann, 2011), qui ne fait que prolonger et perdurer l’approche paternaliste et exogène ayant marqué l’urbanisme minier dans les villes minières. Enfin et surtout, elle montre que l’OCP a mis en œuvre ces projets principalement dans le but d’assurer la pérennité et la légitimité de son action dans les territoires miniers (Godard, 2003).

Based on these investigations, the contribution highlights the discrepancies between “globalised” and local perceptions of the OCP Group’s sustainability, as well as between the actions undertaken by the mining company and the expectations and real needs expressed by local populations. It also traces how these “sustainable” labelled projects fit into the framework of entrepreneurial urbanism (Ward and McCann, 2011), which merely prolongs and perpetuates the paternalistic and exogenous approach that has long characterised town planning in mining cities. Most importantly, it shows that the OCP Group is implementing such projects mainly to ensure the longevity and legitimacy of its action in mining territories (Godard, 2003).

 

 

L’entreprise minière en mutation ? : D’une structure fermée à son environnement à une entreprise « citoyenne » engagée pour la durabilité

A Changing Mining Company? From an Organisation Closed to Its Environment to a “Civic-Minded” Company Committed to Sustainability

Créé en 1920 en tant qu’établissement public chargé de l’extraction des phosphates dans différents sites miniers du territoire national, l’Office chérifien des phosphates a vu progressivement ses missions se diversifier et s’élargir au fil du temps pour inclure de nouvelles activités liées à la valorisation des phosphates, mais aussi et principalement des activités sociales, environnementales et éducatives visant à véhiculer une nouvelle image de ses opérations. Cette diversification s’est inscrite dans le cadre d’une importante stratégie de restructuration lancée en 2006, qui comprenait la transformation de l’Office en société anonyme (OCP SA) et, surtout, la mise en place d’une démarche de responsabilité sociale et environnementale. À travers cette démarche, l’entreprise a tenté d’opérer un changement radical dans son rapport avec les territoires d’extraction minière. Responsable, engagée, citoyenne, équitable, autant d’expressions utilisées et médiatisées par l’OCP afin d’afficher son nouveau statut en tant qu’entreprise « engagée » pour la durabilité.

Created in 1920 as a public establishment in charge of phosphate extraction in different sites of the national territory, the Office chérifien des phosphates diversified and expanded its missions over time to include new activities linked to phosphate reuse and, most importantly, social, environmental and educational activities aimed at conveying a new image of its operations. This diversification was part of a major restructuring strategy initiated in 2006, which involved the transformation of the Office into a limited company (OCP SA) and, above all, the implementation of a social and environmental responsibility policy. In adopting this policy, the mining company sought to effect a radical change in its relationship to the mining territories. Responsible, engaged, civic-minded and fair – such were the expressions used and disseminated by the OCP Group to display its new status as a company “committed” to sustainability.

Pour mieux concrétiser sa nouvelle démarche de responsabilité sociale et environnementale, l’OCP a mis en place un ensemble de mesures et de dispositifs d’ordre institutionnel, social et managérial. Sur le plan institutionnel, il a introduit, au sein de son organigramme et de ses différentes filiales d’exploitation minière, de nouvelles structures de développement durable chargées de réaliser et de mener différentes activités sociales, environnementales et éducatives. Ces structures ont été complétées par la création en 2007 d’une importante fondation de développement durable, la Fondation OCP, dont le rôle est de promouvoir et consolider le nouveau statut du groupe en tant qu’entreprise citoyenne.

The OCP Group also instituted a set of institutional, social and managerial measures and schemes in order to give concrete expression to its newly adopted social and environmental responsibility policy. At the institutional level, it introduced in its organisational chart and its different mining subsidiaries new sustainable development structures responsible for organising and leading a range of social, environmental and educational activities. These structures were complemented with the creation in 2007 of a major sustainable development foundation, the OCP Foundation, whose role is to promote and consolidate the OCP Group’s new status as a civic-minded company.

 

 

figure 1

Figure 1 : Valeurs prônées par la politique de développement durable de l’OCP (source : rapport d’activité de développement durable de l’OCP, 2014)

Figure 1: Values advocated by the OCP Group sustainable development policy (source: OCP Group sustainable development activity report, 2014)

 

 

Sur le plan opérationnel, l’OCP a considérablement transformé son mode d’intervention dans les territoires d’exploitation minière en y développant un ensemble de projets socio-économiques : centres socioculturels, terrains et complexes sportifs, centres d’accompagnement et de formation professionnelle pour les jeunes, etc. C’est dans cette même optique que s’inscrit l’initiative lancée en 2017 et baptisée « Act for community », ou « agir pour et avec la communauté », qui vise à inciter les employés de l’OCP à mener, dans le cadre du volontariat, des actions citoyennes pour les communautés vivant dans les territoires d’extraction minière.

At the operational level, the OCP Group has significantly transformed its mode of operation in mining territories by implementing a series of socio-economic projects in them: socio-cultural centres, sports fields and complexes, vocational training and support centres for youth, etc. In this perspective, it launched in 2017 an initiative called “Act for community” to help its employees get involved in charitable activities for the communities living in the mining territories.

Ces différentes actions « citoyennes » invitent à s’interroger sur les ressorts et les motifs du changement d’approche d’intervention opéré par l’OCP. Si cette restructuration a été officiellement présentée comme un choix stratégique et délibéré impulsé par l’arrivée en 2006 d’un nouveau patron souvent décrit comme son architecte principal, cela ne doit pas occulter les autres motivations qui relativisent cette lecture volontariste. La première motivation est d’ordre managérial, et fait de la démarche de responsabilité sociale et environnementale mise en place par le groupe un instrument et une opportunité lui permettant de se repositionner à l’échelle internationale pour attirer de nouveaux clients dans un marché de plus en plus concurrentiel (Bellini, 2003). La seconde raison revêt une dimension plutôt sociale et « sécuritaire » : elle est liée aux fortes mobilisations sociales menées par les populations défavorisées vivant dans les territoires d’intervention de l’OCP. Ces mobilisations, qui ont été fortement médiatisées en 2011 dans le contexte des mouvements dits du « printemps arabe » (Bogaert, 2015), ont contraint l’entreprise à rediriger une partie de ses actions en direction des milieux défavorisés à travers la mise en place d’un ensemble de mesures visant les jeunes et les populations démunies. Il convient, à présent, de s’interroger sur les modalités d’insertion socio-spatiale des actions et projets menés par l’OCP dans ses territoires d’extraction minière, ainsi que sur la capacité de ces actions et projets à améliorer la situation sociale et économique des populations locales (Deshaies, 2011).

These various “citizen” initiatives raise questions about the OCP Group’s reasons and motivations for transforming its mode of operation. While this restructuring was officially presented as a strategic and deliberate choice spurred on by the arrival in 2006 of a new manager commonly described as its main architect, this should not obscure the other motivations that cast doubt on this voluntarist account. First, there is the managerial motivation, whereby the OCP Group used the social and environmental responsibility policy as an instrument and opportunity for global repositioning to attract new customers in an increasingly competitive market (Bellini, 2003). The second motivation is more social and “securitarian”: It has to do with the strong social protests led by the impoverished inhabitants of the territories in which the OCP Group operates. These protests, which were widely publicised in 2011 in the context of the so-called “Arab Spring” (Bogaert, 2015), forced the mining company to redirect part of its actions towards disadvantaged areas through instituting a set of measures targeting youth and underprivileged populations. The next section will examine the modalities of social and spatial integration of the actions and projects carried out by the OCP Group in its mining territories. It will also assess whether these have been able to improve the social and economic situation of the local populations (Deshaies, 2011).

 

 

De grands projets d’aménagement labélisés durables : le nouveau positionnement de l’entreprise minière

Major Development Projects with a “Sustainable” Label: The New Positioning of the OCP Group

Au-delà de ces multiples actions « citoyennes », l’OCP a mis en œuvre sur ses propriétés foncières plusieurs projets d’éco-urbanisme d’envergure :  réhabilitation des anciens sites miniers en mines vertes, villes nouvelles vertes, technopoles durables, etc. Faisant l’objet d’une forte campagne médiatique, ces projets privilégient une approche très entrepreneuriale qui utilise les outils et les méthodes du secteur privé (Harvey 1989). Par leur nature, leur consistance et leur portée internationale, ils marquent un tournant majeur dans le mode d’intervention de l’OCP et de ses filiales dans les territoires d’extraction minière.

Beyond its many “citizen” initiatives, the OCP Group has developed several large-scale ecological urbanism projects (rehabilitation of former mining sites into green mines, green new cities, sustainable technopoles, etc.) on its properties. These projects, which have been the focus of much media attention, privilege a highly entrepreneurial approach that draws on the tools and methods of the private sector (Harvey 1989). By their nature, their consistency and their international scope, they mark a major turning point in the mode of operation of the OCP Group and of its subsidiaries in the mining territories.

 

 

Tableau n°1 : Présentation des principaux projets « écologiques » lancés par l’OCP (source : différents rapports et brochures de présentation des projets de l’OCP)

Table 1: Main “ecological » projects launched by the OCP Group (source: OCP reports and project presentation brochures).

 tableau 1 réuni

Carte n°1 : Localisation géographique des projets durables de l’OCP (source : élaboration personnelle)

Map 1: Geographical location of the OCP Group’s sustainable projects (source: personal data)

 

 

Étendus sur de grandes assiettes foncières et offrant des programmes denses et diversifiés, ces projets ont été conçus suivant les principes et standards reconnus en matière de durabilité et de protection de l’environnement, avec des cahiers des charges très détaillés pour l’amélioration de l’efficience environnementale. Contrairement aux autres promoteurs immobiliers au Maroc, qui ont adopté la certification environnementale française (HQE), l’OCP a privilégié une certification avant-gardiste nord-américaine (LEED) dans le cadre d’une stratégie de marketing et de positionnement par rapport à ses concurrents. À cela s’ajoute une nette préférence pour les bureaux d’études et les cabinets d’architectes de renommée mondiale[4], qui confèrent une image internationalisée aux mégaprojets du groupe phosphatier (Barthel et Zaki, 2011).

Spread over large land areas and offering a range of diversified and dense programs, these projects have been designed according to established principles and standards of sustainability and environmental protection, with very detailed specifications for improving environmental efficiency. Contrary to other real estate developers in Morocco who have adopted the French environmental certification (HQE), the OCP Group has chosen to privilege a ground-breaking U.S. certification (LEED) as part of a strategy of marketing positioning vis-à-vis competitors. To this is added a clear preference for world-renowned design offices and architectural firms,[4] which confer a globalised image to the company’s megaprojects (Barthel and Zaki, 2011).

Parmi ces différentes opérations « écologiques », le projet de la ville verte de Mohammed VI à Benguérir se distingue particulièrement par sa consistance et ses innovations technologiques. Les promoteurs de ce projet présenté comme l’opération pilote de l’éco-urbanisme au Maroc ont porté une grande attention aux normes de durabilité. Sa conception repose sur un cahier des charges détaillé qui reprend les exigences techniques et environnementales les plus répandues en matière d’éco-urbanisme. Le choix du nom « ville verte » n’est pas fortuit : il met en avant le défi que doivent relever les concepteurs du projet pour réaliser une véritable « oasis » dans un territoire marqué par un climat aride et des ressources hydriques peu abondantes.

Among these various “ecological” operations, the Mohammed VI Green City project in Benguerir stands out for its consistency and technological innovations. The promoters of this project presented as the pilot operation of ecological urbanism in Morocco have paid considerable attention to sustainability standards. Its design is based on detailed specifications that uses the most common technical and environmental standards of ecological urbanism. The choice of the name “Green City” is not accidental: It highlights the challenge that the project designers have to face as they seek to create a veritable “oasis” in a territory marked by a dry climate and scarce water resources.

L’un des principaux volets de ce projet, en cours de réalisation dans la périphérie de Benguérir, est la construction d’une grande université à fort rayonnement international devant servir de locomotive principale de la ville verte (la première tranche du projet est déjà achevée, y compris l’université en 2013). Offrant des formations pointues dans les domaines du développement agricole, de l’exploitation minière et du développement durable, cette université a été pensée comme une véritable structure d’innovation dédiée aux éco-industries et permettant une plus grande valorisation des produits phosphatiers de l’OCP. Sa création a été officiellement justifiée par l’ambition d’assurer la sécurité alimentaire dans le monde à travers la promotion des recherches liées au développement des engrais issus des phosphates.

One of the main components of this project being carried out on the outskirts of Benguerir is the building of a large, world-renowned university that is meant to serve as the primary driving force of the Green City (the first phase of the project has already been completed, including the university in 2013). This university, which offers advanced training in the fields of agricultural development, mining and sustainable development, was conceived as a genuine structure for innovation supporting ecological industries and facilitating greater valorisation of the OCP Group’s phosphate products. Its creation was officially justified by the ambition to ensure world food security through promoting research linked to the development of phosphate-based fertilisers.

Si ces ambitions témoignent d’une tentative de repositionnement à l’échelle internationale, elles montrent aussi que l’OCP promeut la recherche scientifique, incarnée ici par l’université, principalement comme moyen d’impulser ses projets et d’améliorer ses perspectives de développement.

While these ambitions reflect an attempt at global repositioning, they also show that the OCP Group promotes scientific research, as embodied by the university, mainly as a way to push its projects forward and to improve its growth prospects.

 

 

Les effets sociaux et territoriaux des projets « durable » de l’entreprise minière

The Social and Territorial Effects of the OCP Group’s “Sustainable” Projects

Certes, les projets d’éco-urbanisme lancés par le groupe minier représentent, par leur taille et l’originalité de leur programme, des vecteurs d’amélioration de l’image de ses territoires défavorisés auprès des promoteurs nationaux et internationaux.

Clearly, given the size and originality of their programs, the ecological urbanism projects initiated by the OCP Group serve as vectors for conveying a more positive image of its mining territories to national and international promoters.

Comme l’explique un élu local : « C’est grâce à ces projets de grande envergure que notre ville [Benguérir] est parvenue progressivement à changer son image de petit patelin rural. Elle est désormais un territoire attractif en pleine mutation dans la région de Rhamna » (A. M., élu local à Benguérir, 15 juin 2018).

As an elected municipal official explained: “Thanks to these large-scale projects, our city [Benguerir] has gradually managed to transform its image as a small rural town. It is now viewed as an attractive territory undergoing major changes in the Rhamna region” (A. M., elected municipal official in Benguerir, 15 June 2018).

Compte tenu de la taille importante des chantiers de construction que suppose leur réalisation, ces projets contribuent également à impulser une dynamique économique locale par la création d’opportunités d’emplois pour les jeunes locaux – bien que ces emplois soient essentiellement temporaires. Enfin, ces projets introduisent des innovations technologiques et environnementales qui rompent avec les anciennes pratiques nuisibles et néfastes de l’exploitation minière (cf. rapport Swissaid, « Engrais dangereux », 2015). Toutefois, en dépit des intentions et des actions en faveur des sites d’extraction minière, le local pris dans ses dimensions sociales, culturelles, économiques et même politiques reste faiblement pris en compte dans la conception et la mise en œuvre de ces projets. En effet, ces derniers restent plus connectés à l’international qu’au local. L’université internationale Mohammed VI de Benguérir, qui a été conçue comme une structure de formation à « l’américaine » totalement payante et fortement tournée vers l’international, en est un exemple éloquent. Cette université fonctionne en totale autarcie par rapport au milieu environnant, et la majorité de ses filières de formation et structures de recherche répondent plus aux domaines d’intervention de l’entreprise minière qu’aux besoins du marché local.

Because large construction sites are required for their development, these projects also contribute to boosting the local economy by creating job opportunities for local youth—though these jobs are mainly temporary. Finally, these projects introduce technological and environmental innovations that break with the harmful and detrimental mining extraction practices of the past (see Swissaid Report, “Dangerous fertilisers,” 2015). But despite the expressed intentions and actions in favour of mining territories, “the local,” as understood in its social, cultural, economic and even political dimensions, is hardly taken into account in the design and implementation of the projects. Indeed, the latter remain more connected to the global than to the local. A telling example of this is the Mohammed VI Polytechnic International University in Benguerir, which was conceived as an “American-style” full fee-paying educational facility with a strong international orientation. This university operates in complete isolation from the surrounding area, and the majority of its training courses and research structures are more in line with the OCP Group’s fields of intervention than the needs of the local market.

figure 2

Fig n°2 : Larchitecture « forteresse » de l’université de Benguérir (source : cabinet Ricardo Bofill, www.ricardobofill.com/ca/projects/universite-mohammed-vi-polytechnique)

Figure 2: The fortress architecture of the University of  Benguerir  (source: Ricardo Bofill firm, www.ricardobofill.com/ca/projects/universite-mohammed-vi-polytechnique)

 

 

Située dans la périphérie de Benguérir en plein centre de la ville verte, l’université a été conçue comme une configuration fermée et fortement surveillée[5] comprenant un ensemble d’équipements culturels, sportifs et scientifiques ainsi que divers services bancaires et de restauration qui la rendent complètement autonome vis-à-vis de son environnement. En réalité, l’université n’a pas été créée pour remédier au manque d’équipements universitaires à Benguérir, mais pour répondre aux besoins du groupe phosphatier en spécialistes formés dans ses nouveaux domaines d’intervention. C’est ce que confirme un responsable administratif de l’université dans un entretien accordé en 2012 au magazine périodique TelQuel :

Located on the outskirts of Benguerir in the heart of the Green City, the university was designed as a closed and highly surveilled configuration[5] containing a wide range of cultural, sports and scientific facilities along with several banking and catering services, all of which render it completely autonomous from its surroundings. In fact, the university was not created to respond to the lack of educational facilities in Ben Guerir, but to meet the needs of the OCP Group for specialists trained in its new fields of intervention. This was confirmed by the administrative manager of the university in an interview he gave in 2012 to the weekly magazine TelQuel:

 

 

« N’allez pas croire que nous bâtissons cette cité nouvelle par pure philanthropie. La recherche et le développement seront d’une grande utilité à l’Office qui trouvera sur le campus les ingénieurs de demain, spécialisés en chimie, mines, développement durable ou en énergies renouvelables… Tout ce que nous faisons ici est créateur de valeur pour l’entreprise et pour le pays » (Tel Quel, 22 décembre 2012).

“Don’t go thinking that we’re building this new city out of pure philanthropy. Research and development will be of great use to [the OCP Group], which will find on campus the engineers of tomorrow, specialists in chemistry, mining, sustainable development or renewable energies…. Everything we do here creates value for the company and for the country” (TelQuel, 22 December 2012).

 

 

Si l’université a réservé un nombre de places pour les étudiants boursiers issus des villes minières dans lesquelles intervient l’OCP, il n’en demeure pas moins que la majorité des étudiants qui y sont inscrits sont originaires d’autres villes du Maroc ou de pays étrangers, notamment africains. Cet état de fait est fortement critiqué par un membre militant d’une association locale à Benguérir. Celui-ci conteste la logique sélective et payante des formations proposées par l’Université, qu’il considère comme étant plus orientée vers l’international que vers le local.

While the university has reserved a number of places for scholarship students from the mining cities in which the OCP Group operates, the fact remains that the majority of enrolled students come from other Moroccan cities or from foreign countries, particularly African ones. This state of affairs was strongly criticised by an activist member of a local association in Benguerir. This activist contested the selective and fee-paying logic of the training courses offered by the university, which he claimed was more oriented towards the global than the local.

En effet, au vu de la forte connexion de l’Université avec l’international, de son offre de formations très pointues et de sa vocation privée, les populations locales tendent à relativiser l’ambition qu’affichent les responsables de l’OCP d’en faire un véritable levier de développement local. L’adoption des standards les plus récents en matière d’urbanisme durable renforce cette perception. Ces normes écologiques importées, imposées par le biais des certificats internationaux, font rarement référence aux techniques traditionnelles et locales d’utilisation et de recyclage des ressources naturelles.

Indeed, in view of the university’s strong international connections, highly specialised training course offer and private status, local populations tend to cast doubt on the OCP Group’s professed aim to turn it into a genuine lever of local development. The adoption of the most recent standards of sustainable urbanism reinforces this perception. These imported ecological standards, which are imposed via international certificates, rarely refer to traditional and local techniques for using and recycling natural resources.

En somme, les différents projets « durables » lancés par l’OCP fonctionnent souvent selon des configurations complètement fermées à leur environnement. Ainsi, un contraste considérable s’observe entre des projets « hyper-sophistiqués » dotés des commodités techniques et technologiques les plus avancées et des territoires environnants souvent défavorisés marqués par un paysage urbain banal et modeste.

In short, the different “sustainable” projects initiated by the OCP Group often operate in configurations that are completely closed to surrounding areas. Thus, a significant contrast can be observed between “hyper-sophisticated” projects that use the most advanced technical and technological conveniences and often disadvantaged neighbourhoods characterised by a banal and modest urban landscape.

L’exemple le plus saillant est celui de la ville de Benguérir, qui était jusqu’à une date récente une petite agglomération rurale, avant qu’elle ne connaisse, dans un laps de temps assez court, un tournant considérable grâce au lancement du projet de la ville verte. Ce tournant est dû en partie aux multiples actions de lobbying que l’ancien président municipal et parlementaire de la ville et actuel conseiller royal[6] a effectué à travers une association locale, la Fondation Rhamna pour le développement durable, qui s’est imposée depuis sa création en 2008 comme un acteur central dans la réalisation et le pilotage des actions de développement de la ville.

The most salient example of this is the city of Benguerir, which was a small rural town until recently, before it experienced, in a fairly short period of time, a considerable turn with the launch of the Green City project. This turn was partly due to the intense lobbying conducted by the former municipal and parliamentary president and current royal councillor[6] via a local association, the Rhamna Foundation for Sustainable Development, which has established itself since its creation in 2008 as a central player in the conduct and steering of the city’s development actions.

Malgré les actions d’embellissement et d’amélioration du paysage urbain mises en œuvre depuis quelques années en partenariat avec la Fondation Rhamna, un contraste saisissant continue de s’observer entre la ville nouvelle « verte », avec sa prestigieuse université, et le reste de la ville. Ce contraste rappelle et perpétue, sous une autre forme, la configuration ségrégative adoptée par l’entreprise phosphatière dans ses sites miniers, où les unités de transformation sont entourées de quartiers souvent informels et sous-équipés.

Despite the actions to beautify and improve the urban landscape initiated in recent years by the OCP Group in partnership with the Rhamna Foundation, there remains a striking contrast between the “Green” New City, with its prestigious university, and the rest of the city. This contrast recalls and perpetuates, in another form, the segregated configuration adopted by the OCP Group in its mining territories, where processing plants are surrounded by often informal and poorly equipped neighbourhoods.

« Pourquoi créer une toute nouvelle ville en périphérie de la ville existante alors que dans celle-ci il y a de grandes possibilités d’urbanisation ? L’université pourrait être bien insérée au centre de la ville pour y jouer un rôle de véritable vecteur de développement local et d’animation urbaine. En fait, nous nous retrouvons aujourd’hui face à deux villes totalement distinctes et gérées par des acteurs hétérogènes qui entretiennent malheureusement peu de liens », explique un jeune associatif militant à propos du projet. Cette gestion distincte et bicéphale de la ville rappelle très bien le mode d’organisation caractéristique des villes minières. Ainsi, à El Youssoufia, la cité minière est gérée par l’OCP et le reste de la ville demeure à la charge de la collectivité territoriale.

“Why create a whole new city on the outskirts of the existing city when there is great potential for urbanisation in the existing city? The university could be well integrated in the city centre to serve as a real vector of local development and urban animation. In fact, we are now faced with two totally distinct cities managed by heterogeneous actors who unfortunately interact little with each other”, explained a young association activist with regard to the project. This distinct, two-headed management of the city is very reminiscent of the mode of organisation that generally characterises mining cities. In El Youssoufia, for instance, the mining territory is managed by the OCP Group while the rest of the city falls under the responsibility of local authorities.

Dotés de ressources techniques et financières très restreintes, les acteurs locaux (notamment la commune urbaine) considèrent souvent que leur rôle se limite à la facilitation de la mise en œuvre des projets de l’OCP. Ces derniers constituent en effet selon eux des opérations « royales » qui dépassent leurs champs d’intervention, justifiant qu’ils ne s’y impliquent que de façon marginale.

Because they are endowed with very limited technical and financial resources, local actors (especially the urban municipality) often see their role as limited to facilitating the implementation of the OCP Group’s projects. Indeed, they view the latter as “royal” operations that go beyond their areas of intervention, which they believe justifies their marginal involvement in them.

Un élu du conseil communal de Benguérir se justifie en ces termes : « C’est un projet royal [la ville verte] impulsé par le Makhzen, c’est tout à fait normal que l’implication de la commune soit limitée ».

An elected member of the Benguerir municipal council justified himself in these terms: “[The Green City] is a royal project driven by the Makhzen. It is quite normal that the municipality is only marginally involved in it.”

Bien que le projet de la ville verte ait été initié par l’entreprise minière, il est souvent considéré localement comme un projet du gouvernement central (le Makhzen) pour lequel toutes les ressources financières et techniques locales doivent être mobilisées. Cette perception imprécise du statut de la ville verte s’explique par la forte implication du conseiller royal, qui combine la double casquette de représentant du Makhzen (en tant que conseiller et ancien ministre de l’Intérieur) et d’élu communal et parlementaire. La population locale désigne d’ailleurs souvent la ville verte par son nom afin de signifier le rôle crucial qu’il a joué dans la mise en place et l’aboutissement du projet.

Although the Green City project was initiated by the OCP Group, it is often viewed locally as a project of the central government (Makhzen) which requires the mobilisation of all local financial and technical resources. This imprecise perception of the Green City’s status is explained by the strong involvement of the royal councillor, who plays a double role as a representative of the Makhzen (as councillor and former Minister of the Interior) and as an elected municipal and parliamentary official. The locals often refer to the Green City by his name to signify the crucial role he has played in the development and completion of the project.

La Fondation Rhamna, qui est présidée par le conseiller royal et qui réunit dans son conseil d’administration des personnalités majeures des milieux politiques, académiques et culturels, s’est vue attribuer un rôle prépondérant dans la gouvernance du projet de la ville verte. Elle s’est ainsi fixée comme objectif de promouvoir le développement de la ville à travers diverses initiatives et actions. Sa forte connexion avec le Makhzen due au statut particulier de son président et de ses membres, ainsi que la souplesse dont elle jouit pour la gestion financière des fonds mobilisés, a largement facilité son action au niveau local et a permis l’accélération de la mise en œuvre du projet.

The Rhamna Foundation, which is chaired by the royal councillor and brings together major personalities from the political, academic and cultural spheres on its board of directors, was granted a major role in the governance of the Green City project. It has thus set itself the objective of promoting the development of the city through various initiatives and actions. Its strong connection with the Makhzen due to the special status of its president and members, as well as the flexibility it enjoys in managing mobilised funds, has greatly facilitated its action at the local level and enabled the acceleration of the project’s implementation.

Les associations locales, qui sont peu impliquées dans le processus de mise en œuvre du projet de la ville verte, contestent néanmoins la place prépondérante qu’occupe la Fondation, de même que le monopole qu’elle exerce sur la conduite des projets de développement urbain de la ville[7]. Elles critiquent également le caractère « extraterritorial » du projet et mettent en exergue sa faible contribution au développement de l’économie locale.

Local associations, which are little involved in the implementation of the Green City project, have nevertheless contested the predominance of the Rhamna Foundation as well as its monopoly on urban development projects in the city.[7]  They have also criticised the “extraterritorial” character of the project and highlighted its weak contribution to the development of the local economy.

Comme l’explique un membre actif d’une association de proximité : « Certes, la Fondation a permis de mobiliser des ressources importantes pour le développement de la ville, mais elle a aussi contribué à écarter et marginaliser les associations locales qui sont les plus proches des habitants de la ville. Je ne vois pas vraiment une réelle différence entre la démarche unilatérale de la fondation et le mode de gestion descendant des autorités locales qui a longtemps marqué le développement de la ville » (K. H., militant associatif à Benguérir, 22 juin 2017).

As an active member of a local association explained: “It is true that the Foundation has helped to mobilise significant resources for the development of the city, but it has also contributed to the exclusion and marginalisation of the local associations that are closest to the city’s inhabitants. I don’t really see any real difference between the Foundation’s unilateral approach and the local authorities’ top-down management style that has long characterised city development” (K. H., association activist in Benguerir, 22 June 2017).

Aziz, jeune habitant de Benguérir au chômage, présente les choses ainsi : « On a beau avoir entendu des discours rassurants et séduisants de la part des décideurs et des responsables de l’OCP sur les effets d’entraînement que va induire le projet de la ville verte sur le développement économique de la ville et la création des opportunités d’emploi, jusqu’à présent il existe peu d’entreprises créatrices d’emploi. Les quelques postes proposés ou créés visent principalement des profils très qualifiés, qui sont souvent recherchés en dehors de la ville » (Aziz, jeune habitant de Benguérir, 30 ans, 23 juin 2017).

Aziz, a young unemployed resident of Benguerir, put things as follows: “Even though we’ve heard reassuring and appealing talks by decision-makers and OCP Group officials concerning the positive effects that the Green City project will have on the city’s economic development and the creation of job opportunities, there are few companies creating jobs so far. The few job positions that have been offered or created are mostly open to highly qualified candidates, who are often sought outside the city” (Aziz, young resident of Benguerir, 30 years old, 23 June 2017).

Selon Aziz et d’autres jeunes interrogés à Benguérir, la ville n’a pas besoin de projets « hyper-sophistiqués » sous forme de complexes sportifs intégrant les standards internationaux ou de stations d’épuration des eaux usées de dernière génération. Elle a surtout besoin de véritables actions de développement qui créent de l’emploi et améliorent la situation sociale et économique des populations locales, notamment celle des jeunes. D’après Aziz, les projets « sophistiqués » de l’OCP ne sont « qu’un maquillage occultant une situation sociale alarmante » (Aziz, jeune habitant de Bénguérir, 23 juin 2017).

According to Aziz and other young people interviewed in Benguerir, the city does not need “hyper-sophisticated” projects in the form of sports complexes following international standards or state-of-the-art wastewater treatment plants. Above all, it needs genuine development actions that can create jobs and improve the social and economic situation of the local population, and especially that of youth. In the words of Aziz, the OCP Group’s “sophisticated” projects are “mere window dressing to conceal an alarming social situation” (Aziz, young resident of Benguerir, 23 June 2017).

À la différence de Benguérir, qui fait l’objet d’une attention politique toute particulière, la ville d’El Youssoufia (à 100 km de Marrakech) est perçue localement comme ayant été délaissée par l’OCP au détriment d’autres villes minières. Depuis quelques années, El Youssoufia est le théâtre de violentes manifestations sociales contestant la situation sociale, environnementale et économique déplorable qui perdure malgré le fait que la ville dispose d’importantes ressources phosphatières. Comparé au reste du pays, la ville enregistre des taux alarmants de chômage, de pauvreté et de précarité sociale (taux de pauvreté de 18,8 % dans la province d’El Youssoufia contre une moyenne nationale de 8,2 %), lesquels se traduisent par la prolifération de l’habitat non réglementaire. D’importantes actions sociales, économiques et environnementales y ont été réalisées par l’OCP et sa Fondation de développement durable (aménagement de jardins publics, création des réseaux d’infrastructures, création d’un centre de formation pour les jeunes, etc.), mais sans pour autant contribuer à atténuer les tensions sociales au niveau local. Selon les jeunes interrogés dans le cadre de cette enquête, ces actions « citoyennes » restent temporaires et ne s’inscrivent pas dans la durabilité, ce qui remet en cause l’objectif de développement durable affiché par l’entreprise.

Unlike Benguerir, which has been the focus of special political attention, the city of El Youssoufia (100 km from Marrakech) is perceived locally as having been abandoned by the OCP Group in favour of other mining cities. For several years, El Youssoufia has been the scene of violent social demonstrations protesting the deplorable social, environmental and economic situation which persists despite the fact that the city has important phosphate resources. Compared to the rest of the country, the city has alarming levels of unemployment, poverty and social precariousness (the poverty rate in El Youssoufia province is 18.8 % compared to a national average of 8.2 %), which are reflected in the proliferation of substandard housing. Major social, economic and environmental initiatives have been launched in the city by the OCP Group and its sustainable development foundation (landscaping of public gardens, building of infrastructure networks, creation of a vocational training centre for youth, etc.), but they have not contributed to alleviating social tensions at the local level. According to the young people interviewed in this study, these “citizen” actions are temporary and do not fall within the scope of sustainability, which calls into question the company’s stated goal of promoting sustainable development.

Pour ce qui est de l’emploi des jeunes de la ville, la décision prise par le groupe à la fin des années 1980 de privilégier des procédés mécaniques d’extraction des phosphates au détriment des procédés manuels a largement contribué à diminuer le recrutement de la main-d’œuvre locale. En outre, il y a eu une augmentation de la demande pour des profils techniques plus qualifiés ne provenant pas forcément des territoires d’extraction. Cela a suscité de fortes mobilisations des jeunes au niveau local. Au vu des faibles débouchés qui existent dans les territoires miniers, les jeunes, issus pour la plupart de familles de mineurs, considèrent que les emplois proposés par l’entreprise devraient leur être accordés en priorité. Pour la majorité d’entre eux, cela se justifie par le fait que les ressources minières toujours exploitées par l’entreprise sont des ressources « locales » dont les bénéfices devraient d’abord revenir aux populations locales.

As regards the issue of youth employment in the city, the OCP Group’s late 1980s decision to give preference to mechanical instead of manual methods of phosphate extraction has significantly reduced the recruitment of local labour. Moreover, there has been an increase in the demand for candidates with greater technical qualifications who do not necessarily originate from the mining territories. This has prompted strong protests on the part of local youth. In view of the limited employment opportunities available in mining territories, young people, the majority of whom come from mining families, generally consider that they should be given highest priority for the jobs opened by the OCP Group. Most justify this by the fact that the mining resources still being exploited by the company are “local” resources, the benefits of which should primarily accrue to the local population.

Selon Abderrahmane, jeune militant membre d’une association locale des diplômés chômeurs à El Youssoufia, « La décision de limiter l’embauche de la main-d’œuvre locale n’a pas été suivie parallèlement par la diversification des activités économiques au niveau local. Du coup les jeunes de la ville se sont retrouvés dans une situation de captivité face aux faibles débouchés au niveau de la ville. On voit mal l’avenir de la ville sans la mine » (Abderrahmane, jeune militant associatif à El Youssoufia, 32 ans, 15 mai 2017).

According to Abderrahmane, a young activist member of a local association of unemployed graduates in El Youssoufia, “The decision to limit the hiring of local labour was not followed by a parallel diversification of economic activities at the local level. As a result, local youth found themselves restrained by the lack of job opportunities in the city. It is difficult to envision a future for the city without the mine” (Abderrahmane, young association activist in El Youssoufia, 32 years old, 15 May 2017).

Abderrahmane observe que ce sentiment de captivité a « forcé » un nombre considérable de jeunes à émigrer de la ville vers d’autres territoires du pays ou alors, souvent clandestinement, vers l’étranger. Cela a entrainé selon lui une « fuite » des ressources humaines de la ville.

Abderrahmane noted that this feeling of being restrained “forced” a considerable number of young people to emigrate from the city to other parts of the country or, often clandestinely, to foreign countries. According to him, this led to a situation where the city was « drained” of its human resources.

Le problème du chômage chez les jeunes a incité le groupe minier à mettre en place, en 2011, les Centres OCP Skills, avec le double objectif d’améliorer l’employabilité des jeunes et de contribuer à la revitalisation socio-économique des territoires locaux. De même, l’OPC a délégué une partie de ses activités (principalement celles reliées à la logistique, l’entretien, le transport, etc.) à des sous-traitants afin de promouvoir l’emploi dans la ville. Or, si ces initiatives ont pu créer de nombreux emplois pour les jeunes, elles sont loin de satisfaire la demande croissante d’emploi, notamment de la part des jeunes non diplômés[8].

The problem of youth unemployment prompted the mining company to set up in 2011 the OCP Group Skills Centres, with the twin objectives of improving the employability of young people and contributing to the socio-economic revitalisation of local territories. In addition, the OCP Group delegated part of its activities (mainly those related to logistics, maintenance, transport, etc.) to subcontractors to facilitate employment opportunities in the city. Yet, while these initiatives have resulted in the creation of many jobs for young people, they are far from satisfying the growing demand for work, especially from young people with no degree.[8]

« Certes, on a créé un centre d’accompagnement et de formation professionnelle[9] pour les jeunes au niveau local et on a embauché un nombre d’entre eux. Mais c’était juste pour calmer les esprits suite aux manifestations sociales des jeunes. On est tout à fait conscient du fait que ces actions sont limitées dans le temps et ne répondent nullement aux problèmes structurels de la ville, qui requièrent d’impulser une réelle dynamique de développement afin de créer de la richesse pour les générations actuelles et futures. La preuve en est que la plupart des emplois proposés se trouvent sur des sites à l’extérieur de la ville. Ce qui n’est pas toujours favorable au développement de l’économie locale », fait savoir Ahmed, jeune diplômé de l’université et fils d’un ancien mineur à la retraite, qui participe régulièrement avec d’autres jeunes à des sit-in devant le siège local de l’OCP et celui de la province.

“It is true that a vocational training and support centre for youth[9] was set up at the local level and that a number of young people have been hired. But this was only to calm things down after the social protests of youth. We know full well that these initiatives are limited in time and that they do not in any way address the structural problems of the city, which require a real dynamic of development to create wealth for present and future generations. Proof of this is that most of the jobs offered are located in mining sites outside the city. This is not always conducive to the development of the local economy,” explains Ahmed, a young university graduate and son of a retired miner who regularly takes part in sit-ins in front of the local headquarters of the OCP Group or the provincial government with other young people.

mobilisation des jeunes en situation de chomage devant le siége local d'El Youssoufia

Fig n° 3 : Mobilisation et sit-in des jeunes de la ville d’El Youssoufia contre le processus de marginalisation (source : cliché personnel, 2017)

Figure 3: Sit-in and protest of young people against marginalisation in El Youssoufia (source: personal snapshot, 2017)

Enfin, les mesures environnementales fortement médiatisées qui ont été introduites par l’OCP sont loin d’atténuer ou de réduire les effets nuisibles induits par ses différentes unités d’extraction des phosphates (cf. rapport Swissaid, « Engrais dangereux… », 2019). Ainsi, à El Youssoufia, le pouvoir municipal local comme les habitants des quartiers proches des usines de lavage et de séchage des phosphates rencontrent des difficultés à assurer l’entretien des jardins et des espaces publics, qui sont recouverts quotidiennement d’une quantité importante de sable et de poussière en provenance de l’exploitation minière à ciel ouvert.

Finally, the much-publicised environmental measures introduced by the OCP Group are far from mitigating or reducing the harmful effects generated by its different phosphate processing plants (see Swissaid Report, “Dangerous fertilisers…,” 2019). Thus, in El Youssoufia, both the local municipal authorities and the residents of the neighbourhoods located near phosphate washing and drying plants encounter difficulties in maintaining gardens and public spaces, which are covered daily by large quantities of sand and dust that come from open-pit mining.

Comme l’explique un élu communal : « Effectivement, la ville souffre de pollution de l’air par la poussière, ce qui pose un problème considérable pour les services techniques de la commune chargés de l’entretien de la voirie et des espaces verts » (M. T., élu communal à El Youssoufia, 14 mai 2017).

As an elected municipal official explained: “The city is effectively plagued by air pollution by dust, which poses a great problem for the municipality’s technical services responsible for the upkeep of roads and green spaces” ( A. T., elected municipal official in El Youssoufia, 14 May 2017).

mobilisation des habitants des villages périphériques d'El Youssoufia contre l'épuisement des réserves hydriques

Fig n°4 : Mobilisation des habitants des villages environnants d’El Youssoufia contre l’épuisement des ressources hydriques de la région (source : https://www.youtube.com/watch?v=f321UaKEzeg)

Figure 4: Inhabitants of El Youssoufia’s surrounding villages protesting the depletion of water tables in the region (source: https://www.youtube.com/watch?v=f321UaKEzeg)

En outre, les eaux souterraines continuent d’être exploitées à outrance pour le lavage des produits miniers à Youssoufia, contribuant à l’épuisement progressif de cette ressource vitale pour les petits agriculteurs et pour les résidents des villages aux environs de la ville[10]. Cette situation a déclenché un processus de migration de certains ruraux vers d’autres régions agricoles. Enfin, selon des témoignages recueillis sur place, les rejets liquides et atmosphériques toxiques de l’exploitation minière n’ont aucunement cessé, avec des effets nocifs sur la santé des habitants locaux ainsi que sur la qualité de l’air et les ressources hydriques de la ville (White, 2015). Les cadres techniques de l’OCP interrogés à ce sujet ont démenti et réfuté la plupart des nuisances rapportées par les habitants et les associations locales. Il est difficile, dès lors, de confirmer ces témoignages, surtout en l’absence d’études scientifiques neutres et actualisées menées aussi bien par les administrations concernées que par les chercheurs spécialistes (Adidi, 2006).

In addition, groundwater is still being overexploited for mining washing in El Youssoufia, which contributes to the gradual depletion of a resource that is vital for small farmers and for the residents of villages on the outskirts of the city.[10] This situation has prompted some rural dwellers to emigrate to other agricultural regions. Finally, according to testimonies collected on site, toxic liquid and atmospheric discharges from mining extraction continue unabated, with harmful effects on the health of local residents as well as on the air quality and water resources of the city (White, 2015). The OCP Group technical staff interviewed on the subject denied and refuted most of the reports of nuisances coming from local residents and associations. It is therefore difficult to confirm these testimonies, especially in the absence of neutral and up-to-date studies by the administrations concerned and by specialist researchers (Adidi, 2006).

Bref, le mode d’intervention de l’OCP dans ses territoires d’extraction minière est paradoxal en ce sens qu’il combine des actions pilotes et inédites de protection de l’environnement et de promotion du développement durable avec des actions qui perpétuent la pollution de l’environnement et l’exploitation des ressources naturelles. Ce paradoxe nous invite à nous demander si ces actions « citoyennes » et environnementales ne s’inscrivent pas finalement dans une logique de marketing visant à légitimer l’exploitation minière (Deshaies, 2011).

In short, the OPC Group’s mode of operation in its mining territories is paradoxical in that it combines ground-breaking pilot actions for the protection of the environment and the promotion of sustainable development with activities that perpetuate the pollution of the environment and the exploitation of natural resources. This paradox invites us to ask whether these “citizen” and environmental actions might ultimately be part of a marketing logic aimed at legitimising mining exploitation (Deshaies, 2011).

 

 

Conclusion

Conclusion

 

 

Urbanisme entrepreneurial « durable » : Rupture ou prolongement des configurations ségrégatives des villes minières ?

“Sustainable” Entrepreneurial Urbanism: Rupture or Perpetuation of the Segregated Configuration of Mining Cities?

À l’issue de ce travail de recherche exploratoire, il ressort une contradiction considérable entre la promotion de l’urbanisme entrepreneurial durable par l’OCP et la situation sociale et économique déplorable qui persiste dans ses territoires miniers. Malgré la nouvelle approche « citoyenne » adoptée par le groupe, l’articulation entre les projets d’éco-urbanisme lancés et le local, appréhendé ici dans ses dimensions sociales, économiques et politiques, demeure faible. La présente contribution montre que ces projets, en privilégiant une approche environnementale et managériale, ne font que prolonger sous d’autres formes l’ancienne approche capitaliste et externalisée de l’OCP. En effet, les initiatives « citoyennes » de la société minière sont marquées par une logique « paternaliste » et « descendante » du développement durable, qui répond principalement aux normes des exigences et certifications internationales. Il s’agit plutôt d’un nouveau dispositif permettant au groupe de se repositionner à l’échelle internationale et de légitimer et prolonger son action au sein des territoires miniers. Par ailleurs, les logiques entrepreneuriales et managériales sur lesquelles se fondent ces projets d’éco-urbanisme se traduisent par des écarts considérables – et de faibles interrelations – entre les nouveaux territoires « internationalisés » créés ex nihilo par l’OCP et les territoires défavorisés qui les entourent.

This exploratory research has uncovered a significant contradiction between the OPC Group’s promotion of sustainable entrepreneurial urbanism and the deplorable social and economic situation that persists in its mining territories. Despite the company’s adoption of a “citizen” approach, the articulation between the implemented ecological urbanism projects and “the local,” understood here in its social, economic and political dimensions, remains weak. The present contribution shows that by privileging an entrepreneurial and managerial approach, these projects effectively perpetuate, in other forms, the OCP Group’s former capitalist and externalised approach. Indeed, the company’s “citizen” initiatives are marked by a “paternalistic” and “top-down” logic of sustainable development, which is primarily tailored to the standards of international requirements and certifications. If anything, sustainable entrepreneurial urbanism is a novel scheme that facilitates the OCP Group’s global repositioning while legitimising the expansion of its action in mining territories. Moreover, the entrepreneurial and managerial logics that underpin these ecological urbanism projects translate into important differences—and weak relations—between the new “globalised” territories that have been created ex-nihilo by the OCP Group and the disadvantaged territories that surround them.

Ainsi, il apparaît que ces nouveaux projets représentent non pas une rupture, mais un prolongement de l’ancienne configuration ségrégative et fragmentée qui a longtemps marqué les villes minières. Dans la mesure où elles sont surtout profitables à l’image de l’OCP et à ses perspectives de développement à l’échelle internationale, les nouvelles mesures mises en place dans le cadre de l’approche d’urbanisme entrepreneurial durable dissimulent et font perdurer en réalité les dynamiques de marginalisation sociale et territoriale. En témoigne la persistance d’une situation sociale et économique déplorable dans la plupart de ces territoires ainsi que l’implication encore marginale des acteurs locaux tant politiques, associatifs qu’ordinaires dans la mise en place de ces projets.

It appears, then, that these new projects constitute not a rupture, but a perpetuation of the segregated and fragmented configuration that has long characterised mining cities. Insofar as they mainly benefit the OCP Group’s image and prospects for global growth, the new measures being implemented as part of the sustainable entrepreneurial urbanism framework effectively conceal and perpetuate the dynamics of social and territorial marginalisation. The persistently awful social and economic situation of most mining cities and the still marginal involvement of local political, associative and ordinary actors in these projects are testament to this.

Au final, nous pouvons nous demander, à l’instar de Myriam Donsimoni et Olivier Chavanon, si « ces grands projets de développement, en déclinant les logiques inculquées par les organismes internationaux et par des modes de pensée en grande partie exogènes, [ne dessinent pas de nouvelles] frontières entre gouvernants et gouvernés plus qu’ils ne contribuent à les réduire » (Donsimoni et Chavanon, 2016, p. 22).

In the end, following Myriam Donsimoni and Olivier Chavanon, one may ask whether “by applying the logics of international organisations and largely exogenous ways of thinking, these major development projects [might not draw new] borders between those who govern and those who are governed as opposed to helping reduce them” (Donsimoni and Chavanon, 2016, p. 22).

 

 

[1]. La plus spectaculaire de ces mesures est l’interdiction de l’utilisation des sacs en plastique, connue sous le nom de « Zéro plastique » ou l’expression dialectale locale de « Zéro Mika ».

[1]. The most spectacular of these measures was the ban on the use of plastic bags, commonly referred to as “Zero Plastic” or, in local dialect, “Zero Mika.”

[2]. La notion d’urbanisme entrepreneurial renvoie au concept de ville entrepreneuriale développé par David Harvey. Ce concept réfère aux différentes logiques économiques et managériales mises en place dans les espaces urbains pour faciliter et attirer l’investissement privé et promouvoir les logiques de profit et de rentabilité économique (Harvey, 1989 ; Béal, 2017).

[2]. The notion of entrepreneurial urbanism is linked to the concept of the entrepreneurial city put forward by David Harvey. This concept refers to the different economic and managerial approaches implemented in urban spaces to facilitate and attract private investment and to promote the logic of economic profitability (Harvey, 1989; Béal, 2017).

[3]. Ces entretiens ont été réalisés à Benguérir et El Youssoufia avec deux responsables techniques de l’OCP, cinq représentants techniques et politiques des deux communes, et enfin une dizaine d’acteurs associatifs et de résidents des deux villes.

[3]. The interviews were carried out in Benguerir and El Youssoufia with two OCP Group technical managers, five municipal technical and political representatives and, finally, a dozen local residents and associative actors.

[4]. À titre d’exemple, le projet de la ville verte de Benguérir a été conçu par un cabinet d’architecture basé à Paris (Kardham Cardet Huet) en collaboration avec un cabinet marocain (Saad Benkirane). L’université polytechnique de la ville verte a été conçue par l’architecte de renom Ricardo Bofill.

[4]. Thus, the Green City project in Benguerir was designed by a Paris-based architectural firm (Kardham Cardet Huet) in collaboration with a Moroccan firm (Saad Benkirane). The Green City’s Polytechnic University was designed by the renowned architect Ricardo Bofill.

[5]. L’accès à l’université est strictement interdit au public. La demande de visite exploratoire que nous avons effectuée dans le cadre de notre enquête a été catégoriquement refusée.

[5]. Access to the university is strictly forbidden to the public. The request for an exploratory visit we made as part of our field investigation was categorically refused.

[6]. Issu d’une famille originaire de Benguérir, ce conseiller royal a été élu président communal de la ville entre 1992 et 1998. Il a été nommé secrétaire d’État au ministère de l’Intérieur en 1999, avant d’être promu ministre de l’Intérieur en 2002 et 2007. En 2007, il fonde le Parti de l’authenticité et de la modernité, qui deviendra une nouvelle force politique au Maroc, et remporte les élections législatives dans la province de Benguérir. Il est réélu président de la municipalité en 2009. En 2011, suite aux résultats très mitigés de son parti politique lors des élections législatives et aux fortes mobilisations sociales qui ont marqué le Maroc, il démissionne de son Parti et devient conseiller au sein du cabinet royal tout en restant président de l’association qu’il a créée en 2007 : la Fondation Rhamna pour le développement durable.

[6]. Born in a family from Benguerir, this royal councillor served as elected municipal president of the city between 1992 and 1998. He was appointed Secretary of State at the Ministry of the Interior in 1999, before being promoted to Minister of the Interior in 2002 and 2007. In 2007, he founded the Authenticity and Modernity Party, which became a new political force in Morocco, and won the legislative elections in the province of Benguerir. He was re-elected municipal president of Benguerir in 2009. In 2011, following the poor showing of his political party in the legislative elections and the strong social protests that rocked Morocco, he resigned from his party and became councillor in the royal cabinet while remaining president of the association he had created in 2007: the Rhamna Foundation for Sustainable Development.

[7]. À cet égard, une plainte a été adressée à la Cour régionale des comptes en 2013 par une confédération locale pour la lutte contre la corruption et l’autoritarisme (réunissant les antennes locales de la Confédération démocratique du travail, l’Union marocaine du travail, le Centre marocain des droits de l’Homme et l’Association marocaine des étudiants diplômés chômeurs), dans laquelle il était requis une mission d’inspection sur la comptabilité de la Fondation.

[7]. In this regard, a local confederation for the fight against corruption and authoritarianism (which brought together the local branches of the Democratic Labour Confederation, the Moroccan Labour Union, the Moroccan Centre for Human Rights and the Moroccan Association of Unemployed Graduates) filed a complaint to the Regional Court of Auditors in 2013, in which it requested a mission to audit the accounts of the Foundation.

[8]. La sous-traitance est contestée au motif qu’elle constitue un moyen pour l’entreprise de fuir ses obligations et contribue à la précarisation économique des jeunes en raison des conditions de travail moins avantageuses qu’elle propose.

[8]. Subcontracting has been contested on the grounds that it is a means for the OCP Group to escape its obligations and that it contributes to the economic precariousness of youth due to the poor working conditions it provides.

[9]. Le programme « OCP Skills » a été mis en place par l’OCP à la suite des mobilisations des jeunes des villes minières en 2011. En 2012, il a soutenu plus de 20 800 jeunes à travers trois volets d’intervention : recrutement immédiat (5 800 personnes), formation pour faciliter l’embauche de jeunes dans différents secteurs d’activité de l’économie marocaine (15 000 candidats), et entreprenariat (soutien aux jeunes porteurs de projets). À El Youssoufia, environ 30 projets ont bénéficié d’un soutien à la création d’entreprises en 2017.

[9]. The “OCP Skills” program was set up following the 2011 protests of youth from mining cities. In 2012, it assisted more than 20,800 young people via three intervention components: immediate recruitment (5,800 people), vocational training to enable the hiring of young people in different sectors of the Moroccan economy (15,000 candidates), entrepreneurship (support for young project leaders). In El Youssoufia, around 30 projects received support for business start-ups in 2017.

[10]. La ville d’El Youssoufia a été le théâtre de mobilisations sociales (appelées localement les mobilisations contre la soif) des habitants des territoires ruraux périphériques visant à dénoncer l’épuisement des nappes phréatiques.

[10]. The city of El Youssoufia has been the scene of social protests (locally referred to as protests against thirst) led by the inhabitants of outlying rural areas to denounce the depletion of water tables.

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