D’un mouvement à l’autre : des luttes contestataires de justice environnementale aux pratiques alternatives de justice alimentaire ?

From one movement to another? Comparing environmental justice activism and food justice alternative practices.

Le mouvement de la justice alimentaire est communément considéré comme un avatar de celui de la justice environnementale, les filiations entre les deux mouvements ayant été soulignées dès les années 1990 (Gottlieb & Fisher, 1996). En effet, les premières occurrences du terme de food justice dans la littérature scientifique se trouvent dans des revues consacrées à la justice environnementale, comme Race, Poverty and the Environment (Gottlieb & Fisher, 2000). Robert Gottlieb (2009) avançait ainsi que la définition de l’environnement comme « là où l’on vit, travaille et joue » devait être modifiée et transformée en « là où l’on vit, travaille, joue et mange ». L’idée d’élargir le programme de la justice environnementale pour faire une place à la question de la justice alimentaire (Alkon & Agyeman, 2011 : 7-10) était censée montrer que cette dernière s’était intégrée au concert des courants théoriques et des mouvements militants en faveur des justices – sociale, spatiale et environnementale. Un certain nombre d’enjeux communs aux deux mouvements sont mis en avant pour justifier cette filiation (graphique 1), tels que la mise en évidence d’injustices systémiques créant des environnements urbains de qualité inégale et des accessibilités différenciées aux aménités et aux ressources ; un souci de la « durabilité » environnementale ou agricole ; des préoccupations d’inégalités d’accès aux soins face aux maladies environnementales ou nutritionnelles ; l’articulation de mobilisations locales et d’enjeux globaux écologiques et alimentaires ; l’importance des enjeux centrés sur la vie quotidienne et les conditions de vie (Gottlieb, 2009 ; Gottlieb & Joshi, 2010 ; Alkon & Agyeman, 2011). Le parallèle est d’autant plus engageant que les tenants de ces mouvements militent souvent sur les mêmes types de territoires : des quartiers urbains habités par des minorités ethniques défavorisées, considérés comme des « déserts alimentaires » (food deserts)[1] (Cummins & Macintyre, 2002 ; Paez et al., 2010) et/ou des territoires subissant un lourd fardeau de pollutions et de nuisances environnementales.

The food justice movement is generally considered to be an offshoot of the environmental justice movement, and the lineages between the two movements were first emphasized in the 1990s (Gottlieb & Fisher, 1996). The term food justice was first used in scientific journals specialized in environmental justice such as Race, Poverty and the Environment (Gottlieb & Fisher, 2000). Robert Gottlieb (2009) claimed that the definition of the environment as “where you live, work, and play” had to be revised and changed for “where you live, work, play, and eat”. Broadening the environmental justice agenda to include food justice issues (Alkon & Agyeman, 2011: 7-10) indicated that the latter had been included in the theoretical currents and activist movements advocating justices, whether social, spatial or environmental. Several common interests and concerns are put forward to justify this “lineage”, such as criticizing systemic injustices as a cause of unequal urban environments and unequal access to amenities and resources; building environmental or agricultural sustainability; being concerned by unequal access to healthcare for environmental or diet-related illnesses; connecting local movements to global ecological and food issues; focusing on quality of life and living conditions (Gottlieb, 2009; Gottlieb & Joshi, 2010; Alkon & Agyeman, 2011) (chart 1). The parallel is all the more compelling as activists in both movements are often working in the same types of neighborhoods: low-income inner city neighborhoods concentrating the urban poor and ethnic minorities which are considered to be food deserts[1] (Cummins & Macintyre, 2002; Paez et al., 2010) and/or neighborhoods with serious environmental stigmas (nuisances, pollutions).

Graphique 1 : Les enjeux thématiques communs aux mouvements de la justice environnementale et de la justice alimentaire

Chart 1: Common interests and concerns in environmental justice movements and food justice movements

FPaddeu Graphique 1 FPaddeu Graph 1

Source : F. Paddeu, 2015.

Source: F. Paddeu, 2015.

Le mouvement en faveur de la justice environnementale est le nom donné depuis les années 1980 aux États-Unis aux mobilisations de minorités défavorisées contre des décisions et des pratiques, industrielles comme gouvernementales, à l’origine de pollutions et de nuisances environnementales et sanitaires parfois dramatiques (Bullard, 1990 ; Bullard et al., 1997 ; Taylor, 2000 ; Figueroa & Mills, 2001 ; Hache, 2012). Quant au mouvement de lutte pour la justice alimentaire (Gottlieb & Joshi, 2010 ; Alkon & Agyeman, 2011 ; Paddeu, 2012 ; Morgan, 2015), il s’épanouit depuis la fin des années 1990 et vise à résoudre des problèmes de sécurité alimentaire, tant en termes d’accès, que de disponibilité et de qualité. Son origine réside dans des mouvements d’opposition au système agroalimentaire global, qui repose sur des rapports de production inégaux, sur le monopole de quelques grandes firmes, et qui a des conséquences sanitaires et environnementales négatives (Schlosser, 2001 ; Nestle, 2002 ; Pothukuchi, 2004 ; Pollan, 2007). Ses représentants militent pour la création de systèmes agroalimentaires alternatifs (Deverre & Lamine, 2010), s’appuyant notamment aux États-Unis sur l’expansion de l’agriculture urbaine dans les quartiers d’inner cities. Les actions des militants se concentrent alors sur les populations les plus pauvres et les minorités ethniques, supposées souffrir le plus des injustices du système alimentaire global.

The term environmental justice has been used in the United States since the 1980s to designate low-income ethnic minority grassroots movements against any decisions or practices, whether industrial or governmental, causing pollution or environmental and sanitary nuisances, sometimes with dramatic consequences (Bullard, 1990; Bullard et al., 1997; Taylor, 2000; Figueroa & Mills, 2001; Hache, 2012). In the 1990s, food justice movements (Gottlieb & Joshi, 2010; Alkon & Agyeman, 2011; Paddeu, 2012; Morgan, 2015) started to tackle food security issues in terms of access, availability and quality. They stemmed from grassroots movements rising against the global food system, monopolized by a few companies and characterized by its unequal power relations and its harmful environmental and sanitary impact (Schlosser, 2001; Nestle, 2002; Pothukuchi, 2004; Pollan, 2007). Food justice activists advocated for alternative food systems (Deverre & Lamine, 2010) in the United States as well as in some other countries, including the development of urban agriculture in inner cities. They work with economically challenged people and ethnic minorities, considered to be the most vulnerable victims of an unjust global food system.

Peu ont questionné cette filiation (Mares & Peña, 2011) – la justice alimentaire comme enfant légitime de la justice environnementale –, se contentant de souligner les ressemblances entre deux mouvements qui se rangent sous le même bannière de « justice », oblitérant les éventuels décalages d’approches, les possibles variations dans les stratégies et pratiques quotidiennes des militants. En outre, la nature précise de la relation a souvent été mal identifiée. Les deux mouvements entretiennent-ils bien un rapport de « filiation », présupposant que les mobilisations de justice alimentaire découlent directement de celles de justice environnementale, dans un rapport de genèse, voire de dépendance ou de subordination ? Ou bien est-ce simplement un rapport « fraternel » entre deux mouvements, nés de préoccupations autour de la justice sociale puis s’étant chacun individué autour de thématiques différentes et défendant sa propre manière de lutter pour la justice ? Ou encore y’a-t-il « hybridation » entre deux mouvements de plus en plus difficiles à distinguer, partageant les mêmes enjeux et stratégies, leurs luttes se confondant dans un souci similaire pour la durabilité et contre les environnements toxiques ? Nous souhaitons interroger ce « rapport » à partir de données empiriques, en mettant un parallèle et confrontant les deux mouvements, en termes d’objectifs théoriques, de pratiques et de stratégies d’action collective.

Few have challenged the claim that food justice is the legitimate offshoot of environmental justice (Mares & Peña, 2011), generally described as two movements with similarities united under the same banner of “justice”, thereby disregarding any discrepancies in approaches, variations in activists’ everyday strategies and practices. Furthermore, the actual nature of the lineage is rarely defined accurately. Is the relation between these two movements actually a “lineage”, meaning that the food justice movement stems directly from the environmental justice movement, the former originating in the latter, in a dependent or subordinate relation? Or are they just “brother” movements, arising from common concerns in social justice before specializing in different branches, each advocating different sorts of actions for justice? Or could the two movements be “hybridized”, making it harder and harder to differentiate them since they share common causes and strategies, fighting hand in hand, striving together to further sustainability and put an end to toxic environments? By using our empirical data to draw parallels and compare the two movements in terms of theoretical objectives, practices and collective action strategies, we wish to examine this complex relationship.

Ces questionnements s’inscrivent dans les réflexions sur la justice sociale et spatiale. D’une part, il s’agit de se demander si les desseins des militants de la justice environnementale et de la justice alimentaire rendent compte d’une conception identique de la justice. On peut entendre la notion de justice sociale selon au moins deux acceptions théoriques : celle d’une justice sociale distributive (Rawls, 1971) traduite dans les travaux sur la justice spatiale d’Edward Soja (2009) comme la « distribution équitable et juste dans l’espace des ressources socialement valorisées et des possibilités de les exploiter » et celle d’une justice sociale inclusive (Young, 1990), qui cherche à corriger les injustices socialement situées dans des différences de genre, de race, de culture etc. pour établir un cadre permettant la participation pleine et effective des groupes opprimés. Partant du caractère polysémique de la notion de « justice », la question se pose de savoir comment, sur le terrain, les discours des militants des deux mouvements se rapportent à une justice dite « environnementale » et à une autre dite « alimentaire ». D’autre part, il s’agit d’analyser les processus par lesquels les militants mettent en œuvre et en espace leur conception de ces justices, environnementale ou alimentaire. Au-delà d’un souci partagé de la justice sociale, d’une action sur des territoires similaires, les formes et les catalyseurs d’action collective sont-ils semblables ? Y’a-t-il filiation, parallèle ou hybridation entre les deux mouvements, ou au contraire, dissociation malgré un héritage commun ?

These questions are raised within the framework of reflections on social and spatial justice. Firstly, do the intentions of environmental justice and food justice activists correspond to an identical conception of justice? There are at least two theoretical concepts of social justice: distributive social justice (Rawls, 1971), defined by Edward Soja in his work on spatial justice (2009) as “the fair and equitable distribution in space of socially valued resources and the opportunities to use them”, and inclusive social justice (Young, 1990), striving for changes to fight socially situated injustice due to gender, racial, cultural differences, etc. and provide minorities with a more effective framework in which they can participate fully. Given the polysemic nature of the notion of justice, how exactly do activists’ grassroots discourse in the two movements relate to so-called environmental or food justice? Secondly, how are their concepts of environmental or food justices implemented and spatially organized by the activists? Beyond a common desire for social justice and a shared territory, are the types of collective actions and their catalysts similar? Is there a lineage, parallel or hybridization between the two movements, or on the contrary, should they be dissociated despite common heritage?

Nos données empiriques proviennent de l’étude de mobilisations citoyennes de justice environnementale à Hunts Point dans le Bronx et de justice alimentaire à Jefferson-Mack à Detroit. Ces deux quartiers défavorisés états-uniens sont constitués d’une population à plus de 40 % sous le seuil de pauvreté et dont plus de 90 % appartient à des minorités[2]. Hunts Point est une péninsule lourdement industrialisée du South Bronx, tandis que Jefferson-Mack est un ancien quartier résidentiel ouvrier de l’East Side de Detroit, très durement touché par la crise qu’a subie la ville ces dernières décennies. Si Hunts Point reste partiellement industrialisé, notamment occupé par le marché alimentaire de gros de la ville de New York, des installations de traitement des déchets et des industries liées au transport, Jefferson-Mack est presque totalement désindustrialisé, de même que la composition de sa population a été largement déprolétarisée. Ils constituent tous deux des épicentres symboliques de la « crise urbaine » (Sugrue, 1996), advenue dans la seconde moitié du XXe siècle dans les villes-centres des États-Unis suite à un mouvement conjoint de suburbanisation et de désindustrialisation, encouragé par les politiques fédérales et le désinvestissement des capitaux privés. Les mobilisations citoyennes qui y ont lieu – des mouvements de justice environnementale à Hunts Point, de justice alimentaire à Jefferson-Mack – sont entendues comme des formes d’action collective contestataires, dites grassroots car localement ancrées, et menées ici par les habitants de ces quartiers défavorisés. Dans une perspective comparatiste, nous commencerons par présenter les affinités entre les deux mouvements étudiés, nous insisterons ensuite sur les singularités de chaque mouvement, afin dans un dernier temps, d’interpréter et de discuter ces résultats.

The empirical data is provided by a study on grassroots environmental justice activism in Hunts Point in New York (map 1) and grassroots food justice activism in Jefferson-Mack in Detroit (map 2). More than 40 % of the community in both of these neighborhoods lives below the poverty line, and more than 90 % belongs to an ethnic minority[2]. Hunts Point is a heavily industrialized peninsula in the South Bronx, and Jefferson-Mack is a former working class residential neighborhood on the East Side of Detroit, severely affected by the city’s urban crisis over the past decades. Hunts Point remains partially industrialized, mainly with the presence of New York’s wholesale food market, waste disposal facilities, and the transportation industry. Jefferson-Mack has been almost totally deindustrialized and the community has lost most of its working class population. Both neighborhoods are characteristic of the “urban crisis” (Sugrue, 1996) which affected American inner cities during the second half of the 20th century, caused by a combination of suburbanization and deindustrialization, encouraged by federal policies and disinvestment of private capital. The grassroots actions in these neighborhoods are collective protest movements, carried out mainly by local members of these low-income communities. In a comparative perspective, we will start by presenting the similarities between the two movements, then we will examine the singularities of each movement and, lastly, we will interpret and discuss the results.

Pour mener à bien notre démonstration, nous nous appuyons sur une méthodologie qualitative, fondée sur une enquête de terrain menée entre 2011 et 2013 dans les quartiers de Hunts Point et de Jefferson-Mack. Il s’est agi de saisir les discours, pratiques et représentations des acteurs à travers des dizaines de séances d’observation (participante ou non) et une soixantaine d’entretiens individuels semi-directifs auprès des militants des associations locales (cinq associations à Hunts Point ; quatorze à Jefferson-Mack), d’habitants des quartiers (treize à Hunts Point ; quinze à Jefferson-Mack) et d’experts d’organismes publics ou privés (huit institutions à Hunts Point ; sept institutions à Jefferson-Mack). Ces entretiens ont été enrichis grâce à des conversations informelles effectuées avec habitants, bénévoles et militants.

Our demonstration is based on qualitative methodological research, with fieldwork conducted between 2011 and 2013 in Hunts Point and Jefferson-Mack. In order to analyze the discourses, practices and representations of stakeholders, we conducted observational sessions (participative or not) and about sixty semi-directive individual interviews of grassroots activists (five organizations in Hunts Point; fourteen in Jefferson-Mack), members of the community (thirteen in Hunts Point; fifteen in Jefferson-Mack) and experts from public or private institutions (eight institutions in Hunts Point; seven institutions in Jefferson-Mack). The interviews were supplemented by informal conversations with other members of the community, volunteers, and activists.

 

 

En quête de justice : affinités de deux mouvements militants

A search for justice: similarities between two activist movements

 

 

À Hunts Point, l’essor de mobilisations grassroots face aux nuisances et pollutions environnementales

In Hunts Point, the rise of grassroots movements protesting against environmental nuisances and pollution

Odeurs nauséabondes, air pollué, vrombissement incessant des poids-lourds, vue sur le waterfront obstruée par les installations industrielles : autant de caractéristiques marquantes du quotidien des habitants de Hunts Point, symptomatiques d’une accumulation de nuisances et de pollutions environnementales (carte 1 et photographie 1). Le quartier abrite en effet non moins de 35 installations liées au traitement des déchets (NYCDCP, 2012), est traversé quotidiennement par environ 13 000 camions se dirigeant vers le marché alimentaire (Parrilla, 2006 ; NYC Mayor’s Office, 2013) et les taux d’hospitalisation liés à l’asthme y sont 21 fois plus élevés que ceux des quartiers aisés de la ville (Maciejczyk et al., 2004).

Noxious stench, polluted air, non-stop noisy truck traffic, the waterfront view blocked off by industrial plants shape everyday life for the Hunts Point community, symptomatic of an accumulation of environmental nuisances and pollution (map 1 and picture 1). There are at least 35 waste disposal infrastructures in the community (NYCDCP, 2012), approximately 13 000 trucks drive daily to and from the food market (Parrilla, 2006; NYC Mayor’s Office, 2013), and asthma-related hospitalization rates are 21 times as high as in upper-class neighborhoods in the city (Maciejczyk et al., 2004).

Carte 1 : Le cumul des « fardeaux environnementaux » à Hunts Point dans le South Bronx

Map 1: Cumulative environmental “burdens” in Hunts Point in the South Bronx

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Source : F. Paddeu, 2015.

Source: F. Paddeu, 2015.

Photographie 1 : Les nuisances liées au trafic de poids-lourds à Hunts Point

Picture 1: Truck traffic related nuisances in Hunts Point

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Un camion se dirigeant vers le marché de gros de la Ville de New York (New York City Food Distribution Center), situé au sud-est de la péninsule de Hunts Point, au bord de la Bronx River. Source : F. Paddeu, 2012.

A truck heading toward New York’s wholesale food market (New York City Food Distribution Center), located in the south-east of the peninsula in Hunts Point, near the Bronx River. Source: F. Paddeu, 2012.

Dans les années 1990, une partie des habitants du quartier prend conscience de ces problèmes et commence à se mobiliser : Hunts Point est ainsi connu aujourd’hui pour le caractère pionnier de ses luttes en matière de justice environnementale (Parrilla, 2006 ; Sze, 2007 ; Angotti, 2008 ; Carter, 2009). En 1992, l’installation de l’usine d’incinération de déchets NYOFCo a déclenché d’importantes mobilisations d’habitants, bientôt soutenues par un solide réseau d’associations locales, comme Mothers on the Move et Youth Ministries for Peace and Justice. Parmi elles, la South Bronx Clean Air Coalition créée en 1994, l’organisation de développement communautaire The Point fondée en 1994, le Hunts Point Awareness Committee fondé en 1996 et l’association Sustainable South Bronx fondée en 2001 par une militante afro-américaine du quartier, Majora Carter, ont lutté ensemble – non sans conflits internes – et réussi à obtenir la fermeture de l’usine en 2010.

In the 1990s, a part of the community became aware of these problems and began to protest: Hunts Point is well-known today for its pioneering environmental justice movements (Parrilla, 2006; Sze, 2007; Angotti, 2008; Carter, 2009). In 1992, the installation of the fertilizer plant NYOFCo led to a large grassroots movement in the community, soon to be followed by the support of a solid network of local organizations, such as Mothers on the Move and Youth Ministries for Peace and Justice. Several organizations, including the South Bronx Clean Air Coalition founded in 1994, the Community Development Corporation The Point founded in 1994, the Hunts Point Awareness Committee founded in 1996, and the Sustainable South Bronx organization founded in 2001 by Majora Carter, an African-American activist born in Hunts Point, worked together – not without some internal strife – and succeeded in getting the plant shut down in 2010.

Ces associations grassroots ont été rejointes par des organisations environnementales aux statuts plus variés : des organisations institutionnalisées (telle que la Bronx River Alliance) ; des organisations métropolitaines de justice environnementale (telles que l’Organization of Waterfront Neighborhoods (OWN) ou la New York City Environmental Justice Alliance) ou des organisations non gouvernementales environnementales (comme le Natural Resources Defense Council). Pour chaque lutte spécifique, différentes coalitions ad hoc ont été mises en place, rassemblant à partir d’un noyau central d’habitants locaux des acteurs associatifs divers – militants confirmés ou experts juridiques – revendiquant tous un engagement pour la justice environnementale.

Environmental organizations of different types joined the movement started by grassroots organizations: municipal organizations (such as the Bronx River Alliance); metropolitan environmental justice organizations (such as the Organization of Waterfront Neighborhoods (OWN) or the New York City Environmental Justice Alliance), or non-governmental environmental organizations (such as the Natural Resources Defense Council). For each specific cause, a different coalition was set up ad hoc, composed of outside organizational stakeholders – experienced activists or legal experts – who worked with a central core of members of the local community, fighting together for environmental justice.

 

 

Jefferson-Mack, un food desert abritant un mouvement d’agriculture urbaine communautaire

Jefferson-Mack, a food desert and home of a community urban agriculture movement

Le quartier de Jefferson-Mack est catégorisé comme un désert alimentaire de type 2 selon les critères du Ministère de l’Agriculture américain[3]. Avec 40,8 % de la population sous le seuil de la pauvreté, aucun supermarché et 35,4 % des foyers ne disposant pas de véhicule alors que le système de transport en commun y est absent, le quartier présente une situation d’accessibilité alimentaire particulièrement faible pour ses habitants (carte 2). Jefferson-Mack est représentatif d’une situation généralisée à l’échelle de la ville, puisqu’environ la moitié des habitants de Detroit vivrait dans un désert alimentaire (Gallagher, 2007). En résultent des conséquences sanitaires néfastes : Detroit est la cinquième ville des États-Unis par son taux d’obésité (69,1 %) (Pothukuchi, 2011) et les décès résultant de maladies cardio-vasculaires sont 50 % plus élevés que la moyenne nationale (Detroit Works, 2012 : 210).

According to the United States Department of Agriculture[3], the Jefferson-Mack neighborhood is a type 2 food desert. With 40.8 % of the population living under the poverty line, no supermarkets, 35.4 % of households that do not own a car, and no public transportation, access to food is particularly difficult in this neighborhood (map 2). Jefferson-Mack is representative of the general situation at the city scale, since about half of the people in Detroit are considered to be living in a food desert (Gallagher, 2007). The ensuing detrimental impact on public health is that Detroit has the fifth highest obesity rate in the United States (69.1 %) (Pothukuchi, 2011), and cardio-vascular mortality rates are 50 % higher than the national average (Detroit Works, 2012: 210).

Carte 2 : Jefferson-Mack à Detroit, un désert alimentaire

Map 2: Jefferson-Mack in Detroit, a food desert

FPaddeu Carte 2 FPaddeu Map2

Source : F. Paddeu, 2015.

Source: F. Paddeu, 2015.

Le quartier abrite néanmoins aujourd’hui l’une des organisations emblématiques du mouvement d’agriculture urbaine à Detroit, Earthworks (photographie 2). Fondée en 1997, elle constitue avec ses parcelles cultivées et ses programmes éducatifs l’une des fermes urbaines les plus importantes de la ville. Attirant chaque année des milliers de bénévoles, elle fait partie des organisations incontournables de la mobilisation citoyenne locale pour la justice alimentaire. Elle travaille en étroite relation avec la Capuchin Soup Kitchen, soupe populaire fondée en 1929, située sur une parcelle adjacente. Dans une rue parallèle se trouve le siège social et logistique de l’organisme Gleaners Community Food Bank, banque alimentaire spécialisée dans la distribution de nourriture aux plus démunis. Un certain nombre d’autres fermes urbaines ou de jardins communautaires irriguent le quartier, tels que The Yes Farm, Georgia Street Community Garden, mais aussi Rising Pheasant Farms, l’une des rares petites entreprises familiales d’agriculture urbaine. L’ensemble crée une concentration notable d’organisations orientées vers des pratiques agroalimentaires locales. Ces initiatives grassroots sont soutenues et intégrées à un réseau d’organisations d’agriculture urbaine engagées pour la justice alimentaire à Detroit, telles que le Detroit Black Community Food Security Network, Greening of Detroit ou Keep Growing Detroit.

Yet today this neighborhood is the home of Earthworks, one of the most emblematic organizations in the Detroit urban agriculture movement, founded in 1997 (picture 2). With its urban gardens and educational programs, it is one of the largest urban farms in the city. Attracting thousands of volunteers every year, it has become one of the key organizations in the local grassroots food justice movement. It works in close collaboration with the Capuchin Soup Kitchen, founded in 1929 and located on a next-door lot. The head office and logistics platform of Gleaners Community Food Bank, specialized in food distribution to the most disadvantaged, is located a block away. Several other urban farms and community gardens can be found in the neighborhood, including The Yes Farm, Georgia Street Community Garden, and the Rising Pheasant Farms, one of the few small-scale family urban agriculture enterprises. In all, they amount to a significant concentration of local agro-food organizations. These grassroots initiatives are supported by and part of a network of urban agriculture organizations committed to food justice in Detroit, such as the Detroit Black Community Food Security Network, Greening of Detroit or Keep Growing Detroit.

Photographie 2 : Une parcelle de la ferme urbaine Earthworks

Picture 2: An Earthworks urban farming lot

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Le « Garden of Unity », parcelle librement cultivable par les habitants du quartier. Source : F. Paddeu, 2013.

The “Garden of Unity”, an open community farming lot. Source: F. Paddeu, 2013.

 

 

Comparer les mouvements de justice environnementale et de justice alimentaire ?

Comparing environmental justice movements with food justice movements?

Notre enquête sur ces deux mouvements (Paddeu, 2015) confirme un certain nombre de points communs entre justice environnementale et justice alimentaire relevés par la littérature (Gottlieb, 2009 ; Gottlieb & Joshi, 2010 ; Alkon & Agyeman, 2011) tels qu’un souci partagé de la « durabilité » environnementale ou agricole, ou des préoccupations pour des enjeux sanitaires – tels que l’asthme, l’obésité ou le diabète – rattachés à des inégalités systémiques. Nous laisserons ici ces éléments de côté afin de nous concentrer sur les enjeux liés à la « justice » : d’une part l’attention à une justice sociale inclusive par des associations multiraciales et d’autre part l’importance accordée à une justice spatiale redistributive. Le tableau (tableau 1) ci-dessous présente les éléments de comparaison entre les deux mouvements qui seront développés au cours de l’article.

In our research on these two movements (Paddeu, 2015), we confirm that environmental justice and food justice have several characteristics in common (Gottlieb, 2009; Gottlieb & Joshi, 2010; Alkon & Agyeman, 2011) including the goal of environmental and/or agricultural sustainability, and health concerns – such as asthma, obesity, or diabetes – related to systemic inequalities. We will leave these aspects aside to concentrate on “justice” issues: on one hand multiracial organizations striving for inclusive social justice, and on the other hand the importance given to redistributive spatial justice. The following table (table 1) lists the elements we will use to compare the two movements in this article.

Tableau 1 : Éléments de comparaison entre les mouvements de justice environnementale et de justice alimentaire

Table 1: Elements for comparison between environmental justice movements and food justice movements

FPaddeu Tableau 1 FPaddeu Table 1

Source : F. Paddeu, 2015.

Source: F. Paddeu, 2015.

 

 

Des mobilisations multiraciales luttant pour une justice sociale plus inclusive

Multiracial activism fighting for more inclusive social justice

Les militants rencontrés accordent majoritairement leur attention à deux types de différences situées, celles en termes de race et de classe[4]. D’une part, les associations de justice environnementale et de justice alimentaire étudiées dans les deux quartiers sont multiraciales, témoignant de la diversité et mixité raciales de leurs acteurs. Les membres fondateurs, présidents ou cadres, appartiennent bien souvent aux minorités du quartier (afro-américaines ou latinos), comme Mark Covington à Georgia Street Community Garden à Jefferson-Mack, ou Kellie Terry-Sepulveda au Point à Hunts Point. À Hunts Point, ainsi que l’ont démontré les travaux de Julie Sze (2007), les luttes de justice environnementale se structurent en formant des coalitions multiraciales majoritairement noires et latinos qui rassemblent des groupes variés, aux intérêts néanmoins temporairement convergents. Les questions environnementales locales y ont la caractéristique d’avoir fédéré différentes communautés raciales, engagées dans une même lutte pour l’amélioration d’un environnement urbain partagé. À Jefferson-Mack, les Afro-Américains sont bien présents dans le paysage de la justice alimentaire, représentant environ la moitié des membres actifs des associations concernées. D’autre part, ces associations accordent dans leurs programmes une attention marquée à la question raciale et aux minorités, considérées comme insuffisamment représentées. À la banque alimentaire Gleaners, il s’agit par exemple de cultiver et distribuer des fruits et légumes culturellement appropriés, correspondant aux régimes alimentaires des minorités (Paddeu, 2015). Lauren Baker (2004) a montré à travers l’exemple des jardins communautaires de Toronto dans les quartiers chinois, sri lankais, caribéens et noirs comment le choix des espèces cultivées peut constituer un outil d’affirmation culturelle pour des communautés marginalisées.

The activists we met mainly focused on two types of differences: racial and class-related[4]. On one hand, the environmental justice and food justice organizations studied in the two neighborhoods are multiracial, reflecting the racial diversity of the activists. Founding presidents and executives are often members of the community’s ethnic minorities (African-American or Latinos), for instance Mark Covington at Georgia Street Community Garden in Jefferson-Mack or Kellie Terry-Sepulveda at The Point in Hunts Point. Julie Sze (2007) showed that the environmental justice movement in Hunts Point was led by predominantly Black and Latino multiracial coalitions with temporarily converging interests. Local environmental issues tend to federate racial communities, committed to a common fight for a better urban environment for all. In Jefferson-Mack, about half of the working members of the organizations involved in food justice are African-Americans. Moreover, these organizations are sensitive to racial and minority issues, and aware that they are often under-represented. At Gleaners Food Bank, culturally appropriate crops corresponding to minority food habits are grown and distributed (Paddeu, 2015). Lauren Baker (2004) demonstrated with the example of community gardens in Chinese, Sri Lankan, Caribbean and Black neighborhoods in Toronto that the choice of crops could become a cultural affirmative tool for marginalized communities.

Cette attention aux minorités s’accompagne d’une vigilance accrue vis-à-vis des populations économiquement vulnérables. Les organisations de Jefferson-Mack sont polarisées autour de la lutte contre l’insécurité alimentaire. Les initiatives d’Earthworks ou de Greening of Detroit fonctionnent ainsi sur le principe de la gratuité dans l’accès aux distributions de fruits et légumes ou de semences, aux repas préparés, et aux programmes alimentaires éducatifs et professionnalisants. Dans les cas où il y a une commercialisation des denrées, les prix demeurent modestes. Ces initiatives s’inscrivent notamment dans la tradition d’un militantisme social caritatif, mené par des organismes religieux. À Jefferson-Mack, l’organisation Gleaners a été fondée par un père jésuite, Earthworks et la Capuchin Soup Kitchen par des moines franciscains, tandis que certaines églises locales sont impliquées dans des initiatives d’agriculture urbaine et dans le food movement de Detroit. Interrogés sur leurs motifs d’engagement, un certain nombre de militants évoquent l’importance de leurs croyances religieuses dans le maintien d’un rapport à la terre et ses fruits. Dans le cas de la justice environnementale, certaines organisations religieuses sont particulièrement impliquées, comme Youth Ministries for Peace and Justice à Hunts Point. La participation de membres d’Églises communautaires noires ou latinos sensibles aux injustices sociales et aux discriminations raciales dans les mouvements pionniers de justice environnementale, identifiée par Robert Bullard (1990) dans les années 1980, continue de se vérifier aujourd’hui à Hunts Point.

On the other hand, this minority sensitive attitude is completed with awareness of the economically vulnerable. The organizations in Jefferson-Mack focus on food insecurity. The initiatives undertaken by Earthworks or Greening of Detroit strive to provide free access to fruit and vegetables, plant seeds, cooked meals, as well as educational and professional training food programs. Whenever goods need to be sold, prices remain reasonable. These initiatives follow the tradition of religious organizations for social charity actions. In Jefferson-Mack, the Gleaners organization was founded by a Jesuit Father, Earthworks and the Capuchin Soup Kitchen by Franciscan monks, and several local churches are active in Detroit’s urban agriculture initiatives and food movement. When questioned about the reasons for their commitment, quite a few activists mentioned their religious beliefs in the importance of maintaining a relationship with the land and its bearings. Some religious organizations are particularly involved in environmental justice, such as Youth Ministries for Peace and Justice in Hunts Point. As identified by Robert Bullard (1990), participation of members of Black and Latino community churches in pioneer environmental justice movements was strong in the 1980s. Their acute awareness of social injustices and racial discriminations still has an influence on the movements in Hunts Point.

Il serait cependant réducteur de cantonner la quête de justice sociale au domaine des actions de charité : les militants des deux mouvements ont en commun de privilégier une démarche d’empowerment[5], se traduisant par l’intégration de débats sur la justice sociale dans les activités effectuées, et sur l’apprentissage d’une rhétorique politique visant à dénoncer les injustices, sociales comme spatiales. Le programme « Action » de l’organisation The Point à Hunts Point forme ainsi les jeunes à maîtriser les outils rhétoriques de la justice environnementale (T.E., entretien, 23 mars 2012)[6], conduisant à des démonstrations publiques où les parents d’adolescents du quartier, réunis pour une fête associative de fin d’année, observent leur progéniture exposer à coup de chiffres et cartes l’injuste répartition des stations de transferts des déchets à New York, au désavantage des communautés de couleur. Le programme « Youth Farm Stand » d’Earthworks, à Jefferson-Mack, n’est pas seulement un programme d’apprentissage à la culture de la terre et à la commercialisation de ses produits, mais intègre systématiquement une discussion sur les enjeux de justice sociale :

Yet it would be simplistic to limit the quest for social justice to charity actions: activists in both movements insist on empowerment[5] through debates on social justice as part of the activities they organize and training in the use of political rhetoric to fight both social and spatial injustices. For example, the “Action” program organized by The Point in Hunts Point teaches teenagers how to use rhetorical tools to promote environmental justice (T.E., interview, March 23, 2012)[6]. This organization therefore holds astonishing end of the year parties during which parents can watch their children demonstrate how unequal the distribution of waste transfer stations is in New York, with figures and maps, to the disadvantage of colored communities. “Youth Farm Stand”, a course organized by Earthworks in Jefferson-Mack, is an entrepreneurship program on farming and produce marketing, but it also includes an introduction to the stakes of social justice as part of its core curriculum:

« Nous avons un autre programme diplômant pour les jeunes plus âgés, appelé « Youth Farm Stand ». Ces jeunes ont entre 12 et 17 ans, ils cultivent leur propre nourriture et la vendent au marché : c’est un programme d’apprentissage à l’entrepreneuriat. Mais nous leur apprenons aussi à utiliser la culture des aliments afin d’aborder des questions de justice sociale dans la communauté. » (T.C., entretien, 26 avril 2012)

“And then we have another program for older youth to graduate into, it’ s called “Youth Farm Stand”, and these youth are older, they’re twelve to seventeen and they’re growing their own food and they’re selling it at the Market; so it’s a youth entrepreneur program. But they’re also using the process of growing food to address social justice issues in the community.” (T.C., interview, April 26, 2012)

Ces stratégies d’empowerment ont notamment l’objectif de former les futurs militants et de fournir des forces vives aux associations, en transmettant un discours politique et des outils rhétoriques ancrés dans la défense de la justice sociale.

These empowerment strategies are employed by organizations to train future activists and increase the number of active members, by providing them with the political discourse and rhetorical tools used in the fight for social justice.

 

 

De préoccupations locales à des enjeux de justice spatiale distributive

From local concerns to spatial distribution justice issues

Cet ancrage dans la justice sociale s’accompagne d’une lutte pour une justice spatiale distributive. Les militants qui habitent dans ces quartiers articulent tous leur sentiment de stigmatisation ou de marginalisation vis-à-vis des autres communautés à une volonté de corriger l’inégale répartition des ressources et des fardeaux.

The fight for social justice is connected with spatial distribution justice issues. Activists living in the community always relate their feelings of stigmatization and exclusion to a need to address the issue of unequal distribution of resources and burdens.

À Hunts Point, les militants ont fréquemment évoqué les questions d’injustice spatiale à travers la comparaison avec d’autres boroughs tels que Manhattan[7], ou d’autres quartiers résidentiels aisés du Bronx : « Pourquoi nos rues ne pourraient-elles pas ressembler à Park Avenue ? » (N.E., entretien, 21 mars 2012) ; « Pourquoi notre communauté ne dispose-t-elle pas des mêmes ressources que les autres communautés, même aussi défavorisées que la nôtre ? » (U.K., entretien, 19 mars 2012) ; « Nous trouvons ça injuste : Manhattan a un waterfront, des greenways et des parcs magnifiques. Pourquoi ? Parce qu’ils ont débarrassé leur waterfront des infrastructures de traitement des déchets pour les mettre dans le Bronx. » (Q.M., entretien, 29 mars 2012). Dans les entretiens domine la perception que Hunts Point constitue une zone déversoir des déchets des communautés dominantes, blanches et aisées. Or, nos enquêtes ont montré que les mobilisations contre les fardeaux environnementaux s’accompagnent d’un souci de leur inégale répartition à l’échelle de la ville (Paddeu, 2015). À ce titre, les associations à Hunts Point ont intégré le concept développé par l’organisation OWN de « borough equity » (égalité entre arrondissements), soit l’idée que chaque arrondissement doive gérer ses propres déchets. Il s’agit bien d’une volonté de répartition équitable des fardeaux, en assurant sa juste part, et non de leur relégation chez ses voisins.

In Hunts Point, activists often mentioned spatial distribution injustice compared with other boroughs such as Manhattan[7], or wealthy residential neighborhoods in the Bronx: “Why shouldn’t our streets look like Park Avenue?” (N.E., interview, March 21, 2012); “Why doesn’t our community have the same resources as other communities, even other poor communities?” (U.K., interview, March 19, 2012); “We saw that as an injustice: Manhattan gets a beautiful coastline, beautiful greenways, beautiful parks. Why? Because they took their garbage facilities off their coastline and moved them to the Bronx.” (Q.M., interview, March 29, 2012). In the interviews, the general feeling is that Hunts Point is a dump for garbage from wealthy white communities. Yet our research shows that the mobilizations for environmental burden issues also address their unequal distribution at the city scale (Paddeu, 2015). Organizations in Hunts Point have assimilated the concept of “borough equity” developed by the organization OWN, i.e. the idea that each borough should process its own waste. The goal is to attain more equitable spatial burden distribution so that waste processing is shared fairly, instead of passing the problem on to other communities.

À Jefferson-Mack, si le terme de food desert, considéré comme appartenant au lexique universitaire, est peu mobilisé par les militants, les symptômes d’injustice spatiale en sont bien évoqués. Leurs récriminations insistent, d’une part, sur les problèmes de mobilité liés à l’absence presque totale de transports en commun, l’étalement de la ville et au faible taux de motorisation. Elles visent, d’autre part, la piètre qualité de l’alimentation disponible dans les points d’approvisionnement locaux, ces « détaillants marginaux » (fringe retailers) (Gallagher, 2007) dont la fonction première n’est pas alimentaire, mais qui, dans les food deserts, finissent de fait par remplir ce rôle (bazars tout-à-un-dollar, mini-marts, commerces d’alcool, stations essence etc.) (photographie 3). À Jefferson-Mack, les initiatives agroalimentaires urbaines répondent donc à un problème d’injustice spatiale en termes d’accessibilité alimentaire, par la multiplication des points de vente locaux (stands en bord de route, marchés) dans le quartier.

Although the academic term “food desert” is rarely used by activists in Jefferson-Mack, the related symptoms of spatial injustice are often mentioned. They commonly complain about mobility issues due to the near total absence of public transportation, urban sprawl, and the low rate of motorized households. The poor dietary quality of the produce sold at local shops where fringe retailers (Gallagher, 2007) are the only businesses selling food in food deserts (one-dollar stores, mini-marts, liquor stores, gas stations, etc.) is also strongly criticized (picture 3). In Jefferson-Mack, urban agricultural initiatives to multiply local sales points are thus a response to spatial distribution justice issues in terms of food accessibility (roadside stands, markets) in the community.

Photographie 3 : Le règne des détaillants marginaux à Jefferson-Mack

Picture 3: Fringe retailers in Jefferson-Mack

FPaddeu photo 3

Aux abords de Jefferson-Mack, au croisement entre Ellery Street et Gratiot Avenue, un commerce d’alcool. Source : C. Ruggeri, 2015.

Off Jefferson-Mack, a liquor store at the intersection of Ellery Street and Gratiot Avenue. Source: C. Ruggeri, 2015.

Finalement, ce qui ressort de l’analyse des objectifs visés par ces mouvements, c’est l’existence d’enjeux théoriques communs de lutte pour une justice socialement comme racialement plus inclusive, et spatialement plus distributive. En ce sens, c’est avant tout ici une filiation commune aux deux mouvements, sous l’égide de la justice, qui est patente, plutôt qu’une filiation d’un mouvement à l’autre. Car au-delà même des similitudes en termes de positionnement politique, il reste frappant qu’en pratique, les stratégies territoriales comme d’action collective diffèrent radicalement dans les deux mouvements observés.

 Ultimately, what emerges from our analysis of the two movements is the existence of common theoretical goals for more justice, both socially and racially more inclusive and spatially more redistributive. In this sense, there is a common lineage that clearly links the two movements together in their strive for justice, rather than a lineage from one movement down to another. Yet, despite close political standpoints, their territorial strategies and collective actions differ dramatically: of common lineage, the two movements clearly diverge when their practices are compared.

 

 

Deux mouvements indépendants aux pratiques différenciées : luttes contestataires de justice environnementale et initiatives alternatives de justice alimentaire

Two independent movements with different practices: environmental justice protest actions and alternative food justice initiatives

D’une filiation commune, les deux mouvements présentent sur le terrain des faciès dissemblants, tant leurs répertoires de pratiques paraissent distincts.

Despite a common lineage, our field study of the two movements reveals rather dissembling features and practices.

 

 

À Hunts Point, un militantisme environnemental contestataire de plus en plus sensible aux enjeux alimentaires

In Hunts Point, environmental protest actions with growing awareness of food issues

Les modalités d’action de ce que certains enquêtés présentent comme « une bataille de longue haleine » (U.K., entretien, 19 mars 2012) font apparaître les mobilisations de justice environnementale de Hunts Point comme caractéristiques d’un militantisme contestataire, entendu comme ancré dans une remise en cause systématique et un examen critique des institutions, de l’ordre établi et des cadres sociaux existants. Les enquêtés habitants et militants professionnels qui font le récit des mobilisations utilisent explicitement un champ lexical de la lutte (to fight), de la contestation collective (to campaign, to march, to rally) et de la revendication militante (advocacy, activism). La gamme d’outils des militants de la justice environnementale consiste en des manifestations ou rassemblements collectifs, des sit-ins (contre l’usine NYOFCo par exemple), des pétitions, la distribution de tracts, la tenue de réunions informelles et d’information (pour mobiliser autour de la destruction de la Sheridan Expressway, pour informer les habitants sur l’injuste répartition des stations de transfert de déchets) ou encore la participation aux réunions publiques. Robert Bullard, dans ses travaux pionniers sur le militantisme de la justice environnementale, insistait sur l’héritage prédominant du mouvement des droits civiques sur celui des mouvements environnementalistes traditionnels (Bullard, 1990 ; Taylor, 2000) : nous retrouvons ici la gamme d’outils communs aux militants pour les droits civiques et à ceux de la justice environnementale.

The forms of action of what some interviewees in Hunts Point called “a long standing battle” (U.K., interview, March 19, 2012) are characteristic of environmental justice protest, with systematic protest and criticism of existing institutions, the establishment, and the social context. Both members of the community and professional activists described their actions explicitly with vocabulary referring to a fight, collective protest (to campaign, to march, to rally), and political claims (advocacy, activism). The range of environmental justice actions includes demonstrations, collective rallies, sit-ins (to get rid of the NYOFCo plant, for instance), petitions, leafleting, informal information meetings (to gain support for the destruction of the Sheridan Expressway or inform residents about unfair distribution of waste transfer stations), or else participation at public meetings. In his groundbreaking research, Robert Bullard emphasized the strong heritage of civil rights movements in traditional environmental justice activism (Bullard, 1990; Taylor, 2000). The tools listed here correspond to those used both in civil rights and environmental justice activism.

La manière dont les enquêtés construisent le récit du succès de leurs mobilisations est ainsi largement ancrée dans une dimension contestataire, perpétuellement réaffirmée. Pour eux, les mobilisations à Hunts Point sont remarquables par leur continuité sur des objectifs clairement identifiés, notamment la lutte contre une infrastructure nocive – i.e. se débarrasser de l’usine d’engrais NYOFCo ou de l’autoroute Sheridan Expressway – dans la longue durée, pendant au moins une décennie, voire deux. Certains militants se souviennent d’avoir, enfants, déjà entendu parler de la suppression potentielle de la Sheridan Expressway. Interrogés sur les facteurs de réussite de leurs luttes, l’ensemble des enquêtés insistent sur la persévérance par delà les années ; la détermination et l’acharnement des organisations ; l’incessante pression exercée à l’encontre des pouvoirs publics et privés ; ainsi que la cohérence et la constance des actions de contestation menées selon un même cap. Pour eux, ces éléments permettent de rééquilibrer la faiblesse de pouvoir intrinsèque aux organisations communautaires, en termes de capitaux financiers et de maîtrise des leviers politiques et juridiques (U.K., entretien 19 mars 2012) et ainsi de faire advenir un changement du cadre de vie local.

The way the interviewees relate the story of their successful actions is also evocative of protest movements. From their perspective, the actions in Hunts Point are remarkably consistent in their fights for well-identified causes, and in particular the long-term fights against noxious infrastructures– i.e. the fertilizer plant NYOFCo or the Sheridan Expressway –, lasting one or two decades. Some activists remember hearing about the eventual destruction of the Sheridan Expressway when they were still children. Most of them agree that one of the reasons why their movements are successful is their perseverance over the years; the relentless determination of the organizations; constant pressure exerted on public authorities and private parties; as well as unceasing, coherent protest actions carried out to attain an unwavering goal. In their opinion, these strategies counterbalance their community organizations’ intrinsically weaker position in terms of financial capital and control of political and legal levers (U.K., interview, March 19, 2012), enabling them to change living conditions in the community.

À Hunts Point, l’établissement de parcs sur les friches industrielles (photographie 4) constitue la forme privilégiée des luttes contre le manque d’aménités environnementales, l’agriculture urbaine ou les jardins communautaires n’étant mobilisés que de manière marginale. S’ils ne sont pas absents de la gamme d’outils mentionnés par les militants, leur caractère juridiquement précaire[8] en fait des aménités de façonnement du territoire local moins pérennes. Ainsi les organisations ont-elles investi dans la constitution de liens avec le Département des Parcs et Loisirs, via l’organisation Bronx River Alliance notamment, dont l’expertise est dédiée à la mise en place d’espaces verts urbains.

In Hunts Point, turning brownfields into public parks (picture 4) is the privileged form of action to favor environmental amenities, with fewer actions in favor of urban agriculture or community gardens. Although the latter are sometimes mentioned by activists, their precarious legal status[8]makes them less attractive as amenities for durable change of local territories. Instead, organizations have invested in their relationship with the Department of Parks and Recreations, through the Bronx River Alliance in particular, whose expertise is dedicated to greening urban areas.

Photographie 4 : Le parc Concrete Plant à Hunts Point

Picture 4: Concrete Plant Park in Hunts Point

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Parc construit au bord de le Bronx River en 2009 sur une friche industrielle par le Département des Parcs et des Loisirs, suite à une mobilisation associative locale. Source : F. Paddeu, 2012.

Park built along the Bronx River in 2009 on a brownfield by the Department of Parks and Recreations, in response to a local grassroots movement. Source: F. Paddeu, 2012.

Néanmoins, certaines organisations de justice environnementale ajoutent de plus en plus un volet « justice alimentaire » à leurs programmes. C’est le cas par exemple de l’organisation The Point, qui a mis en place un potager urbain, intégré dans des circuits courts de type CSA (Community Supported Agriculture), ainsi que des programmes éducatifs explicitement centrés sur la justice alimentaire. Le cas de l’évolution actuelle de la friche d’Oak Point, sur laquelle se situait l’usine d’engrais NYOFCo, en est aussi représentatif. Si le démantèlement de l’usine a constitué une victoire de justice environnementale symbolique, cette friche de 11 hectares dédiée lors de l’issue du procès à un usage environnemental, est actuellement envisagée pour accueillir un projet de marché alimentaire, censé permettre une meilleure accessibilité alimentaire dans un quartier considéré comme un food desert. Il serait approvisionné par des producteurs locaux situés à moins de 250 km (des États de New York, du New Jersey et de Pennsylvanie), associés en coopératives, sur un site où le waterfront serait partagé entre espaces publics de loisirs et zones écologiques préservées (Q.M., entretien, 29 mars 2012). Ces éléments témoignent peut-être de l’émergence d’un nouveau type de luttes hybrides, mêlant justice environnementale et justice alimentaire. Ou alors s’agit-il d’un déplacement de focalisation au détriment de la justice environnementale, marquant l’ascendant pris par le mouvement de la justice alimentaire. Ainsi, l’une des dernières campagnes a été catalysée par l’installation de Fresh Direct, entreprise de distribution de paniers de produits frais récemment installée dans le South Bronx sans pour autant distribuer localement[9]. Ce problème a été explicitement mis en récit et discuté comme une situation d’injustice alimentaire par les organisations de justice environnementale.

Yet more and more environmental justice organizations are including “food justice” in their programs. The Point has set up an urban garden, as part of a CSA (Community Supported Agriculture) network, and one of their educational programs is explicitly focused on food justice. Oak Point, a brownfield where the fertilizer plant NYOFCo was located, is also representative of this shift. When the legal decision was taken to demolish the plant, a strong symbolic victory for the environmental justice movement, the 27-acre brownfield was to be dedicated to an environmental project. A food market project, designed to improve food access in a neighborhood considered to be a food desert, is currently being examined. Local farming cooperatives from less than 150 miles (New York State, New Jersey and Pennsylvania) would sell their produce at the market on the waterfront in a complex also including a public recreational park and some wildlife areas (Q.M., interview, March 29, 2012). These projects could be the sign of a new development of hybrid actions mixing environmental justice and food justice. Or else food justice issues might be gaining interest to the detriment of environmental justice issues. One of the recent protest actions was to get Fresh Direct – a fresh produce distributor recently installed in the South Bronx – to distribute its produce locally[9]. The issue was explicitly presented by environmental justice organizations as a case of food injustice.

 

 

À Jefferson-Mack, des pratiques alternatives de justice alimentaire déconnectées des mouvements de justice environnementale

In Jefferson-Mack, alternative food justice initiatives disconnected from environmental justice movements

Les initiatives de justice alimentaire à Jefferson-Mack passent davantage par la mise en place de pratiques alternatives. Le terme de « pratiques économiques alternatives » a notamment été exploré par le groupe de chercheurs réunis autour de Manuel Castells pour faire le point sur la naissance de nouvelles cultures économiques post-crise, correspondant à l’adaptation spontanée des modes de vie des individus aux contraintes et aux opportunités émanant de la crise (Castells, Caraça & Cardoso, 2012). Pour eux, il faut comprendre les pratiques économiques alternatives comme des « pratiques conscientes orientées vers une économie fondée sur la valeur d’usage » (ibid. : 213) soit, dans les faits, comme « un large éventail d’activités économiques – des potagers urbains au baby-sitting coopératif – qui n’impliquent pas d’échange monétaire » (ibid. : 230). Elles se déclinent pour eux sous trois formes, celles de l’« autosuffisance », de l’« altruisme », ainsi que de l’« échange et la coopération » (ibid. : 231). L’autosuffisance est permise par un travail que les individus font par eux-mêmes, plutôt que d’acheter des biens et des services : la culture de fruits et légumes dans les jardins communautaires et l’agriculture urbaine, distribués par des réseaux alternatifs, permet en ce sens de réduire sa dépendance aux circuits et aux chaînes agroalimentaires traditionnels. À Jefferson-Mack, la volonté d’une autonomie agroalimentaire plus grande est ainsi revendiquée et recherchée par les membres de certaines organisations, comme Earthworks (T.C., entretien, 26 avril 2012). L’altruisme consiste en l’accomplissement d’actes et de services pour autrui, qui ont une valeur sur le marché, sans recevoir de compensation financière. Elle se manifeste par le biais des distributions caritatives au sein des banques alimentaires comme Gleaners ou des soupes populaires comme Capuchin Soup Kitchen, ou par le bénévolat sur les exploitations agricoles. Enfin, l’échange et la coopération consistent en l’échange de biens ou de services – le troc ou autre – sans utiliser l’argent comme moyen d’échange, tels que les échanges entre voisins (au jardin communautaire de Farnsworth s’échangent miel contre des services de bricolage ou d’informatique) (K.T., entretien, 10 mai 2012) ou entre militants et voisins (à la ferme urbaine Earthworks des voisins prêtent leur outils contre des fruits et légumes).

The food justice initiatives in Jefferson-Mack are alternative practices. The term “alternative economic practices” was conceptualized for instance by Manuel Castells and a group of researchers to study the emergence of a new post-crisis economic culture, corresponding to a spontaneous adaptation of individual lifestyles to the constraints and opportunities arising from the crisis (Castells, Caraça & Cardoso, 2012). According to them, alternative economic practices are “conscious practices oriented toward a use value economy” (ibid.: 213) including “a wide range of economic activities taking place – from urban gardening to cooperative childcare – that do not involve the exchange of money” (ibid.: 230). There are three forms of each, i.e. “self-sufficiency”, “altruism”, and “exchange and cooperation” (ibid.: 231). Self-sufficiency occurs when individuals do something themselves instead of buying goods or services: growing fruits and vegetables in community gardens and urban agriculture, distributing the produce through alternative networks, limiting dependence to conventional agro-food networks and chains. In Jefferson-Mack, some organizations, such as Earthworks, advocate and work for more food self-reliance (T.C., interview, April 26, 2012). Altruism consists in accomplishing tasks or providing services that have a market value without receiving any money in exchange. Examples of this form are charity distribution at food banks such as Gleaners or at soup kitchens such as Capuchin Soup Kitchen, or else volunteering at community farms. Lastly, exchange and cooperation consist in exchanging goods or services – bartering or other forms – without using money, for instance exchanges among neighbors (at Farnsworth community garden, people swap honey for DIY and computer services) (interview, K.T., May 10, 2012) or between activists and neighbors (at Earthworks urban farm, neighbors lend their tools in exchange for fruits and vegetables).

Ces pratiques constituent moins à Jefferson-Mack des luttes sociales que des tentatives de construire des structures agroalimentaires communautaires locales à la fonction de filet de sécurité (Feenstra, 1997). Il s’agit de promouvoir l’agriculture urbaine et de consacrer son énergie à la construction matérielle de structures censées permettre une meilleure répartition des points d’approvisionnement alimentaire – journées de semis, montage d’une serre, nettoyage d’une parcelle. Point de manifestations, de sit-ins, de pétitions, même si se tiennent réunions informelles et formelles – dans le cadre du Food Policy Council de Detroit par exemple – et participations à des réunions publiques. La dimension contestataire n’y est pas absente mais elle est minoritaire : si la communauté de la justice alimentaire à Detroit s’est mobilisée contre le projet de ferme urbaine commerciale géante de Hantz Farms dans l’East Side et pour soutenir le projet de légalisation de l’agriculture urbaine, cette mobilisation reste numériquement limitée et secondaire dans l’ordre de priorités des militants. Ainsi, la collaboration entre les fermes urbaines, les soupes populaires et les banques alimentaires, ainsi que la tenue d’étals ou de marchés devant les parcelles cultivées (photographie 5), dessinent la trame d’un système agroalimentaire local émergent, relié à Eastern Market, marché alimentaire proche du centre-ville faisant de plus en plus office de plateforme logistique (Mogk, Kwiatkowski & Weindorf, 2008).

These practices in Jefferson-Mack correspond less to social activism than efforts to create a safety net of local community food structures (Feenstra, 1997). They are dedicated to the development of urban agriculture and the physical construction of structures intended to provide better access to food – seed planting days, building greenhouses, cleaning up parcels of land. No demonstrations, sit-ins, or petitions, but numerous informal and formal meetings – with the Detroit Food Policy Council, for example – and some participation at public meetings. Protest is not absent but it is less predominant: although Detroit’s food justice movement actively fought Hantz Farms, a large commercial urban farming project on the East Side, and advocated for the amendment to legalize urban agriculture, these actions remain numerically limited and secondary on the list of activists’ priorities. Their concerns focus mainly on the emerging local agro-food system involving collaboration between urban farms, soup kitchens, food banks, and food stands or markets at community gardens and urban farms (picture 5), as well as the development of Eastern Market, a food market and logistic platform located near the downtown area (Mogk, Kwiatkowski & Weindorf, 2008).

Photographie 5 : Un marché alimentaire à Jefferson-Mack

Picture 5: A food market in Jefferson-Mack

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Une pancarte annonçant la tenue d’un marché alimentaire à l’entrée de la ferme urbaine Earthworks. Source : F. Paddeu, 2012.

A sign announcing a food market at the entrance of Earthworks urban farm. Source: F. Paddeu, 2012.

Confrontés à la doxa communément acceptée de la filiation entre justice environnementale et alimentaire, les discours des militants de justice alimentaire apparaissent étonnamment silencieux sur les mouvements de justice environnementale, qui ne sont jamais mentionnés. À Detroit, les deux mouvements appartiennent à des sphères étrangères l’une à l’autre, les organisations de justice alimentaire étant nées de mobilisations autour de l’agriculture urbaine et des jardins communautaires, celles de justice environnementale de la lutte contre la pollution industrielle. Aussi les organisations consacrées à la justice alimentaire n’intègrent-elles pas à proprement parler de questions de justice environnementale, bien qu’elles témoignent de préoccupations d’ordre environnemental. Elles font notamment le constat que dans le système alimentaire global, la plupart des intrants, les processus de transformation et le transport ont des impacts environnementaux nocifs majeurs, contre lesquels il faut lutter. L’empreinte environnementale du système agroalimentaire, traduite par les « food miles », est ainsi amenée à être réduite par la relocalisation des systèmes productifs. L’agriculture biologique permettrait quant à elle de s’extraire de la dépendance aux pesticides.

Compared with the general consensus of lineage between environmental justice and food justice, food justice activists have surprisingly little to say about environmental justice movements, which they hardly ever mention. In Detroit, the two movements belong to separate worlds, the food justice organizations stemming from urban agriculture and community gardens projects whereas the environmental justice movement is the offspring of actions to fight industrial pollution. Even though they feel concerned by environmental issues, environmental justice issues are not actually on the agenda of the food justice organizations. They are of course aware that most of the input, processing, and transportation strategies used in the global food system have a major noxious environmental impact, which they strive to reduce. The environmental footprint of the agro-food system, measured in “food miles”, is supposed to be limited by reorganizing produce distribution networks. Organic farming would also help to reduce pesticide dependence.

Comment expliquer et interpréter ces différentes modalités d’opération ? Sont-elles liées à la « nature » des thématiques de chaque mouvement ? Est-ce relié à diverses manières de faire advenir la justice sociale ? Comment démêler ces enjeux du rôle que jouent les contextes locaux ?

Where did these differences in operational modalities originate and what do they mean? Are they due to the “nature” of the issues each of the movements address? Is it the way they choose to fight for social justice that differs? Do local contexts favor some modalities more than others?

 

 

Améliorer le cadre de vie local tout en favorisant l’avènement de la justice sociale ? L’équilibre précaire des mouvements de justice environnementale et alimentaire

Improving the local environment while striving for social justice? The uncertain bet of environmental and food justice movements

Les contrastes entre les deux mouvements et le décalage entre une communauté d’ancrage politique et des stratégies et pratiques de mobilisation différentes peuvent être interprétés à l’aune des contextes urbains spécifiques, comme à l’aune de la littérature sur la justice sociale.

The contrasts between the two movements and the discrepancy between a common political stand and different mobilization strategies and practices can be interpreted in the light of specific urban contexts and in terms of the literature on social justice.

 

 

Recontextualiser les différences : les stratégies de positionnement par rapport aux pouvoirs publics urbains

Recontextualizing the differences: strategic positioning in relation to city authorities

Si les mobilisations de justice environnementale apparaissent comme contestataires et celles de justice alimentaire comme alternatives, il ne faut pas les envisager comme deux formes hiérarchisées plus ou moins radicales ou critiques. Elles correspondent plutôt, dans notre cas, à des adaptations au contexte local en termes de politiques publiques municipales. En effet, le caractère contestataire des luttes de justice environnementale à Hunts Point coexiste avec une stratégie de négociation et de reconnaissance auprès des départements municipaux tels que le Département des Parcs et des Loisirs ; tandis que le caractère alternatif des luttes de justice alimentaire à Detroit peut être corrélé à la situation de vacance politique de la municipalité dans de nombreux domaines, notamment en termes de services urbains.

If the environmental justice movement includes mainly protest actions whereas the food justice movement includes mainly alternative practices, this does not correspond to two forms with a hierarchical relationship, in which one movement would be more or less radical or critical than the other one. Instead, in our case, they represent adaptation to a local context in terms of municipal public policies. Indeed, the oppositional nature of environmental justice actions in Hunts Point coexists with a strategy of negotiation with and recognition by city departments, such as the Parks and Recreation Department; while the alternative nature of food justice actions in Detroit can be related to the situation of political vacancy in the city, particularly affecting the provision of urban services.

À Hunts Point, la lutte contre les nuisances environnementales est utilisée comme un outil de négociation politique pour établir davantage d’espaces verts, obtention souvent facilitée par la libération de parcelles industrielles. La focalisation sur les nuisances permet d’insister auprès des pouvoirs publics sur les dommages subis par la communauté. Or, les préjudices de santé subis en cas de risques sanitaires sont à la fois très difficiles à évaluer et à compenser à l’échelle d’une communauté (Bullard, 1990 : 95). À ce moment-là, la création d’un parc apparaît pour les pouvoirs publics comme une solution permettant une compensation durable, et en tant qu’espace public, bénéficiant à l’ensemble de la communauté locale. La portée symbolique du geste – remplacer une usine par un parc – permet aux pouvoirs publics d’assurer un rôle prétendument réparateur, empreint de « durabilité » environnementale, après avoir elle-même laissé faire et favorisé ces injustices spatiales. Cet outil est bien intégré dans les stratégies des associations de justice environnementale, comme en témoigne le cas de la lutte contre l’usine NYOFCo. En 2010, la coalition du Hunts Point Awareness Committee a ainsi obtenu dans le règlement juridique du litige que la parcelle libérée par l’usine soit dédiée à un espace vert à l’usage de la communauté locale. Il est aussi présent dans le cas de la mobilisation pour détruire la Sheridan Expressway : certains font remarquer que même si la lutte échoue, la coalition pourrait poursuivre ses actions afin d’obtenir au moins que des terrains soient consacrés à des espaces verts (I.R., entretien, 3 avril 2012). Ces stratégies de négociation sont d’autant plus intelligibles replacées dans le contexte des dynamiques foncières new-yorkaises – la pression qu’elles induisent et les capitaux qu’elles sollicitent, même dans le South Bronx –, surtout sur le waterfront. Elles rendent les organisations grassroots souvent incapables de pérenniser la réappropriation de friches pour en faire des parcs sans un soutien juridique et financier du Département des Parcs et des Loisirs. La stratégie du partenariat avec les pouvoirs publics est ainsi de plus en plus privilégiée à l’option d’une réappropriation spontanée sur la modalité du squat, au statut juridique précaire, tel que c’est le cas pour les jardins.

In Hunts Point, the fight against environmental pollution is used as a political tool of negotiation in order to establish more green areas on the released vacant industrial lots. By addressing pollution, activists manage to urge public authorities to offset the damage suffered by the community. Yet the detrimental impact on health in the context of sanitary hazards is very difficult to assess and compensate at the community level (Bullard, 1990: 95). The municipal government therefore opted for a public park as a long-term compensation benefiting the entire community. This symbolic gesture – replacing a factory with a park – confers public authorities with a role as the amends makers, implementing an environmentally “sustainable” solution after having turned a blind eye on these spatial injustices or even promoted them. This tool is well integrated in the strategies of the environmental justice organizations, as evidenced by the case of the fight against the NYOFCo plant. In 2010, the Hunts Point Awareness Committee obtained through legal settlement that the vacant land released by the closing down of the factory would be devoted to a green space for the local community. The same strategy is being used in the case of the mobilization against the Sheridan Expressway: some of the interviewees point out that even if the struggle is not successful, the coalition could keep working in order to obtain more land for their greening projects (I.R., interview, April 3, 2012). These negotiation strategies are most understandable in the land dynamics context of New York – the resulting pressure and search for capital, even in the South Bronx – especially on the waterfront. Hence grassroots organizations are often unable to reclaim vacant lots to create parks without the legal and financial support of the Department of Parks and Recreation. A strategy of partnership with the municipal government is increasingly opted for instead of more spontaneous precarious reclamation such as squatting, which is common in the case of urban gardens.

À Jefferson-Mack en revanche, la vacance politique demeure propice aux pratiques alternatives, qui permettent de fournir des réponses pragmatiques, certes marginales, mais rapides et autonomes à un certain nombre de problèmes affectant le quotidien des habitants. L’état de crise avancée de Detroit focalise l’action collective sur le besoin urgent de répondre à des problèmes vitaux, en l’occurrence pour les associations de justice alimentaire à celui de l’insécurité et du manque d’accessibilité alimentaires. La Ville de Detroit endettée, en ne jouant plus son rôle de pourvoyeur de services et en n’exerçant plus de contrôle sur l’occupation de son territoire, rend de facto possible la réappropriation des espaces vacants pour l’agriculture urbaine. Le retrait des pouvoirs publics permet ainsi l’auto-organisation citoyenne et la mise en œuvre de projets alternatifs, à la manière dont les travaux de Julie Hernandez avaient identifié à la Nouvelle-Orléans un « capital de reconstruction de substitution », entendu comme la somme des stratégies et des ressources visant à compenser les lacunes de la municipalité en termes d’infrastructures et de services (2010 : 392).

In Jefferson-Mack, political vacancy constitutes a favorable condition for alternative practices. Marginal yet pragmatic solutions can be implemented rapidly and autonomously, to address issues affecting the daily lives of residents. The advanced state of crisis in Detroit incites food justice organizations to take collective actions to solve urgent, vital problems, namely food insecurity and lack of accessibility. The fact that the City of Detroit is indebted and can no longer provide services or control land use, has actually made the reclamation of vacant spaces for urban agriculture possible. The withdrawal of the municipal government paves the way for civil self-organization and the implementation of alternative projects. Julie Hernandez identified a similar situation in New Orleans with what she referred to as “substitutional reconstruction capital” (capital de reconstruction de substitution), i.e. the sum of strategies and resources aiming at compensating for municipal shortcomings in terms of infrastructure and services (2010: 392).

Même si les habitants ne souhaitent pas a priori s’engager dans des activités alternatives, souvent illégales, elles deviennent, dans la situation actuelle, la seule solution pour mettre en œuvre des projets, l’appareil municipal étant paralysé. À Jefferson-Mack, la vacance politique est même considérée comme une opportunité par les militants. Contrairement au « capital de reconstruction de substitution » (Hernandez, 2010), il ne s’agit pas à Detroit de seulement compenser le retrait de la municipalité, mais de le concevoir comme un atout pour établir des pratiques alternatives. L’absence de réglementation est ainsi considérée comme une condition du succès d’une agriculture urbaine de type « guerrilla gardening ». Interrogée à propos d’une nouvelle législation municipale légalisant – et visant à sécuriser – l’agriculture urbaine à Detroit, une militante expliquait : « Nous avons plutôt bien réussi en l’absence de réglementations. Pour être honnête, ça fait peur de passer d’une situation où le guerrilla gardening nous rendait d’immenses services à une situation légale qui revêt bien plus d’inconvénients » (B.B., entretien, 29 mai 2013). À la situation normale de contrôle politique par les pouvoirs publics est préférée la situation actuelle, où l’illégalité est devenue une nouvelle norme adéquate, pleine de permissivité et d’opportunités. À la différence des démarches radicales, qui se confrontent ouvertement au système économico-politique hégémonique, les initiatives alternatives urbaines ne s’opposent ainsi pas frontalement au système décrié (système agroalimentaire mainstream, néolibéralisme, entrepreneurialisme…) mais cherchent plutôt à ouvrir un espace affranchi de l’emprise de ces derniers (Holt Gimenez & Shattuck, 2010).

Even if residents do not actually want to get involved in alternative and often illegal activities, they remain the only way to implement projects, as the municipal apparatus is paralyzed. In Jefferson-Mack, political vacancy is even seen as an opportunity by activists. Unlike “substitutional reconstruction capital” (Hernandez, 2010), not only is it considered an offset for the municipal void in Detroit, but it is also considered an asset for the development of alternative practices. The absence of regulation thus becomes a condition for successful “guerrilla” urban agriculture. Questioned about a new municipal legislation legalizing – and securing – urban agriculture in Detroit, an activist explained that “we were pretty successful in the vacuum of regulation. So it’s scary to move from a place where guerrilla gardening was really doing a huge service to us to a legal status that presents a lot more barriers, frankly” (B.B., interview, May 29, 2013). For them, the current permissive situation is far more attractive because it gives them opportunities they would never have in a more conventional politically controlled framework. Unlike radical approaches, which confront the hegemonic political-economic system openly, urban alternative initiatives do not oppose the system (global food system, neoliberalism, entrepreneurialism…) directly. Instead, they try to use space that has slipped out of public control (Holt Gimenez & Shattuck, 2010).

 

 

Concilier l’amélioration du cadre de vie local et l’avènement d’une justice sociale à la fois redistributive et inclusive ?

Reconciling betterment of the local environment with the fight for redistributive and inclusive social justice?

In fine ce qui semble primer, pour les mouvements de justice environnementale comme alimentaire, chacun à leur manière, est la possibilité de faire advenir le changement à l’échelle locale et la capacité à améliorer le cadre de vie des habitants, mettant parfois à mal l’avènement d’une justice sociale à la fois redistributive et inclusive.

Ultimately, for environmental justice movements as for food justice movements, each in their own way, what seems to prevail over the advent of social justice both redistributive and inclusive, is the ability to bring about change at the local level and improve the living environment.

Nous avons noté l’importance du paradigme distributif dans la légitimation des actions entreprises pour réduire les injustices spatiales en construisant davantage d’espaces verts, ou en augmentant le nombre de points d’approvisionnement alimentaire. Dans cette option, non seulement il ne s’agit pas d’éliminer mais de réduire les inégalités matérielles, mais il s’agit d’appeler à des politiques réparatrices sans remettre en cause le contrôle des ressources par une minorité et les structures de domination. Comme le suggère cette réflexion d’une de nos enquêtées à Hunts Point, solliciter les pouvoirs publics pour construire un parc constitue une requête « politiquement correct », impliquant de passer sous silence des enjeux d’oppression raciale, sociale et économique :

We have noted the importance of the distributive paradigm in legitimizing actions taken to reduce spatial injustices such as building more green spaces, or increasing the number of food retail outlets. This perspective does not focus on eliminating but on reducing inequalities, favoring remedial policies without challenging the control of resources by a minority and the structures of domination. As suggested by the following comment of one of our interviewees in Hunts Point, urging the authorities to build a park is a “politically correct” request, disregarding all issues of racial, social and economic oppression:

« Quand on parle de problèmes environnementaux, personne ne peut vous contredire. Ça peut être plus délicat d’évoquer des questions raciales, économiques, ou concernant la pauvreté. (…) Il est plus difficile de s’attaquer à ces questions-là. Les problèmes environnementaux sont plus faciles parce qu’ils sont moins controversés. Toutes ces autres questions restent plus explosives. (…) D’abord on va faire construire une jolie greenway et ensuite on pourra discuter du pouvoir. » (U.K., entretien, 19 mars 2012)

“When you talk about environmental issues you really are dealing with something that no one can deny in that sense. It may be more difficult to talk about race, to talk about economics, poverty. (…) All of those issues are more difficult to tackle. The environmental issues feel easier, because they are less contentious. All the other issues are more dramatic. (…) First we can build this pretty greenway and then we can talk about power.” (U.K., interview, March 19, 2012)

Bien que pragmatiquement efficace, cette stratégie prend le risque qu’une fois la « jolie greenway » obtenue, la discussion sur la répartition du pouvoir soit oblitérée. Dans le cas des mouvements de justice alimentaire, la construction de filets de sécurité alimentaire locaux demeure aussi cantonnée à des politiques de type réparatrices, qui échouent à mettre en place des actions pour remettre en cause le système producteur des inégalités.

Although pragmatically efficient, the risk with this strategy is that once the “pretty greenway” is built, the question of the distribution of power will never be raised. In the case of food justice movements, building local food security nets may limit their actions to remedial work, failing to challenge the roots of the inequalities.

Les critiques féministes et multiculturalistes de Rawls reprochent ainsi à la perspective distributive de ne pas intégrer suffisamment la question de la reconnaissance de la différence (Young, 2000). La question du droit à la différence serait essentielle dans l’avènement d’une justice spatiale inclusive, la concrétisation matérielle de la diversité supposant la mixité des usages et des revenus, l’accessibilité des espaces publics à toutes les classes, races, ethnies et genres (Fainstein, 2005). Bien que cet objectif d’inclusion soit explicitement formulé par les enquêtés eux-mêmes dans les deux mouvements, il reste qu’un pan moins radical des mobilisations de justice environnementale et alimentaire reste fortement trusté par une population extérieure au quartier, plus blanche et plus aisée, dotée d’un fort capital scolaire. À Jefferson-Mack, bien que les Afro-Américains soient très présents dans le paysage de la justice alimentaire, rendant caricaturale toute description de ce mouvement comme un « mouvement de Blancs », ils restent néanmoins sous-représentés par rapport à la composition raciale du quartier, où ils comptent pour 91 % de la population (US Census Bureau, 2012). En revanche, alors que les Blancs comptent pour 6,7 % de la population de Jefferson-Mack et 1,3 % de celle de Hunts Point (ibid.), ils sont surreprésentés dans le paysage associatif local. En outre, si les militants – noirs, latinos ou blancs – s’érigent volontiers en porte-paroles de la « communauté » locale, ils n’en sont pas pour autant représentatifs, constituant souvent la frange la plus éduquée ou au moins disposant de plus de capitaux (sociaux, économiques, culturels et/ou scolaires) que la moyenne. Du côté du mouvement de la justice alimentaire, le recours presque systématique et massif au bénévolat s’avère un facteur décisif, rendant le mouvement moins inclusif : la population bénévole, souvent issue de réseaux caritatifs ou éducatifs, est majoritairement aisée et blanche. Les origines des bénévoles de la ferme urbaine Earthworks sont par exemple révélatrices de marqueurs sociaux et raciaux hétérogènes par rapport à ceux des membres grassroots : des habitants des suburbs, des écoliers, des étudiants, des retraités ainsi que des étrangers (France, Allemagne, Australie, Japon etc.) (T.C., entretien, 26 avril 2012). À Detroit, l’arrivée d’une population jeune et éduquée, résidant souvent dans le centre-ville et sensibilisée à l’agriculture urbaine participe aussi d’un « blanchissement » des mouvements de justice alimentaire. Mieux dotée en ressources financières, leur permettant d’acheter des terrains, et bénéficiant souvent du soutien économique des fondations, leur arrivée suscite une certaine suspicion de la part des militants natifs de Detroit, actifs depuis plusieurs décennies et confrontés à un certain nombre de difficultés. Pour l’une de nos enquêtées militantes, la légalisation de l’agriculture urbaine, en encourageant l’installation de nouvelles exploitations, n’en risque pas moins d’exacerber les injustices sociales entre agriculteurs urbains :

Multiculturalists and feminist critiques of Rawls criticize the distributive perspective for not sufficiently integrating the issue of the recognition of difference (Young, 2000). According to them, the question of the right to difference is essential in bringing about an inclusive spatial justice because the physical realization of diversity implies mixed uses and incomes, accessibility of public spaces for all classes, races, ethnicities and genders (Fainstein, 2005). Although inclusion is explicitly expressed as a goal by interviewees in both movements, a less radical strain of environmental and food justice activism remains highly monopolized by more affluent non-community activists who are usually white and better educated. In Jefferson-Mack, although the presence of African Americans in the food justice landscape is well established and it would be exaggerated to tag it as a “white movement”, the former still remain underrepresented compared to the racial composition of the community, where they account for 91 % of the population (US Census Bureau, 2012). As Caucasians account for 6.7 % of the population in Jefferson-Mack and 1.3 % of the population in Hunts Point (ibid.), they are overrepresented in the local organizational networks. Moreover, the activists – whether Black, Latino or Caucasian – claiming to be community spokesmen are not representative, often belonging to the most educated fringe of the community, or cumulating more capitals (social, economic, cultural and/or academic) than the average resident. Concerning the food justice movement, we believe the nearly systematic, widespread use of volunteers constitutes a decisive factor in making it a less inclusive movement: the volunteer population, often drawn from charity or educational networks, tends to be mostly white and upper middle-class. At the urban farm Earthworks, the gap between the social and racial markers the volunteers illustrate and the grassroots members is patent, as the volunteers are suburban, school children, students, retirees, or foreign visitors (France, Germany, Australia, Japan, etc.) (T.C., interview, April 26, 2012). In Detroit, the recent involvement of young, educated people, often living in the city center and interested in urban agriculture, also prompts a “whitening” of the food justice movement. With better financial resources to purchase land and the economic support of foundations, their arrival arouses some suspicion from Detroit native long-term activists who are struggling to overcome their difficulties. For one of the activists interviewed, legalizing urban agriculture and encouraging new farm operations is likely to exacerbate social inequities between urban farmers:

« Je pense que cela va attirer beaucoup de jeunes de l’extérieur, qui ont envie de faire de l’agriculture tout en vivant en ville. Maintenant que c’est devenu légal, ceux qui ont les moyens vont venir acheter des terrains. Le problème, c’est qu’il y a beaucoup de gens ici qui n’ont pas les moyens et qui vont avoir l’impression d’être écartés… Les problèmes de justice sociale risquent d’être exacerbés au sein même du mouvement de l’agriculture urbaine. » (L.V., entretien, 5 juin 2013)

“I think that there is a lot of interest by young people who don’ t live in the city currently, that want to do farming in the city. Now that it’s legal, I expect that people with the means are going to buy the land. The problem is there is a lot of people here that don’t necessarily have the means that are going to feel they are pushed out… So the social justice issues within urban agriculture may be exacerbated.” (L.V., interview, June 5, 2013)

Pour Chiara Tornaghi (2014), la littérature scientifique escamote ainsi trop souvent les dynamiques porteuses d’inégalités et d’injustices inhérentes à l’agriculture urbaine.

Interestingly enough, according to Tornaghi (2014), the scientific literature too often sidesteps the dynamics of inequalities and injustices in the urban agriculture community, which are becoming all the more perceptible with the rise of the food justice movement.

 

 

Conclusion

Conclusion

Nous souhaitions interroger la filiation et revenir sur le parallèle entre justice environnementale et justice alimentaire à partir de l’étude des mobilisations citoyennes dans deux quartiers défavorisés des villes états-uniennes. Dans un quartier du South Bronx qui subit des nuisances et pollutions environnementales ainsi qu’un manque d’aménités environnementales, et dans un quartier de l’East Side de Detroit qui constitue un « désert alimentaire », les luttes menées par les militants envisagent des objectifs de justice spatiale redistributive afin d’améliorer la répartition des fardeaux comme des ressources. Elles s’accompagnent de préoccupations de justice sociale plus inclusives, en focalisant leur attention sur les minorités ethniques et les populations économiquement plus vulnérables. Bien qu’elles soient menées par des associations multiraciales et des leaders de couleur, ces mobilisations affichent néanmoins une surreprésentation de militants blancs, tandis que les militants locaux se comptent parmi la population la plus dotée de capitaux (culturels, économiques, de réseaux etc.).

Our purpose was to question the lineage and explore the parallel between environmental justice and food justice, studying activists’ movements in two low-income American neighborhoods. In a South Bronx neighborhood suffering environmental pollutions and nuisances and a lack of environmental amenities, and in a neighborhood on the East Side of Detroit constituting a food desert, the organizations strive for redistributive spatial justice and a fairer distribution of burdens and resources. They also aim at a more inclusive social justice, focusing their attention on ethnic minorities and economically vulnerable populations. Although the organizations are multiracial often with colored leaders, white activists are still over-represented, and local activists belong to the fringe of the community concentrating the most capital (cultural, social, economic, etc.).

Au-delà de ces points communs, nous mettons en évidence que contrairement à ce qui est avancé dans la littérature (Gottlieb & Fisher, 1996 ; Mares & Peña, 2011), c’est avant tout une filiation commune aux deux mouvements, sous l’égide de la justice, qui est patente, plutôt qu’une filiation d’un mouvement à l’autre. Non seulement ils n’usent pas des mêmes outils, mais ils paraissent aujourd’hui largement indépendants l’un de l’autre, évoluant chacun de leur côté, avec leurs réseaux associatifs propres. Si genèse commune il y a pu y avoir, aucune nécessité de liens ni de fonctionnement partagé ne semble actuellement s’imposer dans la dynamique d’action collective des deux mouvements. Au contraire, les mouvements de justice environnementale fonctionnent à partir d’une modalité contestataire, tandis que ceux de justice alimentaire choisissent de privilégier la mise en place de pratiques alternatives. Nous montrons néanmoins que chaque mouvement n’a pas le même rapport à l’autre. Le mouvement de justice environnementale dans le South Bronx inclue progressivement des enjeux de justice alimentaire. Or, ce n’est pas le cas dans les mobilisations de justice alimentaire à Detroit, qui apparaissent sur le terrain largement déconnectés des mouvements de justice environnementale. Aujourd’hui, certains militants les présentent même comme « concurrents », insistant sur l’ascendant pris par les mouvements de justice alimentaire sur ceux de la justice environnementale.

Despite some similarities and contrary to the general acknowledgment in the literature (Gottlieb & Fisher, 1996; Mares & Peña, 2011), we highlight that the two movements share a common goal for justice rather than a lineage from one movement to another. Not only do they not use the same organizational tools but they now seem largely independent, developing in their own direction within their own networks. Even if there may have been a common origin, no vital relationship or practices in common seem to prevail in the current dynamics of collective action in the two movements. On the contrary, environmental justice movements are oppositional while food justice movements focus on the development of alternative practices. We also show that each movement has a different relationship to the other one. The environmental justice movement in the South Bronx has gradually incorporated food justice issues whereas the food justice movements in Detroit appear largely disconnected from environmental justice movements. Today, some activists even refer to them as “rivals” because they believe food justice movements are stealing the limelight from environmental justice movements.

Finalement, les mobilisations de justice environnementale et alimentaire observées privilégient l’action sur le cadre de vie local et l’amélioration du quotidien pour une partie des habitants. L’avènement de la justice sociale demeure infléchi par l’enjeu pressant de changer le paysage et le cadre de vie quotidiens. Si les inégalités systémiques, raciales et sociales sont fréquemment évoquées par les militants, leurs modalités d’action demeurent cantonnées à des actions de justice distributive de type réparatrice – i.e. compenser le départ d’une usine par la création d’un parc, compenser l’absence de commerces alimentaires par un marché ou une soupe populaire. Il en est de même pour leur sensibilité à une justice sociale plus inclusive, fortement ancré dans un modèle caritatif peu propice à l’autonomisation des populations, même s’il s’accompagne d’un processus d’empowerment, censé transmettre savoirs et savoir-faire aux populations qui subissent les préjudices. Leur capacité à représenter la totalité des habitants du quartier, et notamment la population la plus marginale, reste compromise : ces mobilisations demeurent bien une manière située de configurer les discours sur les problèmes qui touchent ces territoires et leurs populations.

Finally, the observed environmental and food justice mobilizations opt for actions that better the local environment and improve the everyday life of the community. Social justice cannot be improved only by modifying the urban landscape and environment. Although systemic racial and social inequalities are frequently mentioned by activists, their practices remain limited to restorative actions of distributive justice – i.e. offsetting the closing down of a factory by creating a park, compensating the lack of food retail shops by a market or a soup kitchen. As for gaining a more inclusive social justice, the prevailing charity model remains somewhat problematic, even if it is supplemented by an empowerment process designed to share knowledge and skills with the community. The ability of the activists to represent the whole local community, especially the most marginalized part, is nevertheless jeopardized. Lastly, these mobilizations involve actions and narratives that should be interpreted in the light of specific territorial and community contexts: it remains challenging for them to reconcile local issues with their fights for justice.

 

 

A propos de l’auteur : Flaminia PADDEU est docteure en géographie au laboratoire ENeC, ATER à l’Université Paris 4 Sorbonne, agrégée de géographie et ancienne élève de l’École Normale Supérieure de Lyon. Co-fondatrice de la revue Urbanités, elle vient de terminer une thèse sur les mobilisations civiques environnementales et 9/2016 33 33 alimentaires dans les quartiers en crise urbaine aux États-Unis, à Detroit et dans le Bronx à New York.

About the author: Flaminia PADDEU, PhD in geography, member of the ENeC research laboratory, ATER at Sorbonne University (Paris, France), agrégée in geography and graduate from the École Normale Supérieure (Lyon, France). Cofounder of the review Urbanités, she has recently finished her PhD on grassroots environmental and food justice activism in low-income neighborhoods in the United States, in Detroit and in the Bronx in New York.

 

 

Pour citer cet article : « D’un mouvement à l’autre : des luttes contestataires de justice environnementale aux pratiques alternatives de justice alimentaire ? » justice spatiale | spatial justice, n°9, Janvier 2016, http://www.jssj.org/

To quote this article: “From one movement to another? Comparing environmental justice activism and food justice alternative practices” justice spatiale | spatial justice, n°9 January 2016, http://www.jssj.org/

 

 

[1] Un food desert est défini comme « un espace urbain pauvre où les habitants ne peuvent se procurer des aliments sains à des prix abordables » (Cummins & Macintyre, 2002).

[1] A food desert is defined as “populated urban areas where residents do not have access to an affordable and healthy diet” (Cummins & Macintyre, 2002).

[2] Selon les données du Bureau du recensement américain (US Census Bureau, 2015), 43,9 % de la population de Hunts Point (South Bronx, New York) se situe en dessous du seuil de pauvreté (2010), tandis que les minorités ethniques représentent 98,7 % de la population du quartier (2012). À Jefferson-Mack (East Side, Detroit), 40,8 % de la population se situe en-dessous du seuil de pauvreté (2010), tandis que la population est composée à 93,3 % de minorités (2012).

[2] According to the US Census Bureau (2015), 43.9 % of the population in Hunts Point (South Bronx, New York) live under the poverty line (2010), and ethnic minorities represent 98.7 % of the population in the neighborhood (2012). In Jefferson-Mack (East Side, Detroit), 40.8 % of the population live under the poverty line (2010), and ethnic minorities represent 93.3 % of the population (2012).

[3] Aux États-Unis, pour le Ministère de l’Agriculture (United States Department of Agriculture – USDA) il s’agit d’un secteur de recensement défavorisé (au moins 20 % de la population sous le seuil de pauvreté ou un revenu médian par foyer de 80 % ou moins du revenu médian par foyer du secteur) où une part significative (au moins 33 % de la population ou 500 personnes) des résidents habitent à plus de 1,6 km (1 mile) en milieu urbain, et 16 km (10 miles) en milieu rural, du supermarché le plus proche.

[3] USDA (United States Department of Agriculture) defined a food desert as a census tract with a substantial share of residents who live in low-income areas that have low levels of access to a grocery store or healthy, affordable food retail outlet. They qualify as “low-income communities”, based on having a poverty rate of 20 % or greater, or a median family income at or below 80 % of the area median family income. They qualify as “low-access communities”, based on the determination that at least 500 persons and/or at least 33 % of the census tract’s population live more than 1 mile from a supermarket or large grocery store (10 miles, in the case of non-metropolitan census tracts) (see https://apps.ams.usda.gov/fooddeserts/fooddeserts.aspx, last consulted on January 10, 2016).

[4] Les différences de genre ne sont pas absentes des mobilisations de justice alimentaire à Detroit (White, 2011), mais elles se sont avérées peu saillantes dans les quartiers que nous avons étudiés.

[4] Although gender differences do exist in the food justice movement in Detroit (White, 2011), they were not a prevailing stake in the neighborhoods we studied.

[5] La notion anglo-américaine d’empowerment indique le processus par lequel un individu ou un groupe acquiert les moyens de renforcer sa capacité d’action et de s’émanciper. Elle articule à la fois la dimension du pouvoir, qui constitue la racine du mot, et celle du processus d’apprentissage pour y accéder. Néanmoins, dans les faits, elle donne lieu à des interprétations forts diverses et ouvre sur des pratiques plurielles : libération individuelle et collective dans les mouvements féministes ; stratégie de construction d’un « black power » et formation de leaders par le mouvement noir nord-américain ; mais aussi construction du soi et auto prise en charge dans le vocabulaire managérial, éducatif, social ou thérapeutique (Bacqué, 2006).

[5] The notion of empowerment designates the process enabling an individual or a group to acquire the means to strengthen their ability to take actions leading to their emancipation. It refers both to the notion of power, as in the root of the word, as well as the learning process required to reach this goal. However, it is actually used to express a wide range of concepts and linked to very different practices: individual and collective liberation in feminist movements; a strategy to build “black power” and train leaders in African-American movements; self-development and self-help in the managerial, educational, social or therapeutic fields (Bacqué, 2006).

[6] Afin de respecter l’identité des personnes interviewées, nous avons anonymisé l’ensemble des enquêtés, selon un système de référencement établi par nos soins.

[6] In order to respect privacy of interviewees, we chose to establish an anonymous referencing system. The initials do not reflect the actual first and last names of the interviewees.

[7] Manhattan, le borough (équivalent d’un arrondissement) le plus riche de New York City, génère 40 % des déchets commerciaux de la ville entièrement gérés par les arrondissements périphériques de Brooklyn, du Bronx et du Queens (Sze, 2007 : 116).

[7] Manhattan, the richest borough of New York City, produces 40 % of the city commercial waste, entirely processed in outer boroughs such as Brooklyn, the Bronx and Queens (Sze, 2007: 116).

[8] Si des fondations privées comme Trust for Public Land s’occupent de sécuriser le foncier des jardins communautaires et d’en confier l’entretien à des associations de quartier (Reynolds, 2015), un climat litigieux existe encore aujourd’hui entre les jardins communautaires et les agences municipales (Cohen, Reynolds & Sanghvi, 2012). En novembre 2011, par exemple, le NYC Housing Preservation and Development a ordonné la destruction du Morning Glory Garden dans Mott Haven, un quartier du South Bronx, pour y construire des logements.

[8] Despite private foundations such as Trust for Public Land which are dedicated to securing land for community gardens and entrusting maintenance to community organizations (Reynolds, 2015), the climate between community gardens and local authorities is still contentious (Cohen, Reynolds & Sanghvi, 2012). In November 2011, for example, the NYC Housing Preservation and Development decided on the destruction of the Morning Glory Garden in Mott Haven, a neighborhood in South Bronx, for a housing project.

[9] Voir Winnie Hu, “FreshDirect Expands Delivery to Serve All of the Bronx”, The New York Times, 23 mai 2012, http://www.nytimes.com/2012/05/24/nyregion/freshdirect-expands-delivery-to-all-parts-of-the-bronx.html, page consultée le 12 mai 2015, et “Residents Sue FreshDirect Over Move to the Bronx”, The New York Times, 4 mars 2013, http://www.nytimes.com/2013/03/05/nyregion/residents-sue-freshdirect-over-move-to-the-bronx.html, page consultée le 12 mai 2015.

[9] See Winnie Hu, “FreshDirect Expands Delivery to Serve All of the Bronx”, The New York Times, May 23, 2012, http://www.nytimes.com/2012/05/24/nyregion/freshdirect-expands-delivery-to-all-parts-of-the-bronx.html, last consulted on May 12, 2015, and “Residents Sue FreshDirect Over Move to the Bronx”, The New York Times, March 4, 2013, http://www.nytimes.com/2013/03/05/nyregion/residents-sue-freshdirect-over-move-to-the-bronx.html, last consulted on May 12, 2015.

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