Introduction
Introduction
Six ans après la signature de l’accord de paix entre le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) en 2016, les dissensions internes persistent. Cet accord marquant le début de la période dite « postconflit », et censé ouvrir une nouvelle phase de développement économique, de justice, de paix sociale et de prospérité pour tous[1], n’a finalement pas permis la résorption des conflits territoriaux et de la violence. Ainsi, plus d’une centaine de paysans, d’autochtones et de dirigeants syndicaux ont été assassinés entre 2016 et 2021. L’un des principaux facteurs de cette violence accrue est le litige concernant les terres rurales. En effet, la Colombie est considérée comme l’un des pays les plus inégalitaires du monde en matière de distribution des terres. Tandis que 1 % des plus grandes propriétés concentrent près de 75 % des terres rurales productives du pays, 80 % des plus petites exploitations contrôlent moins de 5 % de ces terres (OXFAM, 2014, p. 36). Des politiques postconflit ont ambitionné de résoudre ces problèmes par une politique d’aménagement du territoire servant un double objectif : indemniser les victimes du conflit armé tout en contribuant au développement de la production agro-alimentaire (Gutiérrez, 2019 ; García, 2020).
Six years after the signing of the Peace Agreement between the Colombian government and the Revolutionary Armed Forces of Colombia (FARC) in 2016, internal conflicts were far from having been overcome. The Peace Agreement had sealed the beginning of the “postconflict” period (hereafter solely “postconflict”), which was supposed to open a new phase of economic development with justice and social peace, and prosperity for all[1]. However, territorial conflicts and violence were exacerbated instead. More than a hundred peasants, indigenous people, and union leaders were murdered between the signing of the Peace Agreement in 2016 and 2021. One of the main factors behind this intensified violence was the dispute over rural lands. Colombia is considered to be one of the most unequal countries in the world in terms of land distribution: whereas 1 percent of the largest properties concentrate close to 75 percent of the country’s productive rural land, 80 percent of the smallest farms control less than 5 percent of productive land (OXFAM, 2014, p. 36). Postconflict policies sought to tackle these issues through an effective land-use policy that, on one hand, sought to compensate the victims of the armed conflict and, on the other, to contribute to the development of agri-food production (Gutiérrez, 2019; García, 2020).
Les politiques postconflit ont été influencées par l’expansion des agro-industries, lesquelles ont accentué les processus d’accaparement des terres à échelle mondiale et nationale (Grajales, 2020). Entre 2007 et 2009, au moins 46,6 millions d’hectares de terres ont été acquis dans le monde pour produire de la nourriture et des biocarburants ou pour la spéculation foncière (Banque mondiale, 2010). Environ 60 % de ces accords fonciers ont été conclus sur des terres revendiquées par des communautés autochtones et de petites communautés à travers le monde, et la plupart en Afrique subsaharienne (OXFAM, 2016a). Selon OXFAM (2016b), la mise en œuvre d’accords fonciers a précipité dans le monde entier une augmentation des conflits et une escalade de la violence.
Postconflict policies were nonetheless influenced by the expansion of agribusiness, which has had an impact on processes of land grabbing at both global and national scales (Grajales, 2020). Between 2007 and 2009, throughout the world, at least 46.6 million hectares of land were acquired for producing food and biofuels, or for speculation (World Bank, 2010). Most of these land deals took place in sub-Saharan Africa and about 60 percent were on lands claimed by indigenous and small communities around the world (OXFAM, 2016a). According to OXFAM (2016b), there was an escalation of conflicts and violence worldwide, especially in rural communities as a result of the implementation of land deals.
Cet article soutient que les politiques postconflit colombiennes, loin de s’attaquer aux causes structurelles des violences au sein du pays, ont été un moyen essentiel de leur institutionnalisation. L’étude de cas des initiatives publiques visant à développer des projets agro-industriels à grande échelle dans la région des plaines de l’Est le démontre. Cette région, marquée par des épisodes d’accaparement des terres, de violences et de dépossessions, a fait l’objet de politiques gouvernementales de remise en activité des terres non occupées, dans le cadre d’un développement postconflit. Au contraire d’analyses qui se concentrent sur les intérêts qui incitent les individus, les entreprises ou les États à accaparer des terres, ma contribution met l’accent sur le rôle des politiques dans l’institutionnalisation de formes violentes d’appropriation. L’institutionnalisation est ici comprise comme l’ensemble des réformes juridiques et économiques qui permettent ou consolident la propriété foncière. Elle inclut des mécanismes tels que les politiques d’utilisation des terres ou les politiques développementalistes agricoles qui définissent des utilisations et des droits spécifiques sur les terres. La violence est quant à elle ici conceptualisée en tant que manifestation du processus historique de lutte des classes pour l’accès à la terre. Par conséquent, l’institutionnalisation de la violence équivaut à la normalisation de formes d’appropriation qui renforcent la propriété privée sur la terre.
This paper argues that postconflict policies, far from addressing the structural causes of violence in Colombia, have been a key means to institutionalize them. This is evidenced through the case study of the public initiatives to develop large-scale agro-industrial projects in the Eastern Plains region of Colombia. This region was marked by episodes of land grabbing, violence, and dispossession. Notwithstanding, the government proposed to develop the vacant lands of the region as a contribution to postconflict development. Unlike analyses that focus on the interests that prompt individuals, corporations, or states to grab lands, this paper emphasizes the role of policies in the institutionalization of violent forms of appropriation. Institutionalization is here understood to mean the legal and economic reforms that allow or consolidate landownership; these include mechanisms such as land-use policies or agricultural developmentalist policies that define specific uses and rights over lands. Violence is conceptualized as a manifestation of historical processes of class struggle over land access. Therefore, the institutionalization of violence is equivalent to the normalization of land grabbing which consolidate private property on the land.
Ce texte examine la relation entre l’espace et la violence à travers une analyse des processus ayant rendu les terres de la région des plaines de l’Est disponibles pour le développement agricole et alimentaire « postconflit ». Cette région, caractérisée par des savanes et des zones humides, a été désignée comme « terre agricole de choix » en raison de « ses importantes ressources en eau, ses vastes étendues de plaines et son climat chaud et pluvieux perpétuel qui permet deux récoltes par an » (USDA, 2015, p. 4). Le développement de ces terres permettrait de diminuer les importations alimentaires et d’augmenter les exportations de produits agricoles très demandés par l’industrie agro-alimentaire mondiale, tels que le maïs génétiquement modifié, le soja, le riz, l’huile de palme entre autres. La création de richesse et d’emplois est une autre promesse de ce développement agricole (Portfolio, 2008 ; USDA, 2015). Ainsi, le développement des plaines de l’Est – considérées comme « la dernière frontière agricole de la Colombie » – offrirait une possibilité de développement économique et durable des régions postconflit et également de résolution des problèmes fonciers historiques à travers la combinaison d’utilisations durables des terres[2].
The paper examines the relationship between space and violence through an analysis of the processes that have made lands in the Eastern Plains region available for “postconflict” agrifood development. Characterized by savannas and wetlands, this region was classified as “prime agricultural land” due to “its ample water resources, vast swathes of flat land and perennially warm and rainy climate which allows for two harvests in a year” (USDA, 2015, p. 4). The development of these lands represented the possibility to reduce food imports and increase the export of agrifood products such as genetically modified corn, soy, rice, oil palm, and other products demanded by the global agrifood industry. It also promised to contribute to the creation of wealth and employment (Portafolio, 2008; USDA, 2015). Thus, the development of the Eastern Plains—which was defined as “Colombia’s last agricultural frontier”—represented the possibility of bringing economic prosperity to postconflict regions, resolving historic land issues, and combining efficient land uses for sustainable development[2].
L’analyse présentée dans l’article s’appuie sur une étude de cas menée sur une période de six mois (entre février-mars et août-décembre 2021) dans la localité de Puerto Gaitán, située dans la province de Meta, dans la région des plaines de l’Est. Pour ma recherche, j’ai examiné l’implémentation des projets proposés par le gouvernement pour étendre la production agro-alimentaire dans la région. Les Zonas de interés de desarrollo rural, económico y social ou « ZIDRES » – du nom de la loi ayant permis la création de ces zones – ont été mises en place dans différentes provinces des plaines de l’Est et des régions centrales colombiennes marquées par le conflit armé (figure 1). Pour comprendre la pertinence de tels projets, j’ai mené des entretiens semi-directifs auprès de fonctionnaires de l’Unité d’aménagement agricole et rural (UPRA) de l’Institut géographique Agustin Codazzi, d’autorités publiques locales, de professionnels et d’habitants locaux de Puerto Gaitán (N = 30)[3]. Au cours de mon séjour dans la localité de Puerto Gaitán, j’ai pu confirmer qu’aucun des projets ZIDRES ni des infrastructures promises par le gouvernement pour favoriser le développement de la région n’avait été construit[4]. L’UPRA avance que les retards dans la construction sont dus aux questions juridiques concernant les terres de la région, ce qui n’a toutefois pas entravé l’expansion d’entreprises agro-alimentaires et d’autres entreprises capitalistes privées sur les terres agricoles publiques. Les réformes juridiques postconflit ont en réalité favorisé les revendications foncières visant à mettre en place des « projets productifs », tout en ignorant les revendications foncières historiques des communautés autochtones et paysannes.
The analysis presented in the paper is based on a case study carried out over the course of six months (between February-March and August-December 2021) in the locality of Puerto Gaitán, in the province of Meta, in the region of Eastern Plains. The aim of my research consisted of examining the implementation of the projects proposed by the government to expand agrifood production in the region. The Zonas de interés de desarrollo rural, económico y social or “ZIDRES”—the name given to these projects according to the law that enabled the creation of those zones—were projected over different provinces of the Colombian Eastern Plains and central regions which were marked by the armed conflict (figure 1). With the aim of understanding the rationality behind such projects, I conducted semi-structured interviews with public servants of the Agricultural and Rural Planning Unit (UPRA) of the Agustin Codazzi Geographic Institute, local public authorities, professionals, and local inhabitants of Puerto Gaitán (N=30)[3]. During my stay in the locality of Puerto Gaitán, I could confirm that none of the ZIDRES projects had been built, and that none of the infrastructure that the government had promised for prompting the development of the region had been constructed either.[4] The explanation provided by the public authority (the UPRA) for the delay of these projects was the legal issues regarding lands in the region. However, this had not prevented the expansion of agribusiness and other private capitalist ventures in the region’s public lands. In fact, postconflict legal reforms had favored land claims for “productive projects” while ignoring the historical land claims of indigenous and peasant communities.
Figure 1 : Carte de la zone d’étude. Provinces de la région des plaines orientales, Meta et Vichada (jaune) ; friches et zones potentielles identifiées par le gouvernement pour la création de ZIDRES (zones grisées) ; localité de Puerto Gaitán (cercle rose). Source : image de l’autrice à partir des informations SIG des projets ZIDRES (UPRA, 2016)
Figure 1: Study area map. Provinces of the Eastern Plains region, Meta and Vichada (yellow); wastelands and potential zones identified by the government for the creation of ZIDRES (gray shaded areas); locality of Puerto Gaitán (pink circle). Source: author’s image using GIS’ information of the ZIDRES Projects (UPRA, 2016)
L’analyse présentée dans l’article est structurée en trois sections : la première comprend une brève discussion sur l’accaparement des terres et la relation entre violence et espace ; la suivante examine comment l’accaparement des terres et la spoliation foncière en Colombie sont liés aux effets de certains booms économiques et politiques foncières ; enfin, la dernière section étudie la mise en œuvre des projets ZIDRES dans la région des plaines de l’Est.
The analysis, in the paper, is structured in three sections: the first section comprises a brief discussion of land grabbing and the relationship between violence and space; the second section provides an analysis of the nature of the land grabbing phenomena and land dispossession in Colombia. This part explains the effects of some economic booms and land policies on land dispossession. Finally, the third section makes an analysis of the implementation of the ZIDRES projects in the region of the Eastern Plains.
L’accaparement des terres et l’agriculture : conceptualiser la violence
Land grabbing and agriculture: conceptualizing violence
L’accaparement des terres est défini comme l’acquisition et le contrôle de grandes quantités de terres par une personne, une entité (publique ou privée, étrangère ou nationale) par tous les moyens (légaux ou illégaux) possibles, tributaires de différents mécanismes de propriété, de location, de concession, de contrats ou de formes de pouvoir dans les faits (Peluso et Lund, 2011). Les accaparements de terres peuvent avoir diverses finalités, notamment la spéculation, l’extraction, le contrôle des ressources ou la marchandisation, lesquelles se font au détriment des paysans, de l’agroécologie et de la gouvernance des terres (Baker-Smith et Miklos, 2016, p. 2). L’expression « accaparement des terres » a toutefois été largement assimilée à la volonté de contrôler et d’exercer un pouvoir sur le territoire à des fins politiques et économiques. Dans le contexte de la crise alimentaire mondiale de 2007-2008[5], l’accaparement des terres a été compris comme une réponse au krach boursier de 2008. Le krach a poussé les spéculateurs, les gestionnaires de fonds spéculatifs (hedge funds) et les grands investisseurs institutionnels à rechercher des investissements sûrs dans l’alimentation et les terres agricoles (Cotula et al., 2009 ; McMichael, 2012 ; Akram-Lodhi, 2012). Cependant, les analyses axées sur les acteurs et les motivations des accaparements de terres ont souvent masqué les processus qui contribuent à institutionnaliser la violence spatiale. Il s’agit, par exemple, des projets d’infrastructures qui « facilitent et dissimulent l’entrelacement complexe de formes structurelles, symboliques et directes de violence » (Wilson, 2014) et qui permettent de distinguer différents utilisateurs et utilisations, légitimes et illégitimes, des terres (Li, 2014, p. 593). Dans le contexte spécifique de l’Amérique latine et des Caraïbes, les politiques foncières pour le développement agricole ont provoqué des cycles de violence politique (Edelman et Leon, 2013). En Colombie notamment, la mise en œuvre de projets de développement agricole pour le marché a donné lieu à de violents processus d’accaparement des terres (Escobar, 2004).
Land grabbing is defined as the acquisition and control of large amounts of land by a person, entity (public or private, foreign or domestic) via any means (legal or illegal) which can take place through different mechanisms of ownership, lease, concession, contracts or de facto forms of power (Peluso and Lund, 2011). Land grabs can have a variety of purposes including speculation, extraction, resource control or commodification, all of which occur at the expense of peasant farmers, agroecology, and land stewardship (Baker-Smith and Miklos, 2016, p. 2). The term “land grabbing” has been broadly assumed as the drive to control and exercise power over the territory for political and economic purposes. In the context of the 2007-2008 Global Food Crisis[5], this phenomenon was formulated as a response to the market crash of 2008 which led speculators, hedge fund managers, and other large institutional investors to look for secure investments in food and land (Cotula et al., 2009; McMichael, 2012; Akram-Lodhi, 2012). However, the emphasis on the actors and the motivations behind land grabs has led us to lose sight of the processes that help to institutionalize space violence. For instance, infrastructural projects that “facilitates and conceals the complex intertwining of structural, symbolic and direct forms of violence” (Wilson, 2014, p. 516) and distinguish legitimate from illegitimate land uses and users (Li, 2014, p. 593). In the specific context of Latin America and the Caribbean, land policies for agricultural development caused cycles of political violence (Edelman and Leon, 2013). Specifically in Colombia, the implementation of agricultural development projects for the market led to violent land grabbing processes (Escobar, 2004)
Ainsi, comme l’étude de cas suivante vise à le montrer, la violence n’est pas seulement un sous-produit de l’expansion des intérêts privés et corporatifs sur les terres ; elle est aussi une condition préalable à leur accaparement. En tant que condition préalable à l’accaparement, la violence participe à la production de la terre comme marchandise et comme « ressource » disponible pour les projets de développement. Le discours présentant les terres comme un moyen de développement agro-alimentaire accompagne la création d’une nouvelle forme de propriété, en faisant de la possession d’une terre spoliée une nouvelle source de richesse (Nichols, 2018). La politique d’aménagement du territoire rural en Colombie a ainsi joué un rôle primordial dans l’institutionnalisation de la violence spatiale et la formalisation de la dépossession violente des terres. Cette étude de cas démontre que l’allocation des terres pour le développement agro-alimentaire en contexte de postconflit est un outil crucial pour l’expansion de la propriété privée foncière. Couplée à la formalisation et à l’ordonnance des droits de tenure, cette allocation aide à « dissimuler » la violence à l’origine de la propriété foncière, au lieu d’être un moyen de la surmonter. En tant que tel, le développement agro-alimentaire est donc une stratégie clé d’accaparement des terres (Lavers, 2012) visant à consolider le « pouvoir extra-économique » sur les terres (Levien 2012, p. 964).
Therefore, as the following case study aims to show, violence is not only a by-product of the expansion of private and corporate interests on the land, but it is also a precondition for land grabbing. As a precondition, violence colludes in the production of land as a commodity and as a “resource” available for development projects. The discourse framing lands in terms of agrifood development thus helps to produce a new type of property: the property of dispossessed land that becomes a new source of wealth (Nichols, 2018). Rural land-use planning policy in Colombia has played a key role in the institutionalization of spatial violence and the formalization of violent dispossession. As this case study demonstrates, instead of a vehicle for overcoming violence, the allocation of land uses for postconflict agrifood development along with the formalization and ordering of tenure, constitutes a key means of “concealing” the violence that is at the root of private property in land. As such, agrifood development constitutes a key land grabbing developmental strategy (Lavers, 2012) that aim to consolidate “extra-economic power” over the land (Levien, 2012, p. 964).
Dans la section suivante, je résume certains des événements qui ont produit des phénomènes d’accaparement des terres en Colombie, suivis de processus de formalisation. Ces derniers ont contribué à institutionnaliser des formes de dépossession violente et ont rendu des terres disponibles pour des projets de développement agricole.
In the following, I summarize some of the events that shaped land grabbing in Colombia and were followed by formalization processes. Such processes helped institutionalize forms of violent dispossession and made land available for agricultural developmental projects.
Le contexte national de l’accaparement des terres
National context of land grabbing
Le phénomène de l’accaparement des terres en Colombie a été façonné par différents facteurs sociaux et économiques tels que la création de politiques économiques et foncières visant à étendre la frontière agricole. Ces dernières ont créé des injustices quant à la redistribution des terres. À la fin du XIXe siècle, des colons paysans, ou colonos, et des propriétaires terriens se sont affrontés pour l’obtention de titres de propriété de terres publiques situées sur la frontière agricole du café. Selon Catherine LeGrand, les entrepreneurs du café « ont cherché à établir des droits de propriété sur de grandes extensions de terres publiques déjà occupées par des paysans », ce qui a conduit à des expropriations, des usurpations, et à la violente spoliation des paysans et des métayers (LeGrand, 1984, p. 35).
The phenomena of land grabbing in Colombia have been shaped by different social and economic factors, such as the economic policies and land policies to expand agricultural frontier that created injustices in terms of land redistribution. At the end of the 19th century, settlers peasant or colonos and landowners clashed for the titling of public lands in the coffee agricultural frontier. According to Catherine LeGrand, coffee entrepreneurs “sought to establish property rights over large extensions of public lands already occupied by peasants”, which led to expropriations, usurpations and the violent dispossession of peasants and sharecroppers (LeGrand, 1984, p. 35).
Durant la seconde moitié du XXe siècle, les conflits fonciers ont été aggravés par la guerre entre les libéraux et les conservateurs – un processus qui, en Colombie, a atteint les dimensions d’une guerre civile (Sánchez et Meertens, 2001). En conséquence, plus de deux millions de personnes ont été déplacées des zones rurales entre 1948 et 1958, soit l’équivalent d’un cinquième de la population colombienne, et au moins 200 000 personnes ont été assassinées (Rueda Bedoya, 2000 ; Sánchez et Meertens, 2001). Un tel exode a poussé des populations sans terre à ouvrir de nouvelles frontières agricoles dans les régions de Sumapaz, du sud de Tolima, du moyen Magdalena et des plaines de l’Est (Sánchez, 1989, p. 142-143).
In the second half of the 20th century, land conflicts were compounded by the war between the Liberals and the Conservatives—a process that in Colombia reached the dimensions of civil war (Sánchez and Meertens, 2001). Consequently, more than two million people were displaced from rural areas between 1948 and 1958, equivalent to one-fifth of Colombia’s population and at least 200,000 people were killed (Rueda Bedoya, 2000; Sánchez and Meertens, 2001). Such an exodus led to the opening of new agricultural frontiers in the regions of Sumapaz, southern Tolima, the Middle Magdalena, and the Eastern Plains region by landless populations (Sánchez, 1989, p. 142-143).
Au cours des années 1960, des programmes de réforme agraire ont cherché à favoriser le développement agricole par la colonisation de terres publiques vacantes et la modernisation des grandes propriétés. Ces programmes, fortement influencés par l’intervention américaine dans la région à travers l’Alliance pour le progrès (1961), ont conduit à la conversion de terres improductives en entreprises agricoles modernes, tandis que la redistribution des terres a été violemment empêchée par les classes dominantes de propriétaires fonciers (Días-Callejas et Medellín, 1986, p. 15). En a résulté un processus agressif de spoliation des populations rurales, dans des régions où les cultures commerciales (canne à sucre ou pâturages pour la production de viande) se sont étendues avec l’aide financière et technique de l’État.
During the 1960s, agrarian reform programs sought to foster agricultural development via the colonization of vacant state lands and the modernization of large estates. These programs, which were strongly influenced by US intervention in the region through the Alliance for Progress (1961), led to the conversion of unproductive lands into modern agricultural enterprises while land redistribution was violently prevented by traditional landowner classes (Días-Callejas and Medellín, 1986, p. 15). The result was a violent process of dispossession of rural populations in regions where cash crops (sugarcane, pastures for meat production) expanded with financial and technical assistance of the state.
Pendant les années 1980 et 1990, le pays a connu une hausse soudaine et rapide des activités extractives lié à la demande croissante de drogues illégales telles que la marijuana et la cocaïne, de produits de l’exploitation minière et d’agrocarburants, ce qui a eu pour effet d’exacerber les phénomènes d’accaparement et de dépossession des terres dans certaines régions. Citons ainsi les provinces du Sud, limitrophes de la forêt amazonienne, de l’Orénoque et de la côte atlantique, où des investissements ont été réalisés dans le trafic de drogue et l’élevage de bovins (Richani, 2012). Les terres rurales ont été spécifiquement utilisées par les trafiquants de drogue pour blanchir de l’argent avant d’être converties en pâturages pour l’élevage de bovins et la production d’agrocarburants (Cueto Gómez, 2011 ; Ballvé, 2012 ; Richani, 2012). Ces activités ont entraîné des conflits de contrôle territorial impliquant des groupes armés et des criminels (Maher, 2015). Par exemple, depuis le boom des années 1990, des groupes paramilitaires se sont disputé le contrôle des plantations de palmiers à huile. Entre 2000 et 2009, ce type de cultures est passé de 150 000 à plus de 350 000 hectares. Cette expansion a été accompagnée d’une augmentation des massacres et des menaces de mort visant à contraindre les paysans à abandonner leurs terres (Gerber, 2011 ; Gómez et al., 2015, p. 259). Les estimations tablent sur l’expulsion de plus de quatre millions de personnes d’environ six millions d’hectares de terres entre 1998 et 2010 (Maher 2015, 306-307 ; Comisión de Seguimiento 2010, p. 4).
During the 1980s and the 1990s, the country experienced a boom of extractive activities linked to the greater demand of illegal drugs like marihuana and cocaine, mining, and agrofuels. These exacerbated processes of land grabbing and dispossession in some regions. For instance, in the southern provinces and the eastern limits of the Amazon jungle, the Orinoco, and the Atlantic coast, in which drug trafficking and cattle rancher investments were made (Richani, 2012). Rural lands were specially used by drug traffickers for money laundering, which then converted them into pastures for cattle ranching and agrofuel production (Cueto Gómez, 2011; Ballvé, 2012; Richani, 2012). The latter phenomenon prompted the violence of armed groups and criminals that disputed the territorial control of such regions (Maher, 2015). For instance, paramilitary groups have disputed the control of oil palm plantations since the boom in the 1990s. This type of crops increased from around 150,000 hectares in 2000 to more than 350,000 hectares in 2009, which was associated with an increase of massacres and death threats designed to force people to abandon their lands (Gerber, 2011; Gómez et al., 2015, p. 259). It is estimated that more than four million people were evicted from some six million hectares of land between 1998 and 2010 (Maher, 2015, p. 306-307; Comisión de Seguimiento a las Políticas Públicas Sobre Desplazamiento Forzado, 2010, p. 4).
À la fin des années 1990, la création de programmes de régularisation foncière influencés par des politiques néolibérales de réforme rurale axées sur le marché a permis l’achat de terres qui avaient été violemment dépossédées. Les terres ont été déclarées « abandonnées » par les institutions décentralisées de réforme rurale, et leurs titres ont ensuite été révoqués et attribués à de nouveaux propriétaires, y compris à des entreprises bénéficiant de subventions agricoles accordées pour la production d’agrocarburants (Hristov, 2014, p. 100). Lors de la mise en œuvre des programmes d’attribution de titres fonciers dans les années 2000, des centaines de revendications foncières émanant d’acteurs privés concernaient des terres brutalement dépossédées par des groupes paramilitaires (Peña-Huertas et al., 2017). Ces processus institutionnels ont contribué à brouiller les lignes de démarcation entre les moyens d’appropriation « légaux » (institutionnels) et « extra-légaux » d’appropriation des terres, et ont servi à consolider des processus d’« accumulation par dépossession » (Harvey, 2003 ; Hristov, 2014, p. 100) et d’accaparement des terres par différents acteurs privés (Grajales, 2011, p. 77).
At the end of the 1990s, the creation of land regularization programs that were influenced by neoliberal policies of market-led rural reform enabled the purchasing of land that had been violently dispossessed. Lands were declared “abandoned” by the decentralized institutions of rural reform, and their titles were then revoked and assigned to new owners, including enterprises that benefited from farm subsidies granted to agrofuels production (Hristov, 2014, p. 100). During the implementation of land titling programs in the 2000s, hundreds of further claims corresponded to lands violently dispossessed by paramilitary groups (Peña-Huertas et al., 2017). Such institutional processes helped to blur the lines that divide “legal” (institutional) and “extra-legal means” of appropriation (ibid.), and served to consolidate processes of “accumulation by dispossession” (Harvey, 2003; Hristov, 2014, p. 100), and land grabbing by different private actors (Grajales, 2011, p. 77).
Les projets ZIDRES et l’institutionnalisation de la violence dans les plaines de l’Est
The ZIDRES and institutionalization of violence in the Eastern Plains
Dans le contexte de l’après-conflit, le gouvernement a tenté de résoudre certains de ces problèmes fonciers grâce à une politique de développement agro-industriel. Pour ce faire, il a proposé en 2016 une loi autorisant les investissements privés pour de grands projets agro-industriels sur des terres publiques vacantes, situées dans des zones difficiles d’accès et présentant un potentiel pour les produits agricoles, forestiers et issus de l’élevage. L’objectif était de faciliter le développement des chaînes agro-alimentaires prioritaires du gouvernement, telles que le maïs génétiquement modifié, le soja, l’agroforesterie, le riz, l’huile de palme, le cacao et les fruits.
In the postconflict context, the government proposed to tackle some of these land issues through a policy of agro-industrial development. Thus, in 2016, the government proposed a law that authorized private investments for large-scale agribusiness projects on vacant state lands in hard-to-reach areas with potential for agricultural, livestock, and forestry products. The aim was to facilitate the development of agrifood chains prioritized by the government, such as genetically modified corn, soy, agroforestry, rice, oil palm, cocoa, and fruits.
Des organisations paysannes et des ONG ont émis des critiques à l’encontre du projet de loi en dénonçant son objectif de facilitation de l’accaparement des terres par de grandes multinationales agro-alimentaires. Par exemple, la multinationale Cargill et d’autres entreprises agro-alimentaires nationales ont pu acquérir plus de 100 000 hectares de terres dans la région de l’Altillanura ; elles ont en cela contourné les limites de taille des exploitations agricoles stipulées par la loi 160 de la réforme agraire de 1994, qui privilégie l’attribution de terres publiques aux unités familiales agricoles (Contraloría General de la República de Colombia, 2017, p. 147). Les autorités nationales ont défini ces acquisitions comme des cas « d’accaparement des terres » dans lesquels « les principales transactions foncières étaient dirigées par de grands groupes économiques nationaux et des sociétés multinationales » (ibid., p. 63). Au-delà de la défense des intérêts individuels dans l’accaparement des terres et de la pression exercée par les groupes de pression, la loi ZIDRES a concrétisé l’esprit de la politique agricole et foncière du gouvernement de Santos. Cette politique visait à surmonter les problèmes fonciers historiques en transformant l’utilisation des terres et en dépolitisant les revendications foncières, soutenues par les lois agraires des années 1960.
The bill was criticized by peasant organizations and NGOs that claimed that these projects were intended to facilitate land grabbing by large multinational agribusiness corporations. For instance, the multinational corporation Cargill and other national agrifood corporations had acquired more than 100,000 hectares of land in the Altillanura region, circumventing farm size limits stipulated by Law 160 of the agrarian reform of 1994—which prioritizes the allocation of public lands to agricultural family units (Contraloría General de la República de Colombia, 2017, p. 147). National authorities defined these as cases of “land grabbing” in which, “the principal land transactions were led by large national economic groups and multinational corporations” (ibid., p. 63). However, beyond the defense of individual interests in land grabbing and the pressure exerted by lobby groups, the ZIDRES law materialized the spirit of the agricultural and land policy of Santos’s government. This policy aimed to overcome historical land issues by transforming land uses and depoliticizing land claims—backed by the 1960s agrarian laws.
Par conséquent, la loi ZIDRES a été approuvé par la Cour constitutionnelle en 2016 après plusieurs ajustements apportés au texte original, notamment avec l’ajout d’un paragraphe rendant obligatoire la participation des travailleurs ruraux et des populations sans terre aux projets agro-industriels à grande échelle.
Therefore, the ZIDRES bill was approved by the Constitutional Court in 2016 after several adjustments were made to the original draft—which included the drafting of a new paragraph that made mandatory the participation of rural workers and landless populations in large-scale agribusiness projects.
En 2017, le gouvernement a promulgué le décret 902 pour « la mise en ordre sociale de la propriété foncière » qui a mis en place des mécanismes de résolution des problèmes liés à la tenure et à l’utilisation des terres. Ce décret a également renforcé la production alimentaire en régularisant et en formalisant les droits de propriété, avec pour ambition la garantie d’un accès progressif à la propriété foncière par l’attribution de terres vacantes. Les principaux mécanismes de garantie d’accès à la terre étaient l’octroi de crédits à long terme aux demandeurs de terres, la création de subventions pour l’achat de terres et la promotion des activités agricoles (Presidencia de la República, 2017). À l’instar de la loi ZIDRES, le décret 902 a éliminé les restrictions existantes sur l’accumulation des terres et a privilégié la productivité dans l’aménagement national des terres. Les ZIDRES ont été conçues pour faciliter, d’une part, l’expansion des grandes entreprises agro-alimentaires à grande échelle dans les régions des plaines de l’Est et de l’Altillanura et, d’autre part, la légalisation de la possession des terres occupées illégalement et violemment par les éleveurs de bétail, les paramilitaires et d’autres acteurs privés (Grajales, 2020).
Additionally, in 2017, the government created decree 902 on “the Social Ordering of Property”, which established mechanisms for the resolution of issues of land tenure and use, and strengthened food production, through the regularization and formalization of property rights. This decree aimed to guarantee progressive access to land ownership through the allocation of vacant land. The main mechanisms for guaranteeing access to land were the granting of long-term credits to land claimers; the creation of subsidies for the purchase of land; and the promotion of agricultural activities (Presidencia de la República, 2017). Together with the ZIDRES law, this decree eliminated the existing restrictions on land accumulation and prioritized productivity within national land-use planning. As a matter of fact, the ZIDRES were created to facilitate not only the expansion of large-scale agribusiness in the region of the Eastern Plains (also called “Altillanura region”), but also the legalizing of the lands illegally and violently appropriated by cattle ranchers, paramilitaries, and other private actors (Grajales, 2020).
La planification des projets ZIDRES s’est fondée sur un processus technique de cartographie des zones propices à l’agriculture, entrepris par l’Unité d’aménagement agricole et rural (UPRA) nouvellement créée. Cette institution a été chargée de l’aménagement des terres rurales, comprenant l’identification des zones pour le développement des projets ZIDRES. Le processus technique de géoréférencement des « zones propices » à ce type de projets utilisé par l’UPRA n’a pas nécessairement pris en compte les complexités sociales et environnementales spécifiques à la région. On peut mentionner, par exemple, le fait que bon nombre de ces terres correspondent au territoire ancestral du peuple Sikuani, avant qu’elles ne soient déclarées « vacantes » et incluses dans les programmes de réforme agraire républicains. Le principal critère pour sélectionner les terres destinées aux projets ZIDRES était qu’elles devaient être situées dans des zones éloignées des principales infrastructures centrales, dans des régions marginales ayant de forts taux de pauvreté et de chômage, et ne pas être classées comme zones de protection de l’environnement (direction technique, UPRA, 2021).
The planning of the ZIDRES projects was based on a technical process of mapping areas suitable for agriculture, undertaken by the newly created Unit for Rural and Agricultural Planning (UPRA). This institution assumed the role of rural lands planning, which included the identification of the areas for developing the ZIDRES projects. This was based on a technical process of georeferencing of “suitable areas” for this kind of project, which did not necessarily consider the specific social and environmental complexities of the region. For example, the fact that many of these lands corresponded to the ancestral territory of the Sikuani people, before the republican declaration of the lands as “vacant land” and their inclusion within agrarian reform programs. The main criteria for the allocation of the ZIDRES was that the lands were distant from the main central infrastructures, in marginal regions with high levels of poverty and unemployment, and that the lands were not classified as environmental protection zones (Technical Directorate, UPRA, 2021).
Puerto Gaitán est l’une des sept municipalités identifiées par le gouvernement pour la mise en œuvre des projets ZIDRES. La localité était l’une des frontières ouvertes par les colons paysans qui ont fui les vagues de violence politique dans les années 1950. Au cours des années 1960, avec l’application des lois de réforme agraire, des centaines de paysans et des agriculteurs sans terres, expulsés des grandes propriétés à l’intérieur du pays ou des zones de petites propriétés, y ont trouvé refuge. Ces populations se sont installées dans des territoires revendiqués depuis longtemps par des groupes autochtones comme le peuple Sikuani. Les Sikuanis restés dans ces zones de nouvelle colonisation ont été victimes d’un processus de dépossession qui impliquait plusieurs mécanismes, tels que le paiement en nature ou l’endettement en échange de biens de base (outils ou vêtements) qui étaient remboursés avec des terres. Ces processus, couplés à de la violence comprenant meurtres et massacres, les ont forcés à quitter leurs terres pour d’autres zones.
Puerto Gaitán was one of the seven municipalities identified by the government for the implementation of the ZIDRES. The locality was one of the open frontiers by peasants’ colonos fleeing waves of political violence during the 1950s. During the 1960s, with the implementation of the agrarian reform laws, hundreds of peasants and landless farmers arrived, evicted from large estates in the interior of the country or from smallholding areas. These peoples settled in territories ancestrally claimed by indigenous groups such as the Sikuani people. The Sikuanis who remained in the areas of new colonization were subjected to a process of dispossession through mechanisms that included payment in kind, indebtedness in exchange of basic goods like tools or clothing which were repaid with land, and violence (killings and massacres) that forced them to move to other areas.
Pendant les années 1980 et 1990, cette frontière est devenue un lieu majeur de production de coca. Une décennie plus tard, elle est devenue l’épicentre de l’exploitation pétrolière, après la découverte des premiers gisements de pétrole exploitables dans cette région dans les années 1980 (Rausch, 2013, p. vii). Cette découverte de pétrole a entraîné une augmentation de la présence de groupes armés dans la région, notamment celle des groupes qui avait été attirés par le boom de la coca ainsi que celle de l’armée nationale – cette dernière ayant commis des atrocités contre les communautés autochtones. En réaction, les premiers groupes d’autodéfense locaux sont apparus dans les années 1970, soutenus par les trafiquants de drogue qui ont financé des armées de sécurité dans les zones de culture de coca. Ces groupes ont ensuite évolué en armées paramilitaires afin de combattre les velléités territoriales des FARC (Ministry of Justice, 2017). Entre la fin des années 1990 et le début des années 2000, les armées paramilitaires ont été intégrées à de plus grandes structures armées régionales qui ont contribué à l’expansion des plantations de palmiers à huile et d’agrocarburants (ibid.). Elles ont également assuré la sécurité des entreprises pétrolières et extractives. En 2005-2006, elles ont finalement été démobilisées, et une grande partie des bâtiments et des terres appartenant à leurs commandants a été expropriée par les autorités étatiques. Le gouvernement a également commencé à poursuivre toute activité considérée comme « illégale » empêchant le fonctionnement normal des industries de la région (entretien avec les habitants, Puerto Gaitán, 2021).
During the 1980s and the 1990s, this frontier became the epicenter of the coca boom, and only a decade later, it became the epicenter of an oil boom. The first exploitable petroleum deposits in this region were discovered in the 1980s (Rausch, 2013, p. vii). The discovery of oil was accompanied by the increased presence of armed groups, included the national army, that committed atrocities against indigenous communities, and other outlaw armed groups that were attracted by the coca boom in the region. The first local self-defense groups emerged in the 1970s with the support of drug traffickers who financed security armies in coca-growing areas. These groups later evolved into paramilitary armies to fight the FARC’s territorial expansion (Ministry of Justice, 2017). Between the late 1990s and the early 2000s, paramilitary armies were integrated into larger regional armed structures that helped to expand oil palm and agrofuel plantations (ibid.). These groups also provided security for oil and extractive companies. In 2005-2006, paramilitary armies were finally demobilized. During this time, a large part of the facilities (buildings) and the lands that belonged to paramilitary commanders were expropriated by state authorities. The government also started to prosecute any kind of activity considered as “illegal” that prevented the normal functioning of the industries in the region (interview with local dwellers, Puerto Gaitán, 2021).
Les politiques postconflit ont visé à réduire les conflits et à éliminer les activités criminelles dans la région en formalisant la propriété foncière et en favorisant le développement agricole de la région, devenue depuis 2005 l’épicentre de l’industrie agro-alimentaire (Contraloría General de la República de Colombia, 2017). Les nouveaux investissements dans le développement agro-alimentaire ont été effectués sur des terres précédemment confisquées par les paramilitaires. Ainsi, l’entreprise agro-alimentaire La Fazenda qui avait planté près de 32 000 hectares de maïs et de soja à Puerto Gaitán et visait à intégrer la production de viande « de la ferme à l’assiette », a acquis des terres auprès des paramilitaires qui avaient commis des massacres dans les zones environnantes dans les années 1990 et 2000. Ces terres ont été acquises par l’intermédiaire de courters fonciers et financées par des prêts internationaux de banques étatsuniennes (Arias, 2017). Cela lui a permis de planter près de 32 000 hectares de maïs et de soja à Puerto Gaitán. Lors de l’annonce du premier projet ZIDRES, une enquête nationale a révélé l’origine illégitime de la propriété des terres où le projet devait être implanté : un terrain de 42 000 hectares dans le petit village d’El Porvenir, dans l’arrière-pays de Puerto Gaitán. Les autorités nationales ont montré que le ministère de l’Agriculture avait récupéré les terres en 2015 des mains d’une entreprise familiale liée à des paramilitaires de la région qui s’étaient eux-mêmes emparés des terres après des massacres commis en 2005.
Postconflict policies sought to reduce the conflicts and remove criminal activities in the region by formalizing landownership and by promoting the agricultural development of the region, which since 2005 became into the epicenter of new agrifood ventures (Contraloría General de la República de Colombia, 2017). The new investments in agrifood development were made in lands previously dispossessed by paramilitaries. Thus, the agrifood company, La Fazenda, which had planted close to 32,000 hectares of corn and soybeans in Puerto Gaitán and aimed to integrate the meat production “from farm to fork”, had acquired lands from the paramilitaries that had committed massacres in the surrounding areas in the 1990s and the 2000s. These company lands had been acquired through land brokers and financed with international loans from banks in the US (Arias, 2017). Thus, when the announcement of the first ZIDRES was made, a national inquiry revealed the illegitimate origin of the property of the lands in which the project was to be located: a 42,000-hectare terrain located in a small village (El Porvenir) in Puerto Gaitán’s hinterland. National authorities revealed that the Ministry of Agriculture had recovered the lands in 2015 from the hands of a family business with connections to paramilitaries in the region who accessed to the lands after massacres committed in 2005.
La loi ZIDRES a représenté la possibilité non seulement de formaliser les revendications foncières des entreprises agro-alimentaires ayant accédé aux terres en contournant la loi, mais également de rejeter les revendications foncières portées par d’autres groupes. Cette nouvelle législation a en particulier considéré comme « arriérées » les revendications foncières des paysans et des populations autochtones (pourtant légitimées par les politiques antérieures de réforme agraire), donnant la priorité à l’utilisation productive des terres. Le manque de volonté politique pour répondre aux revendications des paysans et des communautés autochtones s’est reflété dans le faible niveau de réponse des autorités publiques aux demandes d’attribution de titres de propriété pour les terres collectives. Ainsi, la réserve indigène de Planas, située dans l’arrière-pays de Puerto Gaitán, attend toujours la restitution des terres appartenant au territoire ancestral de la communauté et qui ont été confisquées par l’État. La communauté de Planas a été victime de différents types de violence institutionnelle : en 1969, l’armée a commis un massacre contre le peuple de Planas, dont la brutalité a largement été documentée. Dans les années 1990, l’institut de réforme agraire a arbitrairement accordé des titres privés aux terres appartenant à la communauté. Ces terres ont été acquises par un trafiquant de drogue qui les a transformées en laboratoire de transformation de la coca. Les interventions paramilitaires des années 2000, facilitées par l’armée et visant à combattre les groupes de guérilla dans la région, ont empêché la communauté d’accéder à ces terres. Finalement, les terres ont été confisquées par l’État en 2005. Cependant, au lieu d’être restituées à la communauté, elles ont été utilisées pour construire une base militaire en 2013. Une partie de la réserve de Planas chevauche actuellement la ZIDRES (Verdad Abierta, 2016).
The ZIDRES law represented not only the possibility to formalize the land claims of agrifood companies that had accessed lands circumventing the law but also to dismiss the land claims made by other groups. In particular, peasant and indigenous people’s land claims (which were legitimized by previous policies of agrarian reform) were now deemed as “backward” as the new legislation prioritized productive land uses. The lack of political will to attend to the claims of peasants and indigenous communities was reflected in the poor level of response by public authorities to demands for the titling of collective lands. For instance, the indigenous reserve of Planas, located in Puerto Gaitán’s hinterland, was still awaiting the return of lands belonging to the ancestral territory of the community that had been confiscated by the State. The Planas community had been victim of different types of institutional violence: in 1969, the army committed a massacre against the Planas people, which was widely documented for its cruelty. In the 1990s, the land reform institute arbitrarily granted private titles to the lands owned by the community. The lands were acquired by a drug trafficker who turned them into a coca-processing laboratory. Paramilitary interventions in the 2000s, facilitated by the army and aimed at combating guerrilla groups in the area, prevented the community from accessing the lands. Finally, the lands were confiscated by the State in 2005. However, instead of being returned to the community, they were used to build a military base in 2013. Part of the Planas reserve currently overlaps with the ZIDRES (Verdad Abierta, 2016).
L’absence de réponse de la part des institutions reflète d’une part le niveau élevé de bureaucratisation lié aux revendications foncières portées par les communautés marginalisées – un processus qui aggrave les cas de saisie de terres et de corruption par des particuliers. D’autre part, cette absence témoigne de la dépolitisation de cette question dans le nouveau cadre mis en place qui considère davantage les demandeurs de terres comme des victimes de conflits armés et non comme des occupants coutumiers (dans le cas des populations autochtones). La politique publique d’aménagement du territoire rural a exclu la possibilité d’attribuer des terres publiques aux paysans et aux populations autochtones – ce qui était implicite dans les lois de réforme agraire antérieures – sauf s’ils étaient définis comme victimes du conflit ou comme entrepreneurs agricoles. Seulement, la loi de restitution des terres n’a reconnu le statut de victimes de conflit armé qu’entre le 1er janvier 1991 et le 10 juin 2021.
The lack of response reflects on the one hand, the high level of bureaucratization of land claims made by marginalized communities—which had contributed to aggravating the cases of land grabbing and of corruption by individuals. On the other hand, the depolitization of land claims under the new framework which recognized land claimers as victims of armed conflict and not necessarily as customary occupants (in the case of the indigenous populations). The public policy of rural territorial planning ruled out the possibility of allocating public lands to peasants and indigenous people—which was implicit in the previous agrarian reform laws—, except if they were defined as victims of the conflict or as agricultural entrepreneurs. Moreover, the land restitution law only recognized victims of the armed conflict between January 1, 1991, and June 10, 2021.
Ainsi, l’attente créée par la promesse de nouveaux titres attachés à des projets économiques, tels que les projets ZIDRES, a provoqué une occupation supplémentaire des terres par des colons fuyant la pauvreté et la violence d’autres régions. Lorsque le gouvernement a annoncé le premier projet ZIDRES à El Porvenir et la délivrance de titres de propriété à environ 400 familles pour s’associer à un investisseur privé (c’est-à-dire une entreprise agro-industrielle), de nouvelles populations ont occupé des terres dans la zone, en dehors des occupants initiaux. Les familles ayant pris possession des terres en attente des projets ZIDRES étaient des personnes immigrées d’une ville voisine, attirés par un agent immobilier dont l’activité était de vendre des terres aux personnes déplacées (El Espectador, 2016). Les invasions et les occupations de terres ont donc été utilisées comme un moyen efficace pour revendiquer des terres dans la région, ce qui a contribué à l’émergence de nouveaux affrontements sociaux entre paysans, communautés autochtones, investisseurs et entreprises. De plus, cela a conduit à une recrudescence des menaces et de l’utilisation de la violence pour empêcher de nouvelles invasions de terres (entretiens avec les habitants). La violence paramilitaire a également été réactivée pour empêcher les communautés locales ou les personnes déplacées d’occuper ou de revendiquer des terres. Selon le ministère de la Justice (Ministry of Justice, 2017), ces menaces et actions violentes contre la population concernant la restitution de terres étaient la deuxième cause principale de violence à Puerto Gaitán, après le conflit armé. Quelques mois après l’annonce du projet ZIDRES à El Porvenir, une nouvelle intervention armée dans la zone a provoqué le déplacement de 18 familles (MOVICE, 2016).
Thus, the expectation created by the promise of new titles attached to economic projects (such as the ZIDRES) had attracted further land occupation by settlers fleeing from poverty and violence in other regions. When the government announced the first ZIDRES in El Porvenir as well as the titling of land to around 400 families to become partners of a private investor (i.e. an agro-industrial company), a new occupation of lands took place in the zone by people other than the original occupants of the lands. The families who reclaimed the land for the ZIDRES were immigrants from a nearby town who were attracted by a real estate broker whose business was to sell land to the displaced (El Espectador, 2016). As a result, land invasions and occupations were used as a key means for claiming land in the region, which contributed to the emergence of new social clashes between peasants, indigenous communities, investors and enterprises. Furthermore, this led to an increase in threats and the use of violence in order to prevent new land invasions (interviews with local inhabitants). Thus, paramilitary violence was reactivated to prevent local communities or displaced people from occupying land or reclaiming land. According to the Ministry of Justice (2017), threats and violent actions against the civilian population over land restitution were the second main cause of violence in Puerto Gaitán, after the armed conflict. A few months after the announcement of the first ZIDRES in El Porvenir, a new armed intervention in the area left 18 families displaced (MOVICE, 2016).
La plupart des actions légales contre ces invasions ont été intentées contre des personnes ayant tenté de récupérer et d’occuper des terres vacantes appartenant à l’État en se prévalant d’ascendance (c’est le cas, encore une fois, des populations autochtones), ou en vertu des droits d’occuper des terres accordés aux paysans et aux colons par les lois agraires précédentes. De cette manière, la loi et les projets ZIDRES, couplés à d’autres textes, tels que le décret 902, ont mis en place une base juridique puissante pour exclure les revendications territoriales des habitants des terres, afin de faire place à de nouvelles utilisations rentables des terres agricoles. Par conséquent, l’État de droit a également servi à légitimer la création de nouvelles entreprises capitalistes dans des zones de dépossession antérieure.
Most of the legal actions against these invasions have fallen on people who tried to recover and occupy state-owned vacant lands under claims of ancestry (again, this was the case of indigenous populations), or under the rights granted by previous agrarian laws to peasants and colonos to occupy land. In this way, the ZIDRES and other laws such as the decree 902 have provided a powerful legal basis to exclude territorial claims of the inhabitants of the land to make way for new profitable land uses. Consequently, the rule of law has also served to legitimize new businesses and capitalist enterprises emerging in areas of previous dispossession.
Conclusions
Conclusions
Cet article met en évidence le lien entre la consolidation des espaces agro-alimentaires dans la région des plaines de l’Est de la Colombie et l’institutionnalisation de formes de violence et de dépossession foncière. Tout d’abord, j’ai démontré une corrélation intrinsèque entre la violence et les politiques visant à créer de nouveaux espaces pour le développement agro-alimentaire en m’appuyant sur l’analyse de l’accaparement des terres. Ensuite, en me fondant sur une analyse des projets ZIDRES et sur des recherches menées dans la municipalité de Puerto Gaitán, j’ai traité de la relation entre ces projets et les politiques postconflit visant au développement agricole de la région. Ces projets, bien qu’ils ne soient pas encore concrétisés, ont légitimé la mobilisation de terres issues de déplacements brutaux et de dépossession pour les grands projets d’agriculture. Enfin, j’ai établi une correspondance entre les discours consacrés à l’expansion de la production agro-alimentaire et les nouvelles formes d’accaparement des terres et de dépossession à échelle locale. En somme, je soutiens que le développement de nouveaux espaces agro-alimentaires est un moteur clé de la dépossession des terres et de l’institutionnalisation de moyens d’appropriation extra-économiques.
This paper has sought to show the link between the consolidation of current agrifood spaces in the Eastern Plains region of Colombia and the institutionalization of forms of violence and land dispossession. First, drawing on the analysis of land grabbing, I was able to show that there is an intrinsic link between violence and policies aiming to create new spaces for agrifood development. Second, based on my analysis of the ZIDRES and my research carried out in the municipality of Puerto Gaitán, I was able to show the link between these projects and postconflict policies aimed to allow the agricultural development of the region. While not yet materialized, these projects have legitimized the mobilization of land issued of violent displacement and dispossession for large-scale agriculture. Finally, I was able to show the link between discourses devoted to expanding agrifood production and new forms of land grabbing and dispossession at the local scale. In this way, I argued that the development of new agrifood spaces is a key driver in the dispossession of land and the institutionalization of extra-economic means of appropriation.
Pour conclure, cette analyse souligne l’importance d’étendre l’analyse des phénomènes d’accaparement des terres à l’échelle locale afin de mettre en lumière les processus qui façonnent les inégalités sociales dans l’accès à la terre, et qui donnent lieu à des injustices spatiales.
In conclusion, this analysis has underlined the importance of extending the analysis of land grabbing phenomena to the local scale in order to shed light on the processes that give shape to social inequalities in land access and give rise to spatial injustices.
Remerciements
Acknowledgements
Je tiens à remercier les éditeurs invités de ce numéro spécial, en particulier Céline Allaverdian et Gabriel Fauveaud, ainsi que les évaluateurs anonymes pour leurs commentaires utiles sur cet article. Je suis également reconnaissante envers la chaire du Canada en économie politique de l’alimentation et du bien-être pour son soutien à cette recherche.
I would like to thank the Guest Editors of this Special Issue, especially to Céline Allaverdian and Gabriel Fauveaud, and the anonymous reviewers for their helpful comments on this paper. I’m also grateful to the Canada Chair in Political Economy of Food and Wellbeing for supporting this research.
Pour citer cet article
To quote this article
Martinez Estefania, 2023, “Expanding land for agribusiness development in postconflict Colombia: a means to overcome violence or to institutionalize it?” [« L’expansion des terres pour le développement agro-alimentaire en Colombie pendant la période postconflit : un moyen de surmonter la violence ou de l’institutionnaliser ? »], Justice spatiale | Spatial Justice, 18 (http://www.jssj.org/article/lexpansion-des-terres-pour-le-developpement-agro-alimentaire-en-colombie).
Martinez Estefania, 2023, “Expanding land for agribusiness development in postconflict Colombia: a means to overcome violence or to institutionalize it?” [« L’expansion des terres pour le développement agro-alimentaire en Colombie pendant la période postconflit : un moyen de surmonter la violence ou de l’institutionnaliser ? »], Justice spatiale | Spatial Justice, 18 (http://www.jssj.org/article/lexpansion-des-terres-pour-le-developpement-agro-alimentaire-en-colombie).