Que se passe-t-il au Brésil ?

What Is Happening in Brazil?

L’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro au Brésil a été un choc dans tout le pays, et au-delà. Un choc attendu, mais un choc tout de même car jusqu’à peu de temps avant l’élection présidentielle d’octobre 2018, sa candidature n’était pas vraiment prise au sérieux : 4 % seulement d’intentions de vote en décembre 2015. Alors député fédéral de l’État de Rio de Janeiro, cet ancien militaire exclu de l’armée en 1988 était moins connu pour son travail législatif que pour ses outrances verbales en faveur des positions les plus extrêmes. Les enquêtes d’opinion signalaient une poussée, certes, mais trop faible, pensait-on, pour aboutir à une élection. Au début septembre 2018, soit un mois avant le scrutin, le candidat était crédité de 22 % des intentions de vote… Et puis, la courbe s’est envolée, au point que certains observateurs voyaient Bolsonaro élu dès le premier tour. Si tel ne fut pas le cas, le fait est qu’il a réuni 46,03 % des voix le 7 octobre 2018, très loin devant le candidat du Parti des travailleurs (PT), Fernando Haddad, arrivé deuxième avec 29,28 % des suffrages. Dès lors, les dés étaient jetés : Jair Bolsonaro l’emportait au second tour, le 28 octobre, avec 55,13 % des voix. Il prenait ses fonctions le 1er janvier 2019.

Jair Bolsonaro’s coming to power in Brazil came as a shock in the entire country and beyond. An expected shock, but a shock nevertheless, since just before the presidential election of October 2018, his candidacy had not really been taken seriously: voting intentions represented only 4% in December 2015. Then a Federal Deputy of the State of Rio de Janeiro, this former soldier who was excluded from the army in 1988, was less known for his legislative work than for his outrageous remarks in favour of the most extreme stances. Opinion polls admittedly indicated an increase that, it was felt, was too low to lead to an election. In early September 2018, i.e. one month before polling, the candidate was credited with 22% of voting intentions. Then his popularity ratings soared, to such an extent that some could see Bolsonaro being elected in the first round already. While this was not the case, the fact remains that he gathered 46,03% of the votes on the 7th of October 2018, well ahead of Fernando Haddad, the Labour Party (PT) candidate, who came second with 29,28% of the votes. From then on, the die was cast: Jair Bolsonaro won the election in the second round, on the 28th of October, with 55,13% of the votes. He took office on the 1st of January 2019.

Ainsi entrait au Palais du Planalto un homme qui, durant toute sa campagne électorale, a tenu des propos racistes contre les Noirs et les Indiens, qui a insulté les femmes, qui a traité les pauvres de fainéants, qui a dit ouvertement son admiration pour Pinochet et sa nostalgie de la dictature militaire brésilienne des années 1964-1985 (il ne lui reprochait qu’une chose : avoir torturé alors qu’il aurait fallu tuer) et qui a promis à ses opposants soit l’exil, soit la prison ! Qu’un tel résultat inquiète est peu dire. Qu’une majorité de Brésiliens aient confié leur sort et celui de leur pays à pareil individu reste largement une énigme.

The Planalto Palace was then to be the official workplace of a man who, during his entire electoral campaign, made racist remarks against the Blacks and Indians, insulted women, accused the poor of being lazy, spoke openly of his admiration for Pinochet and of his nostalgia for the military dictatorship that ruled Brazil from 1964 to 1985 (criticizing only the fact that people were being tortured instead of killed), and who promised to either exile or imprison his opponents! That such a result creates concern is an understatement. That a majority of Brazilians have put their fate and that of their country in the hands of such an individual remains an enigma.

Un fait est certain : l’élection de Jair Bolsonaro n’est pas une simple alternance politique comme il est normal qu’il s’en produise à l’issue d’élections dans un pays démocratique. C’est de tout autre chose qu’il s’agit : une menace pour la démocratie elle-même. Outre les graves soupçons qui pèsent sur le processus ayant abouti au vote, il faut considérer la mise en cause des valeurs qui fondent le système démocratique.

A fact is certain: Jair Bolsonaro’s election is not a mere political changeover, as can normally happen at the end of elections in a democratic country. This is something different altogether: a threat to democracy itself. Apart from the serious suspicions underlying the process that led to the vote, one needs to consider questioning the values on which the democratic system is based.

 

 

Que s’est-il passé ?

What Happened?

Ce qu’il s’est passé a été dénoncé par beaucoup d’observateurs comme un coup d’État institutionnel.

What happened has been denounced by many an observer as an institutional coup d’état.

Analyser les faits requiert de les mettre en perspective. Pour cela, il faut remonter à la destitution de la présidente Dilma Rousseff, laquelle avait succédé à Lula et avait été réélue en 2014 pour un second mandat.

Analysing the facts requires to put them into perspective. To this end, we need to go back to the dismissal of President Dilma Rousseff, who had succeeded Lula and had been re-elected in 2014 for a second term of office.

C’est alors que la compétition politique a pris une tournure nouvelle, les forces conservatrices entreprenant de rattraper leur défaite électorale par d’autres voies que le respect des échéances électorales. L’opération a comporté deux volets, d’une part empêcher le retour de Lula – sa popularité était alors confirmée par les sondages – et, d’autre part, déstabiliser la présidente en exercice. Deux thèmes se sont vite imposés dans le débat politique : l’insécurité et la corruption. Les observateurs étrangers ont beaucoup insisté sur ce dernier point pour dire son effet dévastateur sur la crédibilité du Parti des Travailleurs (PT), mais sans préciser que c’est Dilma Rousseff elle-même qui a renforcé les moyens de lutte contre ce fléau en donnant au parquet les moyens nécessaires à une action vigoureuse et en faisant interdire en 2015 le financement privé des campagnes électorales. Or, si ce mal endémique touchait tous les partis, ceux de droite étaient aussi corrompus que le PT, sinon davantage : les forces de droite se sentirent alors menacées et entreprirent d’attaquer la présidente, en même temps qu’elles poursuivaient une violente campagne de dénigrement contre le PT. C’est au milieu de 2014 qu’avait commencé l’opération lava-jato, c’est-à-dire lavage express, quand le juge Sergio Moro avait mis au jour à Curitiba (Parana) une affaire de corruption qui, de fil en aiguille, avait pris une dimension énorme impliquant des entreprises de BTP et du secteur pétrolier et mettant en cause de nombreux partis. Que le PT soit compromis dans ces affaires n’a été nié par quiconque. Mais, ce qui est aussi indéniable, c’est que le juge Sergio Moro a engagé alors les poursuites d’une façon très sélective, accélérant toutes les procédures susceptibles d’impliquer le PT et menant des enquêtes uniquement à charge, cependant que d’autres formations politiques bénéficiaient d’utiles retards dans l’instruction des dossiers les concernant. Dans le même temps, les médias, et en particulier la TV Globo, s’acharnaient contre le PT. De la sorte, dans une large partie de l’opinion publique, une assimilation s’est faite entre le PT et la corruption.

This is when political competition took a new turn, when conservative forces undertook to make up for their electoral failure by means other than respecting election terms. This operation took place in two stages: on the one hand, preventing Lula’s return – his popularity was then confirmed by the polls – and, on the other, destabilising the current President in office. Two themes quickly came up in the political debate: insecurity and corruption. Foreign observers insisted on corruption to explain the devastating effect it had on the credibility of the Labour Party (PT), without specifying that it was Dilma Rousseff herself who reinforced the means to fight against this scourge, by giving the public prosecutor’s office the necessary means to act strongly, and by prohibiting the private funding of electoral campaigns in 2015. Yet, while this endemic evil affected all the parties, right-wing parties were as corrupted as the PT, if not more: right-wing forces then felt threatened and decided to attack the President, while pursuing an aggressive smear campaign against the PT. It was in the middle of 2014 that operation lava-jato or express cleaning started, when Justice Sergio Moro brought to light, in Curitiba (Parana), a case of bribery that gradually took on enormous proportions, implicating companies from the public buildings and works sector (building industry) and the oil sector, and questioning many political parties. No one denied the fact that the PT was involved in these cases. However, what is just as undeniable, is the fact that Justice Sergio Moro decided to start legal proceedings in a very selective way, speeding up all the procedures likely to implicate the PT and only conducting investigations against that Party, while other political formations benefitted from useful delays in the investigation of cases that concerned them. During the same period, the media, and TV Globo in particular, set themselves against the PT. As a result, in a wide section of the public opinion, the PT equated with corruption.

Le terrain était ainsi bien préparé pour que soit lancée l’offensive contre l’ancien président et contre la présidente en exercice. Contre Lula, l’objectif était d’empêcher qu’il puisse être de nouveau candidat. On connaît la suite, à savoir qu’une condamnation à plusieurs années de prison l’a neutralisé politiquement en rendant pour lui une nouvelle candidature impossible. Savoir s’il est ou non coupable – lui-même a toujours clamé son innocence – d’avoir reçu d’une entreprise du BTP un appartement en bord de mer en contrepartie d’attributions préférentielles de marchés publics, ne relève pas de la présente analyse. Ce que l’on sait, en revanche, c’est que l’acharnement du juge Sergio Moro fait douter de l’impartialité du tribunal. Contre Dilma Rousseff, rien ne permettant de mettre en doute son intégrité, l’opposition a utilisé le prétexte d’une dépense publique inscrite au budget avec un décalage de calendrier permettant une présentation des comptes plus favorable au gouvernement. Or, pour critiquable qu’elle puisse être, cette pratique a toujours existé au Brésil sans jamais entraîner le départ du chef de l’État pour la bonne et simple raison qu’elle n’entre pas dans les motifs de destitution prévus par la Constitution. D’ailleurs, le président intérimaire Michel Temer qui a succédé à Dilma Rousseff (il était jusqu’alors vice-président, élu avec Dilma Rousseff, mais sous l’étiquette du parti conservateur Mouvement démocratique brésilien [MDB]) a lui aussi fait une cavalerie budgétaire quelques semaines après sa prise de fonction. Parler de coup d’État institutionnel paraît donc justifié. La procédure de vote a même donné lieu à des scènes surprenantes. Invités à dire quelques mots d’explication de vote avant de mettre leur bulletin dans l’urne, les députés favorables à la destitution ont dit agir pour le Brésil, pour la famille, contre l’insécurité, pour l’avenir du pays sans pouvoir dépasser ces banales généralités ni mettre en cause directement l’honnêteté de la présidente. Quant au député Jair Bolsonaro, il dédia son vote à la mémoire du colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra, celui-là même qui dirigeait le centre de détention où, à l’époque de la dictature, Dilma Rousseff, alors jeune étudiante, avait été torturée…

The ground was well prepared to launch the offensive against the former President, and against the current President. Against Lula, the objective was to prevent him from being a candidate once more. We know the rest, where his being condemned to several years in prison neutralised his political career, making any new candidacy impossible. Whether or not he was guilty – he always claimed his innocence – of having received a seaside apartment from a construction company in exchange for the preferential award of procurement contracts, does not fall within this analysis. What we know, on the other hand, is that the relentlessness of Justice Sergio Moro brings one to doubt the court’s impartiality. Against Dilma Rousseff, whose integrity was impossible to question, the opposition used the pretext of a public expenditure included in the budget with a gap in the schedule, making a presentation of the accounts looking more favourable for the government. Yet, as open to criticism as it might be, this practice has always existed in Brazil, without ever provoking the departure of a Head of State, for the simple reason that it does not lead to destitution as provided for by the Constitution. In fact, interim President Michel Temer, who succeeded Dilma Rousseff (he was until then Vice-President elected with Dilma Rousseff, but under the label of conservative party Brazilian Democratic Movement (MDB)) also committed a budget fraud a few weeks after taking up his post. As such, to speak of an institutional coup d’état seems justified. The voting procedure gave rise to surprising scenes even. Invited to say a few words to explain their vote before casting it, deputies in favour of the destitution said that they were acting for Brazil, for the family, against insecurity, for the future of the country, without being able to go beyond these trite generalities, nor to question directly the honesty of the President. As to deputy Jair Bolsonaro, he dedicated his vote to the memory of Colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra, the very person who ran the detention centre where, during the dictatorship, Dilma Rousseff, who was then a young student, had been tortured…

Lula et Dilma étant neutralisés, la droite traditionnelle aurait pu espérer reprendre la main après l’intérim de Michel Temer, très vite discrédité par ses implications dans des affaires de corruption. Mais, ni le sénateur du Minas Gerais Aecio Neves, ni Geraldo Alckmin n’ont su s’imposer à l’opinion publique. De son côté, le PT n’a pas réussi à refaire surface. Il avait conservé Lula aussi longtemps que possible comme candidat, peut-être trop longtemps, en conséquence de quoi son candidat, Fernando Haddad, a démarré trop tard sa campagne sans jamais parvenir à gommer l’image de candidat par défaut qui lui a collé à la peau. Jair Bolsonaro s’est alors présenté comme un homme neuf, seul capable de remettre de l’ordre dans le pays. Quoi qu’il en soit, la dynamique en sa faveur s’est emballée. Les milieux économiques, d’abord méfiants, ont été sensibles à ses options néo-libérales. La propagande s’est intensifiée, à coups de fake news sur la messagerie WhatsApp. Contre toute vérité, Fernando Haddad fut ainsi accusé d’avoir, quand il était ministre de l’Education, diffusé dans les écoles « un kit gay » pour apprendre aux enfants l’art et la manière de devenir homosexuel. Aux thèmes récurrents de l’insécurité et de la corruption, la propagande ajoutait celui de la théorie du genre que la gauche était supposée promouvoir pour détruire la famille. Les Églises évangélistes se sont alors ralliées à Bolsonaro qui se faisait le défenseur des idées les plus conservatrices en matière sociétale. Ce ralliement a pesé très lourd dans tous les milieux, principalement populaires. On n’était plus dans le débat politique, mais dans l’insulte et les contre-vérités les plus grossières… mais cela a marché !

With Lula and Dilma neutralised, the traditional right wing could have hoped to take over after the interim period of Michel Temer, who quickly ended up being discredited through his implication in cases of corruption. While neither Aecio Neves, the Senator of Minas Gerais, nor Geraldo Alckmin, both from the Social Democracy Party, managed to sway public opinion, the PT on the other hand did not manage to resurface at all. The Labour Party had kept Lula as its candidate for as long as possible, perhaps too long, which resulted in candidate Fernando Haddad starting his own campaign too late, without ever getting rid of his image of candidate by default. Jair Bolsonaro introduced himself as a new man, the only one able to bring back order to the country. Whatever the case, dynamics turned greatly in his favour. Economic circles, suspicious at first, were susceptible to his neoliberal options. Propaganda intensified through fake news on WhatsApp. Against all truths, Fernando Haddad was accused, when he was Minister of Education, of having distributed “a gay kit” in schools, to teach children the art and manner of becoming homosexual. In addition to the recurrent themes of insecurity and corruption, that of gender theory as supposedly promoted by the left wing to destroy the family, was also being propagated. Evangelist Churches then rallied round Bolsonaro who made himself out to be the defender of the most conservative ideas in societal matters. This rallying had heavy consequences on all the classes, and mainly on the working classes. It was no longer a political debate, but a ground for insults and the rudest falsehoods… but it worked!

Enfin, on peut voir dans la tentative d’assassinat contre lui un tournant dans la campagne du candidat. Le 6 septembre 2018, à Juiz de Fora (Minas Gerais) où il tient meeting, Jair Bolsonaro est victime d’un attentat. Grièvement blessé de plusieurs coups de couteau à l’abdomen, il est immobilisé à l’hôpital. Paradoxalement, cette grave épreuve personnelle allait devenir une grande chance politique. Elle faisait de lui une victime et un héros, attirant vers lui la sympathie de nombreux électeurs. Surtout, elle le dispensait d’affronter directement son adversaire sur les questions économiques qu’il dit lui-même ne pas maîtriser. Empêché pour des raisons médicales réelles, il a évité les débats qui auraient révélé au grand jour son incompétence.

Finally, we can see in the assassination attempt against him, a turn in the candidate’s campaign. On the 6th of September 2018, in Juiz de Fora (Minas Gerais) where he was holding a meeting, Jair Bolsonaro was the victim of an attempt. Seriously wounded after being stabbed several times in the abdomen, he was hospitalised. Paradoxically, this serious personal ordeal was to become a great political opportunity. It made of him a victim and a hero, attracting the sympathy of many voters. Above all, it exempted him from having to face his opponent directly on economic issues which he did not master, a fact he admitted openly. Prevented for real medical reasons, he avoided debates that would have revealed his incompetence.

Une dernière question se pose : pourquoi, entre les deux tours, n’y a-t-il pas eu une sorte de front républicain pour lui barrer la route ? Certes, la partie était mal engagée avec 16 points d’écart entre les deux finalistes et des réserves limitées de voix, mais elle valait d’être jouée. Toutefois, ni Ciro Gomes, arrivé troisième avec 12 % des voix, ni Geraldo Alckmin arrivé quatrième avec près de 5 %, ni l’ancien président Fernando Henrique Cardoso, ni d’autres (on pense notamment à l’écologiste Marina Silva) n’ont dit mot. Soutenir dans un deuxième temps un candidat que l’on a critiqué dans un premier temps parce que l’autre finaliste constitue un danger eût été dans la logique d’un scrutin à deux tours. Mais le scénario fut différent. Sans doute, Fernando Haddad avait-il un positionnement trop à gauche pour devenir en quelques jours un rassembleur. Sans doute aussi, a-t-il été entraîné dans le discrédit qui pesait sur son parti.

One question remains though: why, between the two rounds, was there not a sort of Republican Front to cross his path? Things did not look good, admittedly, with a difference of 16 points between the two finalists and with limited reserves of votes, but it was worth trying. However, neither Ciro Gomes who came third with 12% of the votes, nor Geraldo Alckmin who came fourth with almost 5% of the votes, nor former President Fernando Henrique Cardoso or others (such as the ecologist candidate Marina Silva) said anything. Supporting during a second round a candidate that was criticised in the first round, because the other finalist constitutes a danger, would have been part of a logic based on double ballot. But this was a different scenario. Perhaps Fernando Haddad’s stance was too left-wing to become a unifier in the space of a few days. It is also possible that his party’s discredit dragged him down altogether.

 

 

Des causes plus profondes

Deeper Causes

De semblables péripéties n’ont pas lieu seulement à la suite d’une conjoncture politique particulière. Pour qu’elles surviennent, il faut aussi un terreau qui les rende possibles. Aussi, prendre du recul par rapport à l’actualité et situer le changement politique dans le temps long et dans les structures sociales héritées est de bonne méthode.

Such events do not take place only when following a specific political situation. For them to happen, they also need the right conditions. In this regard, it is appropriate to stand back from current events and to place political change in the long term and in the social structures inherited.

Dès 2013, des manifestations à São Paulo et à Rio de Janeiro avaient révélé une certaine lassitude de l’opinion. Il s’agissait initialement de dénoncer les tarifs et la médiocre qualité des transports publics à un moment où des sommes considérables étaient consacrées à la préparation de la Coupe du monde de football (2014) et des Jeux olympiques (2016). Mais, très vite, les opposants ont vu là une opportunité pour cibler directement le gouvernement et faire du PT le responsable de tous les maux. L’opération de déstabilisation était lancée.

As early as 2013, demonstrations in São Paulo and Rio de Janeiro revealed that public opinion grew tired. The idea was, initially, to denounce the tariffs and bad quality of the public transports, at a time when considerable sums of money were given over to prepare for the World Cup of Football (2014), and for the Olympics (2016). However, opponents quickly saw in this an opportunity to target the government directly, and to ascribe the responsibility for all evils to the PT. The operation to destabilise the government was launched.

Les classes privilégiées ont critiqué les mesures sociales en faveur des catégories pauvres. Ce ne fut pas immédiat. La bolsa familia, il faut le rappeler, a sorti de la grande pauvreté environ 40 millions de personnes. Cette allocation versée aux familles les plus misérables a par ailleurs eu des conséquences très positives pour l’alphabétisation et la santé publique car elle est conditionnée à la scolarisation des enfants et à leur vaccination : le type même de mesure intelligente qui ne voit pas la pauvreté comme un phénomène seulement monétaire et qui, parce qu’elle est versée directement aux mères de famille, contribue à la promotion des femmes dans le couple. Une autre mesure-phare, le programme Minha casa, minha vida, a fait accéder beaucoup de pauvres à un logement décent. On conçoit que s’y opposer eût été choquant. Il n’empêche, a grandi dans une partie de l’opinion le sentiment diffus que le gouvernement du PT faisait beaucoup pour les classes pauvres… aux dépens de ceux qui, moins pauvres, méritaient par leur travail que l’on s’occupe davantage d’eux. Bien entendu, ce sentiment ne correspondait pas à la réalité mise en évidence par l’émergence d’une classe moyenne plus nombreuse. Mais, autant la redistribution vers les plus pauvres était admise par les classes moyennes et aisées tant qu’elles-mêmes profitaient d’une économie en expansion, autant cette redistribution devint moins tolérée quand le ralentissement de la conjoncture a empêché de servir tout le monde. Ce fut une grande habileté de la part de Lula de servir les pauvres sans s’aliéner tout de suite les riches, mais cet équilibre n’a eu qu’un temps et, sous les mandats de Dilma Rousseff et les restrictions budgétaires, le maintenir était devenu politiquement compliqué.

The privileged classes criticised social measures in favour of the poor. This was not immediate. the bolsa familia, it must be recalled, raised around 40 million people out of poverty. In fact, this allowance which is paid to the most destitute families, has had very positive consequences for literacy and public health, because it is dependent on children being schooled and vaccinated: the very type of intelligent measure that does not see poverty only as a monetary phenomenon and that, because it is paid directly to mothers, contributes to promoting women in the couple. Another flagship programme called Minha casa, minha vida, made it possible for many among the poor to have access to decent housing. We can imagine that opposing such measures was shocking. Be that as it may, part of the public opinion felt that the Labour government was doing a lot for the poor… at the expense of those who, less poor, deserved through their labour to be looked after even more. Of course, this feeling did not correspond to the reality evidenced by the emergence of a larger middle class. But the redistribution of wealth towards the poorest was accepted by the middle and well-off classes, as long as they themselves benefited from a growing economy, as much as wealth redistribution became less tolerated when the slowdown in the economic situation made it impossible to help everyone. Lula showed considerable political skill when he helped the poor without immediately alienating the rich, but this balance only worked once and, under the terms of office of Dilma Rousseff and with budget restrictions, maintaining it had become complicated politically.

Les événements ont mis en évidence le retour d’une droite qui, finalement, n’avait jamais reconnu la légitimité du PT au pouvoir. Sous des apparences parfois cordiales, la société brésilienne est depuis toujours d’une grande violence. Il ne faut pas oublier que l’esclavage a été aboli seulement en 1888 et que reste gravée dans bien des têtes l’idée que l’inégalité des personnes est chose naturelle. Ainsi apparaît normal le fait que, dans ce pays supposé exempt de racisme, les Noirs, parce que leurs aïeux étaient esclaves, occupent les situations sociales les plus modestes. Un fait significatif : lorsque, à São Paulo, une loi étendit aux employées de maison (le féminin s’impose car ce sont toujours des femmes, très souvent noires) les droits accordés aux autres travailleurs, une réaction indignée s’empara des beaux quartiers devant ce qui était vécu comme une intrusion du gouvernement dans la vie privée. Est-ce forcer le trait de voir ce comportement comme un héritage de la société esclavagiste quand, de leur côté, les empregadas célébraient cette loi comme une nouvelle Abolition ?

These events have emphasised the return of a right wing that, in the end, had never recognised the legitimacy of the PT in power. Although it sometimes appears warm, Brazilian society has always been highly violent. We must not forget that slavery was only abolished in 1888, and that many people still perceive the idea of inequality as being natural among humans. As such, it appears normal that, in this country supposedly free from racism, the Blacks, because their grandparents were slaves, occupy the most modest social situations. Significantly, when, in São Paulo, a piece of legislation gave domestic employees (mostly black females) the same rights as those granted to other workers, the smart districts were filled with indignation in the face of what was experienced as a private life intrusion from the government. Is seeing this behaviour as a legacy of the proslavery society an exaggeration when, for their part, black female employees were celebrating this new law as a new Abolition?

Cet exemple est significatif. Il est corroboré par bien d’autres allant des petits faits de la vie quotidienne aux mesures gouvernementales importantes. Ainsi, a été très critiquée la création des quotas pour l’admission dans les universités publiques. Il est évident qu’un tel système peut nourrir des ressentiments lorsqu’il écarte un candidat parce que son quota est rempli, au profit d’un autre pour lequel des places sont encore disponibles. La logique de la procédure est de tenir compte de l’inégalité des chances en amont des études supérieures et de ne pas viser seulement l’excellence académique, mais aussi la mixité sociale. Le débat autour de cette question difficile n’est pas a priori illégitime car cette façon de lutter contre une injustice généralisée peut engendrer des injustices au niveau des individus. Mais les catégories sociales favorisées formulent le problème d’une manière plus brutale : que viennent faire des pauvres dans les institutions depuis toujours fréquentées par les riches ? Le même sentiment transparaît à propos des espaces publics naguère confisqués par ceux-là seuls qui en avaient les moyens. Ainsi, il est frappant de constater l’essor des transports aériens, lié à la hausse des pouvoirs d’achat combinée avec la baisse des tarifs. Résultat : les avions sont pleins ! Beaucoup de Brésiliens qui prenaient l’autocar pour les longues distances peuvent aujourd’hui faire le trajet en avion à des prix abordables, payés éventuellement à crédit. Conséquence dont se plaignent les élites : bien loin des lieux de distinction propices à l’entre-soi qu’ils étaient naguère, les aéroports ressemblent maintenant aux rodoviarias, ces gares routières où l’on côtoie le commun… Réaction qui fait penser à celles des privilégiés effrayés en 1936 de voir leurs lieux de villégiature envahis par les congés payés !

This example is significant. It is corroborated by many others, from small everyday facts to important governmental measures. In this regard, the creation of quotas for admission in public universities has been highly criticised. It is obvious that such a system can nurture resentment when it turns down a candidate because his/her quota is full, in favour of another for whom places are still available. The reasoning behind this procedure is to take into account the inequality of opportunity before higher education, and not aim only at academic excellence, but also at social mixing. At first sight, the debate around this difficult issue is not unjustified, because this way of fighting against a generalised injustice can generate injustice at the level of individuals. The fortunate social categories, however, formulate the problem more abruptly: what are the poor doing in institutions that have always been attended by the rich? The same emotion shows through as regards public spaces that used to be claimed only by those who could afford it. It is striking to see the rapid expansion of air transport linked to an increase in purchasing power, combined with the drop in tariffs. The result being that planes are full! Many Brazilians who used to catch long distance buses, today can make the same trip by plane at affordable prices, potentially paid on credit. A consequence which the elites complain about: far from the places of distinction favourable to the social enclaves they used to be, airports today look like bus stations where one mixes with common people… a reaction reminiscent of that of the privileged who, in 1936 in France, were afraid of seeing their holiday places invaded by the riff-raff on holiday!

Ces comportements, où l’on voit le refus de reconnaître l’autre comme un égal, montrent la fragilité de la culture démocratique et donc la porosité de l’opinion face à toute idéologie prônant la hiérarchie des personnes, que cette dernière soit fondée sur la richesse, l’origine, la couleur de peau, le sexe ou la culture. Le sociologue Roberto da Matta a noté l’utilisation de plus en plus fréquente au Brésil de l’expression « savez-vous à qui vous parlez ? » Au fur et à mesure que se réduit la distance physique entre les individus de conditions différentes, il y voit la volonté de signifier à l’interlocuteur que la proximité ne doit pas lui faire oublier la distance sociale qui le sépare de vous et doit lui rappeler que, même dans les espaces ouverts à tous, il lui faut rester à sa place.

The behaviour of those who refuse to see others as equal, shows the fragility of democratic culture, and therefore the permeability of public opinion in the face of any ideology advocating people’s hierarchy, whether it is based on wealth, origin, skin colour, gender or culture. Sociologist Roberto da Matta noted the increasingly frequent use, in Brazil, of the expression “Do you know who you are talking to?” As physical distance between individuals of different stations decreases, he sees in it the will to convey to interlocutors the fact that proximity must not make them forget the social distance that separates them from others, and must remind them that even in spaces open to all, they must know their place.

 

 

Et maintenant ?

And Now?

Élu par les trois B, la Bible, le bœuf et la balle, c’est-à-dire par les évangélistes, les grands propriétaires éleveurs liés à l’agro-industrie, ainsi que par les tenants de la manière forte partisans des armes, Jair Bolsonaro a eu tôt fait de montrer que ses outrances verbales ne peuvent dissimuler son incompétence et ses contradictions.

Elected by the three Bs, the Bible, the Beef and the Bullet, i.e. the evangelists, the large cattle breeders linked to agribusiness, and the supporters of strong-arm methods and weapons, Jair Bolsonaro was quick to show that his outrageous remarks cannot hide his incompetence and contradictions.

La formation du gouvernement a constitué un premier test. Comme si ne suffisait pas au poste de vice-président le général Hamilton Mourão qui avait rappelé durant la campagne que l’armée restait vigilante et disponible au cas où… la nouvelle équipe gouvernementale compte huit militaires et quatorze civils : pas de véritable risque de Golpe au sens strict du mot puisque l’armée est déjà dans l’État. En face de ce groupe qui représente le nationalisme, il y a Paulo Guedes à la tête d’un super-ministère de l’Économie. Ce Chicago-boy est l’homme du néo-libéralisme le plus affirmé, ouvert à la mondialisation et très méfiant à l’égard d’une régulation étatique qui se ferait trop pesante. Il est la voix des grandes entreprises. Une autre figure marquante est la ministre de l’Agriculture, de l’élevage et de l’alimentation : Teresa Cristina, celle-là même qui, à la Chambre des députés, dirigeait l’intergroupe défendant les intérêts des grands propriétaires fonciers et de l’agro-industrie. Autant dire que l’agro-business a de beaux jours devant lui et que les paysans sans terre sont directement menacés, surtout quand on voit Bolsonaro libéraliser le port d’arme à feu… Quant au ministère de la Justice, l’avoir confié au juge Sergio Moro ne peut être vu autrement que comme un remerciement pour service rendu. De plus, le même portefeuille ministériel a dans sa compétence la sécurité publique : réunir sous une seule autorité ce qui relève de la justice et ce qui relève de l’ordre public laisse tout de même songeur. Ernesto Araujo, en charge des relations extérieures, doit, lui, réorienter la politique étrangère et aligner le Brésil sur les positions de Trump, ce qui a déjà provoqué de sérieuses réticences parmi les diplomates de l’Itamaraty. Sans passer en revue toute l’équipe gouvernementale, on s’en voudrait de ne pas mentionner Damares Alves, ministre de la Femme, de la famille et des droits humains, fervente évangélique qui aime bien voir les garçons en bleu et les filles en rose, et qui se prétend inspirée par ce que lui a dit Jésus-Christ en personne lors d’une apparition…

The government’s formation constituted a first test. As if it was not already enough to give the post of Vice-President to General Hamilton Mourão who had reminded everyone during the campaign that the army remained vigilant and available in case, the new government team also includes eight militaries and fourteen civilians: no real danger of a coup d’état in the strict sense of the word, since the army is already in the State. In front of the group representing nationalism, there is Paulo Guedes at the head of a super-Ministry of Economy. This Chicago-boy is the most confirmed neo-liberalist, open to globalisation and extremely suspicious of an exceedingly heavy State regulation. He is the voice of large companies. Another striking figure is Minister of Agriculture, Livestock and Supply Teresa Cristina, the very politician who used to lead, in the Chamber of Deputies, the intergroup defending the interests of large landowners and agribusiness owners. One might as well say that agribusiness has a bright future and that landless farmers are directly threatened, especially when we see Bolsonaro liberalising the carrying of firearms… As to the Ministry of Justice which has been entrusted to Justice Sergio Moro, it cannot be seen in any other way as an award in recognition of his services. Moreover, the jurisdiction of this ministerial portfolio includes law and order: bringing together under one authority what concerns justice as well as law and order, certainly makes one wonder. Ernesto Araujo, in charge of external relations, must as to him reorient the foreign policy and bring Brazil into alignment with Trump’s positions, which has already provoked serious reservations from the diplomats of the Itamaraty Palace. Without reviewing the entire government, it would be a pity not to mention Damares Alves, Minister of Human Rights, Family and Women, a fervent evangelical pastor who likes to see boys dressed in blue and girls in pink, and who claims to draw her inspiration from what Jesus-Christ said to her in person during an apparition…

Cela étant, plusieurs des mesures déjà prises ne laissent pas d’inquiéter. En matière d’environnement, le nouveau président considère le réchauffement climatique comme une invention des communistes destinée à nuire au Brésil. Difficile dans ces conditions d’attendre de lui une politique fondée sur autre chose que des fantasmes et des obsessions dépourvues de bases scientifiques. De fait, réduire autant que faire se peut l’Ibama (Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles renouvelables) est pour l’instant une priorité de son action dans ce domaine. À un moment où l’environnement s’impose comme un problème mondial, cela ne peut manquer d’isoler le Brésil des nécessaires coopérations internationales. Alors que, depuis la Conférence de Rio de Janeiro de 1992 et compte tenu de la forêt amazonienne, le Brésil occupait une place majeure dans les négociations climatiques, les réserves émises aujourd’hui par Brasilia sur l’Accord de Paris font planer un doute sérieux sur ses intentions. Cette question n’est pas sans rapport, bien entendu, avec la question foncière et le droit des populations indiennes. Là encore, les orientations inquiètent. Une des premières décisions prises par Bolsonaro a été de transférer de la Funai (Fondation nationale de l’Indien) au ministère de l’Agriculture la compétence sur la délimitation des réserves indigènes (cette décision a été cassée le 1er août 2019 par le Tribunal suprême fédéral). Le futur président ayant déclaré au cours de la campagne qu’il ne céderait plus un cm² de terre aux Indiens, on peut craindre pour l’avenir de ces derniers. Quand on se souvient aussi de sa volonté que les Indiens deviennent des Brésiliens comme les autres, c’est-à-dire dans son esprit, qu’ils abandonnent leur identité pour s’assimiler au reste de la population, on mesure les risques qui pèsent sur les groupes minoritaires dont les droits sont pourtant reconnus par la Constitution.

This being said, several of the measures already taken are of concern. As far as the environment is concerned, the new President considers global warming as a communist invention intended to run Brazil down. Under these conditions, it will be difficult to expect him to make a policy based on anything but fantasies and obsessions devoid of scientific basis. In actual fact, limiting as far as possible the action of the Brazilian Institute for the Environment and Renewable Natural Resources (Ibama), is currently a priority of his policy in this domain. At a time when the environment prevails as a global issue, this cannot fail to cut Brazil off from much needed international co-operation. While, since the Rio Conference of 1992 and considering the Amazon rainforest, Brazil held a major place in the negotiations on climate change, the reservations Brasilia has today on the Paris Agreement are raising serious doubt as to its intentions. This issue is of course not unrelated to the land issue and the right of Indian populations. There again, orientations raise concern. One of the first decisions taken by Bolsonaro, was to transfer the competence dealing with the delimitation of indigenous reservations from the National Indian Foundation (Funai) to the Ministry of Agriculture (this decision was quashed on the 1st of August 2019 by the Supreme Federal Court). Where the future President declared during his campaign that he will not give away another cm² of land to Indians, we can fear for the latter’s future. On remembering his will also to ensure that Indians become Brazilians like the others, i.e. in his mind, that they abandon their identity to be integrated into the rest of the population, we can appreciate the risks weighing on minority groups whose rights are yet recognised by the Constitution.

Finalement, malgré toute l’inquiétude que provoquent les déclarations du nouveau pouvoir en matière sociale (que deviendra par exemple la bolsa familia accusée d’avoir créé des millions de fainéants ?), le plus préoccupant concerne peut-être les menaces qui pèsent sur la liberté de penser. Le problème posé est celui de l’encadrement des idées. Au niveau scolaire, fondamental pour la suite, le gouvernement brésilien a fait siennes les idées du mouvement Escola Sem Partido (école non partisane) supposé protéger les enfants de l’endoctrinement dont ils seraient aujourd’hui victimes de la part de maîtres communistes. Cette obsession de voir partout l’emprise du marxisme à un moment où cette idéologie a perdu la place hégémonique qu’elle a occupé un temps révèle une grande ignorance. Elle montre une incapacité à penser autrement que par slogans, voire une stratégie destinée à discréditer l’adversaire. Et, quand sont tenues pour d’inspiration marxiste les valeurs démocratiques, il y a matière à s’inquiéter. De façon à consolider dans la durée sa victoire électorale, le nouveau pouvoir appliquerait-il, sans le savoir, le principe énoncé par Gramsci : d’abord s’imposer sur le registre des idées pour, ensuite, gagner sur le terrain politique. Dès juin 2019, les universités publiques ont vu leurs budgets gravement amputés, en particulier dans les disciplines considérées comme des bavardages : la philosophie et la sociologie.

Finally, despite all the concerns provoked by the declarations of the new power on social matters (e.g. what will become of the bolsa familia blamed for having created millions of idlers?), of greater concern are the threats on the freedom of thought. The problem concerns the supervision of ideas. At the level of the school, fundamental for the future, the Brazilian government adopted as its own the ideas of the Non-Partisan School movement (Escola Sem Partido), which are meant to protect children from being supposedly indoctrinated by communist teachers. This obsession in seeing Marxist influence everywhere, at a time when this ideology has lost the dominant place it occupied for a time, is a sign of great ignorance. It shows an inability to think differently than through slogans, or even a strategy aimed at discrediting the opponent. Furthermore, when democratic values are regarded as being inspired by Marxism, there is ground for concern. In order to consolidate its electoral victory in the long term, the new power might be applying Gramsci’s principle, unknowingly, which consists in first prevailing on the register of ideas so as to, subsequently, gain ground in politics. As early as June 2019, public universities have seen their budgets seriously cut, particularly in disciplines perceived as chattering: Philosophy and Sociology.

Cette orientation politique pourra-t-elle s’imposer sans heurt ou, au contraire, faut-il s’attendre à un regain d’opposition ? Il est trop tôt pour le dire. L’heure est plutôt à un examen du rapport des forces en présence. Or, celui-ci évolue. Si lors de la prise de fonction de Bolsonaro, une forte proportion de l’opinion se disait satisfaite du changement, la cote du président a chuté très vite ensuite. Par ailleurs, quand, confirmant les soupçons, des révélations ont établi que Sergio Moro a commis des irrégularités de procédure contre Lula et a instrumentalisé la justice à des fins politiques, un coup sérieux a été porté contre le gouvernement et, à travers lui, contre le chef de l’État.

Will this political orientation dominate without clashes or, on the contrary, are we to expect renewed opposition? It is too early to say. This is rather a time for examining the balance of power currently at play… and it is evolving. When Bolsonaro came into office, a strong proportion of the opinion professed to be satisfied with the change, but the President’s popularity rating dropped very fast afterwards. Moreover, when – confirming suspicions – disclosures established that Sergio Moro committed procedural irregularities against Lula and exploited justice to political ends, a serious blow was dealt to the government and, through it, against the Head of State.

Jusqu’où ira cette défiance envers le Pouvoir. Impossible de le dire dans un pays sorti profondément divisé de la confrontation électorale. Il est divisé politiquement, sociologiquement et géographiquement. Au second tour de la présidentielle, le résultat fut à 55 % contre 45 %. Mais, à l’échelle des États fédérés, l’important à noter est une coupure du pays en deux. Bolsonaro a été majoritaire dans le Sudeste, le Sud, le Centre-Ouest et une partie de l’Amazonie, c’est-à-dire, si l’on considère les gros effectifs d’électeurs, par le Brésil riche. Il a obtenu 68 % des voix dans les États de São Paulo, de Rio de Janeiro et du Parana, et même 76 % dans celui de Santa Catarina. En revanche, le Nordeste reste un bastion d’opposition de gauche : tous les États nordestins, plus l’État du Para en Amazonie, ont donné la majorité au PT. Le score de Fernando Haddad atteint même 66 % dans le Pernambouc, 71 % dans le Ceara, 72 % à Bahia, 74 % dans le Maranhão et 77 % dans le Piaui. Les électeurs de la région la plus pauvre ne se sont pas trompés. C’est là que Lula a gardé ses soutiens les plus forts parce que c’est là que sa politique sociale a eu le plus d’effets. Est-ce là qu’il faut attendre le nécessaire sursaut ? Il serait imprudent d’aller trop vite en besogne car les pourcentages ne doivent pas faire oublier les valeurs absolues. Dans l’État de São Paulo, où Fernando Haddad n’a obtenu que 32 % des voix, ses électeurs sont 7,2 millions, plus nombreux que les 5,5 millions de Bahianais qui ont, eux aussi, voté pour lui. La coupure géographique des votes pose le problème de la cohésion territoriale du pays, mais c’est probablement dans le Brésil du Sudeste et du Sud que se jouera l’avenir politique du pays. Toujours est-il que, défait à la présidentielle, le PT a obtenu des résultats en recul et pourtant encourageants aux législatives qui ont eu lieu à la même date. Avec 54 sièges à la Chambre des députés sur 513, il reste le premier parti, devant celui du président (le PSL, Parti social libéral qui a 52 sièges).

How far will this defiance against the Power go? It is hard to say in a country that came out deeply divided after the electoral confrontation. It is divided politically, sociologically and geographically. In the second round of the presidential election, the result was 55% against 45%. But, at the level of the federated States, it is important to note that the country is divided into two sections. Bolsonaro held the majority of votes in the Southeast, South, Centre-West and part of the Amazon regions, i.e. when considering large voter numbers, by the Brazil of the rich. He obtained 68% of the votes in the States of São Paulo, Rio de Janeiro and Parana, and up to 76% in that of Santa Catarina. On the other hand, the Northeast region remains a bastion of the left-wing opposition: all Northeast States, in addition to the State of Para in the Amazon, gave the Labour Party the majority of votes. Fernando Haddad’s votes even reached 66% in the Pernambouc, 71% in the Ceara, 72% in the Bahia, 74% in the Maranhão and 77% in the Piaui. Voters in the poorest region did not falter. This is where Lula kept his fiercest support, because this is where his social policy had the greatest effect. Should one expect the necessary jump to come from there? It would be imprudent to be too hasty, in that percentages must not lead one to forget absolute values. In the State of São Paulo, where Fernando Haddad only obtained 32% of the votes, his voters represent 7,2 million people, a figure far above the 5,5 million people from the State of Bahia who also voted for him. The geographic divide of the votes raises the issue of the country’s territorial cohesion, but it is probably in the Southeast and South regions that the country’s political future will be played out. The fact remains that, although the PT obtained declining results in the presidential election, results in the legislative elections that took place on the same day were encouraging: with 54 seats in the Chamber of Deputies out of 513, it remains the first party, before that of President, the Social Liberal Party (PSL) which only has 52 seats.

 

 

Conclusion

Conclusion

Le poids du Brésil en Amérique latine et parmi les pays dits émergents confère à ce qui s’y passe un relief particulier. Or, non seulement le Trump tropical se rapproche du vrai Trump, mais il se sent des affinités avec les forces réactionnaires (il s’agit davantage de réaction que de conservatisme) au pouvoir en Italie, en Hongrie et en Pologne, ou en essor dans d’autres pays européens. C’est une poussée du populisme, du nationalisme, de la xénophobie, du racisme, de l’anti-intellectualisme. À ce phénomène mondial, il faut opposer une résistance qui dépasse le cas brésilien et qui soit pensée à l’échelle internationale.

The weight of Brazil in Latin America and among the so-called emerging countries, gives Brazilian events a very specific socio-political landscape. Yet, not only is the tropical Trump drawing closer to the real Trump, he also has an affinity with the reactionary forces (for it is more about reactionism than conservatism) in power in Italy, Hungary and Poland, or blossoming in other European countries. It is an upsurge of populism, nationalism, xenophobia, racism and anti-intellectualism. This global phenomenon must be opposed by means of a resistance movement that goes beyond the Brazilian case, a movement conceived on an international scale.

Bibliographie

References

CHIRIO Maud, « L’ascension de l’extrême-droite au Brésil », in La Vie des idées, 8 janvier 2019 (https://laviedesidees.fr/L-ascension-de-l-extreme-droite-au-Bresil.html).

COMPAGNON Olivier, FLÉCHET Anaïs, « Brésil : la vague réactionnaire. Entretien avec João Sette Whitaker Ferreira », in La Vie des idées, 18 janvier 2019 (https://laviedesidees.fr/Bresil-la-vague-reactionnaire.html).