Sentiments d’injustice

Feelings of Injustice

Des hommes et des femmes, journalistes et travailleurs de Charlie Hebdo, policiers dans l’exercice de leur métier, clients de l’Hyper Casher de la porte de Vincennes, ont été assassinés les 7, 8 et 9 janvier 2015 à Paris. S’en sont suivies des réactions multiples, locales, nationales et mondiales.

Journalists and workers of the journal Charlie Hebdo, police officers and customers of a kosher supermarket in Paris, were killed on January 7, 8 and 9, 2015, triggering a flow reactions, locally, nationally and worldwide.

Par coïncidence, ces événements ont eu lieu au moment où la mise en ligne du présent numéro de JSSJ était en cours de finalisation et où nous rédigions son éditorial. Immédiatement, nous avons eu nombre d’échanges et de débats au sein de notre comité de rédaction ; ils ont révélé une émotion partagée en même temps que des points de vue différents. Nos tristesses comme nos colères sont intenses et diverses, et je souhaite l’assumer ici : sans cette diversité, notre revue n’a pas de sens et perd ce qui fait sa richesse.

It so happened that these events took place as we were preparing the present issue of JSSJ for upload and were working on the editorial. Emails instantly started going back and forth, as did the debates within the editorial board ; we were all upset but had different points of view. Our sadnesses and angers are as diverse as they are intense, and I don’t want to deny this diversity, which seems to me key to our journal and what makes its value.

Mais la diversité n’est pas une faiblesse, au contraire elle est gage de réflexion commune, de débats et d’avancées. Et nous allons donner du temps à cette diversité et à cette réflexion parce que, dans notre métier, le temps est de plus en plus rétréci, et ce rétrécissement nous écarte du monde. De réforme en réforme de notre système d’enseignement supérieur (« supérieur » à quoi, d’ailleurs ?) et à la poursuite d’une prétendue excellence qui tend à se mesurer plus quantitativement qu’en termes de contenu, et plus en fonction du « rang » de ses supports de publication que de leur diffusion, la recherche critique en sciences humaines et sociales court le risque de disparaître de l’espace public. Ce processus me semble déjà bien engagé et pas seulement en France ! Nous n’en sommes pas seulement victimes, nous en sommes aussi responsables. Un de nos combats est donc de regagner le temps nécessaire pour penser, dire et agir, pour gagner et tenir une place dans le monde à venir.

Diversity is not a weakness, it is what keeps us thinking, debating and progressing. We are going to make time for this diversity and space for thought, because time is ever tighter in our scholarly community, and the lack of time keeps us from the rest of the world. As higher education is caught in its rush from one « reform » to the next, its quest for (quantified) « excellence », and its anxiety about « ranking » (of journals), critical research in social science is disappearing from the public sphere—the process is not unique to France. We are not mere victims, we are also responsible for this. Our first struggle is therefore to fight to gain back the time necessary to think, to speak and to act, to gain and hold a place in the world to come.

Ceci parce que derrière tous les débats, toutes les questions, il y a toutes ces morts, et bien d’autres encore ailleurs dans le monde, et ces morts sont des temps arrêtés dans un monde qui lui ne ralentit pas. Mais il y a aussi les causes de ces morts et les conséquences de ces morts.

Behind all the debates, all the questions, there are all these deaths, and many others in the world, and these deaths are arrested time in a world that keeps rushing ahead. But there are causes and there are consequences to these deaths.

Alors disons pour le moment avec simplicité, modestie et respect :

So let us just, for the time being, state with simplicity, modesty and respect that

- sans liberté d’expression, il ne saurait y avoir de justice, spatiale ou non,

– witout freedom of expression, there can be no justice, spatial or otherwise,

- chacun d’entre nous est co-responsable de la suite à donner aux événements, et JSSJ, à sa place, y tiendra son rôle.

– each of us is jointly responsible for what will follow from these events, and JSSJ will take its rightful place.

Reste qu’il faut maintenant aller derrière les mots, tous les mots, car ils peuvent aveugler s’ils ne servent qu’à un consensus trompeur. Soudain, d’ailleurs, certains mots un peu oubliés jaillissent dans le débat ; revoici par exemple celui d’ « apartheid » dans la bouche du Premier ministre de la République Française pour décrire la société et l’espace de notre pays. Certainement cela interpellera quiconque pense que la relation entre espace et justice est un enjeu et une urgence.

We still need to work harder on the words, all the words, which can be misleading if they only serve a deceitful consensus. All of a sudden somewhat forgotten words are re-surfacing in the debate, and we hear the word « apartheid » in the mouth of the French Prime Minister to talk about the society and space of our country. This should ring a few bells for those who think the relation between space and justice needs to be addressed urgently.