Concevoir une « justice spatiale » à l’aune d’une « justice socio-discursive »

Conceiving a “Spatial Justice” by the Yardstick of a “Socio-Discursive Justice”

Introduction

Introduction

 

 

Les discours ne doivent pas être considérés comme une instance abstraite dissociée des phénomènes sociaux urbains, ils sont au contraire agents et producteurs des rapports sociaux dont l’espace est un corolaire indissociable. C’est ainsi qu’on pourrait résumer succinctement l’approche de la sociolinguistique urbaine que Bulot définit comme une « sociolinguistique des discours parce qu’elle problématise les corrélations entre espace et langues autour de la matérialité discursive » (Bulot, 2005, p. 220). Derrière cette tentative de définition, il se cache plusieurs implications qui sont intéressantes à mettre en lumière dès lors que l’on cherche à appréhender des situations sociales sous le prisme d’une « justice spatiale », qui devient alors inséparable, comme on va le voir, d’une « justice socio-discursive ». Dans cette perspective, l’objet de mon propos sera donc d’essayer de montrer la valeur heuristique d’une approche sociolinguistique des rapports de domination et d’oppression se jouant dans les espaces urbains.

Discourses should not be seen as an abstract instance divorced from urban social phenomena. On the contrary, they are agents and producers of the social relations of which space is an inseparable corollary. This might be a succinct way of summing up the urban sociolinguistics approach that Bulot defines as a “sociolinguistics of discourses because it problematizes the correlations between space and languages around discursive materiality” (Bulot, 2005, p. 220). This attempt at a definition contains several implications that are worth highlighting if one wishes to understand social situations through the prism of a “spatial justice” which then becomes inseparable – as we will see – from a “socio-discursive justice”. From this perspective, therefore, the purpose of my contribution will be to try to show the heuristic value of a sociolinguistic approach to the relations of domination and oppression that play out in urban spaces.

 

 

Une sociolinguistique spatiale ?

A spatial sociolinguistics?

 

 

Mais qu’implique donc une approche sociolinguistique ? Elle implique tout d’abord de sortir de la doxa dominante sur le langage supportant et facilitant l’idéologie de la communication bien connue : « le langage est un instrument de communication » (Lecercle, 2004, p. 64). Sortir de cette doxa c’est considérer que parler ce n’est pas seulement échanger des informations, mais que le langage consiste avant tout en la production et la négociation perpétuelle de significations. Par le langage, on catégorise, on organise le monde qui nous entoure, on évalue, on donne des traits définitoires, on coopère mais on entre également en conflit, on peut lutter, prendre le pouvoir, on peut convaincre, agir et faire agir, on peut exprimer des ressentis ou encore (re)produire des représentations de la réalité, etc. Parler, c’est se représenter le monde dans lequel on vit, la manière dont on le conçoit, et, in fine, la manière dont on conçoit soi et les autres. Parler, c’est également avoir une place dans un espace discursif politique qui ne peut se comprendre sans lien avec l’espace social. On est donc loin ici d’une vision dichotomique saussurienne séparant « ce qui est social de ce qui est individuel » et « ce qui est essentiel de ce qui est accessoire et plus ou moins accidentel », c’est-à-dire une séparation entre la langue et la parole (Saussure [de], 1995, p. 30). Mais au-delà de cette réfutation radicale d’une langue qui pourrait être étudiée en soi et pour soi car extérieure au social (et donc à l’humain), il y a également l’idée non moins essentielle que le langage n’est pas outil neutre : « le langage n’est pas transparent au monde ; il présente sa propre opacité à travers laquelle se construisent une vision et un sens particulier du monde » (Charaudeau, 1997, p. 9). Ces premières considérations nous amènent donc à ce que je nommerai ici un modèle binaire résumant l’approche sociolinguistique, à savoir l’étude de la covariance entre langage et social.

So what are the implications of a sociolinguistic approach? First of all, it implies moving away from the dominant doxa regarding language that underpins and facilitates the well-known ideology of communication: “language is an instrument of communication” (Lecercle, 2004, p. 64). To reject this doxa is to take the view that to speak is not simply to exchange information, but that language consists primarily in the production and perpetual negotiation of meanings. By means of language we categorise, we organise the world around us, we evaluate, we assign definitional traits, we cooperate but also engage in conflict, we can fight, take power, we can convince, act and prompt action, we can express feelings or (re)produce representations of reality, etc. To speak is to visualise the world in which we live, how we conceive it, and ultimately how we conceive ourselves and others. To speak is also to have a place in a discursive political space that cannot be understood as distinct from social space. So we are a long way here from a dichotomous Saussurian conception that separates “what is social from what is individual” and “what is essential from what is accessory and more or less accidental”, i.e. from a separation between language and speech (Saussure [de], 1995, p. 30). However, beyond this radical refutation of language as a phenomenon that could be studied in itself and for itself because it is external to the social (and therefore to the human), there is also the no less essential idea that language is not a neutral tool: “language is not transparent to the world; it has its own opacity through which a view, a particular sense of the world is constructed” (Charaudeau, 1997, p. 9). These initial considerations thus bring us to what I will call here a binary model that encapsulates the sociolinguistic approach, in other words the study of the covariance between language and the social.

LANGAGE ⇔ SOCIAL

SOCIAL ⇔ LANGUAGE

Une remarque s’impose ici. La distinction langage/social doit être vue comme une nécessité de conceptualisation théorique et d’explicitation mais ne doit en aucun cas être comprise comme renvoyant à une réalité empirique effective. Le pari de sortir d’une vision dichotomique (langue/parole) ne serait que voué à l’échec s’il se concrétise par la mise en place d’une nouvelle dichotomie (langage/social). Le·la lecteur·rice voudra bien donc garder en tête l’artificialité et l’abstraction d’une telle séparation qui ne vaut que pour la démonstration théorique. C’est d’ailleurs bien dans ce sens que Bulot parle d’une « sociolinguistique des discours » où la notion de discours permet de faire référence à la conceptualisation de Guespin, citant Robin :

One point needs to be made here. The language/social distinction should be seen as a necessity of theoretical conceptualisation and explanation, but should in no way we understood as referring to an actual empirical reality. The gamble of abandoning one dichotomous view (language/speech) is doomed to failure if it leads to the establishment of a new dichotomy (language/social). The reader should therefore bear in mind the artificiality and abstraction of such a distinction, which is only relevant for purposes of theoretical demonstration. In fact, this is what Bulot means when he speaks of a “sociolinguistics of discourses”, where the notion of discourse refers to Guespin’s conceptualisation, citing Robin:

« les conditions de production (cadre institutionnel, appareil idéologique dans lequel il s'inscrit, représentations qui le sous-tendent, conjoncture politique, rapport de forces, effets stratégiques recherchés, etc.) ne sont pas un simple contexte, des “circonstances” qui exerceraient à leur façon de simples contraintes sur le discours, [...] ces conditions caractérisent le discours, le constituent, et, le constituant, sont repérables par l'analyse linguistique » (Robin R., 1973 citée par Guespin, 1976, p. 4‑5).

“the conditions of production (institutional framework, ideological apparatus of embeddedness, underlying representations, political conjuncture, power relations, strategic effects sought, etc.) are not a simple context, “circumstances” that in their own way exercise simple constraints on discourse, […] these conditions characterise discourse, constitute it and, in constituting it, can be identified by linguistic analysis”  (Robin R., 1973 quoted by Guespin, 1976, p. 4‑5).

Si les conditions de production sont indispensables à appréhender dans une sociolinguistique des discours, elles le sont dans une perspective dialectique radicale (explicitée ci-dessus par Guespin) et qui permet de dire qu’il n’est plus question ici précisément de deux objets distincts, qui pourraient être analysés séparément, avec d’un côté le social et de l’autre le langage. Autrement dit, dans cette acception, le concept de discours met à mal les approches dichotomiques qui appréhenderaient le monde social comme un ensemble de couples binaires langue/social, langue/représentations, langue/histoire etc. On part de l’idée que le discours agit certes sur le social, voire le produit (conception saussurienne d’une séparation), et que le social agit sur le langage (on peut penser à la pragmatique anglo-saxonne qui met en avant le fait que le langage ne peut faire sens que dans la mesure où son contexte de production, donc le social est connu), pour concevoir dans un principe de « récursion organisationnelle » un seul et même processus où « le produit est producteur de ce qui le produit » (Morin, 2005, p. 114)[1]. La perspective explicitée ici est essentielle puisqu’il ne s’agit donc pas (plus) de considérer les discours comme de simples révélateurs d’une réalité sociale extérieure au langage. Il ne s’agit pas non plus de considérer les discours uniquement comme des vecteurs de représentations sociales où le langage ne devient alors qu’un simple lieu transitoire permettant de réfléchir à des questionnements généraux sociétaux. La perspective sociolinguistique amène plutôt à considérer la dimension fondamentalement matérielle et organisatrice du langage. Elle insiste en effet sur la capacité « réfractive » du langage afin de rendre compte que le langage n’est pas simple représentation de la réalité et qu’il implique dans ce sens la « réalité en devenir » (Voloshinov et Bakhtin, 1977, p. 37). C’est notamment dans ce sens que la présente contribution se propose de situer son apport : si le langage fait bien l’objet d’une attention certaine dans de nombreux travaux récents de tout horizon disciplinaire, sa dimension « réfractive » est plus rarement problématisée et considérée dans toutes ses implications. L’approche défendue ici ne vise donc pas à se substituer à des écrits et théories mettant en avant le rôle du langage dans les processus d’exclusion que ce soit en géographie ou en sociologie, mais d’apporter un éclairage complémentaire pour une sociolinguistique qui s’ouvre aux questionnements spatiaux et une géographie qui problématise les aspects socio-discursifs.

While it is essential to grasp the conditions of production in a sociolinguistics of discourses, they are understood from a radical dialectical perspective (set out above by Guespin) which tells us precisely that we are not dealing here with two distinct objects, which could be analysed separately, the social on one side and language on the other. In other words, as so understood, the concept of discourse challenges dichotomous approaches that understand the social world as a set of binary pairings – language/social, language/representations, language/history, etc. We start from the idea that discourse undoubtedly acts upon the social, even produces it (Saussurian conception of a separation), and that the social acts upon language (as in Anglo-Saxon pragmatics, which emphasises the fact that language can only make meaning if the context of its production – i.e. the social – is known), in order to draw on a principle of “organisational recursion” to arrive at a single process in which “products are producers of what produces them” (Morin, 2005, p. 114).[1] The standpoint set out here is essential, since the aim is not (or no longer) to see discourses as simple revealers of a social reality outside language. Nor is the idea to see discourses solely as vehicles of social representations in which language is no more than a simple transitional object through which to think about general societal questions. Rather, the sociolinguistic perspective prompts us to consider the fundamentally material and organising dimension of language. Indeed, it emphasises the “refractive” capacity of language in order to show that language is not a simple representation of reality and that in this sense it implies “reality-in-becoming” (Voloshinov and Bakhtin, 1977, p. 37). It is here in particular that this article seeks to make a contribution: while language has become a focus of some attention in numerous recent works in all disciplinary fields, its “refractive” dimension is more rarely problematised and considered in all its implications. So the approach put forward here does not seek to substitute for writings and theories that emphasise the role of language in processes of exclusion, whether in geography or in sociology, but to offer an additional perspective for a sociolinguistics that is open to spatial questions and a geography that explores socio-discursive aspects.

Cette dialectique socio-langagière fait écho à la dialectique socio-spatiale formalisée par Soja : « In this notion of a socio-spatial dialectic, […] the spatiality of whatever subject you are looking at is viewed as shaping social relations and societal development juste as much as social processes configure and give meaning to the human geographies or spatialities in which we live » (Soja, 2010, p. 4). Le spatial est ainsi socialement produit mais la réciproque est également vraie. Cette acception de la géographie sociale implique donc de considérer que l’espace n’est pas en dehors du social, extérieur aux phénomènes sociaux, simple substrat aux occupations quotidiennes, mais au contraire objet de conflits contribuant à la construction des inégalités sociales. À la fois signifié et signifiant, on pourra aisément comprendre que l’espace ne peut être décrit de manière neutre et uniquement dans sa dimension physique sans référence à sa dimension prépondérante dans la construction sociale.

This socio-linguistic dialectic echoes the socio-spatial dialectic formalised by Soja: “In this notion of a socio-spatial dialectic, […] the spatiality of whatever subject you are looking at is viewed as shaping social relations and societal development just as much as social processes configure and give meaning to the human geographies or spatialities in which we live” (Soja, 2010, p. 4). The spatial is therefore socially produced, but the reciprocal is also true. This understanding of social geography thus entails the view that space is not outside the social, external to social phenomena, a simple substrate of day-to-day activities, but it is rather an object of conflicts that contribute to the construction of social inequalities. Both signified and signifier, it is easy to understand how space cannot be described neutrally and solely in its physical dimension, without reference to its pre-eminent role in social construction.

« L’espace auquel on est confronté quotidiennement, c’est à la fois un ensemble de représentations de l’espace telles qu’elles sont mises en mots par nos interlocuteurs et par nous-mêmes (les idées que l’on se fait du “centre-ville”, de “la banlieue”, de tel quartier, de telle rue, etc.), ce sont les positions socio-spatiales d’où l’on regarde le monde, et qui nous constituent comme sujets parlants, et ce sont nos pratiques de l’espace (fondamentalement intriquées avec nos représentations et pratiques langagières). Ce sont aussi nos déplacements réels et ce qu’on y rencontre de pertinent, de significatif, et qu’on perçoit ou non, d’après nos codes, depuis nos positions sociales » (Deshayes et Vétier, 2017, p. 53).

“The space that confronts us on a daily basis is both a set of representations of space as they are put into words by our interlocutors and by ourselves (the ideas we have of the “inner city”, of “the suburbs”, of a given neighbourhood, a given street, etc.), they are the socio-spatial standpoints from which we see the world, and which constitute us as speaking subjects, and they are our practices of space (fundamentally interwoven with our representations and uses of language). They are also our real movements and what we find relevant, significant, what we see or do not see, on the basis of our codes, from our social positions” (Deshayes and Vétier, 2017, p. 53).

On pourrait ainsi avancer un deuxième modèle binaire (radicalement dialectique ici aussi) autour de la covariance entre espace et social.

We could therefore advance a second binary model (once again radically dialectic) around the covariance between space and the social.

ESPACE ⇔ SOCIAL

SOCIAL ⇔ SPATIAL

Le parallèle est indéniable entre les deux approches où langage/espace sont considérés alternativement comme produits et producteurs des rapports sociaux. Mais ce parallèle n’est pas uniquement indéniable, il est aussi heuristique afin de complexifier l’approche des phénomènes socio-spatiaux. De deux modèles binaires, il est en effet possible de passer à un modèle ternaire (qui ne perd rien de sa dialectique), et ce passage se joue notamment autour de la matérialité du langage. Cela renvoie au fait que les discours possèdent leur propre matérialité qui, comme le dit Saint-Ouen, « organise la langue, et aussi la réalité » (Saint-Ouen, 1984, p. 448). Autrement dit, les discours ont une existence matérielle, ils ont des effets visibles et concrets, ils participent à la production des espaces, à la manière dont les lieux sont perçus mais aussi conçus et vécus, bref, le langage est bel et bien praxis sociale « en ce qu’il transforme le social, en ce qu’il le construit » (Canut, 2017, p. 323). En réalité, cette matérialité discursive ne dit rien de plus que l’idée d’un constructivisme social où le langage n’est plus simple outil informationnel mais où, au contraire, l’univers discursif est reconnu et conçu dans toute sa dimension matérielle. Dans ce sens, l’espace doit être compris comme espace énonciatif, c’est-à-dire un « produit des discours et des représentations qui finissent par constituer le réel social que l’on habite » (Bulot, 2008b, p. 1). On peut alors parler de construction socio-discursive de l’espace.

There is an undeniable parallel between the two approaches, in which language and space are alternately seen as products and producers of social relations. However, this parallel is not only undeniable – it is also heuristic in nurturing a more complex approach to socio-spatial phenomena. Indeed, it is possible to move from two binary models to one ternary model (which loses nothing of its dialectic), and this transition operates in particular around the materiality of language. This relates to the fact that discourses have their own materiality which, as Saint-Ouen says, “organizes language, and also reality” (Saint-Ouen, 1984, p. 448). In other words, discourses have a material existence, they have visible and concrete effects, they contribute to the production of spaces, to the way in which places are perceived but also conceived and experienced, in short, language is undoubtedly social praxis “in that it transforms the social, in that it constructs it” (Canut, 2017, p. 323). In reality, this discursive materiality expresses nothing more than the idea of a social constructivism in which language is no longer simply an informational tool but in which, on the contrary, the discursive universe is recognised and conceived in all its material dimension. In this sense, space should be understood as enunciative space, i.e. a “product of discourses and representations that come to constitute the social reality we inhabit” (Bulot, 2008b, p. 1). We can therefore speak of the socio-discursive construction of space.

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La sociolinguistique urbaine est donc avant tout une « sociolinguistique de la spatialité » (Bulot, 2009, p. 65) qui dépasse et de loin le simple cadre géographique de la ville à laquelle le langage courant rapporte le terme « urbain ». « Le couple densité + diversité (le maximum de “choses sociales” différentes dans le minimum d’étendue) constitue ainsi un bon résumé de l’urbanisation, c’est-à-dire de ce qui fait d’une ville un objet spécifique » (Lévy, 1999, p. 208). La masse urbaine n’est donc pas tout, loin de là, l’intensité des interactions sociales est elle aussi centrale. L’urbanité devient ainsi multiscalaire puisque chaque espace vécu possède ses propres centralités, alternatives donc et plus pertinentes à appréhender qu’une vision dualiste centre/périphérie à l’échelle uniquement communale. Cette notion d’urbanisation est d’ailleurs essentielle pour comprendre notamment pourquoi l’espace urbanisé est le lieu par excellence des analyses catégorielles et axiologiques (Mondada, 2002, p. 72-90). Certes, « aucun sujet, aucun objet, aucun phénomène n’échappe en effet à l’activité classante et désignante des êtres humains » (Matthey et Trimaille, 2013, p. 85). Mais les processus liés à l’urbanisation trouvent ici une place particulièrement prépondérante car ils favorisent les rencontres et les discours sur autrui. « L’un des effets inhérents à la mobilité spatiale est de mettre à distance les individus et les groupes, à recomposer le lien social autour notamment des représentations communes sur autrui et sur soi-même. » (Bulot, 2008b, p. 4). Il me reste arrivé à ce stade un dernier point à éclaircir : celui de la proposition de passer dans la dénomination d’une sociolinguistique urbaine (dénomination donnée par Thierry Bulot) à une sociolinguistique spatiale. Proposition d’autant plus important à expliciter qu’un·e chercheur·se se réclamant d’une approche sociolinguistique n’est pas sans savoir, au vu des développements précédents, « la part qui revient aux mots dans la construction des choses sociales » (Bourdieu, 2001, p. 155). La ville, dans la sociolinguistique urbaine, « est conçue comme terrain, et pas seulement comme lieu d’enquête » (Gasquet-Cyrus, 2002, p. 56). La sociolinguistique urbaine n’est donc pas une sociolinguistique en ville ou sur la ville, qui serait une sociolinguistique simplement transposée dans un lieu particulier, la ville, mais au contraire une sociolinguistique qui prend en compte dans son approche et ses interprétations la spécificité urbaine. Cette spécificité urbaine se joue autour de la dialectique ternaire explicitée ci-dessus et de la notion d’urbanisation. Pour Bulot, « l'on doit cependant pouvoir enrichir l'approche langagière du fait urbain en dépassant le sens ordinaire d’urbanisation qui désigne le seul accroissement des villes, et en affirmant le dynamisme de l’espace urbain eu égard à sa dimension corrélative : la mobilité spatiale mise en mots, évaluée socialement en discours, caractérisée en langue » (Bulot, 2001, p. 265).

Having reached this point, there remains one more factor to elucidate: it concerns the proposal of a terminological transition from an urban sociolinguistics (a term coined by Thierry Bulot) to a spatial sociolinguistics. It is particularly important to emphasise this proposal in that a researcher who claims to take a sociolinguistic approach must be aware, given the developments above, of “the part played by words in the construction of social reality” (Bourdieu, 2001, p. 155). The city, in urban sociolinguistics, “is conceived as a terrain, and not only as a research location” (Gasquet-Cyrus, 2002, p. 56). Urban sociolinguistics, therefore, is not a sociolinguistics in the city or on the city, which would simply be a sociolinguistics transposed to a particular place, the city, but rather a sociolinguistics that takes the specificity of the urban into account in its approach and in its interpretations. This urban specificity operates around the ternary dialectic proposed above and around the notion of urbanisation. For Bulot, “one must however be able to enrich the linguistic approach to the urban phenomenon by going beyond the ordinary meaning of urbanisation, which simply refers to the expansion of cities, and by affirming the dynamism of urban space with respect to its correlative dimension: spatial mobility put into words, socially evaluated in discourse, characterised in language” (Bulot, 2001, p. 265). Urban sociolinguistics is therefore above all a “sociolinguistics of spatiality” (Bulot, 2009, p. 65) that is much more than the mere geographical setting of the city conveyed in everyday speech by the term “urban”. “The pairing of density + diversity (the maximum number of different “social things” in the minimum space) is thus a good description of urbanisation, i.e. that which makes a city a specific object” (Lévy, 1999, p. 208). Urban mass is thus far from the only thing. Intensity of social interactions is also central. Urbanness thus occupies multiple scales, since every inhabited space has its own centralities, alternatives that are therefore more relevant to understanding than the binary concept of core and periphery at purely municipal scale. Moreover, this notion of urbanisation is essential to understanding in particular why urbanised space is the locus par excellence of categorical and axiological analyses (Mondada, 2002, p. 72-90). True, “no subject, no object, no phenomenon actually evades the classifying and naming activity of human beings” (Matthey and Trimaille, 2013, p. 85). But the processes associated with urbanisation play a particularly dominant role here because they foster encounters and discourses about others. “One of the effects inherent in spatial mobility is to produce distance between individuals and groups, to reshape social ties in particular around shared representations about others and about oneself” (Bulot, 2008b, p. 4).

L’urbanisation est, de fait, autre chose que le seul accroissement quantitatif de la densité de l’habitat et de la diffusion d’une culture urbaine. Elle résulte des conflits et tensions » (Bulot, 2001, p. 308). Cette évolution fait écho selon moi à celle observée dans les travaux de Lefebvre, passant d’un « droit à la ville » (Lefebvre, 1968) à « la production de l’espace » (Lefebvre, 1974), et marquant l’évolution d’un processus prenant d’abord place dans le lieu spécifique de la ville à celui d’un processus global d’un « droit à l’espace ». Pour se référer à l’approche que je développe dans cet article, je propose donc de parler de sociolinguistique spatiale (plutôt que de sociolinguistique urbaine) et cela essentiellement pour deux raisons : faire explicitement écho à cette spécificité d’un processus global de la spatialité qui doit également se comprendre dans sa perspective socio-langagière ; gagner en intelligibilité quant à cette approche et à ce qu’elle problématise (ce qui induit également et modestement de la rendre accessible et mobilisable pour un plus grand nombre de personnes travaillant sur des problématiques liées à l’espace et non uniquement à la ville).

“Urbanisation is de facto something other than the mere quantitative increase in habitat density and the spread of an urban culture. It is a product of conflicts and tensions” (Bulot, 2001, p. 308). In my view, this shift corresponds to the change observed in Lefebvre’s writings, with the transition from a “right to the city” (Lefebvre, 1968) to “the production of space” (Lefebvre, 1974), and marks the transition from a process that first takes place in the specific place of the city to a global “right to space”. To refer to the approach that I develop in this article, therefore, I propose to speak of spatial sociolinguistics (rather than urban sociolinguistics). The reasons for this are essentially twofold: first, to refer explicitly to this specificity of a global process of spatiality, which must also be understood from its sociolinguistic perspective; second, to facilitate understanding of this approach and the problem it tackles (which also modestly entails making it accessible and usable for more people working on problems associated with space and not only with the city).

 

 

Une perspective « surmoderne » et « postsocialiste » des conflits

A “supermodern” and “postsocialist” perspective on conflicts

 

 

Densité, diversité, mobilités spatiales, voilà les trois points qui pourraient caractériser l’urbanisation dans mon acception. Dans ce tryptique descriptif, la ville n’est plus le seul représentant de cette urbanisation à l’heure et à l’aune de deux régimes sociétaux mettant en avant une recomposition contemporaine des interactions sociales : le régime de la « surmodernité » conceptualisé par Augé (1992) et l’ère « postsocialiste » développée par Fraser (2005). On va le voir, ces deux régimes font directement écho à la problématique que se donne la sociolinguistique spatiale, à savoir problématiser l’espace et les conflits dans une perspective socio-discursive ne négligeant pas la capacité « refractive » du langage.

Density, diversity, spatial mobilities, those are the three points that could characterise urbanisation as I understand it. In this descriptive triptych, the city is no longer the only locus of urbanisation in an era of and in the light of two societal regimes that reveal a contemporary reshaping of social interactions: the regime of “supermodernity” conceptualised by Augé (1992) and the “postsocialist” era developed by Fraser (2005). As we will see, these two regimes directly echo the problem explored in spatial sociolinguistics, i.e. how to problematize space and conflicts from a socio-discursive perspective that does not ignore the “refractive” capacity of language.

La modalité essentielle de la surmodernité est la figure de l’excès. Dans ce sens le choix de l’anthropologue d’utiliser le préfixe « sur » en lieu et place du préfixe « post » lui permet de mettre l’accent sur cette modalité essentielle. Si le régime de la surmodernité s’appuie sur une perspective postmoderne qui consiste notamment « en l’effacement de la modernité considérée comme vecteur et facteur de progrès (l’idéologie construisant tout changement comme menant les sociétés humaines vers le positif) » (Bulot, 2007, p. 20), Augé propose de la dépasser pour mettre l’accent sur trois figures d’excès considérées comme principal moteur des phénomènes sociaux. L’excès de temps d’abord : caractérisé par la difficulté à penser le temps face à la surabondance évènementielle, autrement dit une forme « d’accélération de l’histoire » qui modifie la perception du temps et empêche l’appropriation du changement justement par manque de temps (Augé, 1992, p. 40-43). L’excès d’espace ensuite : marqué par la transmission quasiment ininterrompue d’images et de sons de l’espace proche ou lointain, c’est ici une surabondance spatiale du présent qui est mise en exergue, avec l’idée que cette omniprésence des images est corolaire de déplacements toujours plus rapides qui induisent un changement d’échelle (« le rétrécissement de la planète » comme le dit Augé, 1992, p. 44-48). Les rapports à l’espace s’en trouvent donc profondément modifiés ce qui ne manque pas d’être souligné par divers géographes (Hérin, 2002 ; Frémont, 1999 ; Buléon, 2002). L’excès d’égo enfin : caractérisé ici aussi par une accélération, celle de la production individuelle de sens (on retrouve ici explicitement la condition postmoderne). Il y a surabondance du sentiment identitaire qui induit avec l’effacement de la modernité la primauté de l’identité individuelle sur l’identité collective (primauté que je reformulerais dans la perspective de Fraser comme une primauté de statut plutôt que d’identité). L’individu « entend interpréter par et pour lui-même les informations qui lui sont délivrées » (Augé, 1992, p. 51).

The essential trait of supermodernity is the figure of excess. In this sense, the anthropologist’s decision to use the prefix “super” instead of the prefix “post” allows him to emphasise this essential characteristic. While the regime of supermodernity draws on a postmodern perspective that notably consists “in the erasure of modernity conceived as a vehicle and factor of progress (the ideology that constructs all change as leading human societies in a positive direction)” (Bulot, 2007, p. 20), Augé proposes to go further by emphasising three aspects of excess considered as the primary driver of social phenomena. First, excess of time: the difficulty of thinking about time because of the proliferation of events, in other words a form of “acceleration of history” that modifies the perception of time and prevents people internalising change because of the lack of time (Augé, 1992, p. 40-43). Then, excess of space: marked by the almost uninterrupted transmission of images and sounds from local or remote space, in this case the emphasis is on a spatial superabundance of the present, with the idea that this omnipresence of images is a corollary of ever faster travel, which produces a change of scale (“the shrinking of the planet” referred to in Augé, 1992, p. 44-48), and hence profoundly alters the relationship to space, as different geographers have noted (Hérin, 2002; Frémont, 1999; Buléon, 2002). Finally, excess of ego: once again characterised by an acceleration, this time in the personal production of meaning (here we explicitly find the postmodern condition). There is a superabundance of the sense of identity which, with the erasure of modernity, gives individual identity primacy over collective identity (a primacy that I would reformulate from Fraser’s perspective as a primacy of status rather than of identity). Individuals “expect to interpret the information they receive by and for themselves” (Augé, 1992, p. 51).

À l’aune de ces trois figures, on comprend l’importance de chercher à appréhender la problématisation des rapports à l’espace dans un ensemble plus vaste, une matrice contemporaine des tensions et des conflits où la dimension langagière joue un rôle prépondérant (à travers notamment la surabondance évènementielle et médiatique). « Qu’on le veuille ou non, le langage qui nous est en grande partie extérieur et antérieur est pétri de ces phénomènes de classements, de catégorisations, de frontiérisations, de dominations, que l’on reproduit bien souvent sans même le savoir, mais par rapport auxquels (voire contre lesquels) on se positionne aussi constamment, qu’on réinvestit. Ces divers phénomènes ont des impacts réels, sociaux et politiques » (Deshayes et Vétier, 2017, p. 54). Par ailleurs, et c’est également tout l’intérêt de garder à l’esprit le régime sociétal proposé par Augé, si la mobilité spatiale, mais aussi visuelle et sonore, est si importante à prendre en compte, c’est parce qu’elle favorise les rencontres et les discours sur autrui où les revendications « identitaires » (que je comprendrai donc comme « statutaires » dans la continuité de Fraser) deviennent la matrice même des conflits.

In the light of these three figures,  one can understand the importance of fitting the problematisation of the relationship to space into a larger context, a contemporary matrix of tensions and conflicts in which the language dimension plays a pre-eminent role (notably through the superabundance of events and media). “Like it or not, language – which is largely external to us and precedes us – is steeped in these phenomena of classification, categorisation, demarcation, domination, phenomena that we often reproduce unwittingly, but in relation to (or indeed against) which we also constantly position and reposition ourselves. These different phenomena have real social and political impacts” (Deshayes and Vétier, 2017, p. 54). Moreover – and this is also why the societal regime proposed by Augé should be borne in mind – it is so important to consider spatial mobility, and also visual and aural mobility, because they foster encounters and discourses about others in which “identity” claims (which I will therefore understand as “status” claims in alignment with Fraser) themselves become the matrix of conflicts.

À cet égard, les trois figures de la surmodernité développées par Augé sont essentielles à prendre en considération car « l’abolition du temps et des distances par la connaissance immédiate des évènements se déroulant à l’autre bout du monde banalise l’expérience de l’altérité tout en la rendant de plus en plus difficile » (Abdallah-Pretceille, 2005, p. 37). Dans « un curieux mélange de connaissances et d’informations réelles et rapides, d’hypertrophie de couvertures médiatiques et de zones d’ombres et de silences » (Buléon, 2002, p. 82), la surmodernité met en avant une forte hétérogénéité des situations sociales et culturelles à l’échelle mondiale et génère à travers la multiplication des pôles identificatoires « un besoin plus fort de faire valoir les différences » (Buléon, 2002, p. 85). Ainsi pris dans la surmodernité, l’individu éprouve des difficultés à penser le changement de sa propre société et des notions qui lui sont rattachées (identité, sentiment d’unité, État nation, démocratie, etc.). C’est également cette perspective que met en avant Fraser lorsqu’elle écrit que « les luttes actuelles pour la reconnaissance se produisent à une époque où l’interaction et la communication transculturelles augmentent dans des proportions gigantesques, tandis que l’accélération des migrations et les flux médiatiques mondiaux hybrident et pluralisent les formes culturelles » (Fraser, 2005, p. 72). Le « principe de la réification » ainsi posée par l’autrice afin de conceptualiser les perturbations et les conflits induits par l’époque « postsocialiste » fait donc directement écho et prend même corps au sein du régime de la surmodernité.

In this respect, it is essential to take into account the three figures of supermodernity developed by Augé because “the abolition of time and distances through immediate knowledge of events taking place at the other end of the world trivializes the experience of otherness while at the same time rendering it increasingly difficult” (Abdallah-Pretceille, 2005, p. 37). In “a curious mix of knowledge and real and rapid information, of hypertrophied media coverage and zones of shadows and silences” (Buléon, 2002, p. 82), supermodernity turns the spotlight on a disparate selection of social and cultural situations around the world and, through the proliferation of polarised identities, generates “an increased need to emphasise differences” (Buléon, 2002, p. 85). Caught up in supermodernity, individuals find it hard to conceive change in their own societies and the notions associated with them (identity, sense of unity, nation state, democracy, etc.). This is also the view advanced by Fraser when she writes that “the current struggles for recognition are occurring as a time when transcultural interaction and communication are increasing to massive proportions, whereas the acceleration in global migrations and media flows are hybridising and pluralizing cultural forms” (Fraser, 2005, p. 72). The “principle of reification” thus proposed by the author to conceptualise the disruptions and conflicts brought about by the “postsocialist” era therefore directly echoes and even takes form within the regime of supermodernity.

L’intérêt pour mon propos de la pensée de Fraser est double. D’une part, il est de mettre en son centre la condition intersubjective de la reconnaissance qui se réalise avant tout par le langage et qui est mise à mal « par le capitalisme en voie de mondialisation rapide [qui] accélère les contacts transculturels, brise les schémas d’interprétation, pluralise les horizons de valeurs et politise les identités et les différences » (Fraser, 2005, p. 93). D’autre part, il est de ne pas considérer ce déni de reconnaissance dans une perspective psychologique (qui peut aussi avoir sa pertinence) mais dans une perspective statutaire située dans les relations sociales, et donc en termes de justice. « Se voir dénier la reconnaissance de ce point de vue, ce n’est pas simplement être victime des attitudes, des croyances, des représentations méprisantes, dépréciatives ou hostiles des autres. C’est être empêché de participer en tant que pair à la vie sociale, en conséquence de modèles institutionnalisés de valeurs culturelles qui constituent certaines personnes en êtres ne méritant pas le respect ou l’estime. Dans la mesure où ces modèles de mépris et de mésestime sont institutionnalisés, ils entravent la parité de participation, tout aussi sûrement que les inégalités de type distributives » (Fraser, 2005, p. 50). Ce sont bien deux aspects fondamentaux du langage qui sont mis en avant ici : celui d’agent et producteur des rapports sociaux à travers la condition intersubjective de la reconnaissance, celui de sa matérialité (dans et à travers les institutions notamment) et des effets qu’il génère en termes de reconnaissance comme pair dans l’interaction sociale. Il ne faut pas oublier de (re)mettre ces deux aspects fondamentaux du langage en lien avec les trois figures de la surmodernité : la condition intersubjective de la reconnaissance se joue dans un contexte de surabondance évènementielle, médiatique, spatiale qui ne la rend que plus difficile, quant aux effets en termes de reconnaissance, il se joue aussi dans le cadre d’une accélération de la production individuelle de sens caractérisée par l’importance prise par le statut individuel et sa reconnaissance. Les rapports sociaux dans une perspective « postsocialiste » et « surmoderne » semblent ainsi devoir être posés en termes de « justice socio-discursive » où le discours devient central dans la dimension conflictuelle. Il va sans dire que ces réflexions sur la dimension langagière n’abandonnent en rien la dimension spatiale de la justice qui lui est inextricablement liée. C’est ce lien que le détour théorique ci-dessus a souhaité montrer et ce que le développement analytique ci-dessous va chercher à confirmer.

Fraser’s thought is germane to my argument in two ways. On the one hand, at its core is the intersubjective condition of recognition which primarily takes place through language and is undermined “by capitalism on the path to rapid globalisation [which] accelerates transcultural contacts, disrupts interpretative patterns, pluralizes horizons of values and politicizes identities and differences” (Fraser, 2005, p. 93). On the other hand, this denial of recognition is approached not from a psychological perspective (which can also be pertinent) but from the angle of status situated in social relations, and therefore in terms of justice. “From this point of view, to be denied recognition is not simply to be a victim of the contemptuous, derogatory or hostile attitudes and beliefs of others. It is being prevented from participating in social life as an equal, because of institutionalised models of cultural values that constitute certain people as beings who do not deserve respect or esteem. Insofar as these models of disdain and low esteem are institutionalised, they hinder parity of participation, just as surely as do inequalities of a distributive nature” (Fraser, 2005, p. 50). There are two fundamental aspects of language that are unquestionably highlighted here: language as the agent and producer of social relations through the intersubjective condition of recognition, and language in its materiality (notably in and through institutions) and the effects that it generates in terms of recognition as an equal in social interaction. These two fundamental aspects of language then need to be (re)situated in relation to the three figures of supermodernity: the intersubjective condition of recognition arises in a context of superabundance – of events, media and space – that renders it all the more difficult; as for the effects in terms of recognition, they also occur in a context of acceleration in the individual production of meaning characterised by the importance taken by individual status and its recognition. From a “postsocialist” and “supermodern” perspective, it would therefore seem that social relations should be described in terms of “socio-discursive justice”, where discourse becomes a central component in the dimension of conflict. It goes without saying that these ideas about the linguistic dimension in no way erase the spatial dimension of justice, which is inextricably linked with it. It is this link that the theoretical detour above sought to demonstrate and that the analytical development below will aim to confirm.

 

 

Une mise à distance sociale, géographique et discursive

Social, geographical and discursive distancing

 

 

L’approche spatiale de la justice est fort intéressante à mobiliser car elle permet de rendre compte de l’imbrication des rapports de pouvoir et de domination en lien avec l’espace. Au vu de mes développements antérieurs, il paraît également heuristique de compléter cette approche par une perspective langagière. À cet égard, le cas des quartiers dits « prioritaires de la politique de la ville » en France peut s’avérer révélateur. Ainsi nommés par l’action publique, ces espaces urbains peuvent également se retrouver sous différentes dénominations et cela à travers une quasi-classe d’équivalence[2] : «quartiers sensibles », « quartiers difficiles », « quartiers en difficulté », « quartiers défavorisés », ou encore « banlieues ».

Taking a spatial approach to justice is very valuable, because it can account for the interplay of power and dominance relations associated with space. In the light of my arguments above, it would also seem of heuristic value to complement this approach with a language-based perspective. In this respect, the so-called “quartiers  prioritaires de la politique de la ville” (urban policy priority districts) in France offer a revealing illustration. Given this official title for public policy purposes, these urban areas can also be found under multiple descriptions that form part of a quasi equivalence class:[2] “vulnerable districts”, “problem districts”, “districts in difficulty”, “disadvantaged districts”, or simply “suburbs”.

Le processus de nomination amenant à la quasi-classe d’équivalence énoncée ci-dessus semble directement emprunter à deux processus linguistiques qui sont importants à identifier pour la suite de mon propos. Le premier est celui de la synecdoque « reposant sur un rapport d’inclusion entre les objets désignés par le sens propre (“les cités”, au sens toponymique, en tant qu’ensembles bâtis/“les quartiers“, au sens administratif, en tant que subdivisions de villes, ou bien au sens affectif, en tant que villages dans la ville/“les banlieues“, au sens géographique, en tant que périphéries de villes) et ceux désignés par le sens figuré (seulement les cités/quartiers/banlieues HLM construits dans les Zones à Urbaniser en Priorité au cours des années 1955-1975) » (Genestier et Jacquenod-Desforges, 2017, p. 20). C’est notamment dans ce processus que prend place l’absence de caractérisation adjectivale pour le pluriel « les quartiers ». En effet, la disparition de l’épithète caractérisant le mot « quartiers » semble de plus en plus courante tant le pluriel de ce mot renvoie à un groupe d’espaces perçus comme homogènes. Par l’emploi du syntagme « les quartiers », et par l’intermédiaire de la synecdoque, il y a un implicite partagé qui est la désignation non pas des quartiers au sens géographique mais des quartiers au sens figuré ou comme le dirait Bulot, des quartiers évalués et identifiés (Bulot, 2002). Par l’utilisation de la synecdoque, « les quartiers » sont ainsi donnés à voir comme des données objectivées alors qu’ils renvoient à la mesure de la distance sociale et à la « confusion entre la distance géographique (qui semble ne pas être sujette à interprétation) et la distance sociale (qui paraît tout aussi objective mais pas nécessairement valorisante pour celui qui la constate) » (Bulot, 2008a, p. 16).

The naming process that produces the quasi equivalence class described above seems to borrow directly from two figures of speech that are highly relevant to the next stage of my argument. The first figure is synecdoche, “in which a term for a part of something refers to the whole of something or vice versa”. In our context, it points to a relationship of inclusion between the objects referred to by the literal meaning (“estates” in the toponymic sense, as groups of buildings; ”districts” in the administrative sense as subdivisions of cities, or in the emotional sense, “neighbourhoods”, villages in the city; ”suburbs” in the geographical sense, as the outskirts of cities) and those referred to by the figurative meaning (the low-rent social housing (HLM) estates/districts/suburbs built in the Priority Urbanisation Zones in the years 1955-1975)” (Genestier and Jacquenod-Desforges, 2017, p. 20).[3] It is in this use of synecdoche that the absence of an adjectival qualifier for the plural term “the districts” takes on meaning. Indeed, it seems to have become increasingly common to elide the epithet applied to the word “districts”, as the plural word has come to refer to a set of urban spaces that are perceived as homogeneous. Through the use of the syntagm “the districts”, and by means of synecdoche, there is a shared implication that what is being referred to is not districts in the geographical sense but districts in the figurative sense or, as Bulot would say, districts with values and identities attached (Bulot, 2002). Through the use of synecdoche, “the districts” are thus presented as objectivised realities, whereas the term in fact reflects a measurement of social distance and a “confusion between geographical distance (which does not seem subject to interpretation) and social distance (which seemed equally objective but not necessarily an expression of positive value for the person who observes it)” (Bulot, 2008a, p. 16).

Le deuxième procédé linguistique utilisé est celui de la métonymie « reposant sur un rapport de contiguïté entre les objets désignés par le sens propre (les cités/les quartiers/les banlieues), qui sont de nature urbanistique, et ceux désignés par le sens figuré (les habitants des cités/des quartiers/des banlieues), qui sont nature humaine » (Genestier et Jacquenod-Desforges, 2017, p. 20). Mais ce deuxième processus ne doit pas uniquement se comprendre comme un processus linguistique car il renvoie essentiellement à ce que Bourdieu appelait « une pensée substantialiste des lieux » (Bourdieu, 1993, p. 250). Or, il est important de rompre avec cette pensée car ce ne sont pas les espaces qui sont porteurs de pratiques sociales mais bien les habitant·e·s de ces espaces. Pourtant, il est possible d’observer que l’espace essentialisé est régulièrement construit dans les discours dans une perspective naturalisante. Cette naturalisation amène à faire penser les choses comme naturelles, allant de soi, et de ce fait ne devant pas être remises en cause. « La force de la métaphore spatiale est qu’à travers cette naturalisation, elle permet de faire passer pour évidentes des catégories comme le “quartier”, la “banlieue”, etc. qui sont autant de constructions sociales » (Hambye, 2008, p. 39). Ces catégories renvoient implicitement à un certain nombre de pratiques sociales marquées d’un double sceau : celui de la délégitimation sociale et celui de la stéréotypie universalisante. Dans le cas de la délégitimation sociale, je pense ici par exemple : aux regroupements de personnes sur l’espace public, questionnés et problématiques dans le cas des quartiers évoqués mais allant de soi et acceptés dans d’autres espaces urbains caractérisés par des habitant·e·s non racialisé·e·s et de classe sociale supérieure ; à l’exclusion symbolique vécue lors de la mise en place de nouveaux commerces « visant à attirer de nouvelles populations » dans le cadre d’un projet de renouvellement urbain et qui ne correspondent pas aux habitudes des personnes habitantes alors ; ou encore aux discours dépréciatifs quant à l’utilisation du verlan ou autres parlers langagiers mettant « en danger » une langue française conçue comme anhistorique (il faudrait en effet préserver sa « pureté ») mais en revanche largement sociale (car se référant à une centralité qui ne peut se comprendre comme uniquement géographique). Dans le cas de la stéréotypie universalisante, je fais plutôt référence ici à l’ensemble des caractéristiques données et objectivées qui empêchent la prise en compte d’une quelconque complexité : la locution « ça craint » comme seule caractéristique qui semble pouvoir être donnée à ces espaces ; l’identification des personnes se regroupant sur l’espace public comme nécessairement étrangères (dès lors qu’un marqueur étranger semble être identifié : couleur de peau, langue pratiquée, etc.) et/ou sans emploi (qui renvoie à tout l’imaginaire sur la fainéantise et l’accaparement des aides sociales) ; la conception des habitant·e·s comme pauvres économiquement et réduits à cette seule caractéristique (« on entasse de la pauvreté sur de la pauvreté » selon un élu à l’habitat lors d’une réunion publique dans un quartier prioritaire de la politique de la ville). Cette essentialisation des personnes (une réduction à une caractéristique supposée et assignée) induit derrière à ce qu’elles soient pensées comme nécessairement dans le besoin mais également dans l’incapacité vis-à-vis d’autres pratiques sociales. Il leur est ainsi dénié par un certain nombre d’acteurs sociaux une quelconque capacité réflexive sur leur vécu quotidien et de fait d’interlocution politique. Ces quelques exemples concrets issus d’un travail de terrain permettent de mettre en avant le fait que ce deuxième processus s’inscrit dans un spatialisme qui pose un « rapport causal direct entre formes spatiales et pratiques sociales, ce qui permet de transmuer des problèmes propres à un certain type de société en problèmes dus à un certain type d’espace » (Garnier, 2011), et de fait, d’invisibiliser ce qui relève des rapports structurels au fondement même des inégalités sociales. D’ailleurs, il est intéressant de noter que le spatialisme est sous-jacent à la mise en œuvre même de la « politique de la ville » et cela n’est pas anodin, bien au contraire. « Mais c’est toujours à l’espace, ou au “territoire“, qu’on prétend appliquer les politiques spécifiques : on est en droit de se demander pourquoi il n’est pas antirépublicain, dans la France une et indivisible, de différencier le traitement des espaces, mais il le serait de différencier le traitement des groupes » (Hancock, 2009, p. 64). Hancock ajoute : « la Zone Urbaine Sensible fonctionne alors comme euphémisme des difficultés spécifiques des populations dites “issues de l’immigration”, qu’on ne veut ni voir ni compter » (Hancock, 2009, p. 64). On voit bien comment à travers des jeux de langage et des processus d’euphémisation, il est possible de mettre en place des politiques publiques marginalisantes pour certains groupes sociaux et cela sur la base d’espaces ou de « territoires » considérés comme spécifiques.

The second linguistic process is metonymy, a figure of speech in which a thing or concept is referred to by the name of something closely associated with it. For our purposes here, it refers to “a relationship of continuity between the objects referred to by the literal meaning (estates/districts/suburbs), which are urbanistic in nature, and those referred to by the figurative meaning (the inhabitants of the estates/districts/suburbs), which are human in nature” (Genestier and Jacquenod-Desforges, 2017, p. 20). However, this should not be understood solely as a linguistic process, because it corresponds to what Bourdieu called “substantialist thinking about places” (Bourdieu, 1993, p. 250), in other words the idea that social practices are generated by places, rather than by the people who live in them. In consequence, spaces are often constructed in discourse as essentialised, with the result that phenomena are naturalised, taken for granted as spontaneous and therefore not open to question. “The power of spatial metaphor is that through this naturalisation it makes categories like  the “district”, the “suburb”, etc., which are all social constructions, seem inevitable” (Hambye, 2008, p. 39). These categories implicitly correspond to a number of social practices characterised by two factors: social delegitimation and universalising stereotypes. In the case of social delegitimation, such social practices would include: groups of people in public space, challenging and problematic in the case of “the districts”, but taken for granted and accepted in other urban areas whose inhabitants are non-racialised and of higher social status; the symbolic exclusion experienced in the context of an urban regeneration project, where the introduction of new retail outlets “designed to attract new populations” symbolises a rejection of the existing population; or else disparaging references to the use of Verlan (a particular form of French urban slang, involving syllabic reversal) or other language practices that represent a “threat” to the French language, which is conceived as an anhistorical code whose “purity” needs to be protected but that is at the same time profoundly social (since it refers to a centrality that cannot be understood as solely geographic). In the case of universalising stereotypes, I am referring to a set of unchanging and objectivised characteristics that allow no room for complexity: referring to these urban areas as “rough”; instantly identifying groups of people in public space as necessarily foreign (on the basis of markers like skin colour, language, etc.) and/or unemployed (conjuring up a whole set of stereotypes about layabouts and welfare queens); conceiving residents of these zones as economically deprived and reduced to that trait alone (“poverty piled on poverty” as one elected housing officer put it at a public meeting in one of the urban policy priority districts). This essentialisation of people (reducing them to a single stereotypical trait) implicitly entails thinking about them as invariably in need but also as lacking any capacity for other social practices, to the point that certain social actors deny them all ability to reflect on their own day-to-day experience and hence to be political interlocutors. On the basis of these concrete examples from field research, we can suggest that this second metonymical process is inherent in a spatialism that claims a “direct causal relationship between spatial forms and social practices, which is used to transmute problems specific to a certain type of society into problems attributable to a certain type of space” (Garnier, 2011), and thereby erases everything related to the structural relations that are at the very foundation of social inequalities. Moreover, it is interesting to note that spatialism underpins the implementation of “urban policy” itself, a fact that is very far from trivial. “But the claim is always that specific policies apply to the space, or to the “territory”: one might wonder why it is not anti-Republican, in a France that calls itself one and indivisible, to discriminate in the treatment of spaces, when it would be to discriminate in the treatment of groups” (Hancock, 2009, p. 64). Hancock goes on: “the Urban Priority Zone then functions as a euphemism for the specific difficulties of populations “of immigrant origin”, which no one wants either to see or to count” (Hancock, 2009, p. 64). It is clear how it is possible, through language tricks and euphemisation processes, to implement public policies that marginalise certain social groups, on the basis of spaces or “territories” that are considered to have specific traits.

Cette courte digression sur le processus de nomination des espaces urbains marginalisés permet d’appuyer l’importance du langage dans la construction des situations socio-spatiales. À cet égard, ce processus n’est qu’un exemple de ce que Dikeç montre de manière brillante dans son article visant à articuler injustice de la spatialité et spatialité de l’injustice, à savoir la construction socio-discursive de ces espaces urbains. Cette dernière a notamment permis à travers la métaphore spatiale d’occulter « certains aspects (les dynamiques structurelles, la persistance des inégalités, le racisme et les discriminations, etc.) et à en mettre d’autres en avant (par exemple la violence, la délinquance, l’insécurité, etc.) » (Dikeç, 2009, p. 3). Plusieurs études et analyses permettent d’étayer les propos de l’auteur à cet égard. Par la construction discursive (et donc la matérialisation des traits définitoires sociaux et spatiaux) de ces espaces urbains, le problème ne réside pas seulement dans la relégation des dynamiques de discriminations/ségrégations au second plan, il réside aussi et surtout dans la réification d’une marginalité qui distribue les places de chacun·e ainsi que la possibilité ou non pour ceux·celles qui ne sont pas censé·e·s parler de participer aux décisions concernant la (re)production de leurs conditions d’existence. Et ils·elles ne sont pas censé·e·s parler car il·elles sont frappé·e·s du double sceau énoncé précédemment, couplant délégitimation sociale et stéréotypie universalisante, qui les met à distance (et cela dès la nomination qui attribue quasi-automatiquement des traits définitoires) de normes valorisées socialement et considérées comme légitimes. Cet écart à la norme, il est notamment pensé par le langage qui permet de construire un ordre des choses. Et pour cela on s’appuie notamment sur l’espace en tant qu’il est pensé et qu’il devient marqueur ou attribut social. Par le dicible, on agit sur ce qui est audible, sur ceux et celles qui sont visibles, et subséquemment sur la possibilité ou non de contester cet ordre des choses et d’avoir un pouvoir radical sur ses conditions réelles d’existence. Et c’est bien la question centrale qui se joue à travers la construction discursive des espaces, celle de :

This short digression on the naming of marginalised urban spaces highlights the importance of language in the construction of socio-spatial situations. In this respect, this process is just one example of what Dikeç brilliantly shows in his article connecting the injustice of spatiality and the spatiality of injustice, i.e. the socio-discursive construction of these urban spaces. This construction has notably been used, through spatial metaphor, to conceal “certain aspects (the structural dynamics, the persistence of inequalities, racism and discriminations, etc.) and to expose others (for example violence, delinquency, insecurity, etc.)” (Dikeç, 2009, p. 3). Several studies and analyses support the author’s arguments on this issue. The problem of the discursive construction (and therefore the materialisation of the definitional social and spatial traits) of these urban spaces is not only that it diverts the spotlight away from the dynamics of discrimination/segregation. It also and above all lies in the reification of a marginality that assigns each person their place and decides whether or not those who are not supposed to speak will be able to participate in decisions that concern the (re)production of their conditions of existence. And they are not supposed to speak because they are touched by the twofold stigma mentioned above – the combination of social delegitimation and universalising stereotypes – which distances them (from the moment of the naming that quasi-automatically attributes definitional traits) from norms that are perceived as socially valuable and legitimate. This distance from the norm is notably embedded in the language used to construct an order of things, a process that relies on space as it is conceived and that becomes a social marker or attribute. What is sayable influences what is audible and who is visible, and subsequently affects whether or not people have the possibility of contesting this order of things and possessing radical power over the real conditions of existence. And this is indeed the central question at work through the discursive construction of spaces, the issue of:

« la reconnaissance sociale et politique des quartiers populaires. Le discours sur la mixité fait des quartiers populaires des espaces pathologiques. Ce faisant, la société renvoie aux habitants de ces quartiers une image d’eux-mêmes qui est d’une grande violence symbolique. Être constamment désignés comme les habitants de “quartiers difficiles“ ou de “zones de non droit“ n’aide pas à se sentir reconnus : on ressent plutôt le mépris » (Charmes, 2009, p. 13).

“the social and political recognition of working-class districts. The discourse on social mixing turns working-class districts into pathological spaces. In this way, society shows the inhabitants of these districts an image of themselves that is of great symbolic violence. To be constantly described as residents of ‘problem neighbourhoods’ or ‘no-go areas’ does not help people to feel recognised: instead, they feel despised” (Charmes, 2009, p. 13).

Par le langage, on construit un ordre des choses, des places de chacun·e, ceux·celles qui peuvent parler et ceux·celles qui ne le peuvent pas, ceux·celles qui ont la légitimité pour le faire et ceux·celles qui ne l’ont pas. À cet égard, je parlerai donc ici vis-à-vis des quartiers dits prioritaires de la politique de la ville d’espaces urbains marginalisés où la marginalité renvoie à la mise à distance sociale et géographique par le langage d’une norme qui ne s’accomplit pas ou pas assez, et in fine, à une mise à distance d’une capacité d’interlocution politique.

Through language, an order of things is constructed, everyone is assigned a place, those who can speak and those who cannot, those with the legitimacy to do so and those without. In this respect, therefore, I would call districts described as priority urban policy zones marginalised urban spaces, where marginality refers to the social and geographical distancing through language of a norm that is not – or not sufficiently – fulfilled, and ultimately to the distancing of the capacity to be a political interlocutor.

La prise en compte de la dimension socio-langagière doit donc nous amener à interroger le pouvoir de transformation sociale des personnes en questionnant la place qui est donnée à chacun·e. Dans cette réflexion, le rôle du·de la chercheur·se ne doit pas être en reste, bien au contraire, car il·elle participe à la construction du monde social par les effets de sa propre posture de recherche et de ses positionnements théoriques. Cette place à questionner c’est aussi celle du·de la chercheur·se et celle qu’il·elle donne aux personnes interrogées. La prise en compte de la dimension langagière dans l’appréhension des rapports sociaux amène ainsi le·la chercheur·se à interroger sa posture et ses implications « épistémopolitiques » : « En recourant à ce néologisme, je souligne que sur le terrain d’une sociologie critique, aucun engagement épistémologique ne vaut s’il n’endosse pas concomitamment un engagement démocratique radical » (Nicolas-Le Strat, 2018, p. 156). Dans une perspective de « militance scientifique » comme l’appelle Bulot, une telle posture épistémologique nous amène nécessairement à concevoir une théorie politique (c’est-à-dire un modèle de société) sous-tendant notre théorisation sociale. et cela d’autant plus que l’on souhaite s’inscrire dans un questionnement autour de la justice spatiale.

Recognition of the socio-linguistic dimension, therefore, should prompt us to question people’s power of social transformation by questioning the place assigned to each person. In this investigation, the researcher’s role should not be ignored, quite the contrary, because he or she contributes to the construction of the social world through the effects of their own research stance and theoretical positions. The places to question also include the researcher’s own place and the place that he or she assigns to the the research subjects. Incorporating the dimension of language into the understanding of social relations thus prompts the researcher to question his or her stance and its “epistemopolitical” implications: “In employing this neologism, I am highlighting the fact that in the field of a critical sociology, no epistemological engagement is worth anything if it does not concomitantly adopt a radical democratic engagement” (Nicolas-Le Strat, 2018, p. 156). From a perspective of “scientific militancy” as Bulot calls it, this epistemological stance necessarily leads us to adopt a political theory (i.e. a societal model) that underpins our social theorisation. This is all the more true if the subject of our investigation is spatial justice.

« La contingence de l'ordre établi peut être contestée par l'ouverture de nouveaux espaces discursifs organisés autour de termes différents, qui pourraient constituer la base de nouvelles formations politiques susceptibles d'agir sur la police. C'est en ce sens qu'on peut mobiliser la notion de “justice spatiale”, pour critiquer l'exclusion systématique, la domination et l'oppression, qui se reproduisent entre autres par le biais de l'ordre policier » (Dikeç, 2009, p. 7).

“The contingency of the established order can be contested by opening up new discursive spaces organised around different terms, which could constitute the basis of new political formations capable of influencing the police. It is in this sense that we can employ the notion of “spatial justice” to criticise the systematic exclusion, the domination and oppression that are reproduced, among other things, through the policing order” (Dikeç, 2009, p. 7).

Lorsque Dikeç parle de l’ordre policier, il fait ici référence à sa conceptualisation par Rancière au sens de « l’activité qui organise le rassemblement des êtres humains en communauté et qui ordonne la société en termes de fonction, de places et de titres à occuper » (Rancière, 2009, p. 114). La police, le philosophe la comprend en corrélation avec la politique, c’est-à-dire avec le conflit, avec l’activité qui perturbe cet ordre policier, avec le franchissement des limites imposées par la police et qui sont celles du partage du sensible (Rancière, 2009, p. 115-116). Cette reconfiguration du sensible qui est au cœur même du régime de la politique comme le considèrent Castoriadis et Rancière quand ils parlent de « démocratie », équivaut à « une redistribution des capacités énonciatives » (Rancière, 2009, p. 609) qui fait directement écho aux « nouveaux espaces discursifs » de Dikeç. Mais l’approche sociolinguistique nous permet ici de comprendre que ces fameuses capacités énonciatives ne sont pas de simples outils inégalement répartis à redistribuer pour que tout le monde puisse s’en servir. Il y a un ordre du discours comme le disait Foucault et comme le disent à leur manière Rancière ou Dikeç, et cet ordre du discours porte et est porté par des institutions. « Le langage n’est pas matériel seulement en ce qu’il exerce une force matérielle sur les corps […], mais en ce qu’il participe de la matérialité des institutions » (Lecercle, 2004, p. 98). Les institutions sont dans ce sens des « agencements collectifs d’énonciation » (Lecercle, 2004, p. 157), elles participent à l’attribution d’une identité, d’une place, d’un rôle à jouer dans la scène sociale. Cela ne veut pas dire que ce qui est prôné ici est un déterminisme social des individus. Bien au contraire, la posture de militance scientifique nous invite à considérer l’individu non pas en terme d’« illusion » où il serait pris dans sa propre domination dont seul le·a chercheur·se pourrait l’en extraire, mais en termes de « réalisme », de stratégies qu’il est en capacité ou non de mettre en place en fonction des chances de réussites de celles-ci (Boltanski, 2015, p. 192). L’individu négocie avec ces contraintes, se positionne avec ou contre elles, il les réinvestit ou non, mais quoi qu’il en soit ce sont elles qui donnent le cadre du pensable, du dicible, de l’audible et du visible. Et ce sont bien ces institutions, ces modèles institutionnalisés d’interprétation et d’évaluation des valeurs culturelles qui sont centraux dans l’approche de l’injustice proposée par Fraser et qui permettent de penser la « parité de participation ». S’il est intéressant pour mon propos de pouvoir parler de déni de reconnaissance en termes de justice, il l’est tout autant de pouvoir parler de justice en termes de « parité de participation », à savoir « le fait que certains groupes et individus se voient refuser la possibilité de participer à l’interaction sociale sur un pied d’égalité avec les autres » (Fraser, 2005, p. 50). Cette notion renvoie donc à l’idée de pouvoir être considéré et d’agir en tant que pair dans l’interaction sociale. L’égalité n’est plus un objectif à atteindre mais elle devient le présupposer des pratiques conflictuelles (et donc démocratiques). À la manière d’un « maître ignorant » de Rancière qui présuppose l’égalité des intelligences, l’égalité n’est donc plus but à atteindre, elle devient point de départ.

When Dikeç speaks of the policing order here, he is referring to Rancière’s conceptualisation of it as “the activity that organises the gathering of human beings into a community and that orders society in terms of the possession of functions, places and titles” (Rancière, 2009, p. 114). The philosopher approaches policing in correlation with politics, in other words with conflict, with the activity that disturbs this policing order, with the crossing of the boundaries imposed by the police, which are those of the sharing of the sensory (Rancière, 2009, p. 115-116). This reconfiguration of the sensory, which is at the very heart of the regime of politics as understood by Castoriadis and Rancière when they speak of “democracy”, is equivalent to “a redistribution of enunciative capacities” (Rancière, 2009, p. 609), which directly echoes Dikeç’s “new discursive spaces”. However, here the sociolinguistics approach enables us to understand that these famous enunciative capacities are not simply unequally shared tools that can be redistributed for everyone to use. There is an order of discourse as Foucault said and as Rancière or Dikeç say in their own way, and this order of discourse supports and is supported by institutions. “Language is not only material in that it exercises a material power over bodies […], but in that it contributes to the materiality of institutions” (Lecercle, 2004, p. 98). In this sense, institutions are “collective arrangements of enunciation” (Lecercle, 2004, p. 157), they contribute to the attribution of an identity, of a place, of a part to play in the social arena. This does not mean that we are arguing that individuals are socially determined. On the contrary, the position of scientific militancy invites us to consider individuals not in terms of “illusion”, the view that they are trapped in their own domination from which only the researcher can extract them, but in terms of “realism”, strategies that individuals are or are not able to establish on the basis of the likelihood of their success (Boltanski, 2015, p. 192). Individuals negotiate with these constraints, position themselves with or in opposition to them, accommodate to them or not, but regardless, it is they who define the framework for what is thinkable, what is sayable, what is audible and what is visible. And it is indeed these institutions, these institutionalised models for the interpretation and evaluation of cultural values, which are central in the approach to injustice proposed by Fraser, and make it possible to think about “parity of participation”. While it is pertinent to my argument to be able to talk about the denial of recognition in terms of justice, it is equally so to be able to talk about justice in terms of “parity of participation”, i.e. “the fact that certain groups and individuals are denied the possibility of participating in social interaction on an equal footing with others” (Fraser, 2005, p. 50). This notion thus relates to the idea of being considered and acting as an equal in social interaction. Equality is no longer a goal to be achieved but becomes the prerequisite of conflictual (and therefore democratic) practices. Like one of the “ignorant masters” posited by Rancière, who presupposes equality of intelligences, equality is thus no longer the end goal but the starting point.

Ce détour de philosophie politique peut paraître bien éloigné de nos préoccupations concernant la justice spatiale, il est pourtant, dans l’approche que je propose, fondamental. Ce changement de paradigme est puissant à plus d’un titre car il permet de réinterroger le conflit comme garant démocratique et cela à l’aune de l’interaction sociale dont le médium privilégié est le langage. Dans cette lutte pour une égalité de reconnaissance, le·la chercheur·se est lui aussi inévitablement engagé·e. Il participe de par ses théorisations sociales, sa façon de mener son terrain, de considérer les personnes interrogées (dans « l’illusion » ou dans le « réalisme ») à la construction du monde social. L’importance donnée à la dimension socio-langagière amène donc à ne pas (à ne plus) concevoir un·e chercheur·se qui pourrait être isolé·e dans une tour d’ivoire de laquelle il pourrait porter ses théorisations et critiques sociales. L’actualité de cette question est d’ailleurs confirmée par les débats à la fois nombreux et récurrents sur le sujet depuis plusieurs années tout horizon disciplinaire confondu. Théorie et praxis deviennent ici inextricablement liées afin de penser (voire d’intervenir sur) la complexité sociale qui nous interpelle. Car comment comprendre cette égalité posée comme point de départ si ce n’est à l’aune des dimensions spatiales (renvoyant notamment aux ségrégations spatiales[3]) et discursives (renvoyant notamment aux ségrégations discursives[4]) réunies ce que je conceptualise par le processus de marginalisation.

This detour through political philosophy may seem a long way from our preoccupations with spatial justice. In the approach I propose, it is nevertheless fundamental. This paradigm shift is powerful in more ways than one, since it enables conflict to be re-examined as a democratic guarantee, in relation to a social interaction in which the primary medium is language. The individual researcher is also inevitably engaged in this struggle for an equality of recognition. Individual researchers participate through their social theorisations, in how they conduct their fieldwork, how they consider the people they interview (as in “illusion” or in “realism”), in the construction of the social world. The importance assigned to the socio-linguistic dimension thus moves us away from a conception of the researcher as someone who delivers theories and social critiques from an ivory tower. The topicality of this question is moreover confirmed by the frequency of debate around it in all disciplinary fields in recent years. Theory and praxis become inextricably linked here in the attempt to think about (or even act upon) the social complexity that interests us. For how can this equality, posited as a starting point, be understood if not in the light of the combined spatial dimensions (notably with respect to spatial segregations)[4] and the discursive dimensions (notably with respect to discursive segregations)[5], which I conceptualised as the process of marginalisation.

 

 

Conclusion

Conclusion

 

 

L’approche d’une sociolinguistique spatiale nous invite à (re)penser l’importance de la dimension langagière dans sa dialectique radicale avec les dimensions sociales et spatiales. Durant cet article, je me suis efforcé de balayer quelques implications d’une telle posture dans une perspective de recherche sur les questions des (in)justices spatiales et sociales. Succinctement, on pourrait dire que le langage nous permet de concevoir le monde social qui nous entoure, qu’il est aussi agent et (re)producteur des rapports sociaux, et qu’il peut (et doit) nous permettre de penser les contradictions et justement les injustices qui nous préoccupent (malgré des processus toujours plus présents d’euphémisation du conflit et de pacification sociale par le discours).

The spatial sociolinguistics approach prompts us to re(think) the importance of the language dimension in its radical dialectic with the social and spatial dimensions. In the course of this article, I have tried to cover a number of implications of this standpoint from the perspective of research into the issues of spatial and social (in)justices. Succinctly, it could be said that language allows us to conceive the social world that surrounds us, that it is both the agent and (re)producer of social relations, and that it can (and must) enable us to think about the contradictions and precisely the injustices that concern us (despite ever more frequent use of discourse for purposes of conflict euphemisation and social appeasement).

D’ailleurs, et telle que je la comprends, Fraser montre parfaitement le lien entre les questionnements concernant la justice spatiale (même si elle n’en parle pas explicitement), et le langage à travers la notion de parité de participation. Selon elle, deux conditions doivent au moins être réunies pour tendre vers cette parité de participation. La première est nommée « objective » et renvoie aux conditions matérielles d’existence qui doivent « assurer aux participants l’indépendance et la possibilité de s’exprimer » (Fraser, 2005, p. 54). Ce sont bien les inégalités matérielles et spatiales qui sont visées ici et qui font obstacle à la parité de participation. Elles sont centrales dans le cas des espaces urbains marginalisés et renvoient également aux questionnements sur la justice distributive. La deuxième condition est nommée « intersubjective » et « suppose que les modèles institutionnalisés d’interprétation et d’évaluation expriment un égal respect pour tous les participants et assurent l’égalité des chances dans la recherche de l’estime sociale. Cette condition bannit les modèles culturels qui déprécient systématiquement certaines catégories de personnes et les qualités qui leur sont associées » (Fraser, 2005, p. 54). Deux points fondamentaux sont à rappeler ici. D’une part, une approche de sociolinguistique spatiale nous amène à penser que si ces modèles culturels déprécient certaines catégories de personnes, ils le font notamment à travers la dépréciation de certains espaces urbains associés métonymiquement à ces catégories de personnes. Par la métaphore spatiale et la fonction signalétique qu’il remplit, le langage permet de délimiter des espaces, de les circonscrire, de les évaluer, de les hiérarchiser, de leur donner des traits définitoires, et de présenter toute cette construction discursive comme des données objectives à travers un processus de naturalisation. D’autre part, une approche de sociolinguistique spatiale met également en exergue le fait que ces modèles culturels sont institutionnalisés par le langage qui leur donne corps, qui leur donne leur matérialité et, in fine, la possibilité d’agir sur les corps justement.

Moreover, as I understand it, Fraser perfectly reveals the link between questions of spatial justice (even though she does not explicitly talk about it) and language, through the notion of parity of participation. According to her, at least two conditions must be met in order to aspire to this parity of participation. The first is called “objective” and relates to the material conditions of existence, which must “provide participants with independence and the possibility of self-expression” (Fraser, 2005, p. 54). The inequalities targeted here are specifically material and spatial, which hinder parity of participation. They are central in the case of marginalised urban spaces and also relate to issues of distributive justice. The second condition is called “intersubjective” and “assumes that the institutionalised models of interpretation and evaluation express equal respect for all participants and offer equality of opportunity in the quest for social esteem. This condition banishes cultural models that systematically denigrate certain categories of people and the qualities associated with them” (Fraser, 2005, p. 54). Two fundamental points need to be raised here. On the one hand, an approach through spatial sociolinguistics prompts us to think that, if these cultural models denigrate certain categories of people, they do so in particular through the denigration of certain urban spaces metonymically associated with those categories of people. Through the spatial metaphor and the signalling function it performs, language is able to demarcate spaces, to circumscribe them, to evaluate them, to order them hierarchically, to give them definitional traits, and to present this whole discursive construction as objective data through a process of naturalisation. On the other hand, a spatial sociolinguistics approach also emphasises the fact that these cultural models are institutionalised by the language that em-bodies them, that gives them their materiality and, ultimately, the possibility precisely to act upon bodies.

Dans ce sens, ma conviction est que la dimension langagière doit être au cœur des travaux sur la justice spatiale, épistémologiquement par ce qu’elle implique en termes de posture du·de la chercheur·se, théoriquement par ce qu’elle implique en termes de dialectique radicale discours-social-espace, analytiquement par ce qu’elle implique en terme d’analyse des constructions discursives des espaces et des rapports sociaux, politiquement enfin par ce qu’elle implique en termes de médiation de la recherche et de co-action du·de la chercheur·se dans un changement social associé à un modèle de société défendue. Une approche sociolinguistique de la justice spatiale possède ainsi de nombreuses implications qui se jouent notamment autour de la notion de « parité de participation » (qui fait également écho comme j’ai pu le montrer à d’autres notions de philosophie politique). Elle renvoie au fait que nous avons tous un savoir politique, ce qui enfreint radicalement la séparation entre ceux·celles qui peuvent parler (car légitimés ou autorisés comme le dirait Bourdieu) et ceux·celles qui ne le peuvent pas, entre ceux·celles qui possèdent le savoir et ceux·celles qui ne le possèdent pas. Dans une perspective « d’utopie concrète » pour reprendre Lefebvre, le·la chercheur·se se doit donc de partir de cet horizon du possible afin de penser une « justice spatiale » à l’aune d’une « justice socio-discursive », autrement dit de penser les espaces sociaux en corrélation avec les espaces discursifs, et cela afin que chacun.e possède un pouvoir de façonnement radical sur les processus de marginalisation dont ils font l’objet.

In this sense, it is my conviction that the language dimension should be at the heart of research on spatial justice, epistemologically through what it implies in terms of the researcher’s standpoint, theoretically through what it implies in terms of a radical dialectic between discourse, the social sphere and space, analytically through what it implies in terms of the analysis of the discursive constructions of spaces and social relations, and finally politically through what it implies in terms of the mediation of research and the researcher’s co-action in a social change associated with advocacy of a social model. A sociolinguistic approach to spatial justice thus has numerous implications that revolve in particular around the notion of “parity of participation” (which also resonates, as I have shown, with other notions of political philosophy). It relates to the fact that we all have political knowledge, which radically infringes the separation between those able to speak (because they are legitimate or authorised, as Bourdieu would say) and those who cannot, between those who possess knowledge and those who do not. From the perspective of a “concrete utopia”, to borrow from Lefebvre, the researcher must therefore start from this horizon of possibility in order to conceive a “spatial justice” in the light of a “socio-discursive justice”, in other words conceive social spaces in correlation with discursive spaces, in such a way that everyone has the power to radically shape the processes of marginalisation that they experience.

[1]. Je dois beaucoup à Thierry Deshayes pour cette mise en mots du principe récursif et dialectique ainsi explicité.

[1]. I owe much to Thierry Deshayes for the phrasing of the recursive and dialectical principle set out here.

[2]. La notion de classe d’équivalence renvoie ici l’approche de l’« Analyse à entrée lexicale » développée en 1976 par Marcellesi (Marcellesi, 1976). Cette notion de classe d’équivalences est reprise à Harris avec l’idée qu’un texte peut se décrire sans recours initial au sens et cela à travers la structure distributionnelle des différents éléments. De là, certains éléments possèdent donc des environnements discursifs équivalents, et ainsi reliés, il forment ce que l’on appelle une classe d’équivalence (Harris, 1969). Autrement dit, et dans le cas présent, l’idée est de mettre en avant que ces termes fonctionnement sur le mode de l’implicite synonymique.

[2]. The notion of equivalence class relates here to the “lexical entry analysis” approach developed in 1976 by Marcellesi (Marcellesi, 1976). This notion of equivalence classes is borrowed from Harris, with the idea that a text can be described with no initial reference to meaning simply through the distributional structure of the different elements. On this basis, certain elements belong to equivalent discursive environments, and linked in this way they form what is called an equivalence class (Harris, 1969). In other words, in the present case, the idea is to point out that these terms implicitly operate as synonyms.

[3]. Le processus de ségrégation spatiale renvoie dans mon acception à une action combinée : un fait social de mise à distance et une séparation d’ordre géographique (Grafmeyer, 1996, p. 209).

[3]. Translator’s note: obviously, France’s “quartiers  prioritaires de la politique de la ville” are specific to French urban policy. However, Anglo-Saxon countries have their own equivalents, to which the same linguistic observations apply. For example, the United States has its “housing projects”, urban subsidised housing districts associated with multiple social problems and referred to simply as “the projects”. Similarly, Britain has its “council estates”, which resemble the projects and les quartiers insofar as they are residential spaces historically characterised and/or stigmatised in the popular imagination as focal points for multiple social problems. In all three cases, the term refers both literally to a physical entity, a fragment of urban fabric, but also figuratively and implicitly to a set of perceived sociocultural characteristics that these entities have in common.

[4]. Le processus de ségrégation discursive renvoie à « la mise en place de frontière par la mise en mots de l’espace » (Lounici, 2006, p. 124) et donc foncièrement au processus de construction socio-discursive de l’espace lui-même.

[4]. As I understand it, spatial segregation arises out of a combined process: a social reality of distancing and a geographical separation (Grafmeyer, 1996, p. 209).

[5]. The process of discursive segregation relates to “the establishment of a boundary by putting space into words” (Lounici, 2006, p. 124) and therefore fundamentally to the socio-discursive construction of space itself.

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