Droit à la ville versus justice spatiale ?

Right to the City Versus Spatial Justice?

Entretien avec Amandine Spire et Marianne Morange, coordinatrices du programme DALVAA, réalisé en mai 2018 à Paris, par Muriel Froment-Meurice et Claire Hancock

Interview with Amandine Spire and Marianne Morange, coordinators of the DALVAA research programme, conducted by Muriel Froment-Meurice and Claire Hancock – Paris, May 2018

 

 

 CH : Bonjour. Nous vous avons sollicitées en tant que coordinatrices du programme DALVAA[1] car la revue JSSJ fête ses 10 ans, et nous souhaitions rassembler une série de discussions avec des groupes que nous identifions comme ayant des choses à dire sur la Justice Spatiale afin d’échanger autour de nos idées, nos pratiques et nos réflexions sur le sujet. Marianne a la double casquette JSSJ et DALVAA, puisqu’elle participe au projet de la revue depuis les origines, et toi, Amandine ?

CH: Hi. Our journal JSSJ is celebrating its first ten years and we wanted to hold discussions with groups we identify as having things to say about spatial justice, to exchange ideas and thoughts. You are both part of the DALVAA group[1], though Marianne is a member both of DALVAA and JSSJ, has been since the journal’s origins. What about you Amandine?

Amandine : J’ai participé aux échanges qui ont eu lieu de 2006 à 2009 lors de la création de la revue. Je n’ai pas participé au colloque sur la justice spatiale en 2008 car j’étais alors en Afrique de l’Ouest, sur le terrain, en train de préparer ma thèse. J’ai approché la notion de justice spatiale dans le cadre du Laboratoire GECKO où j’étais formée, ainsi que dans le cadre du programme de recherche ANR JUGURTA qui a démarré, je crois, dans la même période[2].

Amandine: I took part in the discussions which occurred between 2006 and 2009 when the journal was created. I didn’t participate in the 2008 spatial justice conference because I was doing fieldwork in West Africa, for my doctoral research. I was familiar with the notion of spatial justice because I was part of the GECKO research group of the University of Nanterre, with which I was doing my PhD, and as a member of the ANR-funded JUGURTA research programme which began more or less at the same time[2].

Marianne : J’étais Maître de conférences à l’Université Paris 13, rattachée à une autre équipe de recherche dans cette université, mais également active à titre secondaire dans l’équipe Gecko de l’Université de Nanterre. C’est comme cela que j’ai également rejoint l’ANR JUGURTA et que nous nous sommes rencontrées Amandine et moi.

Marianne: I was also a member of GECKO, though in a secondary capacity, since I was lecturing at university Paris-13. I took part in JUGURTA too and that’s how Amandine and I met.

Amandine : Ce programme rassemblait de nombreux chercheurs. Nous étions une trentaine dont plusieurs doctorants de Philippe Gervais-Lambony.

Amandine: It was a very large project, with about thirty researchers, of which several where PhD students being supervised by Philippe Gervais-Lambony.

CH : Quand vous avez monté le projet DALVAA [en 2013], vous avez privilégié l’idée de droit à la ville. Pourquoi ?

CH: When you started the DALVAA project [in 2013], you chose the right to the city as your framework. Why?

Amandine : Il y avait tout d’abord un contexte institutionnel qu’il faut rappeler.

Amandine: Well, it had to do with an institutional context.

Marianne : Oui, nos territoires institutionnels sont importants pour comprendre ce choix. JUGURTA s’est terminé en 2012. A ce moment-là, j’étais passée à Paris 7, en mutation, au SEDET.

Marianne: Yes, institutional affiliations matter: JUGURTA ended in 2012. At that point, I had taken up a job at university Paris-7, at the SEDET.

Amandine : En ce qui me concerne, j’ai terminé ma thèse en 2009 et j’ai été recrutée en 2011 à Paris 7, où Marianne et moi nous sommes retrouvées.

Amandine: As for me, I finished my PhD in 2009 and got a job in 2011 also at Paris-7 where I joined Marianne.

Marianne : C’est une période de transition, je pense, pour nous deux.

Marianne: It was a transitional period, I think, for both of us.

Amandine : Nous avons commencé par poursuivre la collaboration engagée pendant le programme JUGURTA, en organisant une séance de séminaire sur la justice spatiale, début 2011, au laboratoire SEDET. Il s’est converti en séminaire de lecture sur le droit à la ville, auquel se sont adjoints des collègues du laboratoire qui venait de s’élargir en devenant CESSMA (avec l’arrivée de collègues de l’IRD notamment). Certains participants de JUGURTA, venus du LAVUE, se sont également joints à ces séances.

Amandine: We carried on our collaboration by organizing a seminar session on spatial justice, in 2011, at the SEDET. This then turned into a reading seminar on the right to the city, as colleagues joined us with the transformation of SEDET into CESSMA (with the arrival of colleagues from the Institut de Recherche sur le Développement, in particular). Other members of the JUGURTA projects, from the LAVUE research group, also came to the seminar.

Marianne : Amandine et moi venions d’arriver toutes deux à Paris-Diderot. Nous étions toutes les deux dans l’Axe Ville du laboratoire. Nous avions envie de lancer une dynamique. C’était l’objectif de ce séminaire qui s’est construit autour non pas de la notion Justice Spatiale, mais de la notion de droit à la ville. Le programme DALVAA est né de ces échanges.

Marianne: So we had both just arrived at the university Paris 7, we were both in the City sub-group of our research group, and we wanted to start something. Hence this seminar, constructed around the idea of right to the city, and not of spatial justice. The DALVAA programme derived from there.

Amandine : Droit à la ville, depuis le Sud[3].

Amandine: Right to the city, from the South[3].

CH : Qui lisiez-vous ?

CH: Which authors were you reading?

Amandine : Nous avons d’abord lu Henri Lefebvre et des géographes radicaux néomarxistes anglophones qui se sont réapproprié ses travaux depuis les années 2000. Harvey, bien sûr, Lefebvre, Brenner, Marcuse, Samara, Purcell, Huchzermeyer entre autres, et un peu de sociologie, notamment les travaux de Walter Nicholls et Justus Uitermark ou Julie-Anne Boudreau.

Amandine: First we read Lefebvre and Anglophone neo-marxist radical geographers who have been using his work since the early 2000s. Harvey, of course, Lefebvre, Brenner, Marcuse, Samara, Purcell, Huchzermeyer among others, and some sociology, work by Walter Nicholls, Justus Uitermark or Julie-Anne Boudreau.

Marianne : Il ne s’agissait pas de s’inspirer d’une école particulière. Nous avons lu dans des directions très variées : les appropriations onusiennes du droit à la ville également (notamment par des chercheures de notre UMR comme M.-H. Zérah et V. Dupont), autant que leur critique (B. Kuymulu). Nous cherchions à comprendre comment cette notion avait été réinterprétée et à voir ce que l’on pouvait en faire au sud et dans le moment contemporain. Pour revenir à la question de départ : pourquoi pas la justice spatiale ? Pourquoi le droit à la ville ? C’est en partie lié à un contexte institutionnel. Le droit à la ville nous permettait de dialoguer facilement avec des collègues de l’Axe Ville, plus directement que la justice spatiale. Je dirais une deuxième chose, bien que je ne l’ai pas formalisé comme cela à l’époque, c’est que la notion de droit à la ville a une dimension critique forte mais moins prescriptive que la notion de justice spatiale, d’une certaine manière.

Marianne: We didn’t want to focus on a particular school, we read in very varied directions, including the UN’s appropriations of the right to the city, along with some researchers from our group (M.-H. Zérah and V. Dupont), and others more critical (B. Kuymulu). We were trying to understand how the notion had been re-interpreted and see what could be done with it in the South and in the present time. So to return to the initial question: why not work with the framework of spatial justice? Why prefer the right to the city? The answer has to do with this institutional context. The right to the city was easier to discuss with our colleagues of the City sub-group, more than spatial justice. Another aspect that I don’t think I had thought through at the time, was the fact that the right to the city, while strongly critical, is in a way less prescriptive than the notion of spatial justice.

Amandine : Oui, on se posait la question de la normativité socio-spatiale, de la production de normes de vies urbaines à travers l’action publique, ce que la notion de droit à la ville nous permettait de faire, par le biais d’une discussion sur la notion de « droits », peut-être plus facilement que celle de justice spatiale.

Amandine: Yes, we were thinking about social and spatial normativity, the production of norms of urban lives by public policies, and the idea of right to the city allowed for that, by using the notion of « rights », when it would have been more difficult with spatial justice.

Marianne : Il s’agissait aussi de composer un collectif au sein du CESSMA. Or les discussions sur la justice spatiale, du point de vue des chercheur.e.s du CESSMA, semblaient très confinées à Nanterre, à la revue JSSJ, quand ils la connaissaient, ou à un groupe très identifié. C’était un facteur plutôt clivant qu’une manière de nous réunir. La notion de droit à la ville offrait les mêmes « avantages » que celle de justice spatiale, tout en étant plus largement appropriée : elle parlait à des gens qui ont des approches développementales autant qu’à des chercheurs qui cultivent une approche critique, et ayant des objets d’étude très variés, pratiquant des géographies très diverses et travaillant sur des terrains très contrastés. C’était très fédérateur de commencer à construire un collectif autour de cette notion. Il ne s’agissait pas de renier la notion de justice spatiale. C’était juste que, je pense, elle ne permettait pas de former ce que nous voulions alors construire là où nous étions.

Marianne: We were also striving to form a research collective within the CESSMA. But debates about spatial justice, from the point of view of other researchers in the CESSMA, were strongly identified with Nanterre, with the JSSJ journal, for some, or a clearly defined group. The notion of « right to the city » had all the advantages of spatial justice while being more broadly appropriated: it meant something for people working in development as well as for researchers with critical perspectives, with very different objects and working in different places. So it federated more widely. We did not give up on the idea of spatial justice. But it just didn’t work for what we were trying to build back then.

CH : Et par rapport à vos terrains, par exemple, en Afrique du Sud et au Ghana ou au Togo, est-ce que cette notion de droit à la ville est mobilisée ? Est-ce que ça dit des choses aux gens, ou est-ce que c’est perçu comme le vocabulaire des théoriciens du nord, ou des organisations internationales ?

CH: And in your field research, say, in South Africa, Ghana or Togo, is the notion of right to the city used ? Does it mean things to people, or is it perceived as a theoretical discourse from the North, or from international organizations?

Marianne : Nos réponses vont être très différentes, je pense, car nos terrains le sont. Ce point a fait l’objet de discussions importantes au sein du groupe DALVAA. Nous avons constamment questionné la pertinence de cette notion sur nos terrains, le sens qu’elle y prenait ou son absence de résonance. L’Afrique du sud, sur laquelle je travaille, est très proche du monde académique anglophone dit du Nord. Par les circulations de ses chercheurs, ses littératures de référence. Même si les chercheur.e.s sud-Africain.e.s sont centrés sur les enjeux post-apartheid, ce qui est compréhensible, leurs références théoriques sont celles-ci. Elles sont partagées avec le monde britannique et nord-américain en partie. Le droit à la ville y est donc discuté dans la littérature scientifique. Par ailleurs, c’est une notion mobilisée dans les mouvements sociaux. En revanche, ce n’est pas un répertoire de l’action publique. En Afrique du Sud, il aurait donc été possible de s’inscrire dans ce type de débat. Mais ça ne fonctionnait pas trop sur les autres terrains.

Marianne: Well, our answers are likely to be different, because the countries in which we work are. In our research programme we constantly discussed this, questioning the relevance of the notion out in the field, the meaning it took on there or the ways it did not resonate. South Africa, where I do my research, is close to Anglophone academia, because of researchers’ mobilities, literatures of reference. Even if South African researchers understandably focus on the issues of post-apartheid, those are their references. They share them with Anglo-America, partly, so the right to the city is discussed in academic work. Social movements also use it. But it is not part of policy-making. So from a South-African perspective, it would have been possible to integrate that sort of debate. But it didn’t really work in the other contexts.

Amandine : Même pas du tout. Puisqu’au Togo et au Ghana, les pays sur lesquels je travaille, le droit à la ville n’est pas une catégorie pratique. Au Togo, le droit à la ville n’est pas utilisé par les mouvements sociaux, ni par les acteurs publics. Et il n’y a pas de production théorique en français, à ma connaissance, sur ce sujet dans le monde académique togolais. Au Ghana, le droit à la ville est mobilisé par certains acteurs dans la perspective onusienne. Il nous semblait intéressant de confronter ces contextes, et de travailler dans des situations où la catégorie n’avait pas de signification sociale ou politique, car notre objectif n’était pas de produire une sociologie des mouvements sociaux qui parlent de droit à la ville, ni de nous intéresser aux appropriations politiques locales de la notion, à son intégration dans les politiques publiques. Nous ne souhaitions pas non plus faire un usage normatif et prescriptif du droit à la ville sur nos terrains. Nous voulions travailler le droit à la ville comme une catégorie analytique qui permet de penser les effets de production de normes et de mise en ordre liés à des formes de reconnaissance ou d’octroi de droits. Cela peut poser problème car quand il y a une lutte sociale, sur le terrain, qui mobilise cette notion de droit à la ville (au Brésil et au Mexique notamment, des terrains travaillés dans le programme), cela peut susciter une incompréhension quant à l’usage que nous faisons de cette notion. Par ailleurs, dans des contextes autoritaires où la notion est silencieuse, à Maputo, Addis Abeba ou Lomé, nous devenions nous-mêmes des diffuseurs de droit à la ville dans la sphère académique, ce qui pose aussi question. Ces enjeux ont fait l’objet de discussions inépuisables. Je pense que c’est un débat sans fin.

Amandine: It didn’t work at all. In Togo and Ghana, where I work, the right to the city is not a category. In Togo, social movements don’t use the idea, and as far as I know there is no theoretical discussion of it in French there. In Ghana, some actors use the phrase right to the city in its UN-inspired sense. We wanted to contrast these contexts, and work in some in which the category had no social or political currency. Our objective wasn’t to produce a sociology of social movements claiming rights to the city, or to look at local political appropriations of the notion or its integration in policy-making. Neither did we want to apply it in a normative or prescriptive way. We wanted to use the right to the city as an analytical category to think about the effect of the production of norms and ordering, in relation with forms of recognition or the granting of rights. It can be problematic when there is a social struggle, on the ground, that mobilizes the idea of right to the city (for example in Mexico City and in Brazil where several members of our group did their field work), it can cause misunderstandings of our use of the notion. On the other hand, in authoritarian contexts in which the notion is unspoken, such as Maputo, Addis Abeba or Lomé, we were the ones spreading the idea of right to the city in academic settings, which also raises questions. We had endless discussions about that, and I don’t see them ending.

CH : Donc, dans votre colloque final, la notion était totalement déconstruite ?

CH: So in your final conference the notion was completely taken apart?

Marianne : En un sens oui, nous avons cherché à la mettre au service d’un autre type de programme critique. C’était l’objectif du programme DALVAA. Quand nous avons organisé le colloque final (en novembre 2017), nous avions invité des collègues à venir discuter notre point de vue. L’appel à communication (https://dalvaa.hypotheses.org/colloque-2017) a été rédigé réellement collectivement, avec tous les membres du groupe. Il s’agissait d’exposer la manière dont nous nous étions saisi.e.s de cette notion et de voir si cela résonnait chez d’autres chercheur.e.s. Comme toujours dans les colloques, notre appel a été inégalement entendu. Des formes d’appropriation très classiques de la notion ont côtoyé un grand nombre de propositions de communications très proches de notre attention aux normes et aux pratiques citadines, en lien avec les politiques publiques. C’était très intéressant car le dialogue s’est établi.

Marianne:  In a way, yes, because the conference had a different critical objective. That was our programme’s aim. When the conference took place (in November 2017), we had colleagues come over to discuss our point of view. The call for papers (https://dalvaa.hypotheses.org/colloque-2017) had been written collectively, with all group members. We wanted to explain how we had used the notion, and see if that resonated with others’ views. As if always the case with conference, the call was taken heed of differently. We had some very classical appropriations of the notion in some papers, and others were closer to our own emphasis on norms and practices, in relation with public policy. It was interesting because both spoke to each other.

Amandine : L’idée était bien d’articuler cette notion de droit à la ville aux pratiques urbaines, à l’expérience citadine, aux conditions citadines. C’est l’angle de lecture que nous avons proposé dans l’appel à contributions, mais en restant ouverts d’autres manières de relier ces questions de politiques publiques, d’expérience citadine, de citadinité et de droit à la ville. Nous avions aussi envie d’entendre ce que nos collègues avaient à dire sur le droit à la ville au Sud aujourd’hui, dans d’autres perspectives, et nous avons respecté cette diversité.

Amandine: What we really wanted was to articulate the notion of right to the city with urban practices, the experience and condition of city-dwellers. That was the angle that we put forward in the call, while remaining open to other ways of reading these issues of public policy, city life, citadinité and right to the city together. We also wanted to hear what colleagues had to say about the right to the city in the Global South today, with different perspectives, and we respected that diversity.

Marianne : Nous voulions nous démarquer d’une lecture dogmatique ou prescriptive du droit à la ville et le comprendre en lien avec les processus par lesquels des citadins, que l’on peut dire ordinaires, notamment parce qu’ils ne sont pas engagés politiquement, accèdent à un certain nombre de droits, dans un sens très large, à travers des programmes par exemple de régularisation.

Marianne: We didn’t want to abide by a dogmatic or prescriptive reading of the right to the city, we meant to connect it with the processes whereby citizens, ordinary citizens so to speak, not politically engaged, gain a certain number of rights, in a very general sense, for instance through regularization processes.

Amandine : Des droits sociaux, économiques…

Amandine: social, economic rights…

Marianne : Oui, il s’agissait de réfléchir à la manière dont cela transforme leur relation à l’Etat, à la manière dont cela les affecte politiquement, en tant que sujets de gouvernement urbain.

Marianne: yes, we wanted to look at how that transforms their relation to the state, how they are politically affected, as subjects of urban government.

Amandine : Le Sud est particulièrement stimulant pour réfléchir à ces processus. Ils ne sont pas spécifiques au Sud et on pourrait les observer au Nord. Cependant comme l’informalité est plus forte et que plus de citadins sont dans des conditions irrégulières, l’aspiration à la reconnaissance par l’Etat est très forte.

Amandine: The Global South is particularly stimulating to think about these processes. They are not specific and could be observed in the North. But there is greater informality and more citizens find themselves in irregular conditions, the aspiration to recognition by the state is very strong.

Marianne : Or une grande partie de la littérature sur les Suds s’intéresse plutôt à la négation des droits, au déguerpissement, à la violence faite aux citadins… notamment dans la littérature sur le droit à la ville. Nous voulions regarder plutôt des moments et des espaces de régularisation, de formalisation, des processus « d’intégration », tout en conservant un regard critique sur ces derniers bien entendu, afin de questionner leur sens politique à travers la notion de droit à la ville.

Marianne: In the literature on the Global South you find a lot about the denial of rights, evictions, violence to city-dwellers… in particular when the right to the city is being discussed. We wanted to displace the focus to moments and spaces of regularization, formalization, processes of « integration », while preserving a critical perspective, of course, and to question their political meaning through the notion of right to the city.

CH : Qu’on pourrait relire à l’aune des théories de la justice comme reconnaissance, comme parité de participation et comme redistribution, si on en avait envie.

CH: Which you could also look at through the theories of justice as recognition, as redistribution and parity of participation.

Marianne : En effet, nous nous sommes trouvées confrontées à ce thème de la reconnaissance. Ce n’est pas une notion que nous avons travaillée en priorité mais notre travail débouche sur cela en partie. Les théories de la reconnaissance telles qu’Axel Honneth les formule dans une perspective marxiste, en lien avec l’expérience de l’injustice renvoie à l’expérience du mépris, à l’absence de reconnaissance. Nous avons plutôt regardé l’inverse : des moments de reconnaissance dont lui dirait sans doute qu’ils constituent une « fausse » reconnaissance et autant de « pathologies sociales », au sens où ces formes de reconnaissance n’apportent pas une réelle émancipation de sujet politique. Mais en sciences sociales, je trouve délicat de poser ce diagnostic du décalage (entre promesse d’émancipation et non réalisation de soi) car la demande de reconnaissance, au sens d’une quête d’inclusion dans les règles du capitalisme, est fortement exprimée par les citadins. Ce problème a été constamment débattu au sein du programme. Dans DALVAA, nous avons essayé de réfléchir à la manière dont la reconnaissance de droits, la régularisation, la formalisation, peuvent être lues à la fois comme des processus assujettissants et comme des processus d’émancipation. Nous avons sans cesse discuté de cette ambivalence.

Marianne: We did indeed run into that idea of recognition. It’s not something central but it’s partly what we’ve come to. Theories of recognition such as Axel Honneth’s, in a Marxist perspective, are related to the experience of injustice and contempt, misrecognition. We were looking at the reverse: moments of recognition which Honneth would probably consider as « fake » recognition and « social pathologies », since these forms of recognition do not really entail a real emancipation as political subject. But in the social sciences I find it tricky to analyze normatively this gap between emancipatory promise and lack of self-realization because the quest for recognition, in the sense of inclusion within capitalism, is expressed forcefully by citizens. We debated this question constantly. In DALVAA, we tried to reflect on how legal recognition, regularization, formalization, can by simultaneously a process of subjection and a process of emancipation. We spent a lot of time discussing that ambivalence.

Amandine : Pour faire cela, nous prêté attention aux gestes très routiniers, très quotidiens. Aux micro-arrangements spatiaux, sociaux, et aux formats de contrôle, de contrainte, de soi, des autres, etc. En montrant qu’il est difficile de faire la part les choses, entre ce qui est aliénant et ce qui relève d’une forme d’émancipation.

Amandine: That’s why we paid attention to the everyday, routine actions. Social and spatial micro-arrangements, forms of control, of constraint, of the self, of others, and so on. We wanted to show it’s difficult to sort out between what alienates and what can be a form of emancipation.

Marianne : C’est en tout cas comme cela que nous avons « tordu » le droit à la ville. Et c’est vrai que je pense que cela débouche sur une discussion sur les fondements normatifs d’une pensée critique en études urbaines.

Marianne: That’s how we reinterpreted the right to the city. And it leads us to a discussion of the normative foundations of critical thought in urban studies.

Amandine : C’est un choix entre la part que l’on accorde à l’analyse de réalités sociales et à des lectures de philosophie politique.

Amandine: There’s a choice to be made between the detailed analysis of social realities and readings in political philosophy.

CH : Est-ce qu’avec les personnes avec lesquelles vous dialoguez sur le terrain, chercheurs et/ou mouvements sociaux, cette catégorie du juste et de l’injuste permettait d’avoir des conversations ?

CH: With the people you encountered in the field, either researchers or activists, did the categories of just and unjust open up conversations ?

Marianne : C’est assez facile en Afrique du Sud, je pense. La justice est un référent très fort, que le terme soit ou non utilisé. En ce qui concerne le commerce de rue, mon objet de recherche du moment, ce dernier n’est pas directement traité en termes de justice et il échappe aussi largement au débat sur le droit à la ville tel qu’il est posé en Afrique du Sud, en lien avec des enjeux de « squat » et de foncier urbain ou de services urbains. Certes, autour de cet objet, il y a des enjeux politiques de bon gouvernement et de justice sociale post-apartheid. Mais je ne me suis pas inscrite dans ces débats. J’ai travaillé sur les effets politiques de politiques de régularisation à Cape Town, sur les effets de ces politiques sur les subjectivités politiques des commerçants régularisés. Je n’emploie pas la notion de justice dans ce travail.

Marianne: In South Africa that was rather easy, I would say. The idea of justice is often referred to there, whether the actual word is used or not. My current research is about street vending, which isn’t thought about in terms of justice and isn’t part of the debate about the right to the city, as it exists in South Africa, where it has to do with squatting and land property, urban services. So in that area, there are political issues around good governance and post-apartheid social justice, but I did not enter those debates. I worked on political effects of regularization policies in Cape Town, on the effects these policies had on the political subjectivities of regularized vendors. I didn’t use the notion of justice for that.

Amandine : La notion de justice spatiale au Togo est très délicate à manier. On est dans un contexte politique marqué par des pratiques de pouvoir autoritaire. Dans le cadre du programme DALVAA, j’ai travaillé sur des opérations de déguerpissement, des évictions, en prêtant attention à la mise en œuvre de contraintes « douces », à travers les opérations de relocalisation. Ces procédures traduisent des processus de remise en ordre produites notamment par un alignement sur les normes internationales édictées par les bailleurs de fonds et au retour à une certaine ouverture démocratique, même très balbutiante. L’enjeu pour les pouvoirs publics et pour le gouvernement local, à Lomé, est de faire accepter des opérations qui pourraient être qualifiées d’injustes envers certains groupes indésirables, certaines minorités, certains citadins précaires. A travers les opérations de remise en ordre, ces citadins obtiennent toutefois certains droits, certaines compensations (avec tout ce qui se joue en termes de création d’un marché foncier un peu plus encadré), même très limités. Or la littérature sur les évictions est centrée sur cette idée : est-ce que l’on peut compenser de manière juste ? Ma perspective est moins normative. Je cherche plutôt à comprendre les effets de ces politiques. C’est un travail qui a été entrepris dans le cadre de JUGURTA. J’avais d’ailleurs coordonné un chapitre collectif sur les déguerpissements et la justice spatiale dans l’ouvrage final du programme ANR jugurta, La justice spatiale et la ville. L’idée, c’était d’aller voir ce qui se passe après, une fois qu’on a été contraint de quitter son lieu de vie ou son activité économique. Qu’est-ce qui se reconstruit ? Avec cette idée de l’adhésion à certaines normes et à certains ordres urbains qui se décline en ordre social politique, économique. A quoi on adhère ? Qu’est-ce qui résiste ? Qu’est-ce qui s’aligne ? Comment se réorganisent socialement les nouvelles hiérarchies ? Ce sont des enjeux que j’avais déjà abordés dans ma thèse, mais indirectement. Je travaillais sur la présence des étrangers en ville, à travers notamment un quartier qui s’appelle le Zongo, qui a été déguerpi à plusieurs reprises dans l’histoire de la ville de Lomé. J’avais travaillé sur les mémoires pour comprendre, trente ans plus tard, ce qui restait de cette histoire de déracinement, et comment s’étaient développés de nouveaux ancrages. Mais j’ai du mal à utiliser au Togo la notion de justice en raison de sa charge normative et du contexte politique local.

Amandine: In Togo, the notion of spatial justice is tough to use. It’s a political context in which power is exerted in authoritarian ways. Within DALVAA, I looked at processes of eviction, paying attention to « soft » constraints, relocation operations. These procedures of re-ordering are dictating by international norms and sponsors and allow for a small degree of democratic progress, even if it is minor. What is at stake for the authorities and for local government, in Lomé, is the acceptance of operations that could be seen as unfair to some undesirable groups, some minorities, and some precarious city-dwellers. Through the re-orderings, these citizens nonetheless gain some rights, some compensations (with the surrounding context of the creation of a more formal land market), even if they are very limited. A lot of the literature on evictions focuses on this question: is there a fair compensation? I look at it in a less normative way. I try and understand the effects of this policy. This is what I started looking at within the JUGURTA programme, and I coordinated a collective chapter on evictions and spatial justice in the edited volume La justice spatiale et la ville. The idea was to go and see what happened afterwards, once people have been forced to leave their living environment or their economic activity. How do they rebuild? Question how people subscribe to certain norms and certain orders, be they social, political or economic. What sticks? What resists? What re-aligns? How are new hierarchies organized? These are issues I already looked at in my PhD thesis, indirectly. I studied the presence of foreigners in the city, in particular in an area called the Zongo, where there were several evictions in the story of the city of Lomé. I studied memories to understand what, thirty years later, remained of this history of uprooting, and how new roots were created. But using the term of justice is difficult in the political context of Togo, because of its normative content.

CH : Cela rejoint ce fameux enjeu de comment est-ce qu’on jongle entre deux casquettes, celle du chercheur qui doit objectiver puis étayer les choses, en essayant de rester dans sa posture vraiment scientifique ; et de l’autre côté, le fait qu’on peut être par ailleurs militant, ou engagé, ou avoir des opinions personnelles très fortes sur une question. Comment est-ce que vous gérez sur vos terrains respectifs et dans vos recherches respectives cette tension ?

CH: Which brings us to another question, of how you handle having on the one hand, to work as objective researchers, maintaining a standard of scientific objectivity, and on the other hand, the fact that one may personally be an activist, and hold strong personal opinions about issues. How do you deal with this tension in your fieldwork and respective research?

Amandine : Sur mes terrains, l’engagement me semble complètement impossible. Mais mon choix a été de me dire : je peux m’engager ici à Paris, sur un sujet en rapport avec des questions d’irrégularité qui est la question des sans-papiers et qui pose des questions politiques en termes de rapport des citadins à l’Etat, de maintien de l’irrégularité en ville, et des effets et limites de la reconnaissance politique pour des citadins dont les droits sont déniés. A partir du moment où il y a un processus de régularisation, que signifie obtenir des papiers ? Quelles sont les procédures ? Dans le cadre d’une association militante de terrain, on ne construit pas des objets de recherche. Ce sont des relations sociales qui se créent, dans un lieu où l’on entre en tant que bénévole, chacun avec son expérience, son bagage, son âge, etc., pour essayer d’être en interaction avec des personnes à qui sont déniés des droits au séjour et que l’on côtoie par ailleurs au quotidien.

Amandine: In the countries where I work, engagement seems completely impossible. My choice has been to say: I can engage here in Paris, on the issue of irregularity, undocumented migrants, which raises political questions to do with city-dwellers’ relation to the state, irregularity in the city, and the effects and limits of political recognition for people who are denied rights. From the point in which regularization occurs, what does it mean to have official documents? What are the procedures? Working with an activist association, I am not constructing research objects, but creating social relations, in a place people enter as volunteers, each with their own experience, baggage, age, etc., to try and interact with people who are being denied rights of abode and that we live close to on an everyday basis.

Marianne : Pour ma part, je ne suis pas militante. Cette navigation, je ne sais pas si j’en serais capable. Peut-être que je m’engage différemment, dans ma pratique professionnelle, dans ma vie politique et syndicale. L’engagement, pour moi, ne passe pas par la pratique scientifique.

Marianne: Personally, I am not an activist. I don’t think that I could navigate that. Maybe I engage differently, in my professional practice, in my political life and union activity. As far as I’m concerned, engagement is not part of scientific practice.

CH : Est-ce que l’idée qu’il y aurait à ramener justement des pays du Sud, pas seulement du matériau empirique, des expériences de terrain, mais aussi des nouvelles théories, la fameuse Southern Theory, peut être une façon d’être un peu militante pour retourner la domination d’une autre manière ?

CH: What are the ways in which domination could be challenged by scholarly work, do you subscribe to the idea that countries of the Global South are not just there to provide empirical fodder, field experience, but also produce new theories, the famed Southern Theory ?

Marianne : Les théoriciens du Southern Turn sont tout de même en position assez confortable institutionnellement et il me semble difficile de les dire dominés. Ce qui n’enlève rien à la pertinence scientifique de leurs propos et à la nécessité de décentrer nos analyses. Mais je ne pense pas qu’ils construisent de la contre-domination. La plupart travaillent au nord, au Royaume-Uni, aux États-Unis, au Canada. C’est un débat très complexe mais disons qu’il a peu influencé notre travail au sein de DALVAA. Nous n’avons pas cherché à nous inscrire dans ces débats sur le Southern turn car nous ne souhaitions pas réifier et naturaliser la catégorie Sud.

Marianne: People who theorize the Southern Turn do so from relatively comfortable institutional positions and it’s hard to see in what ways they are dominated. Which doesn’t make their work any less relevant, or mean we don’t need to de-center our analyses. But I don’t think they are countering domination by what they do. Most of them work in the Global North, in the UK, US, or Canada. The debate is complex but it did not have that much influence over what we were doing in DALVAA. We did not want to take part in the debates on the Southern turn because we did not want to reify and naturalize the category of « South ».

Amandine : La position que nous avons tenue au sein du programme est en effet de ne pas réifier et naturaliser la catégorie Sud mais de réfléchir à partir de villes du Sud qui, c’est vrai, ne sont pas dominantes dans les études urbaines. Ces villes du Sud sont souvent lues, du moins les dynamiques sociales, politiques, économiques qui les affectent, à travers des théories élaborées depuis le Nord à propos de villes du Nord. Mais on ne peut pas dire que nous avons tenté d’opérer un renversement au sens où l’entend le Southern turn.

Amandine: That was the position we were trying to stick to in the programme, not to reify and naturalize the category of South, but to think from cities of the South that are indeed not dominant within urban studies. Cities of the South are often read, in terms of their social, political and economic dynamics, through theories elaborated in the North and about cities of the North. But we cannot say that we were trying to subvert things in the way the Southern turn claims to.

CH : Et au final, avez-vous, dans la comparaison, rencontré des enjeux très différents entre Afrique et Amérique Latine ? Le dialogue a-t-il été fructueux ?

CH: And in retrospect, what did the comparison between Africa and Latin America give ? Was the dialogue fruitful?

Amandine : Nous avons été attentifs aux enjeux de chronologie politique et économique, à la diversité des contextes et des systèmes politiques. Nous avons approché les choses en termes de régimes politiques démocratiques ou autoritaire, des éléments évidemment cruciaux pour penser les effets politiques des remises en ordre, et des expériences de régularisation.

Amandine: We paid attention to issues of political and economic chronology, to the diversity of contexts and political systems. We approached things in terms of political regimes, democratic or authoritarian, which are crucial to think about the political effects of re-orderings and experiences of regularization.

MFM : Comment l’idée de droit à la ville change-t-elle vos méthodes ou vos manières de travailler sur le terrain ?

MFM: How did the idea of right to the city affect your methods or ways of doing fieldwork ?

Marianne : La manière dont nous l’avons envisagée nous a conduits à favoriser des enquêtes qualitatives. Il y avait un enjeu méthodologique fort : comment approcher cette question du rapport aux normes, des subjectivités politiques, méthodologiquement ? Nous n’avons pas forcément innové mais nous avons été conduits à développer une sensibilité ethnographique.

Marianne: The way we used it meant we primarily conducted qualitative research. Methodologically, it was a challenge: how do you study the question of the relation to norms and political subjectvities, methodologically? We weren’t necessarily innovative but we developed ethnographic sensitivities.

CH : Ce que tu décrivais tout à l'heure, l’attention aux situations banales, ordinaires…

CH: What you were talking about earlier, an attention to banal, ordinary situations ?

Marianne : Oui, avec des variantes. Pour ma part, jusqu’ici, j’avais plutôt travaillé à partir d’entretiens semi-directifs, d’entretiens biographiques, par exemple dans ma thèse, pour documenter des trajectoires de vie. Là, il s’agissait d’approcher une question de subjectivité, de gouvernementalité. Ça a appelé une approche plus compréhensive. J’ai fait de l’observation directe non participante, une technique que je n’avais pas trop utilisée jusque-là, du moins pas de cette manière. J’ai fait des entretiens plus libres aussi.

Marianne: Yes, with variations. Personally, I had worked mostly with semi-directive interviews, biographic narratives, for instance in my PhD, to document life courses. The DALVAA project was about subjectivity, governmentality, which called for a more comprehensive approach. I used non participant direct observation, which I hadn’t practiced so much previously, at least not in that way. I also went for freer interviews.

Amandine : Moi, j’ai déjà adopté cette démarche lors de la thèse. Parce que je travaillais sur la construction de la figure de l’étranger en ville, donc sur les pratiques et les représentations, et à travers des entretiens semi-directifs, mais aussi des entretiens libres et beaucoup d’observations dans certains lieux de la ville : les gares routières, des mosquées, certains lieux publics, etc.

Amandine: I had already worked in that way for my PhD. Because I was looking at the figure of the foreigner in the city, so, practices and representations, and used semi-directive interviews, but also freer ones and a lot of observations in some places of the city : bus stations, mosques, public spaces, etc.

Marianne : Cela a été l’objet d’une démarche collective, le fait d’essayer de creuser ces méthodologies.

Marianne: And we collectively worked on those methodologies.

CH : Beaucoup de vos lectures initiales étaient des lectures anglophones. Quand vous vous êtes mis à écrire, avez-vous écrit en français, en citant des Anglophones ou bien avez-vous pensé un moment à vous dire : voilà, peut-être qu’on a une contribution à faire dans le débat anglophone sur la question ? Voire hispanophone, puisqu’il y avait des latino-américanistes dans l’affaire ?

CH: Many of your initial readings were in English, so how did it go when you started writing, did you write in French quoting Anglos or did you think : well, maybe we have a contribution to make to the Anglo debate about this? Or debates in Spanish, since some of the work was taking place in Latin America?

Marianne : C’est un point que nous avons beaucoup discuté, en particulier dans la préparation du colloque final. Nous avions quatre langues de travail : portugais, espagnol, français, anglais, du fait de la diversité des terrains d’étude.

Marianne: This is a point that we discussed a lot, in particular when preparing the final conference. We had four working languages: Portuguese, Spanish, French, English, because of the various countries we worked in.

Amandine : Et nous avons eu la chance d’avoir une post-doctorante, Franscesca Pilo’, qui parlait ces différentes langues.

Amandine: And we were lucky enough to have a post-doc, Franscesca Pilo’, who spoke all four languages.

Marianne : Ça a été un personnage-clé. Elle nous a aidé.e.s à développer notre projet d’un colloque très inclusif sur le plan linguistique : tout a été écrit dans les quatre langues et tous les membres du groupe ont contribué à cet effort.

Marianne: She was key. She helped us develop our project of a conference that was very inclusive in terms of languages: everything was written in the four languages and everyone pitched in.

Amandine : Cela a permis à certains chercheur.e.s de communiquer en espagnol, en portugais, en anglais…

Amandine: So some participants spoke Spanish, Portuguese, English…

Marianne : En revanche, pour la diffusion de nos propres résultats de recherche, nous nous sommes adressées tout d’abord à un lectorat français, à travers un numéro de la revue Métropoles, paru en 2017, d’un numéro des Annales de géographie coordonné par Sophie Didier et Pascale Philifert (également membres du comité éditorial de la revue Justice Spatiale) et d’un numéro de Problèmes d’Amérique Latine, coordonné par Aurélie Quentin (rédactrice en chef de la revue Justice Spatiale) et Aurélia Michel. Notre contribution au débat anglophone sur le droit à la ville, avec une perspective Sud, est plus complexe et elle est encore en cours.

Marianne: But, when it comes to the dissemination of our own research results, we first went for a Francophone readership with an issue of the journal Métropoles, published in 2017, an issue of the Annales de géographie coordinated by Sophie Didier and Pascale Philifert (who are also members of the committee of Justice Spatiale), and an issue of Problèmes d’Amérique Latine, coordinated by Aurélie Quentin (managing editor of Justice Spatiale) and Aurélia Michel. Our contribution to the Anglophone debate on the right to the city, with a Southern perspective, is more complex and ongoing.

Marianne : En effet, un des problèmes que nous rencontrons est que la manière dont nous abordons la notion ne nous permet pas d’entrer facilement en discussion avec le monde anglophone. Notre approche est en réalité quasiment inaudible car elle ne s’inscrit pas dans les débats tels qu’ils ont été posés par ces chercheur.es, ce qui engendre des incompréhensions.

Marianne: In fact, one of the problems is that the way we used the notion did not allow for an easy discussion with Anglophone authors. Our approach is difficult to argue for because it doesn’t fit in the debates as shaped by them, which fosters misunderstandings.

Amandine : Il y a l’idée que le droit à la ville, ça doit être subversif. Le droit à la ville renvoie pour certains nécessairement à un processus révolutionnaire et de renversement de l’ordre politique.

Amandine: There’s this idea that the right to the city has to be subversive. For some people, the right to the city necessarily implies a revolutionary process and an overturning of the political order.

Marianne : Il semble en effet difficile dans ce cadre de manier le droit à la ville autrement que dans une perspective lefebvrienne ou néomarxiste. Ou alors, on est un libéral qui défend la promotion des droits urbains en ville. La notion de justice spatiale semble, de ce point de vue, moins minée que celle de droit à la ville, qui se prête à des appropriations plus légalistes et réformistes.

Marianne: It seems very difficult, in this frame of reference, to use « right to the city » in a perspective other than Lefebvrian or neo-marxist. If you do, you are a liberal defending the promotion of urban rights in the city. The notion of spatial justice, in this respect, is less of a minefield than right to the city, which has been appropriated in legalistic and reformist ways.

CH : Et l’argument de « sur le terrain, cette perspective-là ne dit rien aux gens » n’était pas recevable ?

CH: And if you argued « on the ground, that perspective means nothing to people », wouldn’t that be heard ?

Amandine : C’est peut-être cela qui nous a d’abord incité.e.s à à inscrire nos travaux dans la sphère académique française.

Amandine: That may be what caused us to talk primarily to a French academic context.

Marianne : Nous l’avons argumenté de cette manière en effet : au Sud, il y a des processus de reconnaissance de droits. Il est très important de les prendre au sérieux. C’était bien parce que cela résonnait avec une discussion très contemporaine en études urbaines, autour du Southern Turn même si, comme nous l’avons dit, ce n’est pas notre approche. Certains auteurs soutiennent (à partir du Sud), c’est le cas de Marie Huchzermeyer, qu’Henri Lefebvre lui-même, dans son projet émancipateur et révolutionnaire, reste attentif et ouvert à la question des droits positifs. Cela nous a permis de nous inscrire dans la discussion contemporaine sur le rapport de Lefebvre aux droits positifs.

Marianne: We argued along those lines: in countries of the South, there are processes of recognition of rights, and it’s important to take them seriously. That worked because it resonated with a contemporary discussion in urban studies, about the Southern Turn, even if, as we said, that was not our approach. Some authors argue, from the Southern perspective, for instance Marie Huchzermeyer, that Henri Lefebvre himself, as part of his project for revolutionary emancipation, pays attention and is open to issues of positive rights. Which allowed us to contribute to the discussion on Lefebvre’s relation to positive rights.

MFM : Vous parlez dans vos textes de « droit à la ville de fait », je me demandais si c’était une manière de neutraliser le droit à la ville tout court ?

MFM: Your papers talk of « de facto right to the city », I was wondering whether it was a way of neutralizing the right to the city full stop ?

Marianne : Oui, c’était une tentative pour nous distancier des travaux de Lefebvre. Mais cette torsion n’exprime pas le fait qu’un ensemble de pratiques sociales pourraient suppléer « de fait » l’absence d’alternative révolutionnaire, ce qui en ferait presque une formule conservatrice.

Marianne: Yes, it was a way of distancing ourselves from Lefebvre’s work. But the phrase does not refer to a number of social practices that could « de facto » compensate the lack of revolutionaly alternative, that would be a conservative understanding of it.

Amandine : Nous avons essayé de comprendre les processus qui donnent droit à être citadin…

Amandine: What we were trying to understand are the processes that grant the right to be a city-dweller…

Marianne : …et nous aimerions continuer à nous intéresser à la subjectivation politique, en relation avec l’expérience citadine et les processus de reconnaissance. Peut-être allons-nous abandonner le droit à la ville pour revenir à des questions de justice ou de normes. C’est encore incertain.

Marianne: … and we would like to continue looking at political subjectification, as it relates with city-life experience and processes of recognition, maybe without the notion of right to the city, and thinking more in terms of justice or of norms. We’re not sure yet.

[1] Repenser le droit à la ville depuis les villes du Sud – Afrique, Amérique latine, programme financé par la Ville de Paris (appels à projets Emergence), 2014-2018, UMR CESSMA, https://dalvaa.hypotheses.org/.

[1] “Rethinking the Right to the city from the South – Africa, Latin America”, a research programme funded by Ville de Paris and based at the CESSMA (2014-2018), https://dalvaa.hypotheses.org/

[2] Le programme JUGURTA (sur la justice spatiale) s’est déroulé de 2008 à 2012.

[2] The JUGURTA project (on spatial justice) ran from 2008 to 2012.

[3] Le CESSMA est un laboratoire spécialisé dans l’étude des aires culturelles dites des Suds.

[3] The CESSMA is a research group specialized in the study of areas of the Global South.