« ... il me restait à comprendre - et cela ne se fit pas tout de suite - qu'il est ridicule de vitupérer si l'on ne remue pas le petit doigt pour combattre ce qui révolte. Si j'en suis venu à tant soit peu « m'engager » (...) [c'est] parce que je répugnais à cette absurdité : maudire le sort et se construire par l'écriture une autre vie, tout en ne faisant rien pour bâtir à neuf cette vie-ci. Affaire, en somme, moins de passion que de logique ».
« … what I still had to understand – and it wasn’t something that happened immediately – was that it is ridiculous to rail against something that revolts you if you fail to even lift a finger to fight against it. If I came to even slightly « commit myself » (…) [it is] because I was averse to such absurdity: to curse fate and build another life through writing, while doing nothing to build this life anew. All in all, less a matter of passion than logic. »
Michel Leiris, Le ruban au cou d'Olympia, 1981, Gallimard, page 165
Michel Leiris, Le ruban au cou d’Olympia, 1981, Gallimard, page 165
Réflexions à partir de S. Parnell et E. Pieterse, 2010, The 'Right to the City': Institutional imperatives of a developmental state, International Journal of Urban and Regional Research, vol. 34, n°1, p. 146-162
Reflections based on the work by S. Parnell and E. Pieterse, 2010, The ‘Right to the City’: Institutional Imperatives of a Developmental State, International Journal of Urban and Regional Research, vol. 34, no. 1, p. 146-162
1. Politiques urbaines et néolibéralisation en Afrique du Sud : contexte d'un débat scientifique
En février 2010, la revue IJURR publiait un symposium de débats sur la « gouvernance locale et la participation dans le régime néolibéral »[1], coordonné par Valeria Guarnersi-Meza et Mike Geddes[2]. Susan Parnell et Edgar Pieterse, professeurs à l'Université du Cap, y co-écrivaient un article intitulé « The 'Right to the City': Institutional imperatives of a developmental state »[3]. Ce texte fort stimulant, très riche sur le plan à la fois théorique et empirique, aborde la question du néolibéralisme à l'échelle locale à travers l'exemple sud-africain et plus précisément capetonien. Il est fortement marqué par la controverse sur l'évolution des politiques urbaines post-apartheid et par le débat très actuel sur le rôle de l'État sud-africain en matière de développement.
1. Urban policies and neoliberalism in South Africa: The context of a scientific debate
Vingt ans après l'abolition de l'apartheid (1991), face à l'échec de la redistribution promise par l'ANC[4], les bilans sont amers. Les inégalités spatiales, sociales et raciales persistent[5] et les réalisations ne sont pas à la hauteur des ambitions initiales, des attentes politiques et de l'enthousiasme qui embrasait le pays dans les années 1990. Cet échec relatif est parfois attribué au virage néolibéral impulsé au milieu des années 1990 à l'échelle nationale (voir par exemple les analyses de Peet 2002, Bond 2005a et b), et à la dérive vers un urbanisme néolibéral (parfois simplement dit entrepreneurial) étudié à Johannesburg (Murray 2008), au Cap (McDonald 2007, Miraftab 2004a et b) ou à Durban (Narsiah 2002 et 2010). La transition interne à l'ANC entre Thabo Mbeki, représentant l'aile libérale du parti, et Jacob Zuma, incarnant un libéralisme plus social, à défaut de socialiste (en 2009), a constitué une tentative d'ajustement et de réponse à l'immense déception populaire. Cette dernière persiste cependant et s'aggrave du fait que les Sud-africains ont conscience de vivre dans le seul pays d'Afrique quasiment émergent et, pour beaucoup d'entre eux, dans des métropoles riches.
In February 2010, the International Journal of Urban and Regional Research published a symposium on « Local governance and participation under neoliberalism: comparative perspectives », coordinated by Valeria Guarnersi-Meza and Mike Geddes[1]. Susan Parnell and Edgar Pieterse, professors at Cape Town University, co-authored an article entitled « The ‘Right to the City’: Institutional imperatives of a developmental state »[2]. This highly stimulating text – both theoretically and empirically rich – broached the issue of neoliberalism at the local level through the South African example, more precisely that of Cape Town. It was strongly marked by the controversy over the development of post-apartheid urban policies and by the very topical debate on the role of the South African State in the field of development.
S. Parnell et E. Pieterse suggèrent des pistes pour diagnostiquer cet échec et proposent aux chercheurs et praticiens de la ville de s'engager dans la refondation d'un programme de ville juste. Ce sont des experts très reconnus dans le champ des études urbaines sud-africaines, très actifs au sein du African Centre for Cities[6]; ils ont en particulier étudié l'évolution des politiques urbaines au Cap, sur lesquelles ils s'appuient pour illustrer leur propos, très novateur et mobilisateur. Ce programme passe, selon eux, par une rupture postnéolibérale.
Twenty years after the abolition of the apartheid regime (1991) and given the failure of the redistribution exercise promised by the ANC[3], the reviews are rather bitter. Spatial, social and racial inequalities persist[4] and whatever has been achieved has not lived up to the initial ambitions, political expectations and enthusiasm that set the country ablaze in the 1990s. This relative failure is sometimes attributed to the neoliberal turn taken in the mid-1990s at the national scale (e.g. the analyses by Peet 2002, Bond 2005a and b), and the shift towards neoliberal urban planning (sometimes described as simply entrepreneurial) studied in Johannesburg (Murray 2008), Cape Town (McDonald 2007, Miraftab 2004a and b) or Durban (Narsiah 2002 and 2010). The ANC’s internal transition between Thabo Mbeki, a representative of the party’s liberal arm, and Jacob Zuma, incarnating a more social liberalism in the absence of a truly socialist regim (in 2009), constituted an attempt at adjusting and responding to the immense disappointment among the people. However, the disappointment continues and is even worsening as South Africans are aware that they live in the only almost emerging African economy and, for many of them, in rich metropolitan cities.
Le postnéolibéralisme a au moins trois sens distincts, voire contradictoires. Il peut désigner (1) la recomposition de la gouvernance locale et la redéfinition du rôle de l'État après une phase de néolibéralisation, ou, à l'inverse, (2) la fin du néolibéralisme, assimilée au retour de l'État régulateur suite au virage néo-keynésien pressé par la crise financière qui a débuté en 2008. Le « post » renvoie alors à la fois à une rupture historique et à l'injonction politique à se saisir des possibilités offertes par ce moment pour dépasser le néolibéralisme. Dans les deux cas, le néolibéralisme est compris dans son rapport à l'État (à sa réaffirmation ou à sa transformation si l'on pense qu'il n'y a pas de rupture), et dans une perspective d'économie politique. Dans un tout autre registre, le postnéolibéralisme renvoie aussi (3) au dépassement du néolibéralisme comme cadre d'analyse théorique, jugé inadapté au terrain observé, ou non heuristique.
S. Parnell and E. Pieterse suggested ways to diagnose this failure and requested researchers and practitioners in the city to redraft a more just city program. They are well-known experts in the field of South African urban studies and very active within the African Centre for Cities[5]; they have specifically examined urban policies in Cape Town, which form the basis for an innovative and inspiring illustration of their statements. According to them, there is a need to break away from the post-neoliberal period in order to develop such a program.
Le texte de S. Parnell et E. Pieterse se trouve à mi-chemin entre les deux dernières conceptions du postnéolibéralisme (2 et 3) et les combine de manière complexe. Il produit un contre discours postnéolibéral sur la ville juste, en opérant un double déplacement de perspective : il propose une « alternative » aux « aspirations néolibérales » (p. 146), mais aussi à la lecture néolibérale de la ville par la critique académique. D'une part, S. Parnell et E. Pieterse proposent de substituer aux « tendances » néolibérales un « programme urbain plus radical et fondé sur les droits » (p. 146), en replaçant la question de l'interventionnisme public et du rôle de l'État au centre de l'attention. Ce programme renvoie au débat sur ce que l'on appelle en Afrique du Sud l'Etat développemental, national et local, un projet qui remonte au milieu des années 1990, mais dont le sens, comme nous le rappellent les auteurs, n'a jamais été clarifié (sur cette notion, voir par exemple Van Donk et al. 2010). Ils se proposent de donner corps à ce projet « développemental ». D'autre part, leur approche est fondée sur « une rupture et un dépassement du néolibéralisme urbain, fondés sur la notion de droit » (p. 150). Ils soutiennent qu'en centrant la critique sur le néolibéralisme, on se prive de la possibilité de penser le changement et d'irriguer la pratique urbanistique : « nous estimons que c'est faire preuve d'égarement que de se concentrer uniquement sur une critique des tendances néolibérales des gouvernements locaux » (p. 150). Ils remettent du même coup en cause certaines formes d'activisme politique au sein du mouvement social sud-africain dont ils jugent les attaques contre-productives (p. 151) : « la pression populaire qui reste confinée dans le registre de l'opposition sans faire de demandes et de propositions explicites en termes de réformes institutionnelles concrètes ... a peu de chance de permettre de dépasser le néolibéralisme à l'échelle locale ». Ils revendiquent une posture radicale, mais propositionnelle et non oppositionnelle (« propositional politics », p. 158). Dans ce texte, le néolibéralisme est donc à la fois ce que l'on cherche à dépasser pour refonder des politiques urbaines justes, et un élément jugé marginal dans ces politiques, un aspect qu'il convient de ne pas placer au cœur de l'analyse car il ne permet pas de jeter les bases de la ville post-apartheid juste.
Postneoliberalism may be defined in at least three ways that not only differ from each other, but are sometimes even contradictory. It may designate (1) the recomposition of local governance and the redefinition of the State’s role after a neoliberal phase or, conversely, (2) the end of neoliberalism, likened to the return of the regulatory State, following a Neo-Keynesian change of direction forced by the financial crisis that began in 2008. Hence, « post » here refers both to a break with history and the political injunction to seize the opportunities offered by this period in order to transcend neoliberalism. In both cases, neoliberalism is understood in its relationship with the State (either by reasserting it or by calling for its transformation, if it is believed that there has been no roll back of the state), and from the economic policy perspective. At another level, postneoliberalism also refers to (3) going beyond neoliberalism as a theoretical analytical framework, deemed ill-adapted to the area observed or as being non-heuristic.
Le texte choisit de ne pas s'engager dans le débat théorique sur la néolibéralisation et il ne définit pas le néolibéralisme. Il postule que ces discussions sont connues du lecteur. Il envisage l'urbanisation néolibérale, de manière large, comme une forme d'action non redistributrice ou confiscatoire, engendrant de l'exclusion et de la paupérisation. Le néolibéralisme est ainsi tantôt associé à des questions de gouvernance ou de gouvernement (pratiques managériales -p. 147, partenariats public-privé -p. 158, « dispositifs institutionnels de l'action publique minces et fragmentés » -p. 148), tantôt à des questions économiques, surtout à travers la notion de recouvrement du coût des services urbains. Ou bien le néolibéralisme est défini en négatif, comme le contraire de l'interventionnisme, de la redistribution, de la péréquation, en somme le contraire de la justice sociale que le programme de droits présenté ici vise à promouvoir : « un accent plus fort sur la planification, la définition du bien public, des réformes régulatrices, une plus grande capacité à faire appliquer la loi, des politiques fiscales qui permettent la redistribution et la péréquation » (p. 150). La néolibéralisation est donc envisagée dans son rapport à l'État, comme une forme de retrait ou de démission étatique partielle.
S. Parnell and E. Pieterse’s article lies midway between the last two conceptions of postneoliberalism (2 and 3) and combines them in a rather complex manner. It has led to a counter-postneoliberal discourse on the rights-based city, by proceeding with a dual displacement in perspective: it suggests an « alternative » to « neoliberal aspirations » (p. 146), but also to the neoliberal understanding of the city through academic criticism. On the one hand, S. Parnell and E. Pieterse suggest replacing neoliberal « trends » by « a more radical rights-based agenda for cities » (p. 146), by repositioning the issue of public interventionism and the role of the State at the heart of the debate. This agenda refers to the debate on what is called the developmental (national and local) State in South Africa – a project dating back to the mid-1990s, but whose meaning has never been clarified, as the authors remind us (on this notion, see for example Van Donk et al. 2010). They offer to flesh out the « developmental » project. On the other hand, their approach is based on « A rights-based shift beyond urban neoliberalism » (p. 150). They maintain that by focusing criticism on neoliberalism, we would deprive ourselves of the possibility of bringing about changes in urbanistic practices and nurturing them: « We believe it is misplaced to only focus critical attention on the neoliberal tendencies of local states » (p. 150). At the same time, they question certain forms of political activism within the South African social movement whose attacks they deem counter-productive (p. 151): « Grassroots pressure that remains stuck in an oppositional mode without propositional demands tied to concrete institutional reforms … is unlikely to effectively displace neoliberalism in practice at the local level ». They call for a radical stand, but a propositional and not defensive one (« propositional politics », p. 158). In this text, neoliberalism is therefore considered something that is sought to be overcome in order to re-establish fair urban practices, as well as a marginal aspect in such policies, one that should not be placed at the heart of the analysis as it does not help in laying the foundations of a fair, post-apartheid city.
Il faut resituer cette perspective dans le contexte sud-africain, et par rapport aux débats plus généraux sur la néolibéralisation. Cette conception du néolibéralisme se trouve à la croisée de deux champs qui donnent du néolibéralisme des définitions légèrement distinctes :
The text has chosen not to indulge in a theoretical debate about neoliberalism, nor does it define neoliberalism. It postulates that the reader is aware of these debates. It envisages neoliberal urban development broadly as a non-distributing or confiscatory form of action, engendering exclusion and pauperization. Hence, neoliberalism is sometimes associated with governance or government-related issues (managerial practices – p. 147, public-private partnerships – p. 158, « Lean and fragmented institutional state arrangements » – p. 148) and sometimes economic issues, above all through the notion of the recovery of the costs of urban services. Or else neoliberalism is defined in the negative, as something that is contrary to interventionism, redistribution and cross-subsidization – all in all something that is contrary to the social justice that the rights-based agenda presented here seeks to promote: « Increased emphasis on planning, defining public good, regulatory reforms, greater law enforcement, fiscal policies that enable redistribution and cross-subsidization » (p. 150). Neoliberalism is therefore envisaged in its relationship with the State as a form of partial State withdrawal or roll back.
1. Le néolibéralisme serait la forme contemporaine du capitalisme, forgée pour surmonter la crise du régime d'accumulation des années 1970-80 ; il se traduirait par une transformation du rôle de l'État et une restructuration de l'action publique pour la mettre au service du marché. Cette définition renvoie à des analyses à l'échelle nationale et aux travaux sur la filiation du néolibéralisme avec l'ordolibéralisme allemand. Elle est particulièrement bien adaptée aux pays du Nord. Dans cette approche, des mécanismes adaptatifs de « roll back » (retrait de l'État, démantèlement de l'État providence) / « roll out » (extension de nouvelles pratiques de gouvernement et de gouvernance fondées sur de nouvelles valeurs, au service du capital) existent, au-delà d'un simple retrait étatique.
This perspective must be re-positioned in the South African context and in relation to more general debates on neoliberalism. The concept of neoliberalism finds itself at the cross-roads of two areas that give slightly different definitions of neoliberalism:
2. Le néolibéralisme serait une idéologie anti-interventionniste et un projet anti-étatiste cohérent et hégémonique, lié à la mondialisation et dicté au Sud par le consensus de Washington, une discipline globale qui s'imposerait à travers la dérégulation et la privatisation (les ajustements structurels menés dans les années 1980 au Sud), et qui engendrerait un « développement géographique inégal » (Harvey 2005). Cette perspective, proche de l'économie politique internationale et de la théorie des systèmes mondes, est particulièrement bien adaptée aux pays du Sud.
1. Neoliberalism seen as the contemporary form of capitalism, forged to overcome the 1970-80 crisis of accumulation; it would result in a transformation of the State’s role and a restructuring of public action to place it at the market’s service. This definition refers to analyses at the national level and to work on the filiation of neoliberalism with German « ordoliberalism ». It is particularly well-adapted to countries of the North. In this approach, adaptive mechanisms like a « roll back » (State withdrawal, dismantlement of the welfare State)/ »roll out » (extension of new government practices and governance based on new values at the service of capital) exist, going beyond mere State withdrawal.
Cette double approche a été théorisée et traduite à l'échelle urbaine par Brenner et Theodore (2002). Ils ont souligné l'importance des déclinaisons locales du néolibéralisme (du « actually existing neoliberalism ») et des processus d'ajustement à des contextes locaux distincts et spécifiques. Ces processus ont parfois été analysés en termes de « destruction créatrice », qui emprunte au vocabulaire marxiste, ou d'hybridité et de « variegation » (variation systémique comme mécanisme constitutif du processus de néolibéralisation, Brenner et al. 2010). Les déclinaisons locales et les mécanismes de « path-dependency » (l'idée d'une dépendance du « cheminement » du néolibéralisme par rapport aux spécificités du contexte local) ont ainsi été étudiés dans les villes sud-africaines (Didier et al. 2009, Didier et al., sous presse, Didier et al. à paraître).
2. Neoliberalism viewed as an anti-interventionism ideology and a coherent and hegemonic anti-State project related to globalization and dictated to the countries of the South by the Washington consensus – a global discipline purported to be established through deregulation and privatization (structural adjustments of the 1980s in the South) and likely to engender « unequal geographical development » (Harvey 2005). This perspective – close to international political economics and the world systems theory – is particularly well-adapted to the countries of the South.
Or la notion de néolibéralisme finit par poser problème car ces variations locales peuvent rendre méconnaissable un modèle néolibéral générique (si tant est qu'il existe), qu'on l'estime venu du Royaume-Uni de Margaret Thatcher ou de Tony Blair, des États-Unis de Ronald Reagan ou de Bill Clinton ou du Chili de Augusto Pinochet ou de Michelle Bachelet. Cela engage un débat sur le sens (néolibéral ou non) des 'troisièmes voies' travaillistes anglaises, démocrate américaine, ou sociales-démocrates allemande par exemple. L'action publique dans les villes sud-africaines fait l'objet d'un débat similaire et l'on comprend qu'il soit problématique de parler de néolibéralisation si l'on s'en tient à une définition étroite de ce terme, qui renvoie à l'anti-étatisme thatchérien de première génération. C'est ce qui pousse à S. Parnell et E. Pieterse à contester la pertinence de ce cadre théorique pour les villes sud-africaines (Robinson et Parnell 2006) : en Afrique du Sud, l'État (national et local) n'a jamais cessé de jouer un rôle central, notamment en matière urbaine, et on n'a pas observé d'alternance nette entre « roll back » et « roll out » comme dans le 'heartland' du néolibéralisme (Morange et Wafer 2011). La néolibéralisation aurait emprunté directement une troisième voie dont le sens reste discuté. Ce débat, très vif en Afrique du Sud, n'est pas abordé directement ici[7] ; mais il faut connaître ce contexte pour comprendre la perspective interventionniste de ce texte. La seconde partie insiste sur l'importance de la planification publique et du contrôle foncier, s'opposant implicitement au triomphe du market-led development dans le Royaume-Uni des années 1980 et au refus de la régulation par la planification publique par exemple d'un Reg Ward[8] (sa formule est restée célèbre : « je ne crois pas au système de la planification. Je suis contre la planification foncière ; elle n'apporte rien de bien »). Dans un autre texte, S. Parnell et J. Robinson (2010) évoquent leur « intérêt postnéolibéral pour le rôle de l'État » (p. 11).
This dual approach has been theorized and translated at the urban scale by Brenner and Theodore (2002). They underlined the importance of the local variants of neoliberalism (of the « actually existing neoliberalism ») and the adjustment processes to distinct and specific local contexts. These processes have sometimes been analyzed in terms of « creative destruction », a term borrowed from the Marxism vocabulary, or as hybridity and « variegation » (systemic variation as a constitutive mechanism of the neoliberalism process, Brenner et al. 2010). Local variants and « path-dependency » mechanisms (the idea of dependency on the « path » of neoliberalism in relation to the specificities of the local context) have therefore been studied in South African cities (Didier et al. 2009, Didier et al., under print, Didier et al. to be published).
Dans un autre registre, l'intérêt porté à la néolibéralisation distrairait des enjeux essentiels : la pauvreté résulterait plutôt de la défaillance de l'État (son incapacité à inventer des solutions justes et efficaces) que de son retrait, et les problèmes d'informalité et de pauvreté seraient liés à des questions de développement, non à la néolibéralisation. L'article suggère donc d'aborder la question des politiques urbaines par le biais de la pauvreté et du développement, approche jugée plus appropriée pour rendre compte de la spécificité des enjeux sud-africains, et en phase avec les politiques internationales de développement et le discours de la Banque mondiale (voir par exemple Lautier 2002 pour une approche critique des discours pro pauvres de la Banque mondiale).
However, the notion of neoliberalism ends up posing a problem because these local variations may make a generic neoliberal model unrecognizable (that is, if one exists) – a model believed to have come from Margaret Thatcher or Tony Blair’s United Kingdom, from Ronald Reagan or Bill Clinton’s USA or Augusto Pinochet or Michelle Bachelet’s Chile. It triggers a discussion on the meaning (whether neoliberal or not) of the « Third Way » of British Labor, American Democrats, or German Social Democrats, for instance. Public action in South African cities is the subject of a similar debate and one can understand why it may be problematic to speak of neoliberalization if we limit ourselves to a narrow definition of the term, which refers to first generation Thatcherian anti-Stateism. That is what prompted S. Parnell and E. Pieterse to dispute the relevance of this theoretical framework for South African cities (Robinson and Parnell 2006): in South Africa, the State (national and local) never stopped playing a central role, especially with regard to urban planning issues, and no clear alternation between « roll back » and « roll out » has been observed, as in the case of the heartland of neoliberalism (Morange and Wafer 2011). Neoliberalization may have directly taken a third path whose meaning remains debatable. But this debate – quite heated in South Africa – has not been broached directly here[6]; however, one must be aware of this context to understand the interventionist perspective of this text. The second part lays emphasis on the importance of public planning and land control, implicitly opposing the triumph of market-led development in the United Kingdom in the 1980s and the rejection of regulation by government planners, for instance by someone like Reg Ward[7] (one of the expressions he used remains well-known until today: « I don’t believe in the planning system. I’m opposed to land-use planning; quality does not flow from it »). In another text, S. Parnell and J. Robinson (2010) mentioned their « Postneoliberal interest in the role of the state » (p. 11).
S. Parnell et E. Pieterse mettent en somme l'accent sur l'action publique et sur le 'Sud' : le renforcement des capacités régulatrices de l'État apparaît comme la condition du dépassement du néolibéralisme (la « rupture paradigmatique » recherchée, p. 151).
At another level, the interest shown in neoliberalization seems to divert attention from the fundamental issues: poverty appears to be seen as an outcome of both the State’s shortcomings (its inability to come up with fair and effective solutions) and its withdrawal, and problems of informality and poverty are seen as being related to development issues, not to neoliberalization. The article therefore suggests that the issue of urban policies should be broached through the prism of poverty and development – an approach deemed more appropriate to give an account of the specificity of South African issues, while also being in line with international development policies and the World Bank’s discourse (see, for example, Lautier 2002 for a critical approach to the World Bank’s pro-poor discourses).
Or il existe une troisième acception du néolibéralisme : dans une perspective foucaldienne, le néolibéralisme est compris comme une forme de rationalité trans-champs (économique, politique, social...) fondée sur la naturalisation des valeurs entrepreneuriales, la compétitivité et la compétition, la responsabilisation individuelle du sujet entrepreneur de lui-même. Cette rationalité engendre des « conduites » de soi et la mise en place de « technologies de contrôle » liées à de nouvelles formes de gouvernementalité (rencontre entre les techniques de domination et les techniques de soi, la « conduite des conduites ») (Dardot et Laval 2009, p. 13) : « le néolibéralisme, avant d'être une idéologie ou une politique économique, est d'abord et fondamentalement une rationalité, et ... à ce titre, il tend à structurer et à organiser, non seulement l'action des gouvernants, mais jusqu'à la conduite des gouvernés ». Foucault (2004 [1979]) parle de « l'activité qui consiste à régir la conduite des hommes ». Cette transformation est au service de la perpétuation du régime d'accumulation capitaliste, mais elle ne rime pas avec retrait de l'État. Elle signale la diffusion de valeurs néolibérales dans toute la société et donc jusque dans la sphère étatique, l'État, quelle que soit sa forme, servant de relais à leur propagation et devenant l'un des architectes de cette rationalité, sans en être nécessairement le principal. Cette piste suggère d'envisager le néolibéralisme comme une rationalité surplombante qui imprègnerait les valeurs et les représentations dominantes, donc les politiques publiques, et nous invite, au contraire, à décentrer notre attention et à ne pas placer l'État au cœur de nos analyses.
Finally, S. Parnell and E. Pieterse place the emphasis on public action and on the « South »: the State’s regulatory capacity-building emerges as a necessary precondition to go beyond neoliberalism (the « paradigmatic shifts » sought, p. 151).
Le contre discours sur le droit à la ville formulé par S. Parnell et E. Pieterse combat donc une certaine forme de néolibéralisme (l'anti-interventionnisme), en remettant l'accent sur la nécessité de l'interventionnisme public, mais il ne questionne pas le risque que l'action publique puisse parfois emprunter, même partiellement, à la rationalité néolibérale. Si l'on envisage les politiques urbaines au Cap dans une perspective foucaldienne, on peut se démarquer du débat actuel tel qu'il est mené en Afrique du Sud et dépasser les difficultés évoquées plus haut : plutôt que de questionner la manière dont un 'grand plan' néolibéral se dissoudrait éventuellement dans les spécificités capetoniennes pour produire, ou non, du néolibéralisme, on pourrait chercher à comprendre comment le néolibéralisme, en tant que rationalité, est ponctuellement infusé dans l'action locale, même quand cette dernière cherche sincèrement à fonder un projet développemental. Cette approche nous invite à une lecture des politiques urbaines en termes de néolibéralisme mais qui s'éloigne de la perspective de l'économie politique et considère le champ des contraintes idéologiques dans lesquelles se déploient les politiques urbaines. On peut tenter de le faire en s'inspirant des deux exemples développés dans cet article.
However, there is a third view of neoliberalism: in a Foucauldian perspective, neoliberalism is understood as a form of trans-sectoral rationality (economic, political, social, etc.) based on the naturalization of entrepreneurial values, competitiveness and competition, and the individual accountability of entrepreneurs themselves. Such a rationality engenders « self-led behaviors » and the institution of « monitoring technologies » related to new forms of governmentality (meeting between domination techniques and self-techniques, « behavior of behaviors ») (Dardot and Laval 2009, p. 13): « Neoliberalism, before being an ideology or an economic policy, is primarily and fundamentally a rationality and…in this sense, it tends to structure and organize not just the actions of those who govern, but also the behavior of those who are governed ». Foucault (2004 [1979]) speaks of « the activity that consists of governing the conduct of men ». This transformation is at the service of the perpetuation of the capitalist regime of accumulation, but it does not mean the withdrawal of the State. It refers to the dissemination of neoliberal values in the whole of society and, therefore, also in the sphere of the State which, irrespective of its form, serves as an intermediary for their propagation and becomes one of the architects of this rationality, without necessarily being the main one. This line of thinking suggests envisaging neoliberalism as an overhanging rationality that seems to permeate the predominant values and perceptions, and therefore public policies and therefore invites us, on the contrary, to refocus our attention and not place the State at the core of our analyses.
The counter-discourse on the right to the city drafted by S. Parnell and E. Pieterse therefore opposes a certain form of neoliberalism (anti-interventionism), by once again placing an emphasis on the need for public interventionism, but it does not question the risk that public action may, sometimes, borrow from neoliberal rationality, even if only partially. If we envisage urban policies in Cape Town from the Foucauldian perspective, we can distance ourselves from the current debate as it is being conducted in South Africa and go beyond the problems referred to earlier: rather than questioning the way in which a ‘grand neoliberal plan’ would probably dissolve into Cape Town’s specificities to produce neoliberalism – or perhaps not – we could seek to understand how neoliberalism, as a rationale, is from time to time infused into local action, even when the latter is genuinely aimed at establishing a developmental project. This approach invites us to interpret urban policies in terms of neoliberalism, but by moving away from the political economics’ perspective, and considers the sphere of the ideological constraints within which urban policies are deployed. We can try to do so while taking inspiration from the two examples described in this article.
2. Dépasser le néolibéralisme ? Deux exemples
Le texte s'appuie sur deux exemples emblématiques des problèmes de développement dans les villes du Sud pour explorer une voie postnéolibérale interventionniste : les difficultés d'accès aux services urbains et la persistance de l'informalité qui résulterait de l'incapacité à penser une planification urbaine inclusive pour les quartiers pauvres (les défaillance du land use management). Le but, à travers ces deux exemples, est de montrer que la critique du néolibéralisme rate l'essentiel, car ces injustices seraient moins attribuables au néolibéralisme qu'à des blocages surmontables par des réformes institutionnelles.
2. Transcending neoliberalism? Two examples
Le choix de ces deux exemples permet aux auteurs de prendre habilement le contre-pied de la littérature critique du néolibéralisme (notamment en Afrique du Sud), tout en engageant un dialogue directe avec elle. La critique anti-néolibérale s'est en effet focalisée sur les services urbains (Miraftab 2004b, Smith 2004, Bond et McInnes 2006) qu'elle considère comme emblématique à cause des effets sociaux de la privatisation-corporatisation (avec des débats sur le degré, la nature ou le sens de la 'privatisation') : coupures d'eau et d'électricité, expulsions. Elle est aussi politiquement très mobilisatrice. La planification urbaine en revanche intéresse peu la critique néolibérale qui néglige l'échelle métropolitaine et cible davantage par exemple les dispositifs de développement économique local (zones franches, CID ...) qui produisent des inégalités territoriales et de l'exclusion au nom de l'accumulation économique (Miraftab 2007, Didier et al. 2009, Morange à paraître 2011), d'où, selon S. Parnell et E. Pieterse, une certaine myopie (la métaphore est de nous).
The text is based on two emblematic examples of development problems in cities of the South so as to explore an interventionist postneoliberal path: difficulties in access to urban services and the persistence of informality, which would lead to the inability of thinking of inclusive urban planning for poor areas (failings in land use management). The aim, through these two examples, is to show that a criticism of neoliberalism misses the fundamentals, because these injustices can probably be attributed less to neoliberalism than to deadlocks that can be overcome by institutional reforms.
1) Les services urbains
The choice of these two examples enables the authors to cleverly take a stand opposed to the one upheld by literature critical of neoliberalism (especially in South Africa), while at the same time entering into a direct dialogue with it. Anti-neoliberal criticism is in fact focused on urban services (Miraftab 2004b, Smith 2004, Bond and McInnis 2006) that it considers as being emblematic because of the social effects of privatization-corporatization (with discussions on the degree, the nature or the sense of ‘privatization’): water and electricity supply cuts, evictions. It is also politically very rousing. On the other hand, urban planning is of barely any interest to neoliberal criticism, which neglects the metropolitan scale and targets, for example, local economic development systems much more (free trade zones, City Improvement Districts, etc.), which produce territorial inequalities and exclusion in the name of economic accumulation (Miraftab 2007, Didier et al. 2009, Morange to be published in 2011), whence, according to S. Parnell and E. Pieterse, a certain degree of shortsightedness (the metaphor comes from us).
S. Parnell et E. Pieterse soulignent que la bonne volonté publique de « fournir les services de base en fonction des besoins et non de la solvabilité » est réelle, mais entravée par des « barrières institutionnelles » (p. 152). La Ville ne serait pas « institutionnellement adaptée pour redistribuer » (p. 153), pour deux raisons :
1) Urban services
- Elle manquerait de moyens financiers : pour subventionner les services, il faudrait faire plus de péréquation ; et pour cela, il faudrait que les riches consomment davantage, ce qui n'est pas un modèle soutenable sur le plan environnemental.
S. Parnell and E. Pieterse stress the fact that public goodwill to « provide basic service support based on need, not ability to pay » is real, but hindered by « institutional barriers » (p. 152). The City is not seen as being « institutionally well-equipped to redistribute » (p. 153), for two reasons:
- Il serait difficile d'identifier les pauvres car ils seraient invisibles, confinés dans des quartiers et des parcs de logement informels. L'informalité constituerait un obstacle à l'accomplissement du droit à la ville car elle reflèterait l'absence d'un appareil gouvernemental de contrôle, d'identification, de recensement... (p. 153). La mise en place de formes de contrôle serait la condition pour améliorer le service : l'installation de compteurs prépayés d'eau et d'électricité serait la condition de l'accès à l'eau gratuite par exemple (un droit fixé à 6 000 litres par mois pour les ménages indigents, une politique municipale qui ne peut être menée sans connaître et contrôler).
– It may lack financial means: To subsidize services, more cross-subsidization may be required; and to do so, the rich would have to consume more, which is not a sustainable model in environmental terms.
Ces analyses, fort pertinentes, intègrent cependant un ensemble de contraintes jugées indépassables : le principe de recouvrement des coûts globaux et l'obligation d'autonomie et d'équilibrage budgétaires, qui poussent les collectivités locales à une gestion entrepreneuriale et à toujours plus de compétition entre elles pour trouver les moyens de leurs financements. Dans un tel contexte, il est difficile en effet d'imaginer des formes de redistribution entre riches et pauvres plus importantes. On préfère miser sur la croissance car il en va de la compétitivité urbaine. Il faut aussi rappeler que la fusion métropolitaine, et la péréquation fiscale qu'elle a entraînée dans les années 2000, ont été fortement contestées et que la paix sociale est aussi en question. Les dispositifs de contrôle des consommation poussent quant à eux les ménages pauvres à pratiquer un auto contingentement de leur consommation (on touche ici au registre néolibéral des conduites de soi) afin qu'elle ne dépasse pas un seuil normé par le haut en fonction de contraintes financières, et pas nécessairement des besoins (si tant est qu'on puisse les cerner de manière normative). Dans les deux cas, la justice est pensée dans la pénurie structurelle imposée par un contexte plus large (ce qui renvoie à un problème d'échelles décisionnelles et de dépendance à un environnement macro-économique et politique, souvent pointé dans la littérature), et l'ajustement se fait en retour au niveau du ménage et des individus. C'est cette rationalité gestionnaire des gouvernements locaux que tente de briser la critique des mouvements sociaux, afin d'engager un débat politique sur les limites de ce projet de redistribution sous contrainte.
– The poor are seen as difficult to identify, because they are considered invisible, confined to informal housing areas. Informality is seen as a hindrance in fulfilling the right to the city because it reflects the absence of State monitoring, identification and enumeration machinery, among others (p. 153). The institution of forms of monitoring would be a pre-requisite to improve services: the installation of pre-paid water and electricity meters, for instance (fixed tariff for 6,000 liters per month for indigent households, a municipal policy that cannot be conducted without ensuring that the poor are seen by the state – known and supervised.
2) La planification urbaine et foncière
However, these highly relevant analyses include a number of constraints deemed insurmountable: the principle of covering global costs and the obligation of autonomy and budget balancing, which push local authorities towards entrepreneurial management and ever-greater competition among themselves to find the financial resources. In fact, it is difficult in such a context to imagine greater forms of redistribution between the rich and the poor. The authorities would rather bank on growth because urban competitiveness is at stake. It must also be recalled that the metropolitan merger and fiscal cross-subsidization that it brought about in the 2000s were strongly disputed and that social peace too is at stake. As for consumption-related control mechanisms, they tend to push poor households into practicing their own quota system as far as their consumption is concerned (we are dealing here with the neoliberal style of self-conduct), so that it does not exceed the threshold fixed by the upper echelons on the basis of financial constraints, and not necessarily needs (i.e. if they can be determined normatively). In both cases, justice is thought of in the structural scarcity imposed by a much larger context (which refers to a problem of decision-making levels and dependency on a macro-economic and political environment, often highlighted in literature), and adjustment is done in turn at the household and individual levels. It is the administrative rationale of local governments that the criticism of social movements attempts to break, so as to initiate a political debate on the limitations of a redistribution project under duress.
Les immenses paysages de l'informalité, vus ici très négativement comme cause et syndrome des maux urbains, seraient liés à trois problèmes :
2) Urban and land planning
L'action publique est guidée par la nécessité de trouver des terrains que « les pauvres peuvent se payer », des terrains « abordables » pour les pauvres. Or ces derniers sont rares.
The immense landscapes of informality – seen here quite negatively as the cause and syndrome of urban wrongs – are considered to be linked to three problems:
La dualisation des procédures d'urbanisme favoriserait l'essor de l'informalité. La loi 113 de 1991 (dite Less Formal Establishment of Townships) autorise les gouvernements locaux à s'affranchir des normes et règlements urbanistiques nationaux et métropolitains dans les quartiers pauvres afin d'accélérer les procédures. Cela crée des quartiers de seconde zone (« second-class suburbs », p. 155) où l'informalité vient pallier le manque d'équipements, notamment commerciaux. Aux riches, la ville formelle, aux pauvres, l'informel dysfonctionnel. Cette dualisation injuste ne serait pas liée à la néolibéralisation mais à la reproduction de pratiques urbanistiques héritées de l'apartheid et elle renverrait à la difficulté de la rupture post-coloniale et post-apartheid : Le Native Urban Areas Act de 1923 interdisait les activités commerciales dans les townships (pour des raisons fiscales essentiellement).
Public action is guided by the need to find land that the « poor can afford » – land for which the poor can manage to pay. However, such land is hard to find.
L'incapacité plus générale à faire appliquer les règlements d'urbanisme et les arrêtés municipaux dans les quartiers pauvres reflèterait un renoncement injuste à leur mission de la part des pouvoirs publics.
The dualization of city planning procedures seems to favor the growth of informality. The 1991 Act 113 (so-called the Less Formal Establishment of Townships Act) authorized local governments to free themselves from national and metropolitan urbanistic norms and rules in poor areas so as to accelerate procedures. This led to « second-class suburbs » (p. 155) in which informality compensated for the lack of facilities, particularly commercial facilities. For the rich – formal cities, for the poor – a malfunctioning informality. This unjust dualization cannot be considered to be associated with neoliberalization but with the replication of urbanistic practices inherited from apartheid and it is considered to stem from the difficulty of breaking with the colonial and apartheid periods: the 1923 Native Urban Areas Act prohibited commercial activities in townships (essentially for tax-related reasons).
Là encore, ces analyses impliquent un certain nombre de présupposés : la question foncière est envisagée en termes de géographie physique et de rareté de l'espace constructible (contraintes liés au site naturel et nécessité de protéger l'environnement qui renchérissent le prix des terrains constructibles) ; la spéculation foncière engendrée par les politiques de régénération urbaine n'est pas évoquée. Le rôle des pouvoirs publics est de piloter dans un système de marché foncier libre qu'on n'envisage pas de réformer et de contraindre. La planification à deux vitesses, quant à elle, peut aussi être lue comme une réponse pragmatique à l'injonction à construire à moindre coût pour les pauvres, un leitmotiv des politiques internationales en matière d'habitat dans les villes du Sud. Cela renvoie au débat bien connu sur l'impossible solvabilisation des pauvres dans un contexte de compétition internationale, où les politiques macro-économiques en matière de salaires sont influencées par la nécessité de maintenir la compétitivité internationale (voir par exemple Osmont 1995). En outre, comme les auteurs le rappellent, la dégradation du parc de logements dans les townships résulte en partie de la privatisation massive du parc public. Elle a été réalisée à marche forcée dans les années 1990 afin de promouvoir la propriété privée (on retrouve la figure de l'entrepreneur individuel qui doit prospérer s'il sait faire fructifier ce patrimoine) et de rééquilibrer les budget municipaux par un désengagement public (Morange 2006). Enfin, la tolérance envers l'informalité se comprend très bien dans un cadre néolibéral[9] : les emplois informels, notamment le commerce, jouent un rôle de soupape tolérée dans certaines parties de la ville (dans les quartiers pauvres), mais bannie dans les espaces vitrines (c'est le sens de la typologie spatiale de l'arrêté municipal de 2009 sur le commerce informel au Cap). La néolibéralisation n'est donc peut-être pas totalement étrangère à ces difficultés.
The more general inability to ensure the respect of city planning rules and municipal decrees in poor areas seems to reflect an unjust renunciation of their role by government authorities.
Dans ce cadre, le confinement spatial des pauvres dans des périphéries sous-équipées ne pose d'ailleurs pas tellement problème : il suffit de renvoyer aux individus la responsabilité de leur mobilité individuelle. Les injonctions néolibérales à la mobilité de travail, qui passent par les discours sur le droit à la mobilité et la responsabilisation individuelle des chômeurs, ne sont pas loin (voir par exemple Fol 2005 sur ce débat en France et en Amérique du Nord), avec ici une forte coloration interventionniste (amélioration des transports collectifs). De même, en termes d'équipements (de loisirs, de commerce) les discours publics mettent l'accent sur la mobilité et l'accessibilité par exemple du centre-ville où la régénération urbaine fabriquerait des « biens communs » (Dubresson 2008) : tout le monde aura accès au stade de Green Point, construit au centre-ville pour la coupe du monde de football de 2010, et il aurait été contre-productif économiquement de le construire à Athlone, quartier métis défavorisé. Tout dépend finalement de l'échelle à laquelle se pose la question de la justice et de quel droit l'on parle : échelle métropolitaine des opportunités d'emploi, d'accès aux équipements urbains, ou échelle locale de la qualité de vie liée à l'environnement immédiat.
In this case too, these analyses imply a certain number of presuppositions: the land issue has been envisaged in terms of physical geography and the scarcity of buildable land (constraints related to natural sites and the need to protect the environment that hike up the cost of buildable land). The real estate speculation engendered by urban regeneration policies is not mentioned. The authorities’ role is to steer the way in a free real estate market system that one does not envisage reforming or constraining in any way. As for two-tier planning, it too can be considered as a pragmatic response to the injunction of building at lower costs for the poor – a leitmotiv of international housing policies for cities of the South. This refers back to the well-known debate on how impossible it is to make the poor creditworthy within the context of international competition in which macro-economic wage policies are influenced by the need to maintain a level of international competitiveness (Osmont 1995). Moreover, as the authors have recalled, the deterioration of the housing stock in townships is partially the result of massive privatization of public real estate. This was fast-tracked in the 1990s in order to promote private ownership (we once again see the figure of individual entrepreneurs who must prosper if they know how to make their assets productive) and re-balance municipal budgets through public disengagement (Morange 2006). Finally, tolerance towards informality can be easily understood in a neoliberal framework[8]: informal employment, especially trade, plays the role of a safety valve that is tolerated in certain parts of the city (in poor neighbordhoods), but is prohibited in well-to-do areas (that is the significance of the spatial typology in the 2009 municipal decree on informal trade in Cape Town). Therefore, neoliberalization is perhaps not totally foreign to these difficulties.
Promouvoir des droits dans le cadre de la mondialisation économique et de la compétition mondialisée entre villes, limite donc forcément ces derniers. En fait, la question est de savoir si on envisage la pauvreté comme le résultat d'une mauvaise insertion dans la mondialisation néolibérale, ou d'une injonction à l'insertion forcée dans la mondialisation, et l'on retrouve ici la deuxième définition du néolibéralisme (voir supra). Dans la première perspective en revanche, si la Ville n'a pas les moyens financiers de mieux faire pour les quartiers pauvres, c'est qu'elle ne s'est pas assez bien positionnée dans la mondialisation. Pour améliorer cette situation, elle doit se montrer compétitive, ce qui contraint sa marge de manœuvre notamment en matière de dépenses. Il s'agit donc de trouver un « modèle de réduction de la pauvreté fondé sur la création d'emplois et la croissance économique » (p. 149). Le choix de mettre l'accent sur les villes comme espaces privilégiés de la croissance économique (conformément aux orientations de la Banque mondiale dans son rapport de 2009 sur le développement, voir Giraut 2009) revient à prendre acte du fait que l'État doit penser « un programme de transformation dans un contexte urbain suturé par la modernité capitaliste » (p. 158) et se mettre au service de ce projet. Cela renvoie à la tentative de concilier deux agendas, pro pauvres et pro croissance, dans un environnement mondialisé (Lemanski 2007). Ce point de vue est réaffirmé, et assumé en conclusion du texte : « se contenter de faire faire en sorte que la place des villes du Sud en tant que nœuds économiques dans le système mondialisé de commerce, de production et de consommation s'améliore ne va pas aider les pauvres de ces régions urbaines (city region). Mais ne pas réussir à faire en sorte que ces nœuds globaux émergeants fonctionnent pour tous leurs habitants peut entraver leur progrès global » (p. 159). On comprend l'importance accordé ici aux arguments comptables du « retour sur investissement, de calculs de rentabilité et coûts opérationnels et d'entretien à long terme » (p. 159), voire plus directement à la compétition : « ce niveau de changement institutionnel est essentiel si les villes du Sud doivent résister et être compétitives dans l'économie globale » (p. 151).
Within this framework, the spatial confinement of the poor to the peripheries with poor facilities does not pose much of a problem, in fact: all that is needed is to put the responsibility of their individual mobility back on their own shoulders. Neoliberal injunctions with regard to work-related mobility – through discourses on the right to mobility and the individual sense of responsibility of the unemployed – are not too far off (see, for instance, Fol 2005 concerning the same debate in France and North America), with a strong interventionist complexion here (improvement of public transport). Likewise, in terms of facilities (leisure, trade), public discourses emphasize mobility and accessibility to the city centre, for instance with urban regeneration creating « public goods » (Dubresson 2008): everyone will have access to the Green Point Stadium, built in the city centre for the 2010 Football World Cup, and it would have been economically counterproductive to build it in Athlone, a disadvantaged, mixed-race area. Finally, everything depends on the level at which the issue of justice is raised and the rights being referred to: the metropolitan level for employment opportunities and access to urban facilities, or the local level as regards the quality of life related to the immediate environment.
Promoting rights within the framework of economic globalization and globalized competition between cities is therefore necessarily limiting for the latter. In fact, the issue is to understand whether poverty is envisaged as the result of poor integration in neoliberal globalization or of an injunction forcing integration in globalization. This then brings us to the second definition of neoliberalism (see above). On the other hand, in the first perspective, if the City did not have the financial means to do better for its poor quarters, it was because it had not positioned itself well in globalization. To improve this state of affairs, it must show itself to be competitive, which would then limit its room for maneuver, especially with regard to expenditure. Therefore, the idea is to find « a sustainable model of urban poverty reduction based on job creation and economic growth » (p. 149). The choice of laying an emphasis on cities as preferred areas for economic growth (in accordance with the World Bank orientations in its 2009 report on development, see Giraut 2009) amounts to noting the fact that the State must come up with « a transformative agenda in an urban context sutured by capitalist modernity » (p. 158) and place itself at the service of this agenda. This boils down to an attempt at reconciling two agendas – pro-poor and pro-growth – in a globalized environment (Lemanski 2007). This point of view has been reconfirmed and accepted in the text’s conclusion: « Making cities of the South work better purely in terms of becoming economic nodes in the global systems of trade, production and consumption is not going to help the poor in those city regions. But failing to make these emerging global nodes work for all their residents may hinder their global progress » (p. 159). The importance given here to accounts-based arguments can be understood – « Return on investment cycles, calculations about affordability and long-term operational maintenance » (p. 159) and, even more directly, competition: « This level of institutional change in urban government is essential if cities of the South are to function resiliently and compete at all in a global economy » (p. 151).
3. Une reformulation du « droit à la ville » influencée par le contexte sud-africain
Le second aspect très stimulant de cet article est la manière dont il s'approprie la notion de « droit à la ville » qu'il emprunte à Henri Lefebvre pour produire un programme très éloigné de « l'utopie expérimentale » de ce dernier[10]. La référence au droit à la ville est assumée par des guillemets et l'usage du singulier (dans le titre), mais le nom de son auteur n'apparaît jamais. Les auteurs ne se revendiquent pas d'H. Lefebvre. Ils se réapproprient sa formule pour en faire une relecture personnelle et très originale.
3. A reformulation of the « right to the city » influenced by the South African context
Tout d'abord, la notion de droits est lue à travers un prisme libéral, déclinée au pluriel et souvent complétée : droit à la liberté de mouvement, aux services urbains, à un environnement sûr.... Il est question de droits pluriels (rights), légaux, économique et politiques qu'il faut faire respecter par un cadre réglementaire et juridique. Il ne s'agit plus du droit (au singulier) à la ville, comme droit pour les citadins à s'approprier la ville en « faisant œuvre » dans la « vie quotidienne ». Il s'agit de donner un contenu opérationnel à ce droit qui a une dimension plus ouverte et floue chez H. Lefebvre : « nous nous attachons surtout à définir les droits dont le sens découle de la planification de l'espace bâti et des politiques et interventions de gestion que nous appelons droits de deuxième et de troisième génération, ou 'droit à la ville' (p. 147) ». Ces droits pluriels sont lus en termes de lutte contre la pauvreté et de « réduction de la pauvreté » [11] et la notion de droit à la ville est mise au service d'une définition de l'État développemental.
The second, very thought-provoking aspect of this article is the way it appropriates the notion of the « right to the city », which it has borrowed from Henri Lefebvre so as to produce an agenda that is very far removed from the « experimental Utopia » dreamt up by the latter[9]. The reference to the right to the city is assumed by the use of inverted commas and the singular noun (in the title), but its author’s name never appears. The authors do not claim to be followers of H. Lefebvre. They reappropriate his expression and reinterpret it personally with great originality.
Cela donne lieu à une typologie fondée sur une périodisation de l'évolution du contenu des 'droits' dans les agendas internationaux, depuis les années 1950 :
First of all, the notion of rights is interpreted through a liberal prism, translated to the plural and often added to: right to freedom of movement, to urban services, a secure environment, etc. Rights are referred to in the plural: legal, economic and political rights whose respect must be ensured by a regulatory and legal framework. No longer is it the right (in the singular) to the city, but more the citizens’ right to take ownership of the city by « making efforts » in « daily life ». The aim is to give this right an operational content, though it has a more open and vague dimension in H. Lefebvre’s works: « We give particular emphasis to defining those rights whose meanings arise from settlement planning or management-based policies and interventions, what we call 2nd and 3rd generation rights or ‘the right to the city’ (p. 147) ». These rights, in the plural, are interpreted in terms of the fight against poverty and « poverty reduction »[10] and the notion of the right to the city is placed at the service of a definition of the developmental State.
- 1ère génération de droits : les droits politiques, sociaux et économiques sont individuels ; c'est l'ère de « l'État providence » qui promeut des politiques éducatives, de santé ...
This leads to a typology based on the periodization of the development of the contents of these ‘rights’ in international agendas, since the 1950s:
- 2ème génération : les droits sont pensés à l'échelle des ménages et des quartiers ; c'est l'ère des « besoins fondamentaux » (eau, logement, électricité...), de la lutte contre l'informalité et la pauvreté en ville, des Objectifs du Millénaire pour le Développement.
– 1st generation rights: Political, social and economic rights seen as individual rights; it was the era of the « welfare State », which promoted educational, health and other related policies.
- 3ème génération : les droits doivent être pensés à l'échelle métropolitaine et dépasser le registre des services urbains ; il faut penser la sécurité, la mobilité, l'environnement urbain au sens large, les transports, l'espace public...
– 2nd generation rights: Rights seen at household and district level; it was the era of « fundamental needs » (water, housing, electricity, etc.), the fight against informality and poverty in cities, the Millennium Development Goals.
- 4ème génération : les citadins sont libérés de la menace et des risques de guerre, de volatilité économique, de changement climatique ; le contenu des droits de 3ème génération s'élargit.
– 3rd generation rights: Rights viewed at the metropolitan scale, transcending the sphere of urban services; security, mobility, the urban environment in the broader sense, transportation, public areas, etc. were to be considered.
Les générations 3 et 4 sont des horizons à atteindre. Elles empruntent au registre du développement durable et de la justice environnementale. Cette typologie s'inscrit implicitement dans le cadre du débat international sur le développement qui a émergé dans l'après guerre (et surtout les années 1970, autour du développement humain) mais elle est aussi influencée par le contexte plus spécifiquement sud-africain où des éléments sont utiles à expliciter :
– 4th generation rights: City-dwellers were to be freed of the threat and risk of war, economic volatility and climate change; the contents of the 3rd generation rights expanded.
- La lutte pour les droits politiques a été essentielle sous l'apartheid, comme en témoignent quelques slogans restés célèbres (« one man, one vote »), même si les revendications économiques étaient importantes et influencées par une lecture marxiste de l'apartheid comme système capitaliste d'exploitation. En 1991, l'attention s'est concentrée sur la démocratisation (la joie patiente des longues files d'attente des élections de 1994, après les images de quasi guerre civile, a été soigneusement mise en scène). La revendication politique était consensuelle et évitait d'exposer les tensions internes à l'ANC et à l'accord tripartite entre ANC, Parti communiste et COSATU (la confédération des syndicats sud-africains) sur les orientations économiques. Vingt ans plus tard, les droits politiques étant considérés comme acquis, le débat porte sur la capacité à élaborer un agenda plus nuancé de droits pluriels. L'enjeu économique, un temps occulté, resurgit et la critique contre la dérive néolibérale se fait plus vive. Ces quatre générations de droit se succèdent donc sans se substituer les unes aux autres. L'impression est celle d'un empilement et d'un déplacement progressif : les droits économiques et sociaux doivent venir compléter les droits politiques.
The 3rd and 4th generations are goals yet to be achieved. They borrow from the spheres of sustainable development and environmental justice. This typology implicitly falls within the framework of the international debate on development that emerged in the post-war period (and above all, the 1970s, around the notion of human development), but it too was influenced by the more specifically South African context, of which it would be useful to explain some aspects:
- Le texte s'appuie sur une lecture classique du développement, linéaire et progressiste, réfutant les attaques post-modernes de J. Ferguson et A. Escobar contre la mythologie développementaliste (p. 153). Il propose un programme développemental dont le but est de déboucher notamment sur la croissance, implicitement au service du développement humain (« developmental outcomes such as growth », p. 158). Il ne débat pas des limites de cette conception du développement qui a par ailleurs été critiquée et historicisée (Rist 1996). Il faut accepter cette perspective pour entrer dans ce texte. Elle est au demeurant assumée par les auteurs et conforme à leur ancrage dans les débats politiques sud-africains marqués par le désir d'inventer un modèle de développement inédit, fondé sur l'idée d'une exceptionnalité sud-africaine, et pourquoi pas exportable.
– The fight for political rights was fundamental under the apartheid regime, as testified to by some of its more well-known slogans (e.g. « one man, one vote »), although economic demands were important and influenced by a Marxist interpretation of apartheid as an exploitative capitalist system. In 1991, attention focused on democratization (the patient joy of long waiting lines during the 1994 elections, after almost civil war-like images, was carefully staged). The political claim was consensual and avoiding exposing the internal tensions within the ANC and the tripartite agreement between the ANC, the Communist Party and COSATU (the Confederation of South African Trade Unions) with regard to economic orientations. Twenty years later, as political rights were deemed attained, the debate turned towards the ability to draft a more nuanced agenda of multiple rights. Economic issues, overshadowed for some time, re-emerged and criticism of the neoliberal shift strengthened. These four generations of rights therefore followed one upon the other without replacing each other. The impression given is that of them gradually stacking up and being displaced: economic and social rights were later added to political rights.
- La spatialisation du débat (le glissement des droits de l'individu / ménages aux droits 'des quartiers') reflète la montée des pouvoirs locaux dans les questions de développement, mouvement lié à la décentralisation. La Constitution de 1996 a constitué les Villes en sphère de gouvernement autonome (avec l'État et les Provinces). L'intégration métropolitaine est perçue comme un processus historique juste. Il en découle une grande confiance dans la capacité de l'échelon métropolitain à servir le bien commun et à dépasser les égoïsmes intra-urbains.
– The text is based on a classical interpretation of development – linear and progressive – refuting J. Ferguson and A. Escobar’s post-modern attacks on developmentalist mythology (p. 153). It proposes a developmental agenda whose purpose is to lead, in particular, to growth and, implicitly, at the service of human development (« developmental outcomes such as growth », p. 158). It does not discuss the limitations of this conception of development, which has, in fact, been criticized and historicized (Rist, 1996). This perspective has to be accepted to be able to broach the text. In fact, it is assumed by the authors and is in line with their being rooted in South Africa’s political debates, marked by the desire to invent a totally new development model, based on the idea of the exceptional nature of South Africa – one that could perhaps even be exported.
- La non réalisation de ces droits semble relever avant tout de la faiblesse institutionnelle (« weak state », p. 150) de cadres institutionnels et politiques posés comme bons. Cette faiblesse serait liée au contexte post-colonial sud-africain, « où les gouvernements locaux et provinciaux sont des constructions plutôt récentes aux capacités fiscales et humaines limitées et aux systèmes administratifs incomplets » (p. 150). Les villes du Nord servent de contre modèle, avec leurs capacités fortes de contrôle, de mesure statistique, d'encadrement politique... où les conditions seraient réunies pour que la justice soit réalisée. L'État local sud-africain est en partie exonéré de son incapacité à fournir les services aux pauvres du fait de sa jeunesse, ce dont n'est pas l'État au Nord.
– The debate’s spatialization (the shift from individual/household rights to ‘district’ rights) reflects the strengthening of local authorities in terms of their say in development issues – a movement linked to decentralization. The 1996 Constitution established Cities within the sphere of autonomous government (along with the State and Provinces). The incorporation of cities is perceived as a fair historical process. It results in considerable faith in the capacity of the metropolitan level to serve the public good and transcend any intra-urban egoism.
Cette perspective est très éloignée de la teneur révolutionnaire du texte rédigé par H. Lefebvre en 1967, à quelques mois des événements de mai en France, et de l'idée d'une prise de pouvoir sur l'urbain par les citadins en général et par la classe ouvrière en particulier. Ici, l'horizon révolutionnaire n'est évoqué que de manière métaphorique (p. 151) : une « révolution institutionnelle dans la ville ». La « rupture paradigmatique » que les auteurs appellent de leurs vœux (p. 151) se fonde sur une conception réformiste du droit à la ville, comme projet de régulation du capitalisme. Cette posture est très clairement assumée : « il est important de clarifier que nous croyons que les réformes régulatrices peuvent jouer un rôle dans un projet radical plus vaste » (p. 158). Les auteurs évoquent des droits collectifs (p. 149) dont l'élément fédérateur, que ce soit le quartier ou une identité socio-économique (les pauvres en tant que groupe social), n'est pas une identité de classe élaborée dans un rapport de forces avec le dominant. Ils ne font pas une lecture marxiste de la « production de l'espace » (valorisant la valeur d'usage de l'espace urbain contre sa valeur d'échange, prioritaire dans la production capitaliste de l'espace) et ne se situent pas dans le champ de la géographie du pouvoir. Il n'y a pas de rapports de forces dans la ville qu'ils nous décrivent, pas d'effets de domination et d'exploitation. Juste des politiques urbaines qui fonctionnent ou dysfonctionnent. Les tensions entre intérêts économiques contraires sont peu visibles. Le droit à la ville émergera d'une collaboration entre partis, opposée explicitement à l'égoïsme des partenariats public-privé (p. 158), sans que les modalités de ces arbitrages soient explicitées, ce qui n'est bien sûr pas l'objet du texte.
– The reason these rights were not attained seems to lie above all in the institutional weakness (« weak state », p. 150) of institutional and political frameworks postulated as being good. This weakness is presented as being linked to South Africa’s post-colonial context: « Obvious in post-colonial contexts where local and provincial governments are rather belated constructions, with limited fiscal and human capacity and with incomplete administrative systems » (p. 150). Cities of the North serve as a counter-model, with their strong capacities in terms of control, statistical measurement, political supervision, etc., where the necessary conditions to ensure that justice is achieved are available. At local level, the State in South Africa is partially exonerated for its inability to provide services to the poor due to its relative youth, which the State in the North is not.
Dans ce projet, le changement est porté par l'État, alors qu'H. Lefebvre se fonde sur une critique radicale de l'urbanisme officiel des années 1960. Il dénonce les ravages de l'urbanisme fonctionnaliste, bureaucratique aliénant et déshumanisant, la charte d'Athènes, et une certaine action étatique sur la ville qui nie « l'urbanité », la capacité d'appropriation de l'espace et du temps de la vie urbaine, et renvoie à l'aliénation de la vie moderne, notamment pour la classe ouvrière reléguée dans les périphéries urbaines. H. Lefebvre est radicalement méfiant par rapport à la planification urbaine et l'idée de ville planifiée qui est ici défendue. Il n'est jamais question d'équité, d'équilibre, de redistribution chez lui, mais d'un droit politique qui n'a rien à voir avec les institutions ou l'État, et évidemment encore moins avec la gouvernance, terme anachronique en 1967.
This perspective is far removed from the revolutionary content of the text drafted by H. Lefebvre in 1967, just a few months before the May events in France, and the idea of the citizens in general and the working class in particular taking over urban issues. Here, revolutionary horizons have only been mentioned in metaphorical terms (p. 151): an « institutional revolution in the city ». The « paradigmatic shift » that they are hoping and praying for (p. 151) is based on a reformist conception of the right to the city, as a project for the regulation of capitalism. This posture has clearly been accepted: « At this point it is important to clarify our confidence in the role that regulatory reform can play as an element in a larger radical project » (p. 158). The authors speak of collective rights (p. 149) whose unifying factor – whether it is a neighborhood or a socio-economic identity (the poor as a social group) – is not a class identity formulated within the framework of a power struggle with the dominant class. They did not indulge in a Marxist interpretation of « the production of space » (promoting the value of the use of urban space as against its exchange value, which is a priority in the capitalist production of space) and did not position themselves in the field of power geography. They have not referred to any power struggle in the city, nor mentioned any effects of dominance and exploitation. Just urban policies that work or do not work. Tensions between opposing economic interests are hardly visible. The right to the city would emerge from collaboration between parties, explicitly opposed to the egoism of public-private partnerships (p. 158), without a clear explanation of the modalities of these arbitrations, which of course is not the subject of the article.
S. Parnell et E. Pieterse se livrent finalement à une translation de l'agenda universaliste des OMD à l'échelle locale, à travers une relecture du droit à la ville qui en fait finalement avant tout une affaire d'État, ce qui est très original. Leur radicalisme relève d'un humanisme universaliste (le terme est revendiqué à plusieurs reprises) très volontariste, qui emprunte à un style onusien, et qui se dit lui-même, non pas radical, mais « plus radical » (« more radical », p. 146, 147, 158). Ils défendent une « plateforme morale » (p. 147) plus qu'un programme radical au sens littéral (de critique systémique et retour aux racines des problèmes). Ils revalorisent le rôle régulateur de l'État, souvent perçu comme faible dans les PED, et contre l'idée que les pauvres doivent s'aider eux-mêmes. Ce tournant accompagne une certaine littérature internationale (les auteurs citent un rapport de 2000 de la Banque mondiale en ce sens).
In this project, change is operated by the State, whereas H. Lefebvre based his views on a radical criticism of official city planning in the 1960s. He denounced the havoc caused by functionalist and bureaucratic city planning, which was alienating and dehumanizing, the Athens charter and certain State action with regard to cities that repudiated « urbanity », the capacity to appropriate the space and time of city life, and referred to the alienation caused by modern life, particularly for the working class, which was relegated to urban peripheries. H. Lefebvre was radically wary of city planning and the idea of planned cities that is being defended here. Equity, balance and redistribution are never questioned by him; rather, he speaks of a political right that has nothing to do with institutions or the State – and obviously even less with governance, an anachronistic term in 1967.
Ce positionnement postnéolibéral en faveur de l'interventionnisme public étatique et régulateur a été popularisé par la crise du capitalisme financier survenue en 2008, et c'est une piste explorée par certains mouvements politiques de gauche, ou une possibilité contestée par certains géographes radicaux (Peck et al., 2010). Cette restauration de la légitimité de l'État est pensée comme permettant de fonder un programme anti-néolibéral, si l'on comprend le néolibéralisme étroitement, comme synonyme de retrait (même partiel) de l'État. Là encore, dans une lecture néolibérale, on objecterait peut-être qu'un gouvernement métropolitain puissant peut avoir un agenda néolibéral : par exemple, l'agenda créatif et entrepreneurial du Grand Paris ou du Cap. Que l'échelle métropolitaine est aussi choisie au nom du régionalisme compétitif, pour des raisons de positionnement dans la mondialisation et non de redistribution (ou plutôt, pour les deux raisons, dans des proportions et selon des articulations qui doivent être explicitées dans chaque contexte local). Que c'est bien dans un certain Nord que le néolibéralisme est le plus marqué à l'échelle locale, peut-être du fait justement de l'existence de fortes capacités de contrôle (le « roll out » a été efficace).
Finally, S. Parnell and E. Pieterse proceed to translate the MDGs’ universalist agenda to the local scale, through a re-interpretation of the right to the city, which is finally above all the State’s business, which is very original. Their radicalism stems from a highly voluntarist and universalist humanism (a term they several times lay claim to), which seems inspired by the UN’s style, and which they characterize not as radical, but as « more radical » (p. 146, 147, 158). They endorse a « moral platform » (p. 147) rather than a radical agenda in the literal sense (one of systemic criticism and of going back to the roots of problems). They reassert the value of the State’s regulatory role, often perceived as weak in DCs, against the idea of self-help by the poor. This change in tack goes hand in hand with a certain international literature (the authors quote a 2000 World Bank report in this regard).
This postneoliberal stand in favor of regulatory State interventionism was popularized by the financial capitalism crisis that occurred in 2008, and was an option explored by certain leftist political movements, or was disputed by certain radical geographers (Peck et al., 2010). The restoration of State legitimacy has been viewed as something that would make it possible to establish an anti-neoliberal agenda, if neoliberalism is seen in its narrowest terms, as being synonymous with the withdrawal (even if partial) of the State. Here too, as part of a neoliberal perspective, one should bear in mind and consider that a powerful metropolitan government may have a neoliberal agenda: for example, the creative and entrepreneurial Greater Paris or Cape Town agenda. And that the metropolitan level has also been selected in the name of competitive regionalism for reasons of positioning in globalization and not of redistribution (or rather, for both reasons in proportions and according to the interactions that must be explained in each local context). And finally, the fact that it is actually in a certain North that neoliberalism is the most marked at the local level, perhaps actually because of the existence of high control capacities (the « roll out » was effective).
4. Perspectives
Quoi qu'il en soit, ce texte lance deux défis très stimulants à la géographie radicale :
4. Perspectives
1. Approfondir certaines analyses théoriques de la néolibéralisation
Be that as it may, this article sets two highly stimulating challenges before radical geography:
Par exemple, le lien entre réforme néolibérale de l'appareil d'État (« roll out ») et faiblesse / force des institutions publiques reste à explorer plus avant, et dans des contextes variés, car il n'est pas mécanique. La disparité Nord-sud est ici d'un intérêt crucial, du fait des contraintes financières et institutionnels propres aux villes du Sud. Le cas sud-africain en particulier, à mi-chemin entre capacité et impuissance politique, permet de penser la néolibéralisation en termes de marges de manœuvre politique en replaçant en effet l'État au cœur des analyses et d'une certaine manière face à ses responsabilités. Les capacités d'encadrement de l'État sud-africain sont importantes par rapport au reste du continent et il existe dans ces villes une vigoureuse tradition d'aménagement et de planification urbaine, comme l'ont démontré les décennies d'apartheid (1948 - 1991).
1. The need for an in-depth study of certain theoretical analyses of neoliberalization
Ce texte pose aussi la difficile question de l'intentionnalité politique. David Harvey soulevait déjà ce problème à propos de la ville entrepreneuriale, sans le résoudre (1989). Les dispositifs institutionnels de la gouvernance locale ne sont en effet jamais homogènes, ni acquis en tant que tels au néolibéralisme, pas plus que ne le sont les gouvernements locaux (les auteurs font référence à Larner et Leitner sur ce point, p. 157). Les injustices ne sont donc pas simplement liées à un décalage cynique entre discours et pratiques. S. Parnell et E. Pieterse rappellent à juste titre combien les discours sur la justice sont clairs et constants au Cap, notamment dans la Indigent Policy de 2002 et la Economic and Human Development Strategy de 2006 (voir Parnell et Boulle 2008). Ils soulignent « l'engagement de toutes les sphères de gouvernements » en ce sens (p. 151). Le décalage entre discours et pratiques serait dû, selon eux, à la manière dont sont exercés l'arbitrage politique et le pouvoir. Il s'agirait d'exploiter les espaces de tension entre les points de vue des différents acteurs pour promouvoir plus de justice (on pourrait même trouver là une définition de la démocratie participative). En tous cas, l'examen des modalités d'arbitrage et des tensions est certainement central pour comprendre les processus de néolibéralisation, ce qui de fait est rarement étudié.
For example, the linkages between neoliberal reforms of the State mechanism (« roll out ») and the weakness/strength of public institutions still need to be examined in greater depth first and in varied contexts, because they are not mechanical. The North-South disparity here is of crucial importance because of financial and institutional constraints specific to the cities of the South. The South African case in particular – mid-way between political ability and powerlessness – makes it possible to consider neoliberalization in terms of political room for maneuver, in fact by re-placing the State at the heart of analyses and, in a way, faced with its responsibilities. The South African State’s supervisory capacities are considerable as compared to the rest of the continent and its cities enjoy a strong tradition of urban development and planning as shown by decades of apartheid (1948 – 1991).
Enfin, reste à apprécier dans quelle mesure les arbitrages qui sont effectués remettent ou non en cause la rationalité néolibérale. La néolibéralisation par exemple ne nie pas les droits essentiels discutés dans cet article. Elle prétend les servir en garantissant que par 'ruissellement' (trickle down) la croissance bénéficiera à tous les citadins, à condition d'en passer par la case compétitivité. Cette adaptabilité (ou flexibilité) de la rationalité néolibérale peut être considérée comme une des forces structurelles du néolibéralisme, qui a été théorisée sous la forme de la « variegation » (Brenner et al. 2010) comme fondement même de sa stabilité, ou bien comme une plasticité nécessaire à des ajustements sociaux (la troisième voie), selon la perspective. La question du contenu et des modes de diffusion de la rationalité néolibérale demeure donc entière. Or cette rationalité est par définition diffuse, forcément non univoque, mêlée de biens d'autres éléments et de contradiction internes, et elle n'est pas fondée sur une intention nuisible ou un discours politique assumé. Si M. Foucault parle de rationalité c'est bien pour désigner une réalité évanescente, diffuse et difficile à cerner. La difficulté à la repérer ne signifie cependant pas qu'elle n'existe pas. Mais s'il est possible de disséquer un discours construit, il est plus difficile d'analyser les manifestations de la gouvernementalité. On retrouve ici le champ des conduites de soi (par opposition avec la domination idéologique et politique directement répressive ou contraignante). Cela pose des problèmes méthodologiques : d'articulation entre collectif et individuel, entre discours et pratiques, voire entre conscient et non-conscient, et de théorisation du pouvoir (entre fluidité et domination concrète et matérielle assise sur le contrôle médiatique, la puissance économique, la domination académique ...). Ce texte nous invite donc à penser l'utilité et les limites d'une approche des politiques urbaines en termes foucaldiens et à réfléchir à son caractère opérationnel en géographie, ainsi qu'à la pertinence de sa translation à l'échelle urbaine.
This article also raises the difficult question of political intentionality. David Harvey already raised this issue with regard to the entrepreneurial city without actually resolving the problem (1989). In fact, local governance institutional mechanisms are never homogenous nor accepted as such in neoliberalism, any more than local governments are (the authors refer to Larner and Leitner with regard to this point, p. 157). Hence, injustices are not merely related to a cynical gap between discourses and practices. S. Parnell and E. Pieterse very rightly recall how much the discourse on justice has been clear and constant in Cape Town, especially in the 2002 Indigent Policy and the 2006 Economic and Human Development Strategy (see Parnell and Boulle 2008). They underline the importance of « commitment from all spheres of government » in this regard (p. 151). The gap between the discourse and practices would therefore be due to the manner in which political arbitration and power is exerted, according to them. The idea would be to examine the areas of tension between the points of view of different actors to promote greater justice (in fact, a definition of participatory democracy could even perhaps be found in this way). In any case, an examination of arbitration modalities and tensions is definitely central to any understanding of neoliberalization processes, something that is rarely studied, as a matter of fact.
McDonald et Smith (2004) ont tenté cet exercice (quoiqu'ils ne se réfèrent pas explicitement à M. Foucault, contrairement à V. Watson qui de la même manière a mené un très éclairant travail sur les soubresauts et le destin de la planification spatiale au Cap dans les années 1990 en s'inspirant de Foucault). Ils ont traqué la diffusion de valeurs néolibérales au Cap, à travers une enquête qualitative menée auprès des personnels techniques de la Ville chargés des services urbains. Ils décrivent un « cercle d'auto renforcement des discours et pratiques néolibéraux » qu'ils recherchent à plusieurs échelons de gouvernement. Ces approches offrent des pistes très fructueuses mais posent autant de problèmes : pourquoi se confiner à la sphère publique, comment envisager les articulations d'échelles, quels indicateurs du néolibéralisme retenir quand le terme fait tellement problème, comment dépasser une approche sectorielle (seulement les services), comment penser la pluridisciplinarité forcément nécessaire à ces analyses ... ? Des travaux se penchent désormais sur le rôle de la participation démocratique dans cet exercice de pouvoir (voir par exemple, dans le même symposium de IJURR, l'article de Blakeley 2010 sur la gouvernementalité néolibérale à Barcelone et Manchester, ou Morange sur la participation démocratique et le contrôle néolibéral du commerce informel au Cap - à paraître). A l'échelle urbaine, la participation est sans doute un canal évident de diffusion de cette rationalité, mais sans doute pas le seul. Cela revient à penser une géographie du pouvoir dans la ville qui dépasse le registre de la confrontation politique directe et visible, tout en l'englobant.
Finally, we still need to assess to what extent the arbitration carried out would call the neoliberal rationality into question, if at all. For instance, neoliberalization does not deny the fundamental rights discussed in this article. It claims to serve these rights by guaranteeing that growth would reach all citizens through the trickle down effect, as long as competitiveness is assured. This adaptability (or flexibility) of neoliberal rationality may be considered as one of neoliberalism’s structural strengths, which has been theorized in the form of « variegation » (Brenner et al. 2010), as the very basis for its stability, or else as the necessary plasticity for social adjustments (the Third Way), depending on the perspective. The question of the neoliberal rationale’s content and modes of dissemination therefore remains unchanged. However, the rationale is by definition vague, necessarily unequivocal, mixed with several other elements and internal contradictions, and is not based on any harmful intention or assumed political discourse. If M. Foucault speaks of rationality, it is obviously to designate an evanescent reality – diffuse and difficult to work out. The difficulty in identifying it does not, however, mean that it does not exist. But while it may be possible to dissect a « constructed » discourse, it is more difficult to analyze manifestations of governmentality. Here, we once again come across self-led behavior (as compared to directly repressive or restrictive ideological and political domination). This raises methodological problems concerning the interconnections between the collective and the individual, discourse and practices, and even between the conscious and non-conscious, and the theorization of power (between fluidity and concrete and physical domination based on media control, economic power, academic domination, etc.). Hence, this text invites us to think about the utility and limitations of an urban policy approach in Foucauldian terms and to reflect on its geographical operational nature as well as the relevance of its expression at the urban scale.
2. Relever un défi politique
McDonald and Smith (2004) have tried out this exercise (although they do not refer explicitly to M. Foucault, unlike V. Watson, who in the same way did very edifying work on the ups-and-downs and destiny of spatial planning in Cape Town in the 1990s, as inspired by Foucault). They traced the dissemination of neoliberal values in Cape Town, through a qualitative survey of the City’s technical staff in charge of urban services. They describe a « self-reinforcing loop of neo-liberal discourse and practice » which they sought at different levels of government. These approaches offer very fruitful openings while simultaneously raising just as many problems: why be confined to the public sphere, how can the interconnections between the various levels be envisaged, what neoliberalism indicators should be selected when the term itself raises so many problems, how can the sectoral approach be transcended (only services), how can multi-disciplinarity be incorporated, since it is so necessary for such analyses, etc.? Studies then focused on the role of democratic participation in this exercise of power (for instance, in the same IJURR symposium, see the article by Blakeley 2010 on neoliberal governmentality in Barcelona and Manchester, or Morange on democratic participation and the neoliberal control of informal trade in Cape Town – to be published). At the urban level, participation is undoubtedly an obvious channel for the dissemination of the neoliberal rationale, but undoubtedly not the only one. And that leads us to think about a geography or power in the city that transcends the level of direct and visible political confrontation, while also embracing it.
Enfin, comme le disent très bien S. Parnell et E. Pieterse, ce programme de déchiffrement critique (tel que mené de manière systématique par exemple dans un autre contexte par Boltanski et Chiapello, 1999) peut être utile. Mais il ne permet pas nécessairement de dépasser le néolibéralisme en termes de projet politique. M. Foucault a formalisé l'incapacité de la gauche française à proposer une forme de contre rationalité au néolibéralisme, non pas tant en terme de contenu des programmes politiques (de redistribution, social...), que de raison d'être au monde. On imagine que pour lui, un programme de redistribution, d'atténuation des inégalités de services urbains, ou d'amélioration de l'environnement urbain, quel qu'urgent qu'il soit, ne suffirait pas à refonder un projet politique susceptible d'abattre la « raison néolibérale ». De ce point de vue, il s'accorderait peut-être avec S. Parnell et E. Pieterse sur la critique des mouvements sociaux sud-africains, mais pour d'autres raisons.
2. Taking up a political challenge
Le problème qui se pose à la géographie radicale est donc double : doit-on obligatoirement passer par cette étape de déconstruction pour entreprendre une contre construction ? Peut-on s'engager dans la construction d'une contre rationalité, sans avoir cerné, au préalable, le fonctionnement de la rationalité dominante ? La question, en somme, est de savoir si l'absence de contre rationalité provient ou non (en partie ou totalement) de la faiblesse de notre appareil critique. Cette déconstruction, même si elle est nécessaire, est-elle suffisante ? Le précieux et très ambitieux travail de déplacement auquel se livre ce texte montre bien à quel point la vigilance contre la naturalisation de certaines valeurs et manières de penser la ville juste est difficile. Les auteurs le disent eux-mêmes : « mettre en place un programme de droits à l'échelle locale nécessite d'entreprendre une critique radicale des instruments et des valeurs du gouvernement local » (p. 159), et bien sûr, au-delà, des valeur intégrées par tous les citadins.
Finally, as S. Parnell and E. Pieterse put it so well, this critical decoding program (as conducted systematically, for example in another context by Boltanski and Chiapello, 1999) can be useful. But it does not necessarily make it possible to go beyond neoliberalism in terms of a political project. M. Foucault formalized the French Left’s inability to propose any form of counter-rationale to neoliberalism, not so much in terms of the content of political programs (redistribution, social, etc.), but in terms of a raison d’être in the world. It may be imagined that for him, a program aimed at redistribution, the mitigation of inequalities in urban services, or the improvement of the urban environment, however urgent it may be, does not suffice to re-establish a political project likely to knock « neoliberal reasoning » down. From this point of view, he would perhaps agree with S. Parnell and E. Pieterse on the critique of South Africa’s social movements, although for other reasons.
Comment, dans ce cas, ne pas perdre de vue le but fondamental de tout projet radical : la transformation du monde ? En se positionnant très explicitement dans le cadre d'un projet progressiste qui vise à transformer la ville, S. Parnell et E. Pieterse reviennent à cette intention initiale et ambitieuse. Il n'est pas certain que les analyses critiques du néolibéralisme n'aient pas, quant à elles, abdiqué la volonté de transformation. Cela pose la question de l'engagement politique des chercheurs, mais surtout des formes de leur engagement. La dénonciation de systèmes oppressifs permet, dans une certaine mesure, de se barricader dans une analyse critique détachée des enjeux immédiats et si nous nous sommes parfois tentée à l'exercice ici, nous en reconnaissons avec eux les limites. A l'inverse, ne pas considérer les reproductions structurelles de formes de domination qui limitent le réformisme, c'est courir tous les risques liés au pragmatisme et auto limiter son registre dans le champ réformiste.
The problem in terms of radical geography is therefore twofold: Must we go through this stage of de-construction to undertake counter-construction? Can we develop a counter-rationale without first determining the functioning of the predominant rationale? The question, in short, is of knowing whether or not (partially or totally) the absence of a counter-rationale emerges from the weakness of our critical machinery. But is such a de-construction, even if it is necessary, sufficient? The highly ambitious and valuable work of displacement that this article undertakes shows to what extent vigilance against the naturalization of some of the values and manners of envisaging a just city is difficult. The authors themselves said it: « Implementing a rights-based agenda at the subnational scale necessitates a radical critique of the instruments as well as values of the local state » (p. 159), and, of course, beyond all that, values ingrained in all the citizens.
Reste que formuler une contre rationalité en s'inspirant de cadres théoriques élaborés dans d'autres temps pose problème. Les programmes du droit à la ville et de la gouvernementalité foucaldienne ont été pensés à un moment où les mobilisations politiques avaient une autre ampleur et prenaient d'autres formes. Cela impose un effort de remise en perspective de ces apports théoriques par rapport aux enjeux actuels, et notamment de prendre nos distances par rapport à la notion de « droit à la ville » en la relisant au prisme des réalités actuelles, comme le font ici de manière très stimulante S. Parnell et E. Pieterse. Les géographies critique ou radicale devront certainement à l'avenir poursuivent ces débats.
In such a case, how can we not lose sight of the fundamental aim of all radical agendas: the transformation of the world? By positioning themselves very explicitly within the framework of a progressive project that seeks to transform the city, S. Parnell and E. Pieterse return to this initial and ambitious intention. Whether or not the critical analyses of neoliberalism have abdicated the desire for transformation is far from certain. This raises the issue of the political commitment of research scholars, but above all the forms of their commitment. The denunciation of oppressive systems enables them, to some extent, to barricade themselves within a critical analysis that is detached from immediate issues, and while we may sometimes be tempted to do just that here, we do acknowledge its limitations, along with them. Conversely, failing to consider the structural reproductions of different forms of domination that limit reformism means running the risks related to pragmatism and confining oneself to one’s own limits in the reformist field.
Finally, formulating a counter-rationale by drawing inspiration from theoretical frameworks developed at other times raises a problem. Right to the city and Foucauldian governmentality agendas were developed at a time when political mobilizations had another dimension and took on other forms. That calls for re-placing these theoretical contributions in perspective in terms of current issues and, particularly, distancing oneself from the notion of the « right to the city » by taking a look at all it through the prism of current realities, as S. Parnell and E. Pieterse have done in a truly inspiring way. Critical or radical geographies will undoubtedly have to continue these discussions in the future.
1. Local governance and participation under neoliberalism: comparative perspectives. [toutes les traductions sont de nous ; les citations originales sont disponibles dans la version anglaise]
[NOTES]
2. Résultat d'un séminaire de recherche international sur la gouvernance urbaine, les services publics et la participation, organisé en mars 2007 par le Local Governance Research Unit de l'Université De Montfort et le Local Government Centre, Warwick University.
3. Parnell S., Pieterse E., 2010, The 'Right to the City': Institutional imperatives of a developmental state, International Journal of Urban and Regional Research, vol. 34, n°1, p. 146-162.
1. Outcome of an international research seminar on urban governance, public services and participation, held in March 2007 by the Local Governance Research Unit of Montfort University and the Local Government Centre, Warwick University.
4. African National Congress, le parti de la libération. Voir sa plateforme électorale lors des premières élections démocratiques de 1994, le Reconstruction and Development Programme, RDP, inspiré de la charte de la liberté de 1955.
2. Parnell S., Pieterse E., 2010, The ‘Right to the City’: Institutional imperatives of a developmental state, International Journal of Urban and Regional Research, vol. 34, no. 1, p. 146-162.
5. L'article ne revient pas en détail sur leur description mais renvoie par exemple aux analyses de Seekings et Natrass.
3. African National Congress, the freedom party. See its electoral manifesto during the first democratic elections in 1994, the Reconstruction and Development Program, RDP, inspired by the 1955 freedom charter.
6. Fondé en 2007, ce réseau interdisciplinaire de chercheurs basé à l'Université du Cap promeut la recherche fondamentale et les échanges entre le monde académique et les milieux politiques et administratifs au Cap.
4. The article does not give a detailed description of these but refers, for example, to the analyses by Seekings and Natrass.
7. La question est discutée plus avant par S. Parnell et J. Robinson (2010) dans un article où elles affirment que parler de néolibéralisme ne permet pas de rendre compte de la totalité, ni même de la majorité, des dynamiques urbaines sud-africaines. Ce qui est contesté, c'est la mobilisation univoque et systématique d'un cadre théorique conçu au Nord et en référence aux villes du Nord pour interpréter l'évolution des politiques urbaines post-apartheid dans un contexte où l'État est fort.
5. Established in 2007, this inter-disciplinary network of research scholars based in Cape Town University proposes fundamental research and discussions between the academic world and the political and administrative spheres in Cape Town.
8. Premier Directeur de la London Docklands Development Corporation chargée de la régénération des docks de Londres au début des années 1980.
6. The issue is discussed earlier by S. Parnell and J. Robinson (2010) in an article in which they affirm that speaking of neoliberalism does not allow us to understand the totality, nor even the majority, of the South African urban dynamics. What has been contested here is the univocal and systematic mobilization of a theoretical framework conceived in the North and related to the cities of the North, to interpret the changes of post-apartheid urban policies in a context in which the State is strong.
9. La figure du petit entrepreneur individuel local est même très valorisée et il existe des politiques locales de soutien à la « seconde économie » même si cette dernière est appelée à s'intégrer progressivement dans la « première économie », conformément à un discours national.
7. First Director of the London Docklands Development Corporation in charge of the regeneration of the London docks in early 1980s.
10. La référence à la dimension utopique n'est pas utilisée ici, comme elle a pu l'être dans un autre article plus ancien au contenu proche (voir Parnell et Boulle 2008).
8. The figure of the small, individual, local entrepreneur is even highly promoted and there are local policies that aim at supporting the « second economy », although the latter is destined to gradually be incorporated into the « first economy », according to a national discourse.
[/NOTES]