Violence et production de l’espace dans et au-delà de l’urbain

Violence and the production of space in and beyond the urban

La privatisation et la marchandisation des biens fonciers et immobiliers sont toujours allées de pair avec le développement de l’économie capitaliste, la construction des États-nations, la colonisation et la constitution de sociétés coloniales (Elden, 2013 ; Linklater, 2013 ; Rogers, 2017). Depuis 50 ans, parallèlement à la néolibéralisation croissante de l’économie mondiale, le développement des marchés fonciers et immobiliers – dans et au-delà des espaces considérés comme « urbains » – est devenu une force économique, politique, sociale et spatiale majeure qui accompagne et façonne l’expansion mondiale du capitalisme tardif et l’évolution des modes de production de l’espace (Brenner, Peck et Theodore, 2010 ; Brenner et Theodore, 2002 ; Harvey, 1981 ; 1985 ; 2003 ; Peck et Theodore, 2019 ; Shatkin, 2017). La financiarisation de l’immobilier et du logement (Aalbers, 2016 ; Aalbers, Rolnik et Krijnen, 2020), l’intégration des économies « périphériques » aux marchés immobiliers mondiaux (Fauveaud, 2020 ; Gillespie, 2020), l’accaparement global des terres (Borras et al., 2011 ; Li, 2014 ; Sassen, 2013), la mondialisation des modes de formation de la rente foncière (Slater, 2015), la gentrification à l’échelle mondiale (Lees, Shin, Morales, 2015) ou encore la marchandisation croissante de la nature (Andreucci et al., 2017) sont autant de processus qui montrent que les biens fonciers et immobiliers sont de plus en plus appropriés et transformés pour leur valeur d’échange plutôt que pour leur valeur d’usage (Rolnik, 2019). Différents courants de pensée ont conceptualisé et analysé ces évolutions, souvent à partir d’approches plus relationnelles et processuelles qui permettent de dépasser les catégorisations spatiales communément admises, comme celles qui distinguent la « ville » de son extériorité (par exemple, les espaces périurbains, les villages, les zones rurales). C’est bien ce que les approches s’inscrivant dans le « tournant urbain du Sud global », « l’urbanisation planétaire » (Brenner, Schmid, 2014) ou « l’écologie politique » (Tzaninis et al., 2021) ont fondamentalement en commun.

The enclosure and commodification of land and real estate goods have always gone hand in hand with the global development of capitalism, the construction of nation-states, colonization and the building of settler-societies (Elden, 2013; Linklater, 2013; Rogers, 2017). For the past 50 years, along with the neoliberalization of the global economy, the production of space and the development of land and real estate markets—within and beyond the spaces and places considered to be “urban”—have become major economic, political, social and spatial forces that drive and shape the global expansion and local materialization of the late-capitalism system (Brenner, Peck and Theodore, 2010; Brenner and Theodore, 2002; Harvey, 1981; 1985; 2003; Peck and Theodore, 2019; Shatkin, 2017). The financialization of real estate and housing (Aalbers, 2016; Aalbers, Rolnik and Krijnen, 2020), the integration of peripheral economies into global real estate markets (Fauveaud, 2020; Gillespie, 2020), the global land rush (Borras Jr et al., 2011; Li, 2014; Sassen, 2013), the global land rent formation (Slater, 2015), global gentrification (Lees, Shin and Morales, 2015) or the global commodification of nature (Andreucci et al., 2017) all bear witness to the fact that land and real estate goods are increasingly commoditized and appropriated for their exchange value rather than for their use value (Rolnik, 2019). Crucially, different strands of studies have tried, from quite different perspectives, to bring forward more relational and processual conceptualizations of these processes, by breaking up the barriers between what was traditionally understood as the “city” and its so-called “outsides” (e.g., periurban spaces, villages, rural areas). This is what different approaches such as southern and global urbanism, planetary urbanization (Brenner and Schmid, 2014) or political ecology (Tzaninis et al., 2021) fundamentally have in common.

Ce dossier thématique de JSSJ souhaite explorer les formes de violence qui sont liées ou qui sont issues de cette évolution globale des modes de production de l’espace et qui se produisent dans et au-delà des catégories spatiales couramment admises (Pavoni et Tulumello, 2020).

Against this backdrop, in this JSSJ special issue we wish to discuss the multiple forms of violence that stem from the various forms of production of space that happen in and beyond usual spatial categorizations (Pavoni and Tulumello, 2020).

Si les propositions de contribution à ce dossier thématique peuvent adopter une variété de définitions de la notion de violence, nous la comprenons, dans le cadre de cet appel à texte, selon trois grandes perspectives. Premièrement, nous pointons du doigt les formes directes et explicites de violence qui découlent de la production et de la fabrique de l’espace, telles que les processus de dé-logement (un-homing) (Elliott-Cooper, Hubbard et Lees, 2020), les évictions et les déplacements forcés (Brickell, Arrigoitia et Vasudevan, 2017), l’accaparement des terres et la destruction des mondes paysans (depeasantization) (Arboleda, 2020 ; Sassen, 2013), la saisie de biens immobiliers (foreclosure) (Schafran, 2013) ou encore l’omniprésence des agents et des dispositifs de coercition dans ces contextes (Bloch et Meyer, 2019). Deuxièmement, nous pensons aux formes plus indirectes, structurelles, culturelles et symboliques de violence qui accompagnent la production de l’espace. Nous pouvons penser aux logiques symboliques et économiques qui (re)produisent les processus d’exclusion liés à certaines formes de production de l’espace (Davis, 2006 ; Galtung, 1969 ; 1990 ; Mansilla, 2019 ; Sassen, 2014), les violences « lentes » et spatialement inégales de la pollution et de la dégradation environnementale (Davies, 2019), les violences liées à l’impact des systèmes infrastructurels sur les dynamiques sociopolitiques (Rodgers et O’Neill, 2012), mais aussi les violences plus structurelles et quotidiennes auprès des individus et groupes genrés et racisés (Listerborn, 2015 ; Oswin, 2014). Troisièmement, la notion de violence évoque pour nous les formes de conflit qui émergent en réaction ou en résistance aux oppressions, ainsi que dans les interactions entre les formes de violence avalisées par l’État et celles plus « ascendantes » faisant l’objet d’une criminalisation croissante (Handel, sous presse ; Rodgers, 2016).

Violence, here, is understood from a three-fold perspective. First, the direct, explicit forms of violence that stem from various forms of production of space, such as processes of un-homing (Elliott-Cooper, Hubbard and Lees, 2020), evictions and forced displacements (Brickell, Arrigoitia and Vasudevan, 2017), land grabbing and depeasantization (Arboleda, 2020; Sassen, 2013), foreclosure (Schafran, 2013), and the omnipresence of policing therein (Bloch and Meyer, 2019). Second, the indirect, structural, cultural and symbolic forms of violence that accompany the production of space, as well as the symbolic and economic logics that (re)produce its exclusionary processes (Davis, 2006; Galtung, 1969; 1990; Mansilla, 2019; Sassen, 2014); the “slow” violence stemming from the spatially uneven weight of pollution and environmental degradation (Davies, 2019); infrastructural violence, that is, the impacts that infrastructural systems have on sociopolitical systems (Rodgers and O’Neill, 2012); and the daily forms of violence that become routine in the urban life of gendered and racialized groups (Listerborn, 2015; Oswin, 2014). Finally, forms of conflict that emerge as response or resistance to state violence, the interaction between state-sanctioned and “bottom-up” forms of violence, and the criminalization of the latter (Handel, in press; Rodgers, 2016).

En rassemblant diverses études de cas qui explorent différents aspects des relations entre la violence et la production de l’espace, l’objectif de ce dossier thématique est de proposer une perspective transversale et multisituée de la manière dont l’appropriation et la transformation des espaces et des territoires pour et par les activités humaines reposent sur, ou sont intrinsèquement liées à, des formes de violence. En accord avec la ligne éditoriale de la revue JSSJ et son intérêt pour les enjeux d’(in)justice spatiale, les contributions attendues pourront explorer des aspects très variés de la relation entre violence et production de l’espace, en demandant par exemple : dans quelle mesure, comment et pourquoi la production d’espaces spécifiques implique-t-elle certaines formes de violence, et comment la violence façonne-t-elle en retour la production d’espaces particuliers ? Quelles sont les implications des différentes formes d’(in)justice spatiale dans le lien entre la violence et l’espace ? Comment les politiques publiques, et leurs enjeux politiques, interagissent-ils avec les formes directes et indirectes de la violence ? Quelles formes de violence « ascendante » contestent et recadrent les formes d’inégalité spatiale ? Dans quelle mesure l’étude de la violence en relation avec la production de l’espace offre-t-elle des perspectives originales sur les enjeux d’(in)justice spatiale ?

By gathering various case studies that explore different aspects of the relations between violence and the production of space, the objective of this special issue is to propose a transversal and multi-situated perspective on how the appropriation and transformation of spaces and territories for human activities rely on, or are intrinsically intertwined with, forms of violence. In line with the scope of JSSJ and its focus on spatial (in)justice issues, we thus invite manuscripts that address the nexus between violence and the production of space, in their multiple forms, for instance by asking: to what extent, how and why the production of specific spaces implies some forms of violence, and how violence is shaping in return the production of particular spaces? What are the implications of the different forms of spatial (in)justice in the violence/space nexus? How do politics and policies of space interact with direct and indirect forms of violence? What forms of “bottom-up” violence contest and reframe forms of spatial unevenness? To what extent the study of violence in relation to the production of space offers original perspectives on issues of spatial (in)justice?

Sans que cette liste soit limitative, les coordinateurices du numéro attendent par exemple des contributions sur les thèmes suivants :

For the sake of exemplification, we welcome contributions on, but not limited to:

– les crises du logement et les formes d’expulsion et de déplacement qu’elles entraînent, par exemple en relation avec les phénomènes de gentrification, de touristification, etc. ;

– planetary housing crises and their patterns of expulsion and displacement—for instance, in relation with recent trends of gentrification, touristification, and the production of real estate projects;

– la violence de la production de l’espace en dehors de la « ville », par exemple dans les contextes de gentrification rurale, des territoires d’extraction, des districts agro-industriels et agrorésidentiels, ou d’accaparement foncier ;

– the violence of the production of space outside of the “city”—for instance, in contexts of rural gentrification, territories of extraction, agro-industrial and agro-residential districts, and in contexts of land-grab;

– les violences attachées au développement d’espaces logistiques, d’infrastructures ou d’enclaves extraterritoriales ;

– the conceptualisation of violence in other fields of development—for instance, through the lenses of logistics, extraterritoriality, or infrastructures development;

– la violence de l’urbain qui émerge dans les sites d’exclusion, d’exception et de marginalisation, par exemple dans les lieux de refuge, dans les territoires contestés ou aux frontières territoriales ;

– the urban that emerges in sites of exclusion, exception and marginalisation—for instance, in places of refuge, in contested territories or at territorial borders;

– la violence des flux d’investissement (mondiaux) et les perturbations qu’ils causent, par exemple dans les domaines de la financiarisation, de la titrisation et de la numérisation de l’immobilier ;

– the disruptions and violence of (global) investment flows—for instance, in the fields of financialisation and assetisation of real estate, and of the digitalization of real estate;

– la violence inhérente aux discours et politiques attachés à la durabilité, la résilience et l’autonomisation, en particulier lorsqu’ils sont déployés dans le Sud global et lorsqu’ils font face à des pratiques et modes d’organisation qui ne correspondent pas aux pratiques développementalistes dominantes ;

– the violence embedded in narratives and policies of sustainability, resilience and empowerment—especially when deployed in the Global South or, more generally, places at the margins of mainstream development;

– les perspectives féministes, postcoloniales, dé-coloniales et intersectionnelles sur la relation entre la violence et la production de l’espace ;

– feminist, post-colonial, de-colonial and intersectional perspectives on the relation between violence and the production of space;

– les futurs urbains et l’imaginaire de la dé/ré-urbanisation, notamment dans un contexte de changement climatique, de multiplication des catastrophes naturelles ou anthropiques ou encore de crises sanitaires.

– urban futures and the imaginaries of de/re-urbanisation and disaster in the age of climate change, natural and human disasters, and pandemics.

Les auteur·e·s doivent envoyer leurs articles complets aux rédacteurices du dossier thématique avant le 15 octobre 2021. Justice Spatiale | Spatial Justice est une revue bilingue à comité de lecture. Les articles peuvent être soumis en français ou en anglais. Les articles peuvent être basés sur une étude de cas ou offrir une perspective plus théorique. La revue utilise une évaluation en double aveugle et tous les articles seront évalués par deux évaluateurs anonymes. Les articles doivent compter au maximum 7 000 mots, bibliographie comprise. Veuillez respecter le modèle d’article de JSSJ disponible en ligne sur le site de la revue : http://www.jssj.org/recommandations-aux-auteurs/.

Authors should send their full papers to the editors of the special issue by the 15th of October 2021. Justice Spatiale | Spatial Justice is a peer-reviewed and bilingual journal. Articles can be submitted in French or English. Articles may be based on a case study or offer a more theoretical perspective. The journal uses double-blind review and all articles will be evaluated by two anonymous reviewers. Articles should be of 6,000 words length maximum, including bibliography. Please respect the JSSJ article template available online on the magazine’s website: http://www.jssj.org/recommandations-aux-auteurs/.

Les auteur·e·s qui s’interrogent sur la pertinence de leurs propositions peuvent contacter les responsables du dossier : celine.allaverdian@umontreal.ca, gabriel.fauveaud@umontreal.ca et simone.tulumello@ics.ulisboa.pt.

Expressions of interest and informal inquiries should be directed to celine.allaverdian@umontreal.ca, gabriel.fauveaud@umontreal.ca, and simone.tulumello@ics.ulisboa.pt.

 

Les propositions d'article sont à envoyer
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before 15th of October 2021 to

Bibliographie

References

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